Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition des organisations représentatives des salariés (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC) sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 4)              2

– Audition des organisations représentatives des employeurs (MEDEF, CPME, U2P) sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 4)              20

– Présences en réunion.................................33

 

 

 

 

 


Mercredi
5 juillet 2017

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 03

session extraordinaire de 2016-2017

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
Présidente


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 5 juillet 2017

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)

La commission des affaires sociales procède à laudition des organisations représentatives des salariés (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC) sur le projet de loi dhabilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 4).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’audition des organisations syndicales représentatives des salariés ainsi que des organisations représentatives du patronat sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Compte tenu de la démarche, encore rappelée hier par la ministre devant notre Commission, cette audition des acteurs engagés dans la concertation sur l’écriture des futures ordonnances revêt une importance capitale.

Je remercie toutes les organisations d’avoir répondu dans des délais très contraints. Avant de vous laisser la parole pour dix minutes maximum chacun, afin que nous puissions laisser de la place aux questions, je vous informe que nous interromprons nos travaux pour quelques instants vers onze heures, avant l’audition des organisations patronales. J’inviterai alors celles-ci à se joindre à nous pour une minute de silence en hommage à Mme Simone Veil, car, dans le temps limité qui nous est imparti, nous ne pouvions reporter ces auditions, mais nous souhaitons tous nous associer à ce deuil national.

Je rappelle les règles suivant lesquelles nous travaillerons aujourd’hui : dans un premier temps, nous écouterons les organisations représentatives, ensuite, après le rapporteur de notre commission, je donnerai la parole aux orateurs intervenant au nom des différents groupes.

Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. Il me sera difficile de m’en tenir au temps imparti, tant le sujet est important pour les salariés et les entreprises.

Dans la mesure où beaucoup de réformes sont intervenues sur ces thèmes au cours des années 2013, 2015 et 2016, la CFDT aurait préféré qu’un temps plus long ait permis à la fois la mise en œuvre de celles-ci, et leur évaluation.

La CFDT prend néanmoins acte de cet état de fait et respecte la volonté politique qui sous-tend cette nouvelle réforme. La situation de l’emploi, comme l’attentisme d’une partie du patronat dans la mise en œuvre de certaines réformes – nous y reviendrons lors de l’évocation de la base de données unique, qui constitue le répertoire des informations dues aux représentants du personnel –, nous amènent à considérer que le statu quo n’est pas de mise. Il faut donc aller plus loin dans ce que la CFDT attend d’une nouvelle réforme : un nouveau partage des responsabilités et de l’information entre les représentants des salariés et ceux des entreprises.

C’est donc à l’aune de ces deux objectifs centraux que nous apprécierons le projet de loi d’habilitation ainsi que les ordonnances qui seront prises. Ces deux orientations concernent le rôle de la branche, qui doit rester le régulateur de la concurrence économique et sociale, et le fait que la décentralisation de la négociation vers l’entreprise – démarche que la CFDT a toujours soutenue, non pas seulement en 2016, à l’occasion de la loi « travail », mais depuis 1968 et la création de la section syndicale d’entreprise – puisse permettre la combinaison de l’agilité des entreprises et de la mise en œuvre effective et concrète des droits des salariés. La condition en est que ce soit la démocratie représentative qui mette en œuvre cette décentralisation ; ce qui implique le renforcement de la reconnaissance du fait syndical majoritaire, unique garant de cet équilibre.

La négociation en cours n’est pas encore parvenue à son terme, aussi resterons-nous imprécis sur certains points qui n’ont pas encore été abordés, et pour lesquels nous attendons la position du Gouvernement. Nous approuvons donc la méthode et l’intensité de la concertation, mais, tant que tous les arbitrages ne seront pas rendus, la CFDT demeurera vigilante jusqu’au terme du processus législatif qui transposera les ordonnances.

Les trois premiers articles du projet de loi d’habilitation constituent le cœur de ce qui va changer, pour les salariés particulièrement.

L’article 1er porte sur l’articulation entre la négociation de branche et la négociation d’entreprise. La CFDT est globalement en accord avec les principes énoncés au sujet de cette articulation. Nous avons soutenu la conception de l’entreprise comme lieu d’arbitrage pertinent entre le besoin d’adaptation pour l’agilité des entreprises, qui à nos yeux n’appartiennent pas uniquement aux employeurs, mais aussi à leurs salariés, et la matérialisation de droits concrets et effectifs pour les salariés – sous certaines conditions, qui relèvent de l’article 2.

Nous sommes assez favorables aussi à l’articulation proposée entre l’accord et le contrat de travail. En effet, nous considérons que le contrat de travail constitue un contrat d’adhésion, pour lequel le salarié ne dispose, dans la plupart des cas, que d’un faible pouvoir de négociation. Aussi l’accord d’entreprise nous paraît-il le plus à même de garantir de bons arbitrages, conformes à l’intérêt général. Nous avons d’ailleurs soutenu un certain nombre de démarches, que l’on pourrait aujourd’hui qualifier d’expérimentales, portant sur la négociation des trente-cinq heures, ou sur les accords de maintien dans l’emploi ou de préservation et de développement de l’emploi. Cela nous a permis d’en constater le bon fonctionnement. Aussi l’harmonisation des divers dispositifs qui est proposée ne nous pose-t-elle pas problème.

Nous sommes encore d’accord pour que le contrôle du juge, qui doit demeurer, ne permette pas à ce dernier de modifier l’arbitrage rendu par la négociation des partenaires dans l’entreprise, et qu’il ne puisse pas choisir de déclarer valide ou non telle ou telle de ses stipulations.

Le 2° de cet article 1er a retenu notre attention. Il n’est pas possible pour nous d’envisager des négociations sans l’intermédiation d’une organisation syndicale et du délégué syndical. Il s’agit là d’une question de rapport de force dans la négociation, car c’est le fait d’avoir reçu mandat qui protège le salarié. Bien plus, c’est la question de la démocratie qui est ici posée, car la démocratie directe recèle ses propres dangers, particulièrement en l’absence d’une intermédiation syndicale synonyme d’accompagnement, d’apport de compétences, de connaissance des sujets. En outre, le risque existe de renvoyer in fine à la décision unilatérale de l’employeur, puisque le salarié sans mandat n’a pas la possibilité de s’émanciper du lien de subordination envers ce dernier.

Sous certaines conditions, la CFDT n’est pas opposée par principe au référendum d’entreprise, évoqué au b de l’article 1er, et avait même soutenu cette disposition dans la précédente loi « travail ». Lorsqu’un accord a été négocié, qu’il a été signé par un certain nombre d’organisations syndicales, mais que celles-ci ne sont pas majoritaires, elles peuvent soumettre cet accord au référendum. Nous souhaitons le maintien de ce dispositif, et, s’il devait s’agir de l’élargir, il ne saurait être question à nos yeux que l’employeur y recoure directement auprès des salariés : il faudrait préalablement, comme c’est aujourd’hui le cas, la négociation d’un accord signé par une partie des organisations syndicales. C’est le seul cas dans lequel nous pourrions envisager que l’employeur puisse saisir les salariés à travers un référendum.

Le c de l’article 1er attire plus vivement encore notre attention, voire notre inquiétude, puisqu’il y est question d’anticiper le passage aux accords majoritaires. Cela peut sembler constituer un élément indispensable, le rôle de la négociation d’entreprise ne pouvant être accru que moyennant l’accélération de ce qui était prévu pour le passage aux accords majoritaires dans les entreprises. En revanche, lorsque le changement des règles de validation des accords, particulièrement des règles de calcul, est évoqué, j’indique fermement qu’il s’agit pour nous d’une ligne rouge. Nous souhaitons d’ailleurs que la phrase concernée soit retirée afin qu’il ne puisse y avoir, de part et d’autre, d’alertes injustifiées ; ces règles ont d’ailleurs déjà évolué en 2016.

Depuis 2008, nous avons travaillé entre organisations syndicales, ainsi qu’avec les pouvoirs publics, afin de renforcer le pouvoir de la négociation. Changer les modalités de validation des accords en imaginant un système où, par exemple, ceux qui ne s’opposent pas à un accord seraient comptabilisés ou considérés comme des abstentionnistes, conduirait à permettre la validation d’accords avec une faible majorité d’organisations qui s’engagent. Ce serait exactement le contraire de tout ce que nous avons voulu faire pour renforcer la capacité d’engagement des représentants du personnel. Bien plus, cela ferait prendre un risque à la démocratie sociale en confortant ceux qui ne s’engagent pas et se lavent les mains de la négociation, et renverrait la décision, une fois de plus, au pouvoir unilatéral de l’employeur, qui n’aurait pas à se soucier de savoir si la majorité des salariés représentés par leurs organisations syndicales désirent s’engager dans un accord.

L’article 2 concerne la fusion des instances. Nous partageons l’idée que chaque entreprise doit définir par la négociation la façon la plus pertinente dont les salariés doivent être représentés. En revanche, nous sommes très réservés quant à la fusion a priori des instances, et préférerions encore le statu quo. En tout état de cause, si une telle instance unique, regroupant aussi le délégué syndical, devait voir le jour, nous souhaiterions que cela s’accompagne dans tous les cas d’un renforcement des pouvoirs de cette instance unique. L’ensemble des prérogatives des acteurs ainsi rassemblés devrait être maintenu, y compris, bien entendu, la capacité d’ester en justice, et leur accès à l’information et à l’expertise, à travers la base de données unique, etc., devrait être accru. Il faudrait encore envisager des champs de codécision avec l’employeur concernant, par exemple, la stratégie de formation ou la rémunération des dirigeants.

A l’article 3, la question de l’application d’un barème aux dommages et intérêts décidés par les prud’hommes nous cause la plus grande inquiétude et fait l’objet de notre opposition. En revanche, nous souhaiterions voir figurer dans le projet de loi d’habilitation la possibilité d’augmenter les indemnités légales de licenciement, car notre pays est celui où elles sont les plus faibles. Le dispositif serait ainsi équitable, et éviterait dans bien des cas le recours au juge, ce qui semble être l’objectif recherché ici et permettrait d’indemniser justement beaucoup plus de monde.

Mme Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. En préambule de notre intervention sur le fond du projet de loi d’habilitation, je voudrais revenir sur la méthode employée par le Président de la République.

Choisir de passer par des ordonnances, au beau milieu de la période estivale, c’est être bien peu sûr du bien-fondé de cette réforme. C’est aussi être bien peu respectueux de la démocratie sociale et de ses acteurs majeurs, que sont les organisations représentatives de salariés.

Nous voulons rappeler aussi que l’article 1er du code du travail, issu de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, dite « loi Larcher », ainsi que d’une négociation interprofessionnelle, prévoit la nécessité d’une véritable négociation ou concertation avec l’ensemble des organisations autour d’une même table. La CGT, avec d’autres organisations syndicales ici présentes, demande la tenue d’une multilatérale réunissant l’ensemble des organisations syndicales et patronales sous l’égide de la ministre du travail.

La méthode choisie revient à mépriser également la démocratie politique et le travail des élus de la nation, que vous êtes, au sein du Parlement. Nous ne pouvons que déplorer l’absence de débats approfondis, le délai extrêmement réduit — deux jours, me semble-t-il — pour proposer des amendements en commission des affaires sociales et le recours à la procédure accélérée pour le vote du projet de loi d’habilitation ; cela met en question la conception du partage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

Pour la CGT, c’est déjà suffisant, sans parler encore du contenu de ce projet, pour que vous refusiez, par le vote, d’être dessaisis de pouvoir agir sur une réforme aussi structurante pour le monde du travail.

Vous me permettrez d’avoir aussi un mot pour les salariés de la direction générale du travail (DGT) et de la direction générale de l’emploi, de la formation professionnelle (DGEFP), ainsi que les assistants parlementaires à qui le Gouvernement impose l’écriture d’ordonnances et le travail parlementaire à marche forcée, au mépris de leurs conditions de travail.

Six réunions d’une heure par syndicat — qui plus est, sans aucun texte assumé par le Gouvernement — ne font pas une concertation. Pour la CGT, c’est six heures de rencontre pour démanteler cent vingt ans de droit du travail, conquis par les luttes sociales : ce n’est pas acceptable.

Le Président de la République, le Premier ministre et la ministre du travail communiquent autour de la prétendue prise en compte de propositions émises par les organisations syndicales. En ce qui nous concerne, nous avons remis une quinzaine de pages de propositions concernant la question du travail, du droit du travail, à ces trois interlocuteurs : aucune de ces propositions n’est aujourd’hui en discussion. Je remettrai par ailleurs un dossier à la présidente de votre commission ainsi qu’à chacun de vos groupes politiques.

Les sondages récents ont montré que les salariés sont très interrogatifs au sujet de ce projet de loi d’habilitation réformant le droit du travail.

