Compte rendu

Commission
des affaires économiques

– Audition de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique... 2

 


Mercredi
25 octobre 2017

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2017-2018

Présidence
de M. Roland Lescure,
Président,
puis de
M. Mickaël Nogal,
Vice-Président
 


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La commission des affaires économiques a procédé à l’audition de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique.

M. le président Roland Lescure. Monsieur le secrétaire d’État, le numérique, vous êtes tombé dedans quand vous étiez petit. À treize ans à peine, vous avez remporté un concours de Science et Vie Junior qui vous permettait de vous offrir votre premier ordinateur. Votre livre de chevet était alors Le Manifeste du hacker. Je vous rassure, mes chers collègues, le secrétaire d’État est aujourd’hui En Marche, et non pas membre du parti des pirates. (Sourires.) Plus sérieusement, ce manifeste est considéré comme une référence de l’éthique dans ce milieu.

La politique du Gouvernement en matière de numérique est fondée sur trois piliers : libérer, protéger, anticiper.

Libérer, c’est ouvrir le monde du numérique à tous, ce qui passe par la mise en place d’une plateforme de l’État, par le déploiement du très haut débit – sur lequel ont travaillé nos collègues Éric Bothorel et Laure de La Raudièremais aussi par le lancement de la revue sectorielle des start-ups ou encore par la structuration de la French Tech, afin de renforcer l’attractivité de notre pays.

Protéger, c’est accompagner en travaillant sur la numérisation et l’innovation des entreprises, mais aussi sur l’inclusion numérique de toutes les populations éloignées d’internet, que ce soit par la géographie ou par leur profil social. Une attention particulière doit être prêtée à la représentation des femmes, trop peu présentes dans l’industrie. Moi qui viens de la finance, je confirme que la finance et la technologie, les deux industries les moins féminisées, gagneraient à l’être davantage. M. Mahjoubi pourra également s’emparer du sujet de la fiscalité et de la réglementation du secteur numérique.

Anticiper, c’est construire une Europe du numérique, et créer un fonds doté de 10 milliards d’euros pour financer l’innovation et l’industrie du futur, ou encore confier à un député une mission sur l’intelligence artificielle afin de définir une stratégie nationale.

Monsieur le secrétaire d’État, la fracture numérique concerne aussi les Français de l’étranger, et donc ma circonscription. Par leur éclatement sur des territoires immenses, ils concentrent tous les défis de modernisation auxquels est confrontée l’administration française : un Français qui vit à l’étranger doit souvent se rendre physiquement plusieurs fois au consulat, ne serait-ce que pour renouveler son passeport ou son permis de conduire – sans parler de l’absence de vote électronique, qui explique des taux de participation aux élections extrêmement faibles.

Ma femme est irlandaise…

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Et je crois justement qu’elle vient de renouveler son passeport. (Rires.)

M. le président Roland Lescure. Exactement ! Et elle l’a renouvelé en deux clics. Quand nos compatriotes pourront-ils en faire autant ?

M. le secrétaire d’État. Merci, monsieur le président, d’avoir ainsi dressé mon portrait, mais aussi d’avoir rappelé les priorités et les objectifs du Gouvernement.

Je voudrais, en introduction, vous présenter quatre grandes thématiques, en commençant par la thématique économique.

Tout d’abord, l’économie traditionnelle se transforme. MM. Bruno Le Maire, Benjamin Griveaux et moi-même avons fait des annonces hier sur la transformation numérique de nos TPE et PME. C’est un sujet sur lequel j’ai beaucoup insisté lorsque j’étais président du Conseil national du numérique : il concerne près de 3 millions d’entreprises, la moitié des emplois en France et en particulier 80 % des emplois qui ne sont pas situés dans une grande ville. Si ces TPE et PME ne réussissent pas leur transformation numérique, ce sont tous ces emplois que nous mettons en danger ; cela ne fait pas partie du schéma citoyen, territorial et national auquel nous appelons. C’est pourquoi il est essentiel de les accompagner.

Nous avons notamment annoncé hier la nomination de M. Philippe Arraou, ancien président de l’ordre des experts-comptables et premier partenaire du plan Croissance connectée, élaboré par le Conseil national du numérique. Il était à l’époque particulièrement investi dans la transformation numérique de ses clients, et il a accepté de conduire une mission sur ce sujet.

Depuis la nomination du Gouvernement, j’ai travaillé avec la direction générale des entreprises pour mettre en place un dispositif qui permettra de présenter à des entreprises que nous aurons identifiées des « premiers pas numériques » et les solutions de financement correspondantes. Notre ambition, c’est de simplifier ces débuts numériques ; je serai fier de revenir devant vous dans un an ou deux pour vous annoncer qu’un million ou deux millions de TPE et PME ont fait ces premiers pas. L’idée n’est pas que toutes les PME se mettent au blockchain et se lancent dans la vente d’objets connectés en Chine, mais de les aider à être simplement présentes en ligne et à mettre leurs catalogues à disposition des clients de leur territoire. De nombreux exemples montrent que ces premiers pas peuvent permettre d’augmenter le chiffre d’affaires de 20 %, 30 %, voire 40 %, sans investissements massifs, mais en bénéficiant de l’accélération numérique.

Ensuite, nous nous intéressons à l’innovation et aux start-ups. Comment faire pour que celles-ci soient toujours plus nombreuses, aillent toujours plus loin et exportent toujours plus, créent des emplois et payent des impôts en France ?

Le dispositif French Tech existe maintenant depuis plusieurs années, et il a montré son efficacité pour favoriser la création de métropoles identifiables et compétitives à l’échelle internationale ; il a aussi permis de créer des hubs internationaux : aujourd’hui, une entreprise de la French Tech qui se rend à New York ou à Tel Aviv est accueillie par une fraternité d’entrepreneurs qui l’accompagnent et l’aident à ouvrir les portes des marchés américain ou israélien.

L’une des tâches que nous nous sommes données pour cette année est d’accroître la part des femmes et de la diversité chez les créateurs d’entreprise. Si nous voulons des entreprises différentes, des entreprises championnes, des licornes, alors nous devons avoir des entrepreneurs qui ne soient pas tous des ingénieurs hommes issus de familles « CSP + ». Sinon, nos entreprises seront bien sûr variées, mais limitées, parce qu’il aura manqué dans le vivier d’origine de gens avec des expériences différentes, des parcours de vie différents.

J’ai accueilli au ministère la semaine dernière la finale internationale de StartHer, compétition internationale très exigeante destinée aux start-ups innovantes fondées par des femmes. L’entreprise qui a gagné a développé un procédé qui permet de personnaliser les traitements contre le cancer ; elle a réussi à lever des fonds importants et se lance dans l’export. Dans cette salle, nous n’avons pas parlé de présence féminine, nous n’avons parlé que de leurs boîtes ! Ce qui est anormal, c’est que cette situation ne soit pas ordinaire : « Oh, il n’y a que des femmes, il faudra penser à inviter des hommes la prochaine fois… » Ce n’est pas du tout ce qui se passe aujourd’hui. Il faut donc aller chercher les femmes, développer la capacité et l’envie chez les jeunes filles, dès le collège, d’entreprendre et d’aller vers des études scientifiques. Elles doivent se projeter dans ces rôles de leaders dans le monde de la technologie, aujourd’hui monopolisé par les garçons dans l’imaginaire de tous.

Il faut également accroître la diversité sociale. Notre vivier d’entrepreneurs comprend trop peu de personnes issues des quartiers populaires et de la ruralité. Il faut vouloir fort, il faut créer des incitations. À ces fins, le programme French Tech « Diversité » s’adresse aux quartiers populaires, et propose des solutions spécifiques à ces entrepreneurs. Dans l’entrepreneuriat technologique et d’innovation, un dogme veut que l’argent levé auprès des business angels ne serve jamais à rémunérer l’entrepreneur ; il faut qu’il ait des économies, ou de la love money de sa famille. Mais, dans les quartiers populaires, il n’y a rien de tout cela. L’un des finalistes du concours Start-up Banlieue l’avait résumé par une formule que j’avais trouvée aussi juste qu’émouvante : « Dans nos familles, il y a beaucoup de love, mais il n’y a pas de money. » Le dispositif French Tech « Diversité » fait tomber ce dogme et donne aux entrepreneurs – pour les neuf à douze mois de démarrage de leurs entreprises, sélectionnées parce qu’elles sont innovantes, à très fort potentiel, et qu’elles inventent des technologies dont la France a besoin – de l’argent pour rémunérer les créateurs, pour payer le local qui accueillera la boîte, pour démarrer. Jusqu’ici, personne n’avait autorisé Bpifrance à financer cette partie de l’innovation ; personne n’avait dit aux incubateurs qu’ils pouvaient financer ce premier moment de vie.

Lorsque nous avons réuni les trente-cinq premières start-ups de French Tech « Diversité », tout le monde a encore une fois « pitché » sa boîte, présenté des modèles innovants, performants. À la fin, nous nous sommes d’ailleurs aperçus qu’il y avait une moitié de femmes, ce qui est formidable, et surtout qu’il y avait autour de nous des visages que nous n’avions pas l’habitude de voir dans ce type d’événements. J’ai eu les larmes aux yeux en parlant : face à moi, je voyais des jeunes femmes et des jeunes gens qui ressemblaient à ceux que je vois dans ma circonscription – vous savez que j’ai été élu dans le XIXe arrondissement de Paris. D’habitude, les gens que je vois en bas de chez moi, autour de chez mes parents, dans ma vie, je ne les vois absolument jamais dans les événements « tech » où je me rends ; je ne les ai strictement jamais vus depuis quinze ans dans la scène des start-ups. J’aimerais que ce moment qui m’a tant ému – la vidéo a circulé – devienne la normalité. J’aimerais entendre un « Oh mince, la prochaine fois il faudra inviter des bourgeois »… (Sourires.) Aujourd’hui, ce n’est pas du tout le cas.

Après la thématique économique, j’en viens au second pilier de notre action : la transformation numérique de l’État.

S’agissant des infrastructures, nous devons tous avoir conscience que jamais nos responsables numériques n’avaient reçu mission d’élaborer une plateforme unique, compatible. Dès lors, chaque administration, chaque territoire, chaque service a travaillé à mettre au point ses propres solutions ; le résultat, c’est qu’aujourd’hui le parc technologique de l’État n’a aucune cohérence. Il n’y a pas de règles communes de compatibilité, pas de règles communes d’urbanisation, comme on dit chez les directeurs de systèmes d’information (DSI). Nous disposons de plusieurs dizaines d’applications différentes, parfois concurrentes, parfois similaires, utilisant des technologies différentes et qui ne sont pas partagées.

Notre but premier doit donc être de rationaliser ce qui existe. Nous devons aussi nous projeter dans l’avenir, avec la plateforme numérique de l’État (PNE).

Avec cette plateforme numérique, chacun disposera tout d’abord d’une identité numérique : tous les citoyens pourront s’identifier facilement auprès des services publics en ligne. Nous cesserons ainsi, aussi vite que possible, d’avoir besoin d’une quinzaine d’identifiants et de mots de passe pour accéder au service. Cela vaut d’ailleurs pour les citoyens, pour les entreprises, mais aussi pour les agents publics eux-mêmes.

