Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

– Table ronde, conjointe avec la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, sur la fiscalité écologique, avec la participation de Mme Bénédicte Peyrol, députée, et M. Dominique Bureau, président du Comité pour l’économie verte (CEV), coauteurs du rapport « Comment construire la fiscalité environnementale pour le quinquennat et après 2022 ? », M. Guillaume Sainteny, enseignant en politiques de l’environnement, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, et des représentants du collectif d’associations auteur des propositions « Pour un PLF 2019 écologique et solidaire » : M. Kévin Puisieux, responsable économie et finance à la Fondation pour la Nature et l’Homme, Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat–transports à Réseau Action Climat France, Romain Riollet, responsable projets efficacité énergétique au CLERC              2


Mercredi
26 septembre 2018

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 81

session extraordinaire de 2017-2018

Présidence de Mme Barbara Pompili,

Présidente,
et de M. Eric Woerth, Président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, puis de
Mme Marie-Christine Dalloz, secrétaire


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé, conjointement avec la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, une table ronde sur la fiscalité écologique, avec la participation de Mme Bénédicte Peyrol, députée, et M. Dominique Bureau, président du Comité pour l’économie verte (CEV), coauteurs du rapport « Comment construire la fiscalité environnementale pour le quinquennat et après 2022 ? », M. Guillaume Sainteny, enseignant en politiques de l’environnement, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, et des représentants du collectif d’associations auteur des propositions « Pour un PLF 2019 écologique et solidaire » : M. Kévin Puisieux, responsable économie et finance à la Fondation pour la Nature et l’Homme, Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat–transports à Réseau Action Climat France, Romain Riollet, responsable projets efficacité énergétique au CLERC.

Mme la présidente Barbara Pompili. C’est avec un grand plaisir que nous sommes réunis dans le cadre de cette table ronde sur la fiscalité écologique. Je souhaite en préalable remercier M. le président Éric Woerth d’avoir associé la commission des finances à cette initiative, qui nous a paru particulièrement utile avant l’examen du projet de loi de finances.

Dans ce cadre, nous avons le plaisir d’accueillir plusieurs intervenants : notre collègue Bénédicte Peyrol et M. Dominique Bureau, président du Comité pour l’économie verte, qui viennent de produire un rapport intitulé « Comment construire la fiscalité environnementale pour le quinquennat et après 2022 ? » ; M. Guillaume Sainteny, enseignant en politiques de l’environnement, et qui a produit de nombreux ouvrages et études sur la question de la fiscalité écologique ; des représentants du collectif d’associations qui a publié, en avril 2018, une contribution « Pour un PLF 2019 écologique et solidaire » : il s’agit de Mme Lorelei Limousin, pour le Réseau Action Climat, de M. Kévin Puisieux, pour la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), et de M. Romain Riollet, pour le CLER – Réseau pour la transition énergétique.

Mesdames, messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue.

En préalable, je souhaiterais expliquer pourquoi nous avons voulu organiser cette table ronde. Il me semble que nous devons aujourd’hui nous interroger sur la place accordée à la fiscalité écologique dans notre modèle fiscal. Cette fiscalité a été construite au coup par coup, en agrégeant divers dispositifs sectoriels, mais sans réellement s’intégrer dans une vision globale et stratégique. Il est aujourd’hui nécessaire de faire sortir la fiscalité écologique de sa relative marginalité pour la concevoir comme un élément central de la réforme fiscale.

On a assigné à cette fiscalité divers objectifs, qui ne sont pas forcément contradictoires, mais dont la lisibilité n’est pas toujours évidente, alternant entre l’incitation à des comportements plus respectueux de l’environnement et la perspective de dégager des ressources publiques supplémentaires. Ce manque de trajectoire claire et d’information du public a fini par faire émerger la notion d’ « écologie punitive » et par donner une image négative du développement durable.

Il est donc aujourd’hui indispensable de clarifier les objectifs poursuivis par la fiscalité écologique : lutte contre le changement climatique, transition énergétique, préservation de la biodiversité et de ses ressources. Des avancées ont été réalisées, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, avec la révision à la hausse de la trajectoire de la contribution climat-énergie. Mais des signaux contradictoires demeurent, avec certaines niches fiscales qui soutiennent des pratiques nocives à l’environnement. Et nous sommes toujours face à de grands enjeux, comme la prise en compte des émissions de l’ensemble des gaz à effet de serre et pas seulement du CO2.

Il est aussi nécessaire de connaître les leviers pour améliorer l’adhésion du corps social à la fiscalité écologique : pour ne pas être discréditée, elle doit aussi être mise en œuvre avec discernement et doit conduire vers un avenir commun positif. L’accompagnement des ménages modestes ou des secteurs qui doivent se reconvertir est donc un enjeu connexe, car ce qui est visé, c’est bien une transformation systémique. La prévisibilité, elle aussi, est importante, pour un signal-prix visible sur la durée, qui conduise à de réels changements de pratiques et de comportements.

Enfin, la question de l’utilisation des ressources dégagées est aussi essentielle : la logique « pollueur-payeur », poussée à son terme, impliquerait que ces ressources soient affectées à un objet environnemental, ce qui n’est pas toujours le cas.

Sur tous ces sujets, je ne doute pas que les intervenants auront de nombreux éclairages à nous apporter.

M. le président Éric Woerth. Je remercie la présidente Barbara Pompili d’avoir pris l’initiative de cette réunion, qui tombe à point nommé, puisque nous nous apprêtons à examiner la première partie du projet de loi de finances pour 2019.

Plusieurs articles de cette première partie portent sur la fiscalité environnementale, avec des dispositions sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et les comptes d’affectation spéciale Transition énergétique et Aides à l’acquisition de véhicules propres, notamment la modification du barème du « malus » automobile.

En outre, les articles non rattachés, que nous n’examinerons que début novembre, incluent des dispositions relatives au crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), au crédit d’impôt « éco‑prêt à taux zéro » (« éco‑PTZ ») et, de nouveau, à la TGAP.

Je ne doute pas que de nombreux amendements seront également discutés.

Indépendamment de la discussion du projet de loi de finances (PLF), ce volet de notre fiscalité tient une place toujours plus importante dans les travaux de la commission des finances. L’an dernier, nous avions organisé une table ronde conjointe sur le CITE, avec votre commission et la commission des affaires économiques. Et cette année, l’un des trois thèmes retenus par la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des finances est l’orientation de l’investissement privé dans la transition écologique, sur le rapport de Bénédicte Peyrol et Christophe Bouillon, que nous devrions examiner mi-novembre.

Nous nous exprimons aujourd’hui sur le fondement de la publication d’un rapport rédigé dans le cadre du Comité pour l’économie verte (CEV), dont nous allons entendre le président. Il ne faut pas oublier que la fiscalité écologique représente aujourd’hui plus de 50 milliards d’euros dans le budget de l’État, soit un montant supérieur au produit de l’impôt sur les sociétés, et qui se rapproche de celui de l’impôt sur le revenu.

Cette fiscalité n’est pas neutre. Il faut examiner si les incitations qu’elle recèle orientent effectivement les contribuables vers la commission, ou l’omission, des actes attendus. Car la commission des finances a aussi pour mission d’évaluer les résultats des politiques publiques, notamment fiscales.

M. Dominique Bureau, président du Comité pour l’économie verte (CEV). Je vous remercie pour votre invitation, qui nous donne donc l’occasion de présenter ce rapport du Comité pour l’économie verte, disponible en intégralité sur le site du ministère. Je rappelle que ce comité, ancien Comité pour la fiscalité écologique, est un lieu de dialogue destiné à construire, avec les parties prenantes, une vision partagée de la fiscalité écologique. Cette instance, qui associe les ministères de l’économie et de l’écologie, avait reçu pour commande en début d’année de revisiter la fiscalité écologique dans son ensemble, c’est-à-dire dans tous les domaines, au-delà des décisions prises en loi de finances initiale sur la trajectoire de la composante carbone. Le travail a été réalisé dans le cadre d’un groupe de travail coprésidé par Bénédicte Peyrol, qui en présentera les principaux constats et recommandations.

Auparavant, je vais vous livrer quelques éléments de cadrage, pour répondre à vos propos introductifs. Tout d’abord, je crois qu’il faut souligner que la fiscalité écologique est, d’ailleurs pas seulement en France, un sujet d’actualité pour tous ceux qui s’intéressent aux politiques environnementales. Les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais aussi le rapport Stiglitz-Stern dont j’ai repris des éléments, dans la présentation que vous voyez, constatent que, nulle part, la tarification des nuisances environnementales n’avance assez vite.

Ce rapport souligne également qu’il ne s’agit pas seulement de réorienter les usages, mais aussi de rendre rentables les investissements verts, dont le taux de retour dépend des anticipations qui sont faites sur la taxation future des émissions. À ce titre, notre rapport insiste sur le besoin de transparence, de lisibilité et de prévisibilité en ce domaine.

Évidemment, l’objectif est de modifier la structure et le contenu de la croissance, en découplant la croissance de l’évolution des émissions. Mais il ne s’agit pas de bloquer la croissance, bien au contraire. L’objectif n’est pas non plus d’accroître les prélèvements obligatoires. Pour ce qui concerne la fiscalité incitative, la démonstration suédoise qui est rappelée dans les graphiques que vous voyez est éclatante, tant sur le fait qu’on peut découpler croissance et émissions polluantes que sur celui qu’on peut organiser un basculement de la fiscalité tout en réduisant les prélèvements obligatoires.

La citation de Jean Tirole que vous voyez témoigne aussi du fait que – une fois n’est pas coutume – la nécessité de tarifer les nuisances fait consensus chez les économistes. J’ajouterai cependant qu’il n’y a pas que le carbone qui soit concerné, comme dans la citation, et que la fiscalité devrait constituer l’épine dorsale des politiques de prévention qui sont visées par l’article 3 de la Charte de l’environnement et donc concerner non seulement le carbone mais aussi les pollutions locales qui ont des enjeux sanitaires, la biodiversité, etc.

L’enjeu est donc de réintroduire les coûts sociaux dans les arbitrages privés, pour responsabiliser tous les agents économiques à l’origine des pollutions. Ce faisant – et c’est ce que suggérait la citation de Jean Tirole –, on atteint les objectifs environnementaux au moindre coût pour l’économie, ce qui est évidemment d’importance pour tous ceux qui veulent concilier économie et écologie. L’exemple fictif qui suit illustre aussi cette idée. Il est clair, par exemple, que c’est parce que les émissions du charbon n’étaient pas tarifiées à un niveau suffisamment élevé au niveau européen qu’Engie avait mis sous cloche certaines de ses centrales à gaz au début de la dernière décennie, alors qu’elles étaient, sur le plan technique, les plus modernes.

C’est aussi pour cela que le recyclage ne prendra pas son essor si les nuisances des décharges ne sont pas correctement taxées. Cependant, l’exemple ne cache pas qu’introduire la tarification des nuisances va renchérir le prix de certains produits polluants. C’est bien l’objectif, mais cela peut conduire à des effets sur le pouvoir d’achat ou la compétitivité, si la tarification ne s’applique pas de manière homogène aux différents concurrents. Cela mérite l’attention.

Comme nous le rappelle la citation de Jean Tirole, ce n’est pas, dans ce cas-là, le principe de la tarification qui est remis en cause. En revanche, il peut être nécessaire d’utiliser le produit de la taxe pour corriger d’éventuels effets indésirables. Cela explique par exemple que l’utilisation de la recette, quand on regarde les différents pays qui s’y sont essayés, relève de choix au cas par cas, entre baisse d’autres impôts sur les ménages ou sur les entreprises, compensation forfaitisée, et mesures d’accompagnement tendant à permettre aux agents de changer leur mode de production ou de consommation et de réaliser ainsi la transition.

Je terminerai par deux points.

D’abord, par rapport à ce que l’on considère habituellement quand on fait des réformes fiscales, ces impacts peuvent être très focalisés sur des populations particulières. Si on prend le carbone par exemple, les personnes en situation précaire, ou encore le monde rural, sont concernés au premier chef, ce qui justifie éventuellement des mesures bien ciblées d’accompagnement.

