Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Hervé Morin, président de Régions de France, sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (n° 904)              2

– Présences en réunion.................................22

 

 

 


Mardi
15 mai 2018

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 64

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
Présidente,
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 15 mai 2018

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la Commission)

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La commission des affaires sociales auditionne M. Hervé Morin, président de Régions de France, sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (n° 904).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Au nom de la commission, Monsieur Morin, je vous souhaite la bienvenue. Cette audition est quelque peu inhabituelle dans le sens où, d’ordinaire, la commission entend, sur les projets de loi relatifs au travail et à la formation professionnelle, le ministre compétent et les représentants des organisations syndicales et patronales interprofessionnelles représentatives au niveau national, les autres acteurs étant auditionnés par le seul rapporteur. Toutefois, compte tenu du rôle croissant joué par les régions, depuis trente-cinq ans, dans le domaine de la formation professionnelle, et des modifications qu'il est proposé d’apporter à sa gouvernance, il m’a semblé opportun que nous entendions le point de vue des régions de France sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Aussi, sans plus attendre, je vous donne la parole.

M. Hervé Morin, président de Régions de France. Je suis heureux de retrouver cette assemblée où j’ai siégé pendant vingt ans, ce qui ne me rajeunit pas, et je suis heureux de m’exprimer devant les membres de la commission des affaires sociales, dont j’ai fait partie, pour essayer de les convaincre une dernière fois que le dispositif envisagé ne marchera pas.

A-t-on en effet vraiment analysé les causes de la faiblesse de l’apprentissage en France ? Au-delà du fait que le Conseil d’État l’a signalée, pour nous, cette faiblesse n’est en rien imputable aux régions dont je rappelle qu’elles n’ont la compétence pleine et entière en la matière que depuis 2015. Pour nous, la première de ces causes tient à la crise économique majeure pendant laquelle les effectifs de l’apprentissage ont servi de régulateur pour les entreprises. La deuxième cause est que le système français est devenu si complexe qu’il a découragé les entreprises d’embaucher des mineurs en apprentissage, qu’il s’agisse des règles concernant le temps de travail, des conditions de travail, de recrutement… Je note au passage avec satisfaction que le Gouvernement entend évoluer sur ce point. Le troisième facteur est lié à la politique de yoyo menée par la précédente majorité et qui a conduit à une rupture de la confiance entre le monde de l’économie et le Gouvernement d’alors – tous les services des conseils régionaux se souviennent du moment où la prime pour l’embauche accordée aux entreprises a été supprimée alors que l’embauche d’apprentis avait déjà été entérinée. S’y ajoute une quatrième cause : on ne peut pas, en France, devenir président-directeur général (PDG) d’une entreprise du CAC40 en étant passé par l’apprentissage, alors que c’est le cas en Allemagne où un ancien apprenti peut devenir PDG de Mercedes-Benz – c’est une question culturelle, de représentation, bien connue.

Nous n’en sommes pas moins d’accord avec le texte sur un certain nombre de points. Le premier est la définition des diplômes par les branches professionnelles : il n’y a aucun doute sur le fait qu’il faille confier au monde de l’économie les certificats de qualification professionnelle (CQP) par exemple. Pour nous, l’apprentissage doit être une co-construction – c’est d’ailleurs déjà une réalité dans les régions : j’ai créé mille places d’apprentissage en Normandie, et il ne me serait pas venu à l’idée d’en ouvrir une sans l’accord des branches professionnelles. Ensuite, un vrai facteur d’amélioration de l’apprentissage, en France, j’y ai fait allusion, est la simplification des normes, mais aussi le fait, notamment, qu’on puisse embaucher des apprentis jusqu’à l’âge de trente ans. Je tiens, à ce stade, à souligner que je m’exprime au nom des treize régions, unanimes sur le sujet.

Reste que nous avons une grande interrogation : un des pans de l’éducation du pays doit-il être confié à l’économie de marché, à savoir à la loi de l’offre et de la demande ? Quand on déclare vouloir confier l’apprentissage aux branches, on commet une erreur puisque, désormais, l’apprentissage sera ouvert à toute structure qui décide, dès lors qu’elle est certifiée, de proposer une offre d’apprentissage. Or je ne crois pas qu’un seul secteur de l’éducation nationale fonctionne suivant cette modalité : l’enseignement privé sous contrat est entièrement sous le contrôle de l’État… Aussi la formation en alternance sera-t-elle le seul secteur où la loi du marché déterminera l’ouverture ou la fermeture de places d’apprentissage ? C’est une question politique au sens noble du terme.

Une autre interrogation de notre part touche à l’articulation entre les centres de formation gérés par le monde de l’économie et les lycées professionnels. Selon cette grande spécificité française, les régions, avec l’éducation nationale et le monde professionnel, confient une partie de la formation aux centres de formation et une autre partie aux lycées professionnels. Or, demain, rien n’empêchera une branche ou un acteur privé d’ouvrir un centre de formation aux portes mêmes d’un lycée professionnel. Les investissements de plusieurs dizaines de millions d’euros et les investissements humains réalisés dans ces lycées professionnels peuvent-ils, du jour au lendemain, être remis en cause quand, dans le même temps, ces lycées participent à la formation en alternance – de mémoire, 15 % à 20 % des apprentis sont formés dans ces lycées ?

Se posera en outre, inévitablement, la question du coût et du financement de l’apprentissage dans les lycées professionnels – assuré en partie par les régions pour ce qui est des structures et d’une partie de leur fonctionnement.

Or ces interrogations, le projet de loi est loin d’y répondre.

Le Gouvernement, par ailleurs, n’a pas tenu la parole donnée à l’occasion des nombreuses réunions de travail que nous avons eues avec le Premier ministre, la ministre du travail et le ministre de l’éducation nationale, à commencer par l’orientation. Le communiqué de presse du Premier ministre, du mois de novembre dernier, précisait que la responsabilité de l’orientation et de l’information serait confiée aux régions. Parce qu’on n’a pas le courage d’affronter la question, le projet de loi confie aux régions l’information – soit les 300 personnels des directions régionales de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (DRONISEP), sachant que la direction nationale continue d’être contrôlée par l’État. Or la totalité de l’information et de l’orientation est l’un des points clés de la réussite de l’apprentissage. Si vous ne transformez pas en profondeur l’information et l’orientation non seulement des jeunes mais des familles, vous ne remplirez pas les centres de formation. Tant que prévaudra le même imaginaire, véhiculé par ceux qui sont chargés d’informer et d’orienter les jeunes – « tu es bon donc tu vas t’orienter vers la filière générale ; tu es mauvais donc tu vas faire une formation professionnelle » –, ça ne marchera pas. Quand, à la demande des branches professionnelles, nous ouvrons des sections d’apprentissage dans les bassins d’emploi, que constatons-nous ? Que nous ne parvenons pas à remplir les centres de formation. Pourquoi ? Parce qu’on dit aux jeunes : « Ce n’est pas ce métier-là qu’il faut que tu fasses parce que tu es trop bon ; reste donc dans la filière générale. »

J’imagine que vous êtes allés dans les pays où l’apprentissage réussit. Je me suis moi-même rendu en Allemagne dès que j’ai été élu président de conseil régional. Le système y est planifié, impliquant le monde de l’économie et celui de l’éducation. Une structure y organise l’information et l’orientation. Or on ne connaît plus les métiers aujourd’hui, en France. Je le disais tout à l’heure à un groupe parlementaire : gamin, quand j’allais à l’école, je découvrais les métiers car ils étaient dans mon village. Les métiers sont aujourd’hui exercés à la périphérie des villes et dans des entreprises fermées à double tour. Comment voulez-vous connaître un métier avec un conseiller d’orientation-psychologue (COPSY) – dont, à la demande des syndicats, le nom est devenu « psychologue de l’éducation nationale » (PSYEN) ? On a rayé de leur appellation le mot « orientation ».

