Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

 Dans le cadre du rapport d’information sur les femmes et les sciences (Mme Céline Calvez et M. Stéphane Viry, rapporteurs), audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale                            2

 Information relative à la Délégation.................. 16

 


Mercredi
9 mai 2018

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2017-2018

Présidence
de Mme Marie-Pierre Rixain,
Présidente


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La séance est ouverte à 16 heures 20.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

Dans le cadre du rapport d’information sur les femmes et les sciences (Mme Céline Calvez et M. Stéphane Viry, rapporteurs), la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes entend M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Mes chers collègues, dans le cadre du rapport d’information sur les femmes et les sciences de nos collègues Céline Calvez et Stéphane Viry, nous avons le plaisir de recevoir M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation. La Délégation tenait à vous entendre sur cette thématique car toutes les auditions que nous avons déjà conduites ont montré que l’école joue un rôle central dans la lutte contre les stéréotypes et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes.

« Réclamer l’égalité d’éducation pour toutes les classes, ce n’est que faire la moitié de l’œuvre. Cette égalité, je la revendique pour les deux sexes. » Assurément, cette citation de Jules Ferry souligne que l’école est attachée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis 1976, la loi impose la mixité dans tous les établissements scolaires de l’enseignement public, à tous les niveaux d’enseignement et dans toutes les filières. La loi du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation dispose que les écoles, collèges, lycées et établissements d’enseignement supérieur doivent contribuer à favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes.

Dans notre pays, comme dans la plupart des pays industriels, les filles et les garçons reçoivent les mêmes enseignements, quelle que soit leur origine sociale, géographique ou ethnique. En cela, notre école républicaine représente une promesse d’égalité des chances entre filles et garçons. Mais dès qu’il s’agit de choisir des options et des filières, une séparation se met en place : les filles représentent 47 % des effectifs de terminale scientifique, mais seulement 27 % de ceux des écoles d’ingénieurs, 29 % en classes préparatoires scientifiques et 20 % en première et terminale technologiques.

Pourquoi la répartition équilibrée entre filles et garçons dans toutes les filières, y compris la filière scientifique, reste-t-elle un objectif à atteindre ? Cette question a conduit la délégation aux droits des femmes à se saisir des enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes dans les métiers scientifiques.

En effet, l’orientation scolaire puis professionnelle des jeunes a un impact direct sur la non-mixité de certains métiers et, in fine, sur les inégalités salariales entre femmes et hommes. Ainsi, dans le secteur du numérique, les femmes ne représentent que 28 % des salariés. Ces chiffres sont préoccupants car, selon le Conseil d’orientation pour l’emploi, dans les quinze années à venir, près de la moitié des emplois actuels devraient être profondément bouleversés par les technologies d’automatisation et de numérisation. Très tôt et le plus en amont possible, il est donc primordial de mettre l’accent sur l’orientation des filles vers les milieux scientifiques et technologiques car il s’agit de métiers d’avenir, porteurs d’ambitions.

Par ailleurs, nous le constatons, la mixité n’est pas nécessairement garante d’égalité. Comment l’éducation nationale peut-elle contrer des croyances toujours vivaces, héritées de siècles de domination masculine ?

Mme Céline Calvez, rapporteure. Lors des premières auditions que nous avons menées, nous avons cherché à comprendre comment améliorer la mixité en matière scientifique dès les premières années de scolarité. Comme prévu initialement, nous aurions pu nous contenter d’analyser les enjeux dans l’enseignement supérieur et le monde du travail, mais avons pensé qu’il était nécessaire d’analyser les racines du problème.

Les inégalités sont réelles : dans le secteur du numérique, la place des femmes ne progresse pas lentement, elle régresse… À l’heure de l’intelligence artificielle, dans quelle mesure cette moindre présence des femmes dans les métiers scientifiques, technologiques ou numériques est-elle une menace pour l’égalité et le droit des femmes en général ?

L’objectif de notre mission d’information n’est pas limité aux sciences. Elle pose la question du droit à choisir son avenir. Ne serait-ce pas le premier des droits des femmes ?

M. Stéphane Viry, rapporteur. Monsieur le ministre, je vous remercie de nous accorder votre temps et de contribuer à nos travaux. La thématique de notre rapport d’information a été rappelée par Mme Rixain dans son propos introductif. Depuis quelques mois, avec Mme Calvez, nous menons des auditions et des investigations sur la thématique des femmes et des sciences. Dès le plus jeune âge, l’orientation et une pédagogie sans doute un peu stéréotypée expliquent sans doute en partie ce singularisme de la France – et plus largement des pays occidentaux.

Nous arrivons à la fin de nos travaux et il nous paraissait utile de vous entendre en tant que ministre de l’Éducation nationale.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Je suis très heureux d’être devant vous cet après-midi car le sujet est extrêmement important. Il se rattache plus largement à la question de l’égalité entre les filles et les garçons, puis entre les femmes et les hommes.

C’est une thématique fondamentale : elle dit quelque chose de la société dans laquelle nous voulons vivre. Nous pouvons d’ailleurs la rattacher à la devise républicaine. Dans une société de liberté, chacun construit une vie émancipée des préjugés, des stéréotypes, des injonctions. L’éducation, c’est cette route vers la liberté. Qu’est-ce que l’égalité entre les filles et les garçons ? Ce sont les outils que l’on transmet aux enfants et aux adolescents pour leur permettre de s’émanciper.

Nous souhaitons également une société égalitaire, où les déterminismes sociaux, territoriaux et de sexe pèsent le moins possible. C’est le cœur du combat républicain et de l’école de la République.

Enfin, nous voulons une société de fraternité, solidaire, où l’on se respecte et où, bien entendu, on respecte les femmes, comme on respecte les hommes ; une société où les rapports entre les femmes et les hommes sont sereins.

La façon dont nous parlons d’égalité entre les hommes et les femmes est très importante, y compris sur un plan international. Pour avoir vécu dans les pays anglo-saxons, je peux en attester.

