Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Examen de la proposition de loi de M. Richard Ferrand relative à l’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges (n° 941) (Mme Cathy Racon Bouzon, rapporteure)              2

 Présences en réunion.................................23

 


Mardi
29 mai 2018

Séance de 16 heures 25

Compte rendu n° 46

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mardi 29 mai 2018

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

(Présidence de M. Bruno Studer, président de la Commission)

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La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine la proposition de loi de M. Richard Ferrand relative à l’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges (n° 941) (Mme Cathy RaconBouzon, rapporteure).

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, nous sommes saisis cet après‑midi de la proposition de loi de M. Richard Ferrand relative à l’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges (n° 941).

Pour rapporter sur ce texte, nous avons désigné, le 16 mai dernier, notre collègue Cathy Racon-Bouzon ; la proposition de loi sera débattue en séance jeudi 7 juin à neuf heures trente.

L’interdiction du téléphone portable à l’école et au collège figurait dans le programme du Président de la République et le ministre de l’éducation nationale avait confirmé, depuis déjà plusieurs mois, son intention de faire le nécessaire pour tenir cet engagement dès la rentrée 2018. C’est ce dernier objectif qui explique les délais ramassés dans lesquels nous devons travailler, et je remercie la rapporteure d’avoir néanmoins approfondi le sujet par de nombreuses auditions.

Le texte dont nous sommes saisis comporte un seul article, visant à répondre à un objectif précis, mais je sais, madame la rapporteure, que vous souhaitez intégrer cette mesure dans la démarche plus globale de l’éducation aux médias et au numérique, sur laquelle notre commission travaille depuis déjà plusieurs mois. C’est une préoccupation que je défendrai également demain, dans le cadre de l’examen de la proposition de la loi relative à la lutte contre les fausses informations.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi déposée le 14 mai dernier relative à l’interdiction du téléphone portable dans les écoles et les collèges ; elle est inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée le jeudi 7 juin prochain.

Comme vous le savez, cette proposition de loi vient mettre en œuvre un engagement pris par le Président de la République lors de sa campagne ; l’objectif est que cette réforme s’applique à partir de la rentrée scolaire de 2018-2019, sous réserve bien évidemment du déroulement de nos débats à l’Assemblée, puis au Sénat.

Cette mesure s’inscrit dans une perspective plus large : si l’objectif est bien d’interdire l’utilisation du téléphone portable à l’école et aux collèges, à l’exception, pour l’essentiel, de ses usages pédagogiques, elle est indissociable d’un renforcement de l’éducation des enfants et des adolescents au numérique, et notamment à un usage responsable et éclairé d’internet et des réseaux sociaux. Tel est d’ailleurs l’objet d’amendements déposés sur le présent texte, qui visent à compléter ce principe d’interdiction du portable par un volet éducatif. Je souhaite préciser qu’il ne s’agit que d’une première étape, qui a vocation à être suivie d’une autre, afin de renforcer l’éducation au numérique : cette réflexion aura d’ailleurs vocation à tirer les enseignements des travaux de la mission d’information sur l’école dans la société du numérique, actuellement conduite par notre président, M. Bruno Studer.

L’usage du téléphone portable s’est aujourd’hui généralisé parmi les jeunes : en 2017, 86 % des 12-17 ans étaient équipés d’un smartphone – cette proportion a été multipliée par quatre en six ans –, et au total, 92 % de cette classe d’âge détiennent un téléphone mobile. Près de la moitié des 12-17 ans possède une tablette tactile.

Or, comme nous le constatons quotidiennement, les smartphones sont devenus des appareils multi-usages, dont la fonction de téléphone est devenue quasi accessoire ; ils servent à naviguer sur le net, à prendre des photos et des vidéos, à en visionner, à envoyer des messages écrits via des messageries instantanées et à télécharger des applications.

L’usage des mobiles dans les établissements scolaires, avec toutes ces fonctionnalités, est loin d’être neutre, tout d’abord d’un point de vue pédagogique : l’utilisation des téléphones en classe porte atteinte aux capacités d’attention, de concentration et de réflexion des élèves. Les cours dispensés par les enseignants se trouvent en permanence concurrencés par d’autres sources d’information et de stimulation, et les élèves peuvent se disperser. De plus, la possession de smartphones les expose à une tentation accrue de tricher lors des contrôles et des évaluations.

Ensuite, d’un point de vue disciplinaire, la présence et l’usage de ces objets coûteux risquent d’attiser les convoitises et de favoriser les querelles, les rackets et les vols. Leurs fonctions de photo et de vidéo peuvent être utilisées par les élèves dans le cadre de pratiques malveillantes entre eux ou à l’encontre des professeurs, et favoriser le cyberharcèlement.

Plus largement, l’usage des téléphones à l’école, en dehors des cours, pèse sur le climat scolaire : les élèves s’enferment dans leur « bulle » pendant les récréations ou entre midi et deux ; les interactions entre élèves se réduisent, de même que leur activité physique. Plusieurs des personnes que nous avons auditionnées ont souligné que les ballons et les jeux étaient revenus dans la cour des établissements qui avaient interdit l’usage du portable pendant les récréations, et que le climat scolaire s’était considérablement amélioré.

Au-delà de ces enjeux, l’usage des téléphones portables par les enfants soulève également des questions de santé publique : certes, les effets – non plus que l’absence
d’effets – de l’exposition aux radiofréquences sur la santé des enfants ne sont pas prouvés scientifiquement aujourd’hui. Pour autant, plusieurs études ont mis en évidence des liens entre un usage intensif par les jeunes des téléphones portables, et plus largement des écrans, avec des problèmes relationnels et émotionnels, des troubles du sommeil et de l’attention, des phénomènes de dépendance et d’addiction. Un terme, la « nomophobie », a d’ailleurs été créé pour désigner la peur excessive d’être séparé de son téléphone portable… Si ces risques n’épargnent pas les adultes, loin s’en faut, les enfants, du fait de leur moindre maturité, y sont particulièrement vulnérables.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à interdire l’usage des téléphones portables à l’école et dans les collèges, sauf exceptions définies dans le règlement intérieur de l’établissement.

D’ores et déjà, la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « loi Grenelle 2 », a introduit dans le code de l’éducation l’article L. 511-5, qui prévoit que, dans les écoles du premier degré et les collèges, l’usage du téléphone portable est interdit pendant les activités d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur. Cette disposition s’inscrivait alors dans un objectif de protection de la santé des enfants à l’égard des radiofréquences.

Aujourd’hui, le principe est donc l’autorisation de l’usage du portable à l’école, assorti d’exceptions, notamment en classe.

La présente proposition de loi inverse cette logique, en prévoyant que le principe est l’interdiction de l’utilisation du portable, tout en l’accompagnant d’exceptions définies par le règlement intérieur. Elle permet de renforcer l’assise juridique de l’interdiction, tout en laissant une certaine autonomie aux établissements, puisque leur règlement intérieur peut définir des lieux où le téléphone peut être utilisé et dans quelles conditions – notamment à des fins pédagogiques.

La rédaction proposée permet par ailleurs de remédier à une faille du texte actuel, à savoir l’interdiction de l’utilisation du téléphone portable pendant les activités d’enseignement – alors que cet usage peut être très pertinent lorsqu’il est encadré par l’enseignant et qu’il intervient à des fins pédagogiques.

Il me semble d’ailleurs utile de modifier le texte de l’article unique pour préciser dans la loi que l’interdiction ne s’applique pas lorsque le téléphone est utilisé à des fins pédagogiques – sachant qu’en application de la rédaction actuelle de la proposition de loi, c’est au règlement intérieur qu’il reviendrait de l’indiquer. Par ailleurs, le texte proposé ne vise que les téléphones portables, mais il serait opportun d’étendre l’interdiction à d’autres équipements, tels que les tablettes ou les montres connectées, pour éviter tout effet de substitution entre les équipements que les élèves apportent à l’école. Je vous proposerai une évolution sur ces points dans le cadre d’un amendement.

Comme dans le droit actuel, les dispositions de l’article L. 511-5 ne s’appliquent ni aux lycées ni aux établissements d’enseignement privés – au titre de leur autonomie d’organisation. Au total, ce sont environ 5,9 millions d’élèves en primaire et 2,6 millions de collégiens qui sont concernés.

En tout état de cause, il ne s’agit pas de prohiber la possession d’un portable dans un établissement scolaire – ce qui poserait d’ailleurs des difficultés pratiques pour les élèves, par exemple ceux qui vont à l’école en transports en commun et peuvent avoir besoin d’un téléphone pour prévenir leurs parents d’un changement d’horaires.