Je prends l’exemple de l’usine Renault de Flins, que je suis allée visiter il y a quelques semaines. Elle est considérée comme l’une des plus performantes au monde puisque classée par un organisme américain comme la deuxième dans le secteur de la métallurgie automobile. Comment voulez-vous vous représenter la maintenance industrielle dans des usines « 4.0 » ? On est tellement loin de l’imaginaire qui continue de prévaloir ! Comment pouvez-vous imaginer tous les métiers de la métallurgie quand la représentation que vous en avez vous vient de votre lecture de Zola ? Il faut en outre savoir que 70 % des jeunes, auxquels le psychologue de l’éducation nationale ne consacrera en moyenne que six minutes chacun, déterminent leur orientation à la suite d’un dialogue avec leur famille. Il faut par conséquent créer un système intégrant non seulement le jeune mais aussi sa famille afin qu’elle prenne conscience que tel métier est bien payé, qu’il permet des évolutions professionnelles. Aussi l’absence de courage, il faut le dire, d’affronter tel syndicat, donc le non-respect de l’engagement pris par le ministre de l’éducation nationale et le Premier ministre lors de la conférence de presse de novembre dernier, a-t-il conduit à l’une des grandes faiblesses du projet de loi.

Comme nous sommes allés au palais de l’Élysée pour râler, il a été décidé qu’une expérimentation serait menée dans trois régions pendant trois ans. Reste que, pardon, si l’on veut réussir la réforme de l’apprentissage, il faut créer un système dont le pilotage devrait être régional et impliquant les conseils départementaux, puisque cette affaire commence au collège, mais aussi les branches professionnelles. Il faut faire en sorte que les entreprises aillent en permanence dans les établissements scolaires et les élèves dans les entreprises. Croyez-vous qu’un système aussi figé que celui en vigueur favorise l’orientation vers la maintenance industrielle, vers les métiers de la métallurgie où il n’y a plus que des machines à conception numérique ?

Ensuite, le versement de l’aide unique – et le fait qu’elle soit unique est positif – aux employeurs d’apprentis pour les entreprises de moins de 250 salariés employant un apprenti devait être confié aux régions ; or, on a décidé de le confier à l’État. Fort bien, mais je vous renvoie au monde agricole afin que vous mesuriez comment fonctionnent des systèmes gérés par l’État... Nous allons donc, ici, confier ce versement à l’État via des administrations déconcentrées qui n’ont plus aucuns moyens. Cela signifie par ailleurs que toutes les régions qui versaient des primes en plus de celles octroyées par l’État vont cesser de le faire. Ainsi existait dans ma région un système d’aides particulier en faveur de l’apprentissage des plus de dix-huit ans dans les entreprises de moins de vingt salariés – eh bien, tout cela va être terminé.

Troisièmement, le Premier ministre s’était engagé, en novembre dernier, sur la création d’un schéma régional. J’entends bien qu’il n’y ait plus de système prescriptif puisque, à l’époque, c’était une revendication insistante du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Toutefois, comment construire, par bassin d’emploi, un système sans perspectives à moyen terme concernant des métiers qui vont évoluer, des formations qu’il faut créer, d’autres qu’il faut supprimer, des apprentissages qu’il faut concevoir ? On nous répond que nous sommes maîtres des investissements, avec au passage des volumes qui ne correspondent en rien aux engagements des régions. En effet, les années de référence sont celles de l’alternance politique et celles où la taille des régions a été redéfinie. En Normandie, j’avais un plan d’investissement de 60 millions d’euros ; or, pour les mêmes réalisations, il me reste 9 millions d’euros. J’ai donc dit aux centres de formation de se démerder, bien entendu. Au‑delà, en l’absence de schéma régional, en fonction de quel critère une région va-t-elle décider de financer tel plan, tel investissement dans tel centre de formation ? Pourquoi voudriez-vous que je privilégie le centre de formation d’Alençon qui me demande 20 millions d’euros plutôt que celui du Havre qui me demande 15 millions d’euros ? Donc, en l’absence de schéma régional, en vertu de quel critère décider d’un investissement : seulement parce que les murs sont décrépis ou parce qu’il faut améliorer le bilan énergétique de tel bâtiment ? C’est tout de même un peu court.

J’en viens au point essentiel. Parlementaires, vous devez assumer une responsabilité majeure. Vous, députés de la majorité, qui considérez que vous êtes capables d’accomplir des réformes que les précédentes majorités n’ont pas eu le courage de mener – même si Raffarin s’y est essayé, même si le gouvernement auquel j’ai appartenu, pendant le quinquennat de Sarkozy, l’avait promise, chacun, à chaque fois, se heurtant au conservatisme –, si vous ne faites pas la réforme de l’apprentissage et de l’orientation, considérez-la comme mort-née. Si vous ne donnez pas aux enfants et aux familles la chance historique de découvrir les métiers de demain ou d’avoir un autre imaginaire sur les métiers d’aujourd’hui, ça ne marchera pas. C’est dit.

J’aborderai ensuite la question du prix national. Je vous demande d’examiner de près comment sont définies les formations dans chaque centre. Chaque formation est fonction à la fois des jeunes que le centre reçoit – et qui sont forcément différents d’un endroit à un autre : les Français ne sont pas tous les mêmes ! – et des entreprises où les apprentis vont aller. Pour être clair : quand vous avez trois ou quatre très grandes boîtes qui sont l’essentiel des pourvoyeurs de l’apprentissage, elles demandent aux centres d’adapter la formation à leurs besoins.

Prenons l’exemple de l’hôtellerie : en Provence, la formation est orientée vers les yachts ; elle est donc différente de celle proposée dans un centre situé en Normandie. On n’y demande pas la même chose et son coût n’est pas le même alors que le projet de loi ne prévoit plus qu’un prix unique à l’échelon national. Je citerai un second exemple. Muriel Pénicaud nous dit : « Vous vous rendez compte, les prix de la formation dans la restauration sont par endroits démentiels et il faut que ça change. » Certes, mais l’école Ferrandi, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, forme les cuistots qui demain seront ceux des restaurants pourvus de trois macarons dans le guide Michelin, quand le centre de formation de Bernay s’adresse à la restauration et à l’hôtellerie de Normandie qui a rarement trois macarons. Donc la formation n’est pas la même. De la même manière, dans le domaine de l’imprimerie, il s’agit de former à dix métiers différents : certains centres mettront l’accent sur le numérique ; d’autres recruteront des formateurs anciens meilleurs ouvriers de France pour une orientation vers des métiers artistiques.

Dès lors, le centre de formation va s’adresser à la structure nationale où, comme c’est le cas pour la sécurité sociale, personne ne répondra au téléphone. Ou alors nous aurons droit à un dialogue de ce type : « Allô, bonjour, pour ce qui est du financement de la formation, vous m’avez mis dans la case 132.B au lieu de la case 134.7. » Le système que vous prévoyez fonctionnera ainsi. Il sera national alors que les coûts de fonctionnement des centres ne sont pas les mêmes : le prix du mètre carré n’est pas le même à Paris ou à Nice qu’à Bernay ; les salaires ne sont pas les mêmes à Paris ou Lyon qu’à Rouen ; les coûts de fonctionnement des bâtiments diffèrent, de même, d’un endroit à l’autre… Aussi comment peut-on établir un coût national pour des formations qui ne peuvent qu’être le plus finement adaptées aux bassins d’emploi, à une économie pour le moins diverse ?

