Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture, en préalable au conseil des ministres européens de la culture du 21 novembre 2017              2

– Informations relatives à la Commission.....................23

– Présences en réunion.................................24

 


Mercredi
15 novembre 2017

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 12

session ordinaire de 2017-2018

Co-présidence de
M. Bruno Studer,
Président
et de
Mme Sabine Thillaye
Présidente de la Commission des affaires européennes
 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mercredi 15 novembre 2017

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Co-présidence de M. Bruno Studer, président de la Commission,
et de Mme Sabine Thillaye, présidente de la Commission des affaires européennes)

 

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La commission des Affaires Culturelles et de l’Éducation procède à l’audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture, en préalable au conseil des ministres européens de la culture du 21 novembre 2017

Mme la présidente Sabine Thillaye. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu à notre demande d’audition conjointe, en amont du Conseil éducation, jeunesse, culture et sport qui se tiendra à Bruxelles les 20 et 21 novembre prochains. Pour nos deux commissions, c’est un plaisir de vous entendre.

Vos prérogatives – les affaires culturelles – soulèvent deux enjeux majeurs. Le premier – vous l’avez souligné avec force depuis le début de ce quinquennat –, c’est l’importance de la dimension culturelle dans la refondation de l’Europe. L’Europe est une œuvre politique inédite ; c’est aussi une culture partagée, dans la richesse de ses langues, la diversité de ses modes d’expression, la complémentarité de ses idées. Nous sous-estimons très souvent cette richesse, source d’innovation : penser différemment permet parfois de trouver des solutions. L’interculturalité est une valeur fondamentale du projet européen et l’ouverture à d’autres systèmes de pensée, à d’autres sensibilités est un vecteur d’innovation et de progrès. C’est votre ambition : la culture doit retrouver toute sa place dans le projet européen ; elle doit lui donner un supplément d’âme, une substance et une cohérence. De nombreux projets sont actuellement portés par le président Emmanuel Macron. Vous êtes également à l’origine d’initiatives variées : la création d’un Erasmus de la culture, le Pass culture européen, le maintien d’un programme ambitieux de soutien aux industries culturelles, ainsi que le développement d’initiatives communes de soutien à la traduction. Pouvez-vous revenir sur ces propositions innovantes et les moyens de les mettre en œuvre ?

Nous serions également heureux de vous entendre sur le deuxième enjeu : l’adaptation de nos sociétés à la révolution numérique, qui soulève des questions très complexes, comme la protection des données personnelles, la rémunération des auteurs, ou encore le juste partage de la valeur créée. Plutôt que de subir, impassibles, les transformations en cours, inventons un modèle européen qui nous soit propre et nous permettra de concilier innovation et régulation numérique ! Récemment, dans un souci de préserver le respect de la territorialité des droits et la diversité de la culture européenne, notre commission s’est saisie du projet de règlement relatif à l’exercice du droit d’auteur dans le cadre de certaines transmissions en ligne des organisations de radiodiffusion et de la retransmission des programmes de radio et de télévision, dit règlement « câble et satellite ». Estimez-vous que les négociations sur ce projet de règlement sont en bonne voie ? Par ailleurs, comment percevez‑vous l’avenir du projet de révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) ? Enfin, plus largement, quels sont les chantiers que vous jugez prioritaires pour la construction d’une Europe de la culture ?

M. le président Bruno Studer. Comme Mme Thillaye, je me félicite de cette réunion conjointe de nos deux commissions autour de Françoise Nyssen, pour évoquer les sujets à l’ordre du jour du prochain Conseil européen des ministres de la culture, qui se tiendra le 21 novembre prochain. C’est une première pour nos commissions que d’anticiper ce Conseil. Nous n’hésiterons pas à le refaire, en fonction de l’actualité.

L’ordre du jour de ce Conseil vous a été communiqué lundi, chers collègues. Il sera, comme toujours, composé de points d’information, de débats et de propositions de décisions. Je ne vais pas vous poser beaucoup de questions, madame la ministre, car je sais que notre temps est contraint, je remercie d’ailleurs par avance les commissaires pour la précision et la concision de leurs questions.

Je rappellerai simplement que la France a demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce Conseil d’un point d’information intitulé « Refonder l’Europe par la culture ». Pourriez‑vous nous dire quelques mots de cette proposition, en « avant-première » ?

Même si ce point n’est pas à l’ordre du jour du prochain Conseil, mais de celui du mois de décembre qui traitera des télécoms, permettez-moi d’appeler votre attention sur la refonte de la directive « vie privée et communications électroniques » dite directive e-privacy. Quelle est la position de la France ? Les acteurs médiatiques s’en inquiètent. En effet, si l’on considère que les données collectées sur internet sont l’or du XXIe siècle, il faut faire en sorte que cet or puisse être partagé, et non pas confisqué par quelques acteurs.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Je vous remercie pour cette invitation. Je place la politique européenne au premier rang de mes responsabilités et suis donc très heureuse de pouvoir vous l’exposer. Elle est au premier rang car la culture est au cœur de la refondation de l’Europe que le Président de la République a posée comme priorité de son mandat. C’est aussi le devoir de notre génération. Le Président l’a dit à Athènes, réaffirmé dans son discours à la Sorbonne et rappelé encore à Francfort, à l’occasion de la Foire du livre : la culture est au cœur de la refondation de l’Europe car elle était au cœur de sa fondation. L’Europe n’aurait pu voir le jour sans un ferment culturel : c’est notre communauté de valeurs, de langues, de coutumes, de mémoires qui a mis les pères fondateurs sur la voie de l’union et qui a donné du sens à notre solidarité.

Au fil des décennies, nous avons malheureusement perdu de vue cette raison d’être originelle. L’Europe des institutions a fini par prendre le pas sur l’Europe des citoyens, au point d’apparaître comme un ensemble désincarné de procédures et d’être rejetée par nombre d’entre eux. Nous sommes arrivés au bout de ce système. L’Europe ne pourra plus avancer sans l’adhésion de ses citoyens, qui prend sa source dans notre socle culturel commun et nous permet d’être « unis dans la diversité » – comme le dit la devise de l’Union européenne –, dans la conscience européenne que chacun porte en lui, mais qu’il faut réveiller.

C’est la mission qui me revient. Pour réussir cette refondation de l’Europe par la culture, je crois nécessaire de revenir à la méthode et aux principes des premières heures : la méthode des « petits pas », celle de Jean Monet. L’Europe se nourrit d’avancées concrètes. La France a toujours été locomotive. Je le serai à mon niveau. J’ai pris l’initiative d’organiser une réunion informelle des ministres européens de la culture, début octobre à Francfort, en marge de la Foire du livre. Nos échanges ont été riches et nos propositions déboucheront sur une déclaration commune, en cours de négociation. Nous souhaitons porter ces propositions à l’occasion du Conseil des ministres de mardi prochain. Elles s’articuleront autour des trois principes fondateurs de l’Europe, qui doivent être au cœur de sa refondation : protection, liberté et solidarité.

La protection doit favoriser la création. L’Europe a déjà beaucoup œuvré en ce sens. Je pense à l’exception culturelle, obtenue à l’initiative de la France lors des négociations de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce – general agreement on tariffs and trade (GATT). De même, les règles communes en matière audiovisuelle ont permis à la télévision de contribuer au financement et à la diffusion des œuvres européennes. Depuis trente ans, l’Europe a fait progresser la culture et l’a protégée par des règles communes. Nous devons prolonger ce sillon.

À l’heure du numérique, l’enjeu principal est de protéger notre modèle culturel contre le risque que les grands acteurs de l’internet font peser sur le pluralisme et la diversité, puisqu’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que les acteurs traditionnels, s’agissant du financement de la création, de la rémunération des créateurs ou de la presse qu’ils diffusent, de la responsabilité des contenus ou du combat contre le piratage et les fake news. La régulation protectrice, qui a fait la force de notre modèle, doit se bâtir au niveau européen : nos réglementations nationales ne suffiront pas à protéger les créateurs et les publics.

Je voudrais dire un mot des principaux dossiers en cours, en premier lieu le « Paquet droit d’auteur ». La France, mère patrie de ce droit, a une responsabilité particulière et porte plusieurs propositions : la garantie d’un meilleur partage de la valeur entre plateformes numériques et créateurs, grâce à la définition des conditions dans lesquelles une plateforme de diffusion n’est plus considérée comme hébergeur, et donc soumise à une obligation de rémunération des ayants droit ; la garantie d’un meilleur partage de la valeur au profit des éditeurs de presse, à travers la constitution d’un droit voisin, qui assurerait une rémunération pour la réutilisation de leurs articles ; la défense de la territorialité des droits, clé de voûte du financement de la production audiovisuelle en Europe, et condition de son exportation ; la consécration d’un droit à une juste rémunération pour les auteurs, notamment pour l’exploitation en ligne de leurs œuvres dans tous les territoires de l’Union ; la responsabilisation des plateformes dans la protection du droit d’auteur et la lutte contre les contenus illicites.