Ainsi, 67 % des Français appartenant aux classes moyennes et 72 % de ceux appartenant aux classes populaires sont défavorables au projet de loi, 68 % des sondés pensent que la loi dite « Macron » bénéficiera avant tout aux entreprises et aux actionnaires, et 61 % rejettent le plafonnement des indemnités prud’homales. D’autres sondages publiés ces jours derniers sont plus qu’inquiétants et montrent qu’il est nécessaire de prendre du temps afin de débattre ensemble de ces évolutions concernant la vie quotidienne et la vie au travail de millions de salariés.

Toutes les études montrent qu’il n’y a pas de lien entre la protection de l’emploi et la montée ou la baisse du chômage ; l’ensemble des réformes précédentes, dont les dernières remontent à l’année passée, et non d’ailleurs jamais été évaluées, n’ont pas résolu le problème du chômage de masse en France. Toutes les études conduites par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation internationale du travail (OIT), la Banque mondiale et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) démontrent qu’il n’y a pas de lien entre l’abaissement des droits et des garanties collectives et le règlement des problèmes de l’emploi et du chômage dans notre pays. C’est également vrai à l’échelle européenne, puisque tous les pays européens ayant conduit le même type de réforme ont échoué dans le domaine de la vivacité de la négociation dans l’entreprise comme dans celui de la croissance économique.

Alors, quel est le but poursuivi ?

Depuis la déclaration de politique générale prononcée hier par le Premier ministre, les choses sont encore plus claires : il s’agit de répondre à une volonté de politique d’austérité soutenue par l’Union européenne. Pour la CGT, cette réforme est destinée à brouiller les pistes et à faire en sorte que les salariés de ce pays n’aient plus aucun repère en matière de hiérarchie des normes.

Auparavant, la hiérarchie des normes était simple : la loi fixait les règles générales pour tous les salariés, un accord de branche ne pouvait que les améliorer, et un accord d’entreprise ne pouvait lui-même qu’améliorer les dispositions prévues par l’accord de branche. C’est ce qui existait quand il y avait une hiérarchie claire entre la loi, les accords de branches et les accords d’entreprises. La négociation collective avait pour unique but de donner plus de droits aux salariés. Depuis les lois Auroux, comme vous le savez, ce principe n’a cessé de subir dérogation sur dérogation.

Aujourd’hui, aux yeux de la CGT, le Gouvernement veut finir le travail. Et nous attirons votre attention sur la remise en cause des conventions collectives. Avec ce projet gouvernemental, tous les droits garantis par les conventions collectives de branches pourraient remis en cause, voire disparaître. Ce sont, pour le quotidien des Français, des éléments aussi importants que l’octroi des primes d’ancienneté, les congés, les vacances, le maintien de l’intégralité du salaire pendant les arrêts de maladie, les indemnités conventionnelles de départ à la retraite ou de licenciement.

Les mécanismes de négociation sont dénaturés. En dehors des cinq ou six thèmes demeurant au niveau de la branche – l’arbitrage n’a pas encore été rendu sur la question de la pénibilité, qui pourrait être décentralisée – et sur lesquels l’accord d’entreprise ne peut faire moins bien que l’accord de branche, tous les autres sujets pourraient être tirés vers le bas, parce que renvoyés à l’accord d’entreprise.

La question de la pénibilité reste en suspens, et la CGT est très attachée, et a demandé dès sa première rencontre avec le président Macron, l’ouverture d’une négociation sociale autour du travail, de son organisation, de la question du « mal-travail », dont le coût s’élève aujourd’hui à 4 % du produit intérieur brut (PIB). Le mal-travail dans notre pays mérite un débat national.

C’est donc bien une logique de mise en concurrence des salariés pour faire baisser ce que le patronat qualifie de « coût du travail », qui est en marche.

C’est l’affaiblissement de la loi. De nouveaux thèmes, aujourd’hui exclusivement régis par la loi, pourraient être renvoyés à la négociation de branche, tels les motifs de licenciement, qui pourraient par exemple s’étendre, pour donner des exemples très concrets, aux fautes anodines, au comportement du salarié dans l’entreprise, au chiffre d’affaires, jugé trop faible, d’un magasin, ou encore aux cadences et à la production sur une chaîne, jugée insuffisante. Si de tels motifs étaient invoqués, le salarié ne pourrait plus faire valoir ses droits.

Cela pourrait aussi s’appliquer aux cas de recours au CDD. Ainsi, si cette loi était votée en l’état, on pourrait envisager demain une embauche en CDD pour effectuer des travaux dangereux, sans aucune responsabilité sociale de l’entreprise. On pourrait même envisager de recourir au CDD afin de porter atteinte au droit – constitutionnel – de grève, ou de revoir les règles relatives aux périodes d’essai et de préavis pour les contrats courts.

Ce projet de loi représente un grand danger pour le contrat de travail lui-même. Le contrat de travail de chaque salarié ne pourrait plus résister à des règles régressives prévues par l’accord d’entreprise. Si celui-ci prévoit une clause de mobilité ou une baisse des salaires, concernée par les négociations précédentes sur les lois de sécurisation de l’emploi, ce que l’on appelle les accords de compétitivité, et que le salarié refuse, il pourra être purement et simplement licencié.

Je souhaite par ailleurs appeler l’attention de votre commission sur les risques encourus en matière de fusion des instances, sur la place du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui verrait réduites ses prérogatives de protection de la santé et de la sécurité des salariés, ainsi que sur les indemnités prud’homales. Soumettre ces indemnités à un barème revient ni plus ni moins qu’à donner à l’employeur la possibilité de calculer ce que lui coûtera le fait de se séparer illégalement d’un salarié – car il est bien question de dommages et intérêts versés à l’occasion de licenciements illégaux.

Tout cela est inadmissible.

La CGT, à l’inverse, a formulé des propositions créant le code du travail du XXIe siècle. Pendant plus de six mois, nous avons travaillé avec des universitaires, autour du Groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-PACT), à la réalisation d’un nouveau code, plus protecteur. Nous vous invitons à prendre connaissance de ces propositions, car la CGT n’est en aucune façon pour l’immobilisme. Au contraire, nous voulons conduire avec vous une réforme qui soit synonyme de plus de protection, de plus de droits pour tous les travailleurs, y compris ceux qui ne bénéficient pas aujourd’hui d’un contrat de travail.

M. Michel Beaugas, secrétaire confédéral de la CGT-FO. De façon liminaire, je tiens à préciser que Force Ouvrière nest pas demandeuse de cette énième loi « travail » – qui succède aux quelque soixante-cinq lois qui, au cours de la précédente législature, ont touché de près ou de loin au code du travail, bien souvent sous prétexte de simplification, et dont la plus emblématique ne date que de quelques mois.

Pour faire écho aux propos tenus avant-hier par le Président de la République devant le Congrès, nous aurions préféré que toutes ces lois fassent l’objet d’évaluations afin d’en déterminer la pertinence et l’efficacité, plutôt que de légiférer de nouveau et dans l’urgence.

Nous sommes en effet convaincus que le code du travail ne constitue pas un frein à l’embauche, et n’est pas responsable du chômage de masse. L’INSEE l’a d’ailleurs démontré dans une étude récente : le premier facteur est bien l’incertitude économique et des affaires, suivi par la difficulté de trouver de bonnes compétences pour l’entreprise. De son côté, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué que, sur le plan social, la concertation constituait la règle. Nous sommes demandeurs de telles concertations, qui ont d’ailleurs commencé sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Nous irons jusqu’au bout de celles-ci, puis nous jugerons effectivement sur pièces.

Par ailleurs, le calendrier pose quelques questions, car, pour reprendre une image évoquée par notre secrétaire général, Jean-Claude Mailly, vous élaborez aujourd’hui le menu, où d’ailleurs la qualité des plats n’égale pas leur quantité ; alors que nous, avec le Gouvernement, tâchons de trouver de meilleures recettes. Enfin, ce calendrier risque de semer le trouble, comme je l’ai constaté hier soir en entendant certains parlementaires.

Je laisse maintenant la parole à mon camarade Didier Porte, qui complètera le propos de notre confédération.

M. Didier Porte, secrétaire confédéral de la CGT-FO. Balayer le contenu d’une telle loi en si peu de temps ne constitue certes pas un exercice facile.

Au sujet de l’articulation et de la décentralisation de la négociation collective vers l’entreprise, Force Ouvrière demeure favorable à ce que le plus grand nombre de dispositions possible continuent de relever de la loi, plutôt que de « descendre » au niveau de la branche, et à plus forte raison à celui de l’entreprise.

S’agissant de la décentralisation de la négociation, nous sommes de ceux qui ont toujours voulu renforcer le niveau de la branche, car nous considérons qu’il constitue le niveau pertinent de négociation, seul susceptible d’amener la négociation vers l’égalité de traitement des salariés d’une même branche et de lutter contre le dumping social. Aujourd’hui existent six thèmes pour lesquels n’existe aucune possibilité de dérogation au niveau de l’entreprise ; ce que nous recherchons dans le cadre de la concertation actuelle, c’est élargir le plus possible ces six thèmes. Nous verrons également quel sort sera réservé à la pénibilité, autre question très importante pour la santé et la sécurité des travailleurs, et sur laquelle je reviendrai à propos de la fusion des instances représentatives.

Le but est donc bien d’élargir le plus possible les thèmes qui ne dépendraient que de la négociation de branche. Des questions se posent ensuite au sujet des thèmes réservés à cette négociation, mais qui seraient susceptibles de faire l’objet de dérogation pour les petites entreprises, comme le prévoit le projet de loi. Dans la mesure où le texte présenté ne l’évalue absolument pas, il nous est difficile de nous prononcer sur ce système ; nous ignorons notamment quels seront les sujets réservés à la négociation de branche susceptibles d’être modifiés par la négociation d’entreprise.

Ainsi, bien des incertitudes demeurent, au sujet des rémunérations annexes notamment. Aujourd’hui, c’est très souvent la branche qui définit une prime de vacance, une prime de panier, etc., et il est hors de question, selon nous, que l’entreprise puisse aborder de tels sujets et apporter des modifications importantes. Certains thèmes doivent absolument rester du ressort de la négociation de branche.

Au cours de la concertation, nous avons identifié un certain nombre de lignes rouges, et nous jugerons sur pièces lorsque nous prendrons connaissance du contenu des ordonnances. Aujourd’hui, faute d’en connaître le détail, il nous est difficile de nous exprimer avec précision sur les dispositifs prévus par ces textes.

S’agissant de la présomption de légalité, nous avons quelques réticences, car nous considérons que la négociation collective ne doit pas relever de la seule loi, et que le juge doit conserver des marges de manœuvre afin d’apprécier si un accord d’entreprise peut être validé ou non.

Au sujet de la primauté de l’accord collectif sur le contrat de travail, nous considérons que ce qui a été négocié entre l’employeur et le salarié ne doit pas être remis en cause par un accord collectif. Nous sommes encore moins favorables à la possibilité de licencier le salarié ou les salariés qui refuseraient le changement du contenu de leur contrat de travail sur la base d’un licenciement préqualifié, sui generis, etc., tout à fait contestable au regard des conventions internationales.

Comme les intervenants précédents, Force Ouvrière refuse la négociation avec l’employeur en l’absence de représentation syndicale, la négociation multipartite devant demeurer la règle.

S’agissant de la simplification et du renforcement du dialogue social, nous considérons que la fusion des instances existantes risquerait de remettre en cause leurs prérogatives. Au sein des CHSCT, certains de nos militants s’occupent depuis vingt ans des questions très sensibles de la santé et de la sécurité des travailleurs. Aussi considérons-nous que la fusion des instances conduira à un discours d’ordre général ainsi qu’à la professionnalisation des mandats et des instances représentatives du personnel. Une somme importante d’informations risque de se trouver noyée au point de ne plus pouvoir faire l’objet d’un traitement précis.

Nous demandons par ailleurs que le CHSCT conserve sa personnalité morale, de manière qu’il puisse ester en justice sur des questions aussi sensibles que la santé et la sécurité au travail. On a pu constater, à l’occasion de la discussion de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, que les dispositions concernant la médecine du travail visaient à contourner le manque d’effectifs de médecins du travail et conduisaient par conséquent à des glissements de tâches. Ils se traduisaient par exemple par la suppression de certaines visites médicales. C’est pourquoi restreindre l’autonomie du CHSCT ne sera pas sans dommages sur la santé et la sécurité des travailleurs.

Ensuite, il n’existe pas quatre voies de représentation, à nos yeux, mais trois seulement : CHSCT, délégués du personnel et comité d’entreprise, tous organes composés d’élus tandis que le quatrième est composé de personnes désignées et n’intègre pas les organisations syndicales dans les rouages de l’entreprise. Or, pour nous, intégrer le délégué syndical dans un conseil d’entreprise est une révolution copernicienne à laquelle nous ne sommes pas prêts, c’est une question de culture. L’« ADN » de Force Ouvrière est l’indépendance syndicale, et l’intégration évoquée reviendrait à institutionnaliser le syndicat, à la manière allemande ; nous y sommes d’autant moins favorables que, apparemment, toutes les dispositions relatives au conseil d’entreprise, notamment en ce qui concerne le droit de veto ou la codécision, ne seraient pas intégrées, et ce pour satisfaire les revendications patronales.