Pour atteindre ces idéaux, nous devons veiller à combattre les racines du sexisme. Je le répète, la relation entre les femmes et les sciences est fortement corrélée à celle de l’égalité femmes-hommes. C’est un combat éducatif qui nous implique tous : nous devons le gagner sur la violence du quotidien, mais aussi sur les représentations perverties du sujet. En effet, si nous n’y prenons pas garde, c’est un dissolvant de la société. Nous devons également être attentifs à la problématique de la violence, même si elle n’est pas au cœur du sujet de cette audition. Un grand hebdomadaire y consacre actuellement sa « une », je ne peux pas ne pas y faire référence. Enfin, nous devons être attentifs à l’orientation.

Le 8 mars dernier, à l’occasion du comité interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le Premier ministre a défini des objectifs chiffrés : 40 % de filles dans les filières scientifiques de l’enseignement supérieur d’ici à 2020, 30 à 50 % de femmes bénéficiaires des formations proposées par la grande école du numérique pour favoriser l’employabilité des femmes dans ce secteur. La mixité dans les secteurs d’avenir est un enjeu individuel et sociétal, voire social. Elle se joue dès aujourd’hui à l’école : nous le savons bien, les différences d’orientation entre les filles et les garçons ont des conséquences sur leur insertion dans l’emploi et sur les inégalités professionnelles et salariales.

Il est donc indispensable de mieux accompagner les élèves dans leurs choix d’orientation pour s’assurer que ces derniers ne sont pas dictés par des représentations erronées, mais bien par le talent et par l’envie. C’est le sens du grand chantier de l’orientation que nous avons ouvert, notamment dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel porté par Muriel Pénicaud, auquel je contribue.

Ces évolutions auront un impact sur l’orientation : le temps qui y sera consacré sera beaucoup plus important pour les élèves du lycée mais aussi pour ceux du collège. L’amélioration de l’information et de l’accompagnement des élèves et de leurs familles va constituer un axe fort de la mise en place du nouveau lycée et de la plateforme Parcoursup d’accès à l’enseignement supérieur.

Ces deux réformes créent des dispositifs nouveaux qui permettront aux lycéens de formuler des choix d’orientation libres et plus éclairés : les attendus et les débouchés professionnels sont désormais clairs. Cela contribuera à supprimer les inhibitions des élèves qui ont suffisamment de talent pour suivre telle ou telle filière.

De plus, les grands principes de la rénovation de la formation professionnelle – sujet que connaît bien Mme Calvez qui vient de rendre un rapport conjoint avec Régis Marcon sur la question – seront annoncés à la fin de ce mois et prendront pleinement en compte la valorisation auprès des filles de certaines filières dans lesquelles la mixité fait défaut : la plasturgie, le travail du bois, la mécanique ou l’électronique comptent moins de 10 % de filles ! À l’inverse, les filles représentent 93 % des effectifs des filières coiffure ou esthétique et 89 % de ceux des filières sanitaires et sociales…

Avec l’aide de nos partenaires – notamment les régions, amenées à jouer un rôle de plus en plus important en matière d’orientation –, nous allons renforcer l’information des élèves, faire évoluer notre stratégie de communication sur les filières dans lesquelles les filles ne sont pas assez représentées, en luttant contre les préjugés, dans un sens comme dans l’autre.

Il est important de noter que les résultats des filles dans le domaine scientifique sont bons, voire très bons. Ils sont, surtout, supérieurs à ceux des garçons. La problématique n’est donc pas celle du niveau scientifique ou de la présence des filles dans les filières scientifiques au collège et au lycée, mais plutôt celle de la poursuite de leurs études conformément à leurs légitimes ambitions. Les informations transmises dans le cadre de l’orientation au collège et au lycée sont importantes, mais nous devons également évaluer dans quelle mesure la réforme du baccalauréat et du lycée va permettre une plus grande expression de cette ambition. La suppression des séries et la possibilité de choisir des disciplines peuvent considérablement contribuer à l’amélioration de la situation. En effet, actuellement, la série L est très féminine et la série S plus masculine. Demain, les élèves choisiront des spécialités en fonction de leurs goûts et de leurs aptitudes.

Nous accompagnerons cette amélioration par des campagnes d’information – dont je viens de parler – mais également par l’incitation à poursuivre des études scientifiques post‑bac si l’on a suivi des spécialités scientifiques avant le bac. En préparant le baccalauréat, on se préparera aussi à réussir après le baccalauréat. À l’inverse, actuellement, de nombreuses filles suivent des filières scientifiques avant le bac, réussissent, mais font ensuite des études non scientifiques… Soit elles ne voulaient pas suivre d’études scientifiques et il était inutile qu’elles s’orientent vers la filière S, soit elles le souhaitaient et nous devons veiller à ce que ce souhait se retrouve dans leurs choix de spécialités scientifiques post-bac.

Nous devons aussi être particulièrement attentifs à l’enjeu du numérique auquel vous avez fait référence. Le Président de la République et le Premier ministre ont pris un engagement, celui de la création de la grande école du numérique. Mais nous nous penchons également sur les voies professionnelle, générale et technologique.

Le numérique sera de plus en plus présent en lycée professionnel. Cent onze lycées professionnels expérimentent actuellement un dispositif intitulé ProFan, dont la mise en œuvre et le financement s’inscrivent dans le cadre général de l’action « Innovation numérique pour l’excellence éducative » du programme d’investissements d’avenir. Ce dispositif permettra de positionner les lycées professionnels à la pointe des compétences numériques d’avenir. En incitant les filles qui s’orientent vers l’enseignement professionnel à suivre ces enseignements numériques, nous les aiderons à s’orienter vers les métiers du numérique de niveau baccalauréat professionnel, mais également à poursuivre des études dans le domaine du numérique, jusqu’au titre d’ingénieur.

S’agissant de la voie générale et technologique, la réforme du lycée va conduire à l’émergence de disciplines de spécialité « Numérique », ce qui nous permettra également d’inciter les filles à s’orienter vers ces disciplines de spécialité.

Toutes ces réformes amélioreront la situation systémique et nous permettront de développer les actions volontaristes dont je viens de parler.