Cette plateforme établira ensuite un langage commun à toutes les futures applications de l’État, un langage commun d’échange des données. Nous appliquerons ainsi pour de vrai la règle « Dites-le nous une fois ». Certaines données, qui ne sont pourtant pas particulièrement sensibles, sont demandées très régulièrement aux citoyens par différents services publics qui auraient pu se les communiquer entre eux : l’adresse exacte, le justificatif de domicile à jour, le revenu… Sur ce dernier point, ceux qui sont en contact avec la Caisse d’allocations familiales (CAF), avec Pôle Emploi et qui payent des impôts savent qu’il faut, au cours d’une même année, déclarer ses revenus cinq à six fois – sauf que ce ne sont pas toujours les mêmes : c’est parfois le revenu net, le revenu brut, le revenu actuel, le revenu du mois précédent ou d’il y a deux ans… La réorganisation de l’architecture technologique de l’État doit donc s’accompagner d’une simplification de la loi, des règlements et des parcours administratifs : sinon, on aura juste numérisé la complexité, sans rien changer pour les gens.

Troisièmement, la plateforme numérique de l’État servira à protéger. Tous ces échanges de données, ces identifications de personnes ne peuvent se faire qu’au sein d’un système qui, by design, c’est-à-dire par son architecture même, protège toujours les données. Tout échange est surveillé ; le citoyen peut toujours savoir ce qui s’est passé et il continue de maîtriser ses données. Ces systèmes doivent accroître les performances, c’est entendu, mais aussi renforcer les protections.

J’ai confié la conception de la plateforme numérique de l’État à la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC), que je dirige : ce sont les architectes numériques de l’État.

Voilà notre vision pour les cinq années à venir ; tous les projets que nous défendrons devront être compatibles avec cette plateforme numérique de l’État. Pendant quelques années, nous devrons certes continuer d’utiliser le parc d’applications qui existent déjà. Mais si nous réussissons à mettre en place un système d’identification nationale fort, où l’on reconnaît que la personne qui s’est connectée est bien, vraiment, celle qu’elle prétend être, alors l’État pourra délivrer beaucoup plus facilement des passeports, monsieur le président, voire accepter un vote électronique. Pour cela, les trois briques – identification, langage commun, et surtout protection – doivent être présentes. C’est de là que naîtra la confiance des citoyens, qui accepteront de voter par ce biais.

Les collectivités territoriales pourront aussi utiliser cette plateforme de différentes façons : on pourra par exemple payer la cantine par carte bleue sur l’espace des écoles, avec son identifiant unique. L’État permettra ainsi aux collectivités une façon d’aller plus vite et d’offrir de nouveaux services aux citoyens, tout en payant moins cher leur mise en place. Cela peut être une véritable révolution dans les usages administratifs.

Enfin, la transformation numérique de l’État va de pair avec la transformation des modes de vie. Dans le cadre du comité « Action publique 2022 », M. Gérald Darmanin et moi-même nous interrogerons sur les nouveaux usages et les nouvelles pratiques des citoyens. Pour une grande partie des Français, aujourd’hui, la normalité, c’est d’aller très vite, de chercher l’information par soi-même, de se connecter pour se renseigner sur un sujet. Tous nos services publics n’en sont pas encore là.

Notre objectif, c’est que, d’ici à 2022, 100 % des démarches, pour les citoyens comme pour les entreprises, soient numérisées. Trop ne le sont pas encore, et cela concerne souvent celles qui s’adressent à des publics affaiblis. Or, remplir un dossier papier, cela implique que quelqu’un le saisisse informatiquement par la suite : cela allonge encore les délais. Je pense par exemple à la demande d’allocation adulte handicapé (AAH), qui est encore dans la très grande majorité des départements faite sur papier. Deux seulement expérimentent, avec une équipe de la DINSIC, une pré-saisie en ligne : elle a permis de faire diminuer les délais de traitement par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) de deux à trois semaines ! Le numérique permet de garantir aux citoyens que les pouvoirs publics sont en mesure de prendre des décisions rapides.

Le troisième pilier de notre action, après la thématique économique, après la transformation numérique de l’État, porte sur l’inclusion numérique.

L’inclusion numérique, c’est d’abord l’accès de tous aux réseaux, et donc à une bonne couverture mobile, mais aussi en haut débit et en très haut débit. Le Gouvernement a pris des engagements sur une couverture mobile de qualité – ce qui, en 2018, veut dire une couverture mobile avec des données de bonne qualité, permettant les usages d’aujourd’hui. De moins en moins de familles ont un ordinateur dans le salon ; plus souvent, il y a cinq personnes, chacune vivant sa vie sur son mobile connecté. Sans très haut débit et bon réseau wifi, il faut utiliser la 4G, la future 5G – mais malheureusement encore trop souvent la 3G. Des discussions avec les opérateurs ont démarré dès le mois de juin et se sont poursuivies pendant l’été, et des engagements ont été pris. Le secteur est depuis longtemps régulé par une autorité indépendante : nous travaillons donc également avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), qui traite de la couverture mobile. Les licences doivent être renouvelées au cours des prochaines années, ce qui permet un dialogue fait d’engagements réciproques, tant sur les objectifs que sur les moyens de les faire respecter.

S’agissant du très haut débit, nous rencontrons aujourd’hui un problème de modèle économique des réseaux d’initiative publique (RIP) : il est mis en danger par le non-respect des engagements de certains, ou par la prise de nouveaux engagements par certains autres. Nous sommes très mobilisés sur ce sujet. Des annonces étaient attendues. La raison, je crois, l’emportera ; il me semble que les opérateurs ont compris qu’il était de leur intérêt que tous les projets déjà lancés réussissent. Un projet qui tomberait en ferait tomber de très nombreux autres, par répercussion, car la confiance disparaîtrait. Ce n’est pas souhaitable du tout. Le Gouvernement s’est engagé à accompagner les RIP déjà lancés, à continuer d’accompagner les projets qui n’étaient pas complètement mûrs, à penser intelligemment les phases 2 des premiers RIP – soit qu’il faille étendre la couverture, soit qu’il faille renforcer la qualité.

Si certains opérateurs ne devaient pas respecter l’engagement commun, il y aurait des risques. Mais la zone d’appel à manifestation d’intention d’investir (AMII), c’est-à-dire la zone moyennement dense, va nous aider : il reste beaucoup de travail dans cette zone intermédiaire, où les investissements privés sont viables, mais pas si trois opérateurs le font en même temps. Dans les RIP, les investissements privés ne peuvent pas être rentables, même pour un opérateur seul : un cofinancement est nécessaire, et c’est pourquoi la France a eu l’intelligence, il y a quelques années, de créer ce modèle.

Parler d’inclusion numérique, c’est aussi parler des usages. Aujourd’hui, 13 millions de Français, soit 20 % de la population, ne savent pas utiliser le numérique, même lorsqu’ils y ont accès : ils ne savent pas parce qu’ils n’ont pas été formés, parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, ou encore parce qu’ils sont très âgés ou en situation de handicap. Autrement dit, si j’atteins l’objectif que je me fixais tout à l’heure de 100 % de démarches administratives numérisées, il y aura toujours 13 % de Français qui passeront complètement à côté. C’est comme lorsque le TGV passe au fond de votre jardin, mais que la première gare est à 400 kilomètres… Vous savez qu’il existe quelque chose qui va très vite, mais cela ne vous concerne pas ! Avec internet, cela veut dire que tout le monde autour de vous a fait ce qu’il fallait en deux minutes, mais que vous, vous devez prendre la voiture, faire la route et aller faire la queue à un guichet – Mme Laure de La Raudière connaît cette comparaison que j’ai déjà utilisée lorsque je me suis rendu en Eure-et-Loir…

Si nous voulons tenir nos objectifs économiques et de transformation de l’État, nous devons absolument accompagner ces 13 millions de personnes. Nous prévoyons donc d’instaurer une stratégie nationale de l’inclusion numérique, qui est l’un des chapitres de la Conférence nationale des territoires (CNT). Nous espérons qu’elle sera prête dès le mois de décembre – et ce calendrier est essentiel à mes yeux. Cette stratégie doit réunir l’État, mais aussi les opérateurs sociaux, les collectivités locales : il s’agit d’identifier ces 13 millions de personnes, de les orienter vers quelque part – une association ou un service public –, et de financer ce quelque part. Cela ne se fait pas tout seul. Aujourd’hui pourtant, la CAF sait identifier ces personnes en difficulté,  les oriente vers un médiateur qu’elle rémunère elle-même et qui les aidera à remplir leurs procédures. Vous êtes très heureux avec ce médiateur, formé à l’écoute et vraiment à même de vous aider… mais lorsque vous montrez votre document Pôle Emploi, la personne ne peut plus rien faire pour vous ; il faut tout recommencer. Pôle Emploi, lui aussi, a mis en place un processus d’identification et d’orientation. Mais pour une troisième procédure, vous ne trouverez personne et vous vous adresserez à votre assistante sociale. Et à la fin, vous lui avouez que vous n’avez pas pu vous connecter…

Tous ces services dispersés ont les mêmes publics qui rencontrent les mêmes problèmes. Nous voulons donc nous efforcer, pour chaque territoire, à faire fonctionner ces médiations de façon efficace. Certains départements sont exemplaires, en particulier la Seine-Saint-Denis, qui, parce qu’il concentre ces publics, a dû, très tôt, se saisir de ce sujet. Le conseil national du numérique se penche de près sur ce sujet. La région Aquitaine a mis en place un « chèque numérique » et un réseau d’associations de médiation. Les gens qui en ont besoin sont renvoyés vers les associations, qui peuvent encaisser le chèque ; en mettant en commun des financements jusque-là épars, on peut financer la médiation numérique et la transmission des compétences.

Ce sujet est absolument prioritaire. Mme Agnès Buzyn, tutelle de nombreux opérateurs concernés, est très engagée.

Malgré les désaccords ou les incompréhensions qui ont pu surgir entre l’État et certaines collectivités territoriales, malgré la suspension de la participation de certains à la CNT, nous avons continué à travailler, et à tous les niveaux : ce sujet est essentiel. J’espère, je le redis, que nous pourrons faire des annonces très vite.

Après la thématique économique, après la transformation numérique de l’État, après l’inclusion numérique, le quatrième pilier de notre action, c’est la sécurité et la souveraineté. Les enjeux de la cybersécurité sont nombreux et cruciaux. Comment protège-t-on l’État, les grandes entreprises, mais aussi nos TPE et PME ?

Pendant longtemps, on pensait que le rôle de l’État n’était pas de protéger les TPE et PME. Mais les attaques ont changé : elles sont massives et aveugles. Si cinquante PME tombent, nous serons tous très malheureux ; si elles sont 50 000, nous serons tous très en danger. Il est donc tout aussi important de protéger nos PME que de protéger nos centrales – sauf que protéger une centrale, c’est presque plus facile : il n’y a qu’un seul endroit, il suffit d’y mettre les moyens. Protéger toutes nos PME nécessite de faire preuve d’une certaine intelligence, de créer une culture de la cybersécurité, mais aussi de faire émerger une industrie de la cybersécurité, avec des produits et des services.

Je vous invite tous à vous renseigner, dans vos circonscriptions, sur le secteur de la cybersécurité. Avec certains d’entre vous, j’ai rencontré à Rennes, il y a quelques semaines, des entreprises de prestation de services de seulement cinq à six personnes, dont le travail était d’aller de PME en PME pour réaliser des audits de sécurité, mettre à jour les ordinateurs… C’est un nouveau type d’entreprises de proximité qui augmentent le niveau de sécurité global de nos entreprises. L’une des tâches de l’État est de s’assurer que ces réseaux d’entreprises se développent, que les ingénieurs qui en ont la compétence décident de les créer, et que les PME sachent qu’elles peuvent les utiliser pour se protéger des attaques.