Nous portons également d’autres propositions plus techniques mais très importantes, comme la clarification du statut de l’injection directe ou la sécurisation du dispositif du Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE) au niveau communautaire.

Ces différents textes sont en cours de négociation. Ce n’est pas simple… La Commission a repris certaines propositions françaises – sur le partage de la valeur ou les droits voisins. Mais aucune majorité ne se dégage parmi les États membres. Cela pousse aux compromis. Mais les compromis ne sont que des solutions dégradées : nous devons rester fermes. Je suis mobilisée au sein des institutions européennes et auprès de mes homologues. J’irai fréquemment à Bruxelles pour échanger avec les commissaires, les parlementaires et les organisations professionnelles. Mais j’ai également besoin de votre mobilisation et vous lance ici un appel : sensibilisez les autres parlements nationaux à la cause du droit d’auteur ; animez la mobilisation en faveur de la presse et des créateurs. Les intérêts de nos concitoyens sont en jeu. Votre action sera précieuse.

Le deuxième grand dossier est lié à la révision de la directive SMA. Le texte issu du Conseil des ministres européens du 23 mai marque trois avancées majeures : le droit de faire contribuer les acteurs de la diffusion au financement de la création, même lorsqu’ils sont établis dans un autre État membre – en France, par exemple, Netflix sera soumis aux mêmes règles que Canal+ ou Orange ; la création d’un quota minimum de 30 % d’œuvres européennes dans le catalogue des plateformes de vidéo en ligne – il n’y avait aucune obligation jusque-là ; la responsabilisation des plateformes de partage de vidéos et des réseaux sociaux dans la lutte contre les discours violents, haineux ou incitant au terrorisme. Il a fallu négocier avec vigueur pour obtenir ces avancées. Le soutien de l’Allemagne – qu’il a fallu convaincre – a été crucial. Mais rien n’est acquis : les discussions continuent aujourd’hui avec le Parlement européen. Là encore, nous avons besoin que tous les acteurs se mobilisent.

Le projet de règlement « e-privacy » est le troisième grand dossier en cours. Le texte de la Commission prévoit d’encadrer davantage l’utilisation des traceurs de données que sont les cookies, au nom de la protection des utilisateurs. La France partage cet objectif fondamental. Toutefois, elle défend un assouplissement de ce projet de règlement. En effet, un blocage trop binaire des cookies empêcherait les éditeurs de presse de les utiliser comme outil de suivi d’audience, pour recommander des articles ou proposer des publicités ciblées. Seuls les grands acteurs de l’internet que sont Google, Apple, Facebook, Amazon (GAFA) pourraient faire de la publicité ciblée – puisqu’ils ont toutes les données ! Ce système peut mettre en danger le modèle économique de la presse donc, in fine, le pluralisme des médias. C’est un risque grave pour notre État de droit ! Jusqu’à maintenant, peu de pays ont réagi aux propositions de la Commission. Cela nous donne le temps de faire valoir nos arguments. Mais le Parlement est sur une ligne très dure, proche de la Commission. La discussion s’annonce très compliquée. À nouveau, j’en appelle à votre mobilisation.

L’Europe protège la création. Elle doit aussi protéger le patrimoine, vecteur de lien pour nos concitoyens. En avril dernier, 2018 a été proclamée « année européenne du patrimoine culturel » : il s’agit de permettre aux citoyens européens de se retrouver autour d’événements symboliques. Pour en faire un moment de mobilisation politique, Emmanuel Macron a appelé de ses vœux la tenue d’Assises européennes du patrimoine. La France sera à l’initiative : nous devons profiter de ce contexte pour bâtir le socle d’une stratégie commune pour le patrimoine. Je souhaiterais notamment proposer d’identifier des œuvres et des monuments qui constitueraient un « patrimoine commun » de référence pour tous les citoyens européens.

Je souhaite renforcer un deuxième principe fondateur de l’Europe : la liberté. Deux axes nous guident en la matière : la liberté de création et la liberté de circulation. L’Europe soutient déjà la liberté de création depuis plusieurs années. Dans les années 1990, le programme MEDIA, devenu depuis « Europe Créative », a permis de financer de nombreux projets culturels. Son budget doit pour le moins être préservé, malgré le Brexit. Les industries culturelles et créatives sont le troisième employeur en Europe, avec 14 millions d’emplois. Elles représentent 6,8 % du produit intérieur brut (PIB) européen. Il est de notre responsabilité de les soutenir et de les aider à se développer.

Nous devons par ailleurs encourager et accompagner la liberté de circulation : c’est en voyageant que nos concitoyens nourriront leurs attaches européennes. C’est l’esprit de l’Erasmus de la culture, que nous portons notamment avec l’Italie, l’Espagne, et l’Allemagne : nous voulons favoriser la mobilité des artistes et des professionnels
– conservateurs, traducteurs par exemple – par des partenariats ou des programmes d’accueil. J’ai proposé à mes homologues de lancer en 2018 un projet pilote autour des métiers du patrimoine.

Le projet de Pass Culture européen vise également à favoriser la circulation de nos concitoyens. La France créera un Pass national dès l’an prochain ; avec plusieurs ministres, nous travaillons à sa déclinaison à l’échelle européenne.

La solidarité est le troisième principe au cœur de la refondation de l’Europe. À l’heure où notre continent traverse une crise d’identité et connaît une résurgence des nationalismes, nous devons appeler chacun à la fraternité. La participation à la vie culturelle joue ce rôle décisif. C’est un droit fondamental pour les plus fragiles, ceux qui souffrent d’exclusion, notamment les migrants. À Francfort, nous nous sommes accordés sur l’importance de leur garantir ce droit à la vie culturelle. Nous avons échangé à propos d’initiatives pour favoriser les activités artistiques ou l’apprentissage de la langue. L’esprit européen, c’est également cela.

Telles sont les grandes lignes de mon projet pour l’Europe, pour « faire l’Europe », comme disait Julien Benda, et pour la faire là où elle a commencé, c’est-à-dire par la culture.

Mme Fannette Charvier. S’agissant des politiques culturelles, l’Union européenne agit en respectant le principe de subsidiarité : chaque pays traite comme il l’entend les questions liées à la culture et l’Union vient en complément. Elle soutient ainsi l’ensemble des intervenants, des collectivités locales aux associations, en passant par les professionnels du secteur.

Cette approche européenne permet parfois d’aller plus loin que ne le feraient des politiques nationales isolées. C’est le cas du marché unique de l’audiovisuel ou du programme visant à rendre l’internet plus sûr pour les enfants. Mais, on a parfois l’impression que les politiques menées visent davantage à soutenir les politiques et structures culturelles des États membres qu’à faire émerger une culture européenne supranationale. Cette culture, et plus largement l’identité européenne, sont pourtant au centre des enjeux actuels, face à la montée de l’euroscepticisme.

Quelles propositions comptez-vous porter auprès de vos homologues européens afin de favoriser l’émergence de cette culture européenne, qui renforcera le sentiment d’appartenance de nos concitoyens à une communauté européenne, dans le respect de la diversité des traditions et cultures nationales et régionales ?

Mme Constance Le Grip. Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier encore une fois pour votre engagement sans faille, ainsi que celui de vos équipes, en faveur des principes fondateurs de la diversité culturelle et de la liberté de création, que vous défendez auprès des institutions européennes et de vos homologues. Je salue votre combat pour la reconnaissance pleine et entière du droit d’auteur : ce combat était à l’origine français, il est maintenant totalement partagé.

Vous nous avez rendu assez précisément compte de l’état d’avancement d’un certain nombre de projets de textes très importants. Certains sont en discussion depuis fort longtemps au sein des institutions européennes, comme le projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, le projet de règlement dit « câble et satellite » ou le projet de révision de la directive SMA. Les députés du groupe Les Républicains réaffirment ici leur total engagement en faveur de la reconnaissance du droit d’auteur, surtout à l’ère numérique. La reconnaissance de la valeur du travail du créateur implique une juste rémunération de ce travail, un partage de la valeur, la territorialité des droits, mais également la pérennisation du système de financement, afin que les activités culturelles se développent et perdurent.

Pourriez-vous par ailleurs confirmer à la représentation nationale que l’axe franco‑allemand est maintenant stabilisé pour les grands enjeux que vous venez de nous présenter ?

M. Pierre-Yves Bournazel. En 2015, la Commission européenne a lancé une concertation publique, puis une évaluation, afin de mettre à jour le cadre réglementaire audiovisuel et réviser la directive SMA. Quatre éléments clés émergent : un assouplissement des règles de diffusion de la publicité, qui passerait de douze minutes par heure à 20 % en moyenne par jour – entre sept heures du matin et onze heures du soir ; la protection des mineurs contre les contenus susceptibles de leur nuire ; l’élargissement des dispositions relatives aux œuvres européennes, afin de mieux les mettre en valeur ; l’élargissement du champ d’application de la directive aux plateformes de partage de vidéos en matière de lutte contre les propos haineux et de protection des mineurs contre les contenus susceptibles de leur nuire.