Pour conclure, inciter les filles à poursuivre des carrières scientifiques est un enjeu qui dépasse, nous le savons tous, la seule question de l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est un enjeu de société, qui dit ce que nous sommes, mais également un enjeu économique, car nous avons besoin de plus de scientifiques, d’ingénieurs, de professeurs et de chercheurs dans le domaine scientifique. Il s’agit d’enclencher des cercles vertueux de long terme.

Ces actions pourront être soutenues par des programmes de bourse et de prérecrutement. Les bourses devraient nous permettre d’accompagner des jeunes filles dans les études scientifiques dès le lycée, notamment quand elles sont issues de milieux sociaux défavorisés. Les programmes de prérecrutement nous permettraient de disposer de plus de jeunes filles se destinant à devenir professeur de mathématiques ou de sciences – dont nous avons besoin.

Le rapport de Cédric Villani sur l’intelligence artificielle va également nous être utile pour réformer le recrutement et la formation des professeurs.

Enfin, cette stratégie globale passe aussi par nos représentations et par les discours que nous tenons sur cette question. Vous pouvez compter sur moi, tant en actes qu’en discours.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Monsieur le ministre, je vous remercie pour ce rappel des enjeux et pour avoir identifié ces axes d’effort cruciaux pour permettre l’orientation des jeunes filles vers les filières et métiers scientifiques.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Les jeunes filles ont parfois peur de s’engager dans certaines filières post-bac en raison de la culture sexiste de ces formations, voire de l’existence de bizutages. Ce constat est ressorti régulièrement lors de nos auditions. Auriez-vous, monsieur le ministre, des préconisations en la matière ?

Par ailleurs, disposez-vous de statistiques comparatives avec les pays européens qui ont des pratiques plus étayées que les nôtres – les pays scandinaves notamment – mais également avec les pays latins ?

Enfin, mais je pense que Mme Calvez y reviendra, lorsque les élèves sont pris en charge par le système éducatif en maternelle, il semblerait que certains comportements pédagogiques soient déjà « genrés ».

Mme Céline Calvez, rapporteure. Mon collègue Stéphane Viry lit dans mes pensées ! Je voulais effectivement revenir sur l’école maternelle. Vous venez en effet de tenir les assises de la maternelle : l’appétence scientifique des enseignants – qui peut avoir des conséquences sur l’appétence scientifique des plus jeunes – a-t-elle fait partie des débats ? Vous avez raison, le défi est bien de créer des vocations scientifiques chez les filles ou les garçons. Mais, normalement, plus on crée de vocations, plus on devrait retrouver de filles dans les filières scientifiques.

Pourriez-vous également nous faire part de vos retours d’expérience à l’étranger ? Vous avez récemment eu l’occasion d’aller dans d’autres pays – sur notre continent ou hors d’Europe : y a-t-il une spécificité française ? Comment expliquer la théorie du paradoxe norvégien selon lequel plus un pays est moderne, plus les femmes sont libres de choisir mais moins elles s’orientent vers des métiers techniques ou scientifiques ?

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Une convention interministérielle signée en 2000 et reconduite en 2006 et 2012 permet la mobilisation de « tous les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre pour promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes ». Or, il semblerait que peu d’écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) proposent une formation approfondie sur le sujet. Qu’en est-il exactement ? Les enseignants reçoivent-ils une formation leur permettant d’appréhender les stéréotypes dès la maternelle ? En effet, nous en avons tous et toutes, parfois même inconsciemment, et il conviendrait de ne pas les transmettre aux plus jeunes.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. La première question posée par M. Viry concerne l’enseignement supérieur. Sur ce sujet comme sur d’autres, nous travaillons en coordination avec Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur. Le phénomène dont vous parlez existe bel et bien. Il est parfois explicite, parfois implicite. L’amélioration de la situation passe par des logiques d’engagement des acteurs, avec des chartes ou des séminaires. En tant qu’ancien directeur de grande école, je me souviens par exemple de séminaires sur les salaires, d’initiatives pour favoriser l’entrepreneuriat chez les jeunes femmes, leurs compétences numériques, leur investissement personnel dans les start‑up. Les structures doivent assumer ces sujets, mais elles peuvent y être poussées par l’État. La conférence des grandes écoles a pris des engagements en la matière qui gagneraient grandement à être confirmés, voire précisés. Le même travail pourrait être réalisé par la conférence des présidents d’université (CPU). Mais je ne veux pas m’exprimer à la place de Frédérique Vidal.

Je n’ai pas de données internationales sous les yeux, mais certains aspects du problème sont universels : la faiblesse des vocations scientifiques est un sujet mondial d’inquiétude. Il est aigu dans les pays occidentaux où un nombre insuffisant de jeunes se destine à des carrières scientifiques. En conséquence, un pays comme l’Inde est « exportateur » de cerveaux scientifiques aux États-Unis, mais également en Europe. Le sujet qui vous préoccupe nous renvoie plus largement à celui de la stimulation des vocations scientifiques dans le monde contemporain.

Les sciences sont aussi un outil dans la lutte contre les phénomènes de post-vérité. Tous ces sujets sont liés : un monde où l’appétit pour les études scientifiques est faible est également un monde où l’appétit pour la preuve, pour l’expérimentation, pour les faits corroborés s’affaiblit. C’est pourquoi l’enseignement de la rationalité, de la démonstration et des sciences est important dès l’école primaire.

La supériorité scolaire des filles sur les garçons en général, mais plus spécifiquement dans les matières scientifiques, est un deuxième phénomène assez universel. En guise de boutade, je dis souvent que si l’on compare les filles françaises aux garçons finlandais, la France se porte bien sur le plan scolaire. Mais ceci n’est pas vrai si l’on compare les garçons français aux filles finlandaises ! Dans le monde entier, cet écart existe, tout particulièrement au collège.

Nous devons être attentifs à ce phénomène. Il est certes au service de la cause dont nous parlons aujourd’hui : si les filles ont de meilleurs résultats dans les matières scientifiques à l’âge scolaire, c’est un atout pour poursuivre des carrières scientifiques. Pour autant, cette sorte de décrochage scolaire des garçons est un problème de société, qui peut être générateur de violences et de frustrations.

