Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

– Examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire (n° 764) (M. Jean-Baptiste Djebbari, rapporteur) 2


Mardi
3 avril 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 52

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
Mme Barbara Pompili,

Présidente


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a commencé l’examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire (n° 764) (M. Jean-Baptiste Djebbari, rapporteur).

Mme Barbara Pompili, présidente de la commission. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Élisabeth Borne, ministre des transports, pour examiner le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.

Je rappelle que notre commission a engagé, au cours des dernières semaines, un travail de fond sur le thème des mobilités qui nous a permis d’étudier en profondeur la problématique des transports ferroviaires, sous ses divers aspects.

Nous avons notamment entendu des représentants de la branche, avec l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) ; des opérateurs, avec la Société nationale des chemins de fer (SNCF) et l’audition de MM. Guillaume Pepy et Patrick Jeantet ; de l’autorité de régulation, avec l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) et l’audition de M. Bernard Roman ; des autorités organisatrices de transport, avec le Groupement des autorités responsables de transport (GART) ; des usagers, avec la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) ; ou encore des associations de protection de l’environnement avec la Fédération Nature Environnement (FNE), car l’avenir du transport ferroviaire constitue un enjeu majeur en matière de développement durable.

Nous avons également entendu M. Jean-Cyril Spinetta sur son rapport « L’avenir du transport ferroviaire », dont les constats et recommandations ont nourri la réflexion du Gouvernement, qui en a repris certains à son compte.

Je pense que ces travaux préparatoires auront été utiles pour appréhender l’ensemble des enjeux couverts par le projet de loi qui nous est soumis. Celui-ci s’inscrit dans un mouvement plus général, initié par les Assises de la mobilité, et qui débouchera sur un projet de loi d’orientation sur les mobilités dont nous débattrons dans les mois à venir.

S’agissant de l’organisation de nos travaux, je vous rappelle que la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis des articles 2 à 4 du projet de loi et a nommé M. Damien Adam comme rapporteur ; elle examine le texte en ce moment même.

Nous débuterons, pour notre part, l’examen des articles ce soir à 21 heures, la séance de cet après-midi étant réservée à la discussion générale.

Mme la ministre assistera à nos travaux, ce dont je la remercie.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Avant d’entamer ce débat, je voudrais partager avec vous une conviction forte. Notre société fait face à des transformations politiques, économiques et sociales qui la bouleversent en profondeur. Face à ces bouleversements, la tentation du repli sur soi est tous les jours plus criante ; elle est le terreau de tous les populismes.

Pour répondre à cette menace, notre devoir est d’apporter des solutions aux besoins de mobilité. Car une société mobile, c’est une société capable de s’adapter aux défis qui se présentent à elle, une société capable de se rassembler autour d’objectifs communs.

Ces mobilités, non seulement professionnelles, mais aussi culturelles et sociales, ont un préalable : la mobilité physique. Vous le savez, nos concitoyens ne sont pas égaux face à la mobilité. L’absence de solutions de mobilité est encore trop souvent un frein pour l’accès à l’éducation ou à l’emploi : une personne sur quatre a refusé un emploi ou une offre de formation faute de solution de mobilité

Cette situation alimente un sentiment d’assignation à résidence chez certains de nos concitoyens et d’abandon dans de trop nombreux territoires. Je ne peux m’y résoudre.

L’objectif que portent le Président de la République et le Gouvernement vise à accompagner tous nos territoires, à répondre aux préoccupations premières de nos concitoyens et aux besoins de nos entreprises : les transports du quotidien, la lutte contre la congestion des grandes agglomérations, l’accès à l’emploi et aux services dans les territoires, l’optimisation de nos systèmes logistiques.

Dès lors, mon rôle, en tant que ministre des transports, ne se réduit pas à proposer une réforme ici, du ferroviaire, là, de la route ou bien de nos voies fluviales. Mon ambition consiste à redonner à nos politiques de mobilité un objectif très simple : répondre aux besoins de mobilité de tous les Français.

Ces besoins, quels sont-ils ? Ce sont ceux exprimés clairement par nos concitoyens lors des Assises nationales de la mobilité. Ce sont ceux que vous entendez dans chacune des circonscriptions que vous représentez. Nos concitoyens veulent des transports du quotidien efficaces.

Pour répondre à ce besoin vital, le système ferroviaire a bien sûr toute sa place. Il joue, depuis bientôt deux siècles, un rôle central dans les déplacements de nos concitoyens, dans l’attractivité économique de notre pays et dans l’aménagement de nos territoires, dont il a largement contribué à redessiner la géographie. Parce que je suis convaincue que le ferroviaire doit rester au cœur de notre politique de mobilités, doit être conforté en se renouvelant, j’ai souhaité porter une stratégie globale de refonte du système ferroviaire.

En effet, alors que le système ferroviaire est en quelque sorte un ADN commun à tous les Français, force est de constater qu’il est à bout de souffle. Depuis une trentaine d’années, la priorité a été donnée au développement de la grande vitesse. C’est un incontestable succès technique et commercial – les trafics de 2017 le prouvent encore. Si la fonction d’aménagement du territoire de ces lignes à grande vitesse ne doit pas être minimisée, il subsiste pour autant de nombreux besoins qui sont insuffisamment satisfaits. Sur 20 % du réseau, la vitesse de circulation est réduite. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans.

Le fret ferroviaire est durablement en crise. Le niveau de trafic est désormais inférieur de 40 % à ce qu’il était en 2000. C’est toute une économie qui en pâtit ; il faut lui apporter une meilleure réponse.

Enfin, le déséquilibre économique et financier du système pèse non seulement sur les finances publiques, mais menace également l’avenir du système ferroviaire : je pense en particulier à la question de la dette qui se creuse de trois milliards d’euros chaque année, pour atteindre 50 milliards d’euros.

Vous reconnaîtrez, comme moi, que tout ne marche donc pas parfaitement bien dans notre système actuel. Or, par sa capacité à désengorger les métropoles et à relier rapidement des territoires entre eux, par sa contribution indéniable à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et à la lutte contre le changement climatique, le système ferroviaire doit constituer l’épine dorsale de l’organisation des mobilités du quotidien.

Aussi, le Président de la République et le Gouvernement portent un projet ambitieux pour notre système ferroviaire français : cette réforme globale doit construire les bases durables d’un meilleur service public ferroviaire. En d’autres termes : avoir un meilleur service public, au meilleur coût pour les voyageurs et les contribuables.

Concrètement, cela signifie : pour les voyageurs, des trains ponctuels, plus de trains là où il y en a besoin, avec plus de services, en toute sécurité ; pour la SNCF, un modèle économique enfin équilibré, une entreprise publique plus forte, avec tous les atouts pour faire face à la concurrence ; pour les cheminots, une vision claire de l’avenir avec des métiers attractifs et une reconnaissance de leur rôle ; pour les contribuables, la garantie que chaque euro pour le service public ferroviaire soit dépensé efficacement.

Tel est le sens du nouveau pacte ferroviaire que nous portons aujourd’hui, et qui se traduit dans le présent projet de loi.

Pour parvenir à refonder le modèle du transport ferroviaire, dans le cadre d’un marché ouvert à la concurrence, en confortant les missions d’un service public performant, ce pacte doit être équilibré.

Il s’appuie sur un double engagement : l’engagement de l’État et de la SNCF.

L’engagement de l’État passe par un effort financier sans précédent : 36 milliards d’euros dans les dix prochaines années pour le réseau ferroviaire, soit dix millions d’euros investis chaque jour pendant dix ans, ce qui correspond à 50 % de plus que sur la décennie passée.

Et je veux dès maintenant le préciser : accompagner la SNCF dans le XXIe siècle, c’est pour moi, la conforter dans son rôle fondateur au service de l’aménagement durable du territoire.

Vous l’aurez compris, il n’est donc pas question de supprimer, comme j’ai pu l’entendre ici ou là, les lignes de maillage et d’intérêt local, improprement appelées « petites lignes ». Il s’agira au contraire de faire en sorte que ces lignes puissent retrouver leur attrait et soient en mesure de répondre aux besoins.

L’engagement de l’État passe aussi par la détermination d’un cadre neuf, adapté et stable, permettant le développement du transport ferroviaire. C’est l’objet du présent projet de loi.

L’engagement de la SNCF passe par une profonde réforme industrielle et managériale. Les dirigeants de la SNCF m’ont présenté, le 15 mars dernier, leur programme de travail pour l’élaboration d’un nouveau projet d’entreprise qui doit aboutir à l’été. Les travaux sur ce sujet sont d’ores et déjà engagés.

Le nouveau pacte ferroviaire s’articule donc autour de quatre axes.

Il consiste d’abord à construire une nouvelle SNCF, fondée sur des bases modernes, agiles, unifiées, afin de préparer l’entreprise publique à relever les nouveaux défis. En cela, la question de sa transformation en société nationale à capitaux publics ne doit pas être un tabou. C’est le statut qu’elle a eu pendant 45 ans, de 1937 à 1983, et qui, j’en suis convaincue, lui permettra de sortir du piège d’une dette sans limite et responsabilisera les dirigeants de l’entreprise, l’État et les collectivités.

Je m’engage à nouveau solennellement devant vous : la SNCF est une entreprise publique et elle le restera. Ce nouveau pacte ferroviaire vise aussi à proposer une modernisation sociale du secteur ferroviaire.

Il pose notamment la question du statut des cheminots, sur laquelle je voudrais m’arrêter quelques instants. Le contrat moral que les cheminots ont passé avec la SNCF leur assure notamment un déroulé de carrière et une garantie de l’emploi. Ce pacte ne sera pas remis en cause.

Néanmoins, dans un monde ouvert, la SNCF ne peut pas rester la seule entreprise à recruter au statut face à des concurrents qui n’y seraient pas soumis. Le principe d’équité et de cohérence commande, au contraire, d’avoir un socle de droits communs à l’ensemble des salariés du secteur ferroviaire, quelle que soit l’entreprise qui les emploie.

C’est pourquoi, à l’avenir, à une date sur laquelle il nous faut encore échanger et nous concerter, il n’y aura plus de recrutement au statut et, selon un modèle qui prévaut dans l’ensemble des secteurs, un cadre contractuel rénové et une convention de branche définiront précisément ce socle de droits communs à tous en contrepartie des contraintes spécifiques aux métiers ferroviaires.

Ces deux objectifs se traduisent dans l’article 1er du projet de loi qui vous est soumis.

Ce pacte ferroviaire doit aussi faire de la SNCF un groupe plus performant. Il s’agit ici de moderniser l’entreprise, en améliorant son efficacité industrielle et en réduisant ses coûts. La SNCF doit décloisonner son fonctionnement, gagner en agilité et donner plus de responsabilités au plus près du terrain, c’est-à-dire des voyageurs.