Où en sont les négociations au niveau européen ? Des concertations seront-elles lancées en France, en 2018, afin de proposer un nouveau projet de loi pour l’audiovisuel ? Dans l’affirmative, disposez-vous d’un calendrier et pouvez-vous nous présenter quelques mesures ?

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Permettez-moi tout d’abord de souscrire à vos propos introductifs sur l’importance de la culture pour notre continent, afin de forger un espace public européen. Cette dimension était extrêmement prégnante dans le discours du candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron. Ce discours a parlé aux Européens. Il convient d’encourager l’idée extrêmement importante, développée alors, d’un sommet européen de la culture, destiné non pas à réunir les chefs d’État et de gouvernement qui viendraient expliquer ce qu’est la culture européenne, mais plutôt à rassembler celles et ceux – artistes, journalistes, écrivains, musiciens, philosophes et autres – qui font la culture européenne au quotidien et viendraient exprimer leurs attentes.

Une réflexion est-elle menée en ce sens par votre ministère, et par notre Gouvernement ? J’espère que nous pourrons avancer vers cette belle et importante idée et que vous la soutiendrez.

Mme Josette Manin. L’héritage culturel que partagent les Européens est souvent associé à une histoire commune : la civilisation grecque, le droit écrit dans l’Empire romain, le christianisme au Moyen-Âge, etc. L’Europe, avec ses 4,5 millions de km², est peuplée de plus de 511 millions d’habitants. Loin d’être uniquement issue d’une culture occidentale, l’Union européenne se nourrit également des cultures venant de territoires géographiquement éloignés du vieux continent.

Les régions ultrapériphériques d’Europe sont les premières frontières et l’avant-garde de l’Union. Elles sont empreintes d’une multiculturalité exceptionnelle. Pour ne citer que le cas français, cette dernière tient parfois à son histoire indigène – en Guyane avec les natifs amérindiens –, mais aussi à l’immigration liée à son passé colonial – en provenance d’Asie, d’Afrique et d’Amérique, comme pour la Réunion et la Martinique. On pourrait aussi citer les territoires d’autres États membres.

Pouvez-vous nous dire quelles actions sont prévues au niveau français pour pérenniser ces cultures au sein de l’Union européenne et pour les faire connaître et reconnaître quand ce n’est pas le cas ?

Mme Maud Petit. Depuis quelques années, le crowdfunding – ou financement participatif – enregistre une croissance considérable en Europe. La diminution des subventions et les restrictions budgétaires dues à la crise financière ont fortement touché le financement des secteurs culturels et créatifs. Cette forme alternative de financement est donc apparue comme une méthode innovante et pertinente pour réaliser des projets culturels.

Dans une étude publiée en juillet 2017, la Commission européenne estime qu’environ 75 000 campagnes ont été lancées par les organisations créatives et culturelles européennes depuis 2013, représentant 247 millions d’euros de financements pour les projets.

En Europe, la France est moteur en matière de financement participatif culturel. Les projets français représentent 30 % des campagnes européennes et 22 % du volume de transactions. Comment encourager le développement de ce type de mécénat au niveau européen ? Au-delà de son apport financier, le financement participatif s’inscrit dans un processus beaucoup plus large d’implication dans un projet culturel, qui va dans le sens d’un renforcement du lien entre le citoyen européen et la culture et doit, à ce titre, être encouragé.

Mme la ministre. Madame Charvier, votre question sur l’identité européenne de la culture rejoint un peu celle de M. Anglade : comment faire émerger une identité européenne et un sentiment d’appartenance à l’Union ? Il faut tout d’abord accepter et accueillir la diversité car l’unité naîtra de cette diversité. Les dispositifs déjà évoqués accompagneront cette dynamique : Erasmus de la culture, Pass Culture, année européenne du patrimoine, dispositifs de soutien à la traduction. À l’heure où l’Europe est confrontée à des défis qui questionnent les politiques et le projet européens, j’ai à cœur d’agir afin de redonner à nos concitoyens ce goût de l’Europe.

Je suis convaincue que la culture est l’un des principaux leviers de réappropriation du projet européen. Au niveau européen, je suis mobilisée pour protéger les créateurs, en défendant la politique de quotas dans le cadre de la révision de la directive SMA. Les citoyens européens doivent avoir accès aux créations européennes : sans quota, c’est comme si les Européens ne croyaient pas à leurs propres créations ! Il était très important de se mobiliser et, lors du Conseil des ministres du 23 mai dernier, nous avons obtenu que le quota des services de vidéo à la demande soit porté à 30 %.

La rencontre conviviale et informelle que j’ai organisée avec certain nombre de ministres européens de la culture, à la faveur de la foire du livre de Francfort, était également une manière de promouvoir une Europe de la culture incarnée auprès des citoyens. Nous nous sommes accordés, à cette occasion, sur un certain nombre de projets en matière de traduction, sur l’importance de marquer cette année européenne du patrimoine, sur le Pass Culture européen. En conséquence, j’ai demandé à la présidence estonienne de consacrer un point d’information du conseil des ministres du 21 novembre prochain au thème « Refonder l’Europe par la culture », afin de présenter les conclusions de cette réunion.

Madame Le Grip, vous m’interrogez sur la stabilisation de l’axe franco-allemand. Nos relations sont excellentes. Nous sommes, ensemble, force de propositions au niveau communautaire, même si nous attendons actuellement la nomination de mon alter ego. Avec mon homologue Monika Grütter, il était important d’organiser cette réunion à Francfort, afin d’illustrer l’esprit de notre relation, faites de projets très concrets et extraordinaires, comme cette remarquable réussite qu’est Arte.

Lors du conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier, je me félicite que la chancelière et notre Président se soient accordés sur une feuille de route ambitieuse pour la culture. Nous travaillons au quotidien pour mettre en œuvre ces objectifs partagés : mobilisation commune pour la protection du patrimoine, mobilité des professionnels de la culture, défense et promotion de la diversité du paysage audiovisuel européen. Je ne peux que me féliciter que la chancelière et notre président aient pu s’engager ensemble pour la préservation de la diversité culturelle et pour lancer le projet Erasmus de la culture. Le mois dernier, lors de l’inauguration de la foire de Francfort, ils ont affirmé de façon très claire et très solennelle, dans des discours forts, la volonté d’une meilleure prise en compte des politiques culturelles, en particulier la défense du droit d’auteur, et on retrouve la même proximité dans leurs positions sur les principaux dossiers communautaires.

Pour ce qui est du droit d’auteur, nous travaillons en commun à la préservation des droits des auteurs de manuels scolaires et à la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, mais nous n’avons pas encore de position commune sur deux autres sujets prioritaires : partage de la valeur et territorialité des droits dans le cadre de la diffusion de programmes audiovisuels en rattrapage, deux points sur lesquels nous allons devoir avancer.

Le soutien de l’Allemagne à la directive SMA a été très important lors du dernier Conseil des ministres de la culture, et c’est grâce à lui que le Conseil a adopté le relèvement à 30 % du quota d’œuvres européennes sur les services de médias audiovisuels à la demande, ainsi que les mesures de protection des mineurs et des publics sur les plateformes de partage de vidéos. Cependant, le combat n’est pas encore gagné, car la directive doit maintenant être négociée avec le Parlement européen, et nous devons veiller à ce que l’Allemagne reste à nos côtés.

Pour conclure sur ce point, nous partageons également la même position que nos voisins d’outre-Rhin sur la proposition de règlement sur le géoblocage, le nécessaire respect du droit d’auteur et l’importance de la territorialité de ce droit dans le financement des contenus culturels. Tels sont les principales positions de l’axe franco-allemand en matière de politique culturelle.

M. Bournazel m’a demandé si, après l’adoption de la directive SMA, des concertations seraient lancées en 2018 en vue de sa transposition dans une nouvelle loi sur l’audiovisuel. Si l’adoption de la directive dans le cadre du Conseil des ministres de la culture a constitué un grand succès diplomatique – en 2013, personne ne pouvait imaginer que nous parviendrions à ce résultat –, il nous reste, avant de passer à la transposition en droit français, à convaincre le Parlement européen d’accepter le texte du Conseil. J’ai fait en sorte que les professionnels concernés soient associés à l’élaboration de la loi ayant pour objet de transposer la directive SMA en 2018. Cette concertation est déjà en cours : mes services organisent régulièrement des réunions avec les syndicats et les associations concernés, afin d’échanger sur les positions défendues par la France dans les enceintes communautaires sur la directive SMA. Par ailleurs, nous sommes en contact informel avec l’ensemble des acteurs, estimant que nous devons maintenir en permanence des relations avec eux, car c’est bien en multipliant les prises de contact, comme nous l’avons fait à Francfort, que nous parviendrons à la transposition de la directive.