La France connaît par ailleurs des difficultés endémiques, corroborées par des statistiques que nous pourrons vous fournir ultérieurement. Par rapport aux pays d’Europe du Nord, elle connaît un fort taux de déperdition entre les filles ayant suivi des études scientifiques à l’âge scolaire et celles en suivant à l’université. Nous devons améliorer cette situation de manière volontariste – j’en ai déjà parlé –, par le biais de campagnes d’information, de bourses ou de prérecrutements.

Madame Calvez, vous avez abordé la problématique spécifique de la maternelle. Vous avez raison, les assises de l’école maternelle ont été l’occasion d’aborder les deux sujets : l’esprit scientifique à l’école maternelle et élémentaire – également évoqué par le rapport Villani – et les relations entre garçons et filles. Les deux sujets sont liés.

Dès l’école maternelle, nous devons favoriser la démarche inductive afin que les élèves soient plus attirés par les mathématiques et les disciplines scientifiques. Qu’est-ce que la démarche inductive ? À la maternelle, il s’agit d’aller du concret à l’abstrait, en utilisant des objets. C’est un des atouts de la pédagogie Montessori. À l’école élémentaire, nous souhaitons familiariser les enfants avec la démarche expérimentale. Des initiatives telles que « La Main à la pâte », promue par l’Académie des sciences, sont un succès. Elles existent depuis longtemps et doivent être encouragées, tout en s’appuyant sur les maisons des sciences à l’échelle régionale. Beaucoup ont déjà été créées et nous allons les renforcer, tout en incluant un volet « égalité » plus fort.

Mais la présence des sciences à l’école maternelle et élémentaire nous renvoie en préalable à la question de la formation des professeurs. Les professeurs du premier degré sont souvent des personnes ayant fait des études littéraires et ayant abandonné les mathématiques et les sciences assez tôt dans leur parcours scolaire. Cet état de fait doit profondément changer à moyen et long terme – ce à quoi nous nous attelons. Il faut que les professeurs d’école primaire soient sensibilisés à la démarche scientifique, tant au cours de leur formation initiale qu’au cours de leur formation continue.

En ce qui concerne l’égalité hommes-femmes, l’éducation nationale prévoit de plus en plus de journées de stage sur la lutte contre les discriminations. Il y en a eu plus de 24 000 de ce type en 2015-2016. Des séminaires nationaux sont également organisés sur le sujet et nous allons les renforcer. Si l’égalité hommes-femmes est bel et bien abordée lors des formations initiale et continue des professeurs, l’aspect qualitatif de ces formations importe également. Les bons sentiments n’ayant guère d’efficacité, nous devons faire en sorte que les professeurs s’engagent à traiter ces enjeux au travers de méthodes renouvelées. J’ai donc saisi l’inspection générale de l’éducation nationale sur la question de l’égalité hommes-femmes de façon à renforcer l’efficacité de la formation initiale et continue des futurs professeurs en ce domaine.

Mme Nicole Le Peih. La prévention des violences sexistes et sexuelles – physiques comme verbales – et la sensibilisation à ces questions doivent être assurées très tôt pour permettre à chacun d’intégrer et de mieux appréhender les dangers encourus en la matière. L’école est un des moyens pour chaque enfant d’apprendre le respect mais c’est aussi dans le cadre de l’école, et notamment des sorties de classe et des voyages scolaires, que les enfants peuvent être exposés à ces dangers. L’organisation par les encadrants, avant chaque sortie scolaire, d’un moment de prévention et de sensibilisation, suivant un cahier des charges élaboré par le ministère de l’éducation nationale, pourrait-elle être efficace pour lutter contre ces dangers ?

Mme Annie Genevard. Je ne suis pas une fanatique de l’approche systématiquement « genrée » des différents sujets – mes collègues le savent car j’ai l’occasion de le dire assez régulièrement – même si je ne sous-estime pas son importance. Vous avez parlé, monsieur le ministre, d’un trop faible esprit scientifique, mais la littéraire que je suis aurait tendance à vous dire qu’il y a aussi un trop faible esprit littéraire et que de ce point de vue, la balle est au centre. Vous avez raison, la question de la réussite des filles se pose, mais le problème de la réussite des garçons me semble plus grave encore.

Je voudrais revenir sur l’école maternelle et évoquer une anecdote personnelle. J’ai deux filles dont l’institutrice m’avait dit dès la maternelle que l’une était plutôt littéraire et l’autre plutôt scientifique. Cela m’a beaucoup surprise car on a toujours le sentiment d’éveiller de la même façon l’intellect de chacun de ses enfants. Cette question a-t-elle été explorée par les neurosciences ? Si oui, de quelle façon ?

Enfin, pourquoi les filles qui sont de bonnes scientifiques sont-elles moins présentes que les garçons dans les carrières scientifiques ?

Mme Laurence Gayte. Pour répondre à Mme Genevard, cette situation résulte      peut-être du fait que les jeunes filles ne se projettent pas dans une carrière scientifique et qu’elles ne savent pas à quelles carrières les études scientifiques peuvent aboutir. Il conviendrait sans doute de faire évoluer les manuels scolaires pour que les élèves puissent mieux se projeter dans ces carrières.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. S’agissant des sorties scolaires, on a beau avoir, au sein de l’Éducation nationale, toute une série d’idées valables dans leur principe, leur accumulation rend parfois les choses ingérables. Je ne dis pas qu’il ne faille pas mener l’action que vous proposez, mais il faut éviter de bureaucratiser encore davantage le système et d’accumuler les messages, tous plus légitimes les uns que les autres, qu’on a envie de faire passer aux jeunes. Je me suis exprimé ces derniers temps sur l’accompagnement scolaire, mais se posent aussi les questions de la nature des sorties scolaires et du comportement des élèves à l’occasion de ces sorties. Dans les temps à venir, nous allons encourager leur développement, quitte à mieux préciser, peut-être, les règles du jeu. Je ne sais pas si cela nécessitera l’élaboration d’un cahier des charges, mais cela supposera certainement des évolutions. L’organisation de sorties scolaires soulève aussi des questions de moyens que l’on devra inévitablement traiter avec les collectivités locales.