La mise en œuvre concrète de la mesure est renvoyée aux établissements scolaires, comme c’est d’ores et déjà le cas pour les dispositions actuelles de l’article L. 511-5. La solution la plus simple est sans doute de demander aux élèves de conserver leur portable éteint au fond de leur cartable pendant la journée. Des casiers pourraient aussi être utilisés, mais il ne semble pas pertinent de l’imposer comme une solution unique pour tous les établissements, ne serait-ce qu’au regard de son coût et du possible manque d’espace – d’autant que cette option pourrait conduire à des risques accrus de vols, puisque tous les appareils seraient concentrés dans un même lieu.

Comme c’est le cas aujourd’hui, c’est aux enseignants et aux personnels éducatifs qu’il reviendra d’appliquer la sanction en cas de manquement de l’élève, selon les circonstances et le caractère répété ou non de ce manquement, dans le cadre des punitions scolaires et des sanctions disciplinaires. Il apparaît en tout cas souhaitable de clarifier le régime juridique actuel de la confiscation, pour lever les incertitudes qui l’entourent : j’ai entendu lors des auditions des interprétations différentes sur le sujet, ce qui peut conduire les enseignants ou les personnels de surveillance à renoncer à confisquer un portable, de peur d’avoir à faire face à des contestations de la part des élèves ou des parents. Or la confiscation du portable, par exemple jusqu’à la fin de la journée, constitue à mon sens une sanction adaptée, d’autant qu’elle permet, le cas échéant, d’impliquer les parents dans le cadre de la restitution.

Le renvoi au règlement intérieur pour définir les lieux où, par exception, l’usage du portable est autorisé, doit permettre aussi d’impliquer toute la communauté éducative lors de la révision du règlement. Il est indispensable d’assurer l’appropriation de la réforme par les personnels de l’éducation nationale, mais aussi par les élèves et leurs parents ; c’est une condition de sa réussite. À titre d’anecdote, on m’a rapporté lors d’auditions que c’était parfois les parents qui étaient le plus attachés à ce que leur enfant puisse utiliser un portable à l’école, afin de pouvoir le joindre à tout moment… Pour ma part, je considère qu’il est essentiel que l’école reste un îlot protégé, réservé aux apprentissages et à la socialisation des enfants.

En tout état de cause, et je souhaite insister sur ce point, cette mesure ne doit pas être considérée de façon isolée : elle doit être accompagnée par un renforcement de l’éducation des enfants à un usage responsable du numérique.

L’objectif n’est pas de couper l’école du monde réel et de la rendre imperméable aux évolutions de notre société. La présente proposition de loi vise à instaurer une forme de « droit à la déconnexion » des enfants pendant le temps scolaire, pour leur permettre de se concentrer sur leurs cours et de favoriser les interactions avec leurs camarades – mais elle doit être complétée par une démarche éducative. Cela suppose de donner aux élèves des clefs de compréhension de leur environnement numérique et de leur apprendre à utiliser internet et les réseaux sociaux de façon responsable, dans les différents rôles de lecteur, de producteur et de diffuseur de contenus. J’observe d’ailleurs que la possibilité d’utiliser le téléphone portable pendant les activités d’enseignement, ouverte par le présent texte, favorise la mise en œuvre de projets dits BYOD – acronyme de l’anglais bring your own device : en français, « apportez votre équipement personnel de communication (AVEC) ».

Cette éducation au numérique doit être prise en charge de façon interdisciplinaire et transversale par les enseignants, mais aussi par les autres personnels éducatifs, avec l’appui du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC). Il me semblerait d’ailleurs utile qu’une réflexion soit engagée sur la définition d’un parcours d’éducation à la citoyenneté numérique, sur le modèle du parcours d’éducation artistique et culturelle de l’élève, de la maternelle à l’enseignement supérieur.

Enfin, cette mesure constitue l’occasion d’aborder la question de l’exposition des jeunes aux écrans, et de la forme de dépendance, voire d’addiction, qu’elle peut susciter. Ce sujet concerne au premier chef les parents, qui sont généralement ceux qui dotent leurs enfants d’un smartphone, mais qui n’ont pas forcément connaissance de toutes les informations et fonctionnalités auxquelles leurs enfants ont accès via ces appareils. Cette réforme menée à l’école suscitera, je l’espère, une prise de conscience de la société sur les opportunités et les dangers du numérique, et pourrait offrir une sorte de porte d’entrée pour débattre de ce sujet au sein des familles.

M. Cédric Roussel. Monsieur le président, Madame la rapporteure, mes chers collègues, cette proposition de loi déposée par notre groupe, La République en Marche, vise à interdire l’usage du téléphone portable par les élèves dans les écoles maternelles, élémentaires et les collèges. Avant toute chose, je tiens à saluer le travail effectué au cours des auditions menées conjointement avec Mme la rapporteure, qui nous a permis d’interroger une quinzaine d’acteurs en une semaine – un véritable marathon qui s’est terminé hier soir. En plus de consulter la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), les associations de parents d’élèves et les syndicats d’enseignants et de chefs d’établissement, nous avons aussi auditionné l’Association des maires de France (AMF), l’Association des départements de France (ADF), ainsi que les constructeurs et les opérateurs de télécom. Au cours de ces auditions, de nombreux enseignants se sont alarmés du fléau et de la guerre sans fin que représentent les portables à l’école, dont l’usage se développe de façon très importante chez les élèves – en 2016, 93 % des 12-17 ans disposaient d’un mobile. Cette tendance gagne même l’école primaire, puisqu’on voit des écoliers en être dotés dès le CM1.

La promesse de campagne du Président de la République consistant à interdire les téléphones portables dans les établissements scolaires a pour objectif d’empêcher les perturbations importantes engendrées par l’utilisation du téléphone mobile au sein des établissements scolaires. Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, interdire cet usage vise à répondre à des enjeux à la fois éducatifs et de vie scolaire. Si nos enfants sont trop souvent exposés à des contenus violents et à des images pornographiques, ils peuvent aussi être victimes de cyberharcèlement : cela commence, dès la cour de récréation, quand un enfant filme un de ses camarades et met la vidéo sur les réseaux sociaux. Selon une enquête réalisée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), 63 % des 11‑14 ans sont inscrits sur au moins un réseau social, et ils sont plus de quatre sur dix à mentir sur leur âge pour le faire – ces chiffres sont éloquents.

Nous voulons favoriser un climat scolaire plus apaisé, où les capacités d’attention et de concentration, mais également les facteurs de sociabilisation seront préservés. Cela dit, il est pertinent de s’intéresser aux usages pédagogiques des outils numériques, qui représentent une réelle opportunité en termes de méthodes d’apprentissage. Il est essentiel de faire émerger et de structurer les nombreuses initiatives de pédagogie innovante qui sont aujourd’hui menées dans les écoles, donc de sensibiliser les élèves à l’usage du numérique et d’approfondir son enseignement.

Cette proposition de loi est étroitement liée à la mission d’information sur l’école dans la société du numérique, dont certains d’entre nous font partie. Je pense notamment à la formation des jeunes à l’usage responsable de l’information numérique, à la nécessité de les sensibiliser à ces fameuses fake news et à l’usage responsable des réseaux, mais aussi à la définition de la place de l’école dans l’apprentissage des savoir-faire et la construction des savoir-être. Cette mission, qui rendra ses conclusions dès l’automne, est destinée à réfléchir sur l’école de demain pour accompagner les équipes pédagogiques, les enseignants, les parents, mais surtout les élèves, souvent démunis face aux médias et aux outils numériques : elle se situe donc bien dans le prolongement de cette proposition de loi.

Un grand nombre d’établissements scolaires interdisent déjà le téléphone portable au-delà de la classe, c’est-à-dire dans les couloirs, voire dans la cour de récréation. Ceux qui ont fait ce choix apparaissent satisfaits, ils disent avoir constaté un effet bénéfique sur les apprentissages et la communication entre les élèves. C’est pourquoi une modification législative s’impose : l’inscription dans la loi apparaît nécessaire pour garantir une interdiction effective de l’usage du téléphone portable au sein des écoles et des collèges.

Mme Frédérique Meunier. Monsieur le président, mes chers collègues, cette proposition de loi déposée par le groupe La République en Marche et visant à interdire l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges correspond à une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron. Il existe pourtant déjà une loi en la matière. En effet, la loi du 12 juillet 2010 prévoit que « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile, est interdite ». Dans ces conditions, j’ai le sentiment que votre loi n’instaure pas une interdiction, mais crée au contraire les conditions d’une autorisation de l’usage du téléphone portable dans le cadre des enseignements. L’exposé des motifs de la proposition de loi tend à le confirmer en énonçant que cette interdiction ne porte pas sur les usages pédagogiques du téléphone portable s’inscrivant dans un projet éducatif précis et encadré par le personnel éducatif.