De plus, on annonce que le prix national sera calculé sur une moyenne de douze élèves. Sauf que le monde de l’apprentissage ne fonctionne pas ainsi. Quand, à Saint-Lô, on me dit qu’il faut mettre en place une formation professionnelle plus élevée, de niveau III voire de niveau II au lieu d’une formation de niveau IV, eh bien je sais que les effectifs seront de quatre ou cinq élèves. Or si j’ai besoin de douze élèves pour atteindre l’équilibre financier, qui va payer ? Quel centre de formation, dans les conditions prévues, fera l’effort de passer à une formation qui n’attirera que quatre ou cinq élèves ? Aucun. Prenons un exemple concret : le centre de formation pour apprentis (CFA) de Caen, agglomération de 350 000 habitants, forme six à huit apprentis poissonniers par an, parce qu’il n’y en a pas besoin de plus, et tous trouvent du boulot. Or l’effectif est ici bien inférieur à douze élèves. Et si on décidait de déplacer cette formation à Rennes, je vous garantis, compte tenu de la capacité de mobilité de nos compatriotes, que pas un jeune n’ira de Caen à Rennes. Et les métiers rares ? Trois doreurs sur bois sont formés en moyenne chaque année dans les Vosges : qui va s’en occuper ? Jusqu’à présent, on confie à des centres de formation des moyens nécessaires à la formation à des métiers aux faibles besoins en effectifs, mais des métiers où il y a des débouchés, des métiers souvent très valorisants.

Or vous êtes en train de bâtir un système totalement centralisé avec un prix décidé par une agence nationale, certes aux mains des branches professionnelles, alors que le monde est tout de diversité. Votre logique est contraire à celle du monde moderne. C’est ce que je ne comprends pas. De plus, on n’intègre pas au coût du contrat tout ce que les régions faisaient pour les apprentis. Qui va payer leur transport ? Qui va payer leur équipement ? Qui va payer leur hébergement ? Les régions n’ayant plus de compétences en la matière, je ne vois pas pourquoi elles se mettraient à payer sur leur budget propre des dépenses au sujet desquelles on leur a dit qu’elles étaient mauvaises gestionnaires, dépenses qu’on retirait donc de leur ressort. Il faut être cohérent : on ne peut pas demander aux régions de taper sur leurs fonds propres pour financer des actions après leur avoir expliqué qu’elles étaient des billes. Je rappelle au passage que, dans les régions, il y a plusieurs milliers de collaborateurs dont c’est le métier.

Nous jouions jusqu’à présent un rôle de régulation qui permettait de maintenir des formations ou d’en ouvrir certaines dont nous savions qu’elles ne pouvaient atteindre l’équilibre financier, qu’elles ne pourraient pas, là où elles se trouvaient, avoir les effectifs suffisants. Ainsi, nous ouvrions une formation dont nous savions qu’elle n’attirerait que six ou sept élèves, mais qui correspondant à un besoin avéré de l’économie, tout en espérant que le nombre d’élèves augmenterait progressivement. Désormais, quel centre de formation va prendre le risque d’ouvrir en sachant qu’il va perdre de l’argent ? Par ailleurs, en cas de crise économique, comme ce fut le cas dans le bâtiment où tout à coup les effectifs se sont effondrés, les centres de formation vont avoir moins d’élèves. Qui, en cas de crise violente, va jouer le rôle de régulateur ? En 2008, je n’imagine pas le nombre de secteurs, dans le bâtiment ou dans la métallurgie, où les régions ont probablement dû injecter beaucoup d’argent pour sauver des centres de formation indispensables dans certains bassins d’emploi.

Voilà qui m’amène à évoquer l’aménagement du territoire. Je vais vous décrire ce qui va se passer et je prends date – la chance de l’Assemblée, c’est qu’il y a des comptes rendus.

Nous avons demandé à chaque région d’analyser la situation à partir d’un coût au contrat volontairement surévalué par rapport au coût envisageable à l’issue des discussions que nous avons pu avoir avec les branches, à savoir 7 000 euros – alors qu’on nous dit qu’on sera plutôt autour de 5 000 euros en moyenne. Quelque 700 centres ont des déficits considérables. Ma région, dont j’ai les chiffres en tête, toujours sur la base d’un coût au contrat de 7 000 euros, compte 71 centres de formation dont 41 cumulent 31 millions d’euros de déficit, 20 autres centres cumulant 22 millions d’euros d’excédents. On annonce la création d’un fonds d’aménagement du territoire – formidable ! – et la région Normandie bénéficiera de 13 millions d’euros avec lesquels je devrai financer l’innovation, les spécificités de centres de formation auxquels on ne peut pas appliquer le coût national, mais aussi les investissements liés à des pratiques pédagogiques particulières, le tout ayant été estimé par mes services à 4 millions. Il me reste par conséquent 9 millions d’euros pour 31 millions d’euros de déficit minimum.

Je vais donc vous décrire ce qui va se passer. Les centres de formation vont estimer que si, pour tel métier, ils doivent parvenir à douze élèves pour parvenir à l’équilibre, il leur faudra fermer telle autre formation qui va leur faire perdre de l’argent. Les centres qui vont gagner de l’argent, eux, vont parfois prendre le risque d’ouvrir une formation nouvelle, si bien que vous aurez de très grands centres de formation dans les grandes agglomérations, qui vont progressivement capter la totalité de l’offre. Grâce à leur spécialisation, à leur productivité, ces grands centres seront des plus performants ; et, s’ils se situent dans des bassins à forte densité démographique, ils seront à même de développer quelques formations complémentaires. Seulement, je sais qu’un jeune Normand de L’Aigle n’ira pas se former à Rouen ; et je sais que le bassin de recrutement de l’entreprise du bâtiment d’Alençon est à vingt ou trente kilomètres et non à cinquante ou cent kilomètres. Le risque est par conséquent que vous provoquiez l’assèchement de bassins économique déjà très fragiles.

Ensuite, qui va aller ouvrir un centre de formation dans les banlieues ? Qui va décider d’aller dans des quartiers où tout est plus compliqué, où l’on est obligé de mettre en place des formations complémentaires, notamment concernant le « savoir-être » ou l’apprentissage de la langue française ?

Et, pardon de vous le dire, j’ouvre une parenthèse, j’ai entendu dans la bouche d’une partie des représentants du patronat que, globalement, on pourrait éventuellement faire en sorte que les jeunes des lycées professionnels aillent dans les CFA. Eh bien, non, ce ne sont pas les mêmes publics. Une partie des jeunes en lycée professionnel peut tout à fait aller en CFA et chez des patrons mais une autre partie ne le peut pas.

J’en reviens à mon propos : quand la région Normandie décide d’ouvrir un CFA dans le quartier des Hauts de Rouen, je ne vois pas quel acteur privé ira, lui, en ouvrir un. Et, demandez-le à Valérie Pécresse, je ne vois pas qui va aller ouvrir un centre de formation dans un quartier difficile de Seine-Saint-Denis. Je ne vois pas non plus pourquoi une branche professionnelle, tout à coup, estimerait devoir investir plusieurs dizaines de millions d’euros dans des quartiers où, je le répète, tout est plus compliqué qu’ailleurs. Je ne vois pas pourquoi une branche professionnelle irait ouvrir un centre de formation dans une zone rurale où il est acquis que le recrutement sera faible. Enfin je ne vois pas pourquoi l’UIMM créerait des CFA pour des métiers très spécialisés n’étant susceptibles d’attirer ici aussi qu’un nombre restreint d’apprentis.

Si vraiment le prix du contrat – une vraie question théologique – mérite d’être compensé – et à notre demande : en effet, de fonds d’aménagement du territoire, il n’était même pas question au début –, c’est parce que, si vous le maintenez tel qu’il est, le système va s’effondrer en deux ou trois ans, et exactement comme je vous l’ai décrit. C’est-à-dire que des centres continueront à gagner du fric, à se développer, quand tous les autres se réduiront aux formations capables de rassembler les fameux douze élèves. Je comprends très bien la logique consistant à considérer qu’il faut motiver les centres de formation en les obligeant à aller chercher des apprentis ; seulement, si vous voulez aller chercher des apprentis, il faut que vous ayez un système d’orientation et d’information des jeunes qui le permette, et donc, par exemple, permette au secteur de la métallurgie de trouver des jeunes afin de remplir ses centres de formation. Sinon, cela ne marchera pas. On aura beau faire toutes les campagnes de publicité, cela ne suffira pas si la représentation des métiers et des formations ne change pas. Le libéral de service que je suis veut bien comprendre votre logique, mais encore aurait-il fallu – ce qui n’est pas envisagé – donner aux centres de formation les moyens de faire venir ces jeunes.