Enfin, le nouveau pacte ferroviaire vise à préparer notre pays et son système ferroviaire dans son ensemble à l’ouverture à la concurrence.

Il ne s’agit pas simplement de se conformer à une obligation européenne mais de répondre aux attentes des régions, qui veulent avoir le choix, et des voyageurs, qui veulent un meilleur service et de nouvelles offres au meilleur prix. C’est un moyen d’inscrire le ferroviaire dans une dynamique générale des mobilités répondant à de nouveaux besoins, qui sera, j’en suis convaincue, très stimulant pour les opérateurs, en premier lieu la SNCF.

C’est le sens des articles 2, 3, et 4 du projet de loi qui vous est soumis.

L’approche globale dans laquelle s’inscrit cette réforme ferroviaire est le fruit de larges concertations menées à travers tout le pays depuis six mois.

À cet égard, je voudrais préciser que le transport ferroviaire n’a été exclu ni des Assises nationales de la mobilité, ni des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures (COI). Nous avons clairement examiné, dans le cadre des assises, la mise en place, dans tous les territoires, d’autorités organisatrices chargées d’organiser des « rabattements » de transports vers les gares, qui ont vocation, demain plus qu’aujourd’hui, à être les nœuds et même le cœur de notre système de mobilité. Il en est ainsi également de la responsabilité globale des régions dans la coordination de la mobilité sur leur territoire par des systèmes d’information multimodale et des billettiques intégrées.

Enfin, les travaux menés par les membres du COI traitent bien des enjeux du transport ferroviaire : je pense notamment à l’entretien et à la modernisation des réseaux et à la désaturation des nœuds ferroviaires.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement ce texte, j’ai engagé un processus de concertation et de négociation avec l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des organisations syndicales bien sûr, mais également des représentants des usagers, des entreprises ou encore des collectivités concernées.

Cette discussion vient, comme je m’y étais engagée, enrichir le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui. En effet, le Premier ministre avait clairement présenté notre méthode le 26 février dernier : chaque fois qu’un élément de discussion sera suffisamment avancé, les dispositions correspondantes seront introduites dans la loi à la place des ordonnances.

C’est ce que je viens de faire pour l’ouverture à la concurrence. Un cycle de concertation s’est déroulé tout au long du mois de mars. Après plus d’une trentaine de réunions sur le sujet, j’ai présenté vendredi à tous les acteurs les conclusions que nous en retirions et, de ce fait, les propositions d’amendement que j’ai déposées devant votre commission et que je voudrais vous présenter.

Cette ouverture à la concurrence, je la veux progressive. C’est l’intérêt de tout le monde, et cela respecte la volonté de certaines régions de poursuivre des attributions directes au-delà de 2019. Je la veux également protectrice, car je veux que les cheminots emportent avec eux les garanties sociales attachées à leur statut.

Nous avons un principe clair sur les services commerciaux : l’ouverture à la concurrence ne doit pas conduire à une remise en cause du modèle d’une desserte équilibrée du territoire. La force de la grande vitesse à la française est que les TGV y circulent aujourd’hui bien au-delà des métropoles et des lignes à grande vitesse. C’est un modèle auquel nous sommes tous attachés et que nous voulons conforter.

Le Gouvernement a donc choisi de retenir une concurrence en libre accès, qui semble bien plus prometteuse en termes d’innovation et de nouveaux services pour les clients tout en maintenant le principe d’une péréquation entre les marchés rentables et ceux qui le sont moins.

Cette péréquation s’effectue aujourd’hui au sein de l’activité TGV. Elle se fera demain grâce à une modulation des péages. Sous le contrôle du régulateur, cette modulation permettra, en particulier, de baisser la tarification sur les liaisons les plus fragiles.

Vous aurez compris que ce chemin permet aussi d’ouvrir à la concurrence, sans courir le risque de faire sortir la SNCF de pans entiers du territoire, contrairement au système de franchise proposé par certains.

Je précise, par ailleurs, que les tarifs sociaux sont étendus pour la totalité des nouveaux services non conventionnés nationaux, la situation restant inchangée pour les services régionaux.

Concernant les dates d’ouverture à la concurrence pour les services conventionnés, j’ai entendu à la fois le souhait de certaines régions de pouvoir s’engager le plus rapidement possible dans l’ouverture à la concurrence des services de train express régional (TER), quand d’autres souhaitent continuer à attribuer des contrats directement à la SNCF, si la qualité de service est au rendez-vous.

Pour les trains régionaux et les trains d’équilibre du territoire (TET), les amendements du Gouvernement proposent donc une ouverture progressive à la concurrence et visent à permettre, à partir de décembre 2019, aux régions qui le souhaitent, d’organiser des appels d’offres ; à permettre en même temps aux régions qui le souhaitent de continuer à attribuer directement des contrats à la SNCF jusqu’en décembre 2023, pour une durée maximale de dix ans ; enfin, à permettre aux régions d’utiliser les exceptions prévues dans le règlement européen, en particulier pour des situations spécifiques, comme les petits réseaux, ou encore les complexités ou caractéristiques géographiques particulières.

Le Gouvernement a souhaité également tenir compte des spécificités du réseau ferroviaire en Île-de-France. Celui-ci va faire face en effet dans les prochaines années à des enjeux d’une complexité extrême du fait de la multiplicité et de l’imbrication de l’exploitation des lignes, du volume des trafics et des travaux importants à conduire dans les vingt prochaines années. Par voie d’amendements, je vous proposerai donc un calendrier spécifique d’ouverture à la concurrence en Île-de-France.

S’agissant des conséquences de l’ouverture à la concurrence pour les salariés, le Gouvernement souhaite qu’un éventuel changement d’opérateur se passe dans les meilleures conditions possibles pour les cheminots.

Aussi, avons-nous fait le choix d’un niveau élevé de garanties. Des garanties en termes d’information des salariés permettant un accompagnement individuel et collectif en donnant toute la visibilité nécessaire. Des garanties en termes de choix : le transfert des salariés s’effectuera en priorité sur la base du volontariat. Ce n’est qu’à défaut qu’il pourra être complété par des transferts obligatoires pour assurer la continuité du service. Ce point reste d’ailleurs à préciser d’ici à la séance publique et fait encore, à cette heure, l’objet d’une poursuite de la concertation. Enfin, des garanties en termes de droits puisque les salariés concernés conserveront leur niveau de rémunération au moment de leur transfert, le bénéfice du régime spécial de retraite, ainsi que la garantie de l’emploi et d’autres garanties, telles que les facilités de circulation ou l’accès au service de soins. Ce n’est pas rien.

Je précise que les garanties sont maintenues en cas de transfert, mais également en cas de mobilité volontaire du salarié vers une autre entreprise du secteur. C’est donc une véritable portabilité des droits, sans limite de durée que je propose.

Mesdames et Messieurs les députés, vous le voyez, bien loin du « passage en force » que certains dénoncent, je me place résolument dans une démarche constructive, attentive au dialogue social et au débat parlementaire. La concertation a d’ores et déjà permis d’inscrire « dans le dur » les conditions d’ouverture à la concurrence. Elle se poursuit sur des aspects essentiels tels que l’organisation du groupe ou la modernisation sociale du secteur qui, je le souhaite, se traduiront par des amendements déposés au fur et à mesure des débats parlementaires et le plus tôt possible, afin que vous puissiez les étudier dans les meilleures conditions.

Je suis, et vous êtes, comme chaque Français, attachés à cette belle entreprise qui fait partie de notre patrimoine national, un patrimoine vivant de l’engagement quotidien des femmes et des hommes qui y travaillent avec passion : les cheminots.

Cet héritage commun, ce bien public, je souhaite non seulement le préserver, mais également le conforter pour répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens et aux attentes des territoires. C’est mon ambition. C’est, j’en suis convaincue, aussi la vôtre. Je ne doute pas que la qualité de nos travaux sera à la hauteur de cette ambition.

M. Jean-Baptiste Djebbari, rapporteur. Mon propos liminaire sera assez court, mais je tenais à partager avec vous une réflexion sur trois sujets : d’abord, revenir sur le diagnostic posé sur le système ferroviaire par plusieurs rapports, et récemment par le rapport de M. Jean-Cyril Spinetta ; ensuite, tenter d’objectiver les risques et les opportunités d’un système ferroviaire mis en concurrence ; enfin, vous présenter deux points d’attention, à savoir la nécessaire indépendance du régulateur, l’ARAFER, dans le cadre d’une mise en concurrence des opérateurs ferroviaires, et les lignes improprement nommées « petites lignes », même si elles n’entrent pas dans le champ du pacte ferroviaire ici en débat.

À la suite des précédents rapports, le rapport Spinetta a fait le diagnostic d’une triple difficulté affectant le système ferroviaire français. Parlons d’abord de son coût et du besoin de financement du système ferroviaire et de la SNCF, pour éviter de tomber dans une confusion due à la perspective d’éventuels résultats positifs de la SNCF. Le besoin de financement de la SNCF s’élève chaque année à 22 milliards d’euros par an, couverts par neuf milliards d’euros de recettes commerciales et dix milliards d’euros de concours publics, soit un déficit moyen de trois milliards d’euros par an, hors subvention au régime des retraites des cheminots. Le déficit structurel s’établit ainsi régulièrement à trois milliards d’euros, ce qui alimente une dette d’un montant de 46 milliards d’euros, en 2017. Cette dette est elle-même composée de l’amortissement de projets qui ont, dans la période récente, porté sur la construction d’un certain nombre de lignes à grande vitesse, des déficits successifs et des frais financiers qui pèsent aujourd’hui 1,5 milliard d’euros chaque année.

Faisons le point sur les coûts et surcoûts de la SNCF, qui rendent compte de ce différentiel de 25 % de compétitivité évoqué dans nos débats. Ce chiffre est réel ; il est composé de quatre éléments, à peu près d’égale importance : les coûts de structure de la SNCF, fruits de son histoire, représentant trois milliards d’euros et 600 implantations dont la redondance est l’objet d’un plan d’optimisation en cours à cette heure ; l’organisation du travail, la réforme des 35 heures ayant été mise en œuvre de façon imparfaite à la SNCF, de sorte que le personnel roulant bénéficie en moyenne de vingt-deux journées de RTT et les agents en gare de dix-huit journées de RTT ; la moindre polyvalence des agents de la SNCF, fruit de la rigidité du répertoire des métiers ; la grille de rémunération, qui présente un caractère linéaire, rémunère peu la performance individuelle et ne permet pas de recruter un certain nombre de compétences qui seraient pourtant aujourd’hui utiles à l’opérateur historique.