Enfin, après avoir flexibilisé les droits des salariés, il ne faudrait pas qu’on sécurise ceux des employeurs. Ainsi, favorables à l’augmentation des indemnités légales, nous sommes évidemment opposés au plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Nous resterons donc très attentifs à la volonté du Gouvernement d’instaurer ce plafonnement, ainsi qu’aux dispositions relatives aux dommages et intérêts versés aux salariés à la suite d’un licenciement abusif.

M. Gilles Lecuelle, secrétaire général de la CFE-CGC. La CFE-CGC s’inscrit dans une démarche de progrès social et économique : c’est la volonté de notre organisation de toujours aller de l’avant.

Michel Beaugas a déjà mentionné les freins à l’embauche déplorés par les directions des entreprises. L’examen des carnets de commandes et la difficulté de recruter nous confortent dans l’idée que les parties économique et sociale de l’entreprise sont l’avers et le revers d’une même pièce et doivent donc être appréhendées de manière simultanée.

Les changements législatifs réguliers concernant le code du travail posent de nombreux problèmes aux entreprises. Aussi cette nouvelle loi créera-t-elle des difficultés supplémentaires.

Nous concevons l’entreprise telle un bien commun et le salarié en fait partie intégrante : c’est lui qui crée la richesse, la valeur de l’entreprise. Il importe par conséquent de prendre en considération sa vision de l’entreprise.

Une des dispositions du projet de loi concerne l’évolution de la gouvernance de l’entreprise, gouvernance supposée permettre la construction du monde meilleur que nous souhaitons pour nos enfants. Il s’agit à cet effet d’intégrer aux choix stratégiques de l’entreprise une expertise nouvelle qui fait défaut aux multinationales, aux grands groupes au sein desquels l’« actionnaire financier » a pris un pouvoir beaucoup trop important ; aussi notre volonté est-elle de rétablir un équilibre bien plus fondé sur le moyen terme et le long terme. Pour cela, et nous y travaillerons, les acteurs de l’entreprise doivent être capables d’exprimer leur volonté et, en particulier, les salariés en leur qualité d’experts.

Cela signifie que l’entreprise n’est peut-être pas mûre pour accepter la plupart des changements proposés. J’entends ainsi revenir sur le danger – pour l’entreprise aussi bien que pour le salarié – présenté par plusieurs articles du présent projet de loi d’habilitation.

Le premier danger concerne le renvoi impératif de certaines négociations à l’entreprise, un accord d’entreprise prévalant dans ce cas sur un accord de branche et donc sur la loi. Ainsi, le renvoi au niveau de l’entreprise de la négociation sur la rémunération – primes d’ancienneté, treizième mois…– présente selon nous un risque important de dumping social et économique pour le salarié. Les PME sous-traitantes de grandes entreprises seront en effet, dans cette hypothèse, soumises à de très fortes pressions pour, encore une fois, baisser leurs coûts, à savoir, puisque le texte leur en donnera la possibilité, baisser la rémunération des salariés qui consommeront dès lors des biens à bas coût qui, on le sait, ne sont pas produits sur le territoire français. Outre leur impact économique général, les dispositions prévues auront donc un impact très important sur la vie des PME ainsi mises en difficulté par ce dumping. C’est pourquoi nous demandons que, dans l’article 1er, 1°, a) du texte, soit supprimé, dans la deuxième partie de la phrase, le mot « domaines » : nous souhaitons que la branche ne puisse discuter que des conditions des stipulations dont elle renverra la négociation au niveau de l’entreprise. Tous les domaines resteraient ainsi du ressort de l’entreprise. Il y va de la liberté d’intervention des partenaires sociaux qui, en plus, du fait de la restructuration des branches, vont jouer un rôle plus important. Les partenaires sociaux, au niveau de la branche, doivent être eux-mêmes capables, en vertu de cette liberté, de discuter de ce qu’ils renvoient à l’entreprise et de ce qu’ils jugent plus cohérent de conserver au niveau de la branche.

Ensuite, en ce qui concerne la légitimité des acteurs, le système en vigueur prévoit une représentativité syndicale, une représentativité patronale, des négociations selon des modalités bien précises. Nous sommes favorables à la généralisation des accords majoritaires mais pris par des acteurs légitimes. Or deux articles remettent dangereusement en cause cette légitimité. D’abord l’article 1er, 2°, b), qui institue un référendum par lequel les salariés valident ou non un accord ; cette consultation est de même nature que le référendum que l’on peut organiser au plan national pour contourner le Parlement qui ne voudrait pas voter une loi... Quant à la négociation des conventions et accords de groupe, d’entreprise ou d’établissement, au sein de la nouvelle instance prévue par l’article 2, c’est pour la CFE-CGC une ligne rouge à ne pas franchir, et ce pour trois raisons.

La première concerne la représentativité : le fait qu’une organisation syndicale représentant plus de 10 % des salariés puisse ne pas avoir d’élus au sein de l’instance mentionnée présente un risque de contentieux sur la validité de l’accord qui serait négocié, puisqu’une organisation syndicale représentative serait exclue du champ des négociations.

La deuxième raison est le lien de subordination entre les négociateurs dans l’entreprise : le fait de négocier avec un délégué syndical mandaté par une organisation syndicale permet de scinder le mandat en deux parties – le mandat de négociation et le mandat de signature –, et lorsqu’il y a trop de pression au sein de l’entreprise, l’organisation syndicale est à même de suspendre le mandat de signature pour le réaffecter au niveau de son organisation et protéger ainsi le négociateur qui est salarié de l’entreprise.

La troisième et dernière raison a trait à la qualité de la négociation, puisque le délégué syndical qui négocie forme sa délégation et peut faire appel à des experts parmi les adhérents. Par exemple, si l’on négocie l’épargne salariale, on va demander à quelqu’un qui se trouve déjà dans les instances de négociation ou de suivi de l’épargne salariale de participer aux discussions afin que les autres acteurs bénéficient de ses connaissances techniques. Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de supprimer le 2° de l’article 2.

Enfin, nous souhaitons que vous supprimiez les b) et c) du 3° de l’article 3, qui concernent les contrats à durée déterminée (CDD), les contrats de travail temporaires (CTT) et le contrat à durée indéterminée de chantier (CDIC). Ramener leur négociation au niveau de la branche revient à ajouter de la complexité puisque chaque branche aura la capacité de négocier des éléments différents. Un salarié exerçant un métier transversal sera complètement perdu : selon la branche au sein de laquelle il postulera, les éléments composant son contrat seront complètement différents.

Nous considérons qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter de la précarité pour créer de l’emploi. Or les dispositions prévues sont de nature à augmenter sensiblement la précarité des salariés. Si une entreprise souhaite employer sur le fondement de contrats courts, des outils existent déjà et ils garantissent une certaine sécurisation du parcours professionnel du salarié, sécurisation que nous ne retrouvons pas avec, notamment, le CDIC tel que le texte le définit. Son extension au niveau des branches présente donc pour nous un danger et nous resterons très vigilants.

M. Bernard Sagez, secrétaire général de la CFTC. La CFTC prend acte des motivations énoncées par le Gouvernement dans le présent projet de loi d’habilitation. Déjà des constats et des motivations similaires avaient sous-tendu les orientations de la CFTC dans le cadre d’un document intitulé « Dans un monde en bouleversement, construisons un nouveau contrat social ». En effet, la mondialisation, les transitions démographique, numérique et écologique bousculent nos certitudes et nous poussent à repenser notre rapport au travail et à adapter son organisation. Ainsi, nous militons depuis longtemps pour que les droits des travailleurs soient attachés à la personne. Ainsi, en cherchant des solutions adaptées à des parcours souvent devenus protéiformes et en œuvrant pour une formation continue tout au long de la vie professionnelle, la CFTC place l’humain au cœur de son action tout en s’adaptant aux évolutions du monde.

Je reviens sur les trois premiers articles du texte, qui concernent les trois blocs sur lesquels nous sommes consultés par le ministère du travail, même si les réunions de concertation ne sont pas encore achevées.

Le premier touche à l’articulation des normes entre accord de branche, accord d’entreprise et contrat de travail. Pour mener à bien ces évolutions, la CFTC milite constamment pour le rôle régulateur de la branche – nous l’avons souligné il y a plus d’un an. Qu’il s’agisse de la concertation prévue par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, ou bien de l’actuelle phase de concertation, la CFTC œuvre toujours pour le renforcement de la branche. Nous avons bien pris note des six domaines dits réservés, constituant un noyau dur, grâce auxquels la branche peut remplir tout son rôle protecteur des droits des salariés, mais également de régulateur de la concurrence.

Nous estimons qu’il faut renforcer la branche en faisant par exemple de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) un septième domaine réservé. Il convient en effet d’adopter une approche globale de la protection des travailleurs et de réaffirmer la responsabilité des entreprises vis-à-vis de la société. Les dimensions environnementale et de gouvernance doivent être prises en compte, tant elles influencent la sphère sociale. Outre les avancées réelles qu’elle représente pour les travailleurs, la création de ce septième domaine serait bénéfique également pour les entreprises, en particulier pour les PME et TPE car, négociée au niveau de la branche, la RSE, désormais reconnue comme un levier de compétitivité, permettrait d’aller plus loin en limitant le dumping social et sociétal.

Au-delà des six domaines réservés, les branches peuvent se saisir d’un certain nombre de thématiques. La CFTC a soutenu le rôle moteur de la branche dans la définition des normes impératives car elle est la plus à même de déterminer les ouvertures à réaliser au niveau de l’entreprise de par son rôle de régulateur de la concurrence économique et sociale. La CFTC défend par conséquent le maintien effectif de la notion d’ordre conventionnel de branche, qui suppose que la branche, j’y insiste, conserve la possibilité de définir librement les thèmes dont elle souhaite s’emparer par la négociation. L’accord d’entreprise devient ensuite la norme sur tous les autres thèmes. Nous n’y sommes pas opposés mais il faut évoquer des dispositions supplétives. Ces dernières, telles que définies par le code du travail, doivent renvoyer à l’accord de branche quand il existe ou, à défaut, à la loi. En tout état de cause, les dispositions supplétives ne doivent pas permettre à l’employeur de déroger à la branche et au code du travail de manière unilatérale, faute de quoi le dialogue social n’aurait aucun intérêt dans l’entreprise.

Les nouvelles possibilités offertes aux entreprises devront donc être décidées dans le cadre d’un accord majoritaire conclu au niveau de l’entreprise et si cette dernière ne signe pas d’accord, la branche doit rester impérative pour l’ensemble des dispositions.

En ce qui concerne l’article 2, relatif à l’organisation du dialogue social dans l’entreprise, et qui prévoit la fusion des instances représentatives du personnel (IRP), en partant du constat que la représentation des salariés en quatre instances différentes ne favoriserait ni la qualité du dialogue social ni la capacité d’influence des représentants des salariés, nous entendons que le Gouvernement souhaite fusionner les instances chargées de la consultation et intégrer la négociation au sein de la nouvelle instance. La CFTC rappelle toutefois que les IRP ont chacune une histoire, une spécificité, et ont en tout cas fait preuve de leur utilité – du moins dans les entreprises d’une certaine taille. Les supprimer au profit d’une seule n’est donc pas une question si simple et si facile à traiter. De même, il faudrait se pencher sur le fonctionnement de la délégation unique du personnel (DUP) : aucune étude ni retour d’expérience ne montre de façon flagrante qu’elle fonctionne mieux que le triptyque DP-CE-CHSCT.

Si l’on peut concevoir que la multiplication des structures soit susceptible de constituer un frein à un dialogue social de qualité, nous alertons sur la confusion que pourrait entraîner la fusion pour des représentants du personnel, dès lors devenus multi-casquettes, en quelque sorte, non spécialistes des conditions de travail. Si la CFTC n’est pas opposée par principe au regroupement des IRP, trois points lui paraissent néanmoins essentiels.

En premier lieu, elle ne saurait accepter que ce regroupement conduise à un appauvrissement des prérogatives et des moyens. Ce serait pour le moins contradictoire avec les objectifs affichés de la réforme, à savoir l’établissement d’un dialogue social efficace, parce que renforcé, et l’instauration d’une représentation adéquate de la collectivité de travail.

La CFTC demande ensuite que soit préservée la possibilité de garder séparées, par accord collectif, les actuelles instances, avec les attributions et les moyens de la législation actuelle. Nous regrettons d’ailleurs, à ce titre, que l’aspect quasi inéluctable que semble revêtir pour le ministère du travail la fusion des instances représentatives soit maintenu dans le texte, et nous observons que le Conseil d’État a récemment fait la même observation au Gouvernement.