Nous devons non seulement prévenir, mais aussi réagir en cas de problème. Nous avons donc lancé, dans le cadre d’un partenariat public-privé, le site cybermalveillance.gouv.fr, élaboré par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), des industriels et des collectivités territoriales. Il s’agit d’un outil d’assistance à la réponse aux attaques. Il arrive qu’un beau matin, tous les ordinateurs d’une PME affichent un même message : « le disque dur de cet ordinateur a été encrypté ; pour le décrypter, envoyez trois bitcoins à cette adresse » – je ne le souhaite à personne. Un grand nombre de PME racontent le désarroi absolu que cela engendre. C’est arrivé aussi dans tous les magasins d’un gros industriel… Jusqu’à aujourd’hui, nous ne savions pas vraiment comment répondre. On allait déposer plainte au commissariat ou à la gendarmerie qui souvent découvraient ces cas pour la première fois. La plateforme cybermalveillance.gouv.fr donne maintenant des recommandations générales, mais identifie surtout plusieurs milliers de prestataires, certifiés par l’ANSSI, et à même d’accompagner les victimes.

Enfin, j’étais hier au Conseil de l’Union européenne « Transports, télécommunications et énergie », pour traiter de la régulation des plateformes, de la fiscalité qui leur est appliquée, et plus largement de l’analyse que fait aujourd’hui l’Europe des transformations numériques et du rôle de plus en plus en plus important que jouent certains acteurs intermédiaires entre les entreprises et les consommateurs finaux.

Mme Christine Hennion. Le Gouvernement fait de la transformation numérique de l’État l’une de ses priorités ; c’est en effet indispensable pour assurer un meilleur service, pour réaliser les économies nécessaires mais aussi pour assurer notre souveraineté numérique. La DINSIC dépend du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), lui-même en transformation. Comment vont évoluer leurs moyens et leurs missions ? Quel sera votre rôle personnel dans la réalisation de ces ambitions ?

M. Jérôme Nury. On ne peut que se réjouir de la numérisation des démarches administratives. Mais ce caractère quasi obligatoire laisse une partie des usagers sur le bord de la route : une partie de la population, notamment nos anciens, aura du mal à utiliser le numérique. Comment les accompagner ? L’État n’a-t-il pas là un rôle à jouer, aux côtés des collectivités locales, notamment dans les territoires les plus ruraux ?

Deuxième frein, les infrastructures, que vous avez évoquées. Aujourd’hui, les centres bourgs sont très mal desservis, contrairement d’ailleurs à ce que dit cette fameuse carte de l’ARCEP sur la téléphonie mobile. Il y a de vrais problèmes le long des voies principales, des voies ferroviaires… Or, aujourd’hui, il est bien difficile de participer pleinement à notre société sans internet et sans téléphone mobile. Comment accélérer le déploiement ? Les discussions avec les opérateurs ont-elles progressé ?

Ne faudrait-il pas aussi revoir la carte de la couverture mobile établie par l’ARCEP, qui ne me paraît pas fiable, et qui de surcroît traite plutôt de couverture de la population alors qu’il faudrait à mon sens s’intéresser plutôt à la couverture des territoires, sur la base d’un constat objectif réalisé par l’État ou par un organisme indépendant ?

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Mon collègue a déjà évoqué notre crainte, celle de la création d’une nouvelle fracture générationnelle pour ces 13 millions de personnes. En voulant réduire une fracture, on peut en créer une autre. Vous avez partiellement répondu à ma question en évoquant les mesures d’accompagnement qui pourraient permettre à ces personnes d’accomplir les démarches administratives, afin qu’elles ne soient pas coupées de la modernité du service public.

Un autre point de votre intervention a retenu mon attention : vous indiquez que nous allons remédier à la lenteur de l’administration. Actuellement, au ministère de l’éducation nationale, les nouveaux professeurs reçoivent leur premier traitement au bout de six mois et leur bulletin de paie de juin à la fin octobre. La numérisation va-t-elle permettre d’accélérer cela ?

M. le président. J’ai cru que vous parliez de l’Assemblée nationale !

M. Dominique Potier. J’ai le sentiment, étrange et agréable à la fois, de participer à une réunion de famille et de découvrir un néomarxiste au Gouvernement ! Votre classification sociale m’a réjoui !

Ma première question porte sur l’égalité d’accès aux infrastructures. Lors de la dernière législature, j’avais défendu un amendement visant à obliger les opérateurs décrochant un marché au niveau de la métropole à couvrir les territoires périphériques, dans le cadre des pôles métropolitains. Je n’ai pas été suivi, pour des raisons évidentes. Or il me semble que c’est l’une des clefs d’une couverture universelle et ambitieuse du territoire – c’était la volonté du président Richert en Alsace. Ne pourrait-on imaginer dans d’autres territoires des contrats « métropoles arrière-pays » pour ces infrastructures ?

L’emploi est une grande promesse. Dans le cadre du volet « formation professionnelle » du Grand plan d’investissement qui se dessine pour lutter contre le chômage de longue durée et celui des jeunes, ne peut-on évaluer le nombre de codeurs dont nous avons besoin et mettre en place des plans de formation qui maillent l’ensemble du territoire, afin que tous les milieux socioprofessionnels, sur tout le territoire, puissent s’investir dans ce nouveau marché ?

Je tiens à vous poser une dernière et rapide question, déjà portée par mes deux collègues : celle de l’humanisation du numérique. En milieu rural, les secrétaires de mairie – qu’ils travaillent pour la commune ou au sein de la communauté de communes – sont déjà un peu écrivains publics. Ne pourraient-ils pas jouer un rôle d’interface et de médiateurs numériques auprès du public âgé, sous réserve de formation et d’un renforcement de leurs missions ?

Je ne sais pas si cela relève du périmètre de votre secrétariat d’État, mais la question de la civilité sur internet, du développement d’un art de vivre ensemble sur les réseaux, est cruciale. L’anonymat nous terrorise. Peut-on tout dire et tout faire ? La civilisation numérique n’est-elle pas à inventer ? Ce sujet vous intéresse-t-il ?

M. le secrétaire d’État. Comment comptons-nous piloter cette transformation ? Nous devons être capables de le faire, non simplement en modifiant l’architecture organisationnelle, mais également nos méthodes. C’est la raison pour laquelle, à mes côtés et aux côtés de M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, le Premier ministre a lancé il y a moins de dix jours le programme « Action publique 2022 ».

Il s’agit d’un processus en plusieurs phases : un comité indépendant va être nommé, où les deux assemblées seront représentées, puis nous allons réfléchir à l’identification des sujets d’innovation, de ceux qu’il faut renforcer, de ceux sur lesquels la France est en avance et de ceux sur lesquels elle est en retard. Cela nous permettra ensuite de réfléchir à la transformation et à la simplification. Se posera ultérieurement la question des modalités de transformation et du portage des projets.

L’architecture globale du dispositif sera annoncée très prochainement, afin de finaliser la nécessaire consultation des organisations syndicales. Je reviendrai alors vers vous.

Nous souhaitons avant tout renforcer la compétence technologique de l’État auprès du Premier ministre – surtout auprès de mon secrétariat d’État –, mais également notre capacité de transformation, en déployant de nouvelles méthodes. Mais il faut d’abord se poser la question de l’expérience du citoyen et de l’entreprise, mais surtout de celle de l’agent au quotidien : c’est lui qui, à la fin, travaille quotidiennement au service du public.

Vous avez parlé de l’humain : que se passe-t-il si l’on numérise très – trop – vite ? Nous souhaitons mettre en place une stratégie nationale d’inclusion numérique, mais que fait-on immédiatement ? Monsieur Dominique Potier, vous avez évoqué le secrétaire numérique. D’autres parlent d’écrivains publics numériques ou de maisons universelles des démarches administratives. Aujourd’hui, une mosaïque d’initiatives intéressantes existe sur les territoires, certaines collectivités, tout comme l’État, s’étant investis depuis dix ans. L’objectif d’une stratégie nationale d’inclusion numérique sera justement de maintenir cette diversité, tout en s’assurant que 100 % du territoire a bien une stratégie, quel que soit le niveau retenu – régional, départemental ou, pourquoi pas, métropolitain et départemental. Certains départements laisseront le pilotage de ce dispositif aux collectivités, tout en demandant des financements à l’État et aux opérateurs sociaux. Ailleurs, ce sera la préfecture qui mettra en place des lieux d’accueil universels pour accompagner les citoyens dans toutes leurs démarches. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais les lieux de médiation numérique des préfectures ne permettent de gérer que les procédures de l’État, sans vous accompagner pour les procédures qui relèvent des collectivités…

Je veux être certain que ce dialogue ait bien lieu partout – quitte à l’imposer – et que cette « option humaine » existe toujours. En effet, les experts de l’inclusion numérique et de la médiation, dont je fais humblement partie, estiment que trois quarts de ces treize millions de personnes – qui représentent 20 % des Français – deviendront autonomes s’ils sont accompagnés quelques dizaines d’heures, car on leur aura appris à se loguer et à utiliser une interface. Mais cela ne sera jamais possible pour un quart d’entre eux, soit 5 % de la population. C’est donc une nécessité absolue de les accueillir physiquement. Ils auront toujours besoin d’un être humain pour les orienter et faire ces démarches avec eux. Nous devons prendre en compte cette réalité importante pour lutter contre la fracture générationnelle.

Vous avez parlé du thermomètre sur la qualité du réseau. Vous avez raison : cela fait quinze ans qu’on peste sur le thermomètre et cela fait quinze ans qu’il n’est toujours pas très bon… Pour l’heure, la carte de l’ARCEP est ce que nous avons de mieux. Pourtant, elle n’est pas complètement exacte. Ainsi, Mme Laure de la Raudière en est témoin, lors d’un déplacement en Eure-et-Loir, je me suis permis de twitter la carte autour de Nogent-le-Rotrou. Dès que nous sommes arrivés, les gens nous ont dit qu’elle était complètement fausse et nous l’ont prouvé… Difficile alors de nier la réalité !

Pour autant, il est important de souligner que c’est la première fois que nous disposons d’une carte intelligente, complète, avec un maximum de données. L’ARCEP étant le régulateur, il est facile d’en faire le bouc émissaire. Mais elle a de lourdes tâches : gérer les opérateurs, réaliser le meilleur thermomètre, etc. Et puis, il faut le reconnaître, c’est elle qui a permis l’innovation et l’accélération quand il y en a eu besoin, ainsi que le rattrapage de certains retards.

Le Gouvernement a transmis ses exigences – mais surtout celles des citoyens – à l’ARCEP : elle doit se mobiliser sur un meilleur outil d’analyse, basé sur de véritables relevés réalisés plutôt par les citoyens eux-mêmes et par les collectivités. Elle doit également faire en sorte qu’en 2020, un réseau mobile de qualité soit disponible pour tous les citoyens.

Monsieur Dominique Potier, la formation et l’emploi sont un sujet essentiel pour moi, qui nécessite qu’on mobilise tout l’outil de formation au niveau national : éducation nationale, enseignement supérieur, formation professionnelle dite « ancienne version » mais également nouvelle formation professionnelle, plus agile et moins réglementée.

Nous avons une chance incroyable avec ces métiers du numérique : la tension est forte car il en manque beaucoup. Mais comme ils ne sont pas basés sur des savoirs historiques, pour certains de ces métiers, peu de diplômes existent pour le moment. Cela permet une plus grande créativité. Partout sur notre territoire, notamment au sein du réseau de la Grande école du numérique, se développent de nouveaux types de formations, courtes, ouvertes à tous : vous rencontrez des gens qui ont 16 ou 45 ans, qui ont raté leur formation initiale, se sont fait virer de leur lycée, ou des personnes qui en sont à leur deuxième changement de carrière, doivent se former à un nouvel emploi ou ont déménagé.

Toutes ces formations permettent par ailleurs de trouver un emploi directement à l’issue de la formation, avec des taux de retour à l’emploi supérieurs à 90 %. Et souvent, c’est pour d’autres raisons qu’un manque de postes disponibles que les personnes ne trouvent pas d’emploi.

Le métier de codeur n’est pas le seul métier du numérique, c’est important de le rappeler. Dans ces grandes écoles du numérique, on forme aussi beaucoup de techniciens des métiers du numérique et d’assistants techniciens du numérique. En matière de cybersécurité, si l’on veut protéger trois millions de TPE-PME, il va falloir former des personnels de tout niveau technique sur l’ensemble du territoire – techniciens, assistants techniciens, ingénieurs et chercheurs. En six mois à deux ans, on forme aujourd’hui ces assistants techniciens.

Avec ma collègue ministre du travail, Muriel Pénicaud, nous avons lancé un appel à toutes les entreprises, qu’elles soient grandes, moyennes ou petites. Nous leur avons demandé d’exprimer, dans les prochaines semaines, un engagement de recrutement sur certains métiers du numérique très ciblés, pour lesquels nous avons identifié un appareil de formation disponible ; nous sommes prêts à créer des capacités afin d’accélérer les formations dès le début de l’année 2018, pour peu que nous ayons l’assurance que les entreprises prendront ensuite bien ces personnes en stage, puis les recruteront.

J’ai l’engagement de plusieurs entreprises avec lesquelles j’en ai parlé, car le besoin en techniciens est criant. On s’est longtemps trompé en ne recrutant que des codeurs ou des ingénieurs. À titre personnel, j’y attache de l’importance car j’ai été technicien réseau et sécurité pendant neuf ans. C’est un très beau métier, qui permet d’être au service des gens avec le numérique.

Mme Laure de la Raudière. J’ai tellement de questions… Mais je vais faire un choix, car je sais que je n’ai que deux minutes, comme tout le monde. Si Mounir Mahjoubi est tombé dans le numérique quand il était tout petit, j’espère qu’il y avait dans le chaudron la potion magique de la transformation de l’État… En vous écoutant, monsieur le secrétaire d’État, j’ai envie de vous croire, mais j’ai quand même l’impression que l’on est loin de l’univers que vous décrivez, tant les freins de gouvernance et culturels sont importants.

Le rapport de la mission d’information sur la couverture numérique du territoire que nous avons remis à la commission des affaires économiques avec mon collègue Éric Bothorel demande un troisième jalon au sein du plan France très haut débit (FTHD) : la fibre optique pour tous en 2025. Êtes-vous d’accord pour l’afficher officiellement, au nom du Gouvernement ?

Ma deuxième question concerne la couverture mobile. Si, tout comme vous, je salue la publication de cette carte par l’ARCEP, je vous alerte et je ne cesserai de le faire tant que je n’aurai pas l’impression d’être écoutée : ce que l’ARCEP qualifie de « qualité bonne » n’est pas la bonne qualité aux yeux des usagers ! L’ARCEP estime que la qualité est bonne quand il est possible de passer un appel à l’extérieur « dans la plupart des cas » et à l’intérieur des maisons « dans certains cas ». Et cela devient la référence de couverture mobile pour les opérateurs ! C’est un véritable problème au regard des enjeux que vous avez évoqués… Je préférerais que les indicateurs de qualité soient redéfinis et la carte de l’ARCEP mise à jour en fonction de ces nouveaux indicateurs, afin que la « qualité bonne » affichée soit réellement celle perçue par les usagers.

Ma dernière question concerne le suivi de l’application de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite « loi Lemaire ». Elle a été adoptée il y a un an maintenant ; or 50 % des décrets n’ont pas été publiés. Depuis avril 2017, les administrations devaient publier par défaut les documents administratifs anonymes ayant été communiqués au moins une fois à titre individuel. Ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Derrière cette loi se nichent des enjeux extrêmement importants d’ouverture des données publiques, des enjeux économiques, mais aussi des enjeux d’amélioration du fonctionnement des administrations. Cela passe par une gouvernance beaucoup plus forte de Matignon sur tous ces sujets. C’est d’ailleurs un préalable à la transformation numérique de l’État.

Mme Christelle Dubos. Au début du mois, vous nous l’avez rappelé, le Gouvernement a fait sien l’objectif d’un territoire intégralement fibré en 2025, en complément des ambitions déjà annoncées du très haut débit pour tous en 2022, et du « bon haut débit » pour tous en 2020, la notion de « bon haut débit » faisant référence à un accès soit par la fibre, soit par d’autres technologies voisines comme la 4G. Néanmoins – vous nous l’avez également rappelé –, alors que le nombre d’usagers mobiles dépasse largement le nombre d’internautes et alors que l’utilisation du mobile pour la consultation de sites internet continue de croître, quelles sont vos ambitions pour la 5G et quel est l’horizon de déploiement de cette technologie très attendue par nos citoyens et nos entreprises, en particulier dans les zones blanches ?

M. Nicolas Démoulin. Je voudrais vous parler de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI). Cette autorité doit disparaître en 2022. Je ne sais pas si mes sources sont bonnes, mais son bilan semble assez médiocre : depuis 2010, elle a envoyé 10 millions de courriers et transmis 2 000 dossiers au Parquet. Cela a abouti à seulement 72 condamnations, alors que son budget est de 8,5 millions d’euros.

Techniquement, seuls les réseaux peer to peer (P2P) sont surveillés, alors qu’il faudrait surveiller les téléchargements directs et surtout le streaming, qui me semblent les plus utilisés. Par ailleurs, la riposte est « graduée » : est-ce un bon système ? Pour conclure, que comptez-vous faire de la HADOPI ? La supprimer ? L’adapter ? Avez-vous des idées ?

M. Patrice Anato. Le numérique représente aujourd’hui un des leviers les plus importants d’insertion socioprofessionnelle, car il génère de nombreuses potentialités et opportunités. Dans des départements comme celui de la Seine-Saint-Denis, premier département d’Ile-de-France en termes de création d’entreprises dans ce secteur, qualifié récemment par le Président de la République lui-même de future Silicon Valley de la France, l’entrepreneuriat rime souvent avec le numérique.

Toutefois, si les opportunités du numérique sont bien identifiées et si des progrès significatifs ont été enregistrés, quelques problèmes demeurent, comme l’insuffisance de la couverture très haut débit – que vous avez évoquée – et le manque de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur du numérique au regard de la demande. Que prévoit le Gouvernement pour inciter, soutenir et pérenniser les nouvelles entreprises numériques et améliorer l’accès à la formation sur ces territoires ?

M. le secrétaire d’État. Je vais commencer par la question de la civilité et de la haine sur internet, car c’est un sujet complexe. On a voulu faire d’internet un espace d’expression libre. C’est essentiel, cela fait partie de la philosophie de beaucoup d’entre nous, et c’est également la philosophie de ce Gouvernement. C’est une bonne chose de pouvoir faire ce que l’on souhaite sur internet, notamment le bien. Mais cela ne doit pas nous empêche de dénoncer les comportements extrêmes.

Au milieu de ces débats, les plateformes jouent un rôle majeur car c’est par elles que passe la quasi-intégralité des messages que nous rendons publics. Elles sont peu nombreuses, puisque les trois principales réalisent 95 % du trafic. Le travail passe donc nécessairement par elles. Qu’est-ce qui fonctionne bien avec ces plateformes ? C’est principalement la lutte contre le terrorisme et contre les messages djihadistes, suffisamment extrêmes et dangereux pour qu’elles soient complètement mobilisées et n’aient aucun doute sur ce qu’elles font. Avec le ministre de l’intérieur, mais également avec le ministre des affaires étrangères au niveau international, nous continuons à mobiliser les plateformes afin qu’elles retirent encore plus rapidement les contenus incriminés. La discussion est avancée.

Mais la haine ou l’insulte, c’est plus subtil. Il faut un être humain intelligent et sensible culturellement pour reconnaître et comprendre qu’il s’agit de haine ou d’insultes. Il y a plein de façons d’être homophobe ou d’être subtilement dans l’expression de la haine d’une religion. Cela nécessite une interprétation ; or les plateformes détestent interpréter. C’est la raison pour laquelle, quand elles ont la possibilité de ne pas avoir à interpréter et de laisser plutôt que de retirer, elles vont préférer ne pas retirer.

Comment lutter activement contre la haine dans ce cas ? Délègue-t-on cette mission aux associations ? Elles en ont un peu assez de devoir en permanence relever les contenus qu’elles considèrent comme illégaux, mais qui, parfois – c’est terrible – ne le sont pas complètement… Ils sont justes haineux.

Et que fait-on de ces contenus ? Sur le territoire français, cinq à six associations y consacrent toute leur énergie. Je les ai reçues et nous continuons à dialoguer. Comme ce fut les cas sous la précédente législature, ce sujet pourrait faire l’objet d’un rapport parlementaire. Je suis prêt à aller plus loin. L’Allemagne, par exemple, a fait des choix législatifs assez directs et radicaux. Au quotidien, je maintiens la pression sur ces plateformes. Je pense qu’elles ont un rôle à jouer et doivent s’investir.

Madame Laure de la Raudière, je l’ai rappelé devant l’Assemblée lors d’une question au Gouvernement : l’objectif d’une société du gigabit et la fibre pour tous en 2025 est un objectif du Gouvernement, mais également un objectif européen. La société du gigabit, ce n’est pas uniquement la fibre pour tous, mais également plusieurs fibres pour ceux qui en ont le plus besoin, pour les locaux technologiques, pour des entreprises : il faut pouvoir assurer une hypercapacité technique, car les nouveaux usages seront importants en 2025. Nous devons pour cela être capables de mobiliser et de financer les infrastructures.

Hier, nous avons échangé sur ce sujet lors du déjeuner des ministres en charge du numérique, à l’occasion du Conseil « transports, télécoms et énergie » à Luxembourg, où j’ai représenté la France. Le financement des infrastructures – y compris la 5G – sur 100 % du territoire, est un enjeu majeur de compétitivité face aux autres continents. La Commission a alerté les États membres : ils doivent tous s’engager dans cette démarche afin de faire de l’Europe un champion mondial des réseaux 5G.

Si la France et l’Europe parviennent à équiper leurs territoires et à atteindre un bon niveau en 5G, ce sera pour notre continent un atout de compétitivité énorme. La société du gigabit sera atteinte avec la fibre optique et un réseau 5G performant sur l’ensemble du territoire. Cela nous donnera un sacré temps d’avance ou, en tout cas, nous enlèvera un sacré temps de retard sur beaucoup de pays. À Luxembourg, j’ai rappelé l’engagement de la France. Nous devons dès aujourd’hui commencer à discuter et réfléchir avec les opérateurs aux investissements dans la 5G. Mais pour cela, il faut qu’ils ressentent l’expression de la nécessité d’investir de la part de l’État.

Vous le savez, un autre continent a décidé de s’engager pour des « Jeux Olympiques 5G » en 2020. S’il y arrive – et je pense qu’il y arrivera –, il faut que nos Jeux Olympiques soient également exemplaires dans ce domaine en 2024. Nous devrons alors être en mesure de démontrer la qualité de nos réseaux.

Vous avez évoqué les critères de qualité de la couverture mobile et vous avez raison. Pendant l’été, toutes les administrations en charge de ce dossier ont travaillé ensemble à mieux définir ce critère de qualité, qui ne fait l’objet d’aucun consensus, ni technique, ni technologique, dans aucune administration, chez aucun opérateur. Il n’existe pas non plus de norme internationale.

Mme Laure de la Raudière. C’est la référence que reprennent les opérateurs…

M. le secrétaire d’État. Les opérateurs ont fait du critère de l’ARCEP une référence et ce n’est pas bien. Le travail réalisé par nos administrations permettra de définir en langage normal, en français et en usage, ce qu’est la « qualité bonne ». Nous avons tenté de définir le « bon accès » pour différents cas d’usage. Par exemple, « grâce à mon téléphone chez moi, je peux me connecter au réseau 4G et télécharger une vidéo ». Nous avons défini ces cas d’usage pour tous les âges de la famille, de l’adolescent, au parent, à l’hyperconsommateur de services, à la personne qui utilise son téléphone de façon anecdotique, afin d’expliquer en français ce que doit être ce niveau de qualité. Je vous l’accorde, une définition purement technique et froide de la qualité de la voix et du SMS est totalement inutile aujourd’hui. Désormais, l’ARCEP va nous faire des propositions sur la base de ce travail, car il reste le régulateur.

Je vais être complètement transparent avec vous sur le sujet des décrets de la loi Lemaire : ils étaient dans mon « dossier ministre » quand je suis arrivé. Le « dossier ministre » synthétise, à l’attention du nouvel arrivant, les dossiers sur lesquels son prédécesseur a avancé, ce dont on pourra se congratuler – le successeur bénéficiant des résultats du travail de son prédécesseur. Il n’y en avait pas beaucoup… Il liste également les sujets sur lesquels le ministre n’a pas abouti : eh bien, il y avait tous les décrets de la loi Lemaire…

Vous l’aurez noté, il y a trois semaines, plusieurs décrets, cosignés par le ministre des finances et le Premier ministre, ont été publiés. Ils concernent la transparence et la loyauté des plateformes. La loi Lemaire est essentielle : elle traite de sujets très importants. Mais les conséquences organisationnelles et économiques de ses dispositions pour les administrations et pour les entreprises n’ont pas complètement été mesurées lorsque la loi a été votée. L’impact de certaines dispositions, que nous devons mettre en œuvre par décret et qui imposent de nouvelles obligations aux opérateurs, n’a pas non plus été totalement évalué.

J’ai donc proposé une nouvelle méthode aux administrations : nous allons réinviter autour de la table tous les acteurs concernés par chacun des décrets, afin de refaire une cartographie des désaccords et des accords. C’est ce que nous avons fait pour les trois premiers décrets publiés, et les avons donc publiés en toute connaissance des enjeux propres à chacun des acteurs.

Je ne vous cache pas que cela va être compliqué pour beaucoup. Nous avons maintenu une date d’exigence au 1er janvier 2018 ; certains soutiennent que nous n’y arriverons pas. Nous avons annoncé que l’administration serait dans un état d’esprit constructif – je crois que ce terme vous parle – afin d’accompagner les entreprises qui mettront en œuvre les nouvelles dispositions, ou à tout le moins montreront les premiers signes de bonne volonté dans la mise en place des dispositifs de transparence des algorithmes et de classification.

Nous utiliserons la même méthode pour tous les autres décrets, qui vont être publiés les uns derrière les autres. J’y travaille activement avec mes administrations. Par ailleurs, je serai complètement transparent avec l’Assemblée nationale si certaines dispositions posent de potentiels problèmes d’exécution. Sachez qu’il n’y a aucune volonté d’enterrer ces décrets. Cela nous demande seulement beaucoup de travail, afin de véritablement en mesurer l’impact.

Les exemples que vous avez donnés sont très importants, ils me tiennent à cœur car ils participent à la transformation de l’État. Je vous le confirme : nous travaillerons rapidement sur ces sujets.

Sur la question de la HADOPI, dans une précédente audition, j’ai commis une erreur. Je serai donc aujourd’hui particulièrement précis dans la réponse que je vais vous apporter. Vous connaissez ma sincérité : j’essaie toujours de vous répondre sans trop regarder des notes, mais, sur certains sujets sensibles, je dois faire attention au vocabulaire que j’utilise.

La HADOPI a elle-même saisi deux conseillers d’État, en leur demandant de lui faire des recommandations et des propositions. Ce premier rapport n’a donc pas été commandé par la ministre de la culture, contrairement à ce que j’ai pu dire précédemment. Les conseillers d’État vont rendre leurs conclusions à la fin du mois de novembre. Elles seront très intéressantes pour la ministre de la culture et moi-même et nous permettront d’avancer sur le sujet.

Ensuite, il faut avoir conscience que c’est une question à laquelle tout le monde est sensible : mes équipes – notamment le cabinet qui m’accompagne pour cette audition – s’intéressent à ce sujet, tout comme le milieu culturel, la jeunesse connectée, les familles, les associations familiales, les associations de consommateurs, tous m’en ont parlé. Et de son côté, la ministre de la culture est fréquemment sollicitée sur ce point par les professionnels de l’industrie culturelle.

Notre philosophie en la matière consiste à considérer que la loi HADOPI repose sur deux piliers qui doivent être préservés, quelles que soient les recommandations et les évolutions qui pourraient intervenir.

Le premier pilier consiste à redire à tout le monde qu’accéder illégalement aux contenus, ce n’est pas bien, qu’il s’agisse du téléchargement en peer to peer ou en direct, ou même du visionnage en streaming. Il existe différentes manières de dire que ce n’est pas bien : on peut se contenter de le dire, on peut mettre une amende, on peut mettre en place une riposte graduée, on peut éventuellement judiciariser, etc. Le champ des possibilités est vaste.

Le deuxième pilier, c’est la lutte active contre les brigands. On oublie parfois de le dire, mais le téléchargement direct et le streaming sont l’œuvre de grandes organisations criminelles du numérique, les mêmes qui proposent également de la pornographie, voire de la pédopornographie, de la vente de drogue en ligne, qui attirent les internautes sur des sites où l’on se fait contaminer par des virus dits discrets, qui s’installent sur vos ordinateurs à votre insu dans le but de constituer des bases massives d’informations que ces organisations revendent.

L’enjeu en la matière – qui n’est pas seulement français, mais européen – consiste à mobiliser des moyens technologiques d’enquête afin de lutter contre ces organisations qui nuisent à la confiance numérique et à notre industrie culturelle. Pour moi, il est tout aussi important de dire aux jeunes et aux familles qu’il ne faut pas télécharger illégalement, que de lutter activement contre les brigands. Mon secrétariat d’État aura à cœur de maintenir l’équilibre entre, d’une part, une lutte active au bon niveau de compétence technologique, d’autre part, une démarche pédagogique à l’intention des familles. En tout état de cause, je ne serai jamais dans une position caricaturale consistant à n’agir que sur l’un des deux fronts. Je veux que l’on soit très ferme d’un côté, et très présent et pédagogue de l’autre.

Mme Marie Lebec. Comme vous l’avez très justement souligné dans votre présentation initiale, monsieur le secrétaire d’État, le numérique est un outil indispensable pour notre compétitivité, mais c’est aussi une filière qui s’exporte – on l’a vu avec plusieurs initiatives qui ont bien marché, notamment la French Tech, mais également avec notre présence récurrente au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas.

Cependant, des difficultés persistent du fait d’un manque de données fiables, notamment sur l’état réel de nos exportations dans le secteur. Comme vous le savez, la production immatérielle n’est pas prise en compte ; de même, la dynamique de filières n’est pas encore intégrée par les acteurs, ce qui pénalise notre présence à l’international ; enfin, nos initiatives restent trop timorées lors des principales rencontres internationales – à l’exception du CES.

Ma première question porte sur les actions que vous pourriez engager en partenariat avec les autres ministères pour accroître notre visibilité sur le marché international. Par ailleurs, chacun sait que l’Afrique constitue un marché en pleine croissance, qu’il ne faut pas laisser à d’autres acteurs qui s’y développent à grande vitesse : une présence française sera-t-elle assurée lors des rendez-vous importants qui seront organisés en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, d’ici la fin de l’année ?

M. Paul Christophe. Je vous remercie pour la clarté de vos propos, monsieur le secrétaire d’État. Je devrais peut-être aussi vous remercier de nous faire rêver en parlant de 5G, car je peux vous dire qu’en certains points de notre territoire, on en est resté à la 3G – et encore, on se demande parfois où est passé le G ! En tout cas, je ne peux que souscrire à votre volonté de tendre vers la 5G.

Je voudrais également apporter un témoignage portant sur la transformation numérique de l’État. Ayant eu dernièrement l’occasion d’auditionner la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) dans le cadre d’un rapport sur le commerce extérieur qui m’a été confié, je suis en mesure de confirmer que cette transformation est une réussite, puisque le délai moyen de traitement d’un conteneur en dédouanement est aujourd’hui réduit à trois minutes cinquante-deux – hors contrôle sur place ou contrôle vétérinaire.

J’ai été très intéressé par ce que vous avez dit au sujet des collectivités, puisque j’étais maire, il y a encore peu de temps, d’un petit village qui a fait le choix de la dématérialisation de tous les documents – titres de recettes, mandats, etc. S’il s’agit là d’une belle aventure, on peut s’y sentir un peu seul, et on aimerait parfois pouvoir faire appel à un vrai référent plutôt qu’à un conseiller dématérialisé. Pourriez-vous imaginer un dispositif consistant à accompagner les collectivités dans le franchissement de cette étape indispensable au regard de la transformation de nos territoires ?

Enfin, comme vous le savez, la loi de finances prévoit un encadrement de la dette concrétisé par des décrets au titre des collectivités, qui pourraient conduire celles-ci à réduire leur niveau d’endettement et surtout la durée de leurs emprunts. Or, il appartient à certains territoires – parfois la région, parfois le département – de se mobiliser pour procéder au déploiement de la fibre en lieu et place des opérateurs, ce qui nécessite des investissements lourds, avec de très longues durées d’amortissement et de remboursement. Aurez-vous l’opportunité d’innover et d’accompagner un peu plus ces territoires sur le plan financier ?

M. Philippe Bolo. Selon vous, monsieur le secrétaire d’État, le fort potentiel économique du numérique de la France – je pense aux créations d’entreprises nouvelles, de start-ups et d’emplois que j’espère non délocalisables – concerne-t-il surtout les services logiciels, c’est-à-dire les applications que ces entreprises vont pouvoir développer, les infrastructures et les équipements, ou le domaine des données – leur gestion, leur exploitation et les services pouvant être associés à leur manipulation ?

Par ailleurs, quelle est votre vision sur les atouts du marché européen et quelle place la France peut-elle y jouer grâce au développement de nouvelles entreprises et à la création de nouveaux emplois ?

M. Anthony Cellier. Aujourd’hui, on trouve le meilleur comme le pire sur internet. Nous avons évoqué la formation pour l’emploi et la formation des seniors, mais que pourrions-nous faire auprès des plus jeunes, qui manipulent tablettes et smartphones aussi facilement que nous manipulions autrefois une télécommande de téléviseur ? Sans vouloir toucher à cet espace de liberté que constitue le web, nous devons être conscients que les responsabilités à l’égard des jeunes sont multiples : je pense à la responsabilité des parents, mais aussi à celle des opérateurs et des créateurs de contenus. Quelles sont selon vous les obligations de chacun et les solutions qui pourraient être proposées ?

M. le secrétaire d’État. Le soutien aux entreprises numériques dans les quartiers populaires est pour le Gouvernement un sujet essentiel, qui soulève deux questions : comment aider ces entreprises à naître et grandir ? Comment les accompagner jusqu’à la conquête des marchés internationaux ?

Aujourd’hui, une grande partie des fonds libérés pour la French Tech sont utilisés avec des cofinancements apportés par les collectivités, notamment dans des « fonds de fonds », des fonds d’accélérateurs qui ont permis de faire émerger de nombreuses start-ups partout sur le territoire – un peu moins dans les quartiers populaires, il faut le reconnaître. On assiste depuis quelque temps à une certaine prise de conscience de la nécessité de disposer partout de ces accélérateurs très innovants, y compris dans les quartiers populaires – ce qui est venu contredire l’idée un peu biaisée qui prévalait jusqu’alors, selon laquelle il fallait placer les accélérateurs d’associations dans les quartiers populaires, et les start-ups très innovantes dans les quartiers allant un peu mieux.

Mettre cette nouvelle conception en pratique a été l’occasion de constater que l’implantation de start-ups dans les quartiers populaires pouvait donner de très bons résultats. À cet égard, le cas du XIXe arrondissement de Paris – celui où j’habite et où j’ai été élu – est très intéressant. Dans cet arrondissement qui est le plus pauvre de Paris, l’agence de développement économique Paris & Co a surpervisé la création de plusieurs incubateurs, qui ont permis l’arrivée de très nombreuses start-up, créées par des habitants du quartier – ou d’Aubervilliers, de l’autre côté du périphérique. Je trouve que ces dispositifs sont très intéressants, surtout French Tech Diversité, lancée l’année dernière, qui a permis de financer trente-cinq start-ups disposant d’une proof of concept (preuve de concept – POC) et qui devrait permettre d’en financer deux fois plus durant l’année à venir. Son objectif est de continuer à croître afin de faire émerger toujours plus de projets de ce type dans les quartiers populaires, et de les accompagner jusqu’à ce qu’ils soient en mesure d’aller conquérir le marché national et les marchés internationaux.

Comment amener nos start-ups jusqu’à l’international ? Comme vous le savez, la politique internationale de la French Tech est copilotée par Business France. Lorsque le nouveau président et le nouveau directeur général de cette agence m’ont fait part de leur vision à court et à long terme, j’ai pu constater que nous étions d’accord sur le fait que l’enjeu, c’est que les entreprises de la nouvelle économie, mais aussi certaines entreprises de l’économie traditionnelle en train de se transformer, puissent partir à l’export plus rapidement qu’hier. Elles peuvent le faire soit physiquement, soit depuis la France, et cela va constituer un véritable enjeu pour nous que de favoriser les politiques dites « export », c’est-à-dire de mobiliser des moyens depuis la France pour vendre en Chine, en Afrique et dans tous les territoires, notamment grâce à des plateformes alternatives qui ne sont pas les grandes structures que nous connaissons. Cet enjeu constitue l’un des chapitres du plan de transformation numérique des TPE et PME que j’ai annoncé lundi à Bercy.

Pour ce qui est de la présence africaine, Emmanuel Macron se rendra dans les mois qui viennent dans un pays – je ne le dévoilerai pas, car il préférera sans doute le faire lui-même (Sourires) – où il sera sans doute question de l’innovation numérique en Afrique. Lors du récent sommet France-Sénégal à Paris, j’ai pu m’entretenir avec le ministre de l’économie sénégalais de l’économie numérique, du pacte numérique entre la France et le Sénégal, et des possibilités offertes aux start-ups françaises basés au Sénégal d’aller conquérir la francophonie. Il y a là un enjeu intéressant, celui d’entreprises nées dans un contexte différent du nôtre et apportant de ce fait une diversité dans la capacité à entreprendre, mais qui affichent une priorité intéressante pour nous, à savoir la volonté de conquérir le marché mondial virtuel de la francophonie, un marché de plusieurs centaines de millions de personnes à travers le monde.

Sur l’accompagnement des collectivités dans la transformation numérique de l’État, j’ai pris part au début du mois à un colloque sur le numérique organisé en Bretagne. Cette région fait partie des plus innovantes, celles qui collaborent le plus au programme de développement concerté de l’administration numérique territoriale (DCANT), c’est-à-dire le projet de collaboration entre la DINSIC et les collectivités territoriales, qui réfléchit aux moyens de faire en sorte que des outils créés au niveau national puissent servir à ces dernières. La Bretagne est la première région à avoir expérimenté la mise en place des marchés publics simplifiés. Ce dispositif, développé par une start-up d’État dans mes services, au sein de la DINSIC, permet à une PME de postuler à un marché public simplement en indiquant son numéro SIRET : elle est identifiée automatiquement, et n’a aucun autre papier à fournir avant de parvenir à la phase finale – où elle doit remplir un formulaire et justifier du fait que ses déclarations fiscales et déclarations sociales sont à jour. Ce système, qui fonctionne très bien, constitue un bel exemple d’accompagnement des collectivités.

Le DCANT est à la fois un processus, une réunion, un service dépendant de mon secrétariat d’État, et des personnes dans les administrations, qui travaillent ensemble à définir les priorités pour les collectivités de ce que l’État devrait faire pour elles. Ce processus, qui marche bien et où sont représentés tous les niveaux des collectivités, nous permet de définir chaque année les priorités de l’année à venir – dans ce cadre, les marchés publics simplifiés avaient été identifiés comme une urgence absolue. J’en profite pour indiquer que nous avons mis le dispositif des marchés publics simplifiés à la disposition du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), partenariat mondial associant près de 71 pays où la France joue le rôle de leader, et qui vise à diffuser et à massifier les pratiques de gouvernement ouvert permises par le numérique. Ainsi certains pays expérimentent-ils actuellement le dispositif des marchés publics simplifiés, afin de lutter contre la corruption au quotidien. Le fait pour la France d’offrir à la communauté internationale un dispositif d’innovation numérique destiné à servir à tous constitue, pour notre pays, une nouvelle façon de faire rayonner notre engagement à l’étranger.

La question de la protection des mineurs rejoint celles que nous avons évoquées tout à l’heure sur la haine et les comportements incivils sur internet, ce qui doit nécessairement nous conduire à nous interroger sur les relations et les engagements que nous devons avoir avec les plateformes. J’échange très régulièrement avec le ministre de l’intérieur sur ce qui constitue à mes yeux un enjeu essentiel, à savoir l’augmentation de notre capacité à lutter contre les comportements dangereux sur internet, notamment en faisant intervenir davantage de personnes à cette fin.

Je ne me place pas sur le terrain de la morale, mais simplement sur celui de la lutte contre les brigands. Plutôt que de chercher à déterminer ce que les mineurs devraient voir ou ne pas voir, je veux mettre des bâtons dans les roues à ceux dont le travail consiste à mettre des contenus terribles à la disposition de n’importe qui, sans aucun contrôle sur l’âge des personnes qui accèdent à leurs sites : on doit tout faire pour empêcher ces individus de nuire et, pour cela, il faut pouvoir les obliger à fermer leurs sites. C’est en agissant de la sorte que nous ferons preuve de la plus grande efficacité : toute attitude qui viserait à imposer encore plus de contrôle dans les familles sera évitée. On a parlé tout à l’heure de télécommandes de téléviseurs, ce qui me rappelle que lorsque j’étais plus jeune et que mes parents me confisquaient une télécommande, j’en sortais une autre que je tenais en réserve et que j’avais reprogrammée !

M. le président Roland Lescure. Heureusement que la HADOPI n’existait pas ! (Sourires.)

Je ne peux malheureusement rester plus longtemps avec vous, monsieur le secrétaire d’État, car j’ai d’autres obligations qui m’appellent. Je vous remercie pour votre intervention devant notre commission, et je vous quitte en confiant la présidence à mon collègue M. Mickaël Nogal.

M. le secrétaire d’État. Aujourd’hui, on a affaire à une génération qui va encore plus vite et qui aura donc toujours une longueur d’avance, ce qui fait que toute tentative d’intervenir sur ses comportements est vouée à l’échec.

On m’a demandé hier si j’ai déjà téléchargé illégalement un film : en fait, cela ne m’est pas arrivé depuis très longtemps, et je l’ai fait à une époque où l’offre légale n’était pas au niveau. Aujourd’hui, je suis abonné à toutes les plateformes légales, j’achète de la vidéo à la demande (VOD) payante très souvent et j’invite tout le monde à en faire de même – je le dis très fort à l’intention de l’industrie –, puisque nous avons la chance d’avoir une offre de bon niveau et qui se développe régulièrement. Cela dit, il peut arriver que l’offre légale ne soit pas suffisante ou que les plateformes officielles ne fonctionnent pas correctement, et dans ce cas je peux comprendre la tentation de certains d’aller voir ailleurs…

Le sommet numérique qui s’est tenu le mois dernier à Tallinn a été l’occasion de prendre l’engagement d’accélérer la capacité des États à créer les opportunités du marché unique numérique dont nous parlons depuis bientôt dix ans, et dont on ne voit pas encore poindre les effets attendus sur notre économie. Constatant que nous n’avons atteint l’objectif fixé que sur quelques-uns des dix-huit chapitres initialement définis, nous avons pris à Tallinn la décision d’augmenter le nombre de Conseils de l’Union européenne consacrés aux télécommunications, afin d’avancer plus vite sur la conclusion des dispositifs et des chapitres sur lesquels il est possible de trouver rapidement une solution. Peut-être en arriverons-nous à la conclusion qu’il est inutile de continuer à débattre aussi longtemps sur certains chapitres, mais que nous pouvons dès maintenant partir à la conquête des autres espaces du marché unique numérique, et nous demander comment créer plus d’opportunités au quotidien.

Après le Conseil « télécoms » qui vient d’avoir lieu, le prochain se tiendra en décembre, puisque tous les pays membres souhaitent qu’il y en ait un tous les deux mois, pour essayer de rattraper notre retard. Différents sujets ont vocation à être évoqués prochainement, notamment celui des infrastructures, dont j’ai parlé tout à l’heure : c’est un sujet parallèle mais très important, car en l’absence d’infrastructures de très bonne qualité sur tout le territoire de l’Union, nous ne pourrons pas avancer à un rythme satisfaisant.

Sur certains sujets, nous devrions pouvoir trouver une solution avant la fin de l’année. Je pense notamment au règlement relatif aux télécommunications  qui, pour la première fois, devrait donner lieu à une harmonisation des pratiques relatives à l’attribution des licences, aux exigences demandées aux opérateurs dans le cadre du transfert des consommateurs d’un pays à un autre, ou encore à la portabilité des données : sur tous ces sujets, nous devrions pouvoir avancer rapidement.

Pour ce qui est de la libre circulation des données (free flow of data), la France a proposé une position de consensus à laquelle ont adhéré quasiment tous les pays, et je pense que nous parviendrons à des conclusions avant la fin de l’année 2017. S’il est plusieurs sujets sur lesquels nous avons réussi à anticiper, de nouveaux arrivent déjà, qui menacent de nous dépasser. Je parlais tout à l’heure au Sénat de l’intelligence artificielle, de la question de la standardisation des données ou de la capacité, de la portabilité des données entre les plateformes, ou encore de la portabilité des donnée personnelles vers les plateformes industrielles : ces questions, qui ne sont pas encore à l’ordre du jour de la Commission, constituent pourtant un enjeu essentiel de nos économies dans les mois et les années à venir.

La France a fait une proposition qui a suscité l’intérêt de la Commission, au point que c’est elle qui soumet maintenant cette proposition aux autres pays : l’idée d’un observatoire des pratiques des plateformes. Nous sommes convaincus que l’émergence d’un marché unique numérique et des opportunités numériques pour les entreprises naîtra d’une compréhension profonde de l’économie des plateformes, qui doit conduire le législateur, et les décideurs politiques dans leur ensemble, à créer les conditions d’une concurrence de bon niveau dans l’espace numérique. Aujourd’hui, il est très compliqué pour un nouvel opérateur, un nouveau fournisseur de services ou de produits, de bénéficier pleinement du marché unique européen et du marché francophone numérique. Savoir créer le bon contexte pour cela représente un véritable enjeu ; de ce point de vue, le sujet de la législation fiscale s’appliquant aux grands acteurs internationaux participe de cet équilibre concurrentiel entre les acteurs nouveaux et les acteurs déjà présents et majoritaires.

M. Mickaël Nogal, président. La plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS), centralise les signalements des Français confrontés à des contenus ou des comportements illicites lors de leur utilisation d’internet. Je veux saluer les équipes de PHAROS, qui effectuent un travail très utile en rendant accessibles des services visant à protéger nos concitoyens dans leur usage quotidien des outils numériques, notamment des plateformes.

Ces plateformes, qui ont un rôle à jouer dans la régulation des contenus qu’elles hébergent, s’abritent trop souvent derrière une supposée absence de responsabilité envers les contenus rédigés ou partagés par les utilisateurs, et n’agissent qu’en mode réactif, avec le pouvoir du dernier mot. De fait, l’absence ou la quasi-absence de régulation en la matière est susceptible d’entraîner une propagation rapide de fake news – on l’a vu durant la campagne de la présidentielle –, la diffusion de contenus violents ou incitant à la haine, ou bien encore le cyber-harcèlement, qui peut prendre un caractère sexiste, raciste ou homophobe.

La Cour de justice de l’Union européenne ayant délégué aux gestionnaires des plateformes la décision de supprimer les contenus malveillants, pourriez-vous nous préciser la doctrine et les intentions du Gouvernement pour améliorer encore le niveau de protection de toute navigation sur le net, en conformité avec notre attachement à la neutralité du net ?

M. Nicolas Turquois. Je vais commencer par me féliciter que notre vice-président ne vous ait pas posé de question sur la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse, monsieur le secrétaire d’État, car ce thème est une vraie marotte pour les députés de Haute-Garonne. (Sourires).

M. Mickaël Nogal, président. Pas pour moi, cher collègue.

M. Nicolas Turquois. J’ai été étonné de constater que certains de nos concitoyens, par ailleurs bien intégrés dans la société, sont incapables de passer à la société du numérique. Tentant d’identifier les freins qui peuvent s’y opposer, je me suis rendu compte que les administrations publiques avaient tendance à mettre en place des interfaces de type administrateur plutôt que des interfaces utilisateur, ce qui explique la relative complexité de leurs sites.

Par ailleurs, nombre de nos concitoyens peuvent être rebutés par des questions de sécurité, et notamment craindre que leurs comptes ne soient piratés : les problématiques relatives à la cybersécurité ne concernent pas que les entreprises, mais aussi les particuliers.

Les plateformes d’assistance téléphonique des opérateurs posent également problème : réussir à joindre une personne physique sur ces plateformes peut constituer un vrai challenge, car il faut être patient et très motivé pour franchir l’obstacle des menus interminables dictés par des robots. Ne pourrait-on envisager de conclure une charte, au moins pour nos concitoyens les plus âgés, dont la compréhension et l’élocution se trouvent parfois ralenties ?

Enfin, comme l’ont dit certains de nos collègues, notamment M. Dominique Potier, le manque de civilité sur internet, ainsi que l’anonymat favorisant la délation, contribuent à rebuter nombre de nos concitoyens. Ma commune a mis en place une maison des services, avec un interlocuteur chargé d’aider ceux de nos concitoyens qui le souhaitent à « apprivoiser » les différentes plateformes de la CAF, de la MSA, ou d’autres admistrations. J’aimerais savoir ce que vous en pensez et, au-delà, quel est votre avis sur les problématiques que j’ai évoquées.

M. Benoit Potterie. Monsieur le secrétaire d’État, la France porte actuellement une proposition consistant à taxer les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) sur la base de leur chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays, et non plus sur les bénéfices réalisés dans les filiales installées dans des États à faible fiscalité. Ce projet concerne-t-il uniquement les GAFA, ou l’ensemble des entreprises de l’économie numérique ? Par ailleurs, une telle mesure pourrait-elle être appliquée à d’autres secteurs de l’activité économique ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je présidais il y a quelques jours le congrès de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), où le thème du numérique a évidemment fait l’objet de débats longs et animés. Si les élus montagnards se félicitent des annonces volontaristes de votre gouvernement en matière de couverture en haut débit, notamment de celle d’une couverture complète en 2020, deux ans plus tôt que prévu, des inquiétudes fortes subsistent quant aux moyens propres à parvenir à l’objectif fixé. De ce point de vue, la redéfinition des zones blanches est essentielle : vous avez certainement conscience du fait que nombre d’abonnés actuellement censés se trouver en zone de bonne ou de très bonne couverture ont le sentiment que ce n’est pas du tout le cas ! Il faudrait donc revoir les critères d’appréciation de l’ARCEP, qui ne correspondent plus à la réalité, surtout compte tenu des nouveaux usages.

Par ailleurs, les licences ont été attribuées aux opérateurs en les assortissant de contraintes qui ne correspondent plus à la réalité. Les opérateurs ont beau jeu de dire qu’ils respectent les contraintes qui leur sont imposées et vont même au-delà : aujourd’hui, du fait du changement des pratiques, les consommateurs attendent davantage. Envisagez-vous de renégocier ces licences par anticipation, afin qu’elles soient assorties de l’exigence d’une couverture plus importante ?

Enfin, que pensez-vous d’un éventuel assouplissement des règles d’urbanisme, qui permettrait d’accélérer les procédures et de raccourcir ainsi les délais qui posent aujourd’hui problème dans de nombreux territoires ?

M. Éric Bothorel. Je ne sais pas s’il reste des marxistes dans la salle, mais il aurait été intéressant d’avoir un débat entre marxistes et néomarxistes autour de la société du gigabit. (Sourires).

Pour être trendy, j’aurais pu aborder les thèmes de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle ou encore de la blockchain, mais j’ai choisi d’évoquer plutôt l’identité numérique. Alors que les expérimentations autour de la blockchain se multiplient pour accompagner les entreprises dans leur transformation numérique, il apparaît que ces solutions innovantes risquent d’être bridées, faute d’un système d’identification numérique conçu à la hauteur des enjeux. Après de premiers résultats prometteurs dans les secteurs de la finance et de l’assurance, la blockchain est désormais porteuse d’innovations dans des secteurs aussi variés que la grande distribution – notamment en matière de traçabilité des produits et de lutte contre la contrefaçon –, les services publics ou les solutions de ville intelligente (smart city).

Dans ce dernier cas, il existe une problématique relative à la sécurisation des procédures d’identification des habitants lorsqu’ils ont recours aux différents services offerts par une ville : offre culturelle, cantines scolaires, crèches, utilisation des transports ou des services administratifs dématérialisés. Pour développer ces services, les villes doivent créer leur propre système d’authentification, qui n’est pas toujours sécurisé ni compatible avec celui des villes voisines. Une carte d’identité numérique, sécurisée et infalsifiable, gérée par l’État, à l’instar de l’ID card estonienne, permettrait de créer un support unique et sûr, utilisable pour tous les services disponibles en France. Couplée à une solution de blockchain, une telle carte d’identité garantirait une solution sécurisée de bout en bout tout en permettant l’anonymisation des données personnelles des utilisateurs, et ainsi une conformité immédiate avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne.

Face à de telles perspectives, ma question est la suivante : quelles sont les ambitions du Gouvernement pour doter la France, à l’instar de ce qui se fait en Estonie, d’un système d’identification numérique fiable et sécurisé qui, au-delà de l’amélioration des rapports entre les usagers et l’administration, libérerait la créativité des fournisseurs de solutions innovantes, afin de développer de nouveaux services et usages centrée sur les citoyens ?

M. le secrétaire d’État. Le vice-président Mickaël Nogal m’a interrogé au sujet de PHAROS et, plus globalement, m’a demandé comment nous pourrions améliorer la protection des échanges et protéger les utilisateurs du danger représenté par certains contenus. Les plateformes de signalement des contenus les plus graves fonctionnent plutôt bien : quand vous signalez un contenu dangereux à PHAROS, votre requête est traitée en quelques minutes – quelques heures au maximum – et donne lieu à une réaction immédiate des opérateurs, des hébergeurs et des grandes plateformes.

En revanche, si vous signalez à PHAROS un contenu haineux, cela va donner lieu à un processus beaucoup plus complexe, impliquant une interprétation humaine : c’est tout le sujet de la négociation actuellement engagée avec les plateformes. Après un premier tour de discussions internationales qui n’a pas vraiment abouti, nous avons relancé à l’ONU un cycle de discussions sur la sécurité sur internet, lors d’un déplacement auquel j’ai pris part aux côtés du Président de la République et de M. Jean-Yves Le Drian. Il y a été question de terrorisme, mais on a aussi de la sécurité en ligne et du rôle des acteurs privés dans la sécurisation de ces dispositifs. On a notamment évoqué le rôle bien particulier de ceux qui agissent sur les systèmes d’hébergement et de réseaux, mais aussi les systèmes à très fort impact systémique – je veux parler des plateformes où se connecte une population massive, ce qui implique des obligations plus étendues pour ceux qui en ont la responsabilité.

Vous avez également évoqué les fakes news qui, et c’est bien le problème, ressemblent fort à des news. On pourra bien installer des petites lumières rouges ou un plugin sur son navigateur pour avertir l’utilisateur qu’il a affaire à une donnée complexe, il n’y aura jamais trop de logiciels pour nous aider à identifier ces fausses nouvelles… Facebook s’était engagé à installer des dispositifs permettant de signaler plus rapidement un contenu identifié comme une fake news. Mais la seule manière de lutter contre les fake news, c’est l’esprit critique forgé à l’école. L’éducation nationale enseigne aujourd’hui l’analyse critique des médias qui inclut de plus en plus l’analyse critique des contenus en ligne. Il faut aller encore plus loin : ne pas se contenter de quelques heures mais y revenir régulièrement dans le parcours du collégien, du lycéen.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Tout à fait !

M. le secrétaire d’État. Il s’agit par là d’éviter la mise en danger de nos démocraties. Si les citoyens ne sont pas suffisamment formés, alors nos ennemis utiliseront ces armes contre nous. Vous avez pu constater toutes les tentatives de manipulation de l’opinion aux États-Unis, mais aussi en France, en Allemagne… Si les citoyens sont avertis, nos attaquants s’en trouveront découragés.

J’en viens aux freins à l’utilisation des services publics numériques. Vous avez raison : nous avons quinze identifiants et mots de passe mais aussi une quinzaine d’interfaces différents. Même celui qui a du mal avec internet saura que lorsqu’il se connecte à Ameli, la barre de connexion se situe sur la gauche, et qu’il doit cliquer sur « dossier » pour récupérer son dossier ; mais quand il se connecte au site de Pôle emploi, la barre est sur le haut de l’écran ; quand il voudra consulter le site de la caisse d’allocations familiales (CAF), elle sera à droite… Et quand il voudra payer ses impôts en ligne sur le site du Trésor public, c’est une fenêtre de couleur verte et non une barre à laquelle il aura affaire ! Du coup, non seulement on a des identifiants différents, mais on est face à des logiques de navigation différentes, si bien qu’on doit se renouveler en permanence pour continuer d’être capable de naviguer.

J’ai lancé un comité des directeurs des systèmes d’information (DSI) que je réunis toutes les six semaines. Parmi les différents groupes de travail qui le composent, l’un concerne l’expérience utilisateur (UX). Tous les opérateurs et les administrations qui fournissent des services publics numériques sont invités à partager les objectifs de transformation. J’espère ainsi obtenir rapidement des résultats concernant la simplification, l’accessibilité et surtout la trajectoire d’unicité des interfaces officielles. Il faut en effet que l’utilisateur ressente qu’il a affaire à une interface officielle. Prenez les formulaires Cerfa : on peut en dire tout ce qu’on veut, mais les cases ont toutes la même forme, le bloc-nom est toujours au début, le bloc-signature toujours à la fin du document, quand on voit la petite grille on sait qu’on doit écrire une lettre par case… si bien que l’utilisateur en a pris l’habitude, que le formulaire soit vert, violet ou gris ; il n’a pas besoin de réapprendre à chaque fois comment le remplir. Ce n’est pas du tout ce qu’on a fait pour l’espace numérique ; on ne l’a pas normalisé – le mot fait peur, mais la normalisation permet la simplification des procédures. Ce sera donc un enjeu essentiel du programme Action publique 2022. J’ai demandé à chaque administration d’identifier les interfaces les plus utilisées par les citoyens et de travailler sur ces dernières dès l’année 2018 afin de commencer à obtenir des résultats.

Reste que je souhaite qu’on se connecte de façon unique, ce qui revient à votre question, monsieur Bothorel, sur l’identité unique. Je vous l’ai annoncé, la plateforme numérique de l’État comprendra trois briques : une identification unique, un bloc de compatibilité et un bloc de sécurité. Le Premier ministre nous a demandé, au ministre d’État, ministre de l’intérieur et à moi-même, de travailler sur l’identification unique numérique. Un des scénarios possibles est celui de la carte d’identité numérique, mais il en existe d’autres. L’enjeu du groupe de travail commun au ministère de l’intérieur et au secrétariat d’État chargé du numérique est d’explorer différentes solutions permettant une identification de niveau faible facile à mettre en place et une identification de niveau fort permettant d’offrir des services beaucoup plus sécurisés. Certaines démarches ne nécessitent pas qu’on vous pose trois questions, qu’on vérifie votre puce : quand on veut simplement se connecter à son espace sans vouloir apporter de modification, il vaut mieux que son accès soit rendu facile – l’utilisateur ne doit pas être dissuadé de se connecter. En revanche, le vote est un acte grave qui justifiera qu’on demande plus d’éléments pour toute modification de son dossier en ligne. Je préfère qu’on parle de l’expérience plutôt que des objets. Je m’engage donc sur le fait que l’État proposera une expérience publique d’identification unique à deux degrés – un simple et un complexe, très sécurisé – dans le courant de l’année 2018.

Pour ce qui concerne la redéfinition des zones blanches en montagne, M. Julien Denormandie vous a présenté les travaux en cours. C’est encore un problème de thermomètre : dans les régions de montagne, les cartes étaient fausses. Ces zones combinent un grand nombre de critères à cause desquels les réseaux sont plus complexes, qu’il s’agisse du relief, de la faible densité de la population, des distances… Et tout est réuni aussi pour que l’on fasse moins d’efforts à chercher l’information. Du coup, ces zones sont les moins bien représentées sur les cartes et les moins représentatives de l’analyse de la qualité des réseaux. Le premier engagement à prendre concerne la méthode d’utilisation du thermomètre : dans les zones de montagne plus qu’ailleurs, nous devons nous montrer capables de mesurer la qualité de la couverture numérique.

Les règles d’urbanisme sont un grand sujet de préoccupation pour M. Julien Denormandie qui a demandé aux administrations d’identifier les freins à la mise en place des fameux pylônes dans les 3 000 communes identifiées, où dix-huit mois plus tard, on n’avait pas encore vu le début de leur édification… Divers éléments sont avancés : les procédures de contestation, les procédures d’audit et de contrôle et les procédures d’urbanisme. Les élus vont se mobiliser en faveur de la connectivité de leur territoire mais, au moment où l’antenne arrive et où on va délivrer l’autorisation, leurs administrés découvrent que l’exposition aux ondes sera plus importante, ce qui amène parfois à devoir refaire une consultation. Ce temps est nécessaire : il faut avoir un dialogue franc, il faut mesurer le risque potentiel, prendre en compte les sensibilités, mais il ne faut pas qu’il soit instrumentalisé. Il m’arrive de recevoir des lettres de citoyens nous demandant de les laisser tranquilles dans leur territoire sans ondes, ils ne veulent pas entendre parler de la couverture de 100 % du territoire. Il faut absolument les écouter et réfléchir à ce que nous allons faire. Si des territoires, avec leur élu, décident de ne pas demander de couverture, il faudra décider ce qu’on en fait… Et il y en a un peu partout. Mais il ne faudra jamais que les délais d’autorisation soient prolongés pour de mauvaises raisons.

Je vous indique que je vais inaugurer un nouvel établissement de sécurisation des petites et moyennes entreprises…

M. Mikaël Nogal, président. Les membres de la commission y sont-ils conviés ?

M. le secrétaire d’État. C’est un petit établissement : si vous venez tous ensemble cela risque d’être compliqué.

M. Mikaël Nogal, président. Nous ne sommes pas très nombreux.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, répondre à la question relative à la renégociation des licences ?

M. Michel Delpon. De nombreux territoires ruraux ne sont pas des zones blanches mais des zones faibles où la Wi-Fi en est restée à l’ère du Minitel… Or des syndicats mixtes départementaux du numérique ne promettent une couverture complète que pour 2030. En revanche, des opérateurs comme SFR nous proposent de couvrir 80 % de ces zones d’ici à 2022 et sur fonds propres. Que devons-nous faire ? Jouer le jeu des syndicats mixtes ou bien celui des opérateurs privés ?

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur le calendrier de la transformation numérique de l’État ?

M. le secrétaire d’État. Pour ce qui est de la renégociation des fréquences, ce qui importe, ce sont les obligations auxquelles nous allons soumettre les opérateurs et la manière dont elles seront exécutées. Vous l’avez rappelé en évoquant la précédente attribution, l’État, par le biais du régulateur, peut jouer sur plusieurs variables : le prix de la fréquence, les obligations demandées et les règles pour imposer leur exécution. Quand l’État demande un très gros montant pour l’attribution d’une fréquence, le régulateur ne peut pas ensuite imposer des obligations trop lourdes. Il se trouve qu’à l’occasion des dernières attributions, nous avons plus misé sur le prix de la fréquence que sur les obligations. Les opérateurs y ont gagné parce que, même si le prix initial avait l’air élevé, ces fréquences se sont révélées très rentables. Les consommateurs se sont massivement connectés, ont acheté de nombreuses options, ont équipé toute leur famille. Et, au début de la législature, ce que les opérateurs appelaient encore « impatience numérique », nous l’avons pour notre part nommé « exigence numérique ». Le dialogue est constructif avec les opérateurs, qui acceptent désormais cette idée d’exigence numérique. Les Français utilisent en effet leur téléphone mobile dix fois plus qu’on ne l’avait envisagé ; il ne s’agit donc pas de rattraper des objectifs que l’on s’était fixés mais bien d’atteindre ceux correspondant à la nouvelle norme.

M. Michel Delpon, c’est une question de civilité et de savoir-vivre ensemble entre des opérateurs qui n’ont pas voulu investir à un moment donné, et des collectivités qui, avec l’État, l’ont fait à leur place pour rattraper leur retard, les mêmes opérateurs revenant plusieurs années plus tard, se déclarant prêts à investir… Il faudra sur ce point avoir une discussion franche. Reste que je fais confiance aux opérateurs pour revenir avec des propositions économiquement tenables pour tous, ne mettant pas en danger les équilibres existants. Peut-être sera-t-il intéressant, dans certains territoires, de les laisser se déployer de façon complémentaire avec les collectivités.

M. Michel Delpon. Il faut réaliser des tests.

M. le secrétaire d’État. Il faut que cela passe par la discussion. Je ne crois pas à l’idée d’un Bibendum fibré qui débarquerait comme s’il était chez lui pour distribuer de la fibre comme on distribuerait des bonbons à tout le monde ; je crois au dialogue, à la nécessité de créer des dispositifs permettant à tout le monde d’être gagnant et je sens les opérateurs disposés à s’engager sur ce terrain et je n’imagine pas la destruction des investissements publics des dix dernières années. L’ARCEP comprend en tout cas ces enjeux.

Pour ce qui est du calendrier de la transformation de l’État, nous tablons sur une réalisation à 100 % en 2022. Je souhaite que nous soyons parvenus en 2020 à la mise en place expérimentale des trois briques de la plateforme numérique de l’État. Les nouveaux services publics se grefferont sur cette nouvelle architecture, si bien que tous nos investissements pour les dix années à venir seront partagés, chacun bénéficiant de la force de l’autre. Ce sera une première ; nous verrons ce que nous arriverons à tenir. C’est en tout cas l’objectif que j’ai fixé aux administrations.

Je vous remercie et je suis très heureux de me retrouver dans cette maison ; c’est la raison pour laquelle, à chaque fois, je fais durer le plaisir… J’ai moi aussi été élu, et même si je n’ai pas eu le temps de siéger parmi vous, je me sens un peu en famille ici. J’aurai plaisir à venir aussi souvent que vous le souhaiterez. (Applaudissements.)

M. Mikaël Nogal, président. Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d’État.

 

 

 


Membres présents ou excusés

 

Commission des affaires économiques

 

Réunion du mercredi 25 octobre 2017 à 16 h 55

Présents.  M. Damien Adam, M. Patrice Anato, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Grégory Besson-Moreau, M. Philippe Bolo, M. Éric Bothorel, M. Sébastien Cazenove, M. Anthony Cellier, M. Paul Christophe, M. Yves Daniel, M. Rémi Delatte, M. Michel Delpon, M. Nicolas Démoulin, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Christelle Dubos, Mme Sophie Errante, Mme Valéria Faure-Muntian, Mme Véronique Hammerer, Mme Christine Hennion, M. Guillaume Kasbarian, Mme Laure de La Raudière, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Sébastien Leclerc, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, Mme Monique Limon, M. Richard Lioger, M. Didier Martin, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Mickaël Nogal, M. Jérôme Nury, M. Éric Pauget, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Benoit Potterie, M. Richard Ramos, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Huguette Tiegna, M. Nicolas Turquois, M. André Villiers

Excusé.  M. José Evrard

Assistaient également à la réunion.  Mme Paula Forteza, Mme Danièle Hérin, M. Jean-Claude Leclabart, M. Paul Molac, M. Hervé Saulignac