J’en viens à la vétusté du réseau, dont les lignes ont en moyenne trente ans d’âge, parfois beaucoup plus lorsqu’elles sont petites. Comparons avec les dix-sept ans en moyenne d’ancienneté des lignes en Allemagne. C’est l’une des causes principales du manque de régularité et de dysfonctionnements anciens et récents, à l’origine d’incidents et accidents parfois dramatiques.

J’en arrive à la dégradation de la qualité de service, qui est réelle. Cela s’est traduit, en 2016, par l’annulation de 5 % des trains programmés, par 11 % des trains qui circulent avec un retard de plus de six minutes : 10 % pour les TER, 18 % pour les TGV, 22 % pour les Intercités qui maillent notre territoire. Observons que 55 % de ces minutes perdues sont liées à des causes maîtrisables par SNCF Réseau et par les entreprises ferroviaires.

Au total, cela se traduit par une augmentation moindre de la part du ferroviaire en France par rapport à nos voisins, alors même que la demande est en croissance. Ce diagnostic seul fonde la nécessité de la réforme.

J’en viens à mon deuxième point, pour aborder de la façon la plus objective possible l’étude de systèmes ferroviaires en concurrence, en commençant par citer un contre-exemple, pour mieux l’écarter : la Grande-Bretagne. De fait, la Grande-Bretagne n’a pas libéralisé, elle a privatisé son système ferroviaire ; elle a reconstitué en quelque sorte des monopoles régionaux avec un système de franchise et fait disparaître l’opérateur historique.

Précisons toutefois, par souci d’objectivité, qu’il y a eu deux phases. Entre 1995 et 2005, le réseau a été laissé dans un tel état que de nombreux incidents, voire accidents se sont produits, tandis qu’entre 2005 et 2015, le système ferroviaire britannique s’est montré plutôt performant en termes de régularité, avec des prix élevés qui sont l’effet, d’une part, de la pénurie de main-d’œuvre de conducteurs dans la phase initiale d’exploitation et, d’autre part, d’un moindre subventionnement des transports publics dans un réseau structurellement saturé.

Si nous nous intéressons aux systèmes ferroviaires qu’il est possible de comparer au système français, je vous propose d’étudier les cas de l’Allemagne, de la Suède et de l’Italie. Dans tous ces pays, a été observée l’augmentation de l’offre de trains. En Suède, c’est plus de 80 % de trains-kilomètres en plus sur une période de quinze ans, et plus de 29 % en Allemagne. Ensuite, a été observée une diminution du coût public du service ferroviaire : moins 20 % en Allemagne sur la même période, et moins 30 % en Suède, sans attrition du réseau. L’ouverture à la concurrence a également permis d’améliorer l’offre de service : renouvellement du matériel roulant en Allemagne, proposition de davantage de gammes tarifaires, notamment à bas prix, en Italie, amélioration du confort de voyage – installation du wi-fi gratuit à bord de certaines rames en Italie, par exemple – et régénération des petites lignes – je pense notamment à un opérateur français en Allemagne qui a permis de faire passer une petite ligne jusqu’alors désertée, qui transportait environ 500 passagers, à plus de 13 000 passagers en quelques années, ce qui montre la vitalité que peut apporter un régime en concurrence, y compris dans les territoires ruraux.

Par souci de précision, je voudrais aborder le sujet du prix et de la stagnation ou de l’augmentation modérée des tarifs ces quinze dernières années dans les pays qui ont mis le transport ferroviaire en concurrence. Une augmentation moyenne des prix a été observée, environ 15 % sur quinze ans, soit à peu près l’inflation, qui traduit parfois une augmentation due à la proposition de plus de services et parfois l’inflation ou la pratique d’une politique tarifaire particulière. À titre d’exemple comparatif, les tarifs des transports aériens ont augmenté, quant à eux, de 75 % sur la même période et ceux du transport routier de 25 %. Ces éléments, issus de mon rapport, sont tirés notamment d’excellentes études de l’ARAFER publiées en quatre volets en mars 2008.

La question n’est pas tant celle de la vertu ou du risque intrinsèque du régime de la concurrence ; c’est réellement ce qu’on en fait et comment on la met en œuvre, et je crois que nous aurons ici l’occasion d’en parler dans les heures à venir.

Pour finir, je souhaite partager deux points d’intention avec vous, et d’abord la nécessaire préservation de l’indépendance du régulateur, l’ARAFER, singulièrement dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. C’est la raison pour laquelle je présenterai un amendement qui maintient son avis conforme sur la tarification des péages. Par ailleurs, s’agissant des petites lignes, sujet sur lequel vous avez été nombreux à déposer des amendements pour éclairer les décisions en matière d’aménagement du territoire, je présenterai également un amendement qui demande au Gouvernement de faire la lumière sur l’état de circulation du réseau et les besoins des lignes les moins circulées – j’entends par là celles qui connaissent moins de vingt trains par jour. Grâce à cet éclairage, la négociation des futurs contrats de plan État-région pourra s’engager dans le second trimestre de l’année 2019 dans le strict respect des compétences des autorités organisatrices, notamment des régions, et de celles de l’État qui est garant de la continuité de notre territoire.

Mme Lauriane Rossi. C’est une réforme majeure et inédite que nous examinons aujourd’hui. Majeure car il s’agit d’écrire l’avenir d’un service public et d’un mode de déplacement auquel nous sommes tous très attachés : le transport ferroviaire. Le train, celui des vacances comme celui du quotidien, incarne pour nous tous bien plus qu’un mode de transport. Il incarne pour chacun de nous une histoire, un souvenir, un voyage, une rencontre, des retrouvailles. Il a permis le développement économique de nos villes et l’aménagement de nos territoires. Il a offert à nos concitoyens tant de joie, tant de liberté, celle de se déplacer.

C’est parce que nous sommes profondément attachés au service public ferroviaire qu’il nous faut aujourd’hui être capable de porter sur son état un regard lucide et un langage de vérité. Tel était l’objectif du rapport Spinetta : poser un diagnostic sans concession sur l’état du réseau et de la SNCF. Car les faits sont là, nous avons un service public qui coûte de plus en plus cher – 800 euros par foyer et par an – et fonctionne de moins en moins bien. C’est bien parce que nous y sommes profondément attachés que nous devons, avec courage et responsabilité, conduire ensemble ce nouveau pacte ferroviaire.

Cette réforme, inédite dans sa méthode comme dans son contenu, a été guidée par un processus de concertation qui se poursuit avec l’ensemble des acteurs concernés. À cet égard, les différents amendements déposés par le Gouvernement illustrent la parole donnée. Dès lors qu’un sujet avance suffisamment dans la concertation, il est introduit dans le débat parlementaire par amendement à la place des ordonnances. Il en va ainsi des garanties apportées sur deux points majeurs : l’ouverture à la concurrence et les modalités de transfert des cheminots.

La situation est grave et nous sommes tous responsables des errements du passé comme des choix qu’il nous faut faire aujourd’hui pour l’avenir. À nous d’emmener notre système ferroviaire sur la voie de la transformation. À nous de lui redonner l’agilité et la compétitivité si nécessaires dans un contexte d’ouverture prochaine à la concurrence. À nous de redonner tous ses atouts à ce service public qui a si longtemps fait notre fierté, celle des cheminots, celle des Français. À nous, enfin, de redonner confiance aux usagers – 4 millions d’usagers –, excédés, parfois découragés par les incidents, retards et ralentissements à répétition.

Cette réforme se veut résolument tournée vers l’avenir et répond à trois impératifs majeurs.

Premièrement, un impératif de conformité. Il s’agit de conformer notre pays à ses obligations communautaires avant le 31 décembre 2018, en transposant le quatrième paquet ferroviaire négocié en 2016, comme la France s’y est formellement engagée il y a deux ans. Cette transposition vient donc achever l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire. Plus d’offres, plus de services, plus de petits prix : l’ouverture à la concurrence sera bénéfique à l’usager, comme cela s’est vérifié dans les pays voisins, ou encore dans les domaines des télécoms et de l’énergie. Le calendrier progressif proposé par le Gouvernement nous semble de nature à faire de cette ouverture à la concurrence une réussite grâce au temps laissé aux régions pour s’adapter à ces changements.

Deuxièmement, un impératif de performance et de lisibilité. Il s’agit de donner à notre système ferroviaire la capacité de faire face à cette concurrence nouvelle grâce à une organisation plus lisible, plus compétitive, plus souple, plus efficace. Cela passe notamment par la fin des rigidités statutaires, par un modèle économique soutenable, par une séparation claire du gestionnaire d’infrastructure et de l’opérateur de transport.

Troisièmement, un impératif de qualité : qualité de service comme d’entretien du réseau à travers un investissement sans précédent de 36 milliards d’euros sur dix ans, soit 10 millions d’euros par jour. Les conditions nécessaires à une concurrence saine et équitable de nature à préserver une bonne desserte du territoire sont réunies, et les garanties offertes aux opérateurs, aux cheminots, aux autorités organisatrices et au régulateur sont de nature à lever les doutes autour de cette réforme.

Mes chers collègues, il est des enjeux structurants pour notre pays et l’avenir de notre service public ferroviaire est de ceux-là. Aujourd’hui, il est tout simplement question d’agir dans l’intérêt de la SNCF et de ses salariés, de l’avenir de leur métier, dans l’intérêt des Français également et de la qualité du service public qu’ils sont en droit d’attendre, dans l’intérêt du transport ferroviaire, levier majeur de la politique des mobilités du quotidien que le Gouvernement souhaite mener. Car c’est bien de cela que nous parlons : du droit de nos concitoyens à se déplacer plus et mieux de manière fiable et régulière, en toute sécurité et à un coût maîtrisé. Sur tous ces sujets, vous pouvez compter sur le soutien du groupe La République en Marche.

M. Jean-Marie Sermier. Madame la ministre, nous aimons tous le train, nous aimons tous la SNCF et nous avons tous un regard lucide sur cette grande entreprise française. Le diagnostic a été posé à maintes reprises. On sait que le coût du service n’est pas adapté, que les investissements n’ont pas permis la rentabilité d’un certain nombre de lignes, que les cahiers des charges des installations sont beaucoup trop compliqués, que la qualité du service s’est dégradée au fil des ans. Tout cela, avec le vieillissement du réseau, est extrêmement préoccupant. Alors, faut-il réformer la SNCF ? Oui. Faut-il pour autant prendre tous les Français en otage ? Non. Dans une démocratie apaisée, une réforme telle que vous la souhaitez mérite qu’on y travaille consciencieusement avec les représentants de l’entreprise et surtout le Parlement. Or, sur le fond comme sur la forme, nous n’y sommes pas.