La CFTC demande enfin que le principe selon lequel seules les organisations syndicales représentatives peuvent se présenter au premier tour des élections professionnelles soit maintenu dans tous les cas de figure, et particulièrement dans l’hypothèse où l’instance unique de représentation du personnel intégrerait la négociation des conventions et accords. En ce qui concerne les conditions de cette intégration, dont nous ne savons pour l’heure rien, nous ne sommes pas en mesure d’arrêter une position tranchée. Nous ne saurions toutefois accepter que ces conditions conduisent à exclure de la négociation le délégué syndical ‑ acteur historique, tout de même, de la négociation – ou à défaut un acteur mandaté sous une quelconque forme – on pourrait travailler sur un statut du représentant de la section syndicale –, en tout cas nommé par une organisation syndicale représentative.

Par ailleurs, si l’on se dirige vers une sorte de codécision au sein de ce conseil d’entreprise ou d’établissement, il est sans doute nécessaire d’augmenter le champ de l’avis conforme par rapport à l’avis simple. Pour cela, nous proposons que la fusion des IRP s’accompagne d’un élargissement des domaines de consultation qui nécessiteraient un avis conforme du conseil d’entreprise.

J’en viens à l’article 3, relatif à la sécurisation juridique de la relation de travail. En l’état actuel de la rédaction du texte, et à l’issue des rencontres bilatérales auxquelles nous avons participé, nous ne disposons pas de tous les éléments nécessaires pour arrêter une position. Nous formulons quelques interrogations et suggestions concernant les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Nous ne sommes pas opposés au principe d’un référentiel obligatoire, encore faut-il que nous en connaissions les planchers et les plafonds. La CFTC veillera en tout cas à ce qu’une part réelle d’appréciation soit laissée au juge pour les cas d’une particulière gravité, cette dernière notion devant être du reste précisée.

Pour ce qui est de l’appréciation des difficultés économiques, nous estimons qu’au nom de sa responsabilité sociale vis-à-vis de ses salariés, le groupe multinational doit rester solidaire de ses entreprises françaises qui traversent des difficultés économiques. Nous estimons donc que le périmètre de ladite appréciation doit aller au-delà du seul territoire national.

Je vais dire à présent quelques mots sur l’article 5 qui concerne la lutte contre la pénibilité. Le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) constitue, avec le compte personnel d’activité (CPA), l’une des innovations sociales majeures de ces dernières années et nous ne pourrions accepter que les modifications des règles de prise en compte des pénibilités au travail conduisent à un affaiblissement de l’esprit instauré par la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite. Nous avons toujours affirmé la primauté absolue de la prévention sur la réparation. Le mécanisme du CPPP, bien qu’imparfait, voire peut-être complexe aujourd’hui, organise cette reconnaissance via la traçabilité des évolutions des facteurs de pénibilité. Faut-il aménager, alléger le dispositif ? Nous n’y sommes pas opposés, mais nous considérons qu’il existe déjà, dans les branches, des référentiels d’évaluation de la pénibilité qu’il faudrait peut-être rendre moins complexes.

Pour conclure, j’évoquerai le 4° de l’article 4, relatif au fonds paritaire. Ce système est géré par l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN), qui commence à donner satisfaction en matière de transparence d’utilisation des fonds paritaires, de répartition équitable entre les organisations bénéficiaires et de contrôle par les parlementaires puisqu’un rapport doit leur être remis. Pour la CFTC, il n’y a pas lieu de remettre en cause ce dispositif qui n’a que deux ans ; tout au plus peut-on l’améliorer et intégrer d’autres financements existants au sein de ce fonds.

Bien évidemment, notre avis global dépendra du contenu de l’ensemble des ordonnances.

M. Laurent Pietraszewski, rapporteur. Je remercie les représentants des organisations syndicales pour leur présence et pour leurs interventions argumentées. Vous avez souligné que le calendrier de l’examen du présent projet de loi était contraint. Je n’ai d’ailleurs été nommé rapporteur qu’hier soir et nous n’avons donc pu organiser d’échanges préalables approfondis ; reste que les explications que vous venez de donner nous éclairent sur vos positions.

Je souhaite néanmoins vous interroger sur l’article 2, qui propose un ensemble de mesures visant à revaloriser les fonctions syndicales et de représentation du personnel au sein de l’entreprise. Je ne puis que souscrire, en tant que député, à cette ambition puisque c’est un préalable indispensable à l’amélioration de la qualité du dialogue social dans l’entreprise. Avez-vous des attentes particulières en matière de formation ou de revalorisation de l’exercice syndical ?

Mme Monique Iborra. Je rappelle qu’au cours de la campagne pour l’élection présidentielle, le candidat Emmanuel Macron avait annoncé, déjà, qu’il souhaitait revenir sur le code du travail et qu’il prendrait pour cela des ordonnances. Nous disposons donc aujourd’hui de la légitimité nécessaire pour faire ce que nous avons dit que nous ferions, cela dans un souci évident d’efficacité et de simplification, dans l’intérêt des salariés, bien sûr, dans l’intérêt des entreprises et, au-delà, dans la perspective de réformes de fond dépassant même celle qui nous occupe en ce moment. Nous vous remercions de votre présence malgré les conditions inhabituelles dans lesquelles nous allons examiner le présent texte – un projet de loi d’habilitation à prendre des ordonnances dont il ne s’agit pas d’aborder le contenu.

Quoi qu’il en soit, nous semblons chercher, les uns et les autres, à remplacer la culture de confrontation – répandue en France – par une vraie culture de négociation. Néanmoins, sans être naïfs, sachant que des rapports de force peuvent s’exercer à l’intérieur de l’entreprise, nous voulons demeurer à l’écoute à la fois des salariés et du chef d’entreprise ; autrement dit, nous n’entendons négliger aucun des deux bouts de la chaîne. De nombreuses réunions de concertation ont déjà eu lieu. Je crois me rappeler qu’il vous reste à en organiser une quarantaine au cours de l’été. Nous avons procédé hier à l’audition de la ministre du travail.

Ma première question concerne les PME qu’on oublie souvent alors qu’elles représentent 99 % des entreprises et 55 % des emplois. Est-il toujours d’actualité, en tout cas pour certains d’entre vous, d’exiger un mandatement, au sein des PME, lorsqu’il s’agit de discuter des conditions de travail ?

Ensuite, pouvez-vous nous indiquer vos éventuelles pistes pour faire en sorte que la lutte contre la pénibilité au travail, question toujours préoccupante, soit réellement prise en compte au sein des PME ?

M. Gérard Cherpion. Je remercie à mon tour les partenaires sociaux qui, par leur présence, nous ont montré combien l’exercice était difficile dans un temps contraint et sur le fondement d’un texte flou. La majorité a lancé une concertation totalement inaboutie sur un projet dont les contours, j’y insiste, ne sont pas définis. Je vous félicite donc de vous être livrés à ce remarquable exercice, même si je ne cache pas ma déception face à l’impossibilité d’infléchir la volonté de la majorité de ne pas examiner dans les conditions habituelles ce qui serait un soixante-sixième texte s’ajoutant donc aux soixante-cinq de la précédente législature, lequel risque bien, de surcroît, de ne pas correspondre à la réalité des entreprises.

Deux questions n’ont pas été évoquées dans vos interventions.

En effet, si l’on a mentionné la fusion des IRP et l’évolution de l’ensemble du système, à aucun moment il n’a été question des seuils. Or ce problème se pose dès lors qu’on souhaite non seulement élargir la possibilité d’un dialogue social, ce qui me paraît essentiel, mais aussi développer l’entreprise sans être systématiquement freiné par l’application de seuils qui ne correspondent plus à la réalité économique.

Ensuite, je suis inquiet du sort qui semble réservé aux PME de moins de 50 salariés : j’ai le sentiment, à vous écouter, qu’on n’a pas pris en compte vos préoccupations sur la manière dont vous entendez y mener le dialogue social – si important dans ces entreprises –, en dehors du fait que l’on prévoit de faire prévaloir dans certains cas l’accord d’entreprise sur l’accord de branche.

Un de mes amis, éminent syndicaliste, a coutume de dire : « La démocratie sociale s’arrête là où commence la démocratie politique ». Aujourd’hui, cela ne se vérifie pas. D’une part, les réunions que les organisations syndicales ont avec le ministère ne correspondent pas à ce que l’on est en droit d’attendre d’une véritable démocratie sociale. Si l’article L. 1 du code du travail est respecté, on ne peut pas considérer que le dialogue social soit établi de manière claire et stable. D’autre part, le Parlement n’a pas connaissance des textes et ne peut avoir idée de ce à quoi ils vont aboutir. Une situation bien étonnante !

M. Boris Vallaud. Au nom du groupe Nouvelle Gauche, je tiens à remercier les représentants des syndicats.

Nous partageons certaines orientations du projet, notamment celles visant à consolider la place de la négociation collective ou à harmoniser le cadre du dialogue social.

La ministre du travail, que notre commission a eu l’honneur d’auditionner hier, a comblé certains silences et levé des imprécisions dans les intentions du Gouvernement. Elle nous a assuré qu’elle conduisait avec les organisations syndicales une concertation inédite. Si c’est vrai, je m’en réjouis tout en gardant à l’esprit qu’il y a eu auparavant des conférences sociales denses et fructueuses.

En habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur cinquante sujets différents, le projet de loi va très au-delà de ce que le Président de la République avait annoncé lors de sa campagne. Comme vous, nous nous interrogeons. Nous nourrissons notamment de fortes inquiétudes à propos du volet relatif aux licenciements et aux contrats de travail. Mme la ministre nous a indiqué que le menu annoncé n’impliquait pas que tous les plats seraient commandés, formule qui n’a pu dissiper nos doutes.

Nous estimons qu’une réforme juste, co-construite avec les parties prenantes, doit être fondée sur un équilibre entre les besoins des entreprises et ceux des salariés. Dans la mesure où nous ne sommes pas en mesure d’apprécier le caractère équilibré de cette réforme, j’aimerais connaître vos appréciations à ce sujet, s’agissant notamment de la sécurisation des parcours professionnels et des réformes ultérieures de l’assurance chômage ou de la formation professionnelle.

M. Patrick Mignola. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés salue l’esprit synthétique dont ont fait preuve les représentants des organisations syndicales dans leurs analyses.

L’idée qui sous-tend le projet de loi d’habilitation est de renforcer le dialogue social afin d’approfondir la discussion du niveau national jusqu’à l’échelon de l’entreprise et de sortir de la confrontation entre employeurs et salariés. La perspective visée est un dialogue apaisé qui permettrait la participation de l’ensemble des représentants syndicaux à la définition des stratégies de l’entreprise et au règlement des difficultés qu’elle peut traverser.

Nous sommes tous ici attachés à l’indépendance des organisations syndicales, indépendance qui, nous le savons, repose sur leur financement. À cet égard, il me semble important qu’il y ait une transparence sur leurs sources de financement, grâce à la publication régulière de comptes rendus. La vitalité du dialogue social visée par l’article 4 du projet de loi n’en serait que renforcée. Le rétablissement de la confiance dans nos institutions passe aussi par cela.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Au nom du groupe Les Constructifs, j’aimerais savoir, mesdames, messieurs, si vous considérez que cette loi d’habilitation et les ordonnances qui seront adoptées à sa suite permettront au patronat de sortir de l’« attentisme » déploré par Mme Descacq.

M. Adrien Quatennens. Au nom du groupe de la France insoumise, je vous remercie, mesdames et messieurs les représentants des organisations syndicales, pour vos exposés éclairants. Hier soir, Mme Pénicaud a affirmé que les propos tenus par les orateurs de notre groupe se situaient « hors sol ». Je me félicite de constater ce matin que vos démonstrations, dans leur écrasante majorité, confortent notre positionnement. Personne ici ne peut en effet raisonnablement penser que les propos de ceux qui se tiennent au plus près des salariés seraient eux aussi « hors sol ».

Avec les 18 millions de salariés directement concernés par ce projet de loi, vous êtes les plus légitimes pour en parler et pour aider à la nécessaire conscientisation de masse de notre pays sur ce que ce gouvernement prépare, derrière une pluie de fausses bonnes intentions.

Dans la presse, la semaine dernière, la ministre du travail déclarait que l’actuel code du travail « nest fait que pour embêter 95 % des entreprises ». J’aimerais savoir ce que vous inspirent ces propos de Mme Pénicaud, chargée de défendre un projet de loi qui permettra tout au Gouvernement en matière de détricotage du code du travail.

Hier soir, l’un des orateurs du groupe Les Républicains estimait le code du travail « trop épais ». J’aimerais qu’on me dise depuis quand on juge l’efficience d’un document à sa taille. Trouvez-vous également l’annuaire trop épais ? Si oui, je vous laisse le soin de nous indiquer quelle page vous souhaitez arracher.