J’en viens à la motivation des entreprises. Je ne vois pas pourquoi ces dernières seraient en effet soudainement motivées alors qu’elles l’ont si peu été jusqu’à présent. L’UIMM, qui a conçu l’essentiel de cette réforme, donne des leçons sur ce que devrait être l’apprentissage alors qu’elle ne représente que moins de 10 % de l’apprentissage et alors que les très petites entreprises (TPE) et l’artisanat en concentrent 65 %. Je veux bien qu’une prime très élevée et que la simplification des procédures soient de nature à motiver les entreprises, soit, mais pourquoi, j’y reviens, l’apprentissage est-il concentré dans les petites et moyennes entreprises (PME), les TPE et dans l’artisanat, en France, alors qu’en Allemagne il l’est dans l’industrie autant que dans les TPE ?

Des parlementaires se sont exprimés sur les réseaux sociaux pour faire de l’Allemagne notre référence. Sauf que l’Allemagne et la France, ce n’est pas la même chose…

Mme Monique Iborra. C’est sûr !

M. Hervé Morin. …au moins en ce qui concerne l’apprentissage, et je vous invite à relire De l’Allemagne, de Mme de Staël, pour comprendre à quel point nous sommes deux pays différents. Pourquoi donc ne citez-vous pas la Suisse où le système d’apprentissage est financé par des fonds publics, à savoir par les cantons ? En outre, en Allemagne, madame la présidente, il y a cinquante branches professionnelles organisées contre deux voire trois en France. Et ce n’est pas parce que le Gouvernement en créerait 150 ou 200 que la musique va changer.

Donc pourquoi comparer la France et l’Allemagne quand on sait qu’en Allemagne la moitié des entreprises – industrielles – embauchent des apprentis, contre un dixième en France – et toutes, des TPE pour l’essentiel, dans le secteur du bâtiment ? Il faut ensuite savoir qu’il y a en Allemagne un système de branches parfaitement organisées, si bien que le droit du travail est discuté par elles et non pas par l’État. Enfin, je rappelle que l’Allemagne est un régime fédéral et que les Länder consacrent chaque année 3 milliards d’euros à l’apprentissage, alors que nous sommes en train de construire, de notre côté, un système centralisé qui, certes, ne sera pas aux mains du pouvoir politique, mais qui prévoit qu’une agence, France compétences, déterminera uniformément le prix du contrat dans tel ou tel métier – un peu comme si tous les Français se rasaient de la même façon tous les matins.

Nous souhaitons, pour finir, vous convaincre d’une chose : n’est pas en jeu, à nos yeux, une question de pouvoir – pas un Français ne sait que ce sont les collectivités territoriales qui gèrent l’apprentissage. Dès lors que les régions ont le soutien de l’entreprise, qu’elles s’occupent d’une partie de la formation professionnelle – je compte sur mon ami Vercamer pour me poser des questions sur ce sujet que je n’ai pas abordé – et d’une partie de l’emploi, ce n’est pas, je le répète, une question de pouvoir ; nous considérons simplement que le système envisagé ne peut pas marcher. Puisque je l’ai mentionné, j’ajoute que le Gouvernement avait estimé qu’il fallait un pilotage unique de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi ; or on a maintenu un système dont la complexité est source d’inefficacité.

Le projet de loi comporte de bons aspects – je les ai mentionnés –, mais conduira à des dysfonctionnements massifs.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur le président, pour ce réquisitoire passionné.

Mme Catherine Fabre, rapporteure. Merci, monsieur Morin, pour ce qui est en effet un réquisitoire. À défaut de pouvoir exposer dans le détail le contenu de la réforme de l’apprentissage, j’en rappellerai l’esprit.

Je n’ai pas bien compris si vous nous reprochiez ou non de recentraliser le système d’apprentissage. Il s’agit pour nous de le déverrouiller, puisque nous devons désormais réguler l’offre en amont. En outre, notre système est administratif alors que, dans les pays où l’apprentissage est dynamique, il est confié aux branches. Avec un chômage des jeunes massif, avec seulement 16 % des jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans en apprentissage – qui est pourtant l’un des meilleurs tremplins vers l’emploi –, le dispositif en vigueur ne donne pas les résultats escomptés. Ce ne sont donc pas les régions que nous remettons en cause, mais la logique sur laquelle repose l’apprentissage.

Du reste, les régions ne seront pas absentes puisque, au contraire, elles gardent dans le dispositif une place essentielle – légitime et souhaitable. Je compte donc pleinement sur l’énergie et l’engagement de tous pour que le développement économique du territoire
– compétence des régions – entre en forte synergie avec l’offre de formation initiale et continue afin de créer des écosystèmes vertueux. À ce titre, les campus des métiers, les pôles d’excellence tels que l’aérocampus de Latresne ou le pôle cuir de Thiviers, répondent à la fois aux besoins des entreprises et à celui des territoires en proposant des formations d’excellence, de proximité et constituent des modèles à suivre.

Je souhaite savoir dans quelle mesure vous partagez cette vision, dans quelle mesure vous contribuerez à la défendre ?

Pour le reste, comme vous, je pense qu’il faut en finir avec le conservatisme, qu’il faut tout tenter pour réussir ensemble au profit de notre jeunesse.

Vous avez évoqué la découverte des métiers. Or les régions disposeront d’outils en la matière, puisque vous allez pouvoir proposer des journées de découverte des métiers dans les collèges et les lycées. J’attends beaucoup des régions en la matière puisqu’elles sont proches des entreprises. J’attends que, via les centres animation ressources d’information sur la formation – observatoires régionaux emploi formation (CARIF-OREF), via vos visites, en Nouvelle Aquitaine, les régions contribuent à ce que les jeunes Français connaissent les métiers mieux que leurs aînés. Je compte sur vous et ne doute pas, quand je vous entends évoquer l’orientation, que les régions feront du bon travail ; je suis donc, de ce point de vue, assez optimiste.

M. Bernard Perrut. Nous sommes tous favorables à une réforme de l’apprentissage, encore faut-il qu’elle soit efficace. Avec ce projet de loi, nous passons d’une logique administrative, celle où les CFA se finançaient en grande partie auprès des régions, à une logique nouvelle, dite de marché, où le financement se fait au nombre de contrats signés avec un coût établi au niveau national et dont on peut prévoir toutes les conséquences. Avec la réforme, la place des régions sera amoindrie avec un financement qui va passer de 1,7 milliard d’euros à 250 millions d’euros. L’intervention des régions devenant facultative, nous nous posons de nombreuses questions, elles viennent d’être rappelées, y compris en matière d’investissements dans les CFA.

Les branches professionnelles ne sont pas absentes de l’apprentissage, mais il faut sans doute, il est vrai, les associer plus étroitement aux régions, sous la forme d’un copilotage de cette politique ; c’est en tout cas ce que nous souhaitons. Il faut aussi définir une stratégie régionale à travers un schéma régional des formations en alternance coconstruit par les régions et par les branches – je crois que vous y êtes favorables – et bien sûr des conventions d’objectifs et un vrai dialogue de gestion. C’est à ce prix que nous pourrons être d’accord avec cette réforme.

Les formations mises en place peuvent être menacées par la réforme, vous l’avez souligné, en raison notamment du calcul du coût au contrat au niveau national alors que chaque formation est différente, que l’organisation pédagogique est adaptée à l’hétérogénéité des apprentis. Vous avez bien montré cette diversité et nous pouvons donc nous demander comment les CFA vont survivre.

La réforme renforce les branches professionnelles fortes mais que se passera-t-il là où elles sont peu structurées, là où elles sont inexistantes ? Comment 400 branches feraient-elles mieux que nos treize régions, proches des réalités du terrain grâce à leurs élus et à leurs services ? Avec le type de financement prévu, les CFA seront exposés à la conjoncture et aux crises économiques, il faut oser le dire.