Sur la forme, on trouve huit articles dans ce projet de loi, dont six ne sont en fait que des habilitations à recourir aux ordonnances. Vous nous direz que, depuis vingt-quatre heures, vous avez commencé à changer, mais pourquoi n’avoir pas commencé par négocier ? Vous saviez bien que les représentants de l’entreprise avaient des revendications. Il était de votre devoir, à l’issue du rapport Spinetta, d’y réfléchir. Ce n’est pas ce que vous avez fait. Aujourd’hui, en fonction de vos négociations, vous changez le texte en introduisant des articles par voie d’amendement, ce qui ne nous donne pas le temps de les examiner, avec des études d’impact sérieuses. Convenez avec nous que ce n’est pas satisfaisant.

Sur le fond, votre texte confirme l’ouverture à la concurrence, à laquelle nous sommes favorables puisqu’elle date du moment où nous avons scindé en deux la SNCF par la loi de 1997. Cette ouverture était programmée. Tous les gouvernements l’ont confirmée par des textes successifs. Il n’est pas question aujourd’hui de remettre en cause cette ouverture mais de l’organiser. Sur cette organisation, vous nous demandez carte blanche mais qu’en est-il, par exemple, de l’EPIC de tête, qui ne permet pas une concurrence libre et non faussée ? Qu’en est-il du gendarme de la concurrence, l’ARAFER, dont vous voulez réduire le rôle alors que l’on vient d’apprendre que le rapporteur a déposé des amendements ? Qu’en est-il des petites lignes ? Vous n’en dites rien. Vous avez beau nous expliquer que chacun prendra ses responsabilités ; si c’est pour transférer les petites lignes aux régions, connaissant ce que sont leurs budgets, elles ne seront pas capables de les maintenir. Qu’en est-il de la dette, qui était hier de 47 milliards d’euros et de 50 milliards aujourd’hui, et dont on ne sait pas si elle sera, comme en Allemagne, reprise par l’État ou laissée à la SNCF ?

Des questions se posent. Le groupe Les Républicains auraient préféré avoir une véritable discussion avant l’examen des articles du texte.

Mme Florence Lasserre-David. Je tiens tout d’abord, au nom du groupe MODEM et apparentés, à féliciter le rapporteur pour les travaux qu’il a menés dans le court délai qui lui était imparti.

Avec le nouveau pacte ferroviaire, le Gouvernement entend renforcer la qualité du service public ferroviaire et maîtriser les coûts pour les usagers et les contribuables. Ce pacte permettra ainsi au Gouvernement d’atteindre deux objectifs : le respect des échéances de la transposition du quatrième paquet ferroviaire et la préparation de l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de voyageurs, conventionnés ou non. Le groupe MODEM et apparentés partage avec le Gouvernement la conviction que l’ouverture à la concurrence du rail français, si elle est un engagement pris auprès de nos partenaires européens, peut également être une véritable opportunité d’offrir aux usagers du transport par chemin de fer de nouveaux services performants et des offres de déplacement supplémentaires.

Nous accueillons favorablement les annonces faites vendredi dernier par Mme la ministre, et saluons les amendements déposés, qui permettent d’avoir un aperçu clair sur les réformes proposées. Nous soutenons le choix d’un modèle en « open access » dans lequel l’offre de la SNCF restera celle que l’on connaît aujourd’hui et où des services supplémentaires pourront être proposés par de nouveaux opérateurs. Cette solution répond selon nous aux craintes exprimées après la remise du rapport Spinetta de voir les dessertes à grande vitesse concentrées sur les liaisons entre les plus grandes métropoles françaises. Cette solution permettra de conserver des dessertes directes des villes moyennes, et d’assurer ainsi un maillage fin du territoire national.

Mon groupe se félicite donc de ces annonces, qui correspondent précisément à la philosophie qui nous a conduits à déposer des amendements sur ce projet de loi d’habilitation. Ces amendements visent à appeler l’attention du Gouvernement sur certains points qui pourraient être des freins à une ouverture à la concurrence effective des services de transport ferroviaire. L’un des points de vigilance sur lequel mon groupe a souhaité insister est l’importance que revêt la mise en place d’un système commun à l’ensemble des entreprises ferroviaires d’information des voyageurs et de vente de billets pour faciliter leur compréhension et ne pas pénaliser le train par rapport aux autres modes de déplacement. C’est un point particulièrement important dans le contexte de la libéralisation du transport par chemin de fer, que l’on considère les services librement organisés ou les services conventionnés.

Le groupe MODEM et apparentés considère également qu’il est indispensable de donner un cadre juridique précis à l’ouverture à la concurrence des TER. Le nouveau pacte ferroviaire doit selon nous offrir aux régions, en leur qualité d’autorités organisatrices, une boîte à outils la plus complète possible pour leur permettre de choisir la solution la plus adaptée à leur territoire. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements tendant, d’une part, à garantir aux régions la possibilité d’utiliser l’ensemble des exceptions à l’obligation de mise en concurrence et, d’autre part, à prévoir qu’à leur demande expresse leur sera automatiquement transférée la propriété des matériels roulants et ateliers de maintenance.

Enfin, sur l’ouverture du marché du transport express régional relative aux données, il nous semble important que les régions disposent des informations nécessaires à l’exercice de leurs missions d’autorités organisatrices.

De la réforme globale du système du rail contenue dans le nouveau pacte ferroviaire, nous attendons donc de nombreuses retombées positives sur le quotidien des Français. Je regrette toutefois, en tant que membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, que le Gouvernement ait choisi de mettre uniquement l’accent sur la réforme de la SNCF en occultant la politique d’aménagement du territoire. Il aurait été intéressant de lier ce pacte ferroviaire à une vraie réflexion sur les mobilités du futur, afin de ne pas omettre la question de la cohésion territoriale, que ce soit au travers du maintien des petites lignes, du renforcement des transports du quotidien ou de l’amélioration de l’intermodalité. Car il en va de l’inclusion des Français dans notre société grâce à une plus forte mobilité qui leur permettra de se déplacer, avoir un travail et vivre de leurs revenus. Il est indéniable que la réforme du système ferroviaire que nous nous apprêtons à discuter permettra d’augmenter la part modale du train dans les modes de déplacement sur le territoire national. Elle doit donc s’accompagner d’une vraie réflexion sur les fractures territoriales.

M. Bertrand Pancher. Madame la ministre, nous aurions souhaité examiner la loi d’orientation sur les mobilités avant ce texte relatif à la SNCF, ne serait-ce que pour mieux connaître les enjeux et les ambitions du Gouvernement et de l’État dans ce domaine. Nous sommes convaincus qu’elles sont nombreuses s’agissant de l’évolution du groupe ferroviaire et nous espérons qu’elles seront portées tant par le Gouvernement que par une large majorité. Cela dit, je pense que vous n’aviez pas le choix. Pour des raisons de calendrier, il était en effet indispensable de légiférer tout de suite. Nous constatons néanmoins avec beaucoup de plaisir que vous acceptez de répondre sur tous ces grands enjeux.

Vous indiquez que ce projet de loi n’est pas une révolution : il était attendu de tous, tout le monde connaissait les échéances. À la lecture des objectifs du Gouvernement, nous avons été rassurés : ces mesures ne vont pas faire exploser le groupe ferroviaire comme certains veulent nous le faire croire. Nous sommes en ce moment dans un jeu de rôle : d’un côté, on dramatise la situation de façon à expliquer aux Français qu’il est indispensable de légiférer rapidement et, de l’autre, les organisations syndicales font de la surenchère. C’est l’explication du mouvement de grève aujourd’hui.

La réforme que vous proposez est une réforme de bon sens. Tous les pays qui se sont engagés dans cette voie ont sauvé leurs sociétés de transport ferroviaire. La Deutsche Bahn en est l’illustration. Nous rêvons d’une SNCF qui suive son exemple – nous en avons la possibilité grâce au talent et à l’engagement de nos cheminots. Merci aussi de rappeler que c’est un métier formidable d’être cheminot. Nous comprenons que ceux-ci s’arc-boutent contre la réforme, car tout le monde a peur du changement. Vous pouvez compter sur nous pour communiquer et apaiser le débat.

Merci également de rappeler votre souhait de légiférer par ordonnances dans le minimum de cas, même si vous conviendrez qu’il est pour nous un peu frustrant de découvrir les amendements gouvernementaux au fur et à mesure de vos discussions avec les organisations syndicales. Si vous avez la gentillesse de nous associer à ce processus, nous le suivrons et, en relation avec les organisations syndicales, ferons en sorte que le texte soit amélioré.

Vous l’aurez compris, le groupe UDI, Agir et Indépendants, qui a été à l’origine de très beaux combats pour moderniser notre société nationale, sera évidemment à vos côtés dans le cadre de cette discussion parlementaire.

M. Christophe Bouillon. Je crois que, si l’on veut entrer vraiment dans ce débat, il faut éviter un certain nombre d’écueils. J’en vois immédiatement deux.

Le premier, ce sont les procès d’intention sur les personnes. Pour ma part, madame la ministre, j’ai beaucoup de respect pour votre parcours et vos compétences. De la même façon, je souhaite qu’on ne fasse pas le procès de celles et ceux qui ont siégé dans cette assemblée les années précédentes. Vous le savez comme moi, la question de l’ouverture à la concurrence remonte aux années quatre-vingt-dix, et a connu des étapes successives : si l’on parle d’un « quatrième paquet », c’est bien qu’il y en a eu trois avant et que des parlementaires ont fait en sorte que, chaque fois, la transposition ne soit préjudiciable ni à notre système ferroviaire ni aux différents territoires.

Le second écueil, c’est le procès en statu quo. Il existe une terrible contradiction dans le fait de vouloir parler de statu quo, notamment par rapport à la législature précédente, lorsqu’en même temps on fait le reproche de ne pas avoir été au bout de l’exercice, après avoir voté la loi d’août 2014, dont la plupart des décrets n’ont été publiés qu’en 2016, parce que ces lois préparaient et garantissaient un certain nombre de choses.

De même, en ce qui concerne le quatrième paquet ferroviaire, l’État français a négocié à l’époque des mesures dont nous pouvons être fiers, notamment, s’agissant du règlement OSP – Obligations de service public –, le fait que le modèle qui ait été choisi soit celui de la délégation de service public (DSP). La DSP, c’est ce qui existe dans nos agglomérations et communautés de communes en matière de transport public urbain, c’est-à-dire un système avec des contrats de service public qui permet aux autorités organisatrices de transports de fixer les conditions de l’organisation de ce service.

Sur ce texte, j’ai deux regrets. Le premier, cela a été évoqué par beaucoup, porte sur les ordonnances. En effet, nous aurions pu avoir un débat serein dans nos assemblées – le Sénat vient d’en faire la démonstration. Jusqu’alors, dans le long processus d’ouverture à la concurrence, les débats parlementaires ont toujours été de qualité.

