Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

– Audition de M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le rapport d’application de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (Mmes Nathalie Bassire et Frédérique Tuffnell, rapporteures) et le rapport d’information sur la ressource en eau (MM. Adrien Morenas, président, rapporteur, et Loïc Prud’homme, vice-président, rapporteur)              2


Mardi
10 juillet 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 73

session extraordinaire de 2017-2018

Présidence de Mme Barbara Pompili,

Présidente


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le rapport d’application de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (Mmes Nathalie Bassire et Frédérique Tuffnell, rapporteures) et le rapport d’information sur la ressource en eau (MM. Adrien Morenas, président, rapporteur, et Loïc Prud’homme, vice-président, rapporteur).

Mme la présidente Barbara Pompili. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, que je remercie d’avoir accepté notre invitation.

Nous sommes réunis pour poursuivre un exercice que nous avons déjà expérimenté en mars, avec Mme Élisabeth Borne, et qui vise à valoriser les travaux de contrôle de notre commission en les portant à la connaissance des ministres directement concernés. Cette démarche, que j’espère systématiser, doit nous permettre d’échanger afin de savoir quelles suites concrètes peuvent être données à nos propositions par les administrations concernées au premier chef.

Nous sommes donc réunis aujourd’hui pour discuter avec M. le ministre d’État des conclusions de deux rapports de notre commission.

Monsieur le ministre d’État, je vous remercie d’avoir répondu favorablement à notre demande d’audition, ce qui témoigne de votre considération pour nos travaux, qui plus est dans un calendrier rapproché.

C’est en effet tout récemment, le 20 juin dernier, que notre commission a successivement examiné le rapport de Mmes Frédérique Tuffnell et Nathalie Bassire sur la mise en application de la loi pour la reconquête de la biodiversité, puis le rapport de MM. Adrien Morenas et Loïc Prud’homme sur la ressource en eau.

Le premier rapport fait le point sur la publication des textes réglementaires requis, et surtout sur la mise en œuvre concrète, sur le terrain, des dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité qui, vous le savez, me tient particulièrement à cœur. Je laisserai bien sûr le soin aux rapporteures de présenter leurs principales conclusions.

Le second rapport, sur la ressource en eau, dresse un constat exhaustif de la situation et propose plusieurs voies d’amélioration, que les rapporteurs nous présenteront également.

J’ajoute, monsieur le ministre d’État, que cette réunion arrive à point nommé, puisque vous avez annoncé mercredi dernier un plan ambitieux en faveur de la biodiversité, sujet qui nous préoccupe tous et qui figure en bonne place dans les deux rapports qui vont être présentés. Je pense que nos échanges constituent une bonne occasion pour évoquer les mesures contenues dans ce plan. Celui-ci constitue une étape indispensable et attendue, que je tiens à saluer. Comme vous l’avez dit avec force, il y a urgence à agir.

Je vous laisse la parole, monsieur le ministre d’État, afin que vous nous fassiez part de votre opinion sur ces rapports et que vous nous présentiez les grands axes suivis par le Gouvernement sur ces sujets. Nos rapporteurs interviendront ensuite et, après vos réponses, la discussion pourra s’ouvrir.

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, si j’ai bien compris, nous avons jusqu’à vingt et une heures quarante‑cinq ? (Sourires.) Le sujet mérite qu’on lui consacre du temps, c’est donc moi qui vous remercie. Car il s’agit d’enjeux cruciaux, sur lesquels le Gouvernement aurait tort de se priver d’un supplément de propositions.

L’objectif, vous le savez, est de réduire à zéro l’artificialisation des sols et la perte de biodiversité, et de résoudre l’équation de l’eau dans un monde où nous sommes de plus en plus nombreux, où l’eau tombe au mauvais moment, lorsqu’on n’en pas besoin, et ne tombe plus lorsqu’on en a besoin. Il faudrait une grande prétention pour penser que l’on réglera ces problèmes par un simple plan. Nous allons avancer, mais il importe d’évaluer constamment les mesures mises en œuvre.

Vous le disiez, madame la présidente, nous avons publié la semaine dernière, avec le Premier ministre, un plan de grande envergure. Nous devons procéder avec beaucoup d’humilité, mais aussi beaucoup de détermination.

Il est d’ailleurs important que ce plan pour la biodiversité soit présenté de manière interministérielle. Car le temps est révolu où l’on pensait pouvoir traiter ces sujets de manière cloisonnée. De tels sujets sociétaux requièrent une approche systémique. Et même si les propositions et les contributions de mes collègues du Gouvernement ont témoigné d’ambitions parfois différentes, nous les ferons converger dans cette dynamique.

Si l’annonce de ce plan a donné un nouveau signal de mobilisation, la France ne l’a pas attendu pour se préoccuper de la biodiversité. Une loi a été votée, une stratégie adoptée. Mais force est de constater que, pour l’instant, il en va de la lutte contre l’érosion de la biodiversité comme de celle contre le changement climatique : nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. La France possède, avec ses territoires ultramarins, environ 10 % de la biodiversité mondiale. Si nous voulons qu’elle puisse assumer, à l’international, un leadership comparable à celui qu’elle exerce en matière climatique, elle doit accomplir des progrès importants. Nous devons mettre nos actes en adéquation avec nos objectifs.

Le lancement de ce plan a en tout cas permis de sortir de l’ombre un sujet qui, soulignons-le, est indissociable de l’enjeu climatique. Car – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – l’un et l’autre se conditionnent réciproquement. Nous gagnerons ou nous perdrons sur les deux. Nous optimiserons nos chances de rétablir les équilibres climatiques si nous associons cette action à la défense des écosystèmes. Or, restaurer et entretenir les écosystèmes, c’est bien la principale manière de protéger la biodiversité.

Nous aurons de nombreuses occasions de démontrer l’importance de ces enjeux, mais, pour que la France soit crédible et que l’on ne nous oppose pas qu’il faut écouter avant de donner des leçons – ce qui n’est certes pas notre vocation, même si nous souhaitons attirer l’attention sur les problèmes qui nous tiennent à cœur –, nous devons rattraper nos retards dans de nombreux domaines.

Vous le savez, nous devons garder à l’esprit l’objectif décisif que représente la COP 15 sur la biodiversité, qui se tiendra en Chine en 2020. Je souhaiterais qu’elle permette d’engranger une moisson d’engagements nationaux aussi importante que celle de la COP 21 sur le climat de Paris. Mais cela suppose d’accroître notre mobilisation, notamment dans le domaine diplomatique.

En France même, plusieurs événements nous permettront d’attirer l’attention des responsables du monde : le G7 sera accueilli l’an prochain à Biarritz, et le Président de la République a accepté que la biodiversité soit parmi les thèmes prioritaires de ce sommet. Nous accueillerons également l’an prochain une séance plénière de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques – Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) puis, en 2020, juste avant la COP 15, nous accueillerons le plus grand événement international autour de la nature : le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Tous ces événements constituent des occasions de faire partager nos convictions. Nous mobiliserons notre réseau diplomatique, comme nous l’avons fait pour le climat, car la France a une contribution importante à apporter à la défense de la biodiversité. Si beaucoup de choses sont à faire chez nous, nous devons nous efforcer de rallier à cette cause les autres pays du monde, dans la même dynamique, la même ambition, la même exigence.

Sur la situation de la biodiversité, je ne vous ferai pas l’injure de rappeler les chiffres. Ils sont suffisamment démonstratifs – tellement démonstratifs, parfois, que l’on finit par en douter : lorsque l’on dit que, d’ici la fin du siècle, 40 % ou 50 % des espèces vivantes pourraient avoir définitivement disparu, ou être engagées dans un processus irréversible d’extinction, cela laisse songeur. Mais lorsque l’on sait que plus de 40 % ou 50 % des terres émergées ont été dégradées, lorsque l’on voit les millions de tonnes de plastique que l’on déverse dans les océans, lorsque l’on sait que plus de 60 % des zones humides indispensables à la biodiversité ont été détruites, et qu’à chaque minute c’est l’équivalent, en superficie forestière, de quinze ou vingt terrains de football qui est détruit, et que tout cela se combine, on voit bien que l’on est dans une dynamique de destruction massive.

On peut évidemment ignorer ces faits, mais la réalité nous rattrapera. Comme je le disais tout à l’heure en séance, j’ai une conviction profonde : il en est de la diversité biologique comme de celle de l’humanité. Seule la diversité est féconde, et l’uniformité est stérile. Mais je parle devant des convaincus.

En tout cas, nous ne partons pas de rien. La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a permis un certain nombre d’avancées importantes et a fait évoluer les lignes du débat. Il faut rendre hommage à cette première étape, qui a apporté une forme de maturité au déploiement d’une politique ambitieuse dans les territoires. Mais l’objectif de ce plan est maintenant de combattre les pressions qui pèsent sur la nature, et surtout de changer d’échelle, c’est-à-dire de multiplier les actions.

Beaucoup croient encore que le sujet est loin des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. Je pense que c’est une erreur, car il est étroitement lié à des questions de qualité de vie, des questions de santé, d’alimentation, de bien-être, d’économie. Et à notre rapport à la beauté du monde, qui n’a pas de prix. Combien de temps nous sépare encore du jour où nous ne pourrons plus nous régénérer au spectacle de la beauté de la nature ? J’ai demandé il y a quelques jours à des économistes s’ils pouvaient fixer le prix du chant des oiseaux. Peut-on en quantifier la valeur ? À toutes ces choses qui sont au cœur de nos préoccupations les plus fondamentales, nos concitoyens sont très attachés.

La preuve en a été apportée par la consultation du public conduite en amont du plan « biodiversité ». Je pense que vous avez des éléments de comparaison ; pour moi, on m’a expliqué que ses résultats étaient assez significatifs, puisque nous avons reçu 25 000 contributions et que 90 000 personnes ont voté en l’espace de trois semaines. Parmi toutes les consultations que nous avons organisées depuis un peu plus d’un an, je crois que c’est un record.

J’en profite d’ailleurs pour remercier celles et ceux qui se sont mobilisés. Certains sont ici, mais je pense aussi au comité national pour la biodiversité. Je rends également hommage aux organisations non gouvernementales (ONG), non seulement parce que je n’oublie pas d’où je viens, mais surtout parce que, pour défendre l’enjeu crucial de la biodiversité, elles ont souvent, si vous me passez l’expression, ramé en solitaires. Mais nous allons maintenant rallier des soutiens en dehors du périmètre des initiés. Les entreprises commencent à s’intéresser au sujet, et c’est une très bonne chose. Nous en parlerons probablement tout à l’heure.

Je remercie également les parlementaires, qui sont nombreux à s’être impliqués. Et puis nos rapporteurs : merci de ces travaux très nourris, sur la biodiversité comme sur l’eau. J’espère que vous retrouverez certaines des nombreuses recommandations de vos rapports dans le plan « biodiversité », ou dans les préconisations résultant des réflexions au long cours des Assises de l’eau.

Il en va de ce plan comme de tous les plans : il faut se garder de penser qu’il constitue l’alpha et l’oméga d’une politique. C’est un socle. J’ai dressé récemment le bilan du plan « climat » : certaines choses vont bien, d’autres non. L’important est de ne pas en rester là, mais de progresser, au fur et à mesure, en tenant compte des critiques constructives pour amplifier les réussites et corriger les insuffisances.

C’est pour cela que nous avons besoin de vous, besoin de votre fonction de contrôle pour suivre la mise en œuvre de la loi, et besoin de votre exigence pour que le projet de loi de finances pour 2019 soit à la hauteur de l’ambition. Je sais bien que l’argent ne fait pas tout, mais un minimum de moyens est indispensable. La biodiversité ne doit pas être le parent pauvre de nos engagements financiers.

Je ne détaillerai pas ici les 90 mesures du plan, nous n’en avons pas le temps, mais je m’attacherai à deux sujets en particulier.

Le premier, décisif pour le cycle de l’eau et la biodiversité, c’est la lutte contre le fléau que représente l’artificialisation des sols. Tout le monde connaît le chiffre, mais je le rappelle pour donner un ordre de grandeur : l’équivalent d’un département disparaît tous les dix ans sous le béton, ou sous une autre forme d’artificialisation. Le sujet est complexe, car ce n’est évidemment pas toujours pour de mauvaises raisons que l’on change la nature des sols, mais la gourmandise est parfois excessive et la consommation déraisonnable.

Pourquoi le plan ne fixe-t-il pas la date à laquelle nous devrons avoir réduit à zéro l’artificialisation non compensée ? Parce que cela aurait été une facilité médiatique. Je suis incapable aujourd’hui de vous dire quelle peut être l’échéance raisonnable. Nous ne remettons pas en cause l’objectif, bien entendu, mais il nécessite de nombreuses expérimentations de désartificialisation. C’est pourquoi nous nous donnons un an pour fixer une date qui ne soit pas uniquement une vue de l’esprit destinée à provoquer un effet d’annonce.

Ce plan nous dote d’un outil qui nous permettra d’abord de publier chaque année l’état des lieux de l’artificialisation, territoire par territoire. Il est important d’observer dans chacun la dynamique d’artificialisation, de manière à identifier – pardon de le dire – les bons et les mauvais élèves, ceux qui font des efforts et ceux qui en font moins. Nous verrons ainsi où se posent de vraies difficultés.