Je terminerai en évoquant l’orientation, essentielle. Elle doit être plus efficace et valoriser les métiers. Or le texte ne remédie pas à l’émiettement des acteurs de l’information. Vous l’avez souligné, monsieur le président : il faut donner toute leur place à la famille, aux proches, aux établissements scolaires, en matière d’orientation et d’information, si l’on veut parfaire la connaissance des métiers et que les jeunes sachent au mieux ce que pourra être leur avenir.

M. Francis Vercamer. Vous avez défendu les régions avec vigueur et même fougue, monsieur le président. Moi-même, d’ailleurs, lors de la dernière réforme de la formation professionnelle, j’avais de la même manière défendu les régions auprès de Laurent Wauquiez, alors membre du Gouvernement, lequel ne m’avait d’ailleurs pas suivi – gouvernement auquel du reste vous apparteniez.

Mme Monique Iborra. Absolument.

M. Hervé Morin. Il s’agissait d’accords interprofessionnels.

M. Francis Vercamer. Une réforme d’ensemble de l’apprentissage et de la formation professionnelle doit avoir deux ambitions : permettre des parcours professionnels plus fluides, plus diversifiés en encourageant l’acquisition de compétences et de qualifications ou en encourageant la mobilité professionnelle – à mon avis très en retard en France – ; ensuite, ajuster les formations, les qualifications à la diversité des parcours des individus et surtout aux attentes des filières, des professionnels et des employeurs.

Pour réaliser cette double ambition, les territoires, et en particulier les régions du fait de leurs compétences dans le domaine économique, ont un rôle primordial à jouer. C’est donc d’une décentralisation que l’apprentissage et la formation professionnelle ont besoin – vous l’avez assez souligné. Or on voit bien, en lisant le projet de loi, que la dimension territoriale fait défaut : il y manque l’implication non seulement des régions mais aussi de l’ensemble des collectivités locales.

Vous avez prononcé un réquisitoire contre le texte ; or je souhaite savoir ce que vous proposez pour impliquer les régions dans la formation professionnelle et l’apprentissage. Quelle place devrait-on accorder aux lycées professionnels, complètement absents du projet de loi ? Comment renforcer le rôle des régions dans l’orientation, essentielle, M. Perrut l’a rappelé, mais pas ou trop peu développée en France ?

M. Hervé Morin. Elle n’existe tout simplement pas !

M. Francis Vercamer. Enfin, envisageriez-vous des expérimentations visant à adapter les formations aux bassins de vie, aux réalités locales, adaptations qui permettraient peut-être des assouplissements ponctuels nécessaires dans certains secteurs ?

Mme Michèle de Vaucouleurs. Nous avons bien entendu vos remarques, monsieur le président. Une des questions évoquées, et non des moindres, est celle de la péréquation nécessaire pour assurer une équité entre les territoires. Il faut préserver certains métiers et donc leur apprentissage. Le Gouvernement a bien prévu de confier aux régions une mission de péréquation mais, compte tenu des variables d’ajustement à prendre en compte, nous devrons nous montrer vigilants quant aux moyens affectés à sa réalisation.

Vous nous alertez par ailleurs sur l’orientation. De fait, au cours de la plupart des auditions et rencontres que nous avons organisées, nous avons pu mesurer l’échec complet de l’éducation nationale en la matière : ce ministère n’a pas voulu ou pas su informer sur l’apprentissage ni orienter vers lui. Il nous est apparu assez tôt, au cours de l’élaboration du texte, que le Gouvernement partageait ce constat et jugeait que les régions étaient les mieux placées pour impulser une dynamique tenant compte le mieux possible de la réalité et de l’évolution des territoires. Or, sur ce point, le projet de loi paraît timide car il ne prévoit qu’une expérimentation limitée géographiquement et dans le temps. Quelles assurances pouvez-vous nous apporter sur vos capacités à faire mieux au service de l’orientation ? Comment, selon vous, être en phase avec la révolution copernicienne attendue et qui doit commencer dès l’étape de l’orientation ? En effet, d’après toutes les analyses, l’orientation est prioritaire pour que l’apprentissage prenne toute sa place dans notre système de formation.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. J’ai écouté avec intérêt votre intervention, monsieur Morin, et les questions que vous soulevez au sujet de l’hexagone me paraissent également concerner l’outre-mer.

La réforme de l’apprentissage vous inquiète gravement, notamment en ce qui concerne l’égalité des territoires. L’association que vous présidez le note elle-même en Guadeloupe : 60 formations sur 135 sont menacées. Vous le savez, les branches professionnelles, outre-mer, sont peu structurées. Avez-vous réalisé une étude spécifique pour les territoires ultramarins sur le transfert aux branches de la compétence en matière d’apprentissage ? Ce transfert peut en effet déclencher un cataclysme chez nous, qu’il s’agisse de la quantité ou de la qualité de l’offre de formation.

Ensuite, le Gouvernement prévoit une enveloppe de 250 millions d’euros pour les régions, pour assurer l’égalité au sein des territoires, et prévoit également une dotation de 180 millions d’euros par an, alimentée par la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), pour investir dans la création de nouveaux CFA ou pour procéder à la rénovation de certains. Or, vous le savez, outre-mer, nous ne percevons pas la TICPE mais la taxe spéciale de consommation (TSC). De ce fait, selon vous, les territoires d’outre-mer sont-ils exclus du bénéfice de l’aide prévue au titre de la TICPE ?

M. Hervé Morin. Pardon, madame Vainqueur-Christophe : j’ai en effet oublié de mentionner l’outre-mer. Or s’il y a une chose à faire, urgente, c’est bien de différer l’application de la réforme dans les territoires d’outre-mer où ne se trouve aucune branche professionnelle ou presque.

Madame la rapporteure, nous n’avons pas la compétence en matière d’information... On ne fait pas de l’orientation ni de l’information quand on organise trois jours de visite dans un collège ou dans une entreprise. On se donne bonne conscience, à l’heure actuelle, avec ce genre de pratique : on va lancer une journée d’information sur les métiers du bois, comme si l’on pouvait ainsi susciter une envie voire une passion. Une très bonne réforme, promise par Jean-Michel Blanquer, consisterait à consacrer deux ou trois heures par semaine à l’orientation. J’ignore si l’éducation nationale l’envisage encore, c’est en tout cas une bonne idée. Pour l’heure, un principal de collège ou un proviseur de lycée peut très bien ne pas nous ouvrir la porte de leur établissement et le texte tel qu’il est rédigé n’y changera rien. Or ce ne sont pas les fiches de l’ONISEP qui permettent de connaître les métiers…

De plus, je l’ai dit, les COPSY s’appellent désormais les PSYEN. Ces personnels ont demandé la revalorisation de leur métier à travers un changement d’appellation mais dans laquelle le mot « orientation » a disparu. Doit-on confier aux régions la compétence en matière de psychologie scolaire ? Absolument pas : elle doit continuer de relever de l’État. Au contraire, la compétence en matière d’orientation doit être, elle, attribuée pleinement aux régions. Et si vous allez en Allemagne, vous verrez que l’orientation ne se réduit pas à une balade de temps à autre dans une usine ou dans une entreprise. Elle relève d’une organisation très planifiée en fonction de laquelle, chaque semaine, on procède à une immersion, on fait connaître les métiers… Le modèle est radicalement différent entre nos deux pays. Ce n’est pas avec les CARIF-OREF qu’on assurera une bonne information et une bonne orientation. Il faut en effet y consacrer des moyens humains importants. Or, si des centres d’information et d’orientation ont été fermés un peu partout et s’il ne reste que 2 500 PSYEN pour remplir cette mission, c’est bien que la France a décidé de se désintéresser de l’orientation.

On ne va pas demander aux régions de mobiliser des collaborateurs par milliers dans toute la France pour contribuer à l’orientation sans leur donner complètement la compétence en matière de formation – ni les budgets pour le faire. Il y a en effet des initiatives qui sont prises, mais entre une initiative ponctuelle et l’organisation méthodique, planifiée et structurée d’un modèle d’orientation, il y a une différence de taille, et une telle organisation n’a rien à voir avec ce qui est proposé aujourd’hui.