Avec le soutien de l’État, tous les départements viennent d’investir des millions d’euros dans les tablettes : à quoi servent-elles donc ? Il semble que la majorité cherche à faire de la communication, en créant une interdiction qui existe déjà. Au mieux, il s’agit d’une erreur dans l’intitulé de la loi, au pire, de l’expression d’un parfait cynisme… De plus, il semblerait que cette proposition de loi précède une autre loi sur le numérique à l’école, censée être présentée à l’automne – ce qui confirmerait l’hypothèse du cynisme.

Le groupe Les Républicains souhaite obtenir des explications de la part de la majorité quant au fait de discuter de cette proposition de loi dès maintenant, pour la rentrée 2018‑2019. L’interdiction qui constitue la règle depuis huit ans semblant ne jamais avoir posé de problèmes, nous ne comprenons pas l’urgence qu’il y a à légiférer pour réécrire cette loi en vue d’une application dès la rentrée prochaine. Par ailleurs, la question du numérique à l’école fait également l’objet d’une mission d’information, ainsi que d’un autre texte qui sera examiné à l’automne : il serait plus cohérent de traiter le sujet globalement. Enfin, la navette parlementaire devant prendre plusieurs mois, ce texte risque d’entrer en application alors que les conseils d’administration des écoles et des collèges auront déjà délibéré sur les règlements intérieurs : ils devront donc les rééditer, ce qui va occasionner un coût inutile.

Sur le fond, le groupe Les Républicains considère que l’utilisation des téléphones mobiles dans l’enseignement doit faire l’objet d’études sérieuses avant d’être autorisée, ce qui n’est pas le cas à ce jour. Alors que l’addiction des jeunes aux smartphones et aux réseaux sociaux fait l’objet d’alertes, donner le feu vert à l’éducation nationale pour l’utilisation des téléphones pendant les enseignements, sans étude sérieuse sur le long terme, peut avoir des conséquences graves d’un point de vue éducatif, mais surtout en termes de santé. Il nous a été indiqué que cette dernière question ferait prochainement l’objet d’une concertation avec la ministre de la santé – ce qui confirme qu’il est question d’autoriser avant même d’avoir conscience des risques.

Dans le cadre des auditions, les agents du ministère de la santé nous ont fait savoir que le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC) considérait que les champs électromagnétiques de radiofréquences pouvaient être cancérigènes pour l’homme. Sachant cela, et en l’absence d’études définitives, le groupe Les Républicains ne cautionnera pas l’utilisation du téléphone portable à l’école dans le cadre des enseignements, qui présente le risque de déclencher des cancers chez nos enfants à l’école. Chacun doit être conscient du fait que ce risque est considérable, et qu’il est urgent d’attendre avant de modifier la loi.

Mme Nadia Essayan. Monsieur le président, madame la rapporteure, mes chers collègues, le groupe La République en Marche a souhaité porter à l’ordre du jour de notre commission une proposition de loi visant à l’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges, comme le Président de la République s’y était engagé durant sa campagne. L’enjeu pourrait paraître bien mince au regard du dispositif déjà existant, mais cette nouvelle rédaction permettrait à l’évidence d’apporter aux directeurs d’établissement une sécurité juridique plus forte dans la surveillance quotidienne qu’ils assurent afin d’éviter les dérives induites par l’utilisation du téléphone portable à l’école.

Comme le rappelle clairement l’exposé des motifs de la proposition de loi, l’usage du portable à l’école est à l’origine d’un déficit d’attention et de concentration, il nuit aux capacités réflexives des élèves, provoque une réduction de l’activité physique et une limitation des interactions sociales, quand ce n’est pas une augmentation des violences et des incivilités. Une étude récente évoquée par les syndicats de chefs d’établissement démontre par ailleurs que 30 % à 40 % des sanctions scolaires sont désormais liées à l’usage du portable.

Il va donc de soi que nous sommes favorables aux mesures allant dans le sens d’une interdiction de l’usage personnel du portable, vue non seulement comme une mesure répressive, mais comme un moyen de répondre à des enjeux éducatifs. En effet, tout démontre que la mémorisation, la réflexion et le développement cognitif des élèves, a fortiori pour les plus jeunes d’entre eux, tendent à être de plus en plus problématiques, tant pour les élèves que pour les professeurs. Le ministre Jean-Michel Blanquer l’a bien compris, lui qui, à maintes reprises, a annoncé son souhait de voir les écrans éloignés le plus possible des élèves – surtout les plus petits –, de manière à leur permettre un développement harmonieux.

Outre ces aspects, d’autres considérations entrent en jeu, qui poussent à cette interdiction. En matière de santé publique, la réduction de l’activité physique aggrave le phénomène de surpoids, en progression chez les jeunes générations ; on note aussi une augmentation de la prévalence de la myopie en Europe – elle touche 47 % des 25-29 ans, soit le double d’il y a quarante ans –, ainsi qu’un l’effet sur le sommeil des enfants, qui se répercute sur leur développement physiologique.

Le texte préserve la possibilité d’un usage du téléphone portable, et des écrans en général, pour des activités pédagogiques ; en cela, il apporte une souplesse que nous saluons. Tous ces éléments vont donc dans la direction d’un usage plus raisonné du téléphone portable et des écrans, et l’école doit jouer ce rôle de mise à distance d’abord et de pédagogie ensuite, afin que l’apprentissage se fasse dans les meilleures conditions possible. Le groupe MODEM, qui a toujours fait de la réussite scolaire l’une de ses priorités, sera attentif à la mise en œuvre de cette mesure.

Mme Béatrice Descamps. Monsieur le président, mes chers collègues, notre commission est aujourd’hui saisie d’une proposition de loi visant à renforcer l’interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges. Je tiens d’abord à saluer la qualité du travail de Mme la rapporteure, dont le rapport met clairement en lumière les nombreux enjeux que soulève l’utilisation du téléphone portable dans un cadre scolaire, alors que l’usage du smartphone est aujourd’hui massivement généralisé chez les enfants et les adolescents.

Le premier enjeu de ce texte est l’assiduité des élèves et son corollaire, le climat scolaire. On sait à quel point l’utilisation des téléphones portables durant les cours nuit à la concentration et à la capacité d’attention des élèves ; elle oblige, dans le même temps, le professeur à maintenir constamment la discipline au détriment de la conduite de son cours. L’usage non raisonné des téléphones portables conduit par ailleurs à des phénomènes de repli sur soi et à une sociabilité affadie. Durant les récréations, nos enfants sont désormais concentrés sur leur smartphone au lieu d’échanger et de jouer avec leurs camarades. Dans les cas extrêmes, l’usage du smartphone peut conduire à des situations de cyberharcèlement, où un élève peut faire les frais des moqueries de ses camarades, ce qui a parfois des conséquences dramatiques.

Enfin, il ne faut pas négliger l’enjeu de santé publique, tant les effets potentiellement nocifs des radiofréquences émises par les téléphones portables restent aujourd’hui mal connus. D’autres études ont également pointé les effets d’un usage intensif des téléphones portables sur les fonctions cognitives, en mettant en évidence des pertes de mémoire et une réduction des capacités d’attention. L’interdiction du téléphone portable à l’école avait d’ailleurs été introduite dans la loi du 12 juillet 2010 portant sur l’environnement, en application du principe de précaution, même si les préoccupations liées au climat scolaire n’étaient pas absentes.

Le dispositif de cette proposition de loi inverse la logique qui prévaut aujourd’hui. En effet, l’article L. 511-5 du code de l’éducation prévoit, dans sa rédaction actuelle, l’interdiction du téléphone portable durant les cours et dans les autres espaces scolaires, tels que la cour de récréation, si le règlement intérieur le spécifie. Avec la nouvelle rédaction, l’interdiction devient la norme dans tous les espaces, sauf si l’utilisation du téléphone portable est expressément autorisée par le règlement intérieur. Il s’agit d’une clarification bienvenue et que nous saluons, car elle renforcera la légitimité des directeurs d’établissements et des principaux de collèges et permettra de sécuriser leur action en ce sens.

Nous sommes cependant plus réservés sur la finalité de cette proposition de loi, dont nous comprenons qu’elle ne constitue qu’une étape : une autre proposition de loi visant à ouvrir le débat sur l’école numérique devrait en effet être examinée à l’automne prochain. Nous comprenons et partageons l’objectif d’un apprentissage à un usage raisonné du numérique, qu’il s’agisse de la formation d’un esprit critique face aux médias et aux fakes news ou de l’éducation civique au numérique, notamment face aux propos haineux sur internet et au harcèlement en ligne. Il est louable que l’école se saisisse de cette question en relation étroite avec les familles, tant la question d’une dépendance aux écrans intéresse toute la société et pas seulement nos enfants. Si nous abordons favorablement l’examen de ce texte, nous nous interrogeons sur l’opportunité d’une introduction massive des outils numériques dans les écoles. Nous demanderons au Gouvernement de clarifier sa position sur cette question en séance.

Mme George Pau-Langevin. Le sujet qui est abordé dans cette proposition de loi est sérieux, et nous sommes tous préoccupés par la manière dont nos enfants sont captés par les écrans, et par les conséquences que ce type d’addiction peut avoir sur leur comportement et sur leurs relations sociales – même si, en la matière, les adultes que nous sommes ne donnent pas toujours l’exemple…

Cette proposition de loi ne me paraît pas représenter un apport significatif, puisque le code de l’éducation prévoit déjà, depuis la loi de 2010, l’interdiction de l’usage du portable durant toute activité d’enseignement et dans les lieux énumérés par le règlement intérieur. La plupart des établissements scolaires interdisent donc l’utilisation du portable en classe, parfois même également dans la cour de récréation ou dans la totalité de l’établissement.

Après plusieurs fuites dans la presse, il avait été décidé, lorsque j’étais ministre, que les portables seraient interdits en conseil des ministres : il fallait les laisser dans un casier avant le début de la réunion. Au bout de quelques semaines, comme tout le monde, j’ai fini par oublier l’interdiction et j’ai laissé mon portable au fond de mon sac. Cela montre que ce type d’interdiction peut servir à se donner bonne conscience, mais que sa mise en œuvre effective est extrêmement difficile à contrôler. Pour ce qui est de l’usage du portable à l’école, je ne suis donc pas certaine que le texte proposé apporte une véritable amélioration.

Mme Elsa Faucillon. Rappelons, pour commencer, que les perturbations dans les établissements scolaires ne sont pas toutes dues à l’utilisation du portable et que l’addiction aux objets connectés n’est pas l’apanage des adolescents – nous, députés, avons peu de leçons à donner aux enfants ! (Sourires.) Sans rien cacher des enjeux, des effets dangereux du portable sur la santé et des pratiques de harcèlement, nous devons aussi pouvoir parler de la créativité qu’il suscite chez les élèves et de son utilisation à bon escient – j’ai vu des collégiens organiser des maraudes citoyennes grâce à leur téléphone. Je pense aussi que ne pas faire la moindre distinction entre un enfant de cinq ans et un collégien de quinze ans, comme dans cette proposition de loi, c’est risquer d’infantiliser les adolescents.

D’autres l’ont dit, le téléphone portable est, de fait, interdit à l’école maternelle et primaire et dans les collèges, sur les heures d’enseignement et dans les lieux définis par le règlement intérieur. La proposition de loi inverse l’interdit. Alors que le règlement intérieur prévoyait les lieux où le portable est interdit, il prévoira désormais les lieux où il est autorisé. Voilà tout le grotesque d’une démarche dont l’unique objet est de répondre à tout prix à une promesse de campagne, formulée alors qu’une loi existait déjà.

Permettez-moi de pointer un paradoxe : vous prônez, en bons libéraux, un interventionnisme moindre de l’État dans tous les champs de la société, mais vous acceptez de vous immiscer dans un domaine où la loi n’a pas à trancher et qui est défini par les règlements intérieurs.

Cette proposition de loi, dont il convient de souligner le ridicule, porte toutefois sur des enjeux véritables. Pour autant, elle ne pose pas la question de l’usage du numérique par les jeunes et les difficultés que cela engendre. Nos propositions porteront essentiellement sur l’accompagnement pédagogique et la formation des jeunes, adaptée selon les âges. Il est nécessaire aujourd’hui de discuter des bonnes pratiques et de la créativité : dans le cadre d’ateliers, par exemple, les jeunes pourront aussi apprendre à leurs enseignants ce qu’ils peuvent faire avec leur portable. L’interdit doit être respecté, mais il faut aussi un climat de confiance à l’égard des collégiens : c’est à cette condition que nous pourrons lutter contre les effets dangereux et prévenir le cyberharcèlement.

M. le président Bruno Studer. Ce texte présente, j’en suis certain, un intérêt incontestable par rapport à la loi de 2010. La parole est à nos collègues, pour une série de questions à Mme la rapporteure.

M. Bertrand Sorre. Je salue le travail de fond accompli par Mme la rapporteure et M. Cédric Roussel sur un sujet qui, vu de loin, pourrait paraître simple et dénué d’intérêt. Ce texte n’est pas cynique, il est pragmatique. J’étais, il y a un an encore, enseignant et je peux vous dire que le téléphone portable est devenu un objet d’obstruction à la pratique de l’enseignement. En réalité, la loi existante ne fonctionne pas. Peut-être, madame Meunier, ne vous êtes-vous pas rendue dans une école depuis longtemps ? (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président Bruno Studer. Veuillez poser votre question, cher collègue.

M. Bertrand Sorre. De par mon expérience, je considère que cet objet empêche d’enseigner dans des conditions normales et qu’il est nécessaire de légiférer sur cette question.

L’utilisation pédagogique est certes une plus-value mais elle peut être détournée par les enfants et les adolescents. Je souhaite savoir si, dans le cadre de vos auditions, vous avez pu questionner les jeunes sur leur vision de l’utilisation du portable dans le cadre scolaire ? Selon vous, cette utilisation doit-elle évoluer ?

Mme Valérie Bazin-Malgras. Je m’interroge sur la nécessité de cette proposition de loi, étant donné qu’une loi existe, celle du 12 juillet 2010. Cependant, l’exposition de nos jeunes aux smartphones et les troubles nombreux que ceux-ci suscitent, notamment dans l’espace scolaire, ne doivent pas nous laisser indifférents. Dans votre rapport, vous offrez un panorama très complet, et alarmant, de ces implications. Mais vous proposez que les élèves puissent utiliser à des fins pédagogiques leur téléphone pendant la classe, ouvrant ainsi la porte à une réflexion plus globale sur la place des smartphones dans notre société et auprès des jeunes. Vous avez raison de dire que cette mesure est une première approche. Quelle suite comptez-vous y donner ? Ne pourrions-nous pas engager une réflexion parlementaire sur le sujet ? Celle-ci conduirait sans doute à l’application des dispositions législatives existantes.

Mme Marie-George Buffet. Je m’interroge également sur l’utilité de cette proposition de loi, puisque la loi actuelle dispose que « dans les écoles maternelles, élémentaires et les collèges, l’utilisation, durant toute l’activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève d’un téléphone mobile est interdite ». Ce texte se limite à renverser le raisonnement, ce qui relève, semble-t-il, d’un manque de confiance à l’égard des équipes éducatives. Celles-ci sont en effet capables de gérer la question des téléphones mobiles à l’intérieur des établissements en s’appuyant sur les dispositions législatives existantes.

Par ailleurs, je regrette qu’un texte comme celui-ci ne soit pas l’occasion de présenter des mesures concernant l’éducation à l’usage des mobiles et la prévention. Je souhaiterais connaître l’avis de Mme la rapporteure sur cette question.

Mme Stéphanie Rist. Les enfants accèdent aux écrans de façon massive, parfois dès le plus jeune âge. Les téléphones portables sont le moyen qu’ils utilisent de manière privilégiée pour se rendre sur internet. L’interdiction de ces appareils dans l’enceinte des établissements peut être mal perçue par ceux pour qui ces outils sont un prolongement presque évident de leurs mains. Cette mesure ne peut donc prendre du sens que si elle s’accompagne d’un effort de pédagogie à l’égard des élèves, des enseignants et des familles.

Une telle pédagogie doit porter sur l’usage social de ces outils, dans la mesure où les utilisateurs se détournent des relations sociales, sur l’usage éducatif, lorsque l’accès à internet met en jeu l’autorité et le rapport à l’adulte, ainsi que sur les enjeux sanitaires. Ces dernières années, le grand public a été alerté, parfois de manière catastrophiste, sur les conséquences pour la santé d’une exposition précoce et prolongée aux écrans. En raison de la relative nouveauté des terminaux mobiles et de l’attachement au bien-être des enfants, les peurs et les fantasmes permettent parfois la diffusion d’informations erronées. Des campagnes vidéo sur internet ont ainsi établi un lien direct entre écran et syndromes de type autistique, avant que cela ne soit démenti par la communauté scientifique. Ce genre de raccourci peut se reproduire.

Il est donc essentiel d’accompagner l’interdiction des portables dans les établissements d’une évaluation scientifique des conséquences sur leur usage sur la santé. Dans le cadre de vos travaux, avez-vous entendu parler de telles mesures ? Dans le cas contraire, que préconisez-vous ?

Mme Emmanuelle Anthoine. Je m’interroge sur la portée et la réalité de cette mesure, que je trouve trop limitée. Quels sont les moyens dont disposeront les enseignants pour mettre en œuvre cette interdiction ? Ce n’est pas parce qu’elle figurera dans le règlement intérieur de l’établissement que les smartphones disparaîtront comme par magie.

Ce texte ne prend volontairement pas position sur le sujet de la mise en œuvre. Cela manque car les enseignants attendent qu’on leur donne de tels moyens. Il est nécessaire de réfléchir sur des dispositifs opérants, et pas simplement sur des principes.

Par ailleurs, pourquoi se limiter à l’enseignement public et exclure le lycée ? La question se pose dans les mêmes termes à la fin du secondaire ; affirmer que les élèves sont suffisamment matures revient à présumer un peu trop de leurs capacités. Les enseignants vous le diront : la situation est pire encore au lycée, où les élèves sont pleinement immergés dans les réseaux sociaux.

M. Pascal Bois. Sans présager de l’adoption des amendements, les modalités d’application de cette interdiction posent question. Chaque établissement déterminera les lieux où l’usage des téléphones portables sera toléré. Je veux évoquer plus particulièrement les cours de récréation et soulever la question des pauses méridiennes, notamment lorsque les lieux de restauration sont situés à l’extérieur de l’établissement. Si l’objectif du texte est d’améliorer les conditions scolaires et éducatives de l’enfant, il convient aussi de maintenir la sociabilité entre élèves et de lutter contre la sédentarité.

Mme Constance Le Grip. Je veux aussi faire part de mon scepticisme sur l’utilité d’une telle proposition de loi, dans la mesure où la loi du 12 juillet 2010 interdit déjà les portables dans les établissements scolaires. Certes, j’ai compris qu’il s’agissait de substituer à cette interdiction une interdiction totale, hormis les moments où l’usage est autorisé… mais il y a là quelque chose qui s’apparente à une tentative quelque peu maladroite – ou très
adroite ? – de forcer la mise en œuvre d’une proposition de campagne du candidat Emmanuel Macron. Lui-même a dû réaliser, après l’avoir formulée, que l’interdiction était déjà prévue par la loi !

Il n’est pas toujours satisfaisant pour le législateur de se trouver dans un exercice de redondance législative. Le Conseil constitutionnel comme le Conseil d’État appellent régulièrement notre vigilance sur les lois déclaratives, les lois bavardes, les lois qui se limitent à un énoncé de principes. Je suis donc très dubitative quand à cette réalisation d’une promesse de campagne.

Il me semble plus intéressant, dans le cadre de la mission d’information sur le numérique à l’école, et alors que l’on annonce un projet de loi à l’automne, de mener une réflexion globale sur les tenants et les aboutissants de l’utilisation du numérique dans les enseignements, plutôt que de procéder par petites touches, comme s’il s’agissait uniquement de faire de la communication.

M. Stéphane Testé. Si l’interdiction du téléphone portable peut paraître logique en salle de classe, c’est l’interdiction dans la cour de récréation et pendant les pauses qui laisse interrogatifs certains enseignants et personnels de l’Éducation nationale. Compte tenu du faible nombre de surveillants, comment peut-on garantir que cette interdiction sera respectée ? Peut-on imaginer que certains établissements autoriseront l’usage des téléphones portables dans la cour de récréation et durant les intercours, tandis que d’autres l’interdiront ?

Mme Fabienne Colboc. Je tenais à remercier la rapporteure pour son travail. Ma question porte sur la possession de téléphones mobiles par les jeunes élèves, qui perturbe aussi bien le climat scolaire que le développement personnel des enfants.

Cette proposition de loi a pour objectif de limiter ces perturbations en interdisant l’usage du téléphone mobile à l’école. L’application de cette interdiction, dans la pratique, implique que les directeurs d’école puissent confisquer temporairement le téléphone à un élève. Mais les directeurs ne sont actuellement pas en mesure de le faire, la confiscation n’étant pas une sanction légale. Il conviendrait de sécuriser les directeurs et chefs d’établissement sur ce point pour permettre l’application effective de ce texte.

Mme Céline Muschotti. Mon propos sera à la mesure de ce texte : bref. Je ne reviendrai pas sur le dispositif, qui tend à réécrire l’article L. 511-5 du code de l’éducation, issu de la loi du 12 juillet 2010 qui dispose que « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève d’un téléphone mobile est interdite ». Tout en prévoyant l’interdiction générale et la référence au règlement intérieur des écoles concernées, le texte introduit la possibilité d’exceptions. Selon l’exposé des motifs, cette mention est censée consolider le cadre juridique pour permettre l’interdiction effective du téléphone portable dans toutes les écoles et tous les collèges et sécuriser les directeurs et chefs d’établissement mettant en œuvre cette interdiction.

Si j’ai bien compris, il s’agit de conforter les pratiques d’interdiction totale en prévoyant dans la loi que les règlements intérieurs devront désormais prévoir les lieux où l’utilisation du téléphone portable sera autorisée, plutôt que ceux où elle est interdite.

À défaut de l’être par définition, je suis évidemment favorable par destination à cette interdiction, puisque le texte émane du groupe dont je suis membre et que cette interdiction figure déjà dans la loi depuis 2010.

Ici, la base légale existante semble ne pas suffire. La loi fait remonter dans l’ordre juridique national les règlements intérieurs des établissements concernés par l’interdiction des portables. Sachant que les établissements scolaires ne forment pas un ordre juridique détaché de celui de l’État, contrairement aux fédérations sportives, j’en arrive à poser la question suivante : d’autres dispositions constituant des mesures d’ordre intérieur aux établissements scolaires ont-elles une si faible valeur qu’il faille recourir à l’expression de la souveraineté nationale pour les rendre effectives ? Le cas échéant, faudra-t-il que la loi précise un contenu général d’un règlement intérieur commun à l’ensemble des établissements scolaires ?

M. Gabriel Attal. Madame la rapporteure, vous évoquez dans votre rapport la règle du psychiatre Serge Tisseron dite « 3-6-9-12 ». Il ne s’agit pas de la stratégie d’un match de foot, mais d’une recommandation relayée depuis 2011 par l’Association française de pédiatrie ambulatoire. Cette règle encourage les parents et les éducateurs à faire en sorte d’éduquer progressivement leurs enfants et les élèves aux outils numériques. Les professionnels de santé sont nombreux à tirer la sonnette d’alarme, démontrant que les enfants usent de ces outils de plus en plus tôt, sans réel encadrement. Lors de vos auditions, avez-vous pu évoquer ces problématiques avec les représentants des professionnels de santé et les représentants des équipes pédagogiques ?

Mme Frédérique Dumas. Je veux féliciter la rapporteure et le responsable du texte : il n’était pas évident, en si peu de temps, d’aborder ce sujet. Il est nécessaire de renforcer l’interdiction, en posant un acte fort : on se rappelle que c’était une circulaire qui interdisait le port du foulard à l’école et qu’il a été décidé de légiférer sur cette question.

Cette proposition de loi marque le début d’un parcours, qui passera aussi par la mission d’information. Enfin, ce texte permet de débattre sur ce qu’il est possible de faire, sans interdire d’un côté, ni tout autoriser de l’autre. Je pense notamment à l’intérêt que peuvent présenter certains outils numériques, tels que l’application AVA, lancée par une startup française et dans laquelle Facebook vient d’investir. Cette application pour smartphones permet aux sourds et aux malentendants de suivre des conversations en transcrivant en direct les discussions.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Je vous remercie pour ces questions et pour votre mobilisation. On le voit, ce sujet dépasse largement le cadre de l’école et nous implique tous.

En préambule, je veux dire que je ne vois dans cette proposition de loi ni cynisme ni ridicule. Il me semble au contraire que les mots ont un sens et que l’esprit de ce texte est bien de renverser la logique de la loi.

Cela nous paraissait tout à fait opportun, dans la mesure où l’interdiction n’est pas totale et qu’elle ne concerne pas l’ensemble des établissements. Nous ne disposons pas de données précises, mais la direction générale de l’enseignement scolaire estime que 50 % des collèges environ appliquent l’interdiction. Cette interdiction s’avère bénéfique là où elle est mise en œuvre ; nous entendons donc l’étendre à l’ensemble des établissements. Cette interdiction doit être totale, sauf exception.

Par ailleurs, l’interdiction actuelle porte sur les activités d’enseignement, ce qui nous paraît aujourd’hui désuet et inadapté à l’évolution de la société et de l’éducation. Il nous a semblé nécessaire de permettre une utilisation du téléphone portable à des fins pédagogiques, pour certains apprentissages et pour l’éducation, par la pratique, à un usage civique, responsable et raisonné de l’outil numérique. Il n’est pas question de faire concurrence aux tablettes distribuées généreusement – quoiqu’inégalement selon les territoires –, mais de permettre l’utilisation du smartphone, un objet possédé par une majorité d’adolescents.

Ce texte n’est donc ni cynique ni ridicule, mais pragmatique. Il vise une interdiction par défaut et permet de renforcer les règlements intérieurs contre toute contestation.

Vous avez été nombreux à demander quelles suites il convenait de donner à cette étape. Contrairement à ce qui a été dit, aucun texte n’est prévu pour l’automne. Cette proposition de loi est le premier étage d’une fusée : elle pose le principe de l’interdiction et elle reconnaît la nécessité de mettre en place une démarche éducative. C’est en ce sens que je défendrai un amendement et serai favorable à un autre. Une réflexion parlementaire est engagée : la mission d’information sur l’école dans la société du numérique, dont certains ici font partie, rendra ses conclusions à l’automne, et donnera sans doute une vision plus vaste de la dimension éducative du numérique.

Il n’y a rien de plus contre-productif que de mettre en place des mesures qui ne peuvent être respectées. Il est légitime de soulever la question de la surveillance, mais d’autres interdits, comme celui de se battre ou de fumer, sont respectés dans les établissements scolaires : les adultes qui encadrent nos enfants sont à même de surveiller ce qui se passe dans les cours de récréation et les cantines scolaires.

La question de la confiscation nous a alertés, car les chefs d’établissement appliquent la sanction sans sécurité juridique, seuls les objets dangereux pouvant être confisqués. Cela ne relevant pas de la loi, il nous a semblé opportun de demander au ministre de confirmer par la voie d’une circulaire que la confiscation pouvait être une sanction autorisée dans l’échelle des sanctions et punitions.

Mme Jacqueline Dubois. L’usage précoce et abusif d’objets numériques connectés a un impact sur le bien-être, la santé et les capacités cognitives et adaptatives des enfants. Je pense notamment à ces très jeunes enfants auxquels on confie un smartphone pour contenir leur activité et avoir la paix – c’est en effet un excellent capteur de leur attention ! Les conséquences d’une exposition excessive aux écrans sur le développement sont beaucoup plus graves à un âge où l’intelligence se construit par l’action, par la manipulation et par l’interaction. Madame la rapporteure, comment peut-on sensibiliser les familles sur cette question ? L’école, y compris l’école maternelle, a-t-elle un rôle à jouer dans ce domaine ?

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Nous avons auditionné les responsables du bureau de l’environnement extérieur et des produits chimiques au sein de la sous-direction de la prévention des risques liés à l’environnement au ministère de la santé. Elles ont évoqué longuement les risques d’exposition aux radiofréquences et leur corrélation éventuelle avec le développement de cancers, ainsi que certaines mesures prises : classement des téléphones selon les ondes émises, respect des normes par les constructeurs et les opérateurs, interdiction de la promotion de l’usage auprès des enfants de moins de 14 ans... Nous espérons les rencontrer à nouveau d’ici la séance pour évoquer les sujets d’addictions et de surexposition aux écrans, sur lesquels peu de données scientifiques sont disponibles.

Des collectifs de pédiatres, à l’image du Collectif Surexposition Écrans – COSE – ont effectué des mises en garde, et des recommandations ont été publiées, comme la règle « 3‑6‑9‑12 » du pédiatre Serge Tisseron, qui préconise une exposition progressive aux écrans. Nous avons été informés qu’une saisine du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur ces questions était en cours de préparation. De plus, cette problématique figure dans le plan national de santé publique 2018 et une campagne de prévention est envisagée. Il existe bien une volonté d’étudier cette question dans sa dimension de santé publique.

La question de l’extension de la mesure au lycée a été examinée. Force est de constater que l’utilisation du smartphone et l’isolement de l’adolescent qu’elle est susceptible de provoquer passent bien évidemment la frontière du collège et s’intensifient avec les années. Cette extension ne nous a toutefois pas paru pertinente pour des raisons de mise en œuvre, particulièrement dans des lycées qui accueillent aussi des étudiants en classes préparatoires ou en BTS. En outre, l’accès au lycée représente pour certains élèves la limite de l’âge de la scolarité obligatoire.

Enfin, la mise en place de mesures éducatives sur un usage responsable et raisonné du numérique au collège devrait préparer les lycéens à construire leur autonomie et les préparer à faire un usage responsable de l’outil. C’est pourquoi nous préférons l’éducation à l’interdiction.

 

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique : Interdiction de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges

La commission est saisie des amendements identiques AC11 de Mme Marie-George Buffet et AC16 de M. Frédéric Reiss.

Mme Elsa Faucillon. Nous ne pensons pas que l’interdiction posée par la proposition de loi se justifie, cela d’autant moins qu’elle nous paraît relever du règlement intérieur des établissements, ce qui nous conduit à demander la suppression de cet article unique.

Nous devons faire confiance aux jeunes quant à l’utilisation des outils numériques, à condition de les accompagner dans cette démarche, or le texte proposé ne prévoit rien à cet égard. Nous devons aussi faire confiance aux personnels des établissements pour élaborer et faire appliquer les règlements. Je ne prétends pas que des difficultés ne se rencontrent pas, dans des établissements, pour faire respecter les règles, mais elles ne concernent pas que le téléphone portable, ce qui pose la question des moyens donnés aux personnels pour bien encadrer les élèves. Il doit y avoir du monde dans les établissements scolaires, et des référents pour que soit appliqué ce qui a été décidé.

Non seulement cet article n’apportera rien, mais, surtout, il illustre la défiance vis‑à‑vis des outils numériques, sans prendre en considération ce qu’ils peuvent apporter, ni rien proposer pour accompagner et prévenir des dangers encourus.

M. Frédéric Reiss. L’article L. 511–5 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dit pratiquement la même chose, bien que la nouvelle rédaction me paraisse plus restrictive. Cet article unique aurait eu du sens au sein d’un projet global portant sur l’école du numérique, ce dont nous aurions pu discuter, bien que nous soyons ici dans le domaine réglementaire.

Je veux toutefois saluer le travail de Mme la rapporteure, qui a conduit de nombreuses auditions sur un thème qui ne laisse personne indifférent. Mais elle a, tout comme notre président, engagé le débat en reconnaissant qu’il s’agissait d’une promesse de campagne du président Macron, et qu’il fallait à tout prix faire une loi. Or je pense que l’article L. 511–5 du code de l’éducation est amplement suffisant.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Ce n’est pas sans fondements qu’une nouvelle rédaction de cet article est proposée, et que l’interdiction est rappelée.

Votre proposition est paradoxale, Madame Faucillon : si vous souhaitez faire une plus grande place à la pédagogie, il ne faut pas laisser les choses en l’état. En effet, les textes en vigueur interdisent l’usage du téléphone portable pendant les heures d’enseignement, ce qu’il nous a justement paru souhaitable de rendre possible lorsque l’enseignant souhaite travailler avec le téléphone comme outil pédagogique.

Quant à la démarche éducative, elle fera l’objet de l’amendement que Cédric Roussel défendra au nom du groupe La République en Marche pour amender le code de l’éducation, et je proposerai moi-même d’autres compléments afin de renforcer la lutte contre certaines dérives de l’usage du numérique.

Il nous semble toutefois important de poser le principe de l’interdiction systématique par défaut, afin de combattre les effets de l’usage du téléphone portable sur les capacités d’attention des élèves et la détérioration du climat scolaire. Nous voulons offrir aux enfants un droit à la déconnexion ; nous l’avons fait pour les adultes, ce qui constitue la marque d’un besoin ressenti par la société. Il nous paraît important de considérer l’école comme une île, un lieu de protection, un répit qui préserve nos enfants d’un manque de socialisation susceptible de se faire jour au sein de l’école.