Madame Petit, on ne peut que se féliciter que le crowdfunding porte porte sur des montants importants. Nous devons réfléchir aux moyens d’encourager cette pratique, et je pense que le programme Europe Créative peut être l’une des façons d’accompagner ce dispositif innovant en lequel nous croyons beaucoup.

Mme Manin m’a interrogée sur la multiculturalité des territoires éloignés, notamment des départements et territoires d’outre-mer, et sur les moyens de préserver et valoriser la diversité de notre culture européenne, qui représente un symbole extrêmement fort. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici même, reprenant une distinction établie par Édouard Glissant, il faut défendre la mondialité, et non la mondialisation. La mondialité, c’est le respect de toutes les identités culturelles qui, ensemble, sont plus fortes, et c’est de la richesse des différences que naît l’union – je rappelle une nouvelle fois la devise de l’Union européenne : « Unie dans la diversité ».

M. Raphaël Gérard. Madame la ministre, vous venez en partie de répondre à la question que j’avais prévu de vous poser sur la place du patrimoine et de la culture des outre‑mer. À ce sujet, 2018, année européenne du patrimoine, va revêtir une importance particulière. Cela me donne l’occasion de vous interroger sur ce que vous comptez faire pour la promotion de notre patrimoine, et comment vous comptez y intégrer le patrimoine des outre‑mer, afin de promouvoir les cultures ultramarines dans l’Hexagone, mais aussi de montrer que l’Europe culturelle déborde largement des frontières de l’Europe géographique.

Mme Marietta Karamanli. En 2015, nous avions présenté, lors d’une réunion de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires culturelles, une résolution sur le droit d’auteur, par laquelle nous demandions la libre diffusion des résultats de la recherche publique, dans le cadre d’un libre accès en « voie verte » – c’est-à-dire par le dépôt des copies en archives avec un accès ouvert au public –, système qui garantit les droits des chercheurs scientifiques et des organismes de recherche tout en permettant l’accessibilité des autres chercheurs aux publications – un principe que le projet de directive semble maintenir.

Je rappelle que si la matière première est fournie par des chercheurs, leur production est publiée dans des revues appartenant à de grands groupes. Si le projet prévoit aujourd’hui la prise en compte de ce droit, il pose aussi le principe d’exceptions pour la sécurité et l’intégrité des réseaux au profit des éditeurs. Pouvez-vous nous faire connaître la position du Gouvernement sur ce droit aux fouilles des textes et des données ?

Mme Géraldine Bannier. Si certains pays européens sont très avancés dans le domaine de la radio numérique – je pense à la Suisse, l’Allemagne ou la Norvège –, en France, le déploiement de la radio numérique terrestre (RNT), engagé dans quelques grandes villes, notamment Paris, Marseille et Nice, se heurte à des réticences à l’égard de ce qui est perçu comme une concurrence nouvelle. Entre le « tout internet » et le maintien de la radio hertzienne, la RNT pourrait constituer une solution à la saturation de la bande FM, à condition de régler les problèmes de régulation du secteur. La France va-t-elle s’engager, comme d’autres pays européens, sur la voie de la RNT ?

M. Patrice Anato. Vous avez déclaré vouloir travailler au prix unique du livre dans les pays européens. Cette mesure, qui existe en France depuis la loi Lang de 1981, part du principe que le livre n’est pas un produit marchand comme les autres, et consacre une égalité des citoyens devant le livre, qui est ainsi vendu au même prix dans tout le territoire national. Vous semblez vouloir étendre ce principe au territoire européen, ce qui me semble extrêmement positif. J’aimerais savoir si vous avez pu discuter de cette question avec vos homologues européens et, le cas échéant, quelles sont les positions exprimées par nos voisins.

À ce propos, le dernier Conseil « Éducation, culture et jeunesse » a adopté, en mai dernier, une recommandation relative au cadre européen des certifications pour l’apprentissage, avec pour objectif une amélioration de la transparence, de la transférabilité et de la comparabilité des certifications dans l’Union, tout en améliorant l’employabilité. Elle prévoit un cadre de référence commun pour les systèmes nationaux de certification. Disposez‑vous d’éléments d’information complémentaires sur les prochaines étapes en la matière ?

M. Jean-Louis Bourlanges. L’Union européenne va engager des négociations à caractère commercial, mais ayant une incidence culturelle évidente, avec certains pays tels que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Quel cadre juridique envisagez-vous pour ces négociations, étant précisé que les principes relatifs à ce qu’on appelle – de façon assez impropre, d’ailleurs – l’exception culturelle française prévoient des règles très protectrices, notamment en termes d’unanimité ? Estimez-vous que ces aspects culturels doivent faire l’objet d’une négociation distincte du « paquet » général, auquel s’applique la règle de la majorité qualifiée, classique en droit communautaire, ou considérez-vous que la dimension culturelle des accords doit conduire à une espèce de préemption générale de la négociation, entraînant l’application du principe d’adoption à l’unanimité au Conseil, suivie d’une ratification par les parlements nationaux ?

Il y a là un enjeu très important, car nous sommes à la fois très attachés à la spécificité culturelle française et très préoccupés par le caractère paralysant que pourrait revêtir une négociation supposant un accord à vingt-sept – dans l’hypothèse d’une réalisation du Brexit –, suivie d’une ratification par les parlements nationaux, ce qui, on l’a vu avec le CETA, n’est pas sans poser de graves problèmes.

Mme Frédérique Meunier. Ce matin, Mme Saragosse, présidente directrice générale de France Médias Monde, a évoqué devant nous la question des radios et autres médias venant de pays tels que la Chine ou la Russie, qui cherchent à se développer sur le continent africain au détriment des médias français. Elle a appelé notre attention sur l’ampleur croissante de ce phénomène, qui peut avoir pour conséquence que se répandent de fausses informations telle celle, terrifiante, que le gouvernement français serait à l’origine de l’attentat de Charlie Hebdo.

Ce risque n’est pas à prendre à la légère, quand on sait que l’Afrique est très à l’écoute de certains médias tels que France 24 : la reprise et la propagation de telles rumeurs pourraient avoir pour conséquence d’exciter les rancœurs contre la France, parfois encore perçue comme une puissance coloniale. Quelle est votre position sur ce point, et quelles mesures de vigilance envisagez-vous pour contrer l’influence néfaste de ces médias étrangers en Afrique ?

Mme la ministre. M. Gérard m’a interrogée au sujet du patrimoine des outre-mer. À ce sujet, je me félicite une fois de plus que la France soit, aux côtés de l’Allemagne, à l’initiative de l’année européenne du patrimoine, au moment où l’Europe a de plus en plus besoin de réaffirmer son unité. Comme le Président de la République l’a rappelé à plusieurs reprises, notamment à Athènes en septembre, le patrimoine est l’un des socles communs de la civilisation européenne, et c’est en partant de ce principe que nous avons engagé une réflexion sur les patrimoines européens remarquables.

J’ai souhaité que, cette année, la labellisation des événements des journées du patrimoine soit déconcentrée auprès des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), afin que la culture et le patrimoine soient au plus près des citoyens et des territoires. Les DRAC labelliseront ainsi des projets à l’échelle de leurs territoires – donc au niveau local, régional, interrégional ou transnational –, et je suis très attachée à ce que les régions ultramarines puissent également participer à cette dynamique. Les DRAC pourront valoriser des projets menés en collaboration avec les pays voisins, afin de permettre la mise en réseau de collections des musées – je pense aux collections des musées amazoniens de la Guyane, du Suriname et du Brésil, ou au projet de redynamiser l’Association des musées de l’Océan indien, à savoir ceux de la Réunion, de l’île Maurice, de Madagascar, des Seychelles, des Comores et de Mayotte.

Je souhaite que l’on donne ainsi la possibilité à nos concitoyens de comprendre la dimension européenne du patrimoine. À cet égard, l’action du Centre des monuments nationaux, qui présente l’histoire et les valeurs communes de l’Europe sur l’ensemble du réseau des monuments nationaux, est remarquable. Je voudrais également mieux faire connaître le label du patrimoine européen, et que les initiatives françaises essaiment dans d’autres pays : je pense notamment aux Rendez-vous aux jardins, très belle manifestation dont la seizième édition aura lieu début juin 2018 dans les jardins de France, mais aussi à l’étranger – je crois que cinq pays y prennent part –, ou encore à l’opération La classe, l’œuvre ! destinée aux scolaires et se tenant dans le cadre de la Nuit européenne des musées. Ces initiatives françaises sont souvent très suivies en dehors de nos frontières, notamment grâce à internet, et font l’objet de reprises.