Le second, cela a été dit avant moi, porte sur l’ordre des choses. Vous aviez annoncé en septembre 2017, lors de l’ouverture des Assises de la mobilité, quel serait votre schéma : la loi d’orientation des mobilités, navire amiral de votre réforme, puis une loi de programmation sur les infrastructures issues des travaux de M. Philippe Duron, dans le cadre du Conseil d’orientation des infrastructures, puis un texte relatif au ferroviaire. Il y avait une cohérence. Je regrette que l’ordre des choses ait été en quelque sorte inversé, ce qui ne permet pas d’avoir une vision d’ensemble et de mettre en correspondance un certain nombre de points qui relèvent de l’aménagement du territoire – je pense notamment aux fameuses petites lignes mais aussi au rôle des gares, au report modal ou à la multimodalité.

Deux autres sujets sont sur la table : le statut des cheminots et celui des établissements. Rien dans le quatrième paquet ferroviaire n’impose le changement de statut des établissements. Rien dans le quatrième paquet ferroviaire n’indique non plus qu’il faille en finir avec le statut des cheminots. Cela relève des législations nationales. Votre transposition est donc une surtransposition.

Enfin, une question se pose – d’autres viendront en débat –, celle des investissements. Les trains arrivent en retard ou ralentissent à cause du vieillissement des infrastructures. Vous annoncez 36 milliards d’euros d’investissement : dans le contrat de performance signé entre l’État et SNCF Réseau en avril 2017, 46 milliards d’euros étaient prévus de 2017 à 2026.

Telles sont les observations du groupe Nouvelle Gauche.

M. Loïc Prudhomme. Madame la ministre, le chemin de fer français et l’entreprise publique qui le gère, la SNCF, sont loin d’être en bonne forme. Pour avoir interpellé sévèrement son PDG, M. Guillaume Pepy, ici même, il y a quelques semaines, je ne peux pas vous dire le contraire. Toutefois, faire le constat de la mauvaise santé du rail ne peut constituer un argument si l’on ne remonte pas à ses causes.

C’est d’abord un sous-investissement chronique qui est à l’origine de l’état pitoyable de milliers de kilomètres de voies. Leur grande vétusté, si on les compare à celles de nos voisins européens, n’est plus à prouver. Des décisions stratégiques catastrophiques ont conduit à la situation actuelle. La politique du tout-TGV, lancée à coups de milliards d’euros pour gagner quelques dizaines de minutes entre les grandes métropoles, a conduit à délaisser tout le réseau secondaire, ce que l’on appelle les trains du quotidien.

Le démantèlement progressif de la SNCF a entraîné de graves dysfonctionnements sans rien résoudre. Outre la séparation entre le réseau et le transport de voyageurs, des centaines de filiales ont été créées et personne n’y comprend rien, pas même les salariés. La fin de la grande entreprise intégrée est directement à l’origine de graves accidents et des épisodes de black-out survenus récemment à la gare Montparnasse et à la gare Saint-Lazare à Paris.

L’ouverture à la concurrence, déjà à l’œuvre pour le fret, constitue une autre catastrophe. Depuis 2006, la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises a connu une chute vertigineuse jusqu’à atteindre moins de 10 %. C’est un échec patent.

Les responsables de cette situation sont ceux-là mêmes qui réclament aujourd’hui instamment une réforme. Madame la ministre, n’étiez-vous pas directrice de la stratégie de la SNCF entre 2002 et 2007 ? Et la ministre de la défense n’a-t-elle pas occupé plusieurs postes de premier plan à la direction générale de la SNCF ? Quant au Président de la République, il semblait beaucoup plus concerné par le développement de la route et des cars que par le ferroviaire lorsqu’il était à Bercy.

Alors, non, monsieur Bouillon, ce n’est pas faire un mauvais procès que de demander un bilan de ce que vous nous avez laissé.

Les importants agitent comme un épouvantail le statut des cheminots alors que celui-ci garantit la qualité du service et la sécurité. Y mettre fin ne réglera en rien les difficultés que connaît la SNCF et risque, au contraire, de les aggraver.

Qui sont les nantis ? Les cheminots à 1 300 euros par mois ou lesdits bureaucrates qui coûtent 2,5 millions d’euros par an, soit 20 800 euros par mois ?

Voulez-vous encore davantage désengager l’État pour laisser le soin aux régions d’accomplir ce que demande le rapport Spinetta, c’est-à-dire fermer des petites lignes, puisqu’elles n’auront pas les moyens de toutes les faire fonctionner ?

Pire, vous préparez avec zèle l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs demandé par la Commission européenne. Vous suivez la recette du siècle dernier, celle du modèle britannique, alors que le Royaume-Uni a entamé une marche arrière face au chaos engendré.

Le fond de ce projet est de finir de détruire le mode de transport le plus responsable écologiquement.

Quant à la méthode, permettez-moi de vous dire qu’elle est détestable. Le projet de loi a été déposé sous forme de loi d’habilitation. Il limite de fait notre droit d’amendement. En outre, le Gouvernement a déposé vendredi soir des amendements sur son propre texte, qui suppriment certains articles habilitant à recourir aux ordonnances et modifient le code des transports. Ne laisser que trois jours, dont un week-end et un jour férié, aux groupes parlementaires pour les étudier, c’est un peu juste, surtout lorsque l’on prétend incarner la concertation et le débat d’idées. Qui plus est, ce délai réduit vous permet de court-circuiter le Conseil d’État qui ne disposera pas d’assez de temps pour mener les études d’impact nécessaires.

Malgré la négation de notre rôle législatif, nous, députés de La France insoumise, défendrons farouchement ce que doit être le modèle ferroviaire de l’avenir : une entreprise intégrée, présente sur tout le territoire, responsable écologiquement et socialement, et surtout, accessible à tous.

M. Hubert Wulfranc. Madame la ministre, que de certitude dans vos déclarations sur les réussites à venir alors que l’ouverture à la concurrence du transport de marchandises a été un échec retentissant.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne milite pour aucun statu quo. Les cheminots eux-mêmes n’en sont pas partisans : ils se prononcent pour des améliorations de l’organisation de l’entreprise.

Il convient de rétablir certaines vérités.

Non, la SNCF ne « saigne » pas le contribuable. Le prix du billet acquitté par les usagers du train couvre 65 % du coût du trajet. La route elle-même coûte beaucoup plus cher aux usagers et aux contribuables. D’ailleurs, les seuls qui ont véritablement racketté les Français, ce sont les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Non, la SNCF n’est pas inefficace. Elle se situe même au troisième rang mondial pour les performances.

Non, le statut des cheminots ne ruine pas la SNCF. Il représente environ 8 % du surcoût constaté, M. Spinetta lui-même en convient. Il correspond à 400 millions d’euros par an, qu’il faut comparer au 1,7 milliard d’euros de frais financiers engendrés par la dette.

Des questions restent sans réponse après la lecture de votre projet de loi, madame la ministre.

Les usagers connaîtront-ils une baisse de tarif ? L’ouverture à la concurrence ne garantit en rien une telle diminution. La séparation de l’entreprise d’avec l’État, qui va être banalisée, va la rendre plus fragile encore pour ce qui est des taux d’intérêt.

Y aura-t-il une amélioration de la qualité du service ? Là encore, on sait bien que l’élément discriminant n’est pas l’ouverture à la concurrence mais l’amélioration du système ferroviaire et le niveau d’investissement public. Vous promettez 35 milliards d’euros sur dix ans sans que nous sachions d’où ils viendront et où ils iront : liaisons entre les métropoles ou lignes de maillage territorial ?

Enfin, pour « faire passer la pilule », vous vous repliez derrière l’ouverture à la concurrence. Vous savez que nous prônons l’application de la clause du règlement relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer, dit « règlement OSP », compte tenu des déséquilibres démographiques de notre territoire et de la vétusté du réseau.

Qualité de service compromise par l’ouverture à la concurrence, notamment en matière de garantie d’assistance et d’indemnisation des voyageurs victimes de retards ou de correspondances mal assurées, fermeture de milliers de kilomètres de lignes dont les effets néfastes incomberont aux régions, laissées devant leurs « responsabilités », fractures territoriales majeures, dégradation de l’environnement du fait du non-respect de l’objectif d’atteindre, en 2022, 25 % pour la part modale des modes de transport non-routiers : voici, en résumé, autant de conséquences prévisibles de votre projet.

Pour notre part, nous préconisons la réunification du groupe SNCF et donc la fin des établissements dédiés qui empêchent la mutualisation des moyens techniques et humains, organisation qui a abouti aux dysfonctionnements que l’on sait.

Nous nous prononçons pour la préservation du statut des cheminots avec un haut niveau de formation et de responsabilité pour une organisation collective optimale, gage de sécurité pour les voyageurs.

Nous proposons surtout de dégager des financements nouveaux grâce à une taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) fléchée sur les poids lourds, la création d’un livret d’épargne populaire dédié aux transports ainsi que le développement du versement « transport régional ».

Enfin, nous voulons désendetter la SNCF par une caisse d’amortissement qui pourrait être alimentée par une taxe sur les poids lourds et une autre assise sur les profits des sociétés d’autoroutes.

Mme Élisabeth Borne, ministre des transports. Je me réjouis de constater que nous sommes tous d’accord sur le diagnostic et sur le fait que nous pouvons attendre plus d’un grand service public ferroviaire auquel nous voulons tous donner un nouveau souffle.

J’aimerais revenir sur la méthode retenue par le Gouvernement. D’une part, le projet de loi d’habilitation n’empêche en rien le débat parlementaire d’avoir lieu. D’autre part, il permet de laisser le plus de temps possible à la concertation : à mesure qu’elle avance, nous pouvons introduire de nouvelles dispositions sous forme d’amendements.

S’agissant du calendrier, nous aurions pu en effet envisager une discussion globale portant à la fois sur le projet de loi d’orientation sur les mobilités et sur le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Tous deux sont toutefois des textes consistants, aux enjeux importants. La loi d’orientation sur les mobilités sera très nourrie en propositions portant sur la gouvernance, le développement d’une mobilité plus partagée, plus propre, sur la sécurité, et sur la future programmation des infrastructures.

J’aurai l’occasion de vous rassurer, je l’espère, sur la façon dont la nouvelle politique des mobilités va contribuer au nouveau souffle que j’entends donner au transport ferroviaire grâce, notamment, au développement de solutions de mobilité dans tous les territoires, articulées autour de pôles d’échanges multimodaux, notamment des gares.

Le débat d’aujourd’hui mérite mieux qu’une polémique – je pense en particulier aux propos de M. Sermier sur la prise en otages des Français. Je suis partisane de l’écoute et de la concertation. Je déplore les mouvements de grève. Qui peut comprendre qu’ils débutent alors même que nous sommes à mi-chemin des concertations et que le débat parlementaire qui s’engage va permettre à chacun de se prononcer sur cette réforme ?