En cohérence avec le dictionnaire macroniste de rigueur, la ministre du travail ne cesse de nous vanter les mérites d’une consultation « sans précédent » et d’un dialogue « inégalé » avec les organisations syndicales. Si cela est vrai, alors vous bénéficieriez d’un meilleur régime que les députés que nous sommes en matière de consultation. Comme j’en doute, j’aimerais que vous nous éclairiez sur le cadre de cette concertation.

J’en viens à ma dernière question, la plus importante à mes yeux : comment comptez-vous éclairer les salariés sur les dangers de ce projet de loi, d’une ampleur inégalé.

M. Pierre Dharréville. Je partage l’enthousiasme que les représentants des organisations syndicales ont exprimé pour la méthode du Gouvernement et le contenu du projet de loi… (Sourires.)

Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je tiens à vous poser une série de questions.

Premièrement, disposez-vous d’éléments pour apprécier la mise en œuvre de la loi El Khomri ?

Deuxièmement, quel diagnostic portez-vous sur la crise de l’emploi et la crise sociale que notre pays connaît ?

Troisièmement, estimez-vous que ce projet contient des éléments de sécurisation pour les salariés ?

Quatrièmement, quelle est votre position sur l’idée même d’équilibre avancée dans l’exposé des motifs ?

Cinquièmement, ce texte se situe-t-il selon vous dans la continuité de notre histoire sociale ? Considérez-vous qu’il met en cause la hiérarchie des normes ?

Enfin, pensez-vous qu’il contribuera à améliorer le dialogue social ? Vous donnera-t-il les pouvoirs nécessaires à une participation non factice à la construction des stratégies des entreprises ?

En bref, considérez-vous que ce texte est porteur d’avancées sociales ? Je n’ai pas eu l’impression, en vous entendant, que vous en perceviez beaucoup…

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Compte tenu des contraintes de temps auxquelles nous sommes soumis, j’ai fixé à trois minutes le temps de réponse des représentants syndicaux. Toutefois, chaque organisation syndicale aura la possibilité nous faire parvenir une contribution écrite que nous transmettrons aux membres de la commission.

Mme Véronique Descacq. Je vous remercie, madame la présidente, de votre proposition : nous pourrons aller ainsi plus loin dans les sujets aussi nombreux que difficiles que nous avons à aborder.

Je dirai d’abord un mot de la concertation, même si je me risque peut-être sur un terrain qui n’est pas le mien. Existe-t-elle ? Sans aucun doute. Elle a commencé, et même de manière intense sur certains sujets. Est-elle inédite ? Non, car elle se situe dans la droite ligne de ce qui a été fait précédemment à propos d’autres sujets.

Elle est achevée pour ce qui est de la première thématique. Si j’en crois le compte rendu de Mme la ministre, cela a permis à la CFDT d’obtenir une avancée extrêmement importante à nos yeux : l’inscription d’un septième domaine réservé aux branches, celui de la qualité de l’emploi. Les branches pourront donc encadrer de manière plus stricte qu’aujourd’hui le recours à la précarité, en particulier aux contrats à durée déterminée, aux contrats d’usage, aux contrats saisonniers et même aux contrats de chantier.

Sur beaucoup d’autres sujets cependant, nous restons inquiets. J’en ai cité quelques-uns dans mon intervention.

De nombreuses questions ont porté sur l’amélioration du dialogue social. Est-on capable de procéder au changement de culture qui consiste à admettre que la qualité du dialogue social constitue un enjeu pour le bien-être des salariés comme pour la compétitivité des entreprises ? C’est à cette aune que nous apprécierons les propositions. Nous serons amenés à rejeter toutes les mesures qui conduisent à dénigrer les représentants du personnel, à faire barrage à leur parcours, à limiter les informations qui leur sont données.

S’agissant du financement des organisations syndicales, je ne sais pas ce qui pousse certains à penser qu’il ne serait pas transparent. Depuis plusieurs années, il est validé par des commissaires aux comptes. Toutefois, si vous proposez une étape supplémentaire pour approfondir cette transparence, nous l’accepterons bien volontiers.

Enfin, je considère qu’il est trop tôt pour se prononcer sur le caractère équilibré du texte. Certains éléments de sécurisation des parcours professionnels sont renvoyés à plus tard. Nous insistons particulièrement sur le renforcement des droits liés au compte personnel d’activité (CPA) dont on n’entend guère parler aujourd’hui.

Mme Catherine Perret. Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons préparé un dossier complet, madame la présidente, que vous pourrez transmettre à l’ensemble des membres de la commission.

Commençons par la méthode de concertation et rectifions certaines informations fausses. Il importe de préciser que les quarante-huit heures de discussion tout au long de l’été sont à diviser entre cinq organisations représentatives des salariés et trois organisations patronales, ce qui revient à six heures par organisation. Autrement dit, chacune ne disposera que d’une heure par semaine. On ne peut pas appeler ça un dialogue social de qualité. Six heures seulement pour balayer l’intégralité du droit du travail : ce n’est pas sérieux ! C’est même pire que les conférences sociales du précédent quinquennat qui octroyaient une heure et demie à quarante participants pour travailler sur un élément de réforme de l’emploi ou de la formation professionnelle.

Plusieurs questions ont porté sur le bilan à établir. Je prendrai quelques exemples, du plus récent au plus ancien.

Commençons par la loi « travail » du 8 août 2016. À Bobigny, principal tribunal prud’homal d’Ile-de-France, on constate, depuis la réforme de la justice prud’homale à laquelle elle a procédé, que le nombre des dossiers déposés par les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse a diminué de 30 %. L’accès au droit des salariés a été complexifié. Avant de procéder à la barémisation des dommages et intérêts, il me semble important de réfléchir à cette évolution.

Autre exemple : la fusion des institutions représentant le personnel. Depuis la loi Rebsamen, seulement vingt accords ont été signés. Est-il si urgent d’aller plus loin dans les changements ?

Quant aux accords de compétitivité, treize seulement ont été signés depuis la loi du 14 juin 2013.

Enfin, il y a eu seulement deux référendums d’entreprise et ils ont échoué tous les deux. Ils n’ont fait que créer de la division à l’intérieur des entreprises. Les organisations syndicales sont maintenant appelées à la rescousse pour rétablir un dialogue social propice à la bonne marche de l’entreprise.

M. Didier Porte. S’agissant de la revalorisation de l’action syndicale, j’insisterai sur la formation syndicale. Nous avons proposé un dispositif à même de prendre en charge l’intégralité des coûts qu’elle occasionne. Il ne saurait y avoir de décentralisation de la négociation collective vers les entreprises sans formation des divers interlocuteurs, en particulier des syndicalistes.

Cette décentralisation ne doit pas servir à contourner les organisations syndicales, au monopole desquelles nous sommes attachés. Nous sommes favorables à l’application d’accords types de branche dans les très petites entreprises, qu’il s’agisse des questions de pénibilité ou de tout autre thème de négociation. Cela fait partie des pistes que nous avons lancées et qui seront, nous l’espérons, reprises.

La question des seuils, quant à elle, se pose de multiples façons. Je pense en particulier à la prise en compte des effectifs des apprentis et des contrats aidés, point sur lequel la législation française n’est pas en adéquation avec la législation d’autres pays.

Nous ne sommes pas opposés à un abaissement des seuils. Il devrait être possible de désigner un délégué syndical dans les entreprises de moins de 50 salariés, d’autant que le sort des délégués du personnel reste très incertain. Rappelons qu’en Allemagne, le conseil d’entreprise peut être mis en place à partir d’un seuil de cinq salariés.

La qualité de la négociation suppose un minimum de loyauté et de respect des interlocuteurs. Nous jugerons sur pièces.

Quant au droit du travail, il a vocation à garantir l’équilibre entre la partie faible, le salarié, et l’employeur. C’est un principe fondamental que nous tenterons de préserver à tout prix.

M. Gilles Lecuelle. Y a-t-il un équilibre dans le dialogue social ? Nous ne le saurons qu’en prenant connaissance des ordonnances dans la deuxième quinzaine du mois d’août. Toutefois, à la lecture du projet de loi d’habilitation, nous avons le sentiment qu’il existe d’ores et déjà un déséquilibre.

Déséquilibre entre les problématiques des salariés et celles de leurs dirigeants. Bon nombre d’articles conduisent à une régression sociale qui n’apportera aucun emploi supplémentaire en contrepartie. Au cours des trente dernières années, il y a eu dix-sept réformes du code du travail. Aucune n’a créé d’emplois, et la présente réforme est bien partie pour produire les mêmes effets.

Déséquilibre entre les entreprises selon leurs effectifs. Ce texte est taillé pour les grands groupes et accroîtra les risques qui pèsent sur les petites structures, celles-là même qui, ces dernières années, ont créé des emplois. Va-t-on enfin arrêter d’écouter les grandes multinationales alors que, depuis des décennies, elles ont cassé l’emploi un peu partout en France depuis des centres de décision situés en dehors de notre territoire ? Ce n’est pas en augmentant une nouvelle fois leurs marges que nous créerons des emplois : cela se traduira par davantage de dividendes pour les actionnaires, davantage d’investissements dans les pays émergents comme les pays d’Asie ou le Brésil, sans retombées positives pour notre territoire.

Il faudrait, nous dit-on, quitter la culture de la confrontation pour aller vers celle de la négociation. Mais renvoyer la négociation à l’entreprise, c’est augmenter les risques d’affrontement.

Pour terminer, je vous invite à télécharger sur le site confédéral de la CFE-CGC un document d’une centaine de pages intitulé Quelle société pour demain ? Vous y retrouverez toutes les valeurs que nous défendons et la société que nous voulons pour les enfants de demain.

M. Bernard Sagez. S’agissant de la concertation, je rappelle que nous n’étions pas dans une position de demandeur puisqu’il s’agit d’une initiative du Gouvernement. Nous participons aux consultations avec le ministère du travail en tant que syndicat de construction sociale car nous y sommes invités. Nous avançons des idées, nous soumettons des propositions. Mais ne mélangeons pas les genres : nous ne sommes pas en phase de négociation.

Selon nous, il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes dans ce texte, pas plus que dans celui de la « loi travail » d’il y a presque un an. Nous sommes satisfaits d’avoir contribué à renforcer l’importance des branches en élargissant les thématiques qui en relèvent.

Nous attachons beaucoup d’importance à la formation des délégués syndicaux sur le terrain. Il est beaucoup question de validation des acquis de l’expérience mais il se passe peu de choses en ce domaine. Il faut reconnaître l’expérience acquise dans la négociation syndicale afin de permettre aux syndicalistes de rebondir et d’aller vers d’autres métiers.

Je terminerai par les fonds paritaires, déjà évoqués dans ma précédente intervention. Nous estimons que l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) a engagé un processus clair depuis la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. La Cour des comptes a publié un premier rapport à ce sujet. Les comptes confédéraux sont rendus publics en toute transparence. On ne peut pas dire aujourd’hui que le financement des organisations syndicales est flou.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je remercie les représentants des organisations syndicales et les membres de la commission de leur compréhension à l’égard de nos contraintes de temps.

La commission rend ensuite hommage à Mme Simone Veil.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Respectueuse de sa dignité et de sa modestie, je ne ferai pas un nouvel éloge de Mme Simone Veil. Je sais que son humilité serait grandement éprouvée si elle pouvait entendre les marques de reconnaissance et d’admiration ô combien justifiées qui se sont exprimées depuis son décès. Ministre de la santé, ministre des affaires sociales, parlementaire européenne mais plus encore femme engagée, femme de combat, femme de courage, elle serait heureuse de voir notre commission ainsi renouvelée, ainsi féminisée et les acteurs engagés dans la vie sociale de notre pays réunis ce matin.

Je vous invite à observer une minute de silence.

Mmes et MM. les députés ainsi que Mmes et MM. les représentants des organisations syndicales et patronales se lèvent et observent une minute de silence.

Après une brève suspension de séance, la Commission procède ensuite à laudition des organisations représentatives des employeurs (MEDEF, CPME, U2P) sur le projet de loi dhabilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 4).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation dans des délais courts. Sachez l’importance que revêt à nos yeux votre audition en tant qu’acteurs engagés dans la concertation sur la rédaction des futures ordonnances.

M. Alexandre Saubot, vice-président du MEDEF. Madame la présidente, dans les dix minutes qui me sont imparties, j’insisterai d’abord sur l’importance du dialogue social dans le monde d’aujourd’hui, un monde de moins en moins prévisible, marqué par une concurrence accrue, par des cycles économiques raccourcis, par les inquiétudes ressenties par les chefs d’entreprise comme par les salariés inquiets devant les transformations qui les attendent. Instaurer un dialogue social de qualité, c’est permettre de faire partager les enjeux auxquels font face les entreprises, qu’ils soient stratégiques, économiques ou sociaux.

Notre première demande par rapport à ce texte est qu’il soit ouvert à l’ensemble des entreprises françaises. Les textes précédents ont trop souvent donné lieu à des épisodes douloureux : des entreprises se sont senties laissées au bord de la route car les outils choisis, indépendamment du périmètre, ne permettaient pas à certaines de se saisir du dialogue social. Je veux ici rappeler que 95 % des entreprises françaises sont dépourvues de présence syndicale et que cette large majorité emploie plus de 50 % de nos salariés.