Ensuite, la démonstration a réellement été faite que, notamment pour les oxydes d’azote en Suède, l’on peut effectivement combiner l’instauration d’écotaxe à un niveau incitatif et préserver la compétitivité en utilisant la recette correspondante de manière appropriée. Où en est-on en France dans les différents domaines ? Que reste-t-il à faire ? Quelles sont les priorités ? Je passe pour cela maintenant la parole à Bénédicte Peyrol.

Mme Bénédicte Peyrol. Je vais vous présenter uniquement la première partie du rapport. Dans le cadre de ces travaux que j’ai copilotés, nous avons beaucoup discuté de la gouvernance de la fiscalité environnementale, c’est-à-dire des personnes qui s’en chargent, des objectifs qu’on lui attribue et de la manière de les atteindre. Je n’aurai pas le temps de vous présenter la seconde partie, qui est très ciblée, mais je crois que, dans les interventions qui suivront, comme dans l’échange de questions et réponses, nous pourrons revenir sur les choix à faire dans les budgets.

S’agissant de la gouvernance, on peut faire aujourd’hui le constat que la fiscalité environnementale est fragmentée et peu visible. On peut donc en interroger le pilotage. Les constats sont les suivants : la fiscalité environnementale peut prendre la forme d’une taxe directe, la TGAP, par exemple, ou de taxes indirectes, telle la fameuse TICPE, qui est d’ailleurs un peu spécifique. À ce propos, permettez-moi de réfléchir avec vous à la complexité de ce dispositif : au départ, la TICPE avait un objectif de rendement, puisqu’elle était là pour taxer les produits pétroliers, puis on y a inclus la contribution climat-énergie à visée environnementale.

La fiscalité environnementale peut aussi prendre la forme de contributions et de redevances. Par exemple, les éco-contributions ne relèvent pas de la fiscalité, mais cela fait partie des charges environnementales auxquelles est soumise une entreprise. L’éco-contribution frappe en effet les entreprises qui appartiennent à ce qu’on appelle une filière à responsabilité élargie de producteurs. Pèse alors sur le producteur la nécessité de prendre en considération le cycle de vie du produit, ainsi que la responsabilité que ce dernier soit bien finalement recyclé. Il doit donc adhérer à un éco-organisme auquel il paye une éco-contribution. C’est une charge environnementale.

S’agissant des redevances, les agences de l’eau, par exemple, en perçoivent, une tarification spécifique étant incluse en fonction des pollutions.

Il y a encore une fiscalité locale, que l’on peut moduler. À cet égard, vous avez mentionné, monsieur le président, la TEOM, dont nous allons discuter dans le cadre du PLF.

Voilà autant d’instruments divers, sur lesquels il est difficile d’avoir une bonne lisibilité. C’est pourquoi, dans le rapport, nous préconisons, pour nos travaux parlementaires, mais aussi pour le grand public, qu’un « jaune » budgétaire offre désormais une vision synthétique et globale de cette fiscalité environnementale. Un « jaune » budgétaire est aujourd’hui consacré à la fiscalité énergétique, mais il ne couvre donc qu’un pan de la fiscalité environnementale. Nous avons tenté d’obtenir pour 2019 ce nouveau « jaune » budgétaire, sans savoir trop si notre volonté sera satisfaite. Nous demandons en tout cas à en disposer au moins pour 2020...

M. Dominique Bureau, président du CEV. ... ce qui nécessite de prévoir un amendement en ce sens au projet de loi de finances.

Mme Bénédicte Peyrol. Oui, on y travaillera !

Nous déplorons ensuite un manque de clarté sur la nature des instruments.

Il est vrai qu’on analyse souvent les instruments sous l’angle des effets et des conséquences qu’ils produisent. Mais c’est source de confusion quant à l’objectif fixé au départ. Tous les instruments fiscaux ont à la fois des effets comportementaux, contributifs et distributifs. Nous pensons donc que c’est par la qualification des instruments que l’on peut clarifier les choses et mieux évaluer la réalisation – ou la non-réalisation – des objectifs fixés et des moyens d’accompagnement nécessaires.

Les outils fiscaux sont en effet, aujourd’hui, de deux natures. Il y a d’une part les outils contributifs, qui correspondent à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen relatif au financement de nos dépenses publiques. Il y a d’autre part une fiscalité à visée exclusivement comportementale tendant à donner un juste prix aux biens pour lesquels le marché ne le fournit pas, de façon à orienter les comportements et à stimuler l’offre de solutions. Chacun de ces instruments a un objet unique : l’un vise à financer, l’autre à inciter et responsabiliser les agents quant à leur impact sur l’environnement.

La dimension incitative du second instrument est très importante, mais on constate parfois un manque de lisibilité, pour deux raisons : cette incitation n’est pas assez marquée ; il y a beaucoup d’exonérations – ce que nous appelons les dépenses fiscales environnementales défavorables à l’environnement. Il importe donc de donner un objectif clair à l’instrument fiscal : l’objectif est soit contributif, soit incitatif.

S’il est incitatif, des questions incidentes se posent, à savoir celle de l’utilisation des moyens et de l’adaptation, c’est-à-dire de l’accompagnement de ceux qui sont soumis à cette fiscalité pour qu’ils puissent y faire face. Comme vous l’avez vu dans les graphiques présentés par Dominique Bureau, les populations et les territoires sont en effet plus ou moins touchés. Il faut donc dimensionner l’accompagnement de cette fiscalité par rapport à son niveau d’impact. C’est pourquoi vous trouverez dans notre rapport des recommandations visant notamment à ce que nous puissions disposer d’indicateurs sur l’efficacité de cette fiscalité environnementale et sur ses impacts sociaux et environnementaux. Gouvernement, politiques, décideurs, nous avons tous besoin de tels outils d’évaluation.

M. Kévin Puisieux, responsable Économie et finance de la Fondation pour la nature et l’homme. Permettez-moi d’abord de nous présenter tous les trois. Le Réseau Action Climat (RAC) est une association qui rassemble l’ensemble des organisations non gouvernementales (ONG) environnementales françaises ; elles se sont rassemblées, en amont de l’examen du projet de loi de finances, pour fournir un certain nombre de propositions. Nous sommes trois : Lorelei Limousin, du RAC, spécialiste des transports, Romain Riollet, spécialiste des questions de rénovation énergétique, et moi-même pour la Fondation pour la nature et l’homme, où je suis responsable des questions d’économie et de finances.

Nous rassemblons ainsi l’ensemble des grandes ONG, de Greenpeace à WWF en passant par Les Amis de la Terre. Nous avons essayé de faire un travail de coordination pour parvenir à des propositions communes. D’où l’importance de cette audition pour nous.

Hier, depuis New York, on nous a rappelé que nous étions en train de perdre collectivement la course contre la montre climatique. En même temps, on a le sentiment que le budget de la nation a tendance à être construit en dehors de cette réflexion et de cette urgence. Le rapport de Mme Peyrol et M. Bureau apporte des éléments très concrets en termes de gouvernance. Je les remercie pour la qualité des discussions que nous avons eues ces derniers mois. Je vous encourage tous à lire ce document et à vous emparer des recommandations formulées.

Concernant le PLF 2019, je vais commencer par les bonnes nouvelles. La première bonne nouvelle, c’est le compromis qui a été trouvé sur la TGAP « déchets enfouissement ». Peut-être y a-t-il là un vrai top départ donné à la mise en place d’une économie circulaire dans notre pays, avec l’idée que le recyclage doit être moins cher et plus évident à conduire que l’enfouissement et la mise en incinération.

Autre bonne nouvelle, le Gouvernement assume pleinement la poursuite de la trajectoire carbone. Cela permet de clore ce débat. La taxation du carbone est un élément important, car elle permet d’intégrer au prix des carburants, du gaz et du fioul le coût environnemental et climatique. Mais nous attirons votre attention sur les impacts de cette mesure, qui soulèvent des questions de justice.

La taxation du carbone peut ainsi être mise en difficulté sur deux points.

Premièrement, il reste des trous énormes dans la raquette : près de 40 % des émissions de CO2 ne sont pas encore couvertes par la taxation du carbone. Un premier pas a été proposé pour y remédier, à savoir la remise en cause du taux réduit de TICPE accordé à certaines professions – le BTP, la métallurgie. Mais il reste à ouvrir le chantier, qui promet d’être extrêmement difficile – je sais que les transporteurs routiers ont souhaité vous rencontrer –, de l’exemption des secteurs de transport par voie routière, par la mer ou de l’aviation, ces secteurs étant tout de même à l’origine de la poursuite de la hausse des émissions ces dernières années.

Second type de trous dans la raquette : des gaz à effet de serre ne sont pas intégrés. Le plan climat envisageait une taxation des hydrofluorocarbures (HFC), c’est-à-dire ces gaz fluorés qu’on retrouve dans les congélateurs, réfrigérateurs, climatiseurs... Leur consommation augmente de 10 % à 15 % par an, mais leur impact en termes d’effet de serre, est au moins deux à trois mille fois plus important que celui du CO2. C’est là un problème majeur, d’autant qu’à chaque fois que la chaleur augmente, on utilise davantage les climatiseurs. Vous voyez le cercle vicieux.

Le second point essentiel est que nous ne sommes pas tous égaux devant le paiement de la taxe carbone. Si je reprends les chiffres du dernier PLF, un foyer utilisant sa voiture pour aller travailler pourrait se retrouver à payer près de 300 euros de plus en 2022 qu’en 2017. Et, si ce même foyer se chauffe au fioul, il paiera autour de 538 euros de plus en 2022 qu’en 2017. Nous ne sommes donc pas tous égaux devant la taxation carbone. Quand on appartient aux classes populaires ou aux classes moyennes, et surtout quand on vit en zone périurbaine ou rurale, on va la sentir passer. Une compensation est donc indispensable. La fiscalité écologique doit marcher sur deux jambes : d’un côté l’incitation, et, de l’autre, l’accompagnement pour permettre à tout le monde de transformer l’incitation en un vrai changement de pratiques.

À cet égard, le PLF est, à notre sens, totalement insuffisant. Il « rate la marche » ! La hausse du chèque énergie est ainsi une hausse a minima. Alors qu’un doublement était envisagé dans les discussions entre le ministère de la transition écologique et solidaire et Bercy, on prévoit seulement une hausse de 50 euros par an... La prime à la conversion est un élément important, dont Lorelei Limousin vous parlera, mais elle ne suffit pas à régler les problèmes. En France, en effet, 4,5 millions de foyers se chauffent encore au fioul, et 15 millions de personnes vivent en zone périurbaine. Ce sujet est central. J’espère que la proposition gouvernementale est plutôt une base de discussion, car nous avons clairement besoin d’accélérer le mouvement.

Ce qui est en jeu, au fond, c’est une sorte de contrat politique entre le Gouvernement et le pays sur la question de la transition écologique. Si nous ne faisons que de la fiscalité incitative, sans y mettre les moyens en termes d’investissements et d’accompagnement, nous allons perdre une partie du pays dans cette transition, alors qu’il y a énormément de solutions.

Romain Riollet va évoquer certaines de nos propositions. Ce ne sont pas des dépenses inutiles : quand on investit dans la rénovation ou dans les transports, on structure des filières d’avenir, on crée des emplois, on recrée aussi des emplois et de l’avenir sur des territoires qui, qu’ils soient ruraux ou périurbains, semblent aujourd’hui un peu en dehors de l’histoire qu’on veut raconter.

M. Romain Riollet, responsable du projet « Efficacité énergétique » du CLER – Réseau pour la transition énergétique. Je prendrai l’exemple des économies d’énergie dans le bâtiment. Elles sont un enjeu absolument central de la transition énergétique, puisque le bâtiment représente toujours 45 % de la consommation énergétique finale en France, et 20 % des émissions de CO2. Or ce point est malheureusement mal traité dans le PLF, comme c’est le cas depuis des années. Nous espérions des progrès pour 2019.

Pour donner un ordre de grandeur chiffré, le think tank I4CE estime que la rénovation énergétique des bâtiments devrait nécessiter 10 milliards d’euros supplémentaires chaque année pour atteindre les objectifs que la France s’est fixés. L’étude réalisée l’an dernier par l’Inspection générale des finances et par le Conseil général de l’environnement et du développement durable sur les aides publiques à la rénovation montre que leur montant total ne représente que 3 milliards d’euros, dont 50 % sont alloués au CITE. En 2019, au lieu de renforcer les aides publiques à la rénovation énergétique, le projet de loi de finances propose de diviser par deux le montant de ce crédit d’impôt.

Sur le plan technique, indépendamment du montant de ces aides, la vraie question est de savoir à quelle fin la France utilise cet argent public. Cela fait des années que les spécialistes, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie en tête, rappellent l’importance d’une approche globale de la performance énergétique des bâtiments, qui consiste à ne pas changer d’abord la chaudière et ensuite les fenêtres... Or le CITE, depuis sa création, a abandonné la logique de bouquet de travaux qui existait dans le crédit d’impôt pour le développement durable (CIDD) qui l’a précédé. Le CITE soutient donc aujourd’hui des travaux partiels et non coordonnés.

On retrouve malheureusement cette logique dans le projet de loi de finances, puisque l’éco-PTZ simplifié soutient désormais des mesures uniques, alors qu’il y avait précédemment une condition de mettre en œuvre au moins deux types de travaux. Pour obtenir de vrais résultats en matière d’économie d’énergie, de baisse d’émissions de CO2, ou encore de lutte contre la précarité énergétique, il importe en effet de multiplier, non pas les petits travaux, mais au contraire les travaux de rénovation ambitieux, de façon à atteindre le niveau de performance des bâtiments à basse consommation.

Or aucun des outils de financement actuels ne permet d’y parvenir, alors qu’un million de rénovations sont nécessaires chaque année pour atteindre, non seulement les objectifs de la loi de transition énergétique de 2015, mais encore les objectifs renforcés prévus par le plan climat adopté par le Gouvernement en 2017.

Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques « transports et climat » du Réseau Action Climat. Je vais finir par le thème des transports, que je traite au Réseau Action Climat. La fiscalité environnementale est cruciale pour la transition écologique et la lutte contre les changements climatiques. Je ne reviendrai pas sur ce que mes collègues ont dit, mais m’intéresserai en particulier au sujet des transports et à la hausse persistante des émissions qui fait que la France ne respecte pas ses objectifs. Cela montre qu’elle a besoin d’une vraie réforme de la politique d’investissement et de fiscalité dans les transports. Partant, la hausse des taxes sur le diesel et le carbone est vraiment essentielle.

Je m’arrêterai sur trois préconisations prioritaires à court terme et sur la manière de faire en sorte que, à cette hausse de la fiscalité, on associe des dépenses et des outils qui permettent la transition et l’adaptation de la population et des acteurs économiques.

La première porte sur la nécessité de donner la priorité aux transports du quotidien. C’était une promesse du Président de la République, mais elle nous semble toute relative aujourd’hui. Nous avons salué le lancement du plan vélo, qui prévoit une programmation sur plusieurs années d’un financement pour les infrastructures cyclables, même si les moyens pour l’instant annoncés sont en deçà des recommandations que nous avons faites. En revanche, s’agissant des transports en commun, le plan d’investissement, tel qu’il a été communiqué voilà quelques semaines, reste très flou sur les moyens qui seront débloqués dans les années à venir. On parle de 500 millions d’euros sur cinq ans, mais ce n’est pas écrit. Je rappellerai simplement que le Grenelle de l’environnement avait prévu de déployer plus de 700 millions d’ici à 2020. Cette estimation avait été faite à l’aune des besoins dans les agglomérations, qui ne sont pas dépourvues de transports en commun efficaces. Il faut des alternatives à la voiture individuelle.

Mon deuxième message porte sur la fiscalité. On a parlé des niches fiscales dommageables à l’environnement. La vignette sur les poids lourds revient sur le devant de la scène. On peut se réjouir que ce ne soit plus un sujet tabou. Cette mesure avance chez nos voisins européens. Plus de neuf pays ont ainsi mis en place des redevances kilométriques sur les poids lourds : c’est la mesure la plus efficace pour optimiser le transport routier. Cela permet aussi de faire du report modal. Or on sait à quel point la France est en retard en la matière, à quel point le fret ferroviaire est fragile. Ce sujet sera crucial dans la loi d’orientation sur les mobilités.

Dans le cadre du PLF, il importe de souligner que la niche fiscale sur le gazole augmente d’année en année, qu’elle pèse déjà plus de 1 milliard d’euros. L’État rembourse en effet plus de 1 milliard d’euros par an au transport routier, de telle sorte que le prix du gazole routier en France est le troisième moins élevé en Europe... Ce remboursement n’est pas effectué dans tous les pays européens, loin de là. C’est une spécificité bien française, qui établit une concurrence déloyale pour les autres modes de transport.

Enfin, en ce qui concerne les mesures incitatives, si la prime à la conversion automobile est utile à certains ménages, qui subissent la hausse du prix des carburants et les restrictions de circulation mises en œuvre dans les villes les plus polluées – mesures, par ailleurs nécessaires –, elle continue néanmoins de bénéficier à des véhicules qui roulent aux énergies fossiles – diesel et essence – et qui, à l’état neuf, font l’objet d’un malus. Cette disposition a donc un aspect paradoxal. Aussi des économies pourraient-elles être réalisées si l’on transformait cette prime à la conversion automobile en une prime à la mobilité, qui inciterait également à changer de moyen de transport en recourant, par exemple, aux services d’autopartage ou aux vélos à assistance électrique.

Enfin, demain, nous mettrons en ligne un outil d’évaluation de la politique des transports qui permettra de mesurer ses avancées et ses reculs à l’aune des impératifs du changement climatique. En tout état de cause, nous suivrons de très près les débats parlementaires, car nous comptons sur vous, mesdames, messieurs les députés, pour faire avancer cette politique.

M. Guillaume Sainteny, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Je veux tout d’abord féliciter Bénédicte Peyrol de s’être investie dans ce chantier technique et complexe qu’est celui de la fiscalité écologique.

Deux mesures me paraissent très importantes. La première figure dans le PLF 2019, que je n’ai pas encore pu examiner en détail : il s’agit de la fin des avantages accordés au gazole non routier, qui me semble une très bonne chose. La seconde est l’annonce par le Gouvernement de la création d’une vignette poids lourds. Cette mesure doit absolument être soutenue, en dépit des protestations des professionnels du secteur. Je rappelle en effet que la fiscalité sur les camions a baissé, puisqu’une grande partie de la taxe à l’essieu, supprimée lors du Grenelle et dont vous savez qu’elle concerne les camions français, n’a jamais été rétablie.

Par ailleurs, je souhaiterais faire quelques remarques sur l’esprit de la fiscalité. Tout d’abord, il me semble que nous avons un peu trop mis l’accent sur la fiscalité écologique, au détriment de la fiscalité positive, bien plus développée dans les pays anglo-saxons, qui consiste à encourager les comportements vertueux pour l’environnement.

Ensuite, il me paraît plus efficace de « verdir » les taxes existantes, notamment les plus importantes d’entre elles, que de créer de petites écotaxes qui, souvent, n’ont pas le même impact. Ainsi, sous le quinquennat de M. Sarkozy, nombreux sont ceux qui se sont investis dans la création de la taxe carbone, laquelle s’est soldée par un échec. En revanche, personne ne s’est intéressé à un éventuel « verdissement » de la taxe professionnelle, qui a été supprimée au même moment. Pourtant, dans le premier cas, les recettes escomptées s’élevaient à 3 milliards d’euros alors que, dans le second cas, les recettes existantes atteignaient 30 milliards !

J’en viens à la réforme fiscale intervenue l’an dernier, qui est importante puisqu’elle concerne à la fois les revenus et le patrimoine. Hélas ! Elle est, me semble-t-il, négative pour l’environnement, car elle a eu pour conséquence – ce n’était pas intentionnel : il s’agit plutôt d’un effet pervers – une détaxation du patrimoine polluant et une surtaxation du patrimoine dépolluant et du patrimoine dépollué. En effet, d’un côté, les revenus issus des actions d’entreprises pétrolières, gazières et charbonnières ne sont plus taxés qu’à hauteur de 30 %, et les avions privés, les yachts à moteur, les automobiles et les motos sont exclus de l’assiette de l’imposition du patrimoine ; de l’autre, la fiscalité a été accrue sur les puits à carbone, puisque les écosystèmes naturels – les forêts, les zones humides, y compris les espaces protégés – sont taxés deux fois plus que les actions des sociétés pétrolières, ainsi que sur l’immobilier ayant fait l’objet d’une rénovation thermique. La transition écologique et solidaire supposerait, bien entendu, que l’on inverse la hiérarchie.

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à cette situation, il suffit de se pencher sur les études d’impact du projet de loi de finances initiale et du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui, si elles ont le mérite d’exister, sont assez médiocres. Les conséquences économiques et sociales des trois articles concernés font bien l’objet d’un long développement. En revanche, il est indiqué, dans la rubrique « Environnement », que ces dispositions n’ont pas d’impact sur celui-ci et, dans la rubrique « Europe », qu’elles relèvent de la souveraineté nationale. Pourtant, elles affectent le réseau Natura 2000, qui a été créé par une directive européenne et qui concerne 12 % du territoire. Ainsi, un site Natura 2000 est actuellement davantage taxé que l’action d’une société pétrolière extra-européenne.

Qu’en est-il des conséquences sur le plan climat ? Le plan de rénovation énergétique des bâtiments, élaboré dans le cadre de ce plan, s’est fixé pour objectif 700 000 rénovations annuelles pour en finir, en dix ans, avec les 7 millions de passoires thermiques que compte notre pays. Actuellement, le nombre des rénovations lourdes est de 90 000 par an. Il faut donc multiplier le rythme par un peu moins de huit ! Or, nous savons d’ores et déjà que très peu d’opérations de ce type seront réalisées en 2018, puisque les travaux ne pourront pas être déduits des revenus fonciers du fait du prélèvement à la source, et en 2019, puisque la moitié seulement des travaux seront déductibles. Ainsi la rénovation thermique ne débutera véritablement qu’à partir de 2020 ou 2021, de sorte que l’objectif de 3,5 millions de rénovations en 2022 ne sera probablement pas atteint. Je le souligne, car il s’agit d’un des engagements chiffrés qu’a pris le Gouvernement.

J’ajoute que le parc locatif est particulièrement concerné. Or, c’est dans celui-ci que l’on rénove le moins : on y dénombre en effet 20 000 opérations annuelles, alors qu’il en faudrait 300 000, puisque le parc locatif comprend environ 3 millions de passoires thermiques. Cette situation est due, on le sait, à l’érosion du rendement locatif et à l’augmentation de la fiscalité.

En effet, en 2017, trois augmentations sont intervenues. La première concerne les plus-values immobilières. Les sociétés spécialisées dans la rénovation thermique font miroiter aux propriétaires la valorisation de leur logement, une fois celui-ci rénové. Or, dès lors que le taux de l’impôt sur la plus-value immobilière a été porté de 34,5 % à 36,2 %, la valeur verte apportée par la rénovation thermique est davantage taxée qu’auparavant.

De même, les contribuables assujettis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) n’ont aucun intérêt à rénover leur bien puisque celui-ci prendra de la valeur, de sorte que l’IFI augmentera. Quant aux propriétaires dont le patrimoine se situe juste en dessous du seuil d’imposition, ils ont intérêt à ne pas rénover leur bien, voire à le laisser se dégrader, car une rénovation pourrait leur faire franchir ce seuil.

Enfin, la taxation des revenus fonciers a augmenté de 1,7 % par tranche, si bien que le taux de la première tranche, qui est de 31,2 %, est supérieur au taux du prélèvement forfaitaire obligatoire.

En revanche, sur les biens polluants, deux de ces impôts ont baissé et le troisième a disparu. Et l’on annonce, en outre, une quatrième augmentation de la fiscalité de l’immobilier, celle des droits de mutation à titre onéreux.

Comme disait Dominique Bureau, tout à l’heure, en citant Jean Tirole, il faut absolument rendre rentable l’investissement vert. Hélas ! Par un effet pervers de ces réformes, c’est l’inverse qui s’est produit, l’an dernier.

Pour conclure, je vous soumets trois tableaux pour illustrer mon propos. Le premier permet de comparer la fiscalité applicable à l’action d’une entreprise pétrolière ou charbonnière, à un terrain agricole, à une forêt et à un espace naturel. On s’aperçoit qu’avant même les modifications intervenues en 2017, les espaces naturels étaient davantage taxés puisqu’ils étaient soumis à des impôts qui n’existent pas pour les actions : la taxe sur le foncier non bâti, la taxe pour les chambres d’agriculture et les droits de mutation à titre onéreux et droits annexes, qui étaient déjà très importants. Depuis 2017, on observe que la fiscalité sur les actions baisse nettement, puisqu’elle est fixée à 30 %, tandis que la taxe sur la plus-value des biens immobiliers, bâtis ou non bâtis, augmente. En outre, les actions, contrairement aux biens immobiliers, ne sont pas soumises à l’IFI. Auparavant, certains biens agricoles et certaines forêts étaient soumis à un taux d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) inférieur au taux normal. Mais l’ISF ayant été remplacé par l’IFI, ces biens se voient désormais appliquer un taux supérieur à celui qui est applicable aux autres biens.

Le deuxième tableau montre également que le propriétaire d’un patrimoine dépollué, qui a consenti l’effort de rénover thermiquement son bien, est également davantage taxé, de sorte que le temps du retour sur investissement est allongé.

Enfin, le dernier tableau permet de comparer l’application de l’IFI à trois types de biens : les actions d’entreprises pétrolières, les terrains agricoles, et les forêts et espaces naturels. On constate que le taux d’impôt chiffrable total est de 30,2 % pour les actions alors qu’il peut dépasser 100 % pour les espaces autres qu’agricoles et forestiers, puisqu’ils ne produisent pas de revenus. La forêt est moins mal lotie, mais la fiscalité des espaces agricoles peut également dépasser 100 %, la situation la plus pénalisante étant celle des personnes qui ont le moins de revenus.

M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances. Je veux tout d’abord remercier les auteurs du rapport du CEV pour la pertinence et la qualité de leur travail sur la fiscalité environnementale, qui sera de plus en plus centrale dans notre paysage fiscal.

En premier lieu, et afin de lever toute ambiguïté, je tiens à préciser que si une députée, par exemple, déposait un amendement visant à élargir un peu le champ du « jaune » budgétaire, le rapporteur général y serait favorable. J’appelle néanmoins votre attention sur le fait, d’une part, que, pour des raisons de lisibilité, les missions budgétaires doivent correspondre au « jaune » et, d’autre part, que ce dernier doit nous être transmis à temps pour être utile à l’analyse budgétaire, faute de quoi il ne serait qu’un très beau cadeau de Noël à présenter au Weihnachtsmarkt... Je le dis car les « jaunes » nous arrivent souvent, hélas ! tardivement. En tout cas, pour ce qui est de cette mesure, madame Peyrol, soyez assurés de mon soutien.

J’en viens aux questions que m’a inspirées la lecture de votre rapport.

Premièrement, quelles sont les dépenses fiscales qui, selon vous, doivent être supprimées en priorité ?

Deuxièmement, ne craignez-vous pas que les transferts intrasectoriels, dont vous défendez la pertinence, défavorisent les plus petites entreprises d’un secteur par rapport aux plus importantes, qui ont tous les moyens de se mettre en conformité avec les normes les plus exigeantes ? Il en va de même pour les charges supportées par les ménages, dont le poids varie en fonction de leur pouvoir d’achat et de leur lieu de résidence – les Hautes-Alpes ne sont pas l’Allier, qui n’est pas Paris.

Troisièmement, outre Paris, quelle doit être, par comparaison avec les dispositifs existant chez nos voisins européens, la taille d’une commune pour que l’installation d’un péage urbain soit pertinente ?

Quatrièmement, quels seraient l’assiette et le taux optimaux d’une taxation des HFC ?

Enfin, comment percevez-vous la création éventuelle d’une vignette poids lourds – lesquels ne sont pas concernés, je le rappelle, par la suppression du tarif réduit de TICPE sur le gazole non routier prévu dans le PLF ? Ce tarif doit-il dépendre du respect des normes européennes ? En tout état de cause, je crois, pour avoir participé au débat sur l’écotaxe, qu’au-delà des remous qu’elle a suscités, elle posait des problèmes liés à l’opérateur, Écomouv’, et au choix des itinéraires, puisque le trajet de l’Italie à l’Espagne, par exemple, ne donnait pas lieu au paiement de l’écotaxe. Je ne plaide pas pour l’instauration immédiate d’une Lastkraftwagen-Maut (LKW-Maut), mais il est très important de veiller à l’acceptabilité d’une telle taxe par les régions.

M. Jean-Baptiste Djebbari. Tout d’abord, merci pour vos travaux et vos remarques, voire vos critiques constructives. Je souhaiterais vous interroger, au nom du groupe La République en Marche, sur deux points. Tout d’abord, comment la fiscalité incitative concernant les gaz HFC pourrait-elle être articulée avec le dispositif européen de marché, qui paraît actuellement faiblement efficace ? Ma seconde question porte sur la compensation de l’artificialisation des sols. Quels mécanismes envisagez-vous pour, d’une part, préserver la nature et, d’autre part, nous prémunir contre l’étalement urbain ?

M. Martial Saddier. Je veux tout d’abord saluer, au nom du groupe Les Républicains, l’ensemble des intervenants. Beaucoup des députés de mon groupe sont impliqués dans la réflexion menée sur des questions telles que celles de la qualité de l’air, de l’adaptation au changement climatique, de la qualité de l’eau et de sa quantité, de la qualité de l’alimentation ou de la pollution des sols agricoles.

Le président Woerth a rappelé que le produit de la fiscalité écologique était de près de 50 milliards d’euros. Il est donc indispensable qu’elle fasse l’objet d’une évaluation ; il y va de la crédibilité et de l’acceptation des taxes. À ce propos, les représentants de la Fédération nationale des transports routiers, que la commission du développement durable a entendus ce matin, ont souligné qu’à chaque fois qu’une taxe sur les poids lourds avait été imposée, son produit avait servi à tout sauf à ce à quoi il était destiné, c’est-à-dire aider la profession ou financer les infrastructures. La crédibilité et la pédagogie sont donc nécessaires.

Par ailleurs, nous avons souvent, toutes majorités confondues, fait l’impasse sur l’anticipation. Je pense, par exemple, à la taxation des carburants. Je ne vais pas ouvrir le débat sur le gazole, mais le moins qu’on puisse dire est que nous n’avons pas anticipé. Or, cela pose d’importants problèmes à l’outil industriel, qui doit faire face à un changement radical de comportement des consommateurs alors qu’il a besoin de temps pour s’adapter. L’ensemble de la fiscalité sur les carburants est-elle fléchée vers la politique environnementale ? Dispose-t-on d’une analyse de son incidence ? On agit, certes, sur les particules fines, mais qu’en sera-t-il des émissions de NOx et de CO2 dans les années à venir ?

En outre, il faut se fixer des objectifs réalistes. Ceux que la précédente majorité avait affichés dans le domaine du nucléaire sont en effet tellement irréalistes qu’ils sont impossibles à respecter. Il y va, là encore, de la crédibilité de la puissance publique.

Enfin, la stabilité est importante, car ces politiques ont besoin de temps pour produire des résultats. Or, nous savons combien Bercy peut être imaginatif pour inventer des plafonds et des planchers – et même, c’est la dernière invention, des « plafonds mordants » ! À ce propos, je veux remercier ceux – je pense au rapporteur général et à d’autres députés, de toutes sensibilités – qui ont contribué à sauver la politique de l’eau. Le produit de la fiscalité doit absolument être fléché vers ce à quoi elle sert. Les redevances des agences de l’eau doivent-elles financer l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et la baisse du coût du permis de chasse ?

M. Bruno Duvergé. Madame Peyrol, monsieur Bureau, je vous remercie pour ce rapport, qui sera un outil très précieux pour tous ceux qui s’intéressent à l’environnement. Du reste, je peux vous dire que l’ensemble des membres de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique, dont je suis le rapporteur, souhaiteraient poursuivre la discussion avec vous dans le cadre de cette mission.

Je vous poserai trois questions au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés. Tout d’abord, il convient de saluer l’effort de globalisation de la fiscalité environnementale, qui permet de remédier à sa fragmentation mais, maintenant que cette globalisation est réalisée, il me paraît nécessaire de re-segmenter. Il faut ainsi développer une vision claire des trois grands blocs que sont la transition énergétique – mobilité, économies d’énergie, incitations à l’utilisation d’énergies nouvelles –, la biodiversité – artificialisation des sols – et l’économie circulaire. Il faut améliorer la lisibilité de nos actions.

Par ailleurs, il importe de bien différencier les taxes qui visent à faire évoluer les comportements sur le long terme de celles qui permettent des transitions beaucoup plus rapides et radicales, notamment pour se libérer du pétrole.

Enfin, il me paraît important, en tant que député d’une circonscription rurale, de veiller à l’acceptabilité de cette fiscalité par les habitants des territoires ruraux, où l’on utilise souvent le diesel sur de longues distances et où, le gaz n’étant pas distribué dans les petits villages, on se chauffe encore au fioul... Comment préserver ces populations de cette fiscalité ?

M. Charles de Courson. Lorsque les auteurs du rapport affirment que le cadre de la fiscalité environnementale n’est ni cohérent ni lisible, c’est vrai. Prenez la fiscalité énergétique, par exemple : pourquoi le gaz échappe-t-il à la taxation ? Parce qu’il est naturel. Mais le pétrole ne l’est-il pas également ? Le problème est le même pour l’électricité : la cohérence intellectuelle voudrait qu’on s’abstienne de taxer les énergies renouvelables. Or, elles le sont, tantôt de façon différenciée, tantôt non. Il n’y a aucune cohérence !

Vos propositions, madame Peyrol, monsieur Bureau, sont sympathiques : un « jaune », notre rapporteur général le disait, cela ne mange pas de pain – qui lit les « jaunes » ? Mais il me semble que le véritable problème se pose en amont et réside dans la définition des objectifs : que recherche-t-on ? Ensuite, une fois ces objectifs définis, il faut déterminer des outils cohérents dans chaque secteur : fiscalité énergétique, etc. M. Sainteny a souligné le problème de la fiscalité applicable aux zones naturelles, qui contribuent pourtant à la biodiversité. Il faut en effet être fou pour conserver un bien qui ne rapporte rien et sur lequel on paie des impôts ! Il y a bien eu quelques tentatives de supprimer la taxe sur le foncier non bâti pour les marais, par exemple, mais elles n’ont jamais vraiment abouti. Encore une fois, il faut partir des objectifs, puis les décliner grâce à divers outils, la fiscalité étant un outil parmi d’autres.

En définitive, vos douze propositions me paraissent très timides. Pour ma part, je rêve d’une fiscalité écologique cohérente. Mais elle ne se fera pas en un jour, compte tenu des écarts actuels ; il faudra dix ou quinze ans.

L’autre problème, c’est la coordination européenne. En matière de fiscalité énergétique, par exemple, on voit bien que rien n’est possible en l’absence d’un cadre européen. On prend de petites mesures : on exonère l’agriculture, le transport routier... Pourquoi le transport routier ? Il est dans une situation de non-compétitivité en Europe. Une coordination est donc nécessaire.

M. Jean-Louis Bricout. En premier lieu, je tiens à m’associer à mes collègues pour souligner la qualité et les convictions des intervenants présents à cette table ronde.

On ne part pas de rien. Je voudrais saluer l’engagement de celles et ceux qui se sont mobilisés en faveur des combats écologistes, depuis bien des années, à l’heure où nous n’avions peut-être pas toujours conscience qu’il était urgent d’agir, bien avant que notre planète manifeste d’une façon ou d’une autre sa colère. Car ce sont certainement eux qui ont fait émerger les premières grandes politiques environnementales.

Dans un passé proche, le Grenelle de l’environnement a su poser quelques jalons en faveur de la transition écologique.

Plus récemment, le précédent gouvernement y est allé de ses marqueurs écologiques : taxation du carbone ou mesures de rééquilibrage sur la fiscalité du diesel et celle de l’essence.

Si la volonté d’avancer est réelle depuis quelques années, le renoncement peut l’être aussi : l’écotaxe en est la parfaite illustration. À ce propos, afin d’éviter de futurs écueils concernant l’élaboration de ce type de fiscalité, ne pensez-vous pas qu’il faille avant tout s’assurer de l’acceptabilité de cette fiscalité ?

Je concentrerai mon propos sur cette acceptabilité. Face aux situations sociales difficiles, face quelquefois aux problèmes des collectivités, et s’agissant des métiers particulièrement affectés par ces grandes mutations, quelles pistes envisagez-vous pour accompagner les différentes mesures du PLF 2019 ? Concernant par exemple le traitement des déchets ou encore la convergence gazole-essence, ne pensez-vous pas que cette augmentation de la fiscalité vient heurter le mur du ras-le-bol fiscal et les dures réalités sociales ? On observe en effet le même niveau d’inacceptabilité à propos de l’augmentation du prix des énergies fossiles à la pompe.

Par nature, la fiscalité écologique n’est pas liée aux ressources – il s’agit souvent de taxes indirectes – mais aux comportements et aux usages. Ne pensez-vous pas qu’elle doit obéir à un principe de redistribution pour accompagner les situations sociales difficiles ? Par exemple, ne pensez-vous pas qu’un fléchage serait nécessaire pour permettre une rénovation plus massive des logements, et qu’une telle mesure serait opportune pour les familles les plus fragiles ? L’exposé de M. Sainteny nous a bien montré que nous allions à l’encontre de cette logique.

Toujours du point de vue de l’acceptabilité, les dispositifs fiscaux ou réglementaires à portée écologique peuvent affecter très fortement les métiers : l’agriculture et les transports sont des exemples classiques. Hormis le fonds de soutien créé pour la fermeture de Fessenheim ou la prime à la conversion, qu’envisagez-vous en termes de redistribution de la fiscalité pour mieux accompagner les métiers très touchés par la transition écologique ? Pensez-vous qu’il soit temps de proposer des mesures innovantes contre l’artificialisation des sols, l’accaparement des terres, et pour protéger la biodiversité ?

L’inacceptabilité des mesures se manifeste aussi dans les collectivités. Par exemple, l’application du « zéro phyto » implique des contraintes fortes. Que proposez-vous pour accompagner les collectivités ? Qu’a fait le Gouvernement du dispositif TEPCV, qui permettait d’accompagner les territoires et de décliner les politiques écologiques ?

La fiscalité écologique représente 50 milliards dans notre budget, ce n’est certainement pas assez sachant qu’il manque 20 à 35 milliards de financements publics et privés pour la conversion écologique. Les principes dérogatoires viennent rétrécir l’assiette à 7,8 milliards d’euros ; qu’allez-vous faire pour en finir avec ces dérogations, et quelles solutions proposez-vous en termes d’accompagnement ?

M. Éric Coquerel. Merci aux différents intervenants et aux rapporteurs. S’il fallait trouver une image, je dirai qu’alors que la détérioration du climat et de l’environnement fonce à peu près à la vitesse d’Usain Bolt, la politique des petits pas ne suffit pas.

Je rappelle que les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 3 % en France en 2017, alors que si nous appliquions l’Accord de Paris, elles devraient décroître de 5 % par an. Je veux bien que l’on prétende que Emmanuel Macron est le « champion de la Terre », mais alors je suis très inquiet pour la Terre !

Les besoins d’investissement annuels pour atteindre les objectifs climat se situent entre 45 et 75 milliards d’euros par an de 2016 à 2030. Il manque 10 à 20 milliards d’euros. Or dans le prochain PLF, le budget du ministère chargé de l’écologie stagne en tenant compte de l’inflation, ce qui est déjà un problème, et il est prévu de supprimer 1 078 équivalents temps plein, dont un certain nombre chez les opérateurs essentiels pour l’environnement. Je pense au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, qui est en train d’être totalement détruit, ou encore aux agences de l’eau. Voilà le constat en termes de financement public.

Bien évidemment, si ces 10 à 20 milliards étaient inscrits, le temps que ces investissements produisent des emplois qui entraîneraient des ressources fiscales supplémentaires, les 3 % fatidiques d’endettement que l’on nous oppose sans arrêt seraient dépassés. Mais nous estimons quant à nous que la règle verte, que nous proposons de constitutionnaliser, en vertu de laquelle notre économie ne doit pas produire plus que la Terre ne peut absorber, est supérieure à toute règle d’or. La seule dette que nous devrions nous interdire de léguer à nos descendants est la dette écologique.

Le rapport qui nous est proposé est intéressant, mais il s’inscrit dans cette logique des petits pas. Il est évident qu’une fiscalité au service d’un projet écologique impliquerait de supprimer de nombreuses niches fiscales ou industrielles. Je pense notamment au kérosène aérien. Il importe que les ménages n’aient pas l’impression d’être les seuls à payer la taxation carbone. Il conviendrait d’appliquer véritablement un principe pollueur-payeur. Enfin, il faudrait une tout autre politique en matière de services publics, notamment ferroviaires, puisque l’ouverture à la concurrence du service de fret a cassé le fret ferroviaire en France, alors que nous devrions réfléchir à un ferroutage comme alternative au tout camion, qui est évidemment problématique.

Bref, nous sommes loin du compte. Je remercie le Réseau Action Climat pour son « projet de loi d’avenir pour les transports et la mobilité dont la France a besoin », dans lequel je me retrouve en grande partie.

M. Hubert Wulfranc. Il est difficile de parler de fiscalité, fût-elle verte, lorsque le ministre de l’action et des comptes publics a confié il y a quelque temps qu’il rêvait d’une société sans impôts. Il trahit ainsi l’objectif libéral qui consiste à effacer progressivement l’État stratège et son rôle dans la mise en œuvre de politiques publiques prioritaires, qui plus est lorsqu’elles sont cadrées par la règle d’or des 3 %, comme l’a rappelé M. Coquerel.

La transition écologique est pourtant une priorité majeure. La politique actuelle prive chaque année la nation de recettes très significatives. Nous savons pourtant où se trouve ce considérable manque à gagner. Il a été fait référence à la répartition de l’impôt : 30 milliards en provenance des sociétés et 70 milliards en provenance des ménages, sans compter les 130 milliards de TVA. Cherchez l’erreur ! On voit comment, en ayant fait passer la majeure partie de l’impôt sur le dos des ménages, la question se pose aujourd’hui, d’autant que nous sommes dans une phase où le consentement à une fiscalité verte est au centre d’un débat de plus en plus pressant.

Dans ces conditions, tous objectifs confondus, il faudrait aller chercher le double de financements pour conduire les différentes missions d’intérêt public dans le cadre de la transition énergétique : habitat, transports, agriculture et j’en passe. Et sans doute plus encore, car la transition écologique, comme c’est souvent souligné, exigera d’abord un puissant effort de solidarité nationale qui devra concilier la nécessaire sobriété énergétique et la réduction de la précarité énergétique. Or je pense que nous n’avons pas encore mesuré cet effort de solidarité nationale. Un puissant effort de solidarité devra aussi se faire en direction des salariés car qui dit mutation économique, dit formation et reconversion, et des territoires.

De toute évidence, nous avons besoin d’un grand plan d’investissement d’une tout autre intensité que celui qui est annoncé aujourd’hui. Il peut se décliner techniquement – suppression des niches fiscales, notamment. Nous pensons également qu’il faut mobiliser l’épargne populaire, j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises dans d’autres circonstances.

Une fiscalité, fût-elle verte, dépend aussi de la manière dont elle est redistribuée dans les politiques publiques où l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers. Les mesures que vous avez votées en matière de transport et de logement ne nous incitent pas à vous faire confiance en la matière.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. J’ai une question en lien avec l’amendement sur le plastique qui a été récemment adopté dans le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Avez-vous observé ce qui se passait en la matière, notamment en Allemagne où une loi sur le recyclage a été adoptée il y a peu ? Est‑elle adaptable en France ? Il serait intéressant d’avoir une vision internationale.

M. Matthieu Orphelin. L’acceptabilité de la fiscalité écologique ne se pose pas dans les mêmes termes quand le baril du pétrole est à 50 dollars ou quand il est à plus de 80 dollars, comme c’est le cas aujourd’hui. Quelles sont vos recommandations ou préconisations pour préserver cette trajectoire de fiscalité écologique si importante ? Nous avons voulu augmenter la fiscalité de 7 centimes sur le diesel, mais le prix s’accroît finalement de 30 centimes en raison de l’évolution du prix du pétrole.

S’agissant de tous les sujets sur lesquels nous ferons des propositions dans ce PLF – artificialisation des sols, fluides HFC – quels seraient, selon vous, les dispositifs les plus acceptables par l’ensemble des acteurs ?

M. Fabrice Brun. Quand on interroge nos concitoyens sur la fiscalité écologique, ils en ont une vision très punitive. Prenons l’exemple de l’augmentation du coût du carburant : nous ne sommes pas loin du plein à 100 euros, ce qui pose une question de pouvoir d’achat et d’entrave à la mobilité. Nous cherchons tous des solutions alternatives à la voiture, mais au moins un Français sur deux roulera encore pour un bon moment en voiture pour aller travailler, se soigner, étudier, même si les véhicules sont amenés à évoluer.

Sur les 23 milliards d’euros de fiscalité sur la consommation énergétique fossile, 4 milliards environ de subventions viennent en retour de différentes mesures : chèque énergie, prime pour la conversion de véhicules... On retrouve très souvent le solde dans le budget général de l’État. J’en viens donc à la proposition numéro 9 du rapport, et à ma question : comment faire en sorte que les produits de la fiscalité écologique ne soient pas affectés au budget général de l’État ? C’est une vieille et triste habitude dans ce pays. Or si l’ensemble de la fiscalité écologique était affecté à des actions environnementales, une petite partie du problème serait réglée.

Mme Sarah El Haïry. Dans le plan biodiversité présenté par Nicolas Hulot en juillet 2018, il était précisé que l’objectif du point 6.3 était de réformer les aides publiques dommageables à la biodiversité. Membre de la commission des finances, je souhaite savoir si nous avons aujourd’hui une liste claire et précise de ces aides ? Si tel est le cas, quelle est la stratégie prévue pour les réduire, voire les supprimer ? Quel serait l’impact de cette suppression ?

Pensez-vous que l’augmentation de la redevance pour pollutions diffuses à hauteur de 50 millions d’euros, prévue à l’article 76 du PLF, soit suffisante pour inciter à une moindre utilisation des intrants ?

Mme Danielle Brulebois. Aujourd’hui, la hausse du prix des carburants est très durement vécue dans nos territoires ruraux, dans la mesure où elle s’applique à des personnes contraintes d’utiliser un véhicule individuel pour les déplacements quotidiens, et qui ont peu de moyens financiers pour en changer. C’est d’autant plus incompréhensible qu’une fiscalité favorable les a incités durant deux décennies à investir dans des véhicules diesel.

Il y a beaucoup de pédagogie à faire. La lisibilité et la cohérence d’une politique sur le long terme sont essentielles à l’acceptabilité de l’impôt par le citoyen. Pour que la fiscalité écologique ne soit pas uniquement perçue comme punitive – comme c’est le cas actuellement – il va falloir expliquer et démontrer qu’elle est bien fléchée sur le financement de solutions alternatives à l’émission de gaz à effet de serre, et pas affectée au budget général. Il faudra ensuite orienter cette fiscalité vers une transition efficace et populaire, en particulier pour les modes de déplacement qui bénéficient à tous, spécialement dans les territoires ruraux.

M. Vincent Descoeur. Modifier nos comportements dans un sens plus favorable à l’environnement est un objectif qu’on ne peut que partager, mais pour y parvenir, il faut être capable économiquement de faire ce choix et de s’acquitter de cette fiscalité environnementale. À ce titre, la hausse de la fiscalité des carburants atteindra immanquablement ses limites dès lors que nos concitoyens seront empêchés dans leurs déplacements, ce qui est vrai, d’ores et déjà, pour les plus précaires d’entre eux.

Madame, vous appelez de vos vœux un effort de dialogue et de pédagogie ; or ce n’est pas ce qui caractérise cette hausse de la fiscalité des carburants, puisque sous couvert de convergence des fiscalités du diesel et de l’essence, on assiste en fait à une course poursuite qui laisse bon nombre de nos concitoyens dubitatifs quant aux objectifs poursuivis. D’où ma question : vos réflexions sont-elles de nature à infléchir la trajectoire arrêtée par le Gouvernement ?

Mme Marjolaine Meynier-Millefert. Étant coanimatrice du plan de rénovation énergétique des bâtiments, je voudrais avoir votre avis sur les dispositifs existants à cet égard. Nous savons que nos trajectoires de rénovation sont insuffisantes : comment les améliorer ?

S’agissant plus particulièrement du CITE, il devait être transformé en prime mais ce ne sera pas le cas car ce serait trop lourd administrativement. Néanmoins, le garder en l’état ne paraît pas une bonne idée non plus. Comment peut-on travailler sur cette question ?

Enfin, en ce qui concerne le service public de l’efficacité énergétique, avez-vous envisagé la possibilité de l’inscrire sur une ligne budgétaire spécifique ?

Mme Émilie Bonnivard. Ma question porte sur les outils de financement des infrastructures en faveur du report modal. S’agissant du Lyon-Turin, chaque année, en effet, nous nous reposons la question du financement du tunnel de base en cours de construction, financé à 40 % par l’Union européenne, à 35 % par l’Italie et à 25 % par la France. Ce sont 160 millions que nous devons trouver chaque année sur douze ans pour financer cette infrastructure. Or la mise en mise en œuvre de la directive eurovignette, qui autorise les États à percevoir des majorations de péages acquittés par les poids lourds, nous permettrait déjà de dégager 40 millions d’euros de recettes nettes par an pour financer le tunnel ferroviaire. Cette majoration est autorisée et ciblée sur les péages d’autoroutes situées en zone de montagne, à condition que les recettes soient investies dans les tronçons transfrontaliers de projets d’intérêt européen. Les Autrichiens ont utilisé l’eurovignette pour financer le tunnel du Brenner ; pourquoi la France n’utilise-t-elle pas davantage ce levier pour financer les grandes infrastructures de transport ?

Mme Véronique Riotton. L’efficacité énergétique doit être notre priorité pour réduire notre empreinte carbone, puisque l’énergie la plus propre, c’est évidemment celle qu’on ne consomme pas. Aujourd’hui, beaucoup d’outils existent pour inciter à la rénovation énergétique – chèque énergie, éco-PTZ, CITE, aides de l’Agence nationale de l’habitat, diagnostic de performance énergétique, contribution climat-énergie – pour autant leur efficacité est toujours très limitée, notamment au regard de leur coût. Au-delà du seul manque de stabilité de ces incitations, comment pouvons-nous renforcer leur efficacité et y apporter plus de cohérence et de visibilité pour favoriser les comportements plus vertueux dans les bâtiments, de tous – particuliers, entreprises, collectivités ?

M. Marc Le Fur. Je regrette qu’en page 55 du rapport du CEV, une carte sur la concentration moyenne en nitrates des eaux souterraines fasse état de zones à plus de 50 milligrammes par litre. Cette carte date en effet de 2014. Or, depuis, les choses ont très sensiblement évolué dans le bon sens. Je souhaite qu’on en tienne compte pour rendre hommage à ceux – en particulier les agriculteurs – qui ont fait des efforts. Ce petit loupé risque d’être mal perçu par les agriculteurs concernés.

Deuxièmement, je remercie M. Sainteny d’avoir bien démontré que le passage de l’ISF à l’IFI a pour effet de pénaliser fiscalement un certain nombre de biens naturels, alors que des activités plus polluantes sont épargnées.

Je le remercie également d’avoir démontré que le prélèvement à la source va de fait interdire des travaux, en particulier des travaux de rénovation énergétique, pour un certain nombre de biens mis en location. C’est tout à fait préjudiciable.

Dernier point, la fiscalité sur le gazole a été imaginée pour donner un signal prix, qui avait un sens quand le gazole pouvait être bon marché. L’augmentation est désormais très sensible : le signal prix est donc donné par le prix lui-même. La fiscalité ne le renforce pas, mais crée en revanche une difficulté majeure pour une bonne partie de nos concitoyens.

M. Éric Alauzet. Merci, madame, messieurs, de nous avoir éclairés.

Je suis très heureux que l’économie circulaire voie le jour. La baisse de la TVA sur les matières recyclables et la hausse de la TGAP ne s’équilibrent pas totalement, ce qui interpelle les collectivités locales : moins 80 millions d’euros d’un côté, plus 300 millions de l’autre. Y a-t-il une mesure de rendement derrière ? Prenons garde de ne pas faire peser la TGAP sur des déchets que nous ne savons pas recycler.

S’agissant du remplacement de l’ISF par l’IFI, comment peut-on faire, dans l’état actuel des taxations, pour protéger les espaces naturels – puits de carbone – et encourager les uns et les autres à rénover les logements ?

Dernier point, l’utilisation de la taxe carbone pour l’économie, l’environnement ou le social se justifie, ces trois usages ayant un sens pour la transition écologique. Du point de vue de l’économie, remplacer de l’énergie fossile par l’énergie humaine plaide en faveur de l’écologie. L’utilisation de la taxe pour l’environnement est une évidence, et pour le social aussi. Mais comment faire, quand le prix du pétrole monte, pour non seulement redistribuer mais aussi restituer aux ménages, aux poids lourds ? Techniquement et juridiquement, ce n’est pas facile. Or, on ne taxera jamais les poids lourds si l’on ne sait pas restituer autrement que par des aides au changement de véhicule.

Mme Dominique David. Vous avez évoqué la question de l’utilisation des recettes de la fiscalité écologique. En tant que corapporteure spéciale, avec Bénédicte Peyrol, sur les engagements financiers de l’État, c’est-à-dire la gestion de la dette, je tenais à appeler votre attention sur le premier rapport annuel d’allocation et de performances, publié par l’Agence France Trésor, sur l’obligation verte souveraine de la France.

Cette obligation verte émise début 2017 a atteint à la fin de la même année un montant de 9,7 milliards d’euros. La France était le premier État au monde à émettre un emprunt vert d’une taille aussi significative, ce qui a confirmé son rôle moteur au service des ambitions des accords de Paris sur le climat. Pour cette obligation assimilable du Trésor (OAT) verte, l’AFT a pris des engagements de reporting inédits. Les émissions de l’OAT en 2017 ont été adossées aux dépenses du budget de l’État et du programme d’investissements d’avenir sur la lutte contre le changement climatique, la protection de la diversité et la lutte contre la pollution des années 2016 et 2017.

Le rapport qui vient juste d’être publié s’appuie sur les outils existants de suivi des dépenses de l’État pour lister cette allocation de dépenses et, c’est intéressant, la performance de ces dépenses. Dépense par dépense, les indicateurs de performance des dépenses de l’État et les indicateurs publiés par les organismes publics qui évaluent les performances environnementales de la France ont permis de mesurer la performance, ligne par ligne, des dépenses associées à l’OAT.

Ce travail et la méthodologie qui l’a sous-tendu ne peuvent-ils pas servir de base à nos réflexions sur l’emploi des recettes de la fiscalité écologique ?

M. Hervé Pellois. Ma question porte sur la fiscalité énergétique en matière d’agriculture.

Sur 1,8 milliard d’euros de dépenses fiscales accordées au monde agricole, 1 milliard est consacré aux exonérations sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Il a été annoncé la semaine dernière que le secteur agricole serait exempté de la hausse de TICPE sur le gazole non routier et bénéficierait du taux réduit en 2019. Aujourd’hui, les agriculteurs doivent attendre le remboursement accordé au titre de la TICPE en année n+1. Afin d’y remédier, il est prévu une réforme du système de tarification et de remboursement, qui évoluera progressivement sur trois ans pour le rendre plus favorable au secteur agricole. Cela contribuera à améliorer la trésorerie des exploitations pour un montant de près de 500 millions d’euros. Quel est votre avis sur ces mesures spécifiques au monde agricole ?

M. Romain Riollet (CLER – Réseau pour la transition énergétique). Nous sommes tout à fait d’accord pour éliminer les dépenses fiscales inefficaces. En effet, l’objectif n’est pas d’augmenter indéfiniment les dépenses, mais de faire en sorte que l’argent dédié à l’environnement, que ce soit au niveau des prélèvements ou des dépenses, soit utilisé de façon efficace. J’irai plus loin : nous étudions avec beaucoup d’attention les aides vertes, car ce n’est pas parce qu’une mesure est présentée comme écologique que c’est nécessairement bien. Ainsi, les travaux de l’Inspection générale des finances (IGF) sur les aides à la rénovation énergétique des bâtiments publiés en 2017 justifient nos observations sur le CITE. L’IGF était d’accord en 2017, la Cour des comptes en 2014, nos propos ne sont pas révolutionnaires. Au sein des dépenses vertes, il est également possible d’envisager de faire mieux avec moins, et c’est le sens de notre proposition sur le CITE.

S’agissant de l’intégration des HFC dans la fiscalité environnementale, une solution assez simple, presque simpliste, existe. Un intervenant a mentionné le marché européen du CO2 : ces gaz sont intégrés depuis plus de dix ans dans le système international de Kyoto, le facteur d’effet de serre entre le CO2 et les HFC est relativement bien connu, et dans un certain nombre de marchés, on peut échanger les HFC et le CO2. Il suffit de multiplier le prix du CO2 par ce facteur pour obtenir le prix des HFC. C’est une solution assez simple, qui présente un certain nombre d’intérêts et d’inconvénients. En tout cas, elle a été expérimentée et il est possible d’avoir un retour d’expérience.

En réponse à la question sur l’évaluation des aides, je m’appuierai sur le rapport de l’IGF, que visiblement j’aime bien. Nombre d’études et de rapports sont publiés. Nous avons de formidables capacités d’évaluation en France. Il serait bon que nous mettions en œuvre les résultats de ces évaluations.

Cela nous renvoie à la question sur les aides à la rénovation – les acronymes sont nombreux et tous aussi savoureux les uns que les autres. Nous demandons depuis des années la simplification de ces aides. Il en existe une multitude, au moins quatre à l’échelon national, et je vous passe le détail des aides locales. Or les gens ne s’y retrouvent pas, à l’instant t comme dans la durée. Dans une copropriété où il faut plusieurs années pour prendre la moindre décision, si le CIDD devient le CITE et que son taux ainsi que ses conditions d’éligibilité varient, il est impossible de lancer des travaux. Il est donc absolument indispensable de faire en sorte que les personnes aient accès à l’aide. C’est l’objet du service public de la performance énergétique prévu par la loi de transition énergétique et promis par le plan de rénovation des bâtiments. Des travaux sont en cours pour établir son cahier des charges, mais il n’existe pas de définition partagée. La concertation a été reportée et il n’est pas budgété dans le PLF. Il faudrait qu’il le soit.

Dernier point sur les incitations, puisque nous parlons de fiscalité de transition. Tout le monde n’est pas forcément réceptif aux incitations. C’est typiquement le cas de l’efficacité énergétique. La plupart des mesures prises à cet égard sont censées être extrêmement rentables, mais elles sont compliquées à mettre en œuvre, souvent pour des raisons techniques d’accès à l’information – le cas des aides est tout à fait éloquent. Il est donc important d’accompagner les personnes. Il ne suffit pas de prévoir un système d’incitation et de contraintes fiscales, mais il faut aussi aider les personnes à s’approprier ces dispositions car tout le monde n’est pas égal face à ces incitations. Au-delà des contraintes que cela représente pour elles, il est question aussi de leur capacité d’agir en fonction de ces incitations, au lieu de simplement les subir.

Mme Lorelei Limousin (Réseau Action Climat). Nous sommes conscients que dans bien des cas, la voiture individuelle est nécessaire dans les zones moins denses. La moitié des trajets effectués en automobile dans les villes sont inférieurs à 3 kilomètres et pourraient donc très souvent être effectués par d’autres moyens. Dans les zones moins denses, en revanche, la voiture est indispensable ; c’est pourquoi il faut privilégier les véhicules ayant les taux d’émission les plus faibles. Pourtant, les émissions de CO2 des véhicules neufs sont reparties à la hausse, contrairement à la tendance des années précédentes, notamment parce que la barre du diesel augmente mais surtout parce que le nombre de véhicules tout-terrain de loisir (SUV) augmente – le marketing des constructeurs automobiles concernant ces véhicules lourds et puissants est assez prononcé. Il est donc nécessaire d’utiliser intelligemment l’outil fiscal qu’est le bonus-malus en renforçant les malus chaque année pour accompagner la transition du secteur automobile et pour imposer à l’échelon européen des normes contraignantes et efficaces. Soulignons la persistance en la matière de niches fiscales, les véhicules pick-up bénéficiant notamment d’une exonération de malus alors qu’ils devraient y être soumis à hauteur de 10 000 euros environ.

La question de l’échelle des péages urbains a également été posée. En Europe, le péage urbain est plutôt mis en œuvre dans de grandes villes : il semble évident qu’il y faut des solutions alternatives de transports en commun et de réseaux cyclables efficaces. Pour faciliter l’acceptabilité du péage urbain, on peut imaginer une tarification solidaire. En tout état de cause, cette mesure sera à l’ordre du jour dans le cadre du débat concernant le projet de loi sur les mobilités, et elle a eu un effet très positif sur le trafic routier et les pollutions là où elle a été mise en place à l’étranger.

S’agissant du transport de marchandises, enfin, certains avantages fiscaux perdurent en effet. Pour ce qui est des mesures d’acceptabilité dans ce secteur, il faut se souvenir que lorsque la mise en œuvre de la taxe poids lourds a été envisagée, elle s’est accompagnée d’une baisse de la taxe à l’essieu et d’une autorisation de circulation des camions de 44 tonnes qui entraînent un coût très élevé pour les infrastructures routières. Autrement dit, des compensations ont déjà été accordées au secteur. S’il faut imaginer de nouvelles compensations, elles devront impérativement permettre de prendre le virage de la transition écologique dans le transport routier. Nous sommes conscients que ce mode de transport conservera sa place dominante dans le transport de marchandises mais il doit beaucoup moins dépendre du diesel et doit davantage participer à l’effort en matière de fiscalité écologique et de financement de transports plus propres.

M. Kévin Puisieux (Fondation pour la nature et l’homme). L’une des questions qui vous sera soumise au cours de débat budgétaire, madame El Haïry, est celle de l’intégration de l’huile de palme dans les biocarburants, compte tenu de son impact à l’autre bout de la planète. En ce qui concerne la redistribution et le ras-le-bol fiscal, la composante carbone rapportera cette année 2,8 milliards d’euros de plus que l’an dernier, et même 3,7 milliards si l’on tient compte de la suppression du taux réduit de TICPE pour les professionnels. La FNH s’interroge sur la destination de ces 3,7 milliards : en l’état, la hausse du chèque énergie et l’augmentation de la capacité de la prime à la conversion sont très réduites par rapport à ces marges supplémentaires. Rappelons en effet qu’il manque 10 à 20 milliards d’euros d’investissements publics par an pour atteindre nos objectifs ; le débat doit donc avoir lieu dans le cadre de la discussion budgétaire, à partir des chiffres que nous évoquons.

MM. Orphelin, Alauzet et d’autres se sont demandé comment pérenniser l’incitation et la visibilité des mesures sachant qu’une partie du prix des carburants est soumise à des fluctuations sur lesquelles nous n’avons pas de prise et qui sont davantage liées à des mouvements de marché plutôt qu’à l’état des ressources disponibles ; le prix de l’énergie fait l’objet de spéculation et il faut faire avec. C’est un vrai chantier. Le rapport de Mme Peyrol et M. Bureau aborde la question de la redistribution : il faut déterminer jusqu’à quel point elle n’annule pas l’incitation à changer de comportement. La priorité, cependant, consiste à décider quoi faire des recettes nouvelles de la taxe carbone.

L’anticipation est un sujet important, monsieur Saddier. On a parfois tendance à dissocier les réflexions conduites sur tels et tels points : vous avez adopté le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique en vous félicitant de libérer la construction et donc, potentiellement, l’artificialisation des sols, tandis que le plan relatif à la rénovation, défendu par l’ancien ministre de la transition écologique et solidaire, est dépourvu de moyens. En la matière, l’action gouvernementale est quelque peu schizophrène – pardonnez-moi ce terme médical. L’absence de cohérence est un fait majeur. Qu’il s’agisse du diesel ou de l’étalement urbain, nous créons des zones de vulnérabilité énergétique en encourageant à coups d’avantages fiscaux, pendant dix voire quinze ans, les habitants des centres-villes à préférer le neuf à la rénovation. C’est une bombe à retardement qui se traduit par l’arrivée de populations dans les zones périurbaines. Nous payons ce manque d’anticipation et continuons de commettre des erreurs concernant les SUV ou encore le diesel.

Quant aux dépenses qui pourraient être remises en cause, je pense à la dépense fiscale en matière d’épargne. Chaque année, une cinquantaine de niches fiscales coûte 10 milliards d’euros et oriente les produits d’épargne. En réalité, le faible volume d’études, de contrôles et d’évaluations sur ce sujet montre que l’on ne sait guère si ces dispositifs fonctionnent et qu’ils se caractérisent par une forte incohérence. Il existe une importante marge de manœuvre pour en renforcer l’efficacité.

M. Guillaume Sainteny, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Je me réjouis de constater que nombreux sont ceux qui s’intéressent à la suppression des niches fiscales dommageables ; c’est très important. Si le Parlement ne peut pas augmenter la dépense publique, il a davantage de marge de manœuvre, en revanche, pour la réduire.

Le MoDem s’est interrogé sur le calendrier et le plan. Nous avons deux ans pour agir concernant les dépenses dommageables pour la biodiversité. Comme cent cinquante autres pays, la France a en effet signé et ratifié en 2010 un engagement international qui prévoit la suppression ou la réforme de toutes les aides publiques dommageables pour la biodiversité d’ici à 2020. Il nous reste donc deux ans pour le respecter. La France, par la voix du Président de la République, veut être exemplaire en matière d’environnement ; pour ce faire, il va de soi qu’il faut respecter les engagements internationaux. Il s’agit en l’occurrence de l’objectif A3 d’Aichi, négocié lors de la Conférence mondiale sur la biodiversité à Nagoya, au Japon.

Je rapprocherai l’exemption de TICPE dans l’agriculture d’une autre annonce faite fin août, qui m’a quelque peu chagriné car nous peinons à appliquer le principe d’intégration de l’environnement aux autres politiques publiques. À la fin août, donc, il a été annoncé qu’il serait mis fin à l’exonération de cotisations sociales pour les travailleurs temporaires dans le secteur agricole. À titre personnel, j’aurais préféré que cette exonération soit maintenue et que l’exonération de TICPE diminue, car les secteurs agricoles les plus intensifs en main-d’œuvre – l’agriculture biologique et l’agroécologie, par exemple – sont aussi les moins dommageables pour l’environnement. Quitte à diminuer les dépenses fiscales dans l’agriculture, mieux vaut diminuer celles qui sont dommageables pour l’environnement plutôt que celles qui sont favorables à l’emploi et à une agriculture plus respectueuse de l’environnement.

J’en viens à l’affectation, sur laquelle de nombreuses personnes s’interrogent, pour dire des choses qui ne seront peut-être pas agréables à entendre. Rappelons que nous avons plus de 2 000 milliards d’euros de dette et que cette dette augmente chaque année. Peut-on affecter une nouvelle recette croissante alors que le déficit public augmente ? J’ajoute qu’un point a complètement disparu du débat alors qu’il en était au cœur dans les années 1990 et 2000 : la théorie du double dividende qui, pour beaucoup d’économistes, justifiait la fiscalité écologique. Le premier dividende tient au fait que la pollution étant taxée, elle est censée diminuer et se traduire par une amélioration environnementale ; d’autre part, l’augmentation de la fiscalité écologique devait en théorie s’accompagner d’une baisse des cotisations sociales pour diminuer le coût du travail, réduire le chômage et augmenter l’emploi. Force est de constater que cela ne fonctionne pas : l’an dernier, le Gouvernement a augmenté en même temps la fiscalité écologique par la contribution carbone et la CSG, apportant une nouvelle preuve de l’absence de vases communicants de l’une à l’autre.

Concernant l’artificialisation, la question des obligations vertes – les green bonds – a été posée. Ces obligations vont financer une partie du Grand Paris, peut-être parce qu’il s’agit d’infrastructures collectives faiblement émettrices de CO2. Cela me semble étrange : certes, le Grand Paris comporte de nombreux projets très utiles, mais il entraînera aussi l’accélération de l’artificialisation.

Les énergies renouvelables, monsieur de Courson, sont un facteur d’artificialisation. Je ne suis guère favorable à l’instauration d’une taxe sur l’artificialisation mais si elle existait, elle devrait englober les énergies non renouvelables – ce qui serait paradoxal puisque ces énergies sont par ailleurs subventionnées.

Je ne crois pas à la taxe sur l’artificialisation en débat parce qu’il existe déjà vingt‑neuf taxes dans ce domaine et qu’aucune ne fonctionne. Le problème n’est pas là ; il tient davantage à la sous-rentabilité et à la surtaxation du foncier non bâti qui découlent en grande partie – ayons le courage de le dire – d’un statut du fermage que la France est la seule à appliquer en Europe avec la Belgique. De ce fait, les loyers de fermage sont les plus faibles d’Europe et le rendement après impôt est systématiquement négatif, d’où il résulte une perte de la valeur des actifs. Le prix moyen de l’hectare en France est d’environ 6 000 euros, soit un niveau inférieur à celui de 1970. En euros constants, il devrait aujourd’hui valoir 50 000 euros. Autrement dit, les propriétaires de foncier agricole ont perdu 84 % de la valeur de leur investissement, à quoi s’ajoute un rendement négatif tous les ans. De surcroît, ils ne peuvent rien faire sur leurs propres terres, puisque c’est le preneur qui détient tous les pouvoirs, y compris celui de chasser, même si son bailleur n’y est pas favorable.

En somme, le statut du fermage est problématique puisque les loyers administrés et fixés par l’État sont à un niveau inférieur de moitié à ce qu’ils devraient être alors que la fiscalité applicable, elle, est normale – un fermage est taxé de la même manière qu’une boutique installée sur l’avenue des Champs-Élysées, dont le loyer est libre. La sous-rentabilité procède d’un cadre institutionnel et fiscal et tant qu’il existera, les propriétaires de foncier en fermage n’auront qu’une seule issue pour rentabiliser leur bien : l’urbaniser – hélas. Il faut leur offrir une autre issue.

Il faut également, comme le disait M. Bureau, rendre rentable l’investissement dans la transition écologique, donc dans les puits à carbone. Rappelons que le plan climat contient un engagement en la matière : il vise à aider les propriétaires fonciers à améliorer l’état de leurs écosystèmes. Le plan national pour la biodiversité contient lui aussi des engagements en ce sens. Dans l’avis qu’il a rendu, le comité national de la biodiversité demande la baisse de 50 % la taxation du foncier non bâti dès le PLF 2019.

Dernier point : que faire de l’IFI ? Plusieurs solutions peuvent être envisagées. On pourrait par exemple sortir de l’assiette de cet impôt les logements ayant fait l’objet de rénovations thermiques extrêmement ambitieuses, de catégorie A et B uniquement, en excluant les rénovations de catégorie C, car le saut, dans le cas contraire, ne serait pas assez important. Le coût de cette mesure serait faible et l’incitation forte. Autre solution : permettre aux contribuables redevables de l’IFI d’en investir le montant dans la rénovation thermique d’un logement locatif. Cela permettrait le transfert de moyens financiers de personnes aisées à des personnes moins aisées ; en contrepartie, le loyer ne pourrait pas être augmenté. Les locataires moins aisés en bénéficieraient puisque leurs frais imposés diminueraient, d’où l’augmentation de leur pouvoir d’achat.