La résolution sur le droit d’auteur adoptée par la Commission européenne est un sujet important, que je connais bien. La proposition de directive prévoit la création d’une exception, afin de permettre aux chercheurs de l’Union européenne d’utiliser plus facilement les technologies dites de text and data mining – en français, fouille de textes et données – pour analyser de gros volumes de données. Les contours de cette exception vont au-delà de ce que la loi pour une République numérique a reconnu et, dans le cadre des discussions au niveau communautaire, je m’attache à ce que l’exception reflète au mieux l’équilibre retenu dans la législation française, qui peut être exemplaire à ce niveau.

La radio numérique évoquée par Mme Bannier n’est pas un sujet européen, mais national, avec une implication forte du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Vous savez, monsieur Bourlanges, que je suis très attachée à l’exception culturelle. La garantie de protection de l’exception culturelle dans les négociations commerciales internationales est une vraie nécessité, qui mérite toute notre attention, car c’est d’elle que dépend le futur de la diversité culturelle en Europe. Elle permet aussi d’entrer avec succès dans l’ère numérique en créant de l’activité et des emplois, et je veillerai à ce que les services culturels voient leur spécificité reconnue, afin que les accords négociés par l’Union européenne continuent d’exclure totalement les services audiovisuels, dans le respect du principe de neutralité technologique, à l’instar de l’accord conclu avec le Canada. Cette exclusion, qui a été maintenue après une très forte mobilisation dans le mandat de négociation du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement – le TAFTA – est essentielle et revêt un caractère structurant pour la diversité culturelle.

Cette position que je défends fermement, notamment dans les négociations en cours avec le Japon, permet de maintenir les moyens d’une véritable politique culturelle, notamment les quotas et les dispositifs de soutien, mais également de préserver notre capacité à faire évoluer nos politiques dans le secteur culturel et audiovisuel. Enfin, contrairement aux services audiovisuels, certains services culturels comme le secteur de l’édition – considérés depuis 1994 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) comme des services fournis aux entreprises, et non comme des services culturels – ont été libéralisés à l’occasion de l’adhésion de l’Union européenne à l’OMC en 1994. Toutefois, cette libéralisation a été assortie de réserves nationales, qui préservent les politiques de protection, de soutien et de promotion de ces secteurs. Nous devons continuer à faire preuve de vigilance en la matière.

M. Anato m’a interrogée sur le prix unique du livre au niveau européen. Je rappelle que le prix unique du livre a été l’une des grandes lois adoptées par la France en 1981. Cette mesure a permis le maintien d’un écosystème du livre dynamique, ainsi que de la diversité éditoriale et de la reconnaissance des auteurs. De nombreux pays souhaitant évoluer dans la même direction viennent vers nous pour que nous les accompagnions dans cette voie, l’exemple français leur montrant qu’une telle disposition permet le maintien de la diversité économique et de la création. Nous conseillons actuellement la Belgique, la Grèce et la Croatie. Nous soutenons également l’extension de cette loi au livre numérique. Je pourrais évoquer encore de nombreux points à ce sujet, notamment celui de l’interopérabilité du livre : nous nous battons pour que l’Europe empêche que les GAFA ne contraignent les lecteurs à acheter des fichiers de livres numériques dédiés, c’est-à-dire uniquement compatibles avec leur liseuse.

Madame Meunier, vous avez évoqué la problématique des médias russes et chinois qui cherchent à se développer en Afrique. J’ai aussi constaté le phénomène au Mexique, mais il est vrai qu’il constitue un problème particulier sur le continent africain. Si internet est porteur de possibilités nouvelles pour la diffusion de la culture, il peut aussi receler de véritables dangers, notamment en ce qu’il permet la diffusion de contenus anonymes et la propagation de fake news. Je rappelle que la loi sur la presse, qui réprime la diffamation et la diffusion des fausses informations, est applicable à internet, et je récuse donc l’idée selon laquelle internet serait une zone de non-droit.

Les poursuites à l’encontre des auteurs de fausses informations ne peuvent toutefois suffire : il faut aussi responsabiliser les plateformes qui permettent la propagation de ces informations à grande échelle, et cela ne peut se faire qu’au niveau européen. Cela constitue un axe de travail essentiel au sein de la Commission, et, de ce point de vue, avoir obtenu l’inclusion des plateformes de partage de vidéos au sein de la directive SMA constitue une première avancée. Une communication sur les contenus illégaux en ligne a également été adoptée par la Commission en septembre 2017, définissant des lignes directrices communes à l’échelle de l’Union européenne pour assurer l’efficacité du retrait des contenus problématiques par les plateformes en ligne. Par ailleurs, le calendrier de travail de la Commission européenne indique qu’une initiative non législative sera proposée au cours du premier semestre 2018.

Pour conclure sur ce point, je veux insister sur l’importance de la francophonie et du maintien des médias français en Afrique, qu’il s’agisse de l’AFP ou de France Médias Monde. L’Afrique est aujourd’hui au centre de l’attention de nombreux pays, et la présence croissante de la Chine dans le continent africain doit nous inciter à la plus grande vigilance, et à redoubler nos efforts en faveur de la francophonie et des médias qui la véhiculent.

M. Stéphane Testé. Madame la ministre, je souhaite aborder la question des ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil, au cœur des quartiers populaires de Seine‑Saint-Denis. Il y a sept ans est née une belle idée, celle de jumeler une tour située dans le grand ensemble de Clichy-sous-Bois-Montfermeil avec la prestigieuse Villa Médicis de Rome. Suite à la démolition de cette tour dans le cadre d’un programme de renouvellement urbain, il a été décidé de construire un premier bâtiment innovant et éphémère qui doit ouvrir au public en 2018, après un riche programme préalable intitulé « Hors les murs ». Un futur équipement est prévu pour 2024, sur une superficie de 800 mètres carrés.

Les élus locaux des deux villes, dans leur diversité politique, ont été convaincus des vertus que l’excellence culturelle pouvait avoir pour leur territoire, avec ce site culturel situé à quelques minutes de Paris grâce à la future ligne 16 du métro. Le site a survécu à toutes les alternances : de Frédéric Mitterrand à Audrey Azoulay en passant par Fleur Pellerin, tous les ministres de la culture s’y sont rendus – j’aurai également grand plaisir à vous y accueillir prochainement, madame la ministre –, et l’actuel Président de la République est venu le visiter ce lundi.

Ce lieu fonctionne via un établissement public de coopération culturelle entre les villes et l’État, en partenariat avec la DRAC Île-de-France. Cette ouverture sur le Grand Paris est beaucoup plus qu’une ambition locale car, outre la Villa Médicis à Rome, des liens sont prévus avec des partenaires aussi prestigieux que la Casa Velázquez à Madrid ou la Villa Kujoyama à Kyoto. Pouvez-vous confirmer l’attachement et le soutien pérenne de votre ministère à ce projet artistique, culturel et architectural innovant, à dimension européenne, qui doit être un lieu de création, de recherche et de transmission pour les artistes en résidence qu’il accueillera ?

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, je me permets de vous rappeler que cette audition s’inscrit dans le cadre du Conseil des ministres de l’Union européenne qui aura eu lieu la semaine prochaine, et que vos questions doivent, dans la mesure du possible, être en rapport avec cette réunion…

Mme Frédérique Dumas. L’exception culturelle est l’un des moyens de préserver les services audiovisuels et une partie du secteur culturel de la mondialisation, et de continuer à assurer une régulation dans ce domaine, sur la base des grands principes permettant de préserver la diversité culturelle, les obligations d’investissement, les quotas d’exposition et le prix unique du livre. C’est un héritage qui transcende tous les clivages, que tous les ministres de la culture portent les uns après les autres, et qui se trouve renouvelé à l’heure du numérique, où de nouveaux combats sont à mener – ce que vous faites.

Nous avons créé un groupe de travail, que je préside, sur le droit d’auteur. Ouvert à la majorité, mais aussi à l’opposition, il comprend parmi ses membres Constance Le Grip et Marietta Karamanli, qui se sont beaucoup investies sur ce sujet. Bien évidemment, tous les députés qui souhaitent soutenir votre action dans ce domaine y sont les bienvenus.

En prévision du trilogue sur la directive SMA qui va s’ouvrir le 28 novembre prochain, quelles sont les dernières avancées techniques sur ce point fondamental à plusieurs égards, notamment pour résoudre les problèmes de concurrence déloyale ?

Mme George Pau-Langevin. Nous réunir avant le Conseil est une bonne initiative, et j’espère qu’elle sera renouvelée.

Je reviens à la directive SMA et à la diffusion de propos haineux, homophobes ou autres. Dans notre pays, ce sont les associations qui sont à la pointe de la lutte pour faire disparaître ou condamner ce type de propos. Pourrait-on prévoir, dans le cadre de la révision de la directive, de garantir le droit de ces structures à intervenir dans le cadre européen ?