Nous nous donnons aussi une année pour travailler avec vous, avec les élus, avec les aménageurs et avec les ONG, avant de fixer l’échéance de réduction à zéro de l’artificialisation non compensée, à laquelle nous nous tiendrons. Nous déterminerons conjointement les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif.

Ce travail se nourrira bien entendu de vos réflexions. Je pense par exemple à la question des parkings : dans la droite ligne de l’article 86 de la loi pour la reconquête de la biodiversité et pour faire suite, notamment, à votre recommandation, nous irons plus loin en imposant que tout nouveau parking soit perméable, afin de favoriser l’infiltration des eaux dans le sol. Vous en connaissez les vertus, notamment pour lutter contre les inondations.

Second sujet essentiel pour la biodiversité : notre pays doit adapter sa gestion de l’eau au défi climatique. C’est pourquoi nous organisons, vous le savez, des Assises de l’eau. De leurs deux séquences, la première, en passe de s’achever, était consacrée au petit cycle, la seconde, qui commencera, si je ne me trompe, à l’issue de la trêve estivale, portera sur le grand cycle.

Il est toujours utile de rappeler que l’eau est un bien commun, et que nous devons faire évoluer la gestion des réseaux et réfléchir à la question du stockage, mais aussi à la protection des écosystèmes face à la raréfaction de cette ressource.

Les plans de bassin d’adaptation aux changements climatiques qui sont en cours d’élaboration dans les territoires apporteront évidemment des éléments précieux à ces réflexions. D’abord parce qu’il s’agit d’un travail essentiel, conduit au plus près des territoires et tenant compte des ressources qui y sont disponibles, de l’impact du changement climatique, et des innovations dans les différents secteurs d’activité. Or, on constate qu’il n’y a pas, en la matière, de solution toute faite, et qu’il faut du sur-mesure, à l’échelle du bassin et des sous-bassins. Tous les bassins n’étant pas soumis au même stress, il faut établir chaque plan en fonction des situations et des caractéristiques de chaque territoire. Il faut ensuite identifier les mesures les plus pertinentes, au meilleur endroit, sur les secteurs prioritaires. C’est pourquoi la seconde séquence des Assises se déroulera surtout dans les territoires.

Vos travaux, mesdames et messieurs les rapporteurs, ouvrent un certain nombre de pistes qui alimenteront ces réflexions. Je pense par exemple à une réutilisation facilitée des eaux usées. C’est un point très important. Nous nous orientons, dans tous les domaines, vers une économie de plus en plus circulaire. Cette évolution s’impose particulièrement pour l’usage de l’eau. Entre son encadrement jusqu’ici très rigide et notre volonté d’évolution, nous saurons trouver un juste milieu.

J’étais l’autre jour à Bonifacio – je sais que j’en parle devant l’un des députés de Corse – où l’on pratique une solution empreinte de bon sens : les eaux usées y sont récupérées, notamment pour irriguer un golf. Qui nierait qu’irriguer un golf avec de l’eau potable semble une pratique d’une autre époque ?

Je pense aussi à la maîtrise des rejets urbains en temps de pluie, au développement des économies d’eau ou encore à l’évolution de certaines pratiques agricoles. Car une approche intrinsèque s’impose : il est important d’aider les agriculteurs à faire face au stress hydrique, bien entendu, mais sans nous précipiter sur des remèdes trop faciles. Au prétexte qu’il tombe de l’eau quand on n’en a pas besoin et qu’il n’en tombe pas quand on en a besoin, on prône ce que l’on appelle des retenues collinaires, voire la construction de quelques barrages. Sans y être opposé par principe, je pense que nous devons nous interroger, selon une approche globale, sur l’ensemble du cycle et sur la pertinence de certaines pratiques agricoles très consommatrices d’eau.

Tout cela sera étudié dès la rentrée, puisque nous avons prévu de lancer la seconde séquence des Assises de l’eau en septembre, pour aboutir à de premières propositions en novembre et normalement à une conclusion en décembre. La méthode de concertation est en cours d’élaboration. Il va de soi que vous serez associés à ces travaux.

En matière d’eau aussi, la question des moyens est importante. Vous savez que les agences de l’eau préparent actuellement la maquette de leur 11e programme. Avec plus de 12 milliards d’euros sur six ans, il sera d’une ampleur intermédiaire par rapport au neuvième et au dixième programme.

Je sais que nous devons respecter des contraintes budgétaires. Croyez-moi, je n’y suis pas réfractaire, même si je me trouve parfois confronté, de ce fait, à des injonctions contradictoires. Cela nécessite de définir des priorités. J’ai ainsi fait part de mon cadrage, en octobre dernier, aux agences de l’eau. Il est également prévu que nous tenions compte des recommandations contenues dans le rapport conjoint du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’Inspection générale des finances (IGF).

Le 11e programme des agences de l’eau accroît leur effort financier en faveur du grand cycle de l’eau. La nécessité de parvenir à un équilibre a ainsi conduit à faire le choix d’actions préventives plutôt que curatives, à réduire les aides aux mesures qui traitent les conséquences ou qui répondent à des obligations réglementaires, pour augmenter celles qui permettent de lutter contre les pollutions diffuses, celles qui incitent à un changement durable de pratiques, et celles qui contribuent à la restauration des écosystèmes.

Je vais maintenant tâcher, dans la mesure de mes connaissances, et avec l’aide de toute mon équipe, de répondre à vos questions, de vous faire partager notre analyse et de prendre en considération les vôtres. Je ne doute pas que ces débats soient pour nous très éclairants. Il faut, en matière de biodiversité, se garder de la prétention à détenir le monopole des solutions. Cela n’a jamais été notre état d’esprit.

Mme la présidente Barbara Pompili. Merci beaucoup, monsieur le ministre d’État. Nous allons débuter par le rapport sur l’application de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Je vais donner d’abord la parole à nos deux rapporteures, qui ne présenteront pas de nouveau l’ensemble de leur travail, mais qui interpelleront le ministre sur les points qui paraissent essentiels. Après la réponse de ce dernier, nous passerons aux questions des autres députés.

Mme Frédérique Tuffnell, rapporteure. Monsieur le ministre d’État, chers collègues, nous nous félicitons de ce plan « biodiversité », qui donne le cap et ouvre de nouvelles perspectives pour sortir d’une situation objectivement catastrophique, comme le soulignait notre rapport sur l’application de la loi du 8 août 2016. Votre plan confirme la pertinence des recommandations que nous avions formulées.

La France dispose désormais d’une boîte à outils qu’il convient d’utiliser au mieux, de même que les financements que vous avez annoncés : 600 millions d’euros de crédits supplémentaires sur quatre ans, dont 150 millions pour le paiement de services environnementaux et 200 millions pour l’agriculture biologique.

Notre rapport soulignait l’importance de la publication des derniers textes et rapports demandés dans la loi, mais je me concentrerai aujourd’hui sur trois points.

L’objectif que vous annoncez de réduire à zéro l’artificialisation des sols non compensée fait écho au triptyque « éviter, réduire, compenser » (ERC). La compensation reste cependant un outil mal maîtrisé et mal contrôlé, comme l’ont confirmé de nombreuses auditions. Il est urgent d’agir et de déployer les moyens d’un contrôle effectif. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé d’instaurer un système d’agrément des bureaux d’études compétents en matière de compensation, afin de garantir la qualité des études d’impact, d’obtenir les budgets prévisionnels des opérateurs, de mieux former les agents de l’État, et de généraliser les comités de suivi, encore inexistants à ce jour.

Nous demandons également la création d’une redevance assise sur le changement d’affectation des terrains, qui serait reversée aux agences de l’eau.

En l’état actuel de la réglementation et de la situation des parties prenantes, quels sont vos moyens d’action pour parvenir à votre objectif de proscrire l’artificialisation nette ?

Deuxième sujet, nous recommandons que soient augmentés les moyens financiers et humains de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), car la liste des missions qui lui sont confiées est très longue, et elle doit bénéficier d’une vraie montée en puissance. Quelle est votre position ? Et comment allez-vous relancer le processus de mutualisation de la police de l’eau entre l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et l’AFB, au regard des scénarios et du rapport de l’IGF et du CGEDD ?

Nous recommandons également le renforcement des moyens des agences de l’eau, qui doivent pouvoir agir en faveur de la biodiversité, comme le prévoit la loi. La création de la ressource financière précitée est-elle à l’étude ? Qu’en sera-t-il du plafond de recettes de 2,105 milliards d’euros voté l’an passé ? Comment envisagez-vous d’augmenter ces moyens ?

Je voudrais enfin aborder un troisième sujet : l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages, qui doivent être concrètement mis en œuvre afin de lutter contre la biopiraterie. Deux ans après l’adoption de la loi, le dispositif d’accès et de partage des avantages (APA) n’est pas opérationnel. Plusieurs textes réglementaires manquent encore, de nombreuses interrogations des utilisateurs demeurent sans réponse, et un vide juridique subsiste là où les personnes morales de droit public représentant les communautés d’habitants n’ont pas été désignées pour organiser les négociations. C’est notamment le cas en Guyane.

Mme Nathalie Bassire, rapporteure. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, chers collègues, vous vous doutez que je vais parler des outre-mer et de leur besoin de protection, qui n’est pas satisfait, alors qu’ils concentrent une biodiversité exceptionnelle.

Nous avons auditionné un nombre important d’acteurs à La Réunion, et le constat est alarmant face au changement climatique. La lutte contre les espèces exotiques envahissantes prend du retard. Nous recommandons en outre de prendre en compte les problèmes causés par les nouveaux animaux de compagnie, comme les reptiles : nos geckos endémiques sont aujourd’hui menacés de disparition à cause des geckos introduits dans l’île. La protection des coraux et des mangroves, non plus que celle des espèces menacées, ne sont pas assurées.

Nous recommandons d’évaluer périodiquement l’adéquation des périmètres des aires marines protégées à leurs objectifs de préservation et de restauration.

Quant à la lutte contre les pollutions plastiques dans les océans, vous avez fixé pour objectif qu’aucun plastique ne soit plus rejeté en mer en 2025. J’aimerais vous entendre, s’il vous plaît, sur ce point.

Nous recommandons d’étendre l’interdiction aux produits plastiques à usage unique, et, en attendant leur disparition, de créer une redevance sur ces produits afin de financer des campagnes de ramassage. Qu’en pensez-vous ?

Il faut tirer très rapidement les enseignements des travaux de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), afin d’enclencher concrètement l’abandon des néonicotinoïdes par notre agriculture. Les dérogations ne doivent être accordées que jusqu’au 1er juillet 2020, et dans les seuls cas où aucune solution de substitution n’est opérationnelle. Une révision de ces dérogations doit également être prévue au bout d’un an.

Nous nous félicitons de l’inscription dans votre plan « biodiversité » de paiements pour services environnementaux, que nous recommandions nous aussi, en particulier pour les exploitants agricoles, afin de les encourager. Sur ce volet, le plan « biodiversité » prévoit 150 millions d’euros payés par les agences de l’eau d’ici 2021, sans attendre les prochaines mesures de la politique agricole commune (PAC).

Vous vous êtes exprimé, par ailleurs, sur l’inscription dans la loi de l’interdiction du glyphosate. Nous recommandons d’engager activement l’exclusion de cette molécule et d’autres, plus toxiques encore, en commençant par les interdire à échéance de trois ans.

La lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité passent enfin par la lutte contre la déforestation importée. Quels sont, monsieur le ministre, les points essentiels de votre stratégie sur le sujet ?

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Je m’efforcerai, mesdames les rapporteures, de n’oublier aucun des nombreux sujets que vous venez d’évoquer.

Sur la compensation, nous devons imposer des normes bien plus précises. J’ai effectivement vu, sur le terrain, des exemples affligeants. Je retiens votre proposition d’instaurer un système d’agréments, elle peut être étudiée. Nous commencerons évidemment par renforcer les contrôles, je mobiliserai pour cela les préfets par une circulaire. C’est d’ailleurs l’objet de l’une des mesures annoncées dans le plan biodiversité.

Quant aux différentes redevances sur lesquelles vous m’interrogez, je ne veux pas dévoiler les discussions en cours, mais j’y suis personnellement favorable. Nous n’avons pas encore abouti à la définition précise de leurs mécanismes, mais leur création semble inévitable.

Sur les néonicotinoïdes et le glyphosate, je pense que notre détermination à commencer à nous passer de toutes ces substances s’est considérablement renforcée. Quant aux néonicotinoïdes, vous savez que seules trois substances étaient interdites au départ, alors que maintenant toutes celles qui ont les mêmes vocations sont soumises à la même interdiction. Quant au glyphosate, je pense que, sauf à être de mauvaise foi, tout le monde a compris que la volonté du Gouvernement est de l’interdire d’ici à trois ans, sauf en cas d’impasse technologique avérée. La plupart des producteurs recourent déjà à des substituts. Non que cela leur soit facile, car cela requiert un changement d’habitudes. Trois ans, c’est à la fois long et court. Quant aux situations où l’on se heurterait à des impasses technologiques, il resterait possible de réduire l’utilisation de ces substances.

Cela vaut pour les agriculteurs, mais aussi pour la SNCF, dont je recevais hier les responsables : elle est une énorme consommatrice de glyphosate. Le problème n’est pas simple, à cause des enjeux de sécurité : il ne suffit pas de tuer les plantes, il faut atteindre leurs racines pour éviter que le ballast ne soit déstabilisé. Vous voyez, en tout cas, que j’associe toutes les parties prenantes dans cette dynamique.

Et je ne doute pas que les recherches en cours, notamment à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), sur le biocontrôle, nous ouvrent prochainement de nombreuses perspectives. Ce qui est intéressant, c’est qu’au-delà du glyphosate, qui est la molécule la plus employée, des efforts considérables sont actuellement accomplis en matière de recherche et de méthodologie sur la dangerosité sanitaire et environnementale d’autres produits. Car une molécule qui ne présente pas de danger pour la santé peut avoir un impact sur l’environnement. Il faut donc appliquer ces deux critères.

La mutualisation des équipes de l’AFB et de l’ONCFS est en cours. Je ne veux pas dévoiler ici des décisions qui seront annoncées prochainement, mais les choses sont en bonne voie. Les moyens de police vont être recentrés, ce qui est une très bonne chose. Mais comme cela fait actuellement l’objet de discussions un peu délicates, notamment avec nos amis chasseurs, afin de déterminer une approche rationnelle du problème, je ne ferai pas d’annonce.

L’accès et le partage des avantages (APA) sont un sujet récurrent, sur lequel nous devons garder la main. En ce qui concerne l’accès aux ressources génétiques, vous savez que les différents formulaires et processus de déclaration et d’autorisation sont opérationnels depuis quelques mois. Une quarantaine de déclarations ont été faites et une demande d’autorisation déposée. Cela répond à l’une des recommandations de votre rapport, visant, si je l’ai bien comprise, à rendre le dispositif opérationnel. Ce dispositif va gagner en lisibilité dans les domaines qui ne sont pas soumis à autorisation – je pense notamment aux espèces cultivées et aux collections. Nous nous sommes efforcés de nous accorder en ce sens avec nos homologues de la santé et de l’agriculture, puisque les trois ministères sont concernés.

Quant aux connaissances traditionnelles associées, vous savez que le dispositif prévoit l’identification d’une personne morale de droit public chargée de représenter les intérêts des communautés. Pour être honnête avec vous, la mise en place du dispositif butte actuellement en Guyane faute qu’un établissement public de coopération environnementale (EPCE) ait encore été créé par les collectivités. Nous attendons que cette étape soit franchie. Et pour éviter de retarder l’application de la loi qui prévoit le partage des avantages, une solution transitoire est à l’étude : elle consisterait à mobiliser le Parc amazonien de Guyane et l’AFB comme personne morale de droit public.

Sur les espèces exotiques, nous avons défini une stratégie que nous devons mettre en œuvre, notamment sur les espèces invasives, qu’elles soient végétales ou animales. Chacun sait le préjudice qu’elles peuvent causer aux espèces autochtones.

Le plan « biodiversité » prévoit notamment, parmi les nombreuses mesures nécessaires pour répondre à des problèmes aussi complexes, l’interdiction de planter ces espèces dans les aménagements publics, puisque les collectivités territoriales et l’État doivent montrer l’exemple.

Parmi vos recommandations se trouve la proposition d’inclure les nouveaux animaux de compagnie (NAC) dans les listes des espèces exotiques envahissantes. Ces listes de niveau 2 sont celles des espèces exotiques dont l’introduction, le transport et la détention sont déjà réglementés. Mais elles ne reprennent, à ce stade, que les espèces réglementées au niveau européen. Des espèces considérées comme des NAC y figurent déjà : je pense notamment aux fameuses tortues de Floride ou aux écureuils. La détention d’animaux non domestiques est par ailleurs soumise, vous le savez, à la réglementation sur la faune sauvage captive, qui impose, le cas échéant, d’obtenir une autorisation d’ouverture ou un certificat de capacité, voire les deux.

Tout cela est en cours de révision pour mieux encadrer les pratiques relatives à ces espèces, et l’AFB travaille actuellement à l’élaboration d’une liste d’espèces invasives prioritaires, tant animales que végétales, pour lesquelles la pertinence de la réglementation doit être discutée.

Quant aux plastiques, le moment est venu, avec les mesures inscrites dans la feuille de route sur l’économie circulaire et celles du plan « biodiversité », d’engager une guerre radicale. Nous devons, à terme, éradiquer les plastiques, en tout cas ceux qui ne sont pas recyclables. Ils constituent une plaie absolue. Nous avons atteint 260 millions de tonnes de plastiques, dont plus de 80 % se retrouvent dans les océans. Non pas, comme on le croyait, sous la forme d’un continent solide, mais d’une soupe indigeste dont le ramassage est très difficile. Sur l’aval, je ne sais pas comment nous ferons, mais il faut vraiment que les moyens nécessaires soient consacrés au traitement du problème en amont. L’objectif de zéro plastique à l’océan en 2025 doit vraiment être tenu. Nous devons pour cela travailler avec les industriels, en commençant bien sûr par la concertation. Mais s’il faut ensuite en passer par la réglementation et durcir les contraintes, nous le ferons, sans quoi nous ne tiendrons pas nos objectifs.

Quant au financement du plan « biodiversité », on a parlé de deux fois 300 millions d’euros. Mais les chiffres – le Premier ministre avait raison de répondre en ce sens à la question d’une journaliste – ne veulent pas dire grand-chose. L’État et les collectivités locales n’ont pas attendu ce plan pour consacrer chaque année 1,5 milliard d’euros à la protection de la biodiversité. Si vous y ajoutez les financements européens et l’action des acteurs privés, on arrive à des sommes considérables. Des outils comme le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) représentent également des montants importants, qui s’ajoutent à la contribution française à de nombreux financements internationaux, comme le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) ou l’aide mise en place par l’Agence française de développement (AFD). Le Gouvernement s’est également engagé, avec ce plan, à augmenter le financement des projets internationaux en faveur de biodiversité, en plus des 300 millions d’euros par an.

Nous devons bien sûr être attentifs à l’affectation de cette enveloppe. Les services environnementaux, dont vous parliez, représentent à mon avis un dispositif très important. Nous devons profiter du temps qui nous sépare de la révision de la PAC pour tester leur fonctionnement. Les agriculteurs doivent être des acteurs rémunérés de la lutte contre l’érosion de la biodiversité. L’espoir de traverser un jour des plaines de Beauce zébrées de haies n’est pas chimérique mais, pour qu’il se réalise, il va falloir que les agriculteurs y trouvent leur compte. Cela contribuera à la diversification de leurs revenus, qui les soulagera d’inquiétudes récurrentes et les portera à un état d’esprit et à des pratiques agricoles différentes.

Je m’attacherai évidemment à faire partager notre vision, et je serai très vigilant sur l’usage du levier décisif que constituera la politique agricole commune : ses effets peuvent aussi bien être positifs que dévastateurs.

Mme Sophie Panonacle. Monsieur le ministre d’État, les peintures dites antifouling ou anti-salissures sont souvent dénoncées en raison de la présence de substances polluantes dans leur composition. Ces peintures libèrent en effet des biocides visant à empêcher la prolifération d’algues et de coquillages sur les coques des bateaux.

L’Union européenne est de plus en plus attentive à la composition des antifouling. Les substances autorisées sur le marché sont régulièrement révisées et certaines, comme l’irgarol, sont interdites. Des solutions alternatives à l’usage de ces peintures sont à l’étude. J’ai organisé, au mois de mars dernier, une table ronde sur le bassin d’Arcachon, et je sais que les acteurs sont très attentifs à ce sujet et prêts à travailler ensemble.

Une campagne de sensibilisation est d’ailleurs prochainement envisagée par le syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon sur notre territoire. Alors que le rapport d’application de la loi « biodiversité » appelle à renforcer les mesures de protection des océans, l’AFB ne pourrait-elle pas superviser le développement de nouvelles solutions plus écologiques, avec des procédés non polluants pour le milieu aquatique ?

M. Fabrice Brun. Ma question portera sur la pollution de l’eau de nos mers et de nos océans par les déchets plastiques, qu’il s’agisse d’amas de déchets flottants ou de microparticules invisibles que l’on retrouve dans la chaîne alimentaire. Je pense en particulier à la Méditerranée, à laquelle je suis particulièrement attaché, comme mon accent le laisse sans doute deviner. Je voudrais savoir, monsieur le ministre d’État, quelle action vous envisagez au niveau international, avec tous les pays du pourtour méditerranéen, pour éradiquer les plastiques, qui sont les premiers prédateurs de nos mers et de nos océans.

Mme Aude Luquet. Je voudrais, monsieur le ministre d’État, introduire mon propos en citant Barry Commoner, biologiste américain, qui disait que la première règle de l’écologie est que les éléments sont tous liés les uns aux autres. C’est sur ce lien entre les différents enjeux écologiques que j’aimerais vous interroger. Il nous faut aujourd’hui faire preuve, pour préserver la biodiversité, d’une volonté égale à celle avec laquelle nous menons la lutte contre le changement climatique. Ces deux causes apparaissent comme complémentaires et indissociables. Pensez-vous, par conséquent, qu’elles soient suffisamment liées entre elles pour que l’une n’ait pas un impact négatif sur l’autre, à l’image par exemple des barrages hydroélectriques ou de l’exploitation de la biomasse végétale, qui peuvent peser sur les écosystèmes ? Comment prendre en compte pleinement, en amont, les enjeux de la biodiversité dans le développement à grande échelle des énergies renouvelables ? Jugez-vous, enfin, que les moyens financiers et matériels accordés à la préservation de la biodiversité soient à la hauteur de ceux alloués à la lutte contre le changement climatique ?

M. Guy Bricout. Je tiens d’abord à vous féliciter, monsieur le ministre d’État, car vous ne lâchez rien et vous souhaitez plus que jamais faire avancer le dossier de la biodiversité, sans vous laisser freiner par les différentes mesures qui, jusqu’à maintenant, n’ont pas suffisamment porté leurs fruits.

J’aimerais vous rassurer : pour reprendre l’une de vos expressions récentes qui avait particulièrement frappé les esprits, tout le monde ne « s’en fout » pas. Mais ce sont souvent les acteurs les moins visibles sur le devant de la scène qui font la plus grande partie du travail. J’en veux pour preuve nos territoires, où les acteurs de terrain ne cessent d’œuvrer en faveur de la biodiversité. Je me félicite, par exemple, de la réflexion que nous conduisons actuellement dans le Cambrésis en vue de créer un nouvel espace naturel sensible pour protéger les nombreuses espèces qui font la richesse de notre territoire.

Je suis donc ravi, monsieur le ministre, que votre nouveau plan donne à nos territoires toute la place qu’ils méritent pour cette reconquête de la biodiversité. Je souhaiterais savoir comment vous comptez intégrer cela à votre plan d’action, et notamment comment ils seront associés au comité de pilotage interministériel.

M. Christophe Bouillon. Il existe, monsieur le ministre d’État, une espèce qui ne risque pas de disparaître : celle des plans non suivis d’effet. Votre plan pour la biodiversité n’en fera pas partie, à condition, bien sûr, que soit adopté un principe de cohérence, notamment sur la question de la lutte contre l’artificialisation des sols.

Vous connaissez le travail mené par M. Philippe Duron dans le cadre du conseil d’orientation des infrastructures. Une loi de programmation doit, d’ici quelques mois, déterminer le développement futur de ces infrastructures routières et ferroviaires. Cela représente, vous l’imaginez, beaucoup d’artificialisation de sols. Je souhaiterais savoir comment vous allez veiller, d’ici-là, à ce que la compensation, évoquée tout à l’heure, soit effective. En Seine-Maritime, par exemple, le projet de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) doit faire disparaître 400 hectares entre Yvetot et Rouen, sans que l’aspect compensation corresponde au calendrier de ce projet.

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Malheureusement, monsieur le député, cet exemple n’est pas un cas isolé. Tout en parlant de compensation, on n’a pas suffisamment pris la mesure de la tâche. Mais on apprend à marcher en marchant. Les difficultés sont de plusieurs ordres : la compensation d’une zone humide, par exemple, est compliquée, de même que celle d’un écosystème.

Cela montre que nous devons travailler sur les indicateurs, être plus exigeants et, comme je le disais tout à l’heure, être beaucoup plus vigilants sur les contrôles. Je pense que, pour les projets d’aménagement à venir, il faudra mettre la barre un peu plus haut. Je souhaite que nous nous engagions, à l’avenir, dans une démarche que j’appelle de « compensation positive » : pour 1 000 mètres carrés de zone humide dégradés, on en restaurerait 2 000. Certains aménageurs peuvent vraiment se le permettre. C’est d’ailleurs ce qui se fait dans d’autres pays.

Sur l’état de la Méditerranée, je vous invite à lire le rapport récemment présenté par un sénateur, dont je regrette que le nom m’échappe. Il n’est pas réjouissant. J’ai donc l’intention de prendre, l’année prochaine, une initiative régionale, avec les pays du bassin méditerranéen. Car la convention de Barcelone est en déshérence. Ce rapport sénatorial contient un chiffre qui m’a frappé : si l’on voulait, selon lui, évaluer la dangerosité pour la Méditerranée des molécules chimiques qui y sont déversées, cela prendrait, à moyens constants, 50 millions d’années. L’auteur s’est concentré sur les 30 000 molécules identifiées par le règlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques – Registration, Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals (REACH) – et considère que l’on n’a été capable de mesurer l’impact que de 2 % d’entre elles.

S’y ajoutent les divers autres impacts que subit la Méditerranée. Car, même si on ne le sait pas toujours, son taux de salinité, par exemple, est en train de changer, alors que la survie de nombreux organismes en dépend. Elle est particulièrement affectée par le réchauffement, puisque c’est une mer qui ne se renouvelle qu’à l’échelle d’un siècle. Et certains pays – que je ne nommerai pas – traitent encore la Méditerranée comme le réceptacle de toutes leurs eaux usées et de tous leurs déchets. Nous devons donc prendre une initiative, que j’ajouterai aux initiatives diplomatiques de l’année prochaine en Méditerranée.

En attendant, comme vous l’avez dit, nous devons commencer par renforcer nos propres exigences. C’est pour cela que l’objectif de zéro plastique en 2025 donnera lieu, dans un premier temps, à une démarche incitative, puis à une démarche réglementaire. Nous devons être d’autant plus exigeants sur ce point que nous accueillerons en 2020 le congrès mondial de l’UICN à Marseille. Je veux donc renforcer et rendre bien plus contraignante la réglementation contre toutes les pollutions diffuses qui finissent dans les océans.

Sur les antifouling, j’observe que les ports ont tout de même fait, depuis quelques années, de grands efforts : l’époque où l’on faisait le carénage des bateaux sur un bout de quai, sur une plage ou sur une vasière semble à peu près révolue. La plupart des ports sont maintenant équipés de zones où l’on peut enlever les antifouling en récupérant les eaux usées. Nous devons certes aller plus loin. Il est amusant, d’ailleurs, que vous me parliez de ce sujet, car lors des questions au Gouvernement, un député dont, hélas, le nom m’échappe, mais dont je conserve précieusement la lettre, m’a dit qu’il existe maintenant des substituts aux antifouling beaucoup moins nocifs. Nous devrons évidemment les évaluer.

Toutes les substances actives, comme celles contenues dans les peintures, font d’ailleurs l’objet d’un règlement depuis 2012. Certaines sont interdites, mais ces interdictions doivent peut-être être étendues.

Vous me dites, monsieur Guy Bricout, que le plan pour la biodiversité doit s’appuyer sur les territoires. C’est une évidence. Je sais pouvoir compter sur les collectivités, les départements et les régions, qui ont répondu très rapidement, à quelques exceptions près, à la décision de créer des agences régionales de la biodiversité. Je crois qu’une dynamique est en train d’émerger, et c’est pour cela que le plan « biodiversité » est arrivé au bon moment. Nous devons évidemment nous efforcer d’accompagner les nombreuses collectivités qui se sont engagées en ce sens, d’ici à 2022.

Sur les énergies renouvelables et la biodiversité, l’une des principales missions de M. Sébastien Lecornu a été, vous le savez, d’organiser des groupes de travail qui vont nous permettre de jumeler les deux objectifs de reconquête de la biodiversité et de développement des énergies renouvelables. Le Comité national de l’eau, qui veille notamment à la continuité écologique des cours d’eau, prépare par ailleurs un ensemble de préconisations.

M. Jean-François Cesarini. Pour le Gouvernement, tout semble prioritaire : la lutte contre le changement climatique, la lutte contre la pollution de l’air, le passage à 50 % d’énergie nucléaire, etc. Le problème, c’est que lorsque tout est prioritaire, plus rien ne l’est réellement. On l’a vu sur l’augmentation du CO2 en 2017 : lorsque l’on consomme moins de diesel, on consomme davantage d’essence, donc il y a davantage de particules fines, même s’il y a moins de CO2, etc.

Nous parlons de biodiversité : qu’en est-il des chauves-souris et des oiseaux, notamment des passereaux en migration et des rapaces nicheurs, qui sont tués par les éoliennes ? Est-ce qu’à force de vouloir tout résoudre simultanément, on ne rate pas justement quelques priorités hiérarchisées ? « Gouverner, c’est choisir », disait Pierre Mendès France, mais « entre deux mauvaises solutions ».

M. Gérard Menuel. Ma question, monsieur le ministre d’État, porte sur la déforestation importée et ses conséquences sur la biodiversité chez nous. La biodiversité en agriculture passe par des assolements diversifiés, des rotations plus longues, avec du colza, du tournesol, des protéines, et j’en passe.

Or, entre l’ester argentin et l’huile de palme indonésienne, importée notamment par Total à La Mède à raison de près de 1 000 tonnes par jour, les productions locales sont menacées, et avec elles des unités de transformation – je pense à celle du Mériot, dans ma circonscription de l’Aube, qui est aujourd’hui en arrêt partiel. Comment entendez-vous peser, monsieur le ministre d’État, afin de limiter les importations d’huile de palme, par exemple, qui proviennent de terrains déforestés, avec des conséquences prévisibles sur les assolements dans notre agriculture ?

M. Bertrand Pancher. Deux articles de presse très intéressants sont parus aujourd’hui, monsieur le ministre d’État : l’un de Jean-Marc Vittori dans Les Échos, l’autre de Guillaume Guichard dans Le Figaro. Ils disent tous deux à peu près la même chose : en matière d’environnement, il faut des règles, des normes puissantes, et l’on attirera les moyens pour changer les choses.

Malheureusement, le patrimoine naturel, c’est-à-dire le foncier non bâti, ne vaut rien, et est de plus en plus taxé. C’est un paradoxe. Avec la cotisation sociale généralisée (CSG), la taxation du foncier non bâti s’élève à 62,2 %, alors que la fiscalité sur le patrimoine mobilier a été ramenée à 30 %. La taxation de la plus-value immobilière a également augmenté, et l’on a créé, de surcroît, un nouvel impôt sur la fortune immobilière (IFI). Pensez-vous que des arbitrages soient possibles dans le projet de loi de finances pour 2019 ?

À défaut, ne jugez-vous pas nécessaire qu’une mission travaille sur la rentabilité du foncier non bâti, qui est indispensable, sur le statut du fermage, sur les moyens pour les propriétaires bailleurs d’imposer une vocation environnementale à des parcelles qu’ils louent, sur la manière, enfin, de redonner un minimum de rentabilité à ce type d’investissement, plutôt que de le laisser absorber, à vil prix, par l’étalement urbain ?

M. Gabriel Serville. Vous venez d’affirmer, monsieur le ministre d’État, que des moyens adéquats devaient être mis au service des objectifs que nous nous sommes fixés. Vous rappelez aussi qu’il y a urgence à agir. Faut-il préciser que, sur les deux registres de la biodiversité et de la disponibilité de la ressource en eau, la Guyane se place parmi les premiers des classements mondiaux ?

Il est toutefois utile de rappeler que ce territoire absorbe déjà chaque année près de 13 tonnes de mercure issu de l’orpaillage illégal, et que nous nous orientons, de surcroît, vers le déversement de 47 000 tonnes de cyanure, sur les deux ans à venir, du fait du fameux projet « Montagne d’or ».

Je m’interroge dès lors sur l’utilité et la pertinence des rapports et des plans qui en découlent, tant ils demeurent inefficaces, car totalement inappliqués. J’entends l’embarras du Gouvernement, monsieur le ministre, mais le sujet est si grave que je vous invite à convaincre le Président de la République de renoncer purement et simplement à ce projet. Ce n’est pas une question, c’est une invitation.

Mme Delphine Batho. Je souhaitais, moi aussi, vous interroger, monsieur le ministre d’État, sur la « Montagne d’or », et vous demander si vous aviez bon espoir d’être entendu sur ce sujet. La question vous ayant été posée, je voudrais revenir sur la disposition d’interdiction des néonicotinoïdes, d’initiative parlementaire, qui entrera en vigueur au 1er septembre prochain.

Je voulais vous alerter sur le fait que, malgré nos questions, notamment à votre collègue de l’agriculture, nous n’avons pas d’informations sur l’arrêté interministériel qui doit être publié, sur la base du rapport de l’ANSES, au sujet des dérogations à l’interdiction des néonicotinoïdes. Or, nous avons lieu de craindre que des dérogations soient accordées pour de grandes cultures, d’autant que, depuis le vote de la loi interdisant les néonicotinoïdes, des études accablantes sont parues sur l’impact de ces substances sur les pollinisateurs. Je sais que vous en êtes amplement convaincu. Ma question est donc la suivante : sait-on dans quels délais cet arrêté interministériel sera publié, et quel est son contenu ?

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous m’interrogiez, monsieur Gabriel Serville, sur le projet de mine d’or en Guyane. J’ai tendance à penser que la démonstration de l’inutilité et de la démesure de ce projet se fera d’elle-même. Mais – je le dis sans aucune provocation – ce projet n’est pas tombé du ciel : il a été voulu par un certain nombre de responsables guyanais. J’aimerais donc que le débat et l’instruction en cours permettent à ces élus de se rendre compte que le projet est démesuré, et n’apportera pas les bénéfices sociaux et encore moins économiques qu’on lui a prêtés sur le papier.

Je serai, pour ma part, totalement mobilisé pour faire en sorte que, comme dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, les parties prenantes comprennent d’elles-mêmes, spontanément, que le projet est inadapté. Lorsque l’État et les acteurs se rendront compte de son coût pour les citoyens, et notamment de la nécessité d’investir plusieurs centaines de millions d’euros pour le raccordement électrique de la mine, les arguments économiques vont fondre comme neige au soleil.

Je ne suis pas opposé par principe aux mines d’or ; on ne peut pas multiplier les interdictions en Guyane, vous êtes bien placé pour le savoir. Mais il s’agit en l’occurrence d’un projet en trompe-l’œil, dont le peu de bénéfices ne profitera pas à nos concitoyennes et nos concitoyens. Vous le savez, un débat est actuellement en cours. Il est d’ailleurs regrettable que les partisans du projet ne participent pas à la consultation organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP). Le débat s’en trouve tronqué, alors qu’il aurait été utile de confronter les arguments des uns et des autres. Mais vous connaissez mon sentiment sur ce projet, et mon implication, même si elle me conduit parfois à agir dans l’ombre plutôt que dans la lumière.

Sur la déforestation importée, est-il nécessaire de rappeler la genèse de la situation ? Je me serais bien passé, au moment de la gestation du plan « biodiversité », de l’épisode de La Mède. Il m’était certes possible d’opter pour un contentieux avec Total, en risquant de mettre 250, 350, ou 450 personnes au chômage. Mais, vous le savez, l’État s’était engagé : le précédent gouvernement avait demandé à Total de transformer cette raffinerie en bioraffinerie, moyennant quoi elle pourrait continuer à fonctionner, de manière à sauver quelques centaines d’emplois. Total a rempli ses obligations.

Héritant de cette situation, j’ai tout de même négocié avec Total, et obtenu, que soit divisé par deux le volume d’huile de palme importée. On m’a garanti, en outre, qu’elle proviendrait d’une exploitation durable. Je sais, malheureusement, qu’une telle garantie, même de bonne foi, ne peut être vérifiée, et je ne crois pas que l’exploitation durable de l’huile de palme soit véritablement possible. Mais c’est un autre débat.

Je signale en passant que les détracteurs les plus vociférants de ce projet n’étaient pas très éloignés d’un groupe qui utilise massivement l’huile de palme dans son biocarburant. Total n’a pas le monopole de cette importation. Mais l’essentiel est que nous y mettions fin dans un délai raisonnable.

Il est donc important que la France ait obtenu, avec le soutien d’autres pays, un accord au niveau européen. Nous y sommes parvenus il y a dix jours, après de longues négociations. L’incorporation d’huile de palme sera plafonnée en 2019, réduite à partir de 2023, et à partir de 2030, il n’y aura plus ni soja ni huile de palme dans les biocarburants. Nous nous orientons ainsi – et c’est le plus important – vers l’abandon complet de l’incorporation dans les biocarburants de produits contribuant à la déforestation.

Quant aux néonicotinoïdes évoqués par Mme Delphine Batho, l’interdiction entrera en vigueur le 1er septembre, et l’arrêté interministériel sera pris avant. Ce qui est important, et j’y veillerai, même si les décisions ne m’appartiennent pas exclusivement, c’est d’être ferme sur les dérogations. Elles constituent une boîte de Pandore, et doivent être très fortement encadrées. D’autant plus que, comme vous le disiez, on découvre une situation de plus en plus désastreuse. Je suis allé l’autre jour écouter les apiculteurs venus manifester aux Invalides, notamment ceux de Bretagne. Je pense d’ailleurs que, si les néonicotinoïdes sont bien en cause dans la situation qu’ils dénoncent, d’autres facteurs doivent aussi être pris en considération.

Sur le sujet évoqué par M. Bertrand Pancher, nous comptons faire travailler le comité pour l’économie verte, afin d’identifier des pistes en matière de fiscalité écologique. C’est un domaine dans lequel nous avons tout à faire. Quelqu’un – que je ne nommerai pas – a commis un lapsus l’autre jour, et a parlé du ministre de la transition « écologique et solitaire ». Tout le monde a ri. Solitaire, je ne le suis pas, j’en ai la confirmation quand je me trouve parmi vous, mais, sur certains sujets, j’ai encore des démonstrations à faire. Or je pense que la fiscalité écologique, dès lors qu’elle n’est pas seulement punitive, mais incitative, dissuasive, qu’elle s’applique de manière progressive et adaptée aux comportements, est un levier important. Nous devons donc ouvrir un vrai chantier de réflexion, où les contributions des uns et des autres seront précieuses.