L’une des questions sur lesquelles portera notre débat sera l’organisation. Le Gouvernement vise un groupe plus unifié. Je sais que certains souhaiteraient supprimer la structure de tête. Nous pourrons en discuter tout comme du rôle de l’ARAFER, sur lequel porte un article.

J’aimerais revenir sur la question des petites lignes. Le Gouvernement a clairement indiqué qu’il ne suivrait pas les préconisations du rapport de M. Spinetta sur ce point. Certains semblent s’étonner de ne rien trouver dans la loi au sujet de ces petites lignes. Qu’aurions-nous donc pu y mettre ? Une décentralisation des petites lignes ? Ce n’est pas ce que nous proposons. Le Gouvernement a clairement dit qu’il continuerait à accompagner les régions dans la remise en état de ces lignes qui font partie du réseau ferré national et qui ont vocation à le rester. Si certains souhaitent déposer des amendements portant sur ce sujet, nous pourrons en débattre.

Je ne vais pas revenir sur les chiffres cités par certains : 36 milliards d’euros, 46 milliards d’euros. Je peux vous assurer, monsieur Bouillon, que le Gouvernement se propose d’engager un programme d’investissement d’une ampleur sans précédent, au-delà du contrat de performance signé avec SNCF Réseau. C’est de cette façon que nous contribuerons à retrouver de la régularité dans les transports ferroviaires.

Nous pouvons tous nous réjouir – et je le dis pour ceux qui pourraient ne pas avoir compris – que le modèle retenu pour l’ouverture à la concurrence des TER repose sur la délégation de services publics. Certains affirment que nous voulons abandonner des lignes moins rentables alors que nous mettons en avant un contrat de service public, sous la responsabilité des régions qui, demain comme aujourd’hui, continueront à définir le service attendu et à contrôler le service rendu dans une logique d’aménagement équilibré de leur territoire, je n’ai aucun doute à ce sujet.

S’agissant du fret ferroviaire, je m’étonne que certains considèrent que c’est l’ouverture à la concurrence qui est à l’origine des difficultés qu’il rencontre. Ont-ils pris la mesure de la désindustrialisation que connaît notre pays depuis des années, des effets de la chute de 40 % des prix du carburant au cours de la dernière décennie, de l’importance des travaux à mener sur notre réseau ferré qui est si fragilisé que cela rend difficile l’attribution de sillons de qualité, ou encore de la non-application de la directive « Travailleurs détachés » au transport routier avant la loi dite « Macron » de 2016, ce qui a abouti au fait qu’aujourd’hui 90 % de notre transport routier international est réalisé par des entreprises d’États tiers ? Il est surprenant qu’un tel diagnostic ne soit pas posé. Nous aurons l’occasion d’y revenir pendant le débat.

Je termine par la dette. Certains nous disent qu’elle aurait pu faire l’objet de dispositions législatives. Je ne le pense pas. Tous les gouvernements précédents étaient d’accord avec l’ouverture à la concurrence mais aucun n’a traité le problème de la dette. Le précédent gouvernement a même remis un rapport au Parlement expliquant que celle-ci n’était pas un problème. Si d’autres gouvernements s’étaient préoccupés des effets de l’ouverture à la concurrence, prévisible depuis les années quatre-vingt-dix, nous n’aurions pas été amenés à choisir la rapidité, indispensable à ce stade.

M. Vincent Thiébaut. Madame la ministre, ma question porte sur le sujet des petites lignes transfrontalières, qui a été évoqué lors de votre déplacement à Strasbourg. Ces lignes font l’objet de fortes attentes. D’une part, un déblocage de la situation pourrait conduire, selon certaines études, à une augmentation de 5 % à 8 % du développement économique dans les territoires concernés. D’autre part, ces lignes gagneraient en rentabilité si elles étaient prolongées au-delà de la frontière. Élu du Bas-Rhin, je sais que nos voisins allemands et suisses attendent la décision de l’État français pour développer certains projets, je pense notamment à la ligne reliant l’aéroport de Bâle à Mulhouse.

Mme Danielle Brulebois. Madame la ministre, la législation européenne impose l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire des voyageurs. Les concurrents de la SNCF auront donc le droit de faire circuler librement leurs trains sur le réseau français. Nous savons, bien entendu, que des moyens seront mis en œuvre pour que les compagnies accédant à certaines lignes du réseau TGV acceptent, en contrepartie, de gérer des lignes moins rentables, ce qui est indispensable pour l’aménagement et le développement des territoires.

L’ouverture à la concurrence va ainsi conduire à la circulation de trains supplémentaires. Quelles seront les conséquences sur le réseau ferroviaire, déjà confronté à des problèmes de capacité ? Dans le Jura, par exemple, sa vétusté engendre des retards ; le nombre de trains n’a pu être augmenté faute de voies disponibles et de voies d’évitement, qui n’ont pas pu être construites.

Avec l’augmentation du trafic se pose aussi la question de la sécurité des passages à niveau et de la suppression des points noirs dans les croisements entre chemin de fer et route.

Face à ces constats, il y a urgence à agir avant que la concurrence ne se déploie. Pouvez-vous nous assurer que les moyens alloués par l’État à travers les contrats de plan seront suffisants ?

M. Jean-Jacques Gaultier. Madame la ministre, je partage votre objectif d’améliorer l’accessibilité et l’attractivité de tous les territoires afin de lutter contre la fracture territoriale. Vous dites que le Gouvernement n’a pas l’intention de suivre les préconisations du rapport Spinetta s’agissant des petites lignes et je me félicite qu’il souhaite continuer à accompagner les régions dans la remise en état de ces lignes qui ont, selon vous, vocation à rester dans le réseau national.

Comment comptez-vous procéder ? J’imagine que c’est par l’intermédiaire d’avenants aux contrats de plan État-région et à la négociation du futur contrat de plan qui n’interviendra qu’après 2020. Comme le disait mon collègue alsacien, il y a urgence. Certaines régions, comme le Grand Est, sont dans les starting-blocks. Des lignes sont déjà neutralisées depuis un an et leur dégradation va continuer à accroître le coût de la rénovation. On ne peut pas attendre la mi-2019 comme le préconisait le rapporteur.

Mme Aude Luquet. Je souhaite revenir à l’ouverture à la concurrence, à l’aune des expériences européennes. En Allemagne, la Deutsche Bahn a conservé 80 % de ses prestations et a augmenté sa fréquentation tout en rajeunissant son parc roulant, sans pour autant améliorer la régularité de ses trains, tout cela au prix d’une augmentation non négligeable des tarifs. En Italie, le prix des billets a baissé mais l’état des lignes régionales continue de se dégrader. Au Royaume-Uni, les tarifs ont bondi de 30 %, le réseau demeure vétuste et les retards se multiplient.

Selon vous, madame la ministre, quels enseignements devons-nous tirer de ces expériences européennes pour réussir l’ouverture à la concurrence sans alourdir le coût pour l’usager ?

Mme Élisabeth Borne, ministre des transports. Je vois que les petites lignes restent au cœur de notre débat. Je vous confirme que l’État continuera à accompagner les régions. Il a prévu de consacrer 1,5 milliard d’euros à leur remise à niveau dans le cadre de l’actuel contrat de plan État-région. Je rencontre régulièrement les présidents de région pour discuter des éventuels avenants qu’il pourrait être nécessaire d’apporter aux contrats de plan afin de cibler les ressources sur les petites lignes en fonction des besoins prioritaires.

Les lignes transfrontalières, quant à elles, méritent sans doute un changement d’approche. La loi de programmation des infrastructures nous donnera l’occasion d’y revenir. Manifestement, les processus de discussion actuels ne permettent pas d’avancer au rythme voulu alors qu’il s’agit d’infrastructures essentielles à la vie de beaucoup de nos concitoyens. Je me réjouis que la visite d’État du Grand-duc du Luxembourg ait donné lieu à la signature d’un accord pour le financement binational de la rénovation de la ligne Thionville-Luxembourg. Je suis toutefois convaincue que nous avons à progresser en termes de méthode pour mieux prendre en compte les enjeux liés à ces lignes transfrontalières qui ne sont pas nécessairement intégrées aux contrats de plan État-région. Il nous faudra sans doute inventer un processus de contractualisation particulier.

La question des passages à niveau est essentielle. Je peux vous assurer que dans le cadre du débat sur la loi de programmation des infrastructures, des enveloppes suffisantes seront proposées. Les investissements sur le réseau ferré national renvoient à des enjeux liés tout à la fois à l’entretien, à la modernisation et au rattrapage de décennies de sous-investissement, à la sécurité ferroviaire et à la sécurité routière, mais aussi à la désaturation.

La France, contrairement à certains de ses voisins, a beaucoup tardé à s’engager dans le développement des nouveaux systèmes de signalisation. Je pense notamment à la signalisation européenne ERTMS – European Rail Traffic Management System. Le responsable de DB Netz, l’équivalent de SNCF Réseau, m’a indiqué qu’ils allaient accélérer le déploiement de ce type de signalisation qui permet de gagner 25 % de capacités sur le réseau. Compte tenu des enjeux liés au développement du ferroviaire aux abords des métropoles, il est urgent que nous nous engagions résolument dans le développement de systèmes de signalisation qui permettront d’accroître l’offre de services ferroviaires au bénéfice de tous.

Concernant les enseignements que l’on tire des expériences de nos voisins, M. le rapporteur a rappelé que les Britanniques ont une approche de ce dossier et une conception des services publics totalement différentes des nôtres. La Grande-Bretagne est le seul pays européen qui ait eu l’idée « d’éclater » l’opérateur national et vous aurez compris que ce n’est pas notre modèle.

Quand on parle de tarifs, il faut distinguer ceux des services conventionnés, c’est-à-dire déterminés par les autorités organisatrices, et ceux des services en libre accès. L’ouverture à la concurrence des trains à grande vitesse en Italie s’est traduite par une baisse du prix des billets de 40 %. C’est un phénomène que l’on constate, d’une manière générale, sur les services en libre accès. S’agissant des tarifs des services conventionnés, on peut rappeler que le voyageur paie en moyenne 25 % du coût des TER. Les autorités organisatrices peuvent faire évoluer ce pourcentage dans un sens ou dans l’autre. Nous constatons, d’une façon uniforme en Europe, que l’ouverture à la concurrence s’est traduite par une baisse des coûts. Comment les collectivités, les autorités organisatrices, souhaitent-elles utiliser cette marge financière ? En profitent-elles pour faire des économies ? Cela n’a pas été la tendance chez nos voisins et je ne pense pas que ce sera le cas en France. Cela ne va pas dans le sens de l’histoire. Vont-elles l’utiliser pour développer plus de services ? La décision leur revient.

Pour revenir sur l’état des lignes, vous conviendrez avec moi que le transport ferroviaire nécessite beaucoup d’argent public. En cette occasion, je tiens à vous redire que la réforme en cours ne vise pas à faire des économies : nous voulons nous assurer que chaque euro consacré à ce secteur – qui nécessite beaucoup d’argent public – est dépensé au mieux.

M. Jean-Luc Fugit. Madame la ministre, l’objectif majeur du projet de loi que vous présentez est de construire une nouvelle SNCF pour en faire un groupe plus performant. Avec mes collègues de la majorité, nous nous engageons dans ce débat législatif avec la volonté de soutenir la démarche entreprise et le souhait que cette réforme entraîne des améliorations concrètes dans la vie quotidienne de nos compatriotes.

À ce stade, je souhaiterais avoir des précisions sur la gestion des gares, qui relève du périmètre de l’article 1er du projet de loi. Actuellement, la gestion et le développement des gares de voyageurs dépendent d’une direction autonome de SNCF Mobilités, la direction Gares & Connexions. Comment envisagez-vous l’évolution de cette direction à un moment où certains préconisent de la séparer, sur le plan juridique, de SNCF Mobilités ? Il me semble nécessaire de renforcer les services et les prestations proposés dans les gares afin de contribuer à l’amélioration de la mobilité quotidienne de tous. Qu’en pensez-vous ?

M. Fabrice Brun. La première de mes deux questions porte sur l’ouverture à la concurrence. On peut penser que les nouveaux entrants se positionneront sur les marchés les plus rentables. Comment la SNCF peut-elle rivaliser avec ces nouveaux venus compte tenu du poids de la dette et de la gestion des petites lignes ?

Ma deuxième question concerne les engagements pris par l’État dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER). Quelles assurances pouvez-vous apporter aux territoires sur le respect des engagements concernant ces fameuses petites lignes ? C’est une chose de vouloir les conserver dans le périmètre de l’État, c’en est une autre de fournir les moyens nécessaires à leur investissement et leur régénération. Dans un département comme l’Ardèche, qui ne compte pas de trains ou de gares de voyageurs, le CPER porte sur la route nationale 102. Nous sommes en attente de votre position définitive à propos des 32 millions d’euros qui nous sont nécessaires pour « faire sauter » le verrou du Teil.

M. Guy Bricout. Depuis la remise du rapport Spinetta, les débats vont bon train au sujet des petites lignes, mal nommées au vu du rôle qu’elles jouent dans le maillage du territoire. Le Gouvernement ayant annoncé qu’il avait décidé de ne pas les fermer dans l’immédiat, ce dont on ne peut que se réjouir, il convient dès à présent de leur assurer un avenir à moyen et à long terme, notamment dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. En clair, il faut veiller à ce que cette ouverture, que nous préparons, ne se fasse pas sur le dos des lignes capillaires, certes moins rentables mais souvent essentielles à l’aménagement du territoire.

Nous devons donc avoir une réelle vision stratégique des conditions d’exploitation et de maintenance des TER et des trains intercités, qui devra s’appuyer sur une nouvelle catégorisation des lignes « UIC 7 à 9 », selon le classement de l’Union internationale des chemins de fer, pour tenir compte de leur réel intérêt socio-économique. Nos débats devront poser les jalons de l’avenir de notre réseau capillaire.

Mme Pascale Boyer. La libération du transport ferroviaire doit être accompagnée de renforcements concomitants de la régulation du secteur. Le bon fonctionnement du système de transport ferroviaire doit donc être assuré en tenant compte de considérations techniques, économiques, financières mais aussi territoriales afin de conjurer le risque d’enclavement de certains territoires. À cette fin, le Gouvernement introduit un pouvoir de modulation du prix des infrastructures permettant à l’ARAFER de prendre en compte notamment des dessertes ferroviaires pertinentes en matière d’aménagement du territoire.

Quels seront les principes et les limites qui permettront d’orienter et d’encadrer ce pouvoir de modulation ? Cette évolution annonce-t-elle la transformation de l’ARAFER en autorité non seulement en charge de l’encadrement de l’ouverture à la concurrence, mais aussi garante de l’aménagement du territoire ?

M. Jean-Marc Zulesi. Ce projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, rappelons-le, ce n’est pas l’annonce de la privatisation de la SNCF, ce n’est pas la remise en cause des lignes de proximité et c’est encore moins le désengagement de l’État. C’est une réforme globale pour transformer la SNCF afin de la rendre plus efficace et plus compétitive. C’est une réforme ambitieuse, permettant de préparer la SNCF à l’ouverture progressive à la concurrence.

Madame la ministre, vous mettez tous les sujets sur la table, dans un climat d’écoute et de concertation. Pourriez-vous rappeler quels sont les acteurs de cette concertation et l’agenda à venir ?

Mme Élisabeth Borne, ministre des transports. Monsieur Fugit, vous m’interrogez sur le positionnement de Gares & Connexions, un sujet important dont nous aurons l’occasion de reparler lors de l’examen des articles correspondants. Le contexte d’ouverture à la concurrence suppose, en effet, de sortir cette direction de SNCF Mobilités.

Pour envisager l’avenir de Gares & Connexions, il nous faut prendre en compte quatre enjeux.

Tout d’abord, il faut sortir de la situation ubuesque de découpage des actifs des gares entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Certains gèrent les quais et d’autres les verrières. Certains s’occupent des panneaux d’information aux voyageurs quand ils sont hors des bâtiments, d’autres des panneaux d’information aux voyageurs quand ils sont dans les bâtiments. De ce fait, les systèmes électriques sont partagés entre des entités différentes. Rappelant cela, on comprend l’origine d’incidents qui ont pu survenir dans nos gares. Nous devons donc nous assurer d’avoir, dans chaque gare, des actifs réunifiés et un responsable du système ferroviaire hors voies.

Ensuite, le positionnement de Gares & Connexions doit refléter le rôle essentiel que joue la gare dans le bon fonctionnement du transport. Comme nous avons pu le constater récemment, un incident en ligne peut entraîner des répercussions sur plusieurs trains, mais un incident en gare affecte un nombre de voyageurs considérable. À l’avenir, cette fonction au service du transport doit être davantage affirmée dans les missions de Gares & Connexions.

De la même manière, il faut réaffirmer le rôle des gares en termes d’intermodalité. Le système ferroviaire n’est pas fermé. Plus il sera interconnecté avec les autres modes de transport, meilleur sera son service rendu à la collectivité nationale. Nous aurons l’occasion d’en débattre dans le cadre de la future loi d’orientation sur les mobilités.

Enfin, les gares doivent s’inscrire dans des logiques d’aménagement urbain, où elles jouent un rôle majeur. Nous devons chercher à simplifier la gestion et à éviter que des actifs ne soient répartis entre plusieurs propriétaires, ce qui facilitera le dialogue avec les collectivités concernées.

À ce stade, je ne peux pas vous répondre sur l’organisation car les concertations ne sont pas terminées. Quoi qu’il en soit, il nous faudra veiller à ces quatre enjeux pour dessiner l’avenir de Gares & Connexions.

Messieurs Brun et Bricout, vous êtes revenus sur le sujet des petites lignes. Je voudrais réaffirmer que la notion de rentabilité n’a pas de sens pour les TER puisque les voyageurs n’assument en moyenne que 25 % de leur coût. Nous raisonnons en fonction d’une vision de l’aménagement équilibré d’un territoire dont la région a la responsabilité et non pas en termes de rentabilité. Pour ces lignes, les régions continueront à faire le choix des dessertes, des fréquences et des tarifs. Nous avons vu chez nos voisins que l’ouverture à la concurrence pouvait offrir l’occasion de redynamiser ces lignes. Le faible nombre de voyageurs sur une ligne peut s’expliquer par le manque de moyens pour rejoindre la gare ou par des horaires qui ne correspondent pas aux besoins des citoyens.

M. le rapporteur a cité l’exemple de l’Allemagne. Pour ma part, je suis convaincue que les nouveaux opérateurs sauront redynamiser ces lignes qui sont, en effet, importantes pour beaucoup de nos concitoyens. Ils le feront dans une approche intermodale, avec l’appui des autorités organisatrices régionales et des nouvelles autorités organisatrices de la mobilité dont la mise en place sera prévue par la future loi d’orientation sur les mobilités.

Il faudra néanmoins revoir les classifications de ces lignes qui sont très variées, comme le montre le rapport de M. Jean-Cyril Spinetta. Elles traitent entre 30 % et 40 % du fret ferroviaire. Il peut s’agir de liaisons importantes d’aménagement du territoire qui relèvent de la responsabilité de l’État, comme celle qui relie Nantes à Bordeaux. D’autres lignes sont plus locales. Quoi qu’il en soit, cette nomenclature des « UIC 7 à 9 », fondée sur le seul critère de tonnage transporté sur la ligne, ne rend absolument pas compte de la réalité des enjeux. Pour éclairer les débats, nous devrons peut-être redéfinir ces catégories pour ne pas mettre ensemble des choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.

Monsieur Brun, l’État tiendra les engagements qu’il a pris dans le cadre des contrats de plan dans les domaines ferroviaire et routier. En cet instant, je ne suis pas en mesure de vous donner le montant des prochaines dépenses qui seront engagées pour la RN 102 mais je peux vous assurer que nous nous attacherons à respecter nos engagements.

J’en viens aux modulations proposées dans l’amendement déposé vendredi par le Gouvernement. L’ARAFER a vocation à donner un avis sur les péages proposés par SNCF Réseau. Il ne s’agit pas de donner à l’ARAFER un rôle en termes d’aménagement du territoire. Il s’agit de cadrer l’avis qu’elle doit donner au service d’une politique des transports et de l’aménagement du territoire qu’elle doit appliquer. Le régulateur doit veiller à l’application des principes de tarification au service des politiques voulues par le Gouvernement et le législateur. Tel est le sens de l’encadrement proposé dans l’amendement que j’ai déposé vendredi.

Monsieur Zulesi, nous avons des concertations avec les organisations syndicales. Avec l’ensemble des parties prenantes, nous discutons de l’amélioration du service public ferroviaire : intermodalité, meilleure coordination des différents services, fret ferroviaire, utilisation du réseau. Ces tables rondes associent les collectivités, les associations de défense de l’environnement, les élus, les organisations syndicales et les représentants des entreprises.

Au cours du mois écoulé, nous avons aussi eu une quarantaine de réunions bilatérales sur trois autres thèmes : l’ouverture à la concurrence, l’organisation de la SNCF et la modernisation sociale du secteur. Sur l’ouverture à la concurrence, une nouvelle réunion est prévue jeudi avec les organisations syndicales et l’UTP, afin de préciser un certain nombre de points dont j’ai indiqué qu’ils pourraient être introduits avant la discussion en séance publique. Au cours du mois d’avril, une vingtaine de réunions sont prévues sur les enjeux de modernisation sociale du secteur, c’est-à-dire sur la convention collective et les travaux engagés au sein de la SNCF concernant le cadre social des futurs embauchés.

Mme Zivka Park. Madame la ministre, je souhaitais vous interroger sur les cheminots, sur la volonté de modernisation sociale et sur les futures conditions de recrutement et d’emploi des personnels du secteur ferroviaire. Le Gouvernement souhaite la fin des recrutements au statut, et des négociations pour définir les conditions de cette évolution.

Le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire n’a pas vocation à humilier les cheminots, contrairement à ce que nous avons pu entendre. Il vise à donner à la SNCF les armes nécessaires pour faire face à la concurrence. Il est important de le redire : les cheminots ne sont pas des privilégiés ; ce sont des travailleurs profondément attachés à leur société.

Pourriez-vous nous éclairer sur la façon dont vous engagez les discussions avec les syndicats de cheminots et nous faire un bilan de vos échanges, en nous indiquant quels sont, à ce stade, les principaux points de blocage ?

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie. Madame la ministre, j’aimerais vous interroger sur la portabilité des droits sociaux des cheminots. Vous avez indiqué que les cheminots, une fois la concurrence devenue effective, pourraient rejoindre une entreprise concurrente de la SNCF tout en conservant leurs droits sociaux, notamment la garantie de l’emploi et leur régime de retraite. Il s’agit de concilier leurs conditions d’emploi – exorbitantes du droit commun – avec la mise en concurrence des activités ferroviaires, telle que prévue par le droit européen. Comparé à un salarié relevant du droit commun, le cheminot bénéficiaire de ce régime particulier peut occasionner à l’employeur un surcoût problématique en situation de concurrence.

En cas de transfert de salariés à une entreprise concurrente de la SNCF, à qui incombera désormais la charge de ces cheminots ? Passeront-ils totalement à la charge de l’entreprise concurrente ? La SNCF ou l’État français devront-ils assumer une part du surplus financier qu’ils représentent pour ces entreprises ?

M. Gérard Menuel. Madame la ministre, vous avez donné une réponse concernant les transferts de propriété : l’État pourra intervenir à travers les contrats de plan. Nous avons besoin de précisions. Vous connaissez notre attachement aux lignes secondaires qui sont dans un triste état et dont la propriété pourrait être transférée de l’État vers les régions. Ce transfert devra être effectué dans le respect de règles juridiques et financières. Quelles seront les règles appliquées avant le transfert ? Ces lignes seront-elles préalablement rénovées par l’État ? Est-ce que l’État attribuera une dotation annuelle aux régions pendant la durée de remise en état ultérieure des lignes en question ?

Mme Frédérique Tuffnell. L’ouverture régulée du marché doit s’accompagner d’un cadre garantissant une concurrence équitable entre tous les opérateurs. Concernant le gestionnaire d’infrastructures, le nouveau pacte ferroviaire devra mettre en place des règles claires et cohérentes sur la définition de l’indépendance du gestionnaire d’infrastructures. Il s’agit d’éviter les conflits d’intérêts et de supprimer le caractère discriminatoire inhérent à une structure verticalement intégrée telle qu’annoncée, par la mise en œuvre de mécanismes assurant l’indépendance, la non-discrimination et la transparence financière au sein du gestionnaire d’infrastructures. Le nouveau pacte ferroviaire aura le mérite d’accélérer la modernisation du système ferroviaire et de faire évoluer le statut des cheminots. Cependant, comment pouvez-vous garantir que la future gouvernance de la SNCF renforcera l’indépendance de SNCF Réseau et ne compromettra pas la réussite de l’ouverture progressive du marché ?

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Madame la ministre, j’admire votre talent pédagogique et votre sens de la reformulation. J’entends votre discours concernant l’accompagnement des régions par l’État pour la conservation, l’entretien ou la mise à niveau des petites lignes. Je veux croire en la sincérité du Gouvernement mais de quels leviers disposez-vous pour inciter les présidents de région qui seraient tentés de faire de la résistance, pour des raisons politiques, et qui refuseraient d’investir le moindre euro dans ces fameuses petites lignes qui tracassent beaucoup de mes collègues ? Rappelons que nos concitoyens attendent de ces lignes qu’elles leur offrent une desserte fréquente à des tarifs toujours aussi intéressants.

Mme Élisabeth Borne, ministre des transports. Qui a parlé du transfert de la propriété des petites lignes aux régions ? J’aimerais bien le savoir. En tout cas, ce n’est pas le Gouvernement. Vous me demandez comment va se passer le transfert de propriété de l’État aux régions. Or le Gouvernement n’a jamais proposé un transfert de propriété ou de responsabilité aux régions. Je le redis : ces lignes font partie du réseau ferré national ; elles sont propriété de SNCF Réseau, de la nation. Personne, en tout cas pas le Gouvernement, n’a en tête de démanteler le réseau ferré national et de transférer les petites lignes aux régions. Si vous identifiez l’auteur de cette « fake news », dites-le moi.

Pour ce qui est de la portabilité des droits, il me paraît essentiel que les cheminots puissent être repris par un nouvel opérateur si la SNCF perd un contrat, mais qu’ils disposent également de la capacité d’exercer une mobilité, à leur initiative, au sein de toute la branche ferroviaire, et de revenir éventuellement à leur employeur initial – un amendement a été déposé en ce sens.

Dans l’esprit des régions comme de l’UTP, le coût de la protection sociale et du régime de retraite de la SNCF est intégré, via les contrats conclus entre la région et la SNCF, dans le coût global du service équilibré par les subventions de la région – et aura toujours vocation à être financé par la région si, demain, les cheminots travaillent pour un autre opérateur.

M. Prud’homme a évoqué mes fonctions antérieures au sein de la SNCF. Certes, on aurait pu choisir, pour porter cette réforme, une personne ne connaissant rien au secteur ferroviaire, mais je ne suis pas sûre que cela aurait été un gage de réussite ! Oui, j’ai été directrice de la stratégie de la SNCF. Je connais très bien cette entreprise et les cheminots, que je respecte. Je sais leur attachement au service public ferroviaire et leur engagement quotidien. Je tenais à le dire, et je remercie M. Prud’homme, même s’il n’est plus là, de m’avoir donné l’occasion de le faire. (Applaudissements.)

Pour répondre à Mme Park, je dirai que les différents sujets en discussion ne donnent pas lieu à une attitude homogène de la part des syndicats. Certains, tels la CGT et SUD Rail, sont opposés au principe même de l’ouverture à la concurrence et, comme un certain nombre de députés qui ne sont plus parmi nous, pensent que l’on peut s’abriter derrière les exceptions prévues par le règlement sur les obligations de service public – ce qui tend à compliquer le débat. Pour ma part, j’estime dangereux de prétendre que l’on peut envisager de ne pas se préparer à l’ouverture à la concurrence. Les exceptions invoquées devant être notifiées par l’autorité organisatrice auprès de la Commission européenne, il ne serait pas crédible de soutenir que toutes les lignes de l’ancienne région Alsace, par exemple, sont des lignes complexes, alors que les lignes situées outre-Rhin sont ouvertes à la concurrence depuis 1994…

Cela dit, toutes les organisations syndicales, quelle que soit leur position, ont vocation à prendre part à la discussion qui va servir à enrichir le texte et à répondre aux questions très précises que se posent les cheminots à propos de l’ouverture à la concurrence, de l’information des salariés au cours des procédures d’appels d’offres, des critères d’affectation des salariés en cas de perte de contrat par la SNCF, du « sac à dos social », et des conséquences d’un refus – sujet très délicat qui doit continuer à faire l’objet de concertations, et sur lequel j’aurai l’occasion de revenir.

Le champ de la modernisation sociale du secteur doit, lui aussi, donner lieu à de nombreuses discussions. Aujourd’hui, je ne dirai pas qu’il y a des points de blocage, mais je pense que nous devons continuer à approfondir avec l’ensemble des acteurs concernés, notamment l’UTP, qui représente les entreprises et les organisations syndicales, ce que va être l’architecture d’un cadre social protecteur et équitable pour l’ensemble des salariés : c’est le travail qui sera effectué au cours d’une réunion qui se tiendra vendredi prochain.

Enfin, je veux dire à Mme Vanceunebrock-Mialon que les régions, dans leur très grande majorité, me paraissent attachées au maintien des lignes. La situation peut être plus compliquée quand une ligne se trouve à cheval sur deux régions, ou quand une ligne part d’une grande ville pour rejoindre une vallée située dans une région n’ayant pas l’intention de l’entretenir, ce qui priverait la vallée concernée d’un accès à la grande ville par voie ferrée. Sur ce point, l’État n’a pas vocation à se substituer aux régions, dont c’est la compétence, mais peut-être pourra-t-on réfléchir à la définition de lieux de dialogue et de compte rendu des positions des uns et des autres, afin que le débat démocratique en sorte renforcé.

Mme la présidente Barbara Pompili. La discussion générale est close.

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Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

 

Réunion du mardi 3 avril 2018 à 16 h 35

 

Présents. - Mme Sophie Auconie, Mme Valérie Beauvais, M. Jean-Yves Bony, M. Christophe Bouillon, Mme Pascale Boyer, M. Guy Bricout, Mme Danielle Brulebois, M. Fabrice Brun, M. Stéphane Buchou, M. Jean-François Cesarini, M. Jean-Charles Colas-Roy, Mme Yolaine de Courson, M. Jean-Baptiste Djebbari, M. Loïc Dombreval, M. Bruno Duvergé, M. Jean-Luc Fugit, Mme Sandrine Josso, Mme Stéphanie Kerbarh, Mme Florence Lasserre-David, Mme Sandrine Le Feur, Mme Aude Luquet, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Gérard Menuel, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Adrien Morenas, M. Matthieu Orphelin, M. Jimmy Pahun, M. Ludovic Pajot, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Zivka Park, M. Alain Perea, M. Patrice Perrot, M. Damien Pichereau, Mme Barbara Pompili, M. Loïc Prud’homme, Mme Véronique Riotton, Mme Laurianne Rossi, Mme Nathalie Sarles, M. Jean-Marie Sermier, M. Vincent Thiébaut, Mme Frédérique Tuffnell, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Pierre Vatin, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi

 

Excusés. - M. Christophe Arend, Mme Nathalie Bassire, M. Lionel Causse, Mme Bérangère Couillard, M. Olivier Falorni, M. David Lorion, Mme Sandra Marsaud, M. Thierry Robert, M. Gabriel Serville

 

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Valérie Lacroute, M. Benoit Simian, M. Jean-Pierre Vigier