Mme Nadia Essayan. La refonte de l’Europe par la culture est une de vos ambitions pour les cinq prochaines années. La culture a été le socle de l’Europe et l’oubliée du projet européen ; il est temps de lui redonner une place centrale. Cette idée est au cœur du projet porté par le Mouvement démocrate.

Dans votre tribune, publiée dans Le Figaro le 11 octobre, vous avez annoncé le lancement du programme Erasmus de la culture. J’aimerais que vous reveniez sur le volet artistique, auquel des crédits importants ont été accordés, soit 1,4 milliard d’euros. Comment sera-t-il décliné et en fonction de quelles priorités ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Le règlement relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenus numériques payants dans le marché intérieur a été publié, le 30 juin dernier, au Journal officiel de l’Union européenne. Ce règlement vise à instaurer une portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne dans les pays de l’Union. Ainsi, les abonnés à des services de contenu en ligne portables légalement fournis dans leur État membre de résidence pourront avoir accès à ces services et les utiliser. Concrètement, toute personne qui a souscrit un abonnement payant pour suivre sa série préférée, écouter de la musique ou assister à des manifestations sportives à domicile pourra en faire autant lorsqu'elle séjournera temporairement dans un État membre autre que son État membre de résidence. Le règlement est entré en vigueur le 19 août et sera applicable à partir du 20 mars 2018.

Cette mesure, combinée à la fin des frais d’itinérance pour les services mobiles, devrait faciliter la consommation d’internet. On peut toutefois noter certaines limites. Les entreprises n'auront pas d'obligation de qualité de service en dehors du pays d'origine. Autrement dit, si un contenu est bien consultable en dehors du pays de résidence, la qualité de service n'est pas garantie. Cela ne devrait, en principe, pas poser de problème pour des services présents dans la majeure partie des États membres, mais bien plus pour d'autres qui sont liés à un pays particulier. De plus, seuls les contenus payants étant visés, les contenus fournis gratuitement comme la radio et la télévision, sont exclus du règlement.

Ma question porte sur un point précis du règlement, à savoir la notion de « déplacement temporaire ». Dès 2015, la France a indiqué qu’elle sera attentive à ce que cette portabilité soit assurée de manière effective pour les déplacements temporaires, sans remettre en cause le principe fondamental de l'exploitation des droits d'auteurs dans chaque État membre. Pour vos prédécesseurs, cela signifiait une autorisation d’accès limitée à quelques heures ou jours, plutôt qu’à quelques semaines. Quelle est aujourd’hui la position du Gouvernement sur cette notion de « déplacement temporaire » qui, bien qu’au cœur de ce règlement, n’est pas définie par la norme européenne ?

Mme Jacqueline Dubois. Je voudrais vous interroger sur les échanges culturels liés à la jeunesse. Le festival du Film de Sarlat, en Dordogne, se tient cette semaine. Il a la particularité d’être le seul festival en France à organiser un festival parallèle destiné aux lycéens. Tout au long de la semaine, 600 jeunes de toute la France – et cette année du Québec – vont assister à des projections et à des conférences, et rencontrer des professionnels, en lien avec la programmation du festival mais aussi le programme de l’option Cinéma pour le baccalauréat. Ces jeunes vont aussi proposer leurs propres créations et réaliser durant cette semaine des courts métrages qui seront eux aussi présentés et primés ce vendredi.

Les festivals et événements culturels d’une certaine dimension pourraient, comme celui de Sarlat, s’ouvrir à des réseaux européens de lycéens, en intégrant un programme « jeunes » à leur programmation. Cela offrirait aux jeunes Européens l’occasion de se rencontrer autour d’un enjeu culturel et de partager un moment culturel fort, adossé à la création.

Madame la ministre, comment pourrait-on inciter ces festivals et événements culturels à créer un volet « jeunesse européenne », là encore pour favoriser un échange humain et la formidable ouverture d’esprit que portent évidemment le cinéma et les événements semblables ?

Mme Aurore Bergé. Je voulais revenir sur la directive relative aux droits d’auteur, et plus particulièrement sur son article 13, qui souhaite imposer aux prestataires de services l’obligation de prendre les mesures destinées à empêcher la mise à disposition d’œuvres protégées identifiées par les titulaires de droits. Or, les hébergeurs ont engagé une bataille contre cette mesure, car ils considèrent que cette charge serait trop lourde.

Quelle est la position de la France sur l’article 13, tel qu’il est aujourd’hui envisagé, et sa réponse à la contre-argumentation des hébergeurs ? Quels sont les autres pays européens qui peuvent nous accompagner sur ce sujet ou avec lesquels la France a une position commune ?

Mme la ministre. Même si le sujet n’est pas en lien avec le programme du prochain conseil de l’Union européenne en formation « Culture », monsieur Testé, les ateliers Médicis de Clichy-Montfermeil, qui ont été créés en s’inspirant de l’Académie de France à Rome, reposent en effet sur l’idée qu’ils doivent accueillir des artistes européens en résidence. Ouvert sur son environnement, ce lieu permettrait d’établir des passerelles entre les arts et les citoyens. La référence Médicis a été choisie comme garantie d’un projet différent et d’excellence. C’est pourquoi les moyens sont là. Il convient toutefois aujourd’hui d’accompagner la définition du projet, notamment en réfléchissant au lien avec l’Académie de France. Une structure temporaire a vocation à accueillir le projet de préfiguration de ces ateliers, jusqu’à l’inauguration effective en 2024. Une phase d’expérimentation a été lancée, afin d’implanter in situ un laboratoire de référence dédié à la jeune création et aux émergences artistiques et culturelles. Il s’agit d’un lieu éphémère. Je me réjouis que, dans ce cadre, des artistes français et européens aient déjà été accueillis en 2017, pour permettre à des projets de se monter dans chacune des trois principales actions. Nous attachons beaucoup d’importance à ce projet : la visite du Président de la République en atteste.

Madame Dumas, à propos de l’exception culturelle, je vous remercie d’avoir entendu l’appel aux parlementaires et créé un groupe de travail. Avec tous les interlocuteurs déjà reçus au ministère, nous nous rendons compte que les choses ne sont pas gagnées et qu’on aura besoin de toutes nos forces. Compte tenu de vos connaissances des sujets, il est extrêmement précieux que vous puissiez y travailler, je vous en remercie.

S’agissant de la directive SMA, vous me demandez quelles sont les avancées techniques sur la problématique du pays d’origine et m’interrogez sur l’évolution du trilogue. Je rappelle les enjeux : il faut renforcer la protection du public, aujourd’hui insuffisante sur les plateformes vidéo, et conjuguer ambition et équité concurrentielle entre les différents services de média audiovisuels, linéaires et non linéaires.

À l’initiative du Gouvernement, le texte actuellement négocié prévoit que les services de vidéo à la demande devront réserver un quota de 30 % d’œuvres européennes présentées dans leur catalogue. Ils seront assujettis aux obligations de contribution financière en vigueur dans l’État qu’ils ciblent, quel que soit le pays d’établissement. Je me suis battue personnellement pour cela. C’était à la veille de la négociation, je venais à peine d’arriver. Ce fut une victoire. Nous en sommes donc là aujourd’hui et il faut continuer à travailler. La meilleure réponse à votre question est sans doute la constitution de votre groupe de travail.

Madame Pau-Langevin, s’agissant du travail des associations dans la lutte contre les propos haineux, l’orientation générale votée par le Conseil des ministres de la culture du 23 mai inclut, pour la première fois, dans le champ de la réglementation audiovisuelle, cette notion, y compris au niveau des plateformes de partage vidéo et des réseaux sociaux. Cette extension, que nous avons souhaitée, apporte une réponse à la critique selon laquelle les plateformes n’auraient pas de responsabilité quant au contenu audiovisuel qu’elles mettent à disposition, alors qu’elles jouent un rôle désormais majeur dans leur diffusion en Europe.

Les plateformes de partage vidéo seront tenues de prendre des mesures appropriées, notamment pour protéger le public des vidéos comportant une incitation à la violence ou à la haine, voire à la commission d’une infraction terroriste. En ce domaine, la nécessité de responsabiliser les plateformes apparaît avec une grande évidence. Il faut, effectivement, qu’elles puissent s’appuyer sur les initiatives prises en la matière par certaines plateformes. Même si ces initiatives sont encore éparses et insuffisantes, elles témoignent d’une prise de conscience extrêmement importante.

Madame Essayan, le budget, le calendrier et les priorités de l’Erasmus de la culture seront discutés au prochain Conseil. À la suite de la réunion de Francfort, je propose une déclaration commune, car il faut très vite enclencher des actions concrètes. Cela passe aussi par les financements d’Europe Créative. C’est pourquoi nous allons aussi nous battre pour que ce budget soit, a minima, maintenu. Dans l’enthousiasme de la réunion de Francfort, nous avions même imaginé qu’il puisse augmenter. Pour démarrer concrètement, un projet pilote a été lancé pour Erasmus, à travers des échanges dans le domaine du patrimoine. Nous demandons à Europe Créative d’en faire une priorité. Cela marquera les esprits, je crois. On a vu l’impact extraordinaire d’Erasmus pour les étudiants, il est vraiment important de faire de même pour les artistes et les professionnels de la culture, tant on a à apprendre les uns des autres.