Ensuite, tout le monde doit être bien conscient que, dans le monde incertain où nous vivons, il est indispensable pour les entreprises de disposer d’un maximum de leviers et d’élargir le champ de la discussion, de la flexibilité à l’investissement, de la garantie de l’emploi à la maîtrise des prix de revient. Plus nombreux seront les leviers inscrits dans le champ du dialogue social, plus grandes seront les possibilités offertes aux entreprises. Et qui dit plus de possibilités offertes aux entreprises, dit plus d’investissements, plus de croissance, plus d’emplois. La triste situation dans laquelle se trouve notre pays aujourd’hui fait des entreprises un élément central du redressement. Essayons de sortir de l’approche en silo, qui veut que l’on examine les sujets les uns après les autres.

Nous devons à cet égard nous attacher au cadre fixé par la loi. Il est bien évident que celle-ci doit assurer à toutes nos entreprises et à tous les salariés des garanties qui font de notre pays une démocratie sociale avancée. Les lois, ces vingt ou trente dernières années, sont entrées dans de tels degrés de détails, d’obligations et de contraintes qu’elles ont bridé notre capacité à trouver de nouveaux équilibres à travers des accords, dans l’intérêt bien compris de l’ensemble des parties.

Il est beaucoup question de « permis de licencier », de « dumping social ». Rappelons ici que pas un chef d’entreprise n’arrive le matin en pensant au licenciement. Deux choses l’intéressent : la pérennité de son entreprise et la question centrale des voies et moyens permettant son développement, autrement dit sa capacité à prendre des risques. Tout ce qui réduit cette capacité dans la durée aboutit à moins de croissance, à moins d’investissements et à moins d’emplois. Si une entreprise en vient à prendre moins de risques, c’est que le coût du risque augmente. Ajouter en rigidités, en contraintes et en incertitudes, c’est conduire les entreprises à renoncer à une commande, à une embauche ou à un investissement.

Il faut donc se demander si les dispositions du projet de loi d’habilitation, puis des ordonnances, sont de nature à encourager les entreprises, en accord avec la collectivité de leurs salariés, à prendre plus de risques pour plus de croissance et demain plus d’emplois.

Rechercher un champ plus large de libertés conduit à trouver de nouveaux compromis. Les accords dont j’ai eu connaissance ont toujours été équilibrés. Ils permettent dans certains cas de garantir de l’activité et de l’emploi en France, dans d’autres d’aller chercher de nouvelles commandes pour développer l’activité, dans d’autres encore d’assurer la survie d’entreprises en difficulté ou confrontées à des chocs technologiques ou concurrentiels. Tout ce qui est accessible par accord a par nature un caractère équilibré puisque les nouveaux compromis ont été acceptés par la majorité des salariés ou de leurs représentants.

Je fais partie de ces chefs d’entreprise responsables et raisonnables qui savent très bien que la pérennité et le développement de l’entreprise passent par des accords équilibrés. Dès lors que le champ de liberté est large et que rien n’est possible sans l’accord de la collectivité des salariés, les équilibres seront trouvés dans les entreprises. Il est indispensable qu’un maximum de choses soient possibles.

Nous veillerons à ce que les ordonnances permettent de laisser un maximum de portes ouvertes. Il faut éviter qu’une rédaction trop restrictive ne nous place dans une situation absurde alors que le constat aura été fait que les choses sont nécessaires, utiles et possibles, et acceptées par l’ensemble des parties. Certes, la loi de ratification permet de rattraper les choses, mais il est très important que la concertation qui va se poursuivre avec les partenaires sociaux ne se heurte pas à un mur, nous empêchant ainsi d’aller au bout de la réforme.

Le statu quo n’est pas possible dans notre pays. Le Gouvernement et sa majorité ont fait le choix de réformer le code du travail. À cette occasion, il faut faire bouger les choses. Accepter le statu quo, c’est accepter le déclin, plus de 3 millions de chômeurs. L’ensemble des organisations patronales se battront pour que les choses changent, pour le bien de notre pays.

M. Jean-Michel Pottier, vice-président de la CPME. Mesdames, messieurs les députés, je représente ici les adhérents de la Confédération des petites et moyennes entreprises. Par ailleurs, je suis chef d’entreprise à Valenciennes, dans les Hauts-de-France. Mes deux lieux de vie sont le Nord et le Pas-de-Calais, le véritable Paris-Plage, le seul qui existe vraiment. (Sourires.)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je ne suis pas d’accord !

M. Jean-Michel Pottier. Je le savais ! (Sourires.)

Il est urgent de régler la problématique du code du travail français, qui place nombre de chefs d’entreprise dans une complexité et une insécurité juridiques qui font peser un risque parfois mortel sur leur entreprise. Beaucoup de dirigeants de petites et moyennes entreprises sont tétanisés à l’idée d’embaucher du personnel supplémentaire et préfèrent renoncer à se développer plutôt que d’être confrontés à des embêtements, si je puis dire, en cas de rupture avec le salarié. J’ai coutume de dire qu’un contrat de travail, c’est plus qu’un mariage, c’est carrément une adoption, puisque l’on prend le salarié avec l’ensemble de ses problématiques personnelles, de santé, ses capacités professionnelles. Il faut sortir de cette espèce de drame qui se joue dans les entreprises en sécurisant les relations dans le travail. Si les ordonnances permettent d’aboutir à un tel résultat, on verra rapidement les relations dans le travail, le dialogue social évoluer et changer. Une fois la confiance retrouvée, les acteurs pourront se développer.

Bien entendu, je partage les propos de mon prédécesseur en ce qui concerne les objectifs qui nous animent en matière de dialogue social. Nous souhaitons que la négociation sociale soit un droit effectif dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, 95 % d’entre elles étant actuellement dans l’incapacité de la mener. Outre la question de la légitimité du droit, se pose celle de la légitimité des acteurs. Qui est le plus légitime dans l’entreprise pour négocier, par exemple l’organisation du temps de travail ? Comment est-il possible que les chefs d’entreprise et leurs salariés ne parviennent pas à un consensus sur l’organisation du temps de travail alors qu’ils travaillent ensemble, qu’ils ont les mêmes conditions de travail et se voient quotidiennement ? Nous espérons que les ordonnances permettront d’aboutir à l’effectivité du droit.

Il existe deux voies possibles : soit permettre, en l’absence de syndicats et d’institutions représentatives du personnel, l’adoption d’accords approuvés par référendum et soumis à un contrôle de légalité par l’administration afin d’éviter toute dérive, soit ouvrir la possibilité de conclure des accords avec les instances représentatives du personnel. Sinon, ce sont 95 % des entreprises qui passeront à côté des avancées proposées.

Le mandatement syndical ne fonctionne pas. C’est en réalité un mandat de signature, pas un mandat de négociation. Les chefs d’entreprise veulent négocier avec leurs représentants, et non avec des permanents d’organisations qui sont extérieurs à l’entreprise et qui n’en connaissent pas le fonctionnement interne.

La branche professionnelle doit être le garant des conditions de concurrence à l’intérieur de l’activité de la branche des entreprises qui sont affiliées à cette branche. C’est la branche professionnelle qui est la mieux placée pour éviter les distorsions de concurrence. Nous approuvons le fait qu’un certain nombre de thèmes soient verrouillés au niveau de la branche professionnelle, ce qui permet justement de garantir l’absence de distorsion de concurrence.

Enfin, nous sommes inquiets de voir transparaître, à travers ce texte de loi d’habilitation, une volonté d’accélérer le processus de restructuration des branches professionnelles alors que le comité paritaire fonctionne à jet continu pour mieux définir ce qu’est la branche professionnelle. Il ne faudrait pas que cette dynamique soit percutée par une loi qui aboutisse à des raccourcis un peu rapides. On peut comprendre que les PME craignent de se retrouver dans la même branche professionnelle que leur donneur d’ordres, ce qui les placerait dans une situation de pression qu’elles n’ont pas forcément envie de subir. Il est important de laisser le temps aux partenaires sociaux dans les branches professionnelles de procéder à cette restructuration qui est largement en marche puisque plus de la moitié du chemin a été parcourue depuis l’année dernière.

Nous sommes favorables à la disposition de l’article 2 du projet de loi d’habilitation qui prévoit une fusion des instances de représentation du personnel, demande que nous avions formulée depuis longtemps En revanche, nous sommes extrêmement inquiets quant à l’instauration d’un chèque syndical puisque les entreprises versent déjà une cotisation de 0,016 % au titre du dialogue social à l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN), ce qui permet de financer le dialogue social de manière mutualisée. Nous demandons donc la suppression du 5° de l’article 2.

L’article 3 propose des perspectives intéressantes puisqu’il prévoit de fixer un plancher et un plafond en ce qui concerne les dommages et intérêts versés au salarié sur sa réclamation, en cas de décision de justice concernant des licenciements abusifs ou dits abusifs, c’est-à-dire sans cause réelle et sérieuse. J’appelle votre attention sur le fait qu’actuellement un certain nombre de licenciements sont traités dans cette catégorie pour de simples problèmes de forme et non de fond. La possibilité de faire prévaloir le fond sur la forme qui est ouverte dans ces ordonnances est très importante et elle peut permettre de sécuriser la relation de travail et sa rupture.

Nous sommes très intéressés par le contrat de chantier. Toutefois, nous regrettons que l’on n’aille pas plus loin vers un « contrat de croissance », c’est-à-dire un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) dans lequel auront été fixés les indicateurs économiques permettant de situer les acteurs les uns par rapport aux autres et de mettre fin au CDI si l’objectif économique n’a pas été atteint.

Nous vous communiquerons un document écrit dans lequel nous avons fait part de nos remarques.

M. Alain Griset, président de lU2P. Permettez-moi de présenter rapidement l’Union des entreprises de proximité (U2P), son nom et son périmètre d’intervention ayant changé depuis le début de l’année. L’U2P est une organisation patronale qui représente les entreprises artisanales, le commerce de proximité et les professions libérales, ces dernières ayant rejoint, il y a quelques mois, l’Union professionnelle artisanale (UPA) qui était auparavant l’organisation représentative de l’artisanat. Notre organisation représente 2,3 millions d’entreprises de petite taille. Ses souhaits sont précis au regard de l’activité de ces entreprises.

Cela fait longtemps que nous faisons le constat que les règles qui s’appliquent aux entreprises ne sont pas conçues pour celles que je représente. Nous vivons dans un monde d’insécurité totale, avec des règles qui ne correspondent pas à notre fonctionnement. Notre souhait est de parvenir demain à des règles qui soient compatibles avec la taille de nos entreprises. Comme l’a dit Alexandre Saubot, plus de 95 % des entreprises en France comptent moins de vingt salariés. Il ne s’agit pas d’opposer les petites entreprises et les multinationales, mais nous avons tous besoin d’une économie de proximité. Les entreprises de petite taille sont indispensables au développement économique et à la relation sociale des territoires. Notre objectif est donc d’aboutir à un texte qui permette à nos collègues de travailler dans des conditions de sécurité, d’information, tout en respectant naturellement le droit de nos salariés, que l’on appelle pour beaucoup les compagnons, ce qui montre bien le type de relations qui existe dans nos entreprises.

Le texte que vous allez voter demain doit être fait pour les 95 % d’entreprises les plus nombreuses, sachant que nous comprenons très bien que les grandes entreprises doivent avoir des dispositions qui leur sont adaptées.

Comme Alexandre Saubot, nous attachons une très grande importance au dialogue social. La France ne peut pas fonctionner sans un dialogue social totalement opérationnel. Mais dans une entreprise qui compte un, deux ou trois salariés, l’accord d’entreprise n’a pas de sens en termes de réalisation ni de relations, d’abord en raison d’une insécurité juridique très forte pour nos collègues. Nos entreprises n’ayant pas de conseiller juridique, elles ne sont pas certaines que l’accord d’entreprise soit totalement stabilisé. L’accord de branche est pour nous la référence indispensable.

En dehors de la nécessité que l’accord soit respecté partout, il doit être possible, dans un certain nombre de domaines, d’y déroger, de façon à avoir la souplesse suffisante dans l’entreprise en fonction de son activité, de sa situation. Nous avons proposé à la ministre que cette dérogation à l’accord de branche ne puisse se faire que dans la mesure où un équivalent serait proposé aux salariés. La dérogation ne signifie pas une moins-value pour le salarié, mais une adaptation dans l’entreprise pour qu’elle puisse fonctionner dans de bonnes conditions.