Dans le non-bâti, là aussi, plusieurs solutions sont possibles : l’exonération complète, tout d’abord. Lorsque cette idée a surgi pendant la campagne présidentielle, je pensais que le non-bâti ne serait pas concerné – il me semblait absurde qu’il le soit. Le coût est faible : le non‑bâti représenterait environ 5 % à 10 % du produit de l’IFI. Autre solution : aligner cette taxation sur celle des forêts, qui sont imposées à hauteur de 25 % de leur valeur, tandis que les terres agricoles le sont à 50 % et les espaces naturels protégés les plus riches le sont à 100 % – ce sont notamment les zones humides, les étangs, les forêts non exploitées plus riches en biodiversité que les forêts exploitées, souvent monospécifiques. D’un point de vue écologique, c’est l’inverse qu’il faudrait faire. Une solution intellectuellement insatisfaisante mais qui améliorerait la situation consisterait à tout taxer sur la base d’un quart de la valeur en exonérant éventuellement les espaces protégés, dont on comprend mal pourquoi ils sont taxés puisque les servitudes d’environnement liées à l’imposition d’une protection réglementaire ou contractuelle à un espace naturel ne sont pas indemnisées. On fait donc miroiter une fiscalité favorable aux intéressés avant de la faire augmenter. À cet égard, la France sera bientôt saisie par Bruxelles et au titre d’autres conventions internationales pour expliquer pourquoi des espaces sous statut européen ou international de protection sont davantage taxés que des biens normaux ou polluants.

M. Dominique Bureau, président du CEV. Une question a été posée par le rapporteur général concernant les transferts de charges sur les petites et moyennes entreprises (PME). Les artisans et les PME, qui ont été plutôt constructifs lors de nos travaux, nous ont fait prendre conscience qu’ils étaient un peu désavantagés lorsqu’ils voulaient bénéficier de dispositifs d’accompagnement dans de bonnes conditions. Nous insistons donc dans le rapport sur la nécessité de différer la modification des taux de taxation de manière à permettre aux acteurs de s’y préparer ainsi que sur celle d’améliorer l’information des services concernés.

Les péages urbains représentent évidemment des coûts de gestion importants. C’est le cas à Singapour, qui a un dispositif en temps réel, qui présente aussi le gros avantage de permettre une gestion en temps réel de la congestion routière. Je voudrais quand même relativiser l’idée selon laquelle on n’aurait pas de métropoles en France. Compte tenu de la diversité des situations de Singapour, de la City londonienne, de Stockholm et de la Norvège, il me paraît difficile de dire que les péages urbains n’ont aucun sens dans certaines villes et de fixer un seuil minimal. En revanche, le design d’un péage urbain dépend évidemment des enjeux et de la taille de chaque ville. Par ailleurs, dans un monde où l’espace urbain tend à devenir de plus en plus rare, il faut que l’espace routier soit bien utilisé. Sans une bonne tarification routière, l’équation du financement des transports publics et alternatifs est insoluble. Si l’on veut préparer l’avenir des villes, on ne peut écarter cette question des péages urbains – comme on l’a fait en France jusqu’à présent.

S’agissant de l’articulation entre les différents instruments de gestion des déchets, qu’il y ait des normes ne doit pas nous empêcher de recourir à des instruments incitatifs. Le signal prix présente l’intérêt d’inciter les gens à faire tout leur possible pour supporter un coût inférieur au prix et à aller au-delà de la norme. La fiscalité incitative est par nature libératoire. Elle ne met pas les gens au pied du mur puisqu’ils peuvent toujours se libérer de leurs obligations en payant une taxe qui doit être fixée à un niveau satisfaisant par rapport aux dommages causés. La fiscalité incitative est donc un instrument fondamentalement souple et fait pour être souple – raison pour laquelle il a la faveur des économistes.

Notre comité a créé un groupe de travail sur l’artificialisation afin de disposer d’une vision moins cloisonnée que celles du prélèvement sur les sols agricoles, d’une part, et du renouvellement urbain, d’autre part. Le groupe sera coprésidé par la députée Anne-Laurence Petel et la sénatrice Anne-Catherine Loisier.

Les outils de pilotage ne suffiront évidemment pas mais ils sont très importants dans un domaine où il faut avoir une vision de long terme. On a d’ailleurs déjà ces outils, l’OCDE ayant par exemple inventé un instrument appelé carbon pricing gap. Souvent, quand on élabore des indicateurs de suivi des politiques publiques, ils n’évoluent guère et finissent par ne plus nous apprendre grand-chose. Il nous faut donc intervenir en la matière. Ce serait une erreur de croire que l’OAT verte n’a rien changé car elle nous a obligés à instaurer des instruments de reporting. Il faut avoir conscience de la nécessité d’améliorer nos outils de pilotage et du fait que cela est faisable dans le contexte actuel.

Matthieu Orphelin a évoqué la composante carbone. Si l’on se place du point de vue climatologique, la France, en se fixant une trajectoire en ce domaine et en la relevant en loi de finances, a saisi l’opportunité que représentait le prix peu élevé des énergies fossiles. Cependant, nous avons absolument besoin des recettes de cette composante carbone pour financer la transition carbone – tous les travaux d’expertise en cours, dont ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat et de la commission présidée par Alain Quinet, vous le confirmeront. Il faut tenir bon. Toute la question est celle de l’acceptabilité.

Enfin, s’agissant du caractère punitif de la fiscalité écologique et de la nécessité d’en faire une fiscalité affectée, les choses sont plus compliquées que cela. Au début des années 1970, des hivers rigoureux ont détruit les réseaux routiers alors que dans le même temps, se multipliaient les poids lourds transportant une charge à l’essieu considérable. En instituant la taxe à l’essieu, c’est-à-dire en incitant les transporteurs à basculer vers des semi-remorques, on a pu rénover le réseau et le redimensionner pour un coût deux fois moindre que si on n’avait pas créé cette taxe. Cette dernière a pleinement joué son rôle incitatif sans pour autant être affectée. La recette fiscale était d’ailleurs plutôt évanescente puisque tous les transporteurs ont fini par recourir à des semi-remorques. Cette success story illustre l’efficacité de la fiscalité incitative.

Mme Bénédicte Peyrol. Je le précise, le rapport du Comité pour l’économie verte a fait l’objet d’un consensus. Si je l’avais écrit toute seule, il aurait peut-être été différent. Ce comité comprend des représentants d’entreprises – Association française des entreprises privées, Mouvement des entreprises de France, Confédération des petites et moyennes entreprises – et des organisations environnementales. Le rapport est donc le fruit d’un travail de négociation ayant permis de faire converger les positions des uns et des autres.

Il est vrai, monsieur de Courson, que les objectifs en vigueur sont multiples, qu’il s’agisse des objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations unies, de la stratégie nationale bas carbone ou des objectifs de la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Nous devons procéder à un travail de rationalisation de ces objectifs car nous ne savons plus trop lesquels suivre. Ensuite, nous pourrons fixer une norme ou une fiscalité, peut-être les deux à la fois lorsque ce sera efficace. Vous semblez, cher collègue, rire de nos propositions en matière d’indicateurs mais ces derniers sont très importants. Le seul indicateur dont disposent les parlementaires s’agissant du CITE est l’augmentation du nombre de ménages qui en bénéficient : ce n’est pas un bon indicateur d’efficacité de la dépense. Il est donc nécessaire de faire un travail en ce domaine. Nous nous y sommes engagés tous ensemble lors du Printemps de l’évaluation. Le CITE, dont nous parlions en aparté avec Mme Dalloz, est-il bien ciblé ? Profite-t-il vraiment aux ménages les plus fragiles, qui sont les plus concernés par la contribution climat-énergie ? J’ai un début de réponse à cette question mais là encore, nous avons un travail indispensable à faire.

Nous avions déjà discuté avec M. Descoeur de la trajectoire de la contribution climat-énergie. Nous avons donné une trajectoire claire aux acteurs économiques et aux ménages : il faut donc la maintenir. Cependant, il faut aussi organiser un débat parlementaire sur l’affectation des recettes de la contribution et sur le dimensionnement de l’accompagnement apporté aux acteurs économiques et aux ménages. Pour que cette fiscalité soit acceptée et comprise par les ménages, il faut que le Gouvernement arrête une position pour les cinq ans à venir et qu’on explique clairement aux Français ce qu’on fera de cet argent, qu’il serve à financer en totalité la transition écologique ou pour moitié, ou encore qu’il soit reversé à 100 % au budget de l’État. Nous aurons ce débat la semaine prochaine dans le cadre du colloque que j’organise et auquel je vous invite vivement à assister.

M. Alauzet nous a interrogés sur la trajectoire de la TGAP déchets que l’on fait commencer en 2021 pour donner de la visibilité aux collectivités. Il est vrai que cette taxe pose un double problème : les refus de tri, qui concernent des déchets entrant dans un processus de recyclage, et les déchets allant dans un centre de stockage et étant soumis à cette TGAP en augmentation alors qu’on ne sait pas les recycler aujourd’hui. Cette trajectoire est aussi un signal pour l’innovation, comme nous le soulignons dans le rapport. Les collectivités qui ont participé au CEV ayant soulevé la question, il faut en débattre au lieu de se dire tout de suite que cette trajectoire est intenable du fait de ce reste de déchets.

Sur les plastiques, madame Dalloz, il existe effectivement des éléments de comparaison : je n’ai pas les chiffres en tête mais je crois que l’Allemagne est bien meilleure que nous en matière de recyclage des plastiques. Cependant, il faut rester prudent quand on fait des comparaisons, car nous n’avons pas tout à fait les mêmes méthodes de calcul de recyclage des déchets. Notre système de modulation des éco-contributions est peut-être insuffisant. La ministre s’est donc engagée à travailler sur ce sujet. Il convient d’envoyer un signal-prix mais celui-ci ne doit pas peser tant en aval qu’en amont pour favoriser l’éco‑conception et le recyclage des .plastiques.

S’agissant de l’OAT verte et de l’épargne, l’État n’est pas seul à investir dans la transition écologique. Il convient en effet de mobiliser l’épargne des Français et l’investissement privé. Il existe pour cela différents outils tels que la finance verte. Il faut que les investisseurs privés prennent des engagements plus forts en la matière. Quant au livret de développement durable et solidaire, il est censé être utilisé pour financer des projets verts mais tel n’est pas toujours le cas. Il importe donc d’assurer un suivi des dispositifs existants. Il n’y a pas que la fiscalité qui puisse nous aider à financer la transition écologique.

Enfin, quant à savoir si on peut qualifier de « verte » une OAT finançant le Grand Paris, par exemple, nous avons effectivement un problème de taxonomie, c’est-à-dire de classification des actifs entre le « vert », le « marron » et le « vert foncé ». Cette question est discutée au niveau de l’Union européenne. En tant que parlementaires, nous devons être beaucoup plus mobilisés sur ce sujet car il en va de l’avenir de la vraie transition écologique. Pour faire cette classification, sans doute faut-il étudier les incidences indirectes de la fiscalité.

Je vous remercie de nous avoir donné l’opportunité d’avoir ces discussions.

Mme la présidente Barbara Pompili. Je vous remercie à mon tour de ces échanges passionnants. Nous aurons l’occasion d’en avoir d’autres. Mme Peyrol organise d’ailleurs un colloque le 2 octobre prochain à 17 heures sur le thème de l’acceptabilité de la fiscalité écologique.

 

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Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

 

Réunion du mercredi 26 septembre 2018 à 17 h 15

 

Présents. - Mme Sophie Auconie, Mme Valérie Beauvais, M. Jean-Yves Bony, Mme Pascale Boyer, Mme Danielle Brulebois, M. Fabrice Brun, M. Stéphane Buchou, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Paul-André Colombani, Mme Yolaine de Courson, M. Vincent Descoeur, M. Jean-Baptiste Djebbari, M. Bruno Duvergé, M. Guillaume Garot, Mme Laurence Gayte, Mme Stéphanie Kerbarh, Mme Aude Luquet, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Sandra Marsaud, M. Gérard Menuel, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Adrien Morenas, M. Matthieu Orphelin, Mme Sophie Panonacle, Mme Barbara Pompili, Mme Véronique Riotton, M. Martial Saddier, Mme Nathalie Sarles, Mme Frédérique Tuffnell, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi

 

Excusés. - Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Bouillon, M. Guy Bricout, M. Lionel Causse, M. David Lorion, Mme Laurianne Rossi, M. Gabriel Serville

 

Assistait également à la réunion. - Mme Maina Sage