Madame Dubois, l’ouverture à la jeunesse du festival de Sarlat met effectivement en évidence l’excellente idée de s’ouvrir aux lycées européens. Ce festival réunit plusieurs centaines de jeunes lycéens cinéphiles de toute la France, qui passent le baccalauréat option Cinéma. Ils passent une semaine à découvrir des œuvres, à en débattre, mais aussi à en créer par le biais des différents ateliers. C’est un symbole du rôle-clé que peuvent jouer les festivals pour renouveler les nouveaux publics, mais aussi pour former les nouveaux talents. C’est important, car le cinéma est porteur de connaissances sur toutes les cultures. C’est pourquoi j’attache aussi beaucoup d’intérêt aux opérations de médiation que peut mener le Centre national du cinéma auprès des établissements scolaires, via le service civique. En accueillant des jeunes du Québec, le festival montre que le chemin passe aussi par l’ouverture aux autres cultures et par l’échange avec des jeunes d’autres pays. Il faut accompagner cette ouverture vers l’Europe et faire de ce festival un modèle qui puisse être décliné.

Mme Jacqueline Dubois. J’espère que vous viendrez l’année prochaine !

Mme la ministre. Avec un plaisir infini : je n’ai pas passé quarante ans dans le domaine de la culture pour me dérober à l’envie et au plaisir de la culture ! Le programme Europe Créative peut nous aider, car il attache également une grande importance à ce jeune public et aux coopérations entre festivals européens. Les soutiens sont rares, mais privilégient les actions en direction de la jeunesse, ainsi que l’innovation et la dimension transfrontalière.

Le programme Erasmus Jeunesse soutient l’éducation informelle des jeunes au travers de programmes de mobilité. Cela peut s’appliquer ici. Il n’est pas non plus exclu d’imaginer que, dans le cadre du Pass Culture européen, on puisse imaginer un accès à ce genre d’événements. Ce serait une façon de faciliter les mobilités des jeunes Européens. Je suis preneuse de toutes vos contributions en matière d’éducation de la jeunesse et suis ravie d’échanger avec vous à ce propos.

Madame Bergé, au sujet de l’article 13 de la relative aux droits d’auteur, la France a pour position que la valeur doit faire l’objet d’un juste partage entre ayants droit et plateformes. Les ayants droit doivent pouvoir autoriser l’exploitation de leurs contenus, surtout lorsqu’un contenu a été posté par l’utilisateur de la plateforme. Ils doivent aussi être rémunérés. Je salue donc la proposition de la Commission sur le partage de la valeur.

Cette proposition demeure toutefois trop timide. C’est pourquoi la France a présenté, dans le cadre des discussions au Conseil, un amendement cosigné avec d’autres États membres, qui précise sous quelles conditions les plateformes de partage vidéo réalisent un acte de communication au public. Lorsque ces conditions sont réunies, elles ne sont plus considérées comme de simples hébergeurs, elles doivent donc rémunérer les ayants droit et protéger la diffusion de leurs œuvres. C’est toute la question de la responsabilité des plateformes. Les discussions sont en cours et je vous assure de mon engagement pour défendre cette position essentielle, en vue d’assurer un marché équitable et plus durable pour les créateurs, grâce à qui nous sommes ici au bout du compte puisque c’est grâce à eux que la culture existe. La discussion n’est pas facile pour autant. C’est un vrai modèle de civilisation que nous défendons mais il faut se battre. Nous n’avons pas encore la majorité. L’Allemagne ne nous a pas encore exprimé son soutien. J’espère que la nomination de la future ministre allemande de la culture nous permettra d’avancer. Il faut vraiment se mobiliser pour obtenir gain de cause. Je ne peux même pas imaginer que ça ne soit pas le cas !

Madame Bono-Vandorme, s’agissant du déplacement temporaire, la France a soutenu l’adoption de ce règlement, qui demande qu’on trouve des solutions concrètes sans détricoter l’ensemble de la législation européenne sur la territorialité. Il faut en effet toujours faire attention : ouvrir une directive à des exceptions est extrêmement dangereux. La territorialité des œuvres est fondamentale pour la diversité culturelle et pour les exportations. Nous avons demandé une définition temporaire de la portabilité, mais nous ne l’avons pas obtenue. Soyons donc pragmatiques : on peut raisonnablement penser que le déplacement temporaire correspond à un déplacement de courte durée. Ceci implique que l’usager revienne bien dans son pays d’origine. Les opérateurs ont d’ailleurs les moyens techniques de le vérifier. Nous devrions aboutir, du moins je l’espère.

Mme Cathy Racon-Bouzon. Lors du vote, hier en fin d’après-midi, des crédits de la mission « Culture », nous avons activement défendu le mécénat d’entreprise. L’utilité du mécénat pour la sauvegarde de notre patrimoine et pour favoriser les initiatives culturelles n’est plus contestée.

Vous le savez, la législation en matière de mécénat n’est pas la même au sein de l’ensemble des États membres. Nos entreprises françaises peuvent, par exemple, depuis la loi de finances rectificative pour 2009 et sous certaines conditions, étendre le bénéfice du mécénat à des organismes agréés dont le siège est situé dans un État membre. Ce dispositif permet notamment aux musées européens de recevoir des dons des entreprises françaises. La réciprocité n’est malheureusement pas une règle au sein de l’Union européenne, ainsi les entreprises belges ne sont absolument pas incitées à devenir mécènes du patrimoine français. Ne serait-il pas pertinente d’exporter le modèle français de mécénat à l’ensemble de nos partenaires, afin que notre patrimoine national puisse capter un maximum de mécènes partout en Europe et que les entreprises européennes participent aisément à sa sauvegarde ?

Mme Béatrice Piron. Ma question relative à Erasmus et Erasmus Culture a déjà été partiellement posée. Tout le monde connaît le succès d’Erasmus étudiant, qui a permis la mobilité de très nombreux étudiants. Erasmus Culture sera-t-il un nouveau projet indépendant ou un volet complémentaire d’Erasmus Plus ?

Avez-vous une idée du volume budgétaire et du profil des bénéficiaires de la phase pilote ?

Mme Sophie Mette. Vous l’avez dit, la culture doit être au cœur de la refondation européenne. L’année 2018 sera celle du patrimoine culturel qui se définit comme l’ensemble des ressources hérités du passé, toutes formes et tous aspects confondus. Ainsi les objectifs des initiatives européennes en matière de patrimoine s’attacheront notamment à assurer sa durabilité, une attention particulière étant portée au patrimoine en transition et au tourisme. Le patrimoine cinématographique est aussi partie intégrante de cette année européenne du patrimoine culturel.

Comme l’Union entend-elle gérer cette année avec un budget de huit millions d’euros ? Quelles aides pouvons-nous escompter percevoir dans nos territoires ? Quid du soutien au patrimoine cinématographique ?

M. Pascal Bois. Vous avez publié, début octobre, une tribune sur la manière de relancer la construction européenne, ou plutôt l’idéal européen, par le prisme de la culture. J’ai trouvé cette vision particulièrement enthousiasmante. Vous aurez d’ailleurs certainement l’occasion de vous exprimer à nouveau à ce sujet à Bruxelles, avec vos homologues, la semaine prochaine.

Vous dévoiliez plusieurs propositions, que vous évoquiez d’ailleurs en parlant de l’extension d’Erasmus à la culture. À l’instar de l’excellente idée de jumeler des musées européens, ce qui relève autant de la réalité que du symbole, pourquoi ne pas jumeler de grands événements populaires permettant la rencontre et la découverte, tels que le folklore, l’art de rue, l’art vivant en général en Europe ? D’une certaine façon, nous entrerions ainsi dans une Europe de la culture qui serait visible.

Quid d’un label français et européen qui protégerait et valoriserait de grands événements populaires, historiques et festifs ?

M. Gabriel Attal. La France est une passerelle géographique et culturelle entre la Méditerranée et l’Europe, y compris sur le plan linguistique. À la Foire de Francfort, où vous vous êtes rendue avec le Président de la République, la France, ou plutôt la langue française, était à l’honneur, car elle joue un rôle majeur dans la culture européenne. Vous savez qu’il n’existe pas, pour certains ouvrages, de traduction de l’arabe vers le suédois, mais qu’il en existe à partir de leur traduction en français.

Quelle est la place de la langue française comme vecteur de la culture française en Europe ? Ma question rejoint les considérations sur la francophonie qu’a suscitées la nomination de Mme Slimani comme ambassadrice personnelle du Président de la République pour la francophonie.