Monsieur Vercamer, ce que nous avons proposé au Gouvernement était de coconstruire un système auquel aucune région ne puisse échapper. On peut en effet penser qu’à un moment ou à un autre, tel président de conseil régional estimera que l’apprentissage n’est pas sa priorité. Nous souhaitons l’élaboration d’un modèle dans lequel les branches professionnelles et la puissance publique travaillent ensemble pour faire évoluer le système.

Je ne suis nullement opposé, madame la rapporteure, à ce que l’on puisse ouvrir des places dans les centres de formation sans autorisation administrative mais à partir d’un schéma qui soit viable. Or, le schéma proposé ne l’est pas. Outre la co-construction, nous avions proposé une plus grande libéralisation des formations – ce n’est donc pas une question de libéralisme. Seulement, il faut que le système tienne compte de la diversité des métiers dans la construction des modèles pédagogiques – diversité qui a été oubliée dans le texte.

Enfin, je suis d’accord avec M. Perrut.

M. Jean-Pierre Door. Les régions ont récemment fait paraître une tribune dénonçant le risque de fermeture de certains CFA. Ayant lu ce texte, je suis convaincu, comme bien des élus locaux, que ce projet de loi s’engage dans la mauvaise voie. Même si tout n’est pas parfait, les régions ont permis le développement des CFA et apporté leur soutien aux lycées professionnels, aux PME, aux artisans, aux commerçants et aux Compagnons du devoir.

On constate certes sur nos territoires un manque de qualifications mais si les élus locaux sont inquiets, c’est que les CFA territoriaux sont souvent éloignés des centres urbains et universitaires. Comment les jeunes – qui sont souvent issus de familles modestes et qui suivent une filière d’apprentissage, faute d’avoir pu continuer leurs études dans les filières générales – vont-ils se rendre dans les CFA dans les régions où il n’y a pas de transports en commun et où l’on manque de logements pour étudiants et apprentis ? Lorsque j’étais élu local, j’arrivais à faire doubler le nombre d’apprentis en demandant aux communautés de communes d’investir dans le développement des CFA. Demain, avec ce projet de loi, on va couper l’herbe sous le pied de ces CFA.

M. Sylvain Maillard. En France, 1,3 million de jeunes sont sortis des radars et sont sans emploi ni qualification. Nous sommes tous d’accord dans cette commission pour dire que l’apprentissage est une voie d’excellence qui permettrait à bon nombre de ces jeunes de trouver un travail et ainsi, de construire leur vie. Les pays européens où le taux de chômage est faible – les pays scandinaves, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse – ont tous un système d’apprentissage plus performant que le nôtre. Il y a 7 % des jeunes en apprentissage en France, contre 15 % en Allemagne. Autre point commun entre ces pays, ce sont les branches et les entreprises qui pilotent partout le système d’apprentissage et qui définissent les besoins en formation. Si nous voulons que l’apprentissage soit porté par les branches et non plus par les régions, c’est aussi parce que c’est le secteur privé qui crée l’emploi. C’est donc lui qui est le plus à même de définir ses propres besoins. L’expérience nous montre aussi que le plafond de verre des 400 000 apprentis que nous avons en France restera la limite dans le système actuel.

Vous nous dites que les régions sont le meilleur vecteur de l’apprentissage. Cela n’est vrai que pour certaines d’entre elles. Ainsi, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) n’a consacré à l’apprentissage en 2016 que 67 % des crédits qui lui étaient dédiés. L’État a transféré à la région 142 millions d’euros à ce titre mais PACA n’a dépensé que 95 millions, faisant d’autres choix dans le cadre de ses compétences décentralisées. C’est aussi cela, la réalité des régions.

Monsieur le président, moi qui vous connais bien et qui ai lu tous vos livres, je me demande comment vous pouvez défendre une position aussi anti-libérale et faire aussi peu confiance aux entreprises et autant confiance à votre administration pour définir l’apprentissage des métiers de demain.

M. Alain Ramadier. Nous savons tous à quel point il est important de valoriser l’apprentissage en France. Pourtant, nous nous heurtons toujours au même problème : l’apprentissage n’a pas bonne presse auprès des familles. Les parents le voient comme une voie de garage offrant un avenir au rabais à leurs enfants. Les familles ont besoin de comprendre les perspectives qu’offre l’apprentissage en termes d’évolution de carrière et de salaire. Avez-vous développé au niveau régional des outils d’information visant non seulement à sensibiliser les familles mais surtout, très concrètement, à amener leurs enfants vers l’entreprise ? Les régions suisses consacrent beaucoup de moyens à ce volet de sensibilisation, bien que l’apprentissage soit culturellement plus ancré dans la société suisse.

M. Hervé Morin. Vous avez raison de souligner, monsieur Door, qu’il faut traiter dans ce projet de loi la question de l’accompagnement de l’apprentissage, aujourd’hui pris en charge par les régions. Dans tous les projets que nous avons menés en matière d’apprentissage, d’autres collectivités étaient impliquées. Demain, dans la mesure où le système sera confié à la loi du marché, on voit mal comment ces collectivités pourront s’engager de la même manière. Comme toute région, la Normandie a passé des contrats territoriaux avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Or, comme je crois à l’apprentissage, j’ai conditionné le financement des structures et des équipements des collectivités à l’embauche d’apprentis. Les 73 EPCI de Normandie ont donc fait l’effort d’embaucher entre cinq et dix apprentis, là où ils n’en prenaient généralement aucun – alors que le recrutement d’apprentis coûte plus cher que celui d’autres types de collaborateurs en formation. La question de l’apprentissage dans le secteur public n’est pas non plus réglée par le projet de loi.

Sylvain Maillard, je ne suis aucunement opposé à ce que l’on accorde au monde de l’économie une place bien plus importante. Ce que je reproche à ce projet de loi, c’est de construire un système centralisé alors qu’il doit au contraire être profondément décentralisé. On peut décentraliser le système en faisant de la co6construction comme en Allemagne mais les branches professionnelles allemandes ont un pouvoir de négociation tel que les Länder mettent 3 milliards d’euros sur la table chaque année pour la formation. Non seulement le système proposé par le projet de loi n’est pas co-construit, mais il est centralisé : entre les mains de l’État et, qui plus est, entre les mains d’une agence nationale. Je sais que vous voterez ce texte car vous êtes dans la majorité, mais je vous assure qu’il ne tient pas la route car il ne prend pas en compte la diversité et la vitalité des territoires. Quand une branche appelle l’attention d’une région sur tel ou tel métier, les formations sont mises en place immédiatement. Par ailleurs, la région a joué jusqu’ici un rôle d’articulation entre les CFA, qui dépendent des branches, et les lycées professionnels qui relèvent de l’éducation nationale. Qui jouera ce rôle d’articulation dès lors que les lycées professionnels resteront dans le système public et qu’on pourra ouvrir et gérer à leurs portes des CFA proposant des formations comparables ? J’ai entendu des grands patrons, qui sont à l’origine de cette réforme, dire qu’ils voulaient tuer les lycées professionnels. S’ils sont capables de former dans les CFA les centaines de milliers de jeunes qui sont en lycée professionnel et de les embaucher ensuite dans leurs entreprises, qu’ils me fassent signe !

Comme le dit François Baroin, les dirigeants des exécutifs locaux sont « violemment modérés ». Nous gérons nos collectivités sur la base d’un consensus nous assurant la paix politique dont nous avons besoin. Or, on est en train de bâtir, dans une démarche césariste et jacobine, une relation entre l’État et les collectivités territoriales fondée sur l’affrontement. Pourtant, la modernité se traduit dans tous les pays du monde par une gestion la plus décentralisée possible et par un pouvoir qui s’exerce au plus près du citoyen. Il faut bien inventer des mécanismes de régulation même si on laisse une grande place au monde de l’entreprise pour bâtir le système.

Nous ne sommes pas dans une opposition bête et méchante. Nous avons envie que la France réussisse. Car si la France réussit, nos territoires réussiront et nous serons contents de voir que le pays a retrouvé de l’optimisme et que la France est mieux représentée à l’étranger. Nous avons donc beaucoup discuté avec le Gouvernement et avons fini par accepter l’idée du Président de la République d’instaurer un système de co-contrat s’appuyant sur les branches. Cependant, nous ne pouvons nous y résoudre si le système ne répond pas aux questions que je vous pose. Le système centralisé que vous proposez va créer des dysfonctionnements majeurs. On a besoin des collectivités pour faire en sorte que le pays aille mieux surtout que le pays s’est fortement décentralisé depuis trente ans et que les administrations déconcentrées n’ont quasiment plus aucune compétence.

Mme Fadela Khattabi. Vous tenez un discours fort anxiogène, mais c’est d’abord la situation actuelle qui est anxiogène. Depuis plus de trente ans, notre pays est confronté à un chômage de masse qui, malheureusement, concerne également les jeunes et qui s’élève jusqu’à 30 % ou 40 % dans certains quartiers de certaines agglomérations. Le constat est donc sans appel : il y a une urgence économique et sociale à agir vite. Nombreuses sont les entreprises qui cherchent les compétences nécessaires à leur développement mais qui ne trouvent pas sur le marché du travail des profils correspondant à leur demande. Parallèlement, de nombreux jeunes ne sont ni dans l’emploi ni en formation, comme l’a rappelé mon collègue Sylvain Maillard. Force est de constater que les précédentes réformes ont toutes échoué à rendre plus attractif l’apprentissage – dont tout le monde reconnaît les bienfaits. La réforme proposée par le Gouvernement enclenche une véritable révolution.

Compte tenu de la réalité économique de notre pays et de l’état actuel du marché du travail, ne pensez-vous pas, monsieur le président, que transférer l’apprentissage aux branches – autrement dit, au monde économique – est pertinent dans la mesure où ces branches sont les plus à même de connaître leurs besoins ? N’est-ce pas la meilleure manière de les mettre devant leurs responsabilités ? Il semblerait que dans tous les pays où l’apprentissage en alternance fonctionne le mieux, ce soient les branches et les entreprises qui pilotent cet apprentissage. Enfin, s’agissant des investissements, vous contribuez déjà à améliorer le cadre de vie et de travail de nos apprenants – lycéens et apprentis – et vous nous avez dit tout à l’heure de manière subliminale que vous risquiez de cesser d’investir dans les CFA. Cette réforme serait pourtant l’occasion d’optimiser l’utilisation des deniers publics grâce à une mutualisation des plateaux techniques.

Mme Isabelle Valentin. Un cinquième des 15-24 ans sont demandeurs d’emploi, et il y aurait 300 000 postes non pourvus sur le marché du travail, ce qui est consternant. Un tiers des lycéens – soit 700 000 élèves – est aujourd’hui scolarisé dans la voie professionnelle. Nous avons tous envie de développer cette voie d’excellence, du niveau V au niveau I. On parle souvent de l’apprentissage et de l’alternance aux petits niveaux, moins souvent au niveau I. L’alternance constitue un atout majeur, formant les jeunes professionnels qui seront les piliers de nos entreprises de demain. Nous devons être prudents dans nos choix. Il est vrai que les entreprises méritent d’être beaucoup plus associées aux politiques d’apprentissage, notamment dans la construction des référentiels de métiers. Cette réforme est une recentralisation d’une des premières politiques décentralisées. Il s’agit tout simplement d’une privatisation de l’apprentissage, confié aux branches professionnelles, sous un régime national qui va tirer les formations vers le bas. J’ai dans ma circonscription l’école nationale formant toute l’élite en pâtisserie qui travaillera ensuite dans les hôtels trois et quatre étoiles. Cette élite reçoit une formation différente de celle des CFA ou d’autres écoles, ce qui explique que le coût de cette formation soit bien supérieur à la moyenne.

Le financement par contrat présente un risque majeur pour l’aménagement du territoire puisqu’il ne tient pas compte des disparités locales. Ce nouveau dispositif engendre une grande complexité, avec près de 700 branches au lieu d’un interlocuteur unique. Seules les formations bénéficiant à un nombre important d’apprentis seront pérennes. La gouvernance proposée est très éloignée des réalités des territoires. Pour les régions, la réforme de l’orientation est l’une des principales clés de la réussite pour revaloriser et développer l’apprentissage en France. La faiblesse actuelle de notre système a été unanimement dénoncée par l’ensemble des Français. L’éducation doit jouer un rôle en matière d’orientation. L’orientation des jeunes commence au collègue. Il faut arrêter d’opposer les différents systèmes de formation initiale et en alternance, privés et publics, rural, catholique etc. car ils sont complémentaires. L’image de l’apprentissage et celle de l’industrie et de l’artisanat ont besoin d’être revalorisées. Les Olympiades des métiers sont une vitrine formidable : qui, demain, gèrera de tels événements ? Comment voyez-vous la mutualisation des plateaux techniques entre lycées professionnels, CFA, maisons rurales et écoles de production qui ont été financés par de l’argent public et qui, demain, ne seront plus gérés par le même acteur ?

Mme Monique Iborra. Monsieur le président, on peut comprendre que vous cherchiez à convaincre, mais vous y allez un peu fort et n’êtes pas très crédible. Un certain nombre d’entre nous ayant occupé des fonctions au sein des régions, nous savons de quoi il retourne. Vous dressez un tableau idyllique des régions, mais la réalité de l’apprentissage ne leur est pas imputable en totalité. Cela fait des années que la formation est décentralisée puis recentralisée, et on en est toujours au même point. Ce gouvernement a le courage de réformer le système. L’apprentissage est certes une formation initiale mais aussi un contrat de travail. Il est donc normal qu’on le confie aux branches professionnelles. À ces dernières de prouver qu’elles font mieux que les autres – nous sommes bien d’accord – mais donner toutes les vertus aux régions me paraît un peu exagéré. Les régions font aujourd’hui du chantage, y compris dans la presse, affirmant qu’elles vont cesser d’investir et d’accompagner l’apprentissage. Je n’en crois pas un mot car si elles cessent de le faire, on finira par se demander à quoi elles servent.

M. Hervé Morin. Pensez-vous que les régions ne s’occupent que d’apprentissage ? J’espère que vous avez en tête que l’essentiel des équipements, des infrastructures et des projets de développement dans votre circonscription sont financés par les régions.

Nous ne faisons aucun chantage. Simplement, je connais les budgets que j’avais décidé de consacrer à l’investissement dans des structures d’apprentissage. Dès lors que je n’aurai plus la compétence en la matière, je n’y consacrerai que les crédits alloués par l’État, soit 180 millions d’euros au total, dont 9 millions pour la Normandie, quand j’avais jusqu’ici un plan d’investissement de 60 millions. Cela prouve à quel point le système centralisé va fonctionner !

Mme Monique Iborra. Et vos fonds propres ?

M. Hervé Morin. Nous réduisons nos fonds propres de 30 millions d’euros chaque année. Notre situation est donc de plus en plus compliquée et nous sommes contraints de ne pas augmenter de plus de 1,2 % les dépenses des régions. Encore une fois, nous ne faisons pas de chantage. Nous allons simplement adapter notre niveau d’investissement aux crédits qui nous seront accordés.

Pour répondre à madame la rapporteure, nous sommes très favorables aux campus des métiers que, d’ailleurs, nous développons. Mais nous ne pouvons les organiser que grâce à l’intervention de la région pour piloter l’opération aux côtés de l’État. Désormais, nous ne travaillerons plus ensemble.

Vous avez évoqué la mutualisation des plateaux techniques, mais dès lors que les régions ne piloteront plus l’apprentissage, pourquoi voudriez-vous qu’un lycée professionnel ouvre son plateau technique à une branche professionnelle, compte tenu des confrontations idéologiques qui peuvent exister entre eux ? Nous avons expliqué à Muriel Pénicaud qu’il fallait un pilotage administratif de la formation professionnelle pour pouvoir imposer aux recteurs cette mutualisation.