Madame Genevard, j’ai déjà évoqué tout à l’heure le problème de la réussite des garçons qui, encore une fois, est mondial, et qui plaiderait plutôt en faveur d’une approche « genrée » de la réussite scolaire.

Je me garderai d’entrer dans le détail de ce que nous disent les sciences cognitives des aptitudes scientifiques décelables chez les enfants, préférant laisser les professionnels en parler. On a très souvent, comme l’institutrice de vos filles, des préjugés simplistes et schématiques sur ces questions. En réalité, les études démontrent une très forte compétence de tous les enfants. Le point le plus frappant est la démonstration par Stanislas Dehaene d’un sens des probabilités chez le nourrisson de trois mois – qu’il soit garçon ou fille. La conclusion pédagogique qu’on peut tirer de l’ensemble des études dont j’ai connaissance est qu’il existe plusieurs chemins pour stimuler l’appétit pour les sciences et que tel chemin conviendra à tel enfant mais pas à tel autre. Les témoignages sont multiples de personnes qui se découvrent assez tardivement une vocation scientifique. C’est pourquoi le rapport    Villani-Torossian propose l’instauration de modules de réinsertion dans les sciences.

La réforme du lycée doit notamment permettre d’aborder les mathématiques et les sciences à plusieurs endroits et de différentes manières et de faire apparaître le numérique en tant que discipline comme porte d’entrée vers les enjeux scientifiques et technologiques. Plus généralement, sur ce point comme sur d’autres, le message des sciences cognitives est optimiste quant au fort potentiel des élèves. L’enjeu est donc de personnaliser les parcours et de diversifier les approches pédagogiques pour inciter les élèves à aller vers les sciences.

Se pose effectivement une question de projection dans l’avenir, madame Gayte, mais elle concerne toutes les disciplines et tous les métiers d’autant que les mathématiques sont paradoxalement la discipline qui aura le plus d’importance dans le futur. Il est néanmoins vrai que les carrières scientifiques sont insuffisamment illustrées par l’exemple. Nous devons donc faire évoluer notre manière de parler des métiers, consacrer du temps à l’orientation et avoir une approche en continu de cette dernière. J’ai souvent été amené à dire à quel point les professeurs étaient concernés par l’orientation, ce à quoi on peut me répondre qu’un professeur n’est pas un spécialiste du sujet. En réalité, personne, pas même un professionnel de l’orientation, n’est omniscient en matière d’orientation ni capable de tout dire sur tous les métiers. Nous devons nous faire à l’idée que l’orientation est un travail d’équipe et un processus en continu qui ne prend pas fin en terminale puisqu’un grand nombre de jeunes de plus de vingt ans ne savent pas encore très bien quel métier ils vont faire. Chaque professeur doit donc être en mesure d’évoquer les perspectives professionnelles qu’offre sa discipline – au-delà du professorat. On doit davantage aborder la question de l’orientation dans le cadre de la formation initiale et continue des professeurs mais en réalité, ces derniers savent souvent bien des choses sans s’en rendre compte. Ces aspects seront traités dans le cadre de la réforme de l’orientation.

Mme Josy Poueyto. Comme je l’ai souligné lors de notre réunion du 12 avril dernier, j’ai l’impression de faire un bond de trente ans en arrière et d’observer les mêmes difficultés qu’à l’époque. J’ai en effet travaillé en 1981 auprès d’Yvette Roudy et nous constations alors déjà que les filles n’allaient pas dans les filières scientifiques. Que faire pour que les filles aient envie de suivre cette voie ? À l’époque, on a instauré à leur profit une bourse scientifique. Mais si les filles s’intéressent peu aux filières scientifiques, c’est peut-être aussi parce qu’en maternelle on trouve essentiellement des institutrices et qu’à l’université, on trouve essentiellement des hommes parmi les professeurs. Il y a donc peut-être un problème de recrutement. Nous avions déjà dénoncé les manuels scolaires à l’époque mais ils n’ont guère évolué. Enfin, comment mobiliser les grandes écoles pour permettre aux filles de développer leurs talents dans les filières scientifiques puisque la bourse scientifique n’y suffit pas ?

Mme Fiona Lazaar. L’égalité entre les femmes et les hommes est un combat qui engage le Gouvernement et la représentation nationale tout entière et qui doit être mené dès l’école car la première des batailles est celle des générations à venir. Cela passe par la promotion d’une vraie culture de l’égalité. Il faut arrêter de penser que certaines formations et certains métiers ne seraient pas faits pour les femmes. C’est essentiel, en particulier dans les domaines et filières scientifiques et numériques, où les femmes subissent une forme de double peine. Accéder à ces filières relève déjà du parcours du combattant. Briser le plafond de verre n’est pas toujours facile pour celles qui rêvent de devenir ingénieurs ou chercheurs. De nombreux témoignages nous éclairent aussi sur les violences que les femmes peuvent subir au sein de ces filières : sexisme et harcèlement peuvent être monnaie courante dans certains établissements – y compris de renommée. Le sexisme n’est pas propre aux filières ni aux établissements scientifiques : il existe dès l’école où de nombreuses jeunes filles sont victimes de violences sexistes et sexuelles. Les intimidations, le harcèlement – en ligne ou non –, les stéréotypes de genre et le sexisme sont autant de facettes de ce mal silencieux mais réel qui touche de nombreux établissements scolaires.

Certaines voix ont commencé à s’élever, notamment dans mon département du Val‑d’Oise où, à l’initiative de deux lycéennes, près de 300 personnes ont crié leur indignation et dit stop aux injures, aux provocations et aux dénigrements. Ces deux jeunes femmes font la une d’un grand hebdomadaire national cette semaine : je veux saluer leur courage et leur détermination mais je crois qu’elles ne pourront pas gagner cette bataille toutes seules. Il est temps de les écouter vraiment pour dire stop tous ensemble et nous donner les moyens pour réellement en finir.

Plusieurs annonces me semblent encourageantes comme la définition du cyber‑harcèlement en meute, prévue dans le projet de loi de Mmes les ministres Belloubet et Schiappa, le dialogue en cours avec les hébergeurs internet pour limiter l’accès des enfants aux sites pornographiques ou encore la nomination dans chaque établissement scolaire d’un référent égalité. Monsieur le ministre, je sais votre engagement personnel dans ce dossier. Pourriez-vous nous en dire plus sur le rôle concret de ces référents et sur le calendrier de leur déploiement et nous préciser sur quelles autres pistes vous travaillez pour mieux accompagner les victimes et enrayer cette violence ?

M. Guillaume Gouffier-Cha. Je m’associe à Fiona Lazaar pour saluer le courage de ces deux jeunes valdoisiennes et l’action qu’elles ont lancée. Il y a vraiment des propos qu’on ne doit plus pouvoir tenir dans les écoles de la République et à l’égard desquels nous devons avoir une vigilance de tous les instants.

Je voudrais vous interroger sur l’excision même si cela ne concerne pas directement le rapport que nous abordons aujourd’hui. L’excision touche de nombreuses jeunes filles dans notre pays. Trois filles sur dix venant de pays qui la pratique et ayant entre douze et dix-huit ans peuvent subir une excision lors de leurs voyages. Au-delà des campagnes qui sont menées par les associations, y compris pour sensibiliser les personnels de l’Éducation nationale, quelles mesures sont étudiées par votre ministère en ce domaine et qui pourraient être mises en application le plus rapidement possible ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. Vous avez raison, madame Pouyeto, de souligner la persistance sur le long terme des questions que nous abordons aujourd’hui. On peut cependant noter quelques progrès depuis une trentaine d’années sur certains points. On notera aussi que les instituteurs de l’école primaire de la Troisième République étaient majoritairement des hommes, ce qui n’a pas empêché qu’à l’époque encore moins de filles fassent des études scientifiques. On peut déplorer à certains égards l’extrême féminisation du corps enseignant à l’école primaire, qui incite sans doute les petites filles à se projeter dans le métier de maîtresse mais je ne pense pas que cela ait un impact au-delà. Je le dis sans démonstration à l’appui. C’est donc un sujet qui se discute, et il est en effet tout à fait souhaitable d’inciter plus de jeunes hommes à devenir professeurs des écoles, de même qu’on doit faire en sorte qu’il y ait plus de femmes professeurs dans l’enseignement supérieur.

Une étude datant de 2011 montre que les manuels scolaires véhiculent encore certains stéréotypes. Cette question nous renvoie cependant à la notion de liberté éditoriale dont je dirai la même chose que ce que j’ai dit de la liberté pédagogique : il ne s’agit pas non plus d’anarchisme éditorial, et nous aurons à discuter avec les éditeurs afin que les manuels scolaires soient porteurs d’une ambition pour les jeunes filles.

Le vecteur le plus important, pour susciter la vocation scientifique des jeunes femmes dès le plus jeune âge, réside dans ce que nous pouvons dire sur les métiers et dans les illustrations que nous pouvons donner d’hommes et de femmes exerçant différents métiers. Il importe que nous ayons une approche équilibrée de ces questions, tant pour les raisons que nous avons évoquées concernant les garçons que pour que les jeunes femmes puissent se reconnaître dans l’ensemble des métiers, comme les hommes.

Comme je le disais tout à l’heure, madame Lazaar, monsieur Gouffier-Cha, tout fait système. La question du respect des femmes et la question connexe de l’excision sont à relier à l’ensemble des sujets que nous évoquons aujourd’hui. Nous devons accentuer les politiques de sensibilisation à ces sujets, mais aussi voir dans quelle mesure les politiques générales en matière de sécurité, d’une part, et de laïcité, d’autre part, ont un impact sur ces questions. Dans le domaine scolaire, lorsque je parle de « lire, écrire, compter et respecter autrui », la notion de respect d’autrui répond à mes yeux en partie aux questions que vous soulevez. Pour assurer ce respect, nous allons promouvoir une meilleure explicitation des règles et un système de sanctions éducatives plus élaboré qu’aujourd’hui. L’impunité a des effets pervers considérables sur notre système scolaire – je n’ai pas peur de l’affirmer. C’est l’un des premiers messages que j’ai fait passer en interne aux cadres de l’éducation nationale. Le fait que dans notre système, pendant de très longues années, les critères de réussite d’un établissement aient été fondés sur les statistiques du nombre de conseils de discipline tenus et de sanctions données a amené les établissements, dans de nombreux cas, à mettre les problèmes sous le tapis et à prendre soin du thermomètre plutôt que de la maladie. Nous souhaitons résolument un changement de cap en ce domaine. Ces statistiques ne doivent plus être un critère ni dans un sens ni dans l’autre – on ne va pas non plus donner une prime aux établissements tenant un grand nombre de conseils de discipline – mais ne correspondre qu’à des faits. Nous demandons aux chefs d’établissement de nommer les problèmes, de les traiter et d’appliquer les sanctions éducatives appropriées. Nous menons notamment une réflexion sur ce que pourraient être des sanctions éducatives en matière de relations entre les garçons et les filles.

Sur l’ensemble de ces sujets, je serai amené à m’exprimer au mois de juin pour tenir compte non seulement des débats qui animent la société et le Parlement dans le cadre de l’examen du projet de loi présenté par Marlène Schiappa, mais aussi des travaux d’approfondissement menés au sein de mon ministère. J’attendais aussi, en ce sens, une séance comme celle d’aujourd’hui, de façon à ce que les problèmes et idées évoqués ici comme ultérieurement puissent être pris en compte dans l’ensemble des mesures que j’annoncerai.

Quant au dispositif des référents égalité, il sera déployé au cours de l’année 2018‑2019. Je préciserai au mois de juin le contenu de ce dispositif qui doit permettre la diffusion de plus d’informations, l’application de plus de sanctions éducatives et la production d’effets systémiques touchant à la fois aux enjeux pédagogiques, aux enjeux d’orientation et aux enjeux de vie scolaire et de respect d’autrui dont nous avons parlé.

Mme Céline Calvez, rapporteure. Avez-eu connaissance, à l’étranger, d’expérimentations visant à associer les parents au processus d’orientation et à s’en faire des alliés ? Certains parents peuvent s’opposer à la vocation scientifique de leur fille.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Monsieur le ministre, j’aurai deux observations et deux questions. Ma première observation reprend celle formulée tout à l’heure par mon collègue sur les manuels scolaires qui constituent le socle de la pédagogie. Vous avez mis en avant la liberté éditoriale. Juridiquement, je reçois votre argument. Il n’en demeure pas moins que c’est l’État qui achète les manuels pour le compte des écoles. Seriez-vous prêt à étudier la possibilité de faire preuve d’un certain interventionnisme auprès des rédacteurs de ces ouvrages pour faire en sorte que l’on avance sur ces sujets ? Les études montrent que depuis trente ans, on n’a pas progressé. Avez-vous la volonté de prendre un certain nombre de risques en bousculant quelque peu cette liberté éditoriale ?

Ma deuxième observation débouchera aussi sur une question. Je vous encourage évidemment à décliner l’égalité sous toutes ses formes dans toutes les structures éducatives. La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi Fioraso », l’avait déjà fait pour tout ce qui touche à l’enseignement supérieur.

J’ai entendu ce que vous avez dit sur le référent égalité. Mais les présidents des organismes d’études supérieures nous ont tout de même indiqué en creux que le dispositif manquait quelque peu de moyens. C’est bien de mettre en place des référents, mais il faut aussi leur permettre d’exister. Je voulais attirer votre attention sur ce point, et connaître vos intentions. Quels moyens budgétaires envisagez-vous de leur consacrer, pour qu’ils soient aussi actifs que possible ?

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. J’aurais une question à vous poser, monsieur le ministre, sur la réforme du baccalauréat. Les filières seront supprimées et les étudiants auront la possibilité de se composer un panier d’options disponibles. Or certaines personnes, notamment les femmes scientifiques dont je me fais le relais, s’inquiètent de la future orientation des jeunes femmes vers les matières scientifiques.

Pouvez-vous nous garantir qu’il y aura un socle scientifique suffisant en amont pour toutes et pour tous, pour que les choix de chacune et chacun soient bien inspirés par l’appréciation personnelle de ce que sont les sciences et les mathématiques, et non par les stéréotypes sociétaux ou familiaux ? L’association « Femmes et sciences », notamment, aurait besoin d’être rassurée sur ce point.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale. La première question, qui portait sur les relations avec les parents d’élèves, est cruciale pour le système scolaire en général, et pour notre sujet en particulier. Comme j’ai été amené à le rappeler à plusieurs reprises, la France n’est pas très bonne en la matière : le lien entre les parents d’élèves et le système scolaire n’est pas naturellement fluide. Or deux éléments conditionnent d’abord et avant tout la réussite d’un système scolaire : la formation des professeurs, dont on a parlé précédemment, et la qualité de la relation entre les parents et l’école. La convergence des valeurs et des perspectives entre les parents et l’école est la clé de la réussite des enfants.

Des comparaisons menées à l’international montrent que les systèmes où cette implication est réussie font réussir les enfants, et cela quels que soient les sujets abordés comme celui de l’égalité garçons-filles. Nous allons agir fortement sur cette question qui est à la fois une question d’évolution des mentalités et une question pratique.

Le levier majeur de notre action sera, dès la prochaine rentrée, l’opération « mallette des parents ». Celle-ci existe déjà, mais nous allons lui donner une autre dimension. Les études scientifiques et les évaluations dont elle a fait l’objet dans le passé montrent qu’elle peut avoir un impact.

La mallette des parents est d’abord constituée d’outils pédagogiques et d’outils de discussion entre les parents et l’institution scolaire. Par exemple, des réunions ont lieu en petits groupes, en particulier en début d’année, notamment dans les classes charnières : cours préparatoire (CP), sixième, troisième, seconde. Il s’agit de sensibiliser les parents aux enjeux scolaires, mais aussi aux enjeux périscolaires : santé publique, vie scolaire et égalité   femmes-hommes.

Cette mallette sera un véhicule fondamental pour promouvoir certains messages. Nous sommes en train de la préparer. Dans les temps à venir, nous pourrons en parler en toute transparence, pour que ce soit un succès. Mon ambition est qu’elle devienne une référence sur le plan international. Je suis toujours enclin à regarder les exemples étrangers, mais j’espère que nous allons nous-mêmes servir d’exemple à l’étranger. Et j’espère que la mallette des parents y contribuera.

Sur la question des manuels, je vous rejoins en grande partie : on doit trouver une ligne de crête entre la liberté éditoriale, qu’il faut évidemment respecter, et une sorte de cahier des charges, ou du moins les principes auxquels on doit se fier. Lorsque je discute avec les éditeurs, j’observe qu’ils font preuve d’une certaine bonne volonté : ils veulent bien faire, mais ils ont aussi besoin que nous leur indiquions des points de repère. C’est donc ce que nous ferons, le sujet se posant en des termes assez différents pour les manuels du premier et du second degré. En tout cas, le dialogue avec les éditeurs devrait nous permettre d’avancer.

Comme vous l’avez dit, notre relation est également financière. Il est exact que l’État finance les manuels des collèges, les communes finançant ceux du premier degré, et les régions ceux du lycée. C’est aussi un point sur lequel il devrait y avoir des discussions dans les temps futurs. Quoi qu’il en soit, il est évident que la documentation pédagogique en général est un vecteur de progrès s’agissant du sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

Ensuite, vous m’avez interrogé sur le socle scientifique de la réforme du lycée, ce qui me donne l’occasion d’apporter quelques précisions. En effet, au-delà du sujet de l’égalité hommes-femmes, je tiens à dire que des informations erronées circulent – comme toujours, malheureusement, sur les réformes envisagées. Que leurs auteurs soient de bonne foi ou de mauvaise foi, je ne peux pas répondre à toutes – je ne suis pas webmestre et je ne veux pas passer mon temps sur Twitter et Facebook. En tout cas, je lis tous les jours des choses insensées.