Sur le foncier agricole, M. Stéphane Travert et moi sommes d’accord sur des objectifs communs : nous devons changer son statut, inverser la consommation et faire en sorte que, à la fin d’une carrière agricole, le foncier agricole ne disparaisse pas.

Quant aux priorités de notre action, monsieur Jean-François Cesarini, notre idée est de poursuivre conjointement les deux objectifs. Je ne peux pas rester insensible à la perspective que l’on installe un champ d’éoliennes sur la trajectoire d’oiseaux migrateurs. On me dit qu’il existe des technologies permettant de suspendre la rotation à l’approche de chauves-souris. C’est à vérifier. Mais je tiens compte du problème. Notre action se heurte à suffisamment de résistances, parfois justifiées, parfois non, mais celle-là l’est. Car il ne s’agit pas de déplacer un problème pour en créer un autre, et les oiseaux n’ont pas besoin d’un fléau supplémentaire.

Cela me fait d’ailleurs penser à un sujet sur lequel il est important que nous travaillons ensemble : la pollution lumineuse. Le plan « biodiversité » comporte quelques mesures pour la combattre, mais nous devons aller beaucoup plus loin pour en protéger les insectes et les oiseaux. On n’a absolument pas conscience des effets désastreux de cette pollution. Or il y a là des marges de manœuvre, notamment en matière de consommation d’énergie : c’est une affaire de simple bon sens. Mais comme le bon sens ne suffit pas, il faudra peut-être, là aussi, en passer par un règlement.

Mme la présidente Barbara Pompili. Peut-être faudra-t-il aussi s’intéresser à la proposition de loi préparée, sur ce sujet, par le Parlement des enfants : elle contient beaucoup de bonnes idées. Nous passons maintenant à la troisième série de questions.

M. Yannick Haury. Je salue, monsieur le ministre d’État, l’ampleur de votre plan pour la biodiversité, et particulièrement votre engagement fort de fixer des délais pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette.

L’artificialisation des sols représente la consommation d’une superficie équivalente à un département français tous les dix ans. Elle nuit à la biodiversité, aggrave les risques d’inondation, mais elle a aussi des conséquences financières importantes pour les collectivités locales, contraintes d’adapter leurs réseaux insuffisamment dimensionnés pour collecter les eaux pluviales.

Vous souhaitez imposer que les nouveaux parkings soient perméables, afin de favoriser l’infiltration des eaux dans le sol. Y aura-t-il des seuils, ou des surfaces minimales pour que cette obligation s’applique ? Au-delà de la question des parkings et des zones commerciales, qu’envisagez-vous pour encourager la perméabilisation des sols, et pour que le maximum d’eau retourne à la terre ?

M. Emmanuel Maquet. Depuis votre entrée en fonctions, vous semblez actif et sincère, monsieur le ministre d’État, dans votre volonté de piloter une transition écologique et énergétique pour la France. Il reste cependant de nombreux sujets sur lesquels l’action semble parfois en contradiction avec vos affirmations. Je voudrais ainsi vous interpeller, à mon tour, sur la nécessité de concilier transition énergétique et protection de la biodiversité.

Vous venez par exemple d’autoriser l’implantation, en plein cœur d’un parc naturel marin, d’un parc d’éoliennes offshore de 62 machines. On nous dit qu’il s’agit de produire une énergie respectueuse de l’environnement, mais cette implantation sera particulièrement destructrice de la biodiversité de nos fonds marins. Je voudrais savoir, monsieur le ministre, comment vous comptez concilier une politique écologique de restauration de la biodiversité avec le développement des énergies renouvelables.

M. Guillaume Garot. En matière de biodiversité, comme dans l’ensemble des politiques de préservation de notre planète, il faut de la continuité et beaucoup de volontarisme. On sait l’importance des résistances et des freins qui s’opposent à cette action. Pour agir fort, vous l’avez dit, monsieur le ministre d’État, il faut de la transversalité entre les différents ministères. On voit bien que le combat n’est jamais terminé, comme le montre l’exemple récent du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN) et les remises en cause de la loi « littoral ».

Il faut aussi des moyens, et je voudrais vous interroger sur ceux dévolus à l’AFB. Nous avons besoin d’être assurés de votre détermination à obtenir, dès le prochain projet de loi de finances, les moyens nécessaires au bon fonctionnement de cette agence. Des moyens qui soient pérennes, bien sûr, mais aussi des moyens humains qui soient suffisants.

M. Ludovic Pajot. Monsieur le ministre d’État, le rapport sur l’application de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages comporte un volet relatif aux produits phytopharmaceutiques qui contiennent, pour bon nombre d’entre eux, des perturbateurs endocriniens. Sur ce point, vous déclariez il y a plusieurs mois que vous ne céderiez rien. Vous avez pourtant voté en faveur du texte présenté par la Commission européenne sur la nouvelle définition des perturbateurs endocriniens, qui avait été refusée pendant de nombreux mois par la France.

Les perturbateurs endocriniens sont présents dans de nombreux produits phytopharmaceutiques, mais également dans des plastiques, des cosmétiques ou, plus grave, dans certains médicaments. Même le Parlement européen, pourtant lieu de lobbying par excellence, a rejeté la nouvelle définition de ces perturbateurs endocriniens, que la Commission voulait imposer. Quelle mesure concrète comptez-vous donc mettre en œuvre, monsieur le ministre d’État, pour assurer un réel équilibre entre la défense de notre secteur économique, notamment agricole, et l’indispensable protection de l’environnement ?

Mme Laurence Gayte. Ma question, monsieur le ministre d’État, porte sur la transition agro-écologique. Depuis plusieurs années, le monde agricole s’est saisi de l’enjeu que constitue la biodiversité. Quelles mesures concrètes préconisez-vous pour mobiliser les agriculteurs et faire de l’agriculture une alliée de la biodiversité, en accélérant la transition agro-écologique ? Quels pourraient être, selon vous, les freins, les résistances à cette transition ? Avez-vous prévu des supports d’information et de formation que nous pourrions populariser, nous les parlementaires, sur nos territoires, auprès de toutes les personnes concernées, notamment les agriculteurs ?

M. Jean-Yves Bony. Nous ne pouvons que nous féliciter, monsieur le ministre d’État, du vaste plan que vous avez annoncé, un plan qui a pour ambition la reconquête de la biodiversité, et qui vise à mettre un terme à l’artificialisation, à réduire l’usage des pesticides et à rétribuer les agriculteurs pour les services qu’ils rendent.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le rôle que vous comptez voir jouer par les agriculteurs ? Car il serait regrettable, et dommageable pour notre agriculture, qu’elle subisse de nouvelles contraintes et se voie imposer de nouvelles normes, souvent pénalisantes dans la concurrence sur les marchés. Je pense notamment aux futurs accords de libre-échange. Certains pays d’Amérique du Sud, par exemple, ne satisfont à aucune norme européenne ou française, tant sur le plan sanitaire qu’alimentaire ou environnemental. J’aurais donc voulu connaître votre position sur ce sujet. Comment comptez-vous accompagner nos agriculteurs, en conciliant économie et biodiversité ?

M. Stéphane Buchou. Monsieur le ministre d’État, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a pour ambition de valoriser notre patrimoine naturel pour faire de la France le pays de l’excellence environnementale.

Dans ce cadre, l’érosion côtière est un véritable enjeu. Très mobilisé sur le problème du recul du trait de côte, j’ai été interpellé sur ce sujet par de nombreux responsables publics. Ils sont confrontés à une double exigence : faire coexister les divers usages du littoral et concilier intérêts économiques et environnementaux sur une zone maritime.

C’est notamment le cas avec l’extraction des granulats marins au large de nos côtes, dans des espaces aux enjeux multiples en termes d’impact sur l’écosystème marin et ses fonctions écologiques. Bien que les différentes études sur les incidences de ces projets n’aient pas montré avec certitude des impacts réels sur le milieu naturel et sur l’érosion maritime, de nombreux spécialistes – je pense en particulier à M. Christian Buchet – s’accordent pour dénoncer une activité écologiquement peu responsable et ayant une influence sur l’écosystème du littoral. Dès lors, monsieur le ministre d’État, comment accompagner les opérateurs, dont les efforts sont indéniables, mais encore insuffisants, vers une filière de recyclage qui permette à cette activité de s’inscrire durablement dans une économie circulaire de la construction ?

M. Vincent Descœur. Monsieur le ministre d’État, l’axe 3 de votre plan traite de la lutte contre les espèces invasives qui constituent, vous l’avez rappelé, une menace pour la biodiversité, parce qu’elles prennent la place d’espèces autochtones, ou parce que leur arrivée s’accompagne de la mise en danger d’espèces existantes.

Je voulais vous interroger sur la pyrale du buis, dont la chenille est responsable de la disparition de forêts de buis naturel, mais aussi de massifs et de haies de nombreux monuments historiques.

Cet exemple soulève plus largement la question de l’appréciation du niveau de risque, question déjà posée dans le rapport sur la prévention des risques par notre collègue M. Fabrice Guérin. Pouvez-vous nous en dire plus sur la hiérarchisation des risques et des priorités de lutte, et bien sûr sur les moyens mobilisables, tant pour encourager la recherche que pour mettre en œuvre une lutte efficace ?

M. Loïc Dombreval. Je veux vous interroger, monsieur le ministre d’État, sur la manière dont on peut lier économie et biodiversité. La préservation de la biodiversité peut être une opportunité de développement économique et, si c’est le cas, c’est probablement un très bon moyen de stimuler, de faire comprendre et d’améliorer la protection de cette biodiversité.

Dans le département des Alpes-Maritimes, dont je suis l’un des élus, vous avez choisi de retenir un contrat de transition écologique sur le thème de la biodiversité qui sera lancé à l’automne, et qui visera à faire de la biodiversité un levier d’attractivité du territoire. L’ensemble des acteurs sera mobilisé pour construire un territoire où l’économie de la biodiversité permettra un développement harmonieux. Comment, et par quel type d’actions concrètes, pensez-vous que la biodiversité puisse également être un levier de développement économique et contribuer à la création d’emplois ?

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Sur les perturbateurs endocriniens, monsieur Ludovic Pajot, je ne partage pas du tout votre analyse. Nous nous trouvions dans une situation complètement bloquée, tout simplement parce qu’il n’y avait pas de définition générale des perturbateurs endocriniens. Or nous en avions besoin pour surveiller ces substances et éliminer progressivement les plus dangereuses. Grâce à la France, nous avons réussi à avancer et nous sommes désormais en mesure de mieux connaître ces substances et d’exclure les plus dangereuses.

Sur la compatibilité entre les éoliennes offshore et la biodiversité – mais la question vaut également pour les éoliennes terrestres évoquées tout à l’heure –, ma réponse est que les unes ne doivent pas se faire au détriment de l’autre. Ces équations sont évidemment difficiles. Il est important de prendre des précautions, mais regardons ce qui s’est fait à l’étranger, puisque nous n’avons encore implanté en France aucun mât d’éolienne offshore.

Je note au passage que si j’avais tenu compte des préconisations des uns et des autres, j’aurais remis à plat les six projets offshore, parce qu’ils n’ont pas forcément été établis dans les règles de l’art. Mais leur réalisation en aurait été retardée de dix ou douze ans et les scénarios de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en auraient été fortement limités. Il faudra en tirer des enseignements pour les prochains, parce que je me demande parfois comment le zonage a pu être fait. Si, dans certaines zones, les éoliennes avaient été placées un peu plus à l’ouest, elles n’auraient pas été sur des zones de pêche ; dans d’autres, on aurait pu éviter de mordre sur des parcs nationaux, etc.

L’idée que les éoliennes soient incompatibles avec le cahier des charges d’un parc marin mérite d’être débattue. Pour moi, ce n’est pas forcément inconciliable. Quand on regarde ce qui s’est passé à l’étranger, les impacts sur les ressources halieutiques et sur la biodiversité n’ont pas été établis, pour l’instant, de manière probante. Je ne veux pas sacrifier l’une aux autres, mais nous avons dû faire certains choix pour lancer la filière.

Les opérateurs concernés ont vraiment revu à la hausse leur cahier des charges sur l’étape de l’installation. Car il y a deux impacts : celui des travaux d’installation, et celui, à long terme, de l’activité des éoliennes. Je pense que nous avons fait le maximum. Je ne veux sous-estimer ni surestimer l’un ni l’autre, je ne dis pas qu’ils seront neutres, bien entendu, mais nous avons des équations à résoudre, et la biodiversité est affectée aussi par l’usage des énergies fossiles. Nous allons d’ailleurs fermer quatre ou cinq centrales à charbon, dont l’effet sur la santé et sur la biodiversité n’est pas neutre non plus. Des choix devaient être faits. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que notre fonction nous y oblige, quitte parfois à opter pour les moins mauvais choix.

Quant à l’agriculture, l’alignement des planètes a rarement été aussi favorable à une transformation profonde de nos modèles agricole et alimentaire.

Il y a d’abord un marché, du fait d’une forte demande sociétale de produits de qualité et de proximité qui n’est pas couverte, même par la croissance impressionnante des coopératives bio. Leur situation a un peu changé parce que la grande distribution a pris quelques parts de marché, mais leur croissance atteignait récemment encore 30 %, et doit être aujourd’hui de 16 % ou 17 %. Outre le bio, tout un ensemble de pratiques agro-écologiques vient renforcer ce premier facteur favorable.

Deuxièmement, si nous voulons une agriculture qui contribue à la lutte contre le changement climatique, nous devons cesser de nourrir notre bétail de protéines végétales produites au détriment de la forêt amazonienne. Il nous faut donc un plan de production de protéines végétales beaucoup plus ambitieux que celui dont nous disposons aujourd’hui.

Vous connaissez, troisièmement, l’objectif, fixé lors des États généraux de l’alimentation (EGA), de 50 % de repas de qualité et de proximité dans la restauration collective, avec au moins 20 % d’aliments issus de l’agriculture biologique. J’ai tendance à penser que ce sera un levier très structurant, et que nous pourrons probablement aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin.

Comme je le disais tout à l’heure, la transition énergétique, la lutte contre le changement climatique et la lutte contre l’érosion de la biodiversité vont de pair. Si nous faisons en sorte que les agriculteurs en deviennent des acteurs et diversifient ainsi leurs revenus, cela contribuera encore à un contexte propice à cette mutation. Les jeunes agriculteurs sont demandeurs, à partir du moment où on les aide. Nous allons donc mettre en place les services environnementaux. Mais l’important sera de nous concerter pour utiliser au mieux ce levier très puissant de la politique agricole commune. Nous avons vraiment les moyens d’accélérer cette transition et de la mettre au service de l’intérêt général.

Sur les accords commerciaux, monsieur Jean-Yves Bony, j’ai suffisamment dénoncé l’incohérence qui existe entre certains d’entre eux – dont le plus actuel, en particulier – et les engagements climatiques de la conférence de Paris. Vous avez raison d’attirer l’attention sur ce point essentiel. Car rien ne nous est épargné, et nos acteurs économiques et nos agriculteurs se voient imposer des distorsions de concurrence. Nous devrons donc être très vigilants. J’espère que les choses seront plus faciles pour les traités à venir que pour ceux dont la ratification est en cours. Je pense notamment au Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) avec le Canada, sur lequel, toutefois, je rappelle que le Parlement aura le dernier mot.

Je souhaite en tout cas, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, que l’accord de Paris devienne une clause essentielle des traités commerciaux à venir. Quant à la mise en œuvre du CETA, nous verrons, en fonction des préconisations du rapport remis récemment, s’il peut être considéré comme compatible avec nos engagements sur le climat.

Vous évoquiez, monsieur Loïc Dombreval, les contrats de transition écologique. Nous devons, bien entendu, avoir des contrats semblables dans le domaine de la biodiversité. L’urgence sociale nous a conduits à les mettre d’abord au service de la transition énergétique, mais plusieurs sont actuellement à l’étude dans le domaine de la biodiversité.

Sur la pyrale du buis, honnêtement, je vais vous dire une banalité : je pense qu’elle fait partie des espèces sur lesquelles nous travaillons actuellement, mais je vous répondrai de manière plus détaillée par la suite.

Mme la présidente Barbara Pompili. Je propose que, si quelques autres réponses n’ont pu être données, elles soient envoyées par écrit. Cela vaut notamment pour les moyens de l’AFB, dont nous pourrons parler ultérieurement. Mieux vaut passer maintenant au rapport sur l’eau, dont les enjeux sont intrinsèquement liés à ceux de la biodiversité. Nous risquons autrement de n’avoir plus le temps de l’aborder. Je ne doute pas que la question des moyens soit posée de nouveau – peut-être par M. Martial Saddier ?

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Je dirai simplement, sur l’AFB, que nous disposons de plus de 600 millions d’euros supplémentaires pour le plan « biodiversité », dont 250 millions destinés au renforcement des actions engagées par le ministère. Ces fonds iront également aux opérateurs, y compris évidemment l’AFB et les agences de l’eau. Dans le contexte budgétaire actuel, arracher ces 600 millions d’euros n’a pas été facile. Or, encore une fois, la question des moyens est décisive.

Mme la présidente Barbara Pompili. Nous en venons au rapport d’information sur la ressource en eau, et aux questions que nos rapporteurs souhaitent adresser au ministre.

M. Adrien Morenas, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le ministre d’État, de votre présence, qui vient récompenser le travail conduit durant neuf mois par seize membres de cette commission, issus de tous les groupes politiques. J’en profite pour les remercier de leur travail.

Les premières conclusions que nous pouvons tirer sont que l’eau est un sujet qui passionne : elle est source de vie, elle est indispensable à l’économie, elle est source de paix et, dans certains cas, elle est un enjeu géopolitique.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’effet des activités humaines sur le réchauffement climatique est réellement visible. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), notre siècle connaîtra une augmentation des températures comprise entre un et six degrés.

Les impacts en sont déjà visibles : ces trente dernières années, 11 % de la population européenne a été confronté à la rareté de la ressource tout au long de l’année, et près de 23 % durant la période estivale. Ces proportions atteindront respectivement 30 % et 45 % en 2030. En 2017, des arrêtés de sécheresse ont été pris dans 84 départements ; certains sont restés en vigueur jusqu’au 31 décembre.

Les épisodes pluvieux de ces dernières semaines démontrent également que le rythme et la fréquence des précipitations ont changé, et que des efforts importants seront nécessaires pour nous y adapter. Nous devons nous préoccuper de ne pas subir le changement, mais surtout l’anticiper et en tirer les conséquences.

Je pense, monsieur le ministre d’État, qu’à ce stade nous ne pouvons plus parler de petits et de grands cycles. Ils sont interdépendants, et les propositions de notre rapport vont dans ce sens. L’urgence appelle des solutions d’une ampleur sans précédent.

L’ensemble des acteurs que nous avons rencontrés sont prêts. Ils sont forces de proposition et attendent énormément du travail entrepris à votre initiative par les Assises de l’eau. Il nous semblerait regrettable que ces Assises ne débouchent que sur un énième plan antifuites, alors que tout reste à faire. Elles doivent aboutir à un plan massif, global, et porté sur l’avenir. Notre rapport contient plusieurs propositions en ce sens. Vous trouverez parmi elles des préconisations sur les retenues permettant le maintien des étiages, déjà indispensables dans certaines régions de notre territoire.

Nous demandons également une meilleure réutilisation des eaux usées. Sur ce sujet, il faut mettre fin à l’hypocrisie : si nous en sommes encore au stade expérimental, d’autres pays sont passés à la vitesse supérieure. Aujourd’hui, deux avocats sur trois consommés en France ont été produits en Israël avec de l’eau réutilisée.

Nous préconisons un plan massif d’investissement et la mise en place de water tests dans les communes. Nous demandons aussi qu’il soit mis fin à la surtransposition des directives européennes. Enfin, vous l’avez compris, nous avons de nombreuses propositions à vous faire. Un quinquennat n’y suffirait pas... J’espère donc, monsieur le ministre d’État, que ce rapport ne restera pas sur une étagère !

Je souhaite savoir quelles sont vos propositions concernant un plan national définissant les zones prioritaires pour les réserves multimodales. Comment votre ministère envisage-t‑il la mise en place de la réutilisation de l’eau sur notre territoire ? Afin de gagner en efficacité, pourrions-nous envisager de fusionner les agences de l’eau pour passer à une gestion globalisée de la ressource et gagner du temps sur les grands projets ?

Monsieur le ministre d’État, comme je vous le disais à l’instant, les acteurs sont prêts, les solutions existent, la technologie est là. À nous de jouer, donc.

M. Loïc Prud’homme, rapporteur. Monsieur le ministre d’État, chers collègues, si j’ai demandé, au nom du groupe La France insoumise, la création d’une mission d’information sur la question de la ressource en eau, c’est parce qu’il y a urgence, comme vient de le rappeler mon collègue M. Adrien Morenas.

Urgence sur le plan quantitatif : l’été dernier, il a fallu restreindre l’usage de l’eau dans 85 départements. Le bassin Adour-Garonne, qui couvre le quart sud-ouest, enregistre déjà un déficit annuel de près de 300 millions de mètres cubes, et ses perspectives à l’horizon 2050 sont alarmantes.

Nous sommes au pied du mur. Le Gouvernement va-t-il prendre les mesures qui s’imposent pour une meilleure allocation de la ressource, en changeant le système de tarification afin de décourager les mésusages importants et de garantir à chacun le minimum pour une vie digne, en appliquant strictement le principe préleveur-pollueur-payeur, et en luttant, enfin, contre les attitudes égoïstes de certains acteurs, tels Nestlé Waters à Vittel ?

Il y a urgence également sur le plan qualitatif : en France, plus de la moitié des cours d’eau sont contaminés par des produits chimiques. En Europe aussi, puisque l’Agence européenne pour l’environnement vient d’annoncer que seulement 40 % des eaux superficielles sont en bon état écologique.

Là aussi, des mesures rapides et concrètes s’imposent. La première serait de revenir sur la dernière cartographie des cours d’eau, réalisée en 2015 dans chaque département, et qui a eu pour conséquence de déclasser 20 % des cours d’eau. Ils ne sont donc plus protégés des épandages de pesticides ni de certains rejets. Au niveau européen, il faut défendre la réglementation actuelle et la renforcer, tout en valorisant les pratiques agricoles qui préservent la ressource en eau. Le Gouvernement y est-il prêt ?

Pour mener à bien notre politique de l’eau, nous disposons de deux outils précieux, mais sévèrement menacés.

Les agences de l’eau, d’abord. Ce modèle original est le plus pertinent, à condition bien sûr que nous lui laissions les moyens d’accomplir ses missions. Or ces agences subissent en 2018 un coup de rabot de 136 millions d’euros, et seront encore mises à contribution dans les prochaines années. Pouvez-vous nous rassurer sur leur avenir ?

Une autre question se pose au sujet de nos ouvrages hydroélectriques. Le Gouvernement cède à l’injonction de la Commission européenne et prépare la grande braderie du parc des barrages français, alors même que plusieurs pays, dont l’Allemagne, s’y refusent. Compte tenu de l’importance stratégique du secteur, la logique voudrait que sa gestion soit confiée à opérateur public unique. Quelle est, monsieur le ministre, votre position sur l’avenir de ces barrages hydroélectriques, qui constituent notre première réserve en eau ?

Plutôt que de l’addition de mesures techniques ou de contradictions permanentes, nous avons besoin d’une politique ambitieuse, rectiligne et, si j’ose dire, claire comme de l’eau de roche. Nous ne devons abandonner aucun levier.

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vais essayer de passer en revue les commentaires et les préconisations de votre rapport, avant de revenir aux questions que vous venez de poser.

Je commence par celles de vos propositions auxquelles je suis le plus favorable, avant de passer à celles sur lesquelles nos conceptions divergent.

Vous demandez un plan national de gestion des eaux pluviales. Je ne peux évidemment qu’y souscrire, en souhaitant que l’on y intègre les adaptations fiscales et réglementaires nécessaires pour poursuivre notre lutte contre l’imperméabilisation des sols, ainsi que la clarification des compétences attribuées aux différents acteurs, notamment les collectivités locales et les gestionnaires de réseaux. Nous sommes déjà mobilisés sur ce sujet, mais nous devons aller plus loin. Dans cet esprit, le plan « biodiversité » prévoit, je l’ai dit tout à l’heure, des mesures pour lutter contre l’imperméabilisation.

Le rapport Gestion des eaux pluviales : dix ans pour relever le défi, présenté en avril dernier par le CGEDD, qui dépend de notre ministère, me semble être une base intéressante pour élaborer une feuille de route pour le Gouvernement.

Le sujet sera d’ailleurs au cœur de la seconde séquence des Assises de l’eau, qui abordera les questions dans un contexte global. Elles ne se limitent pas aux problèmes de fuites sur le réseau.

Votre rapport demande en outre une politique plus volontariste de réutilisation des eaux de pluie, et critique sévèrement les scrupules sanitaires français en la matière. J’ai moi‑même du mal à les comprendre, mais je ne compte pas m’en tenir là. Étant, il y a quelques années, président d’une fondation, j’avais ouvert une école en Bretagne-Sud ; nous avions installé, à la construction, un double réseau d’eau, permettant notamment l’utilisation des eaux de pluie pour les toilettes. Je pensais que le problème avait été réglé avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Il ne l’est toujours pas. Voilà donc un sujet sur lequel nous devons absolument avancer. J’ai notamment demandé à Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, de nous aider dans ce domaine, car la prudence ne doit pas tomber dans l’excès.

Sans être une solution miracle, l’utilisation des eaux pluviales peut être un complément, de même que la réutilisation des eaux usées. Différentes solutions peuvent être mises en œuvre, au premier rang desquelles – puisqu’il en va de l’eau comme de l’énergie – l’économie de la ressource. Mais l’utilisation des eaux de pluie est un outil que l’on doit exploiter, comme cela est déjà possible pour certains usages. Je vous présenterai donc rapidement un compte rendu des réponses que Mme Agnès Buzyn nous apportera, dans la perspective des Assises de l’eau, afin de savoir comment lever certaines restrictions sanitaires à l’utilisation des eaux de pluie et à la réutilisation des eaux usées. Tout cela représente évidemment pour moi un préalable aux analyses qui nous diront si tel ou tel usage est possible. Vous avez par exemple proposé de rendre obligatoire un système de captage des eaux de pluie pour les nouvelles constructions. Nous verrons à l’issue de ces réflexions si cela peut être promu ou non.

Sur la protection des captages prioritaires d’eau potable, votre rapport cite l’exemple bien connu de Lons-le-Saunier, où la collectivité a fortement encadré l’activité agricole. Je pense que cet exemple peut être généralisé et inspirer l’ensemble des collectivités. Cela va dans le sens de notre politique de protection des captages : 10 % des 33 000 captages sont contaminés par des nitrates et des pesticides, et force est de constater que, sur ce sujet, nous ne progressons guère. Lorsque nous avançons, c’est parce que les collectivités sont mobilisées pour protéger les ressources. Nous devons donc vraiment nous allier avec elles. Un important travail d’analyse des freins et de proposition de leviers a été conduit, depuis bientôt deux ans, par le ministère, avec les parties prenantes et d’autres ministères, notamment ceux de l’agriculture et la santé. Je souhaite que, sur ce sujet, nous puissions vraiment opérer un changement d’échelle lors de la seconde séquence des Assises de l’eau.

Sur l’encouragement des projets de territoires globaux sur la ressource en eau, votre rapport s’accorde, je crois, avec les conclusions de la mission confiée au préfet M. Pierre-Etienne Bisch. Celui-ci préconise en particulier que la notion de projet de territoire, qui prévalait depuis juin 2015 comme seul critère d’accès aux aides des agences de l’eau, soit élargie pour servir de modèle de construction et de gouvernance d’un projet de création de réserves. L’instruction de juin 2015 est en cours d’actualisation par nos services, pour faire en sorte de mobiliser les projets en ce sens.

Sur l’obligation pour les foreurs de déclarer les forages domestiques, une réflexion est conduite par le ministère. Elle va dans le sens de votre rapport, puisqu’elle vise à une forte responsabilisation des foreurs, impliquant l’instauration d’un système d’agrément.

Je suis plus réservé – mais cela mérite discussion – sur d’autres points de votre rapport. Il affirme notamment que le soutien d’étiage est une nécessité pour maintenir dans les cours d’eau une quantité minimale, nécessaire à la vie.

Ce type de mesure est déjà pratiqué au moyen de quelques très grands barrages, comme celui de Naussac, d’une capacité de 190 millions de mètres cubes. La généralisation ne me semble pas forcément souhaitable. Les cours d’eau, comme vous le savez, ont besoin d’alternances, de trop-pleins en hiver et d’étiages bas en été. La biodiversité est adaptée à ces évolutions, et devrait s’adapter aux évolutions du climat. Construire des retenues et artificialiser cette évolution n’est pas toujours souhaitable pour la biodiversité. Il ne faut le faire qu’avec beaucoup de précautions.

Concernant les micropolluants dans les eaux usées, le rapport n’écarte pas la solution de traitement complémentaire en station d’épuration. Au curatif, je pense qu’il faut préférer le préventif, et faire en sorte que les quantités de micropolluants qui aboutissent dans les eaux diminuent. Cela correspond à ce que je disais tout à l’heure sur la Méditerranée. Là encore, je souhaite exploiter toutes les possibilités, en liaison avec le cabinet de Mme Agnès Buzyn.

Sur ce sujet, d’autres pays sont plus offensifs que nous et pratiquent, par exemple, la distribution des médicaments en vrac. J’ai récemment soumis cette idée à Mme Agnès Buzyn, parce que je pense qu’elle a des vertus à la fois environnementales et économiques, mais il ne semble pas, pour l’instant, qu’elle emporte une franche adhésion.

Sur la tarification, monsieur Loïc Prud’homme, vous savez que ce sont les collectivités territoriales qui sont à la manœuvre. Mais nous avons souhaité expérimenter, avec cinquante collectivités volontaires, une tarification sociale de l’eau. L’expérience ne me semblant pas suffisamment longue, j’ai décidé de la prolonger de trois ans, afin que nous puissions en tirer des enseignements et savoir, à terme, dans quelle mesure elle pourrait être généralisée.

Quant aux concessions hydrauliques, je considère comme vous que le sujet est éminemment stratégique, même si l’on peut parfois reprocher aux barrages de poser des problèmes à la biodiversité. Je pense notamment aux poissons migrateurs. La loi que nous appliquons est très claire : remise en concurrence gérée dans le cadre des bassins ; association de collectivités dans le cadre de sociétés d’économie mixte, qui devraient permettre de bien gérer les différents usages, les barrages restant propriété de l’État, notamment pour garantir la sécurité.

Un mot sur la fusion des agences de l’eau et de l’AFB. Après le rapport rendu récemment par le CGEDD et l’IGF et la consultation qui a été lancée, le projet de fusion a été écarté. Le rapport de mission montrait qu’il avait plus d’inconvénients que d’avantages : on aurait abouti à une espèce de mégastructure, et à une déstabilisation de la gouvernance. Ces conclusions sont unanimement partagées.

Sur l’AFB et l’ONCFS, je veux rassurer la présidente : les choses me semblent aller dans le bon sens. Ne m’en veuillez pas de ne pas vous livrer encore les conclusions du rapport, mais je pense que nous en serons tous assez contents. L’important est de rendre la police de l’environnement plus efficiente et plus indépendante. Je pense que, sur ce point, nous aurons de bonnes surprises, mais la chose est encore en cours de discussion, car elle fait partie d’un tout. Permettez-nous, notamment, de conclure nos discussions avec les organisations syndicales avant de vous livrer nos conclusions.

Mme Sandra Marsaud. Monsieur le ministre d’État, le rapport de la mission sur la ressource en eau met en avant la lutte contre les pollutions diffuses. En Poitou-Charentes, les pollutions aux nitrates sont parmi les plus importantes que subit notre territoire. Des collectivités compétentes en eau potable se sont engagées dans des démarches de protection des captages, aux côtés d’exploitants agricoles concernés. C’est notamment le cas en Charente, avec le syndicat départemental « Charente eaux », très engagé sur ces questions. Plusieurs de ces territoires sont allés au bout de l’optimisation des pratiques culturales en zones céréalières. Le niveau de technicité agronomique des exploitants et leur ouverture autorisent aujourd’hui les collectivités à aller plus loin dans les évolutions locales. Toutefois, elles ne disposent pas des outils juridiques et financiers nécessaires. Les aides publiques aux entreprises sont en effet rigoureusement encadrées par l’Union européenne. Il est cependant indispensable de proposer aux agriculteurs des mesures compensatoires durables et de permettre l’élaboration de mesures innovantes adaptées aux territoires. Quelle solution entendez-vous donc mettre en œuvre ?

M. Martial Saddier. Monsieur le ministre d’État, il n’y a pas de biodiversité sans eau, et la biodiversité protège l’eau. Le danger serait donc d’opposer les deux. Or les débats autour du projet de loi de finances pour 2018 peuvent créer un climat susceptible d’opposer eau et biodiversité.

Vous l’avez compris, je parle des budgets des agences de l’eau : pour la première fois depuis cinquante ans, l’instauration d’un plafond de recettes « mordant » a conduit à une ponction sans précédent. Je voudrais insister sur deux points – vous les connaissez, parce que vous avez été à l’écoute de la conférence des présidents des comités de bassin. Intervenant à la fin du dixième programme, cette ponction empêche les agences de l’eau d’honorer les engagements de l’État. Deuxième point, le montant de la ponction consécutive à l’instauration du plafond mordant est inacceptable : les budgets de certaines agences baissent de 25 %, tandis que ceux d’autres augmentent. Il est impératif que le projet de loi de finances pour 2019 permette de rééquilibrer cette ponction.

M. Jimmy Pahun. Je poursuis, monsieur le ministre d’État, le propos de M. Martial Saddier : la ponction opérée par l’État sur les ressources des agences de bassin au profit de l’AFB et de l’ONCFS est particulièrement inquiétante, car elle prive les agences de la capacité d’accomplir leurs missions. Cette ponction, présentée d’abord comme exceptionnelle, est aujourd’hui pérenne. La dernière loi de finances la fixe à 300 millions d’euros. Le comité de bassin Loire-Bretagne doit ainsi verser, en 2018, près de 45 millions d’euros à ces deux organismes. Cette solution ne paraît pas tenable sur le long terme. Peut-on imaginer l’instauration d’un dispositif de péréquation pour soutenir les agences les moins dotées, celles notamment qui sont présentes en milieu rural ?

Une autre petite question, monsieur le ministre, dans le temps qui me reste : comment aider les îles, notamment les petites îles bretonnes comme Houat ou Hoëdic, à gérer la ressource en eau, compte tenu de leurs ressources très particulières ?

Mme Sophie Auconie. Monsieur le ministre d’État, écoutez-moi, et surtout, entendez-moi. Vous seriez le premier. À l’heure où de lourdes contraintes pèsent sur les budgets des collectivités locales et territoriales et sur ceux des agences de l’eau – je n’y reviens pas –, il existe une ressource financière qui peut intervenir sur le petit cycle et sur le grand cycle de l’eau : les fonds structurels européens. 15,7 milliards d’euros sur sept ans. Cela veut dire que, pour un milliard levé, 3 milliards sont attribués à notre territoire. La France ne consomme pas ces fonds structurels européens. L’Europe a donné son accord pour financer le petit cycle et le grand cycle de l’eau en France ; le Gouvernement a lui aussi, par l’intermédiaire du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), donné son accord. Mais les régions, qui gèrent les fonds européens, considèrent que, l’eau n’étant pas de leur compétence, elles n’ont pas à intervenir financièrement avec les fonds structurels européens. Cela n’est plus acceptable. La rénovation de nos réseaux d’eau potable est aujourd’hui un enjeu de santé publique. Aidez-moi à ce qu’enfin nous comprenions combien il est de notre intérêt de lever ces fonds européens.

M. Hubert Wulfranc. Comme l’indiquait notre collègue M. Loïc Prud’homme, il semblerait, selon les informations dont nous disposons, que la proposition française sur les concessions hydroélectriques et leur renouvellement ait été, à ce jour, jugée insuffisante par l’Europe. Êtes-vous en mesure de nous confirmer cette information, qui suggérerait que la proposition française n’a pas été jugée assez profitable pour les tiers privés ? Quel engagement pourriez-vous nous annoncer de votre part, compte tenu du caractère stratégique de ces barrages hydroélectriques ?

M. Bertrand Pancher. Pour poursuivre la réflexion de M. Martial Saddier, j’étais encore, il y a un an, président de la communauté d’agglomération de Bar-le-Duc. Nous nous sommes engagés dans un très vaste programme d’investissements, mettant en tension l’ensemble des collectivités. Je voulais, monsieur le ministre, attirer votre attention sur le fait que ces projets d’investissements sont votés, admis et souhaités par l’ensemble des collectivités, et que l’on ne peut en permanence changer les règles du jeu. Les agences de l’eau nous disent qu’ayant moins de moyens, elles n’assurent plus tel ou tel financement. C’est par exemple le cas des financements non collectifs, qui ne sont maintenant plus pris en charge par l’agence de l’eau Seine-Normandie, pour des raisons que l’on comprend bien. Si vous pouvez nous aider à faire en sorte de restaurer une certaine stabilité dans ce domaine, cela rendrait confiance aux collectivités territoriales.

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Sur les agences de l’eau, les discussions avec nos amis de Bercy sont éprouvantes. Nous essayons d’obtenir, dans un premier temps, l’établissement d’un plafond pluriannuel. Pour répondre à vos inquiétudes, j’ai repris l’argument que m’avaient présenté les responsables de bassins et les agences : ils ont pris des engagements, et ne sont plus en mesure de les tenir. J’espère qu’en persévérant dans cette voie, nous aurons gain de cause. L’autre piste importante sur laquelle nous travaillons est la péréquation. Car les situations, d’un bassin à l’autre, ne sont pas les mêmes, et nous devons inciter à la solidarité. Mais il faut travailler avec toutes les instances des bassins, chacun défendant son pré carré, et faire valoir le critère objectif des différences de situations.

Je retiens votre proposition, madame Sophie Auconie. L’eau n’est pas le seul domaine où nous sous-utilisons les financements européens, alors qu’ils représentent des possibilités considérables. Je vous propose de vous recevoir pour déterminer la meilleure manière de procéder.

Quant à la législation européenne sur les dispositifs d’aide publique aux entreprises agricoles, vous savez qu’en matière d’aides agro-environnementales, il existe des règles qui peuvent paraître limitatives, comme celles relatives au financement des changements de pratiques, qui ne peut excéder les seuls coûts et manques à gagner pour les agriculteurs. Mais des marges de manœuvre existent si l’on veut relever le défi de l’amélioration de la qualité de l’eau.

En outre, des discussions sont actuellement en cours, au niveau européen et au niveau national, pour la mise en œuvre d’une PAC rénovée après 2020. J’espère qu’elles nous laisseront la liberté d’apporter des aides aux exploitations compatibles avec les objectifs qui nous réunissent aujourd’hui : la préservation de la biodiversité et la protection des ressources en eau.

Pour en revenir au financement des équipements pour le petit cycle et à celui des travaux pour le grand cycle, les équipements pour l’eau et son assainissement peuvent effectivement, comme le disait Mme Sophie Auconie, bénéficier d’aides européennes, notamment outre-mer. Ces fonds y sont d’ores et déjà mobilisés dans le cadre du plan « eau et assainissement ». En métropole, en revanche, la Commission européenne n’a pas admis que le Fonds européen de développement régional (FEDER) puisse, sur la période actuelle, financer ces équipements. Puisque vous nous dites le contraire, madame, nous devrons tirer cela au clair.

Pour la prochaine programmation, les contraintes budgétaires conduisent à faire des choix difficiles. La première phase des Assises de l’eau a montré que l’essentiel du financement des infrastructures devrait provenir de la facture d’eau. Nous serons en tout cas obligés de définir – comme je l’ai fait – des priorités pour les agences de l’eau. Nous devrons ralentir la réalisation de certains projets et nous concentrer sur des territoires prioritaires, notamment en matière d’assainissement. Il est donc important de piloter l’action publique en fonction de ce qui a déjà été fait, de manière plus ou moins satisfaisante.

Comment aider les petites îles à s’approvisionner en eau ? Je pense qu’il faut développer des solutions sur mesure, qui allient économies, recyclage et innovation. Dans ce cas précis, les agences de l’eau peuvent fournir un accompagnement financier. Elles le font déjà pour l’intervention et l’investissement, mais apportent également une aide très importante en matière d’ingénierie et d’études.

Pour répondre à M. Martial Saddier sur les budgets qui semblent opposer eau et biodiversité, il est normal que l’on fasse évoluer les priorités au fil du temps. Il ne faut pas les opposer, encore une fois, mais les piloter. Je souhaite, c’est vrai, que nous nous recentrions sur le grand cycle, puisque beaucoup de choses ont déjà été faites pour le petit. J’attends donc beaucoup de la deuxième phase des Assises de l’eau.

Je suis en tout cas favorable, comme je viens de le dire, à ce que l’on travaille sur la péréquation. J’ai le sentiment que les esprits y sont ouverts.

Pour répondre à M. Hubert Wulfranc sur les concessions hydroélectriques et la Commission européenne, c’est un dossier auquel nous avons déjà consacré un temps considérable, c’est le moins que l’on puisse dire, entre les visites de la Commissaire et nos voyages à Bruxelles. La Commission examine nos propositions, et nous essayons de la convaincre, en faisant valoir la solidité de notre dossier. Dans ces discussions, qui durent depuis plus de dix ans, nous défendons une position très ferme, mais la décision finale appartient aux instances communautaires. La Commission n’a pas rejeté nos propositions, et les discussions vont encore se poursuivre un certain temps. Tous les espoirs sont donc encore permis.

Mme la présidente Barbara Pompili. Merci, monsieur le ministre d’État. Nous apprécions le soin que vous mettez à répondre précisément à chacun. Je donne maintenant la parole aux derniers orateurs.

M. Jean-Luc Fugit. Monsieur le ministre d’État, les polluants qui se trouvent dans l’air ne connaissent pas de frontières, même pas celles des interfaces entre différents milieux. L’air pollué peut contaminer tout ce avec quoi il entre en contact, y compris l’eau, et les polluants peuvent se retrouver ainsi dans notre chaîne alimentaire.

Deux exemples pour l’illustrer : certaines activités conduisent à rejeter dans l’air du mercure, qui peut se déposer sur l’eau et être absorbé par les poissons ; les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont présents, des études le montrent, dans de nombreux cours d’eau français, en teneurs élevées. Nous savons qu’ils proviennent principalement des retombées du chauffage au bois et des rejets des véhicules au diesel.

Ma question est simple : ne faut-il pas profiter de la proposition formulée par les rapporteurs de repenser la gouvernance des agences de l’eau pour créer de la transversalité avec les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air, afin d’aller vers une approche partagée, et donc solidaire, du suivi de certains polluants ?

M. Pierre Vatin. Vous avez déjà répondu, monsieur le ministre d’État, à la première question que je souhaitais poser, et qui portait sur les rejets médicamenteux. La seconde a trait aux polluants chimiques divers issus de décharges abandonnées, dont les rejets sont inférieurs au seuil fixé, mais qui causent des recrudescences de cancers chez les riverains. Que peut-on faire ?

M. Guy Bricout. Je souhaiterais aborder la pollution lente des sols par les nitrates et autres pesticides. Des scientifiques britanniques ont récemment parlé, au sujet des nitrates, d’une vraie bombe à retardement. Je prendrai pour exemple la commune dont j’étais maire, Caudry. Elle captait depuis longtemps son eau à 15 kilomètres, jusqu’au jour où y a été détecté du déséthylatrazine, une molécule dont la présence dans l’eau interdit sa consommation. Elle peut s’expliquer par deux facteurs : des travaux agricoles, et la présence voisine d’une voie ferrée, le déséthylatrazine entrant dans la composition d’un produit utilisé par la SNCF. Les sols du Nord sont également chargés de perchlorate contenu dans des résidus de bombes de 1914 et de 1940. À l’heure où les analyses sont de plus en plus performantes pour déceler ces différents types de pollution, il nous semble urgent que la réglementation européenne soit revue et adaptée. Quelle est votre position sur la question ?

M. Paul-André Colombani. Monsieur le ministre d’État, vous avez présidé, le 29 mai dernier, les Assises de l’eau à Bastia. Vous avez permis, à cette occasion, une avancée importante : la reconnaissance par l’État de l’urgence climatique en Corse, qui constitue, hélas, l’un des postes avancés en Europe de l’aridification de l’espace méditerranéen. Elle est, de ce fait, un laboratoire intéressant pour l’État, car les services en Corse doivent aujourd’hui réfléchir à des solutions pour régler des problèmes qui se poseront dans dix ans sur la façade sud du continent. Vous avez ainsi reconnu que nos stockages d’eau devaient être augmentés, mais sans que les nouveaux ouvrages ne nuisent à la biodiversité.

Est-il envisageable, selon vous, que l’État puisse à terme accompagner la collectivité de Corse dans sa stratégie pour augmenter le stockage de 30 millions de mètres cubes ? Quelle place l’agriculture insulaire devrait-elle avoir dans la gestion de la ressource en eau ?

M. Jean-François Cesarini. Nous sommes tous conscients que l’eau devient une ressource rare. Le réchauffement climatique et la démographie ne font qu’accentuer cette rareté. La modulation tarifaire en fonction des usages, des quantités et des périodes de l’année semble cependant un angle mort de la gestion de la ressource. Il semble même parfois que, plus on consomme d’eau, moins on la paye cher.

Vous parliez tout à l’heure de la tarification sociale de l’eau. Dans le rapport, deux pistes sont présentées : d’un côté la gratuité ou un prix préférentiel pour les plus pauvres, de l’autre une progressivité différente.

La question se pose dès lors de savoir s’il faudra fixer des prix différents selon les utilisateurs, les modes et les moments de consommation. Qu’en est-il aujourd’hui des possibilités d’économiser cette ressource, de la même manière que les carburants fossiles ? On ne peut parler de diminuer leur consommation sans parler de modulation de leur prix. Quelle doit donc être, selon vous, la tarification sociale de l’eau ?

M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Sur la pollution par les particules, monsieur Jean-Luc Fugit, je ne peux qu’être d’accord avec vous. Pour moi, il est évidemment important de parler des transferts de matière. J’approuve sans réserve l’idée d’encourager les agences de l’eau à collaborer davantage avec les agences qui travaillent sur la qualité de l’air. Elles doivent coordonner leurs approches. Ce d’autant plus que l’on sait que la pollution atmosphérique peut effectivement avoir des effets sur les écosystèmes, notamment d’eutrophisation et d’acidification. Les océans en subissent évidemment les conséquences. S’y ajoute l’impact lié à l’ozone et aux pesticides présents dans l’air.

Je rappelle simplement que la directive du 14 décembre 2016 concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques prévoit que chaque État membre veille à assurer la surveillance des incidences négatives de la pollution atmosphérique sur les écosystèmes, en s’appuyant sur un réseau de sites de surveillance qui soit représentatif de leurs types d’habitats d’eau douce, naturels et semi-naturels, et d’écosystèmes forestiers. À cette fin, les États membres assurent la coordination avec d’autres programmes de surveillance.

La France doit donc remplir son obligation en mettant en place un dispositif qui permette d’évaluer les incidences négatives de la pollution atmosphérique sur les différents écosystèmes, en assurant la coordination entre les différents programmes de surveillance établis en vertu des directives européennes et les autres dispositifs existants. Cela va donc dans le sens de ce que vous préconisez.

Je me souviens très bien, monsieur Paul-André Colombani, des Assises de l’eau à Bastia. Comme vous, plusieurs interlocuteurs m’ont rappelé, lors de mon déplacement, que l’île dispose de peu de ressources en eau souterraine. Le relief prononcé dessine de petits bassins versants cloisonnés, et la demande en eau est évidemment concentrée sur le littoral, avec ce fameux pic estival dû au trop grand succès de votre île. Le tourisme n’est cependant pas seul en cause : s’y ajoutent évidemment les besoins en irrigation.

Force est en outre de constater que votre climat méditerranéen et montagnard est déjà fortement soumis aux changements climatiques. Vous êtes aux premières loges, avec de fortes variations d’une année sur l’autre, des précipitations intenses de courte durée, dont nous avons eu une démonstration à l’automne et en hiver, alternant avec des sécheresses intenses – d’où l’allongement des périodes d’étiage – et des baisses de l’enneigement.

Tout cela n’est pas si sombre, parce que les masses d’eau en Corse sont en meilleur état que sur le continent. Plus d’un tiers de vos cours d’eau sont en très bon état  conservezle ! – et près de la moitié en bon état. Cela fait partie des richesses de l’île.

Il faut évidemment préserver ce bon état des masses d’eau, sans entraver le développement économique. Un plan de bassin d’adaptation au changement climatique est donc en cours d’élaboration, comme pour les autres bassins. C’est un travail essentiel, auquel l’État sera évidemment associé. Il doit être conduit au plus près de la réalité des territoires, en se gardant des solutions toutes faites. Il faut faire du sur-mesure, à l’échelle du bassin et des sous-bassins, identifier les mesures les plus pertinentes, au meilleur endroit, sur les secteurs prioritaires. C’est pourquoi nous avons souhaité qu’une instance de dialogue coordonne l’ensemble des acteurs impliqués, de la collectivité aux citoyens. Il faut y associer également des vacanciers. En Corse, comme dans les départements et les régions d’outre-mer, le bassin recouvre le périmètre de la collectivité. C’est donc une opportunité si l’on veut faciliter le rapprochement entre les politiques à l’échelle locale et multiplier les synergies.

Vous m’avez interrogé, monsieur Pierre Vatin, sur les décharges abandonnées et les pollutions accidentelles. Les décharges abandonnées sont un véritable fléau, que nous avons bien identifié dans le plan « biodiversité ». On ne peut y remédier, malheureusement, que par un renforcement des sanctions. Un groupe de travail a été lancé pour avancer sur ce sujet. Le plan prévoit, d’une part, d’améliorer la capacité d’intervention des collectivités en renforçant leurs pouvoirs de police, d’autre part d’instituer des amendes qui, je l’espère, auront un effet dissuasif plus efficace.

Quant à la pollution par les nitrates, elle est maintenant mesurée bien plus précisément – c’est plutôt une bonne chose, même si on préférerait parfois ne pas savoir – ; nous sommes donc en mesure de faire évoluer les réglementations. Je n’ai pas connaissance, à ce stade, d’une évolution de la réglementation européenne, mais cela ne nous empêche pas de commencer à y travailler.

J’ai sans doute omis quelques-unes de vos questions. Notre responsabilité sera d’y répondre ultérieurement.

Mme la présidente Barbara Pompili. Merci beaucoup, monsieur le ministre d’État, pour cet échange qui a intéressé un grand nombre de nos collègues. Je ne doute pas que nous ayons prochainement une occasion de le reprendre.

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Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

 

Réunion du mardi 10 juillet 2018 à 16 h 30

 

Présents. - Mme Bérangère Abba, Mme Sophie Auconie, Mme Nathalie Bassire, Mme Valérie Beauvais, M. Jean-Yves Bony, M. Christophe Bouillon, Mme Pascale Boyer, M. Guy Bricout, Mme Danielle Brulebois, M. Fabrice Brun, M. Stéphane Buchou, M. Lionel Causse, M. Jean-François Cesarini, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Paul-André Colombani, Mme Bérangère Couillard, Mme Yolaine de Courson, M. Vincent Descoeur, M. Loïc Dombreval, M. Olivier Falorni, M. Jean-Luc Fugit, M. Guillaume Garot, Mme Laurence Gayte, M. Yannick Haury, M. François-Michel Lambert, Mme Florence Lasserre-David, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Sandrine Le Feur, Mme Aude Luquet, M. Emmanuel Maquet, Mme Sandra Marsaud, M. Gérard Menuel, M. Adrien Morenas, M. Jimmy Pahun, M. Ludovic Pajot, M. Bertrand Pancher, Mme Sophie Panonacle, M. Patrice Perrot, Mme Barbara Pompili, M. Loïc Prud'homme, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville, M. Vincent Thiébaut, Mme Frédérique Tuffnell, M. Pierre Vatin, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi

 

Excusés. - M. Christophe Arend, Mme Sandrine Josso, M. David Lorion, M. Alain Perea, Mme Laurianne Rossi, M. Jean-Marie Sermier

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, M. Benoit Simian, M. Jean-Pierre Vigier