Nous savons que beaucoup de nos collègues préfèrent aujourd’hui avoir deux entreprises de cinq ou six salariés plutôt qu’une seule de onze ou douze salariés. Nous proposons donc la suppression du seuil intermédiaire entre zéro et cinquante salariés. Certains d’entre vous trouveront que c’est beaucoup, mais nous vous demandons de comprendre que, comme 95 % des entreprises comptent moins de vingt salariés, il doit, à tout le moins, ne pas y avoir de seuil compris entre zéro et vingt salariés. D’ailleurs, la réalité montre que seulement 15 % des entreprises de plus de onze salariés ont un délégué du personnel. Il est donc inutile de conserver dans un texte une disposition qui n’est pas appliquée.

Chez nous, le mandatement syndical n’a pas non plus de sens. C’est pourquoi nous avons créé en 2001 dans l’artisanat, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat (CPRIA), et depuis quelques mois dans les professions libérales, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles des professions libérales (CPRIPL), instances de concertation qui permettent des échanges dans les territoires en dehors de l’entreprise entre les organisations syndicales de salariés et notre organisation professionnelle.

Il est important que nous puissions travailler, dans le cadre des ordonnances, sur des éléments de la vie quotidienne. Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple d’une entreprise de deux ou trois salariés dont l’un d’eux se blesse, le week-end, en pratiquant un sport. S’il est inapte au travail, c’est le chef d’entreprise qui doit payer son licenciement alors même que cette inaptitude soudaine n’est pas due à l’activité de l’entreprise. Vous pourrez vérifier dans vos territoires que de telles situations ont causé des dégâts très importants dans nos entreprises, les mettant en péril quand elles doivent verser jusqu’à 20 000 ou 30 000 euros. Bien évidemment, nous ne remettons pas en cause la nécessité de garantir au salarié l’accès aux soins et à un accompagnement, mais nous estimons que ce dispositif devrait être mutualisé, et non pris en charge par l’entreprise seule, dès lors que l’accident ne relève pas de sa responsabilité. Aux prud’hommes, nos collègues se font bien souvent sanctionner pour des raisons de forme alors qu’ils ne sont pas en faute sur le fond. Là aussi, il conviendrait de privilégier le fond plutôt que la forme.

Lorsque l’un de nos collègues est contraint de licencier, ce qui est souvent pour nous un drame, il est évident que le délai de recours qui peut aller jusqu’à deux ans devrait être limité à quelques mois, un tel délai faisant vivre les chefs d’entreprise dans l’insécurité.

Le potentiel d’embauche dans nos entreprises est très important dans une situation économique favorable, mais dans une période de chômage très forte, des centaines de milliers de nos collègues préfèrent ne pas recruter du fait de l’insécurité dans laquelle ils se trouvent. Tout en garantissant les droits des salariés, nous vous demandons donc de la simplification, car sur les 2,3 millions d’entreprises que nous représentons, je suis persuadé que moins de 20 % sont certaines d’être totalement en règle. Les textes sont tellement volumineux que l’insécurité juridique est un réel frein à l’embauche dans nos entreprises.

M. le rapporteur. Je remercie les représentants des organisations patronales pour leurs interventions argumentées qui nous ont largement éclairés sur leur position.

Comme vous le savez, notre calendrier ne nous permet pas de vous recevoir individuellement. Toutefois, la réunion de ce matin vous permet de vous exprimer, et c’est très bien.

Je souhaite vous interroger sur trois points.

S’agissant de l’article 1er du projet de loi qui vise à modifier les modalités de négociation des accords collectifs en facilitant le recours au référendum pour valider un accord, j’ai bien entendu la position de l’un d’entre vous. Ceux qui ne se sont pas exprimés ont-ils des attentes particulières à l’égard de cette réforme ?

Quels seraient, selon vous, les avantages et les inconvénients de la fusion des instances représentatives du personnel actuelles prévue à l’article 2 ?

Enfin, la généralisation des CPRI est intervenue le 1er juillet. Que pensez-vous du renforcement de ces commissions prévu dans le projet de loi ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La parole est momentanément aux orateurs des groupes.

M. Dominique Da Silva. Je souhaite vous interroger, au nom du groupe de La République en marche, sur un sujet qui semble préoccuper tous les acteurs du dialogue social, les TPE et PME, c’est-à-dire les 95 % d’entreprises qui n’ont pas de représentation syndicale. Comment comptez-vous améliorer la démocratie sociale de ces entreprises, et notamment leur influence dans les domaines réservés aux branches ? Et quelles pistes proposez-vous pour traiter la question de la pénibilité dans ces entreprises ?

M. Gérard Cherpion. Je remercie les organisations patronales présentes ce matin. Monsieur Saubot, vous avez rappelé l’importance du dialogue social. Il n’est pas possible de développer les entreprises ni l’esprit d’entreprise sans cette capacité de dialogue social qui doit concerner, comme vous l’avez dit, toutes les entreprises. Pour autant, il est difficile que la loi s’applique de la même manière à une entreprise du CAC40 et à une entreprise de l’U2P, parce que les contraintes sont totalement différentes. Il est plus difficile d’instaurer un dialogue social dans une entreprise qui compte trois salariés que dans une entreprise qui en compte mille.

Bien évidemment, il faut trouver une solution en ce qui concerne le droit effectif à la négociation dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Les représentants de l’U2P et de la CPME ont parlé de l’importance du dialogue au niveau des branches. Ce dialogue est en effet nécessaire.

Une concertation a été engagée entre le Gouvernement et vos organisations. Vous avez beaucoup de chance car, en ce qui nous concerne, la concertation avec le Gouvernement n’est pas très importante. Comment faire pour prendre en compte les demandes de l’U2P, alors que nous ne sommes pas les interlocuteurs du Gouvernement dans cette affaire ? Nous sommes seulement saisis d’un projet de loi d’habilitation, dont nous ne connaissons pas le contenu, celui-ci devant être déterminé par vous-mêmes. Aussi comptons-nous sur vous pour faire des propositions fortes. Il y va de l’intérêt de nos entreprises, et l’on sait que, sans entreprises il n’y a pas d’emplois, de même que, sans marché, il n’y a pas d’entreprises. Nous sommes tous liés et nous avons tous intérêt à ce que les choses fonctionnent. Je souhaite que l’on puisse se retrouver rapidement en d’autres lieux pour faire des propositions importantes sur ces sujets.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous rappelle que la ministre s’est exprimée hier soir pendant trois heures devant notre commission afin d’éclairer la représentation nationale.

M. Gérard Cherpion. Ce n’est pas de la concertation !

M. Patrick Mignola. Hier soir, nous avons déjà évoqué, avec la ministre, la nécessité de prendre en compte la taille différente des entreprises. Le dialogue social doit être renforcé, en particulier dans les TPE et PME. Comment éviter de créer des superstructures qui entraîneraient le mandatement auquel nous avons bien compris que vous n’êtes pas favorables, tout en revitalisant le dialogue social dans les plus petites des entreprises de notre pays ?

Il est important que la représentation nationale puisse réaffirmer son attachement au financement de toutes les organisations syndicales et professionnelles, garantie de leur indépendance. Toutefois, il est nécessaire, au moment où l’on s’efforce de moraliser la vie publique et la démocratie politique, qu’il puisse en être de même de la démocratie sociale. Quelles propositions pourriez-vous faire pour assurer la transparence de l’utilisation de l’argent en provenance des entreprises et, le cas échéant, de l’argent public, afin de rétablir la confiance totale dans nos institutions, à la fois politiques et sociales ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. À mon tour, je tiens à remercier les représentants des organisations patronales pour leur présence ce matin.

Je veux revenir sur une question que j’ai posée tout à l’heure mais à laquelle je n’ai pas obtenu de réponse. La CFDT a fait remarquer l’attentisme du patronat quant à l’application des lois précédentes sur le sujet. Monsieur Saubot, vous avez dit que le développement d’une entreprise était en partie lié à sa capacité à prendre des risques. Ce projet d’habilitation et les ordonnances qui suivront permettront-ils aux entreprises de sortir de cet attentisme ? L’objectif du projet de loi est de redonner de la confiance, de dynamiser et de recréer de l’emploi.

M. Régis Juanico. Je profite de la présence des représentants des organisations d’employeurs pour les interroger sur la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Cette mesure, votée dans le cadre de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, et qui bénéficie à près de 800 000 salariés, va commencer à donner ses premiers résultats en termes de droits : soit le droit de partir plus tôt à la retraite, soit celui de bénéficier d’heures de formation pour se reconvertir dans des métiers moins pénibles, soit celui à un aménagement du temps de travail en fin de carrière.

Mais on a l’impression que, depuis le départ, et alors même que cette loi a été promulguée, les organisations d’employeurs traînent les pieds, et que l’on assiste à une course de lenteur en ce qui concerne son application. Souvent, lorsque l’on crée de nouveaux droits pour les salariés afin de les protéger, notamment en matière de santé au travail, on entend certains chefs d’entreprise parler d’« usine à gaz » et souhaiter que ces droits se mettent en place le plus tard possible. J’ai compris aussi que, dans le projet de loi de simplification porté par le ministre Darmanin, un certain nombre souhaitaient remettre en cause le droit à l’information préalable pour les salariés en cas de cession d’entreprise, mesure qui avait été initiée dans le cadre de la loi relative à l’économie sociale et solidaire et qui permettrait de sauver un certain nombre d’entreprises chaque année.

Quelle est votre position sur la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité, sachant que vos remarques sur la simplification du dispositif ont été prises en compte depuis deux ans à la suite de la mission de Michel de Virville et de celle de Christophe Sirugue ? Aujourd’hui, il n’y a plus de fiche de prévention, les données sociales uniques sont remplies fin janvier par tous les chefs d’entreprise, et les référentiels de branche ont été privilégiés. Toutefois, très peu de branches se sont engagées. Pourriez-vous vous engager à ce que les branches aillent plus vite dans la réalisation de ce travail ?

M. Adrien Quatennens. L’enchaînement des interventions des représentants des organisations représentatives des salariés et des vôtres, représentants des employeurs, aura permis de faire la démonstration, auprès de mes collègues députés qui en doutaient encore, que l’entreprise est un lieu où, parmi tant d’autres choses – je ne voudrais pas que l’on caricature mon propos –, s’exprime un rapport de force entre des acteurs qui ont des intérêts divergents. Le dire, ce n’est pas être sectaire ou dogmatique, c’est assumer dans le calme la réalité de faits qu’il est préférable de connaître pour mieux les analyser.

Monsieur Saubot, alors que vous nous dites que vous ne connaissez pas un chef d’entreprise qui se demande « comment licencier », le projet de loi qui nous occupe contribue sur plusieurs points à répondre à cette question. Ce projet de loi répond donc à des questions que personne ne se pose, ce qui est pour le moins original ! Dès lors, pourquoi cet empressement à le faire passer dans les conditions déplorables qui ont été décrites ici à de maintes reprises par des collègues de tout bord ?

Pour ma part, je ne connais pas un chef d’entreprise qui trouve que le code du travail soit un problème, contrairement à une idée souvent défendue par la petite fraction minoritaire du patronat que représente le MEDEF. Ce dont nous parlent les chefs d’entreprise, en particulier ceux des PME et TPE, ce sont des carnets de commandes qui se vident et de la faible activité économique, jamais du code du travail.

Ce projet de loi est défendu au motif qu’il permettrait de lutter contre le chômage, alors même que la démonstration est désormais faite que les recettes de flexibilisation et de diminution des droits des salariés ne créent pas d’emploi.

Notre pays est malade à en mourir de l’hyperfinanciarisation de l’économie et de la dictature du court terme qui en découle qui, par la prédation qu’elle opère sur la production, jugule toute capacité à relancer et soutenir l’activité.

Nous sommes, pour notre part, convaincus que le pays a besoin d’une relance de l’activité de manière socialement utile et écologiquement soutenable, non seulement pour répondre aux grands défis auxquels l’humanité tout entière doit faire face – par exemple, par la planification écologique –, mais aussi pour lutter contre le fléau du chômage que les politiques libérales menées depuis plus de quinze ans aggravent. Nous pensons aussi qu’il est urgent et nécessaire d’instaurer un protectionnisme solidaire visant à empêcher les dérives du grand déménagement du monde et ses conséquences sociales et écologiques.

Pour conclure, j’ai une question à l’attention particulière de M. Saubot. Les 40 milliards du CICE avaient été l’occasion pour Pierre Gattaz de porter un joli pin’s « 1 million d’emplois ». Avec ce projet de loi, monsieur Saubot, à quoi ressemblera le pin’s que vous allez porter ? (Sourires.)

M. Pierre Dharréville. Je remercie les personnes ici présentes pour leur apport à notre réflexion, et je voudrais d’abord leur demander si elles ont le sentiment que leurs organisations respectives ont pu être entendues dans le cadre de la démarche qui nous est proposée.

Par ailleurs, la mise en œuvre de ce projet ne va-t-elle pas profiter principalement aux grandes entreprises, comme sa rédaction actuelle le laisse craindre ?

Pour ce qui est des seuils, en contestez-vous le principe même ?

Les sujets couverts par ce projet de loi d’habilitation vous paraissent-ils répondre à toutes vos préoccupations ?

Enfin, l’adaptabilité du droit promise par ce texte est-elle, selon vous, de nature à faire baisser le coût du travail et à créer de l’emploi – le cas échéant, dans quelle mesure ?

M. Alexandre Saubot. Pour ce qui est de la question du référendum, abordée par le rapporteur, les représentants de la Nation que vous êtes ne sont pas sans savoir que l’on ne peut gouverner un pays à coups de référendums. De la même manière, vous conviendrez que l’on ne peut faire vivre le dialogue social au sein d’une entreprise à coups de référendums : quelle que soit la nature du dialogue construit, celui-ci ne peut pas se tenir sur la base d’une consultation semi-permanente des salariés. Si le référendum n’est pas une mauvaise chose, il doit rester exceptionnel ; s’il peut servir à conforter un accord passé ou une décision prise, il ne peut en aucun cas devenir le mode de gestion courante d’une entreprise, car une telle pratique serait à l’origine de situations que personne ne souhaite.

Par ailleurs, nous considérons qu’il convient de faire fusionner l’ensemble des instances, jusqu’à la négociation. Je rappelle que, dans un projet de loi d’habilitation dont les ordonnances visent à renforcer le dialogue social et la négociation, la recherche de compromis d’entreprise – autrement dit, la négociation – est l’élément le plus important, celui qui aura le plus d’impact sur la vie des salariés. La recherche d’un accord sur le temps de travail ou sur les salaires, celle d’un nouvel équilibre sur la flexibilité des horaires nécessaire pour répondre à une grosse commande – pouvant impliquer de travailler le samedi, par exemple – sont autant de sujets essentiels en ce qu’ils concernent les salariés dans leur quotidien. Comment expliquer à des personnes qui vont consacrer du temps au service de la collectivité, en prenant part à une instance, qu’elles vont être privées de la partie la plus importante de leur engagement ? Nous considérons que la représentation du personnel dans une entreprise doit couvrir l’ensemble des sujets, qu’il s’agisse des revendications individuelles, des préoccupations en matière d’hygiène et de sécurité, de la situation économique et environnementale, ou encore des négociations : c’est seulement à cette condition que l’on peut valoriser les parcours et reconnaître le travail fait. Pour moi, une entreprise ne se divise pas, ni la représentation du personnel en son sein, et nous souhaitons très clairement que l’ensemble des structures existantes soit fusionné au sein d’une instance unique regroupant, lorsqu’ils existent, les délégués syndicaux, les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT.

Vous ne serez pas étonnés de notre très ferme opposition à la généralisation des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) : nous considérons de manière structurelle que le dialogue social doit se situer au sein de l’entreprise. Il existe déjà des structures dans les branches, ainsi que de nombreux endroits où le dialogue est mutualisé. Je pense qu’à l’instar de l’artisanat, qui a mis en place des commissions destinées à traiter un certain nombre de sujets, il appartient à chacun de construire ses propres solutions : des outils indifférenciés, ne prenant pas en compte la diversité des situations, ne sont pas adaptés.

Je veux également redire avec force que nous n’envisageons pas une seconde d’opposer entreprises et branches. Toutes les entreprises n’ont pas la possibilité, du fait de leur taille et de leurs compétences, d’accéder de façon simple et évidente à la construction d’un accord. La branche doit donc rester un outil de proposition de solutions plus adaptées à la réalité de certains secteurs, ce que ne peut être le code du travail. Là encore, n’entrons pas dans un faux débat : si des entreprises peuvent, à un moment donné, souhaiter se saisir de certains sujets et trouver les solutions qu’elles estiment les plus adaptées à leur situation, cela ne se fera jamais contre la branche. Parmi mes multiples fonctions, je suis président d’une grande branche de l’industrie, celle de la métallurgie, et je peux vous assurer qu’en cette qualité, je suis un ardent défenseur du rôle de la branche, notamment de sa capacité à offrir des solutions adaptées à toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leur situation par rapport au dialogue social.

En matière de pénibilité, il n’y a pas de mauvaise volonté du monde patronal, mais simplement le constat que la loi votée est inapplicable. Certes, les conditions de vie au travail constituent un véritable sujet de préoccupation, notamment en raison du recul de l’âge de départ à la retraite, et il y a des situations à traiter, ce dont les chefs d’entreprise sont bien conscients. Il faut trouver des solutions respectant trois principes : premièrement, faire en sorte de donner des droits aux personnes réellement concernées par cette problématique ; deuxièmement, mettre en place un dispositif pouvant être mis en œuvre très simplement dans nos entreprises ; troisièmement, ne pas construire une coûteuse usine à gaz qui aurait pour effet de plomber la compétitivité de nos entreprises. Force est de constater que la loi votée en 2014 ne respecte aucun de ces trois principes. Nous nous tenons à la disposition de la représentation nationale, du Gouvernement et des organisations syndicales pour travailler à la mise au point d’une solution qui les respecterait, dans un délai compatible avec la publication des ordonnances.

Enfin, je dois vous avouer, monsieur Quatennens, que je ne suis pas un grand amateur de pin’s. (Sourires.) En tout état de cause, la création d’emplois dans les entreprises est toujours la résultante de décisions prises dans un cadre qui ne relève pas uniquement de nous ; elle nécessite un climat de confiance, une envie de croître et l’application d’une politique économique favorable, mais elle ne peut se décréter. Avec la mise en œuvre dans les semaines qui viennent de réformes que nous appelons de nos vœux et une conjoncture économique qui s’améliore, j’ai l’espoir que le chômage diminue dans notre pays.

M. Jean-Michel Pottier. Ouvrir le dossier des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) dans le cadre de ce projet de loi d’habilitation nous paraît intéressant à la condition que celles-ci soient dotées de moyens de fonctionnement, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les CPRI n’étant pas encore tout à fait installées, nous ne disposons d’aucun retour relatif à leur fonctionnement : dès lors, il est prématuré de s’interroger sur les modifications dont elles pourraient éventuellement faire l’objet.

Pour ce qui est de la démocratie sociale et de la représentativité, notamment au sein des TPE et PME, ce projet de loi nous semble présenter un intérêt : celui de montrer que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le dialogue social est déjà très présent dans nos entreprises, même s’il n’est pas formalisé. Ce sera justement l’un des enjeux de ce texte que de permettre la formalisation de ce dialogue social au sein des petites entreprises, ce qui constituera un grand changement.

Nous sommes également sensibles au fait que le texte opère une claire distinction entre ce qui relève des petites, des moyennes et des grandes entreprises. Jusqu’alors, le code du travail a toujours été élaboré à partir de dispositions s’appliquant aux grandes entreprises : or, une petite entreprise n’est pas le modèle réduit d’une grande, mais tout à fait autre chose, ce qui justifie qu’elle se voie appliquer des dispositions légales spécifiques. Tous les Français, notamment les politiques, disent aimer les PME, mais il serait bon qu’ils leur donnent quelques preuves d’amour !

Il a déjà été fait beaucoup en faveur de la transparence des organisations. En ce moment même a lieu l’assemblée générale de la CPME, où sont produits des comptes certifiés et vérifiés à maintes reprises avant leur publication. L’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN), chargée de collecter les fonds destinés au dialogue social, fonctionne selon le principe rigoureux du « Un euro dépensé, un euro justifié » et doit voir prochainement ses attributions élargies. En tout état de cause, les choses ont bien évolué et nous sommes très loin de la situation qui prévalait il y a quelques années.

La question de la confiance – et des moyens de la restaurer – est au cœur du projet de loi. Pour créer des emplois et développer nos activités économiques, nous avons avant tout besoin de visibilité et de stabilité. C’est pourquoi nous sommes favorables au fait de légiférer par ordonnances, afin de réformer rapidement et d’atteindre au plus tôt l’état de stabilité économique qui donnera aux entreprises la visibilité dont elles ont besoin. Dans ces conditions, le développement économique et la réduction du chômage ont toutes les chances de progresser dès les prochains mois.

Enfin, pour ce qui est de la pénibilité, j’invite ceux qui se poseraient des questions à venir visiter nos entreprises afin de se rendre compte par eux-mêmes des conditions d’application du dispositif légal. Je rappelle qu’à l’heure actuelle, seulement 1,6 % des entreprises de moins de onze salariés ont coché la case « pénibilité » sur leur déclaration sociale, tout simplement parce que la très grande majorité de ces petites entreprises est dans l’incapacité de le faire – j’en veux pour preuve un rapport de l’Inspection générale de l’administration qui préconisait de différer la mise en application des facteurs de pénibilité dans la fonction publique eu égard aux difficultés rencontrées dans le secteur privé. J’estime donc qu’il y a tout lieu de revenir sur le dispositif légal. La CPME a déjà fait plusieurs propositions sur ce point, que je tiens à la disposition de votre Commission.

M. Alain Griset. Si, au sein de nos entreprises, qui comptent pour la plupart moins de cinq salariés, le dialogue social est une réalité quotidienne, l’idée d’y organiser des référendums n’aurait pas de sens. Le dispositif s’appliquant dans ces petites entreprises, reposant sur des commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat (CPRIA) et des instances similaires pour les professions libérales, constitue notre outil de dialogue social – et si une réflexion doit s’engager, c’est dans ce cadre qu’elle doit avoir lieu, en tenant compte des besoins des salariés en termes de représentation comme de la nécessité d’associer les employeurs au dialogue.

Nous ne contestons pas le principe même de la notion de pénibilité, et ne sommes pas opposés à sa reconnaissance dans certains cas. Cela dit, la mise en œuvre de ce principe constitue une réelle contrainte pour les entreprises, surtout pour les plus petites d’entre elles : ce n’est pas par plaisir que nous remettons en cause la loi, mais parce que ses dispositions sont inapplicables. Nous souhaitons donc rechercher ensemble un moyen de les mettre en œuvre sans que cela constitue une contrainte supplémentaire pour les entreprises. À cet égard, il est paradoxal de constater que l’on doit la mise en place du compte pénibilité – et des complications qui en ont découlé – au gouvernement précédent, alors même que le Président de la République de l’époque affirmait vouloir simplifier la vie des entreprises. J’espère que, de ce point de vue, une plus grande cohérence va désormais prévaloir.

Pour ce qui est de la cession d’entreprise, nous avions dit à Benoît Hamon, ministre porteur en 2013 d’un projet de loi sur cette question, que le fait pour une boucherie ou une boulangerie de quartier de devoir informer six mois à l’avance ses salariés de son projet de cession n’était pas de nature à favoriser cette opération : sans être opposés à l’idée de la reprise de l’entreprise par ses salariés, il nous semblait que l’obligation d’information n’était simplement pas compatible avec la vie de l’entreprise. Benoît Hamon avait alors contesté le bien-fondé de notre position et refusé d’en tenir compte, ce que nous regrettons.

Je confirme que nos comptes sont certifiés par des commissaires aux comptes et que nous justifions de l’utilisation des fonds destinés au dialogue social ; sur ce point, je peux vous fournir toutes les précisions que vous souhaiteriez obtenir.

Je ne m’étendrai pas sur la question des instances représentatives du personnel, puisqu’il n’y en a pas au sein de nos petites entreprises.

Pour ce qui est des seuils, je pense qu’il en faut, afin de permettre que des dispositions spécifiques s’appliquent aux entreprises en fonction de leur taille – il reste simplement à déterminer si l’on a affaire à une grande entreprise à partir de 50 ou de 20 salariés.

Pour conclure, j’invite M. Quatennens, député de la première circonscription du Nord, à venir visiter des petites entreprises de ce département qui est également le mien. Je vous accompagnerai et vous pourrez constater par vous-même, monsieur le député, que les sujets qui vous tiennent à cœur sont pris en compte, même au sein de structures ne comptant qu’un ou deux salariés.

M. Adrien Quatennens. Ce sera avec plaisir, monsieur !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Messieurs, je vous remercie d’avoir éclairé notre Commission en venant vous exprimer devant nous ce matin.

La séance est levée à douze heures quinze.


Présences en réunion
Réunion du mercredi 5 juillet 2017 à 9 heures 30
 

Présents.  M. Joël Aviragnet, Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, M. Belkhir Belhaddad, M. Bruno Bilde, M. Bruno Bonnell, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Guillaume Chiche, Mme Christine Cloarec, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Albane Gaillot, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Jean-Carles Grelier, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, M. Mustapha Laabid, Mme Fiona Lazaar, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Mesnier, M. Patrick Mignola, M. Bernard Perrut, Mme Valérie Petit, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Aurélien Taché, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Adrien Taquet, M. Jean-Louis Touraine, Mme Élisabeth Toutut-Picard, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon, Mme Martine Wonner

Excusée.  Mme Marine Brenier

Assistaient également à la réunion.  M. Éric Alauzet, Mme Laurence Dumont, M. Régis Juanico, M. Jean-Paul Lecoq, M. Jean-Charles Taugourdeau