Certains affirment, par exemple, que la philosophie est lésée par la réforme du baccalauréat : rien n’est plus faux. La philosophie est au contraire rehaussée par la réforme du baccalauréat. C’est désormais la seule épreuve commune à tous les élèves. Elle fera l’objet de quatre heures d’enseignement hebdomadaire alors qu’aujourd’hui, les élèves de la série S n’en font que trois heures. Et ceux qui, aujourd’hui, auraient tendance à s’inscrire dans la série L, pourront en faire davantage au travers d’une discipline de spécialité intitulée « humanités, littérature et philosophie », et ce dès la classe de première. Autrement dit, ces littéraires auront quatre heures de philosophie en première, six heures en terminale, probablement pour aller approfondir des œuvres, et d’une manière sans doute plus pertinente qu’aujourd’hui, où les huit heures de philosophie de la série L ne donnent pas totalement satisfaction aux acteurs. Il n’en demeure pas moins que, si vous allez sur Twitter, vous constaterez que certains affirment avec toupet que la philosophie est lésée par la réforme !

J’en viens à votre question sur les sciences. Bien entendu, je n’ai pas l’intention de dévaloriser les débats légitimes qui peuvent avoir lieu à ce propos. Mais je vous conseille d’aller sur le site du ministère et voir le nombre d’heures consacrées aux sciences aujourd’hui et après la réforme. Vous constaterez une augmentation du nombre d’heures consacrées aux sciences pour ceux qui choisiront les sciences.

On peut néanmoins s’inquiéter sur deux points. Premièrement, est-ce que tous les élèves, quels que soient les choix qu’ils feront, auront un minimum de culture scientifique jusqu’à la terminale ? La réponse est oui, et davantage qu’aujourd’hui : deux heures d’enseignement scientifique dans le tronc commun tel qu'il est prévu, selon des stratégies pédagogiques qui correspondront à ce que je disais tout à l’heure à propos du rapport Villani. On fera en sorte que des élèves qui n’ont a priori pas envie de se spécialiser en sciences puissent tout de même suivre un enseignement scientifique pertinent – davantage donc que les élèves de la série L actuelle qui ne font plus rien en sciences à la fin de leur parcours.

Deuxièmement, le principe de la réforme est que l’élève fera plus et mieux dans le domaine qu’il aura choisi pour le baccalauréat. Cela va dans le sens de plus grands approfondissements. C’est vrai en sciences comme dans les autres domaines. Ainsi, un élève qui aujourd’hui choisit la série S suivra demain des cours de mathématiques au titre de l’enseignement du socle commun, soit quatre heures en première et six heures de mathématiques en terminale au titre des enseignements de spécialité. Mais en plus, il pourra choisir trois heures de « mathématiques expertes ». Il suivra alors une heure de mathématiques en plus qu’aujourd’hui en terminale S.

Donc, bien entendu, les sciences ont vocation à être renforcées au titre de la réforme. Un ministre de l’Éducation nationale qui ne s’en soucierait pas serait d’ailleurs insensé.

J’ai eu l’occasion de m’exprimer devant l’Académie des sciences sur ce point. Je pense que la réunion, qui a duré au moins une heure et demie, a été filmée. Tous les éléments sont là pour corroborer mes propos.

Pour terminer, au-delà des enjeux du nombre d’heures et de l’ossature générale que je viens d’évoquer, j’évoquerai les enjeux de contenu, qui sont la « chair » de la réforme. Cela se joue en ce moment-même, puisque depuis le mois dernier – et jusqu’au mois de décembre – le Conseil supérieur des programmes s’est attelé à la révision des programmes du lycée. Il le fait dans un souci de qualité, d’approfondissement, mais aussi de prise en compte de sujets comme ceux que nous abordons aujourd’hui.

Voilà pourquoi les inquiétudes, les questions formulées aussi bien par des associations disciplinaires ou des associations comme « Femmes et sciences » auxquelles vous avez fait référence, ou les attentes que vous pouvez avoir en tant que parlementaires, peuvent tout à fait être prises en compte par le Conseil supérieur des programmes dans la période actuelle. J’insiste sur ce point parce que le contenu des programmes est évidemment une question clé, et ne doit pas être occultée par des débats qui ont été en grande partie tranchés, il y a maintenant deux mois, sur les volumes horaires.

Mme Fiona Lazaar. Monsieur le ministre, la question de l’égalité entre les filles et les garçons, les questions de violence et de harcèlement doivent tous nous mobiliser. De mon côté, j’organise dans les murs de l’Assemblée nationale un débat entre plusieurs classes de collégiens de ma circonscription sur le thème du harcèlement. Je vous ferai passer l’invitation : vous êtes le bienvenu.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Nous viendrons également avec plaisir, chère collègue ! Merci vivement, monsieur le ministre, pour votre présence. L’ensemble des réponses que vous avez pu nous apporter témoigne de l’engagement de l’État et de votre ministère s’agissant de l’égalité entre les femmes et les hommes, et en particulier, de l’orientation des femmes et des jeunes filles dans les filières scientifiques. C’est un point sur lequel nous devons collectivement exercer notre vigilance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. C’est moi qui vous remercie pour votre invitation.


Information relative à la Délégation

 

La Délégation a désigné M. Pierre Cabaré rapporteur sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (n° 904).

 

La séance est levée à 17 heures 40.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Céline Calvez, Mme Annie Chapelier, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Laurence Gayte, Mme Annie Genevard, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Fiona Lazaar, Mme Nicole Le Peih, Mme Cécile Muschotti, Mme Josy Poueyto, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Stéphane Viry.

Excusés. - Mme Sonia Krimi, Mme Sophie Panonacle, Mme Isabelle Rauch, Mme Laurence Trastour-Isnart.

Assistait également à la réunion. - Mme Cathy Racon-Bouzon.