Dans son discours de la Sorbonne, ce dernier a exposé son ambition que les étudiants européens parlent deux langues européennes d’ici 2024, en instituant des liens très forts entre universités européennes, pour permettre aux étudiants de suivre des cursus dans les deux langues. Quelle est votre réflexion à ce sujet ?

M. le président Bruno Studer. Les langues européennes ne sont pas, en effet, des langues étrangères, mais les langues de nos concitoyens. Nous devrions être, dans cette assemblée, l’incarnation de cette nouvelle ère qui arrive en Europe.

M. Gabriel Attal. Oui, vous pourriez présider en allemand !

Mme la présidente Sabine Thillaye. Das können wir beide. (Nous en sommes tous les deux capables) (Sourires.).

Mme Céline Calvez. Je m’exprimerai en français… Madame la ministre, nous faisons face à de nombreuses crises identitaires. En témoignent la situation en Catalogne, la montée de l’euroscepticisme, la montée des extrêmes… Bref, l’identité européenne est de plus en plus un rempart contre ces montées. Vous en avez déjà parlé, c’est même toute la visée d’une refondation de l’Europe par la culture.

Plus concrètement, de nombreux étudiants et apprentis participent à Erasmus Plus. Dans quelle mesure serait-il possible de leur permettre un accès gratuit à tous les musées d’État européens ? Quels seraient les accords de partenariat nécessaires ?

Au niveau national, vous avez donné la priorité à l’éducation artistique et culturelle. Cela s’est traduit, en lien avec le ministère de l’éducation nationale, par la rentrée en musique. Car l’éveil musical peut être au service de cette priorité. Pourquoi ne pas encourager à ce que l’hymne européen soit davantage chanté dans toutes les écoles et dans toutes les associations d’Europe, le 9 mai ? Quelle coordination entre ministres européens cela demande-t-il ?

Mme la ministre. Notre patrimoine a pu bénéficier de notre dispositif très favorable au mécénat, madame Racon-Bouzon. À cela s’ajoute le mécénat international. Je pense aux associations comme les American Friends de divers musées et institutions que j’ai rencontrés à plusieurs reprises à la faveur de rénovations de lieux importants ou d’expositions. Cette loi essentielle doit davantage aider les institutions nationales. Il existe déjà des canaux permettant aux entreprises européennes de contribuer au mécénat en France, en passant par un réseau de fondations. Toute initiative favorisant un cadrage plus harmonisé en ce domaine mérite d’être soutenue. C’est un nouveau chantier que je suis disposée à explorer avec les ministères compétents et nos homologues européens. Le partage des bonnes pratiques permet toujours d’avancer.

Beaucoup de questions ont porté sur l’Erasmus de la culture. Lors de la réunion des ministres européens de la culture du 11 octobre dernier, les échanges ont conduit à appeler à la création d’un volet complémentaire en faveur de la mobilité dans le secteur culturel inspiré par la réussite du programme Erasmus. Le souhait a été formulé que la Commission européenne lance un projet pilote de préfiguration en 2018, qui pourrait concerner le patrimoine. Je compte proposer d’inscrire la mobilité des professionnels de la culture dans le cadre du futur plan de travail pour la culture 2019-2022, qui sera préparé au premier semestre 2018.

L’opération « Rentrée en musique » et les programmes d’éveil à la musique se sont inspirés, madame Calvez, d’expériences d’autres pays européens. La place importante qu’ils accordent à la musique a des effets palpables sur les élèves : prise de confiance, joie d’aller à l’école. Par ailleurs, faire chanter l’hymne européen dans tous les établissements scolaires d’Europe le 9 mai serait une initiative intéressante et hautement symbolique.

Madame Mette, j’ai déjà répondu au sujet de l’année du patrimoine, qui couvrira tous les patrimoines, donc le patrimoine cinématographique. Il y aura des contributions budgétaires de tous les États membres et un apport de quelques millions du budget européen.

Monsieur Bois, il est important de favoriser des projets culturels concrets, qui puissent incarner l’Europe auprès des citoyens. Les arts du cirque et de rue, plus largement toutes les manifestations artistiques dans l’espace public, constituent un secteur dynamique de grande attractivité. Ils offrent une vision alternative de la création artistique contemporaine et une manière de travailler selon une approche de l’Europe citoyenne et démocratique. Ces créations, souvent itinérantes, s’adaptent bien au cadre européen. Présentées en salles, dans des théâtres traditionnels, sous chapiteau ou dans l’espace public, elles attirent un très large public. Le programme Europe créative de l’Union européenne soutient plusieurs initiatives de coopération en la matière, souvent portées par des acteurs français engagés depuis de nombreuses années dans ces formes d’expression artistique grâce à un soutien public important. À titre d’exemple, je citerai le réseau européen Circostrada ou encore le projet In Situ piloté par le centre national de création Lieux publics à Marseille.

L’année européenne du patrimoine 2018 sera également l’occasion de valoriser le patrimoine immatériel dans sa diversité. L’objectif est de contribuer à renforcer de nouvelles dynamiques d’intervention entre création et patrimoine autour d’un sentiment d’appartenance commune.

Monsieur Attal, nous sommes particulièrement attachés à la traduction et à ses enjeux. Lors de son discours à la foire de Francfort, le Président de la République a annoncé la création d’un grand prix de la traduction. Nous allons conforter tous les dispositifs existants, notamment ceux du Centre national du livre qui permettent de soutenir la traduction de plus de cinq cents ouvrages : un crédit de 700 000 euros est consacré à la traduction d’ouvrages du français vers une langue étrangère et d’une langue étrangère vers le français. Les traducteurs ont accès à des bourses de résidence, à des collèges de traducteurs où ils peuvent se confronter à leurs homologues et continuer à se former. Je veillerai également à leur mobilité dans le cadre d’un Erasmus des créateurs. Le programme Europe créative peut être un moyen de renforcer ces actions. J’accorderai une importance particulière au bassin méditerranéen. La traduction arabe-français est capitale, qu’il s’agisse de faire connaître les œuvres de notre patrimoine littéraire ou scientifique ou de porter la voix souvent étonnamment joyeuse des écrivains arabophones. J’ai apprécié votre exemple d’un livre d’abord traduit de l’arabe vers le français puis du français vers le suédois.

Le français s’enrichit au contact des autres langues, c’est une position que je défends depuis quarante ans. Il suffit de passer la frontière pour que le français devienne une langue étrangère. La traduction est essentielle à la compréhension mutuelle. Plus l’on fréquente d’autres langues, plus on se nourrit. Ne connaître qu’une seule langue, c’est se priver de toute la richesse des autres langues et de leurs philosophies. J’ai toujours à l’esprit cette phrase marquante de Paul Veyne : « ne vouloir connaître qu'une seule culture, la sienne, c'est se condamner à vivre sous un éteignoir. »

Madame Calvez, vous m’avez interrogée à propos de l’accès des jeunes aux musées européens. Les jeunes de moins de dix-huit ans peuvent d’ores et déjà entrer gratuitement dans de nombreux musées d’Europe. Nous pourrons améliorer ces conditions d’accès grâce au Pass culture européen, qui est un vecteur très concret des politiques culturelles.

M. le président Bruno Studer. Je vous remercie, madame la ministre, pour le temps que vous avez consacré à nos deux commissions.

 

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Michel Zumkeller (Les Constructifs : républicains, UDI, indépendants), rapporteur sur la proposition de loi de M. Michel Zumkeller visant à instaurer une taxe sur les transferts de sportifs professionnels (n° 248)

La Commission a désigné M. Régis Juanico (Nouvelle Gauche), en lieu et place de Mme George-Pau Langevin (Nouvelle Gauche), pour siéger au sein du Comité de suivi de l'application de la loi n°2013-598 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

La Commission a désigné Mme George-Pau Langevin (Nouvelle Gauche), membre du groupe de travail « Plan Étudiants », en lieu et place de M. Régis Juanico (Nouvelle Gauche).

 


Présences en réunion

Réunion du mercredi 15 novembre 2017 à 16 heures 15

 

Présents. - Mme Aude Amadou, Mme Emmanuelle Anthoine, M. Gabriel Attal, Mme Géraldine Bannier, Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Pierre-Yves Bournazel, Mme Céline Calvez, Mme Sylvie Charrière, Mme Fannette Charvier, Mme Fabienne Colboc, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Jacqueline Dubois, Mme Frédérique Dumas, Mme Nadia Essayan, M. Grégory Galbadon, M. Raphaël Gérard, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, Mme Constance Le Grip, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, Mme George Pau-Langevin, Mme Maud Petit, Mme Béatrice Piron, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Pierre-Alain Raphan, M. Frédéric Reiss, Mme Stéphanie Rist, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Agnès Thill, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Stéphane Claireaux, M. Franck Riester

Assistaient également à la réunion. - M. Patrice Anato, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Yolaine de Courson, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Nicole Le Peih, M. Ludovic Mendes, M. Christophe Naegelen, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye