Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 

...................Audition conjointe, avec la commission des affaires européennes, de M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture et au développement rural...              2


Mardi
10 octobre 2017

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 5

session ordinaire de 2017-2018

Présidence
de M. Roland Lescure,
Président,
et de
Mme Sabine Thillaye,
Présidente
de la commission des
affaires européennes
 

 


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La commission des affaires économiques a procédé à laudition conjointe, avec la commission des affaires européennes, de M. Phil Hogan, commissaire européen à lagriculture et au développement rural.

M. le président Roland Lescure. Mes chers collègues, il s’agit de la première audition commune de nos deux commissions depuis le début de cette législature, mais également de la première audition de M. Phil Hogan devant l’Assemblée nationale. Monsieur le commissaire, je souhaitais vous remercier de votre visite devant les parlementaires français. Je sais que vous vous exprimez rarement devant notre Parlement. Cette visite ne pouvait arriver à un meilleur moment, puisque le Président de la République annoncera demain les conclusions du premier chantier des États généraux de l’alimentation (EGA) concernant la création et la répartition de la valeur au sein de la filière agricole. Ce chantier a beaucoup occupé la commission des affaires économiques au cours des dernières semaines.

Les dysfonctionnements des marchés agricoles dans la répartition de la valeur sont importants en France. Ils le sont aussi dans d’autres États membres, y compris celui dont vous venez, l’Irlande. Je crois savoir que vous avez mis en place une task force sur les marchés agricoles, afin d’améliorer la position des producteurs dans la chaîne d’approvisionnement et face aux aléas du marché. Il s’agit d’un sujet important pour nos agriculteurs. Une consultation publique est en cours. Avez-vous déjà des pistes d’amélioration pour les producteurs ?

Nous souhaiterions également vous entendre sur la future politique agricole commune (PAC). Sera-t-elle dotée de nouveaux outils pour traiter des enjeux liés aux aléas climatiques, mais également pour accompagner la transition vers une agriculture plus durable ?

Mme la présidente Sabine Thillaye. Je vous remercie, Monsieur le Commissaire européen à l’agriculture, d’avoir accepté de vous exprimer devant nos deux commissions en cette rentrée parlementaire, alors que les agricultures française et européenne sont soumises à de nombreux défis. La France est un pays riche de ses traditions agricoles, de ses produits, de ses terroirs. Elle est aussi un pays dont l’agriculture est innovante, tournée vers l’avenir et l’export.

Nous savons ce que notre secteur agricole doit à la PAC, premier budget d’intervention de l’Union européenne. Pourriez-vous nous préciser le déroulement des discussions sur les perspectives financières de l’Union et leur impact sur la PAC, en matière tant de volume financier que d’orientation de cette politique ?

Par ailleurs, le secteur agricole reste confronté à de nombreux aléas et à une grande vulnérabilité du fait des fluctuations des cours des matières premières agricoles. Le règlement dit « omnibus » traite d’ores et déjà de la gestion des risques. Le président de la République s’est pour sa part engagé en faveur d’une réforme de grande ampleur de la PAC, permettant de protéger les agriculteurs face aux aléas du marché et aux grandes crises. Quelle est la position de la Commission quant à la pertinence d’un tel outil et comment celui-ci pourrait-il être utilisé concrètement ?

Avant de vous passer la parole, je souhaitais également vous interroger sur deux points d’actualité. La France entre dans le processus de ratification de l’accord économique et commercial global (dit CETA pour comprehensive economic and trade agreement). Celui-ci suscite d’importantes inquiétudes dans le secteur agricole, au regard notamment du respect des normes de qualité des produits ou de la concurrence déloyale, notamment dans le secteur de la viande bovine. Les négociations en cours avec le marché commun du sud ou mercado común del sur (Mercosur) soulèvent les mêmes interrogations. Pouvez-vous nous éclairer sur l’impact de ces accords de libre-échange sur les filières agricoles ?

Enfin, la commission des affaires européennes s’interroge sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate en Europe. Elle a lancé une mission d’évaluation de l’indépendance scientifique des agences européennes chargées de se prononcer sur la dangerosité des produits phytosanitaires. Comment conciliez-vous l’objectif de productivité et d’indépendance alimentaire en Europe avec les impératifs de sécurité environnementale et de santé publique ?

M. Phil Hogan, commissaire européen à lagriculture et au développement rural. C’est un honneur d’être invité par vos commissions. Je comprends que je suis le premier commissaire non français à venir m’exprimer devant vous. Je suis commissaire à l’agriculture et au développement rural et je sais que ce sont des thématiques importantes pour la France. Vous avez dressé un tableau général des problématiques liées à l’agriculture, mais permettez-moi de commencer par une présentation du cadre agricole européen. Vous le savez, la PAC est au service de l’Union européenne et des citoyens depuis 60 ans. Elle veille au principe clé de la sécurité alimentaire, établi en 1962, à une époque où, après la deuxième guerre mondiale, les gens mourraient de faim. La PAC, dès son origine, visait également à garantir un niveau de vie suffisant pour ceux qui produisent ces denrées alimentaires.

Aujourd’hui, nous devons revoir nos priorités et notre philosophie car nous nous trouvons, une fois de plus, à une période de grands changements. Le Président Emmanuel Macron rappelle régulièrement l’attachement de la France à la PAC, qu’elle soutient, mais aussi à l’agriculture, aux problématiques agroalimentaires et aux zones rurales. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les mots qu’il y a consacrés lors de son discours à la Sorbonne, où il exposait que nous n’aidions pas forcément nos agriculteurs comme nous devrions le faire. La France est une nation leader dans le domaine agricole. Elle fait entendre sa voix, elle est déterminée et nous aidera à façonner l’avenir de la PAC. Je suis reconnaissant à l’actuel ministre de l’agriculture, M. Stéphane Travert, et à son prédécesseur, M. Stéphane Le Foll, d’avoir noué avec moi, qui suis commissaire depuis 2014, une relation ouverte et directe.

En de nombreuses occasions, lors de mes visites en France au cours des trois dernières années, j’ai pu constater la variété et la diversité du secteur agricole français. J’ai fait connaissance avec vos agriculteurs, vos coopératives mais également avec les preneurs de décision. Nous avons été confrontés à des périodes difficiles, notamment en 2015 et 2016 lors de la mise en œuvre de diverses mesures d’urgence à la demande de la France, mais également à la suite de l’embargo russe.

Je me suis rendu au salon de l’agriculture, à celui des viticulteurs à Bordeaux, au salon de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), à lEuropean Dairy platform à Nice et j’ai parlé directement avec les agriculteurs français. Je suis convaincu qu’ils ont le talent et l’ambition de triompher dans les décennies à venir, malgré les difficultés que traverse le secteur agricole. Mais je suis convaincu que cela ne sera le cas que si, nous, les décideurs politiques, leur apportons le bon soutien, les bons outils et le bon cadre temporel pour réussir.

Je viens moi-même d’une petite exploitation agricole de cinquante hectares dans le sud-est de l’Irlande. Pendant plus de trente ans, j’ai représenté Kilkenny, une zone rurale très connue pour sa bière, au Parlement irlandais. J’ai donc beaucoup travaillé avec les acteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Je suis tout à fait conscient de leurs problématiques. C’est l’engagement de toute une vie. Je comprends aussi la fierté et la dignité d’un agriculteur, la joie de travailler avec les saisons, la responsabilité de prendre soin de la terre. Mais je sais également les défis qu’il doit relever pour être présent dans le marché agricole quelle que soit la situation ou la météo. Il doit à la fois pourvoir aux besoins de sa famille, disposer d’un revenu suffisant, mais également répondre aux besoins alimentaires nationaux et internationaux.

Du fait de mon histoire personnelle, depuis que je suis commissaire à l’agriculture et au développement rural, je travaille en étroite collaboration avec les États membres afin d’aider au mieux les agriculteurs et les consommateurs à préparer l’avenir. Aujourd’hui, j’aimerais vous présenter ma vision, afin que nous puissions travailler ensemble sur cette base.

Dans les prochains mois, la Commission devrait publier une communication qui définira ses priorités concernant l’avenir et les orientations de la PAC. Je souhaite une PAC plus simple, plus facile à comprendre et à mettre en œuvre, plus moderne, plus efficace mais aussi plus durable.

Je veux que la PAC soit plus simple, car rien n’entrave davantage nos agriculteurs qu’une bureaucratie inutile. Aujourd’hui, la PAC est trop complexe. J’ai déjà procédé à environ trois cents simplifications, qui sont déjà mises en œuvre ou en passe de l’être. Elles découlent de rencontres directes avec les agriculteurs ou les administrations des États membres.

Je veux que notre politique soit plus moderne, car la PAC doit être adaptée aux besoins du XXIe siècle. Elle doit également intégrer les accords internationaux conclus en 2015.

Je souhaite une PAC plus efficace, car nos agriculteurs et nos industries agroalimentaires sont confrontés à des défis sans précédent depuis deux ans et demi, notamment s’agissant des prix des matières premières, particulièrement pour les produits laitiers et la viande porcine. Il est temps d’améliorer et d’accélérer nos modalités de soutien aux agriculteurs en temps de crise, afin de leur octroyer davantage de résilience dans cet univers mondialisé.

Enfin, je souhaite que cette politique devienne plus durable. Je suis convaincu que la PAC peut et doit faire davantage pour créer des emplois ruraux, pour lutter contre les changements climatiques et pour répondre aux objectifs de développement durable dont nous sommes convenus au niveau international. Je tiens à souligner cette ambition environnementale. Ce n’est pas un choix, mais une nécessité. L’Europe a décidé d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques. Ici, à Paris, la COP21 a entériné des objectifs ambitieux en la matière. Nous avons donc choisi cette voie et l’agriculture doit apporter sa pierre à l’édifice. Votre Président de la République l’a clairement annoncé : il souhaite que l’Europe soit pionnière et soutienne une transition écologique effective et équitable. Il a également souligné un point crucial : nous devons investir et apporter de puissantes incitations pour soutenir cette transformation. C’est vrai en particulier dans l’agriculture : si nous aidons nos agriculteurs et nos communautés rurales, ils auront la possibilité d’accélérer radicalement cette transformation pour le bienfait de notre société tout entière. Ce système de production alimentaire plus vert et plus durable sera bien entendu un défi à relever pour nos agriculteurs, mais cela leur permettra également de saisir de nouvelles et significatives opportunités. Les tendances mondiales de consommation sont claires : les classes moyennes sont de plus en plus nombreuses au niveau mondial et réclament sécurité et qualité alimentaires. Or, l’Union européenne dispose des meilleures normes alimentaires. C’est pourquoi nos exportations agroalimentaires ont atteint des niveaux records. Si nous conservons et renforçons notre engagement en faveur de la qualité et du développement durable, nous soutiendrons également le niveau de revenu de nos agriculteurs.

Ils ne doivent pas craindre la concurrence et les marchés mondiaux. Lorsque nous signons des accords de libre-échange avec nos partenaires commerciaux, les normes alimentaires de l’Union européenne ne sont pas négociables. Nos partenaires doivent atteindre ce haut niveau de normes et d’hygiène. C’est une ligne rouge : jamais nous ne serons prêts au compromis en la matière, dans quelque accord de libre-échange que ce soit, passé ou à venir. C’est le cas avec le CETA, c’est également le cas avec le Japon. L’accord de libre-échange (ALE) avec le Japon est un grand succès, mais je suppose que les bonnes nouvelles ne sont pas toujours aussi diffusées que les mauvaises… Nous adoptons aussi cette approche dans les discussions actuelles avec le Mercosur : il n’y aura pas d’accord sans normes alimentaires de haut niveau.

Comme vous l’avez dit, Monsieur le président, l’Europe a besoin d’une chaîne alimentaire qui fonctionne correctement, forte et compétitive sur le marché mondial, mais avant tout au service de nos consommateurs. En tant qu’autorités publiques, nous avons des responsabilités : celle de permettre l’innovation et l’agilité des acteurs de la chaîne alimentaire, mais également celle d’atténuer les aléas du marché. La même situation se retrouve au niveau mondial, où des déséquilibres très forts ont tendance à affaiblir le système et lui font perdre sa cohérence, donc de la compétitivité. Si nous souhaitons que l’agriculture reste un choix de carrière viable pour les jeunes, nous devons faire en sorte que notre politique soit en accord avec nos discours. C’est d’autant plus vrai que nous vivons dans un environnement commercial ouvert, où les chances sont nombreuses, tout comme les risques.

La solidité d’une chaîne d’approvisionnement alimentaire dépend du plus faible de ses membres. Mais le plus important – encore une fois, je fais le lien avec le discours de M. Emmanuel Macron –, c’est que, s’il n’y a plus d’agriculteurs, il n’y aura plus de nourriture. Cela peut sembler alarmiste, mais c’est vrai. C’est pourquoi nous devons garantir aux agriculteurs une part juste de la valeur générée par leurs produits.

C’est là qu’intervient la Commission. J’en ai fait une priorité dès 2014, lorsque j’ai été auditionné par la commission de l’agriculture du Parlement européen, avant ma nomination. Je m’étais penché sur cette question et m’étais demandé comment aider nos agriculteurs, qui sont au premier niveau de cette chaîne d’approvisionnement, et doivent pourtant nous fournir des denrées alimentaires de haute qualité. La valeur ajoutée perçue par les agriculteurs est ainsi en constante diminution, coincée entre des fabricants et celle des distributeurs. Cela reflète un déséquilibre des pouvoirs qui, à mon sens, n’est pas satisfaisant. Pour nous attaquer à ce problème, j’ai effectivement créé une task force « Marchés agricoles » en janvier 2016. Elle a rendu son rapport fin 2016, avec une célérité sans précédent à Bruxelles ! Elle a émis des recommandations et des propositions détaillées, visant notamment à modifier certaines règles au niveau européen. Ces propositions couvrent des sujets aussi divers que les pratiques de marché inéquitables, la promotion de la coopération entre les agriculteurs et la transparence des marchés ou un meilleur accès aux outils financiers et de prévention des risques. Elles sont en cours d’analyse et représentent un apport bienvenu au débat sur le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne alimentaire.

Je crois que ce travail reflète les priorités de votre Gouvernement. Il peut vous aider à dresser la feuille de route agricole de la France. Je suis sûr que cette feuille de route sera en parfaite synergie avec ce que j’ai à l’esprit. La coalition demandant à l’Union européenne d’agir ne cesse de se renforcer. Nous nous acheminons donc vers l’étape suivante : la rédaction d’une proposition, afin d’améliorer la position des agriculteurs vis-à-vis des autres acteurs de la chaîne alimentaire. Je me tourne vers vous pour vous demander votre aide, afin que vous souteniez mon travail avec tous les moyens dont vous disposez, tout comme moi je soutiendrai le vôtre. J’ai compris que votre Président de la République s’emparera de cette question demain. Je me réjouis à la perspective d’entendre les conclusions du premier chantier des États généraux de l’alimentation.

Madame la présidente, vous avez mentionné la question budgétaire et les négociations en cours. Nous en sommes tous d’accord : la PAC est une lueur d’espoir pour nombre d’agriculteurs. Ces agriculteurs sont les gardiens de nos sols et les protecteurs de notre sécurité alimentaire. À ma connaissance, personne d’autre n’est prêt à faire leur travail. Ils ont un rôle très important à jouer dans la lutte contre le changement climatique. Nous devons nous assurer qu’ils aillent encore plus loin. Les agriculteurs et agricultrices d’aujourd’hui sont des leaders. Ils représentent le seul avenir viable de nos communautés rurales. Nous ne pourrons réaliser ces ambitions si la PAC n’est pas correctement dotée. Cela semble évident mais c’est parfois difficile à concrétiser car il y a d’autres priorités – nous le comprenons parfaitement. Je viens de vous faire part de mon engagement en la matière : d’ici la fin du mois de novembre, j’émettrai un certain nombre de propositions afin d’améliorer non seulement nos résultats, mais également leur évaluation. J’ai besoin de votre soutien pour appliquer cette politique. Les agriculteurs européens comptent sur le soutien de pays comme la France.

M. Alexandre Freschi. Au nom du groupe La République en Marche, je vous remercie pour votre venue, qui est un signal positif pour l’avenir. Vous indiquez que vous aurez besoin de notre soutien ; nous aurons également besoin du vôtre. La France est un grand pays agricole. Nous sommes les premiers bénéficiaires de la PAC. Nos attentes sont grandes vis-à-vis de la PAC 2020. Elle doit être ambitieuse, comme l’a rappelé le Président de la République dans son discours à la Sorbonne le 26 septembre dernier. Il a souhaité que puisse être ouverte « de manière décomplexée et inédite » une réforme de cette PAC qui soit « l’instrument de la transition agricole et de la souveraineté de l’Europe face aux grands défis de la mondialisation ».

Ma première question porte sur la nécessité d’assurer la résilience de toutes les exploitations agricoles. En effet, la nouvelle PAC va-t-elle instituer des filets de sécurité et des mécanismes assurantiels contracycliques pour les agriculteurs les plus fragiles – les jeunes, les modestes, ceux qui sont dans une filière en difficulté – afin de leur assurer une réelle protection contre les aléas climatiques et économiques ?

Ma deuxième question porte sur la place des agriculteurs dans la répartition de la valeur ajoutée au sein de la chaîne alimentaire. Comme le rappelé M. Lescure, cette question est le premier chantier des États généraux de l’alimentation : comment la nouvelle PAC peut-elle favoriser la place des agriculteurs dans la filière agroalimentaire ?

La transition environnementale est souhaitable, c’est aussi un défi à relever pour le siècle à venir. Une agriculture durable, c’est une agriculture qui contribue à la vitalité de nos territoires ruraux, à la préservation de l’environnement et qui participe à la lutte contre le réchauffement climatique. Je suis co-rapporteur, avec M. André Chassaigne, d’une mission d’information sur les perspectives de l’agriculture durable dans l’Union européenne. Il s’agit, vous l’avez souligné, du chantier de l’Union pour les vingt prochaines années. Comment la nouvelle PAC va-t-elle aider les agriculteurs à évoluer et à assurer cette transition vers une agriculture durable ?

M. Dino Cinieri. Vous avez souligné que la France a une voix forte en Europe ; vous avez indiqué qu’elle a souffert de l’embargo russe ; vous avez évoqué une PAC plus moderne, plus adaptée, plus efficace ; vous avez enfin rappelé combien les changements climatiques nuisent aux agriculteurs. En 2017, les vignobles français, ainsi que les vergers et les exploitations maraîchères, ont connu de douloureux épisodes climatiques, notamment dans la région Auvergne Rhône-Alpes, deuxième région de France. À titre d’exemple, dans le Pilât, les récoltes de raisin ont été détruites à 85 % par la grêle et le gel ! Alors que les aléas climatiques se multiplient, il est urgent de rendre plus attractif le système d’assurance récolte pour permettre à un plus grand nombre de vignerons de s’assurer.

Ce sujet est en cours de discussion au niveau européen au sein d’un règlement « omnibus » sur la simplification de la PAC. Le Parlement européen a d’ores et déjà adopté un amendement qui permet d’abaisser le seuil de déclenchement de l’assurance récolte de 30 à 20 % de pertes. Début septembre, j’ai écrit à M. Stéphane Travert, notre ministre de l’agriculture, pour lui demander de défendre deux mesures simples qui permettraient de rendre l’assurance récolte plus attractive : la première consisterait à abaisser le seuil de déclenchement de 30 à 20 % ; la seconde à calculer le rendement assurable en s’appuyant sur celui de la meilleure des cinq dernières années. Au nom du groupe Les Républicains, j’aimerais savoir si vous soutiendrez ces demandes des exploitants agricoles lors des négociations du mercredi 12 octobre prochain ?

M. Richard Ramos. Au nom du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, je m’inquiète que le modèle agricole européen soit celui de la firme agricole alors qu’en France, il est celui de la ferme familiale, avec de petites fermes garantes de l’équilibre de nos territoires. Que comptez-vous faire pour maintenir ce modèle français ?

S’agissant du CETA, vous avez dit à juste titre que l’Europe est un bouclier face à des productions différentes des nôtres. Pour autant, aujourd’hui en France, lorsque l’on élève des bœufs, il est, entre autres choses, interdit de les nourrir avec de la farine animale. Les agriculteurs doivent respecter un certain nombre d’interdictions, alors que le CETA n’est pas aussi exigeant, notamment sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Comment harmoniser les réglementations agricoles européennes – applicables à nos agriculteurs – et celles des autres producteurs de viande, notamment canadiens ?

Concernant l’information nutritionnelle aux consommateurs, nous appliquons le Nutri-score de Serge Hercberg, contrairement aux Anglo-saxons qui ne disposent pas des mêmes informations. Pourriez-vous nous indiquer quel modèle a votre préférence ?

Pour finir, je soulignerai une particularité française. Si nous ne mangions que pour des raisons d’hygiène ou de santé, avaler des pilules serait plus simple. Mais un autre élément, dont on parle peu, entre en jeu : le goût. En France, nos productions agricoles sont fondées sur le plaisir et le goût. Cela exige un certain type de production et d’herbage. Il faut protéger le goût ! Lorsque l’on dialogue avec nos partenaires commerciaux, on discute des normes d’hygiène, mais pas du goût… En France, sauvons le goût !

M. Antoine Herth. Je vous interrogerai à mon tour sur la PAC, au nom du groupe des Constructifs. En France, les dysfonctionnements administratifs et bureaucratiques – pour reprendre vos termes – de la PAC dans le traitement des demandes des agriculteurs entraînent des retards pouvant aller jusqu’à deux ans dans le règlement des aides. Cela jette un discrédit sur la pertinence de la politique agricole européenne. J’entends peu accuser Bruxelles mais plutôt l’administration française. J’aimerais avoir votre avis. Un écrivain français, Nicolas Boileau, disait « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Ne faudrait-il pas simplifier les dispositifs ? Peut-être n’est-ce pas l’endroit pour avancer nos propositions en la matière, mais il faudra le moment venu avancer sur ce sujet.

La France a choisi d’engager son agriculture dans une transition écologique pour la rendre moins dépendante des produits phyto-pharmaceutiques et des pesticides. Or, les agriculteurs français nous font souvent observer que leurs voisins européens ont le droit d’utiliser des produits qui leur sont interdits. La réglementation européenne a été conçue sur la base de trois zones pour l’homologation des produits phytosanitaires. Pensez-vous qu’il faudrait revenir sur ce zonage ? Êtes-vous en faveur d’une zone unique pour l’ensemble de l’Union européenne ?

M. Dominique Potier. Au nom du groupe de la Nouvelle Gauche, je vous remercie de participer à ce dialogue en toute franchise. En 2013, la réforme de la PAC a été marquée par des ajustements visant à tenir compte de l’emploi et des actifs, par le biais d’une modulation sur les cinquante-deux premiers hectares et d’une « variable verte » qui s’est parfois traduite par des normes ubuesques et un traitement administratif largement décrié.

À la veille d’une réforme de la PAC, comment ne pas constater que, ces dernières années, la dérégulation a largement dominé en Europe ? Les répercussions violentes liées à la suppression des quotas laitiers ont touché l’ensemble des productions. Je ne donnerai qu’un chiffre, afin de le mettre en perspective avec les 9 milliards d’euros que verse l’Union européenne à l’agriculture : la fin des quotas laitiers – alors qu’ils auraient pu être réformés – entraîne des pertes de valeur considérables : un centime de perdu par litre de lait, c’est 250 millions d’euros de pertes pour la France et 4 000 euros par ferme concernée. Voilà l’effet des dérégulations et des compétitions intra-européennes !

Je m’inquiète également que la viande bovine devienne une variable d’ajustement dans les négociations internationales, notamment celles du CETA ou avec le Mercosur. Même une faible ouverture aux importations peut désorganiser et désorienter des productions qui jouent un rôle écosystémique et d’aménagement du territoire extrêmement précieux pour lutter contre le changement climatique. Ce que vous financez d’un côté n’est-il donc pas abandonné de l’autre ?

Des rumeurs courent quant à un report de la PAC au-delà de 2020 – on parle de 2024. Quelle est votre position et quel est le calendrier ? Préparez-vous une PAC d’ajustement ? Nous pensons qu’il faut, dès 2020, une réforme de la PAC et une révolution de la gestion des aides pour faire face aux changements climatiques, à la justice sociale et à la recherche d’une plus forte valeur ajoutée économique et écologique.

Enfin, face à l’accaparement des terres par des puissances financières extérieures, envisagez-vous une nouvelle normalisation du marché foncier européen ?

M. André Chassaigne. J’interviens au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Monsieur le commissaire, vous avez résumé l’attente que vous aviez des agriculteurs français en disant « ils ont du talent et l’ambition de continuer à triompher ». Mais ce sont des mots ! J’ai moi-même peut-être un langage un peu vif mais vous ne tenez pas compte de la réalité : ce sont les décisions prises au niveau de la PAC qui, en fait, alimentent ce formidable affaiblissement de l’agriculture européenne et française.

Quand vous parlez du CETA, vous usez de formules déconnectées des réalités. Il est faux de dire qu’il n’y aurait pas eu de compromis : le volet agricole de ces négociations ne comporte aucune réelle garantie quant au respect des normes européennes ou à la qualité des productions. Moins de 10 % des 1 500 indications géographiques protégées (IGP) européennes sont référencées – donc protégées – dans le CETA. Vous parlez de « confiance » mais, pour ne prendre qu’un seul exemple, personne n’a pu à ce jour nous démontrer l’intérêt pour les Européens de disposer de viande bovine canadienne, transitant sur des milliers de kilomètres, alors que nos productions communautaires et locales sont de grande qualité et que leurs atouts environnementaux sont reconnus.

Pensez-vous véritablement que cette ouverture à tout va du marché – dont nous connaissons les conséquences concrètes – va permettre le maintien d’une agriculture européenne ? Que cela sera économiquement positif pour l’agriculture européenne ? Les observateurs estiment au contraire que ce sera « perdant-perdant », en particulier pour les éleveurs français.

Nous retrouverons la même situation avec le Mercosur, puisque le Président Juncker a récemment fait part de son intention d’ouvrir en grand les vannes de la négociation, y compris au niveau agricole, sans aucun doute en prenant appui sur le précédent du CETA. Soyons donc précis, concrets, pédagogiques : quels sont les avantages et inconvénients de ces accords ou de ces projets d’accords pour le secteur agricole ? Quel est l’intérêt objectif pour les agriculteurs européens, pour les consommateurs ? Cela nous permettra-t-il de répondre aux grands enjeux alimentaires et environnementaux de notre siècle ?

Je reviendrai également sur la garantie des prix qui s’inscrit dans l’article 33 du Traité instituant la Communauté européenne et exige notamment « d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture ». Pour y arriver au niveau européen, il faut des prix planchers. Mais vous menez uniquement une politique de libre concurrence et de compétitivité à tout prix… En conséquence, des territoires entiers vont mourir et notre agriculture continuera à dépérir.

Mme Danièle Obono. Au nom du groupe de La France Insoumise, je rejoindrai l’interpellation de notre collègue André Chassaigne sur le CETA. J’aborderai également le dossier du glyphosate.

Je tiens à faire part des préoccupations d’un certain nombre de chercheurs, d’agriculteurs et de citoyens français vis-à-vis de l’application du CETA, qui va faire primer les intérêts commerciaux et ceux des investisseurs, sans qu’un retour en arrière soit possible. Ainsi, la coopération réglementaire, nouveau mécanisme permis par le CETA, est un dialogue centré sur le commerce, en collaboration étroite avec des intérêts privés. Elle est d’ores et déjà appliquée, avant même que les nouvelles règles soient débattues par nos Parlements : c’est un recul démocratique ! Notre collègue l’évoquait, la reconnaissance mutuelle de normes permet l’importation de denrées alimentaires dont la production a requis des techniques ou l’usage de produits interdits au sein de l’Union européenne. Le principe de précaution, qui constitue une base essentielle de la politique communautaire de santé, d’environnement et de protection des consommateurs, est absent de la culture réglementaire nord-américaine et n’est pas explicitement reconnu par le CETA.

En outre, si une nouvelle réglementation européenne ou nationale était adoptée, privilégiant par exemple les enjeux de santé publique ou de protection de l’environnement, des indemnisations colossales pourraient devoir être versées. Nous ne disposons pas de garanties suffisantes pour considérer que ce traité va dans le sens de l’intérêt de l’agriculture et des consommateurs.

Nous souhaiterions avoir votre point de vue sur le glyphosate, après les révélations des « Monsanto papers » : quelles dispositions pourraient adopter l’Union européenne pour accompagner les agriculteurs dans cette sortie du glyphosate ? Cela nécessiterait de remettre en cause l’agriculture productiviste qui est aujourd’hui celle de l’Union européenne.

M. Phil Hogan. J’ai déjà exposé nos projets concernant la chaîne alimentaire : nous recherchons un meilleur équilibre sur le marché, entre les agriculteurs, les intermédiaires, les distributeurs. Nous avons créé un groupe d’experts en 2016, une task force « Marchés agricoles », dans laquelle figuraient des représentants français du secteur de la grande distribution. Personne ne peut dire qu’il n’y avait pas de représentants des détaillants au sein de ce groupe, qui s’est penché sur les différentes options possibles. Je ne doute pas qu’il y ait eu de nombreux désaccords, mais nous avons quand même un rapport et des recommandations. Nous allons fonder notre futur travail sur ces recommandations. Je vais faire des propositions au premier semestre 2018 pour traiter cette question.

Je suis d’accord avec vous quant à la nécessité d’une transition écologique et de plus grandes ambitions environnementales. Lorsque l’on attribue l’argent des contribuables européens pour atteindre un objectif, il faut d’abord pouvoir identifier la performance et les résultats escomptés. L’Union européenne sera extrêmement ambitieuse dans la détermination de ces objectifs. Les États membres vont avoir l’occasion de répondre à ces objectifs européens. Quant aux implications financières, vous aurez également la possibilité de répartir plus souplement, au niveau national, les financements apportés par Bruxelles. Vous pourrez ainsi vous rendre dans les ministères français plutôt qu’à Bruxelles pour faire entendre votre voix.

Chaque année, l’Union européenne verse des fonds au Gouvernement français – la France est le plus grand bénéficiaire de la PAC – encore faut-il que ces fonds arrivent aux exploitants. Comme tous les États membres, vous devez investir dans un système intégré de gestion et de contrôle pour identifier les parcelles. Il faut moderniser vos systèmes informatiques car, sinon, vos agriculteurs ne disposeront jamais des fonds européens. Je sais qu’il y a beaucoup de débats sur ces questions en France. À l’avenir, nous pourrons peut-être vous donner d’avantage de flexibilité si le Conseil « Agriculture » et le Parlement européen se mettent d’accord.

Je souscris à l’usage du mot « équitable ». Vous avez raison, 80 % des subventions bénéficient à 20 % des agriculteurs. C’est un problème foncier : 80 % des terres sont détenues par 20 % des agriculteurs… Les paiements sont fondés sur les superficies, découplés de la production. Or, se cantonner à la taille des parcelles n’est évidemment pas juste.

Nous pouvons faire plus, en ciblant les plus petits exploitants et en recherchant plus de diversité. Récemment encore, nous avons proposé de plafonner l’aide maximale, mais le conseil des ministres a refusé. Nous n’allons pas baisser les bras : nous réessaierons.

L’étiquetage nutritionnel et la labellisation d’origine sont des problématiques françaises très sensibles : bien sûr, nous devons fournir un maximum d’informations aux consommateurs français et européens, mais il faut également protéger le marché intérieur. Vous ne voulez pas vous retrouver isolés : il faut que vos produits puissent s’écouler sur le marché européen et mondial le plus vaste possible. Une bonne labellisation reflète de bonnes normes de qualité.

Je tiens à souligner un point très important s’agissant de nos accords commerciaux : le CETA est un accord exigeant en matière de normes. C’est par ailleurs le plus important accord conclu par l’Union européenne avec un grand pays. Les négociations avec le Mercosur sont en cours et représentent huit fois les enjeux financiers du CETA ! C’est considérable. Mais, in fine, ce seront les États membres qui signeront, ou pas, ces accords. En outre, la Commission publie les mandats, mais ils doivent ensuite recevoir l’aval du Conseil, donc des gouvernements des États membres : ce sont eux qui mandatent la Commission pour ces négociations et qui donnent leur aval.

Ce n’est certes pas ce qu’a dit l’un d’entre vous, mais c’est bien ainsi que les choses se passent. Nous procédons toujours ainsi : la Commission propose et le Conseil donne son accord, puis la Commission négocie et le Conseil et le Parlement européen doivent valider le résultat des négociations. Nous opérons donc en toute transparence.

Vous avez raison, la viande bovine est un sujet très sensible. J’ai mandaté des études d’impact pour évaluer les conséquences des accords de libre-échange passés et futurs dans ce secteur. Ma collègue en charge du commerce est également consciente des enjeux. Pour ces produits sensibles, comme le bœuf, le sucre ou l’éthanol, nous estimons qu’il faut fixer des limites, tout en veillant à maximiser les perspectives pour les agriculteurs européens. J’appelle très régulièrement les autres commissaires européens à être extrêmement sensibles à ce secteur important.

Personne n’a évoqué le Japon. Pourtant, notre accord avec ce pays a débuté sur la base de 1 500 tonnes de viande bovine ; aujourd’hui, nous avons atteint 65 000 tonnes. Le commerce des fromages à pâte dure, des alcools, du vin et des produits agricoles transformés est totalement libéralisé et nous disposons de belles opportunités pour le lait écrémé en poudre, le blé et les produits laitiers.

Vous le voyez, il convient de trouver le juste milieu pour aller vers un « donnant-donnant ». Les acteurs extérieurs au secteur agricole vont vous interpeller : pourquoi privez‑vous l’industrie ou les services financiers de 4 milliards d’euros de revenus supplémentaires qui découleront de l’accord avec le Mercosur ? Il faut faire des compromis et des concessions en matière agricole pour que les secteurs financiers et industriels, créateurs d’emplois en France comme ailleurs en Europe, bénéficient également de ces accords.

Mais, je le répète, la viande bovine est un sujet très sensible. Je suis parfaitement conscient des risques encourus. Nous verrons quels seront les résultats de la négociation et, in fine, la France et les autres États membres décideront.

Dans tous les accords de libre-échange, nous mentionnons les indications géographiques, importantes pour la France. Le CETA, par exemple, comporte 443 références à des produits alimentaires disposant d’une indication géographique protégée (IGP) au niveau européen. Au départ, les Canadiens, qui n’ont pas d’IGP, n’acceptaient pas notre système. Au bout d’une journée, ils ont changé d’avis. Nous aurions refusé d’avancer dans les négociations tant que les IGP et nos normes n’étaient pas acceptés. C’est la même chose avec le Mercosur et pour tous les autres accords : nous demandons aux autres pays d’accepter notre système. Les Américains ne sont pas d’accord et veulent continuer à utiliser les noms génériques, qui n’offrent pas la protection nécessaire aux produits français et européens.

Nos outils de résilience en faveur des exploitants agricoles font pour le moment l’objet de paiements directs en soutien aux revenus des agriculteurs. Cela sera-t-il le cas dans le futur ? Le Conseil et le Parlement européen doivent l’accepter, mais pour ma part, je vais le proposer. Cet outil est un filet de sécurité pour garantir un certain niveau de revenu aux petits et moyens exploitants. Il nous faut également étendre les outils assurantiels existants et les autres outils de stabilisation des revenus pour que les agriculteurs puissent rapidement disposer d’une source de revenus en cas de crise. Nous devons tirer les leçons des dernières crises, qui ont touché les produits laitiers et la filière porcine.

Par ailleurs, pour que l’agriculture soit pérenne dans certaines zones spécifiques, comme la montagne, celles‑ci doivent disposer d’une protection supplémentaire, car les agriculteurs y travaillent dans des conditions difficiles. La qualité y est également primordiale. J’étais il y a peu en Savoie. Le lait produit pour fabriquer du fromage y est acheté 70 centimes le litre aux agriculteurs. On voit que la qualité et les IGP sont profitables aux communautés rurales.

Pour gérer les risques climatiques, nous voulons continuer à nous appuyer sur les assurances. Mais je souhaite également octroyer une certaine souplesse aux États membres confrontés aux problèmes climatiques, comme le gel, pour qu’ils puissent proposer des mesures adaptées à leurs zones rurales. Nous donnons déjà beaucoup de flexibilité aux États membres dans le cadre du programme de développement rural, puisqu’ils peuvent modifier les règles une fois par an, s’ils rencontrent une situation ou un problème particulier. Je ne pense pas que la Commission ait été particulièrement exigeante en la matière au cours des deux dernières années.

L’Union européenne est impliquée dans les recherches scientifiques autour de la molécule qui entre dans les mélanges au glyphosate. L’Union ne s’est penchée que sur cette molécule et nos études scientifiques montrent qu’elle est sans risques pour la santé humaine. Nous l’avons revérifié de différentes façons, la pression politique étant forte sur ce sujet. Le commissaire que je suis a dû gérer cette crise et a été particulièrement attentif aux études menées sur cette molécule. Mais d’autres composés entrent dans la production de la mixture finale. Ces autres produits sont rajoutés au niveau des États membres. Ce sont donc les États membres qui décident de la composition du mélange.

Que va-t-on faire si ce produit est interdit ? Malheureusement, je ne connais ni la réponse, ni les alternatives. La recherche pour trouver de nouvelles molécules est encore insuffisante. Le débat est hautement politique ; il a pris le dessus sur le débat scientifique. Or, je fonde d’abord mon raisonnement sur des bases scientifiques.

La réforme de la PAC a bel et bien débuté. Nous ferons une communication le 29 novembre. Le cadre budgétaire 2020-2027 sera publié en mai 2018, je ferai une proposition législative en juin 2018 et, entre cette date et les élections européennes, nous aurons un débat sur ces propositions. La fenêtre d’opportunité sera de neuf mois. La grande campagne de consultation publique que nous avons lancée a porté ses fruits puisque 322 000 personnes ont répondu, contre à peine 5 500 la dernière fois. Vous le voyez, tout le monde peut participer à cette consultation ouverte !

S’agissant de la déréglementation du secteur laitier, nous continuons à mener des interventions dans le secteur, à offrir des aides au stockage privé, à opérer des paiements directs ainsi qu’à proposer des produits d’assurance qui aident les agriculteurs à stabiliser leurs revenus. Cela fait partie du deuxième pilier de notre politique agricole commune.

Je ne vois d’ailleurs pas, pour l’avenir, de libéralisation totale du secteur laitier. Je compte au contraire pas moins de vingt-trois mesures prises pour le soutenir, notamment, je l’ai dit, l’aide au stockage privé. Près de 380 000 tonnes de poudre de lait écrémé sont stockées de manière privée à l’heure actuelle. Que dois-je en faire ? Si je ne trouve pas de solution pour écouler ce produit, cela peut entraîner un risque de pression sur les prix en 2018, et faire du tort à nos producteurs. Car l’industrie agroalimentaire s’attend à la libération, tôt ou tard, de ce surplus. Nous réfléchissons donc à des solutions pour écouler ces produits dans les six à neuf mois afin d’éliminer cet excédent en souffrance sans peser sur les prix et nuire aux exploitants. En définitive, c’est ce qui nous importe plus : maintenir le niveau élevé de prix que nous connaissons à l’heure actuelle.

J’en termine par la hausse récente du prix du beurre. Cette augmentation est allée jusqu’à 50 % à travers l’Union européenne, mais ne s’est élevée en France qu’à 12 %, où la baisse n’avait certes pas été aussi prononcée. Il me semble cependant que c’est un sujet à débattre en France, peut-être dans le cadre des discussions sur la chaîne alimentaire : comment remédier à la concentration du marché. Le débat ouvre peut-être des possibilités.

M. le président Roland Lescure. Cela fait partie des réflexions que nous menons dans le cadre des États généraux de l’alimentation.

M. Jean-Baptiste Moreau. L’agriculture européenne, quelle que soit la filière, connaît une situation compliquée. Aujourd’hui, ce sont les aides de la PAC, et non la vente des produits, qui constituent tout ou partie du revenu de nos agriculteurs. De plus, à l’image de l’agriculture française qui était très exportatrice, la compétitivité de nos produits ne cesse de décroître.

Il me semble que cela est dû à deux facteurs. Tout d’abord nous mettons en concurrence nos produits agricoles européens avec des produits qui n’obéissent absolument pas aux mêmes normes de production et dont les coûts de production sont donc significativement inférieurs aux nôtres. Or, les enjeux environnementaux sont tels que nous ne pouvons continuer ainsi.

L’autre facteur est plus spécifiquement lié à la situation française. Il y a un vrai déséquilibre au sein de l’économie agricole française avec une grande distribution qui ressemble furieusement à un oligopole, une transformation avec quelques grandes entreprises et une production qui est très peu organisée et très diverse. L’aval de la filière est très clairement en force par rapport à l’amont.

Des États généraux de l’agriculture, qui rassemblent l’ensemble des filières agricoles françaises, des producteurs aux consommateurs, il ressort une piste de travail : croyez-vous possible de reconnaître une exception « agriculturelle » européenne, tout comme on a reconnu une exception culturelle ? Pour être plus clair, croyez-vous possible, d’une part, d’appliquer une taxe à l’importation sur des produits qui n’obéiraient pas aux mêmes normes et conditions sanitaires et environnementales que les nôtres, d’autre part, de permettre un regroupement et un échange d’informations tarifaires entre les producteurs d’une même filière afin de rééquilibrer le rapport de force ?

M. Arnaud Viala. Monsieur le commissaire, nous partageons le même constat. Croyez que l’agriculture française est consciente du rôle de la PAC dans l’équilibre de ce secteur. Mais elle est aussi extrêmement attentive à la renégociation de la PAC. Pourriez-vous d’ailleurs préciser à quelle date la nouvelle PAC entrera en vigueur ?

Mes trois autres questions sont complémentaires.

D’abord, il me semble que la future PAC devra émettre un message politique sur les enjeux de l’agriculture. Outre les enjeux environnementaux et le défi de nourrir une population en croissance, l’agriculture doit aussi être confortée dans sa dimension économique, car c’est d’une activité économique à part entière qu’il s’agit.

Ensuite, la transmission des exploitations pose problème en France, comme sans doute dans d’autres pays de l’Union. Certains de mes collègues ont évoqué la taille familiale de nos exploitations. La future PAC pourra-t-elle accompagner la France dans sa réflexion sur la transmission des exploitations ?

Enfin, la prédation exercée par les loups fait peser une menace sur l’élevage. Les massifs montagneux français sont très actifs sur cette question. Nous cherchons aussi des échos dans les autres zones concernées en Europe. Quel est l’état actuel de la réflexion de la Commission sur la convention de Berne et sur la directive « Habitat », dont je pense qu’elles devront être revues ?

Mme Liliane Tanguy. Je souhaite intervenir sur la question de la création et de la répartition de la valeur au sein de la chaîne alimentaire et plus précisément sur la problématique du revenu décent assuré à nos agriculteurs.

Vous avez fait mention de ce sujet, la semaine dernière, dans votre discours à Dublin, à la conférence de la Food safety authority of Ireland (FSAI), en annonçant l’élaboration d’une proposition législative par la Commission visant à encadrer l’influence abusive de la grande distribution sur les producteurs primaires.

Comment entendez-vous introduire dans cette proposition la possibilité d’établir des contrats, d’une part entre les producteurs et les structures industrielles, afin de prendre réellement en compte les coûts de production des agriculteurs, d’autre part entre les industriels et la grande distribution, afin d’éviter la revente de produits à perte ?

M. Joaquim Pueyo. De nombreux rapports sont déjà parus sur ce que doivent être les objectifs de la prochaine politique agricole commune. Chez certains, on trouve la proposition de renforcer le lien entre alimentation, santé, et production agricole et de transformer la PAC en une politique alimentaire et agricole commune, en renforçant son volet environnemental.

Aujourd’hui, les aides au verdissement ont permis à de nombreux agriculteurs de s’orienter vers des pratiques agroécologiques. Les fermes biologiques ont tiré gain de ces reconversions. Néanmoins, compte tenu de l’ancienneté de leurs pratiques, de nombreuses fermes de petite ou moyenne taille, poursuivant avec persévérance une agriculture traditionnelle, paysanne, basée sur la polyculture et l’élevage à l’herbe, très peu consommatrice en produits chimiques, ne peuvent hélas bénéficier d’aides.

Ces exploitations, vertueuses dans leurs pratiques, véritables conservatoires de paysages naturels composés de prairies et de haies, sont aujourd’hui menacées de disparition face à la concurrence des exploitations agricoles spécialisées dans des monocultures ou monoactivités, qui reçoivent des aides publiques beaucoup plus importantes.

Pensez-vous possible de prévoir, dans la future PAC, des aides publiques au maintien des bonnes pratiques et des produits alimentaires de qualité issus de pratiques agroécologiques, au bénéfice de ces petites exploitations non labellisées comme fermes biologiques ?

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Dans le Nord de la France, il est de plus en plus fréquent que des surfaces soient louées – à des tarifs excessifs pour les agriculteurs en place, dont on connaît les problèmes de revenus – à de riches industriels belges ou néerlandais qui ne se sentent apparemment pas obligés d’appliquer les règles, normes et contraintes qui s’imposent en France, cette production étant transformée au Benelux. Cette situation est la conséquence des failles de notre politique européenne évoquée plus tôt. Comment comptez‑vous enrayer ce phénomène ?

M. Éric Straumann. J’ai été interpellé ce week-end par nos artisans pâtissiers, au sujet du prix du beurre, qui a été multiplié par deux en un an, tandis que les revenus des producteurs demeurent faibles. Les prix sont tirés par la demande très forte aux États-Unis et en Asie, et l’on parle même de possibles difficultés d’approvisionnement dans la grande distribution en fin d’année.

L’on se souvient tous des montagnes et des stocks de beurre que l’Union européenne entretenait entre 1964 et 2007. Veut-elle encore jouer un rôle sur ce marché qui a été stratégique par le passé ?

M. Grégory Besson-Moreau. Ma question concerne la réflexion que la Commission a engagée en novembre 2016 à propos du marché du bioéthanol. Elle souhaite pour la période 2020-2030, voir chuter de 7 % à 3,8 % le taux d’incorporation du bioéthanol de première génération. Pour les industries françaises de la trituration, amidonnières et sucrières, ce serait la double peine, car à cela s’ajoutera l’accord Mercosur qui prévoit d’ouvrir le marché européen à des produits sensibles incluant notamment l’éthanol et le sucre du Brésil, à hauteur de 10 %.

La conséquence première d’une telle orientation serait l’augmentation du taux d’incorporation du bioéthanol de deuxième génération à 6,2 %. Or, la filière bioéthanol de deuxième génération n’est pas au point et ses coûts sont beaucoup plus élevés.

Il faut prendre conscience que ces deux bioéthanols doivent coexister. La Commission européenne cherche à substituer la deuxième génération à la première, alors que c’est l’addition des deux qui permettra de remplir les objectifs.

Le marché de l’éthanol français représente 25 % de la production européenne et l’investissement pour le produire a représenté plus d’un milliard d’euros. En 2003, la Commission européenne a décidé que le taux d’incorporation devait être de 5,75 % pour 2010. En 2009, elle l’a fixé à 10 % pour 2020. En 2015, elle a choisi de faire redescendre ce taux à 7 % et, je le disais, elle souhaite désormais qu’il soit de 3,8 %. Ce yoyo permanent n’est plus possible pour nos agriculteurs.

La betterave joue un rôle d’équilibre majeur pour l’agriculture française. Monsieur le commissaire, pensez-vous possible, au regard des investissements consentis par les producteurs, de maintenir un taux de 7 % pour le bioéthanol de première génération afin de préserver les outils et le marché actuel, et d’augmenter le taux d’incorporation du bioéthanol de deuxième génération pour les futurs marchés ?

M. Phil Hogan. Les normes sont parties intégrantes de tous les accords commerciaux que nous signons. Avec le Mercosur, nous n’avons pas encore réussi à trouver un accord tout simplement parce que nous estimions que nous n’étions pas sur un pied d’égalité et que nous étions aussi en désaccord sur un certain nombre de points, notamment au sujet des normes.

Nous avons conclu un accord très positif avec le Japon, qui inclut non seulement les normes en matière d’alimentation, mais aussi les standards dans le domaine de l’environnement et du bien-être animal. C’est dans ce sens que nous continuerons de travailler. La France dégage aujourd’hui, dans le secteur agroalimentaire, un excédent commercial de 13 milliards d’euros vis-à-vis du reste du monde. Cela crée beaucoup d’emplois et je ne vois pas d’alternative, dans les zones rurales, à ce secteur alimentaire orienté vers les exportations et pourvoyeur d’emplois substantiels.

Je ne crois pas qu’il y ait besoin d’instaurer des taxes à l’importation. C’est tout à fait à l’encontre de cet esprit de commerce et d’ouverture. Mais nous pratiquons en revanche des restrictions quantitatives sur les importations, notamment sur les marchés de produits dotés de labels. C’est du donnant-donnant. Pour l’accord économique et commercial global avec le Canada, nous avons ainsi pu, en autorisant l’entrée de viande bovine sur le marché européen, obtenir des débouchés pour les produits fromagers européens au Canada. Dans l’ensemble des accords de libre-échange que nous nouons, nous essayons donc d’atteindre un équilibre raisonnable.

Dans l’accord avec le Japon, des avancées ont été obtenues sur la question de la viande bovine qui pourront, je l’espère, compenser les pertes consenties dans le CETA. Peut‑être cela permettra-t-il aussi de rééquilibrer certaines concessions que nous pourrons faire dans le cadre d’un accord avec le Mercosur. Il est nécessaire de comprendre ces équilibres, même s’il s’agit, bien sûr, de questions particulièrement sensibles.

Les organisations de consommateurs sont essentielles pour améliorer le résultat des négociations. Bien entendu, nous essayons de permettre aux coopératives et aux organisations de producteurs de faire entendre une voix forte. Nous les promouvons, nous nous efforçons d’en créer davantage et leur apportons un soutien financier lorsqu’elles souhaitent s’établir.

Quant à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle PAC, la décision n’est pas entre mes mains, mais dans celles du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen. Je suis conscient qu’il faudra une réforme après 2020.

Je vois trois piliers constitutifs d’une politique agricole commune : économique, environnemental et social. Le pilier environnemental recouvre la problématique des contraintes naturelles, car il n’est bien sûr pas possible de mener les mêmes activités en plaine et en montagne. Mais le pilier économique est le plus important : il s’agit de garantir aux exploitants le meilleur niveau de vie possible, même s’il y aura toujours des périodes difficiles à traverser ; s’agissant du pilier social, je rappelle que non moins de 44 millions de personnes sont directement ou indirectement employées dans le domaine de l’agriculture, premier employeur d’Europe, dont dépendent beaucoup d’individus et d’entreprises.

Si la population mondiale croît de 40 % dans les trente-cinq prochaines années, et si la classe moyenne se développe, alors nous devons persévérer dans le domaine de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de l’alimentation de qualité, au sein de l’Union européenne et dans le monde.

Nous essayons de comprendre comment améliorer la mobilité pour les jeunes exploitants. L’Union européenne doit apporter de la valeur ajoutée, elle ne doit pas interférer, par exemple, sur des questions de fiscalité qui relèvent des États membres. Des incitations à des aides peuvent contribuer à mieux impliquer les jeunes dans la gestion des exploitations, de façon qu’ils puissent poursuivre le travail de leurs parents.

La question des loups se pose avec une acuité croissante et fait l’objet de discussions entre nous, mais elle relève moins de l’Union européenne que des États membres.

S’agissant de la position des exploitants dans la chaîne alimentaire, nous cherchons à bannir les pratiques déloyales et à améliorer la transparence. Nous constatons également que vingt-deux États membres ont eu le sentiment qu’ils devaient eux‑mêmes se pencher sur la question, ce qui signifie qu’il y a un problème. La question qui se pose est de savoir comment harmoniser les systèmes au sein de l’Union européenne afin d’avoir un marché où tout le monde joue sur un pied d’égalité. Voilà le type de démarche que nous suivons. Une proposition sera déposée en 2018 à ce sujet.

Nous devons nous emparer de la question de l’agriculture de conservation, celle qui améliore le potentiel agronomique des sols. Nous nous faisons le chantre des pratiques respectueuses de l’environnement et nous continuerons dans cette voie. Dans le cadre du deuxième pilier, les États membres disposeront d’une flexibilité accrue pour apporter leur soutien à l’agriculture traditionnelle, s’ils souhaitent le faire. Des groupes leaders travaillent en ce domaine dans les États membres, pour comprendre comment venir en aide aux exploitants pour qu’ils puissent compter sur un soutien à leur revenu leur permettant de continuer à vivre dans leur zone rurale. Parfois, ils ne disposent pas de toutes les compétences, mais les compétences traditionnelles sont très intéressantes. Peut-être pourrions-nous, à cet égard, étendre notre offre culturelle et patrimoniale. Je soutiens donc tout à fait l’agriculture traditionnelle et je souhaite que nous la préservions.

Une proposition de réforme du marché du bio devrait bientôt être soumise aux institutions, l’objectif étant de diminuer les restrictions au commerce et d’étendre un certain nombre de dérogations. Notre objectif est aussi de réduire autant que possible le niveau des pesticides employés. Nous avons engrangé beaucoup de progrès au cours des dernières années, sans qu’il y ait de distorsions de marché, mais en offrant une certaine souplesse.

J’ai l’impression que la location de terres dans le Nord de la France par des Belges ou des Néerlandais pose beaucoup de difficultés. Mais je ne suis pas sûr d’avoir tout à fait suivi le problème. Peut-être serait-il utile de disposer d’une définition de l’agriculteur actif. Nous allons l’intégrer dans la consultation en cours auprès des exploitants, à qui nous demandons toujours de se définir. Il serait alors possible d’annoncer qu’aucune aide ne sera versée aux exploitants qui ne respectent pas cette définition de l’agriculteur actif. Cela pourrait permettre de régler cette question. Le règlement « omnibus » dans le domaine de l’agriculture sera achevé et présenté cette semaine. J’espère qu’il pourra entrer en vigueur dès le 1er janvier 2018. Il prévoira qu’aucun soutien ne soit apporté aux exploitants agricoles qui ne respectent pas un certain nombre de critères préalablement définis.

Le prix de la tonne de beurre atteindra bientôt 7 000 euros. L’OMS n’est peut-être pas étrangère à cette hausse, puisqu’elle affirmait auparavant que ce produit est mauvais pour la santé, avant, il y a deux ans, de changer d’avis… À nous voir, on comprend que nous aimons tous deux le beurre, Monsieur Éric Straumann (sourires.), et voilà qu’il serait bon pour nous ! En fait, comme pour tout aliment, le seul problème c’est la consommation excessive. Les indications de l’OMS ont poussé la demande. Si seulement il pouvait en aller de même pour le lait en poudre…

Nous essayons en tout cas de maintenir le prix du beurre à son bon niveau, alors qu’il faut reconnaître que le prix de la poudre de lait a beaucoup chuté. Je n’envisage donc pas d’intervention sur le marché du beurre, mais peut-être qu’il en faudra une sur celui du lait en poudre.

La question du bioéthanol relève plutôt de mon collègue chargé de l’environnement. Il est vrai que la cible de 7 % a été fixée pour 2030. Mais il faut rappeler que l’objectif réalisé n’est que de 4 %. Avec mon soutien, le commissaire chargé de l’énergie, propose 3,8 % dans la réglementation pour 2030. L’industrie n’a pas été en mesure de fournir les 7 %, mais seulement 4 %. Or, elle continue de mentionner 7 % comme objectif, au lieu de se fonder sur les 4 % obtenus. Entre 3,8 % et 4 %, la différence n’est pas si grande et ouvre la possibilité d’une convergence dans le cours de la procédure législative.

Vous avez raison, il ne sert à rien de faire encore avancer le bioéthanol si l’on considère que les investissements dans le bioéthanol de première génération ont permis de faire émerger un produit qui sera là pour longtemps. Mon conseil est vraiment de s’en tenir aux 4 %, car l’industrie n’a pas réussi à fournir les 7 %. Le secteur du bioéthanol et des biocarburants continuera ainsi à avancer jusqu’à 2030, au moins.

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Vous l’avez souligné, les standards européens sont parmi les plus élevés du monde et il faut s’en réjouir, ce qui ne nous empêche pas de pointer du doigt certains problèmes pour aller de l’avant.

Le modèle agricole dominant permet de produire assez largement. Dans son ensemble, la compétitivité du secteur est bonne. Mais ce boost à l’exportation a aussi sapé les efforts en faveur d’une meilleure protection sanitaire. On l’a vu cet été, avec la crise de l’œuf qui a connu un retentissement assez large. Elle a pris sa source dans les chaînes alimentaires des Pays-Bas et de Belgique, soit de ma circonscription puisque je suis élu des Français de l’étranger pour le Benelux. Quelles leçons tirez-vous de cette crise. Vous aviez parlé d’un « plan de gestion pour des incidents liés à l’alimentation », où en est-on ?

À propos du glyphosate, vous avez dit que vous êtes une science-based person, moi aussi ! Or, on se rend compte qu’aujourd’hui les agences européennes ne fonctionnent pas comme elles le devraient ; des conflits d’intérêts se font jour, comme l’ont révélé les Monsanto papers. Quelle est votre réflexion sur ces agences européennes ?

M. Édouard Ferrand, membre français du Parlement européen. Lorsque je vous entends dire, Monsieur le commissaire, qu’il n’y a pas de crise agricole en Europe, comme vous l’avez fait récemment, je ne peux que vous appeler à revenir sur le « plancher des vaches »… Même si la France reste le premier pays agricole d’Europe, un agriculteur français sur deux gagne moins de 350 euros par mois ! Dans ce contexte de mondialisation, tous les pays se protègent. Les États comme la Chine, le Brésil, les États-Unis et le Canada ont adopté des plans structurels de manière à augmenter le budget de leur politique agricole et alimentaire.

Même M. Emmanuel Macron a proposé un plan doté de cinq milliards d’euros sur cinq ans pour moderniser l’agriculture française. Nous sommes en face d’une alternative. Soit nous en restons, comme depuis 2006, à de nombreux traités de libre-échange : CETA, Mercosur, Australie, Nouvelle-Zélande, soit vous décidez de lancer enfin un véritable plan stratégique en faveur de l’agriculture grâce à une augmentation du budget de la PAC !

M. Michel Delpon. Ma question porte sur la réduction des pesticides dans les appellations d’origine contrôlée (AOP).

Pour la vigne, il est possible aujourd’hui de sélectionner des cépages naturellement résistants aux maladies cryptogamiques. Ils permettent également de supprimer l’exposition des agriculteurs et des riverains aux pesticides, garantissant l’absence de résidus dans les vins pour la consommation tout en assurant la protection de notre environnement.

La mise en culture biologique n’est pas satisfaisante, car le sulfate de cuivre est toléré et les tracteurs sont deux fois plus utilisés qu’en culture conventionnelle, ce qui donne des sols compactés, qui plus est chargés de cuivre, sans parler du bilan carbone. Face aux enjeux environnementaux, l’utilisation des cépages résistants apparaît comme un levier majeur de réduction de la consommation de produits phytosanitaires, puisqu’ils permettent d’éviter quinze à vingt traitements par an nécessaires pour combattre le mildiou et l’oïdium. Ces cépages ne sont pas des OGM, mais sont créés par reproduction sexuée de la vigne. De surcroît, le réchauffement climatique va nous contraindre à adapter nos cépages à nos terroirs.

Alors que, le 25 septembre dernier, le Gouvernement a réaffirmé son engagement d’obtenir avant la fin du quinquennat des progrès significatifs quant à l’interdiction de l’usage des substances dangereuses, pouvez-vous nous confirmer votre volonté à encourager le développement des cépages résistants, à autoriser la modification de la réglementation en accord avec la filière permettant l’introduction de ces cépages dans nos AOP et à défendre, à Bruxelles, la réorientation des aides vers la conversion variétale pour contribuer à la diminution des intrants et anticiper les effets du réchauffement climatique.

M. André Villiers. C’est une grande chance et un grand honneur de pouvoir interpeller le commissaire chargé des questions agricoles. Le premier commissaire européen s’appelait Sicco Mansholt et il a révolutionné l’agriculture européenne.

Les agriculteurs français attendent aujourd’hui le second souffle de l’Europe. La défiance s’est installée ; le retour à la confiance passera par moins de bureaucratie – vous l’avez dit – et par des orientations claires en matière environnementale et sociale. Soixante ans après le traité de Rome, Monsieur Phil Hogan, il vous appartiendra d’incarner ces attentes et d’inscrire votre nom dans cette belle aventure européenne.

Vous avez dit que la France est le grand bénéficiaire de la PAC. Permettez-moi d’y voir deux raisons. La première, c’est que la France pèse 20 % de la production agricole de l’ensemble des 28 États membres. La deuxième, ne l’oubliez pas, est que la France est contributrice nette au budget de l’Union européenne.

Le programme de la Commission est marqué par le volontarisme, je l’ai noté : répondre aux attentes pour une Europe qui donne les moyens d’agir et défend, pour une Europe qui protège. Parmi les dix priorités que vous avez annoncées, j’ai noté l’affirmation d’un accord de libre-échange raisonnable et équilibré avec les États-Unis d’Amérique. Cet accord de partenariat serait fondé sur le respect de normes strictes. Quel est l’état du dialogue avec la nouvelle administration américaine ?

Deuxièmement, la Commission européenne s’était prononcée, fin 2016, sur la modernisation de l’arsenal de défense commerciale. Où en sommes-nous ?

Troisièmement, le sommet européen de Fontainebleau en 1984 avait fait la part belle au Royaume-Uni. Quelles seront les conditions de sortie de celui-ci de l’Union ?

M. Thierry Michels. L’agriculture représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France et 12 % en moyenne dans l’Union européenne : c’est l’un des secteurs les plus émetteurs, aux côtés de la production de l’énergie, de l’industrie et des transports.

L’agriculture doit donc contribuer à atteindre les objectifs climatiques de l’Union européenne. Lors de la COP21, la France a mis en valeur le rôle de l’agriculture dans la lutte contre le changement climatique, en lançant l’initiative Quatre pour mille, qui vise à favoriser la diffusion des techniques de stockage du carbone dans les sols. Ces techniques représentent un potentiel considérable de réduction des émissions de CO2 et, partant, de ses effets sur le changement climatique.

Dix-neuf pays de l’Union européenne se sont déjà engagés dans cette initiative pour une transition vers une agriculture durable. On le voit aujourd’hui : au-delà des normes et des mesures de soutien, c’est un vaste changement des pratiques qu’il nous faut opérer. Quelles sont vos propositions pour accélérer la transition énergétique dans le secteur agricole tout en préservant sa compétitivité ?

M. Denis Masséglia. Le CETA prévoit une suppression réciproque des droits de douane entre l’Union européenne et le Canada. L’accord prévoit en effet une suppression de 91,7 % des lignes tarifaires pour le Canada et de 93,8 % pour l’Union européenne, au bout de sept ans en ce qui concerne les produits agricoles.

Je souhaite néanmoins relever ce qui me semble être un déséquilibre flagrant. En effet, il est prévu que le contingent ouvert par le Canada pour l’importation de produits laitiers s’élève à 18 500 tonnes au total. En outre, dès l’entrée en vigueur de l’accord, il éliminera ses droits sur les seuls concentrés de protéines de lait, tandis que l’Union éliminera l’ensemble des droits de douane sur la totalité des produits laitiers. En parallèle, l’accord prévoit un contingent de 67 950 tonnes de viande bovine équivalent carcasse à terme pour le Canada au sein de l’Union européenne.

Évidemment, toutes choses ne sont pas comparables. Cependant, une telle différence de près de 50 000 tonnes me semble disproportionnée. S’ajoute à cela une suppression complète et immédiate de droits d’un côté, partielle et étalée dans le temps de l’autre. Comment peut-on parler d’un accord équitable pour nos éleveurs, nos agriculteurs et notre industrie agroalimentaire ? Comment garantir à nos éleveurs que notre marché ne sera pas inondé de produits canadiens là où les quotas d’exportation seront à partager entre tous les membres de l’Union européenne ?

Ma question est donc double : quelles sont les raisons d’une telle iniquité et peut‑on envisager de ne ratifier qu’une partie du CETA en excluant les clauses déséquilibrées ?

M. le président Roland Lescure. Je ne suis pas sûr que les choses soient si simples, mais le commissaire vous répondra…

Mme Anne-Laurence Petel. Ma question porte sur l’utilisation des pesticides, et plus précisément du glyphosate, qui agite la presse et le secteur agricole, et préoccupe nombre de citoyens.

Le renouvellement pour dix ans de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate est actuellement discuté au niveau européen sur proposition de la Commission. La décision devra être prise d’ici la fin de l’année.

La France, par la voix de notre ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, a fait savoir qu’elle voterait contre et qu’elle entendait développer d’ici 2022 des alternatives pour sortir progressivement de l’usage du glyphosate. Les Français soutiennent cette démarche : les derniers sondages montrent que deux tiers d’entre eux sont opposés à l’usage de ce produit. On a en outre évoqué ici les « Monsanto papers » et les révélations faites dans Le Monde la semaine dernière.

Nous aurions aimé connaître votre position : le renouvellement pour dix ans de l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate est-il souhaitable selon vous ? Quelles actions concrètes sont-elles envisagées, au niveau européen, pour développer les alternatives aux pesticides ?

M. Jean-Louis Bricout. Nos territoires s’interrogent sur la fin des quotas sucre, pour deux raisons essentielles. Ayant déjà vécu la crise laitière et la fin des quotas laitiers, il est légitime que la volatilité des prix les préoccupe.

C’est d’autant plus vrai dans ma circonscription, où le groupe Tereos est implanté. Représentant près de 13 000 agriculteurs, il est spécialisé dans la betterave, la transformation de la betterave, de la canne, mais aussi des céréales. Il assure 45 % de la production de sucres en France. Il produit aussi de l’alcool, de l’éthanol et de l’amidon. On mesure les enjeux économiques pour notre territoire.

Tereos s’est bien préparé à cette fin des quotas et peut-être mieux organisé que la filière laitière puisqu’il peut proposer, au moins à court terme, un prix fixe à ses agriculteurs. Cette année, la production de betteraves est même plus importante.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’a été l’action de l’Europe pour prévenir la fin de ces quotas ? Quels sont les outils d’observation des marchés et quels sont les outils de régulation des prix et des volumes ? Derrière ces questions, l’enjeu est de savoir si nos agriculteurs pourront vivre dignement.

Quelles sont par ailleurs les orientations prises par l’Europe s’agissant de l’incorporation de l’éthanol dans les carburants ? Les entreprises comme Tereos ont besoin de visibilité et de stabilité pour investir.

S’agissant enfin de la PAC, je souligne, après la crise de la viande et du lait que nos agriculteurs ont vécue, que des problèmes de trésorerie sont apparus. Je trouve inadmissibles tous ces problèmes de bureaucratie autour des paiements de la PAC. Qu’allez‑vous faire pour arriver enfin à respecter des délais corrects ?

M. Anthony Cellier. Monsieur le commissaire, dans une interview de février dernier à Libération, vous disiez : « La traçabilité, la qualité ou l’environnement, c’est de la valeur ajoutée ». Au sein de l’Union européenne, nous observons, par exemple dans la viticulture, un problème de traçabilité du vin. Ainsi, des vins espagnols peuvent être francisés et leurs origines ne plus être traçables, ce qui crée une confusion dans l’esprit du consommateur. Quel rôle peut jouer l’Union européenne dans cette démarche de traçabilité et de qualité ? Quels sont vos moyens d’action pour soutenir les États membres ?

M. Phil Hogan. Quelques chiffres à propos du CETA. Avant cet accord avec le Canada, 8 000 tonnes de produits fromagers étaient exonérées de taxe à l’import ; il y en a désormais 18 500 tonnes. Les vins et spiritueux, notamment le vin français et le champagne, se heurtaient à de nombreuses barrières à l’importation ; elles se trouvent maintenant éliminées et les provinces canadiennes pourront, dans leurs marchés publics, acquérir vos vins et vos alcools. Les droits de douane de 10 % sur les produits chocolatés disparaissent, de même que les droits de 15 % sur le pain et les gâteaux. Voilà les bénéfices qu’a apportés le CETA. Même avant l’accord, le Canada était notre neuvième partenaire commercial, avec un volume d’échanges de 3,5 milliards d’euros. J’espère que ce volume va croître et nous aider à faire la preuve des avantages apportés par l’accord.

Non moins de 143 IGP ont été reconnues : jamais auparavant le Canada n’avait reconnu de système d’indication géographique européen. Les États-Unis ont fait de leur mieux pour l’en empêcher, mais le Canada a fini par adopter les standards européens, de la même manière que le feront certainement les pays du Mercosur, ou encore le Mexique, si nous avançons dans les négociations avec eux. Autrement, il n’y aura pas d’accord. Les indications géographiques et les mesures sanitaires et phytosanitaires jouent un rôle énorme dans les termes de tout accord.

S’agissant de la future PAC, je continuerai de soutenir le modèle de l’exploitation familiale, favorable à un très grand volume d’activité économique et à la vitalité rurale. Beaucoup d’acteurs et de décideurs politiques considèrent cette dernière comme acquise, mais à quoi ressembleraient aujourd’hui les zones rurales s’il n’y avait pas eu la PAC ?

Le commissaire en charge de la santé et de la sécurité alimentaire, M. Vytenis Andriukaitis, vous apporterait des réponses plus précises quant aux leçons à tirer de la crise de l’œuf. J’observe simplement qu’elle a montré que les systèmes de gestion des États membres comme de l’Union européenne fonctionnent pour identifier un problème et le traiter. L’Union européenne offre aussi la possibilité de soutenir financièrement les exploitants qui doivent affronter ces crises, comme elle l’a fait en France pour la grippe aviaire. Certes, cela ne sera jamais suffisant pour compenser les pertes des exploitants, mais cela témoigne au moins de la solidarité avec la communauté agricole, dans le cadre d’un mode de gestion partagée entre l’Union et les États membres. Nous ferons de même pour les crises futures. En tout cas, les contrôles fonctionnent, sans quoi nous n’aurions pas découvert le problème.

Quant au glyphosate, aux informations qui ont été ou n’ont pas été transmises, je suis dans le même état d’esprit que vous au sujet de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA pour European food safety authority) et de l’autorité compétente en matière de produits chimiques (ECHA pour European chemicals agency). De telles difficultés ne sont pas nouvelles : prenons l’exemple du beurre, qui posait problème à l’OMS il y a quelques années alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Il y a toujours des différences d’opinion, reflétant des positions politiques différentes, au sujet des produits. Mais n’importe quel produit, consommé de manière excessive, nuira à votre santé. C’est le cas de l’alcool mais, si vous avez un régime alimentaire équilibré et si votre approche est marquée par la modération, le résultat peut être plus équilibré ; tout dépend de la mise en pratique. La science est là pour nous aider à prendre la bonne décision.

J’aurais affirmé récemment, Monsieur Édouard Ferrand, qu’il n’y a pas de crise agricole en Europe. Ma dernière déclaration de ce genre remonte à janvier 2015. Et il n’y avait, à l’époque, aucune crise agricole, vous le savez, car les prix du beurre et du porc étaient les mêmes qu’aujourd’hui. Depuis lors, il y a eu une crise du lait et des produits lactés : je l’ai dit, car je sais reconnaître qu’il y a une crise. Mais je n’ai aucune raison de le faire si tel n’est pas le cas.

Le budget de la PAC est fixé par les États membres et par le Parlement européen. Si vous cherchez à obtenir de plus larges dotations pour la PAC, je ne peux que souhaiter votre réussite. Nous autres commissaires ne faisons que mettre en œuvre le budget et les programmes pour lesquels nous recevons les crédits accordés par les États membres et par le Parlement européen. Voilà comment les choses fonctionnent. Ce n’est pas la Commission européenne qui donne le budget : nous exécutons les instructions de nos « maîtres ».

J’en suis d’accord, les pesticides devraient être réduits, au même titre que tous les intrants nocifs dans nos sols. C’est ce que nous essayons de faire et nous ferons tout notre possible pour que chaque exploitant rejoigne la révolution agrotechnologique. Il faut savoir doser les intrants plutôt que de les gaspiller en faisant beaucoup de tort à nos sols. L’agriculture de précision offrira des perspectives nouvelles aux exploitants, mais nous devons faire en sorte que tous puissent y participer, et pas seulement les grandes exploitations.

Nous étudions des solutions de remplacement, en collaboration avec le commissaire chargé de la recherche, des sciences et de l’innovation, M. Carlos Moedas, dans le cadre du programme « Horizon 2020 ». Les secteurs de l’agriculture et de la recherche coopèrent de manière étroite, non seulement pour trouver des solutions de remplacement, mais aussi pour développer la bioéconomie, afin que le potentiel mis au jour par la recherche produise davantage de valeurs ajoutées pour nos agriculteurs. Ces derniers, ainsi que les coopératives, doivent être les bénéficiaires de tout ceci, et non les entreprises qui viennent ensuite acheter les produits.

Nous utilisons aussi le programme Horizon 2020 pour améliorer les variétés, les cépages… Une ligne budgétaire est prévue, mais il convient de répondre aux appels d’offres pour obtenir les crédits disponibles.

S’agissant du secteur bio, nous avons achevé nos discussions, mais leur résultat n’est pas encore mis en application : le Conseil de l’Union devra prendre une décision d’ici la fin de l’année. Mais nous offrons, je pense, des conditions équitables pour la conversion, la normalisation des unités de production, l’harmonisation des règles et des normes. Nous offrons aussi ces conditions de concurrence équitables vis-à-vis des importations des pays tiers, ce qui protège les producteurs tant français qu’européens.

Notre politique actuelle est fondée sur le libre marché. Mais nous disposons de nombreux instruments d’intervention, tels que le stockage public, par exemple de lait en poudre écrémé, ou les aides au stockage privé. Ce dernier est peu utilisé en France où ma proposition de stockage de la viande de porc n’a guère soulevé d’enthousiasme en 2015. Ceux qui profitaient des prix bas ne souhaitaient évidemment pas participer au stockage. Il y a en France, un problème structurel que vous devez régler. Le système de gestion et les informations doivent être partagés entre l’Union européenne et les États membres pour que vous puissiez recourir aux outils disponibles.

Je ne vois pas comment le projet de traité de commerce transatlantique pourrait reprendre de la vigueur à court terme, pour des raisons politiques évidentes : le Président Donald Trump veut s’engager dans la voie d’un protectionnisme accru. C’est sa position ; pour notre part, nous continuerons à regarder si les conditions sont réunies pour nouer des accords commerciaux équitables avec d’autres pays, tels le Japon, le Mexique ou les membres du Mercosur.

Les instruments de défense commerciale feront bien sûr partie de la négociation sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il semble que l’on ne soit pas capable d’avancer à un rythme très rapide en ce moment. Mais cela fera partie de l’équilibre à trouver, de même que les quotas OMC ou d’autres intérêts conjoints avec le Royaume-Uni, dans le domaine de l’agriculture, mais aussi de la science et de la recherche.

L’agriculture est souvent regardée comme un coupable des émissions de gaz à effet de serre. À mon sens, l’on devrait plutôt y voir une partie de la solution. Qui est mieux placé que nos agriculteurs pour traiter ces questions ? Depuis 1990, les émissions de gaz à effet de serre dues à la PAC ont baissé de 23 % mais on n’en a pas parlé. Il faut faire davantage, dans le cadre de l’accord de Paris et faire usage de tous les instruments politiques pour aller vers moins d’émissions, dans l’agriculture, mais aussi dans les transports et le bâtiment.

La prochaine proposition que je publierai mettra en relief l’intérêt d’impliquer les agriculteurs, en montrant qu’ils peuvent être au cœur de la solution, par le biais d’initiatives visant à stocker le carbone ou de programmes de gestion des nutriments. Encore faut-il leur donner les incitations nécessaires : nous devons garantir que les agriculteurs soient rémunérés, comme tout autre professionnel, pour leur implication dans la fourniture de ces biens collectifs.

J’en viens au sucre. Nous en avons tiré les leçons ce qui s’est passé sur le marché du lait, où nos difficultés venaient d’un excédent de 3 % de l’offre par rapport à la demande qui nous a conduits, en mars 2015, à concentrer tous les instruments d’intervention sur le secteur.

Après que nous avons dépensé, depuis 2006, six milliards d’euros en faveur de la modernisation du secteur du sucre, mais aussi reporté de deux ans l’abolition des quotas – qui vient d’avoir lieu –, notre position s’améliore et les stocks de sucre n’ont jamais été aussi bas.

Nous disposons d’un observatoire du marché. Votre industrie doit alimenter ses indicateurs et tableaux de bord afin que nous disposions d’informations fiables. Les agriculteurs ayant augmenté leur production, cinq millions de tonnes de sucre supplémentaires devraient arriver sur le marché l’an prochain. J’espère qu’il y aura un marché pour ces quantités nouvelles : c’est toute la question de l’équilibre de l’offre et de la demande. Mais tous les indicateurs sont au vert pour 2018.

Évitons néanmoins la situation où certains États membres produiraient beaucoup de sucre et favoriseraient la conversion au sucre, sans qu’il y ait le marché pour cela. Nous comptons sur votre soutien, ainsi que sur celui de l’industrie sucrière française et de celles des six ou sept autres États membres impliqués dans le secteur. Rassemblées au sein de notre groupe d’experts, à la direction générale de l’agriculture, elles nous fourniront, je l’espère, les données utiles sur l’évolution de la production et du marché.

S’agissant de la traçabilité du vin espagnol, je vois que vos cousins vous causent de nouveau du souci… Les règles sont les règles ; elles doivent être appliquées par un côté comme par l’autre. Je ne connais pas le détail de la situation que vous évoquez, mais vous pourrez m’apporter des précisions à l’issue de cette réunion.

Je vous remercie, Madame la présidente, Monsieur le président, de votre invitation ; ces rencontres avec les parlements nationaux me sont précieuses.

M. le président Roland Lescure. Vous voyez, Monsieur le commissaire, combien l’agriculture est importante pour la France et pour les députés français. Votre venue était une première, j’espère que ce ne sera pas une dernière et que nous ne vous avons pas trop effrayé. Je vous remercie en tout cas de la franchise de vos réponses, et de leur complétude.

Mme la présidente Sabine Thillaye. J’espère moi aussi que nous aurons l’occasion de nous revoir. Nous aurons encore beaucoup de sujets à aborder.

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

 

Réunion du mardi 10 octobre 2017 à 11 h 30

Présents.  M. Damien Adam, M. Patrice Anato, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Grégory Besson-Moreau, M. Anthony Cellier, M. Paul Christophe, M. Dino Cinieri, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Michel Delpon, Mme Marguerite Deprez‑Audebert, Mme Christelle Dubos, Mme Sophie Errante, Mme Christine Hennion, M. Antoine Herth, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Roland Lescure, Mme Monique Limon, Mme Graziella Melchior, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Benoit Potterie, M. Richard Ramos, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Huguette Tiegna, M. Nicolas Turquois, M. Arnaud Viala, M. André Villiers

Excusés.  Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Jean-Claude Bouchet

Assistaient également à la réunion.  M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Denis Masséglia

Pour les membres de la Commission des affaires européennes, voir le compte rendu de ladite commission.