Pour ces raisons, je suis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Cédric Roussel. Pour avoir assisté à l’ensemble des auditions de la rapporteure, je souhaiterais simplement préciser que le principe de cette proposition de loi a été plébiscité, particulièrement par les associations de parents d’élèves.

Ce texte permet de poser le sujet dès la rentrée. Et il doit être mis en pratique par l’ensemble de la communauté éducative.

M. Régis Juanico. Nous avons été destinataires de la contribution de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), une des deux grandes fédérations de parents d'élèves ; à la lecture, je n’ai pas l'impression qu’elle ait plébiscité le texte que nous nous apprêtons à voter…

Ce que j'ai compris entre les lignes, c'est que ce véhicule législatif est incomplet, qu’il ne traite que d'un point très limité. Et, surtout, qu’il a vocation à permettre au ministre de l'éducation nationale, à la rentrée de septembre, de faire des annonces et déployer une communication. C’est normal : il est dans son rôle. Mais en écoutant attentivement mes collègues depuis tout à l'heure, je constate que beaucoup de sujets restent à aborder, éventuellement dans d'autres véhicules législatifs, concernant en particulier l'éducation au numérique.

Je suis membre de plusieurs conseils d’établissements de l’agglomération stéphanoise, notamment de collèges en réseau d'éducation prioritaire (REP ou REP +). Ces derniers mois, j'ai demandé aux principaux, aux enseignants et aux conseillers principaux d’éducation (CPE) qui siègent dans ces conseils si le portable était un souci pour eux. La plupart m’ont répondu que non, que leur règlement intérieur traitait assez bien cette question, aussi ai-je été interpellé tout à l'heure lorsque la rapporteure a dit que la moitié des établissements n'utilisaient pas le règlement intérieur pour interdire le portable partiellement ou complètement.

Je reste donc assez sceptique quant à l'utilité de légiférer, mais je veux bien comprendre qu'il soit nécessaire qu’en septembre le ministre puisse faire des annonces.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AC2 de Mme Frédérique Meunier et AC12 de Mme Marie-George Buffet.

Mme Frédérique Meunier. Après avoir auditionné les agents du ministère de la santé, nous nous interrogeons sur le point de savoir si l’usage du téléphone a des conséquences sur la santé de ces enfants et adolescents. Il serait intéressant qu’un rapport nous soit remis pour connaître les effets de l’usage du téléphone portable dans les écoles. Car il sera difficile d’expliquer à des enfants qu’ils ne peuvent pas utiliser le téléphone dans la cour de l’école parce que c'est dangereux pour leur santé, mais qu’ils pourront l'utiliser dans le cadre de la classe puisque c'est un support d'enseignement.

Mme Marie-George Buffet. Pourquoi faudrait-il attendre pour améliorer cette loi ? Puisque tout le monde ici semble déterminé à ce qu’une information relative à la bonne utilisation des outils numériques soit dispensée et qu’une action de prévention du cyberharcèlement soit mise en œuvre, saisissons l’occasion que nous donne ce véhicule législatif. C’est le sens de notre amendement.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. À Mme Meunier, je répondrai que le Haut Conseil de la santé publique sera saisi de la question de l'exposition aux écrans ; il conduira une étude et rendra des conclusions. Je vois une contradiction, chère collègue, dans votre refus de poser un cadre d’interdiction : dès lors que l’on interdit l’usage du portable dans l’enceinte de l’établissement, on diminue l’exposition des enfants aux écrans. Quant à l’autorisation d’usage en classe, elle sera laissée à la discrétion de l’enseignant. En tout état de cause, l’exposition sera moindre qu’à l’école ou à la maison aujourd’hui.

Il ne faut pas céder à la caricature en affirmant que le portable est dangereux pour la santé des enfants : c’est la surexposition qui pourrait se révéler dangereuse, pas l’objet en soi ; tout est affaire de mesure. Il est évidemment louable de vouloir creuser le sujet, mais la simple remise d’un rapport ne saurait remplacer la mesure contenue dans cet article.

Pour ces raisons, je suis défavorable à l’amendement AC2.

Quant au remplacement, demandé par Mme Buffet, du dispositif proposé par une mesure éducative, je rappelle que nous souhaitons, nous aussi, renforcer la dimension éducative de la loi. Nous allons, pour ce faire, amender l’article L. 312-9 du code de l'éducation. En revanche, la rédaction proposée par votre amendement risque de donner à penser que la loi serait le lieu idoine pour préciser le nombre et les modalités des séances d’éducation nécessaires, ce qui ne nous paraît pas opportun. Avis défavorable.

M. Cédric Roussel. Cet amendement sera satisfait par un amendement que je présenterai tout à l’heure au nom de mon groupe.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AC19 de la rapporteure.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Le présent amendement vise à améliorer et préciser la rédaction du dispositif, tout en conservant son principe et ses modalités d’application.

Il prévoit tout d’abord d’étendre le champ de l’interdiction prévue pour les téléphones portables à tous les équipements terminaux de communications électroniques : l’objectif est d’inclure les équipements connectés tels que les tablettes, les ordinateurs ou encore les montres connectées, afin d’éviter un effet de substitution dans les appareils que les élèves apporteraient à l’école.

Il répond ainsi aux préoccupations de Mme Descamps, dont l’amendement AC9 fait référence aux tablettes et aux montres connectées, ainsi qu’à l’amendement AC14 de Mme Dumas, qui faisait référence à un dispositif personnel de télécommunication mais a été retiré.

Une disposition est en outre prévue afin de ne pas pénaliser des élèves dont l’état de santé requiert l’usage d’équipements connectés, par exemple des appareils permettant aux enfants diabétiques de gérer leur taux de glycémie. Par ailleurs, l’interdiction de l’usage du téléphone mobile ne s’applique pas lorsque celui-ci est utilisé à des fins pédagogiques, ce qu’il semblait utile de mentionner dans la loi plutôt que de faire figurer ces usages dans les exceptions définies par les règlements intérieurs des établissements scolaires.

Enfin, l’amendement précise que l’interdiction s’applique également pendant les activités liées à l’enseignement qui se déroulent hors de l’enceinte des établissements, ce qui permet de couvrir les cours d’éducation physique et sportive (EPS) ayant lieu dans un gymnase ou un stade, par exemple, ainsi que les sorties scolaires, ce qui satisfait les amendements AC1 de M. Testé et AC5 de M. Galbadon.

Mme Elsa Faucillon. Je m’étonne de constater que l’on parle d’objets et absolument pas de contenus, donc de pratiques. Je peux comprendre que l’on souhaite lutter contre le mauvais usage des appareils et les comportements contrevenant aux règlements, même s’il me semble que cette proposition de loi ne répond pas à ce problème et ne relève pas du domaine de la loi.

En prenant connaissance de cet amendement, je pense à l’adolescent qui utilise son portable ou sa tablette pour lire un roman dans la cour de l’école : ce ne serait donc plus possible ? Cela me pose un problème, je souhaite que nous en débattions. Des jeunes lisent des romans, des mangas, des articles de presse avec leur tablette ou leur téléphone portable dans la cour de récréation, ce qui constitue une incroyable richesse.

M. Stéphane Testé. Cet amendement satisfait effectivement en grande partie celui que j’ai déposé, il faudrait toutefois ajouter à la rédaction de la rapporteure la mention des vestiaires.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence les amendements AC9 de Mme Béatrice Descamps et AC1 de M. Stéphane Testé tombent.

L’amendement AC5 de M. Grégory Galbadon est retiré.

La commission étudie l’amendement AC13 de Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Il s’agit d’un amendement de repli.

Prenons garde à ne pas diaboliser les téléphones mobiles et les tablettes. En Seine‑Saint-Denis, des collèges sont équipés de tablettes servant aux devoirs et permettant de communiquer avec les familles, qui elles-mêmes utilisent cet outil. Un collège situé dans une zone très difficile tend à l’excellence, car les enfants découvrent des outils pour apprendre et se connectent à des sites comme celui de l’Institut national de l'audiovisuel (INA), ce qui est formidable. Nous devons être attentifs à la valorisation de ces nouveaux outils dans l’éducation.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Vous soulignez une préoccupation qui est aussi la nôtre. Nous souhaitons poser le principe de l’interdiction afin de poser un cadre à même de prévenir certaines dérives potentielles du numérique, mais aussi valoriser le recours à ces outils dans le cadre d’activités pédagogiques, ce qu’aujourd’hui la loi ne prévoit pas. En effet, des enseignants nous ont dit hésiter à le faire, car ils craignaient d’être hors la loi.

Nous ne diabolisons donc pas l’outil, nous favorisons au contraire le développement de la pédagogie numérique et de l’éducation responsable au numérique.

Mme George Pau-Langevin. Si nous avons largement évoqué les dangers liés à l’usage des instruments numériques, cet amendement a le mérite de mettre l’accent sur le cyberharcèlement. En effet, faute d’avoir conscience des risques auxquels ils s’exposent, beaucoup de jeunes peuvent être piégés par des photos et des informations qui circulent sur internet.

S’il faut limiter l’usage comme vous le proposez, il faut surtout promouvoir l’éducation, et en l’espèce informer les intéressés des risques de cyberharcèlement.

Mme Elsa Faucillon. Plus que de l’interdit, la question est celle du choix des enseignants d’utiliser ces instruments à des fins pédagogiques. En revanche, si l’autorisation de cette utilisation pédagogique constitue le seul objet de ce texte, la question aurait pu être abordée dans le cadre d’une loi plus étoffée se penchant réellement sur les enjeux du numérique.

Par ailleurs, la question de l’égalité des jeunes devant ces appareils est posée : sont‑ils tenus de tous posséder un smartphone pour que le cours puisse être dispensé ? Ou, dans le cadre de modules de lutte contre le cyberharcèlement, des équipements seront-ils mis à leur disposition par les collectivités de référence ? En tout état de cause, des budgets devraient être alloués, car la question de l’égalité des enfants devant la loi pourrait se poser.

Mme Nadia Essayan. Nous sommes sensibles à la nécessité d’informer, d’éduquer et de prévenir au sein de l’école.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Il est important d’aider l’enfant à s’emparer de l’outil et à devenir acteur du numérique. Par ailleurs, le téléphone comme moyen d’opposition et de transgression doit être aussi vu comme un matériel scolaire, afin de rendre son usage plus fluide et responsable, et parfois peut-être moins ludique.

Cela fait l’objet d’un amendement que j’ai déposé. Il modifie le code de l’éducation et organise la prévention du cyberharcèlement en favorisant l’éducation au respect de la dignité humaine ainsi qu’à celui de la liberté d’opinion.

À Mme Faucillon, je dirai que l’égalité des enfants devant les équipements constitue un vrai sujet, et qu’aucune disposition existante n’impose la diffusion massive du « BYOD » dans les établissements. Nous en sommes plutôt au stade de l’expérimentation. Des disparités en matière d’infrastructures de réseau sont d’ailleurs constatées entre départements et entre établissements. Or le téléphone portable avec un accès 4G peut permettre à un plus grand nombre d’enfants dans un plus grand nombre d’établissements d’avoir accès à l’outil numérique.

Certains établissements demandent d’ailleurs aux élèves d’apporter leurs propres téléphones et ont un stock d’appareils qu’ils mettent à la disposition de ceux qui n’en n’ont pas. Il faut effectivement rester vigilant face aux inégalités d’accès.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article unique modifié.

Après l’article unique

La commission est saisie de l’article AC18 de M. Cédric Roussel.

M. Cédric Roussel. Mes chers collègues, cet amendement aura le mérite de nous rassembler. Il vise à compléter l’article L. 121‑1 du code de l’éducation afin que les écoles et collèges transposent à l’ère du numérique l’éducation à la responsabilité civique à laquelle ils concourent et qu’ils puissent former des élèves responsables, y compris dans l’utilisation d’internet et des services de communication au public en ligne.

L’éducation aux médias et à l’information constitue un enjeu primordial pour le Parlement, car elle s’appuie sur une responsabilisation accrue des élèves et de l’ensemble de la communauté éducative.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Cet amendement vient compléter le dispositif proposé d'encadrement de l'usage du portable par un volet éducatif qui me semble bienvenu, dans la logique que j'ai présentée dans mon intervention. L’avis est donc favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle aborde l’amendement AC20 de la rapporteure.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Cet amendement s'inscrit dans la même logique que l'amendement précédent, afin d'accompagner la mesure d'encadrement de l'utilisation du portable par un renforcement de l'éducation à un usage responsable du numérique.

Il modifie en conséquence l'article L. 312-9 du code de l’éducation, qui porte sur la formation des élèves à l'utilisation des outils et des ressources numériques, afin de mettre l’accent sur la nécessité de former les enfants à un usage responsable des outils et ressources numériques, ce qui est intrinsèquement lié à la notion de respect d'autrui, soit l'un des savoirs fondamentaux devant être acquis à l'école.

Il complète les droits et devoirs liés à l'usage d'internet énumérés par l'article L. 312‑9, auxquels les élèves doivent recevoir une véritable éducation, et non une simple sensibilisation, en insérant une référence au respect de la liberté d'opinion et de la dignité de la personne humaine.

Enfin, il prévoit que cette formation à l'utilisation des outils numériques doit contribuer au développement de l'esprit critique des élèves – savoir décrypter les informations, vérifier leurs sources et évaluer leur fiabilité, démonter les rouages des théories du complot… – ainsi qu’à l'apprentissage de la citoyenneté numérique.

À cet égard, il me semblerait utile d'engager une réflexion sur la définition d'un parcours d'éducation à la citoyenneté numérique, sur le modèle du parcours d'éducation artistique et culturelle de l'élève, rendu obligatoire par la loi d’orientation et de programmation du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'école de la République.

Le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) de chaque établissement a d'ailleurs vocation à jouer un rôle actif pour favoriser le développement d'une cybercitoyenneté chez les jeunes, et donc de lutter contre le cyberharcèlement, ce qui devrait, Mme Buffet, satisfaire en partie votre amendement.

La commission adopte l’amendement.

Titre

L’amendement AC10 de Mme Marie-George Buffet est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements AC21 de la rapporteure et AC3 de Mme Frédérique Meunier.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Cet amendement vise à mettre en accord l’intitulé de la loi avec l’intention du législateur, qui est de confirmer l’interdiction posée tout en préservant la démarche éducative. C’est pourquoi nous proposons de remplacer « l’interdiction de l’usage » par « l’encadrement de l’utilisation ».

Mme Frédérique Meunier. Le groupe Les Républicains souhaite également mettre en cohérence le titre de la proposition de loi avec son dispositif. En effet, la proposition de loi crée les conditions d’une autorisation de l’usage pédagogique du téléphone portable dans le cadre d’un projet éducatif. L’exposé des motifs de la proposition de loi énonce en effet : « cette interdiction ne porte pas sur les usages pédagogiques du téléphone portable, s’inscrivant dans un projet éducatif précis et encadrés par le personnel éducatif ».

Par ailleurs, la présente proposition de loi n’instaure aucune « interdiction » comme le prétend le titre, la loi du 12 juillet 2010 l’ayant déjà inscrite.

Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure. Comme je l’ai dit déjà, l’ouverture à l’usage à des fins pédagogiques ne constitue qu’une partie de la mesure puisque nous posons aussi le principe de l’interdiction. Pour ces raisons, mon avis est défavorable.

Mme Nadia Essayan. Ceux qui auront été attentifs à mon intervention se rendront compte que je me suis arrêtée à ces mots, que je n’ai pas utilisé le terme d’interdiction, mais celui d’encadrement ; c’est pourquoi je suis favorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement AC21.

En conséquence, l’amendement AC3 tombe.

La commission adopte ensuite l’ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

 

La séance est levée à dix-huit heures.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 29 mai 2018 à 16 heures 25

Présents. – Mme Aude Amadou, Mme Emmanuelle Anthoine, M. Gabriel Attal, Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Aurore Bergé, M. Pascal Bois, M. Bernard Brochand, Mme Anne Brugnera, Mme Marie-George Buffet, Mme Céline Calvez, Mme Fabienne Colboc, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Frédérique Dumas, Mme Nadia Essayan, Mme Elsa Faucillon, M. Grégory Galbadon, M. Laurent Garcia, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Raphaël Gérard, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Pierre Henriet, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Brigitte Liso, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, Mme Cécile Muschotti, Mme George Pau-Langevin, Mme Maud Petit, Mme Béatrice Piron, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Pierre‑Alain Raphan, M. Frédéric Reiss, Mme Stéphanie Rist, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Agnès Thill

Excusés. M. Jean-Félix Acquaviva, M. Lénaïck Adam, M. Stéphane Claireaux, Mme Annie Genevard, Mme Josette Manin, Mme Sandrine Mörch, M. Franck Riester, Mme Marie-Pierre Rixain