J’en viens à la question des demandeurs d’emploi. Le Parlement a certes voté un budget considérable pour financer le plan d’investissement dans les compétences. Cependant, bien que, dans tous les domaines de l’activité économique, nous ayons le plus grand mal
– malgré un chômage de masse – à trouver les qualifications et les compétences dont les entreprises ont besoin – voire tout simplement de la main-d’œuvre –, les formations que nous ouvrons pour les demandeurs d’emploi ne sont remplies qu’à moins de 50 %. Avant même de mettre en application le plan d’investissement dans les compétences, nous avons donc la plus grande difficulté à trouver des demandeurs d’emploi pour suivre les formations que nous ouvrons. Nous avons donc dit à la ministre du travail qu’il était temps que les régions pilotent en totalité la politique de l’emploi.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de régionaliser Pôle Emploi, mais de faire en sorte que les politiques de retour à l’emploi soient menées par les régions et que Pôle Emploi soit maître d’œuvre de ces politiques. Nous sommes très démunis puisque les deux principaux opérateurs de ces politiques sont les missions locales qui, dans le meilleur des cas, dépendent d’un élu et dont la gestion est très diverse – certaines faisant leur boulot, d’autres ayant des progrès considérables à faire – et Pôle Emploi. Il nous arrive d’ouvrir des formations dans des bassins d’emploi où le niveau de chômage est entre 9 % et 10 %, après avoir dialogué avec les branches et le monde de l’économie, et de nous retrouver avec personne pour suivre ces formations. Dans un bassin d’emploi industrialisé comme celui de Cherbourg, nous ouvrons dix-sept postes de tuyauteurs et nous nous retrouvons avec deux personnes pour commencer la formation. Quand nous organisons un job dating à Cherbourg avec 500 contrats de travail ou d’apprentissage, 70 personnes viennent nous rendre visite dans la journée. Si l’on reste dans un système où on se contente d’envoyer des SMS et des e-mails pour faire venir des demandeurs d’emploi, cela ne marchera pas. On a besoin d’un nouveau pilotage des politiques de l’emploi – question qui n’est pas traitée dans le texte qui vous est soumis. Aujourd’hui, le pilotage est double, voire triple : les formations sont financées soit par la région, soit par Pôle Emploi, soit parfois par des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (OCTA). Au lieu d’instaurer un pilotage unique, que nous souhaitions prendre en main compte tenu de nos compétences dans le champ de la formation, de la gestion des lycées et de l’économie pour permettre aux demandeurs d’emploi de revenir sur le marché du travail, on a décidé de maintenir le système. Si on avait été courageux, on aurait aussi réformé l’assurance chômage en resserrant les boulons.

M. Brahim Hammouche. La notion de co-construction est essentielle à la réussite de cette réforme et pour que les régions continuent à s’investir dans la formation et l’apprentissage. La généralisation de la numérisation des contenus de formation va bouleverser les modes de collaboration avec les fournisseurs de contenu. Les contenus digitaux sont amenés à se développer et peut-être même à supplanter les formations présentielles, ce qui n’empêche qu’il soit nécessaire de renforcer l’accompagnement social et pédagogique dans l’apprentissage du savoir-être et des savoir-faire. Comment les régions se préparent-elles à cette généralisation de la numérisation, en lien avec les branches professionnelles qui veulent être renforcées, simplifiées et rendues efficaces dans l’exercice de leurs missions ? Comment réussir cette indispensable mise en réseau et ainsi assurer la formation de nos jeunes aux métiers de demain dans un contexte de révolution des représentations culturelles ?

Mme Michèle Peyron. La région dispose de 51 % des recettes de la taxe d’apprentissage, théoriquement destinés au financement des CFA. Cependant, l’affectation de ces recettes reste opaque. Pouvez-vous nous garantir que la totalité de ces recettes est utilisée pour investir dans l’apprentissage ? Mon but n’est pas de mettre toutes les régions sur un même plan : certaines d’entre elles sont vertueuses dans l’utilisation de la taxe. Le Gouvernement engage avec cette réforme une refondation du financement de l’apprentissage afin de rendre le système plus simple, plus transparent et plus incitatif. Dès que le Gouvernement a annoncé cette réforme, M. Muselier, président du conseil régional de PACA, a annoncé la suspension de tous les investissements prévus dans les CFA. Ce gel des investissements qui ressemble à un chantage au Gouvernement remet en cause le bon déroulement de la formation des jeunes apprentis et met directement en péril leur avenir. Les jeunes seront-ils accompagnés par les régions dans la construction de leur avenir professionnel ?

M. Laurent Pietraszewski. Monsieur Morin, vous avez exprimé vos craintes quant à l’implantation territoriale des CFA et au soutien aux CFA les plus fragiles. Cependant, le projet de loi prévoit des dotations significatives en faveur des régions. Une première enveloppe de 250 millions d’euros par an sera gérée par les régions pour aider les CFA les plus fragiles. Quant à la seconde enveloppe, qui correspond à la fraction de la TICPE allouée aux régions, elle sera maintenue et s’élèvera à quelque 180 millions d’euros.

Vous nous avez parlé à plusieurs reprises d’un plan d’investissement de 60 millions d’euros en faveur de la formation dans votre région. Ayant téléchargé le très beau rapport d’activité de la région Normandie pour 2016, je me suis aperçu que les investissements pédagogiques et immobiliers dans les CFA normands s’élevaient à 12,57 millions d’euros. Avec un plan de 60 millions d’euros pour l’année à venir, vous avez donc prévu de multiplier par quatre ces crédits. Cela me paraît être une mesure extrêmement dynamique et je comprends dans ces conditions que notre collègue Monique Iborra vous ait à plusieurs reprises interpellé quant à vos fonds propres !

Enfin, si toutes les régions ne partagent pas vos positions de principe – je viens pour ma part des Hauts-de-France où je n’entends pas le même son de cloche –, pourquoi certaines d’entre elles s’opposent-elles à une réforme qui met les jeunes et les entreprises au cœur du système tout en maintenant une logique de péréquation entre les territoires ?

Mme Josiane Corneloup. Monsieur le président, élue d’un territoire rural, je partage bien évidemment votre souhait que le projet de loi relatif à la formation professionnelle ne mette pas en péril le réseau des centres de formation qui sont une formidable chance pour nos jeunes et qui garantissent un égal accès à l’apprentissage des métiers. Cependant, pour avoir rencontré longuement les milieux économiques et professionnels de mon département, j’ai pu vérifier qu’ils réclamaient tous des formations adaptées aux besoins économiques des secteurs et des territoires concernés ainsi que des référentiels actualisés. Comment faire pour maintenir le maillage et l’offre actuelle des CFA tout en améliorant la diversité et la réactivité de l’offre de formation qu’attendent les acteurs économiques ?

Par ailleurs, la connaissance du métier est essentielle lorsqu’on choisit de s’engager dans l’apprentissage. Comment les régions peuvent-elles impulser une vraie dynamique de découverte des métiers dans les lycées, en partenariat avec les départements ? Il faut en effet que cette découverte soit précoce.

Mme Jeanine Dubié. Il existe pas moins de 700 branches professionnelles. Je vois donc difficilement où est la simplification dont on parle tant à propos de ce texte. Les grosses filières, comme l’UIMM, pourront certes organiser facilement des centres d’apprentissage d’autant qu’elles sont situées à des endroits où elles trouveront suffisamment de jeunes à même d’accéder à ces centres. En revanche, je m’inquiète comme vous de ce qui risque d’arriver aux fédérations d’artisans et aux branches moins structurées. Cette réforme risque aussi de provoquer une fracture territoriale au détriment des zones rurales. Dans ces dernières, davantage de jeunes ne vont-ils pas se retrouver en lycée professionnel, faute d’avoir pu trouver près de chez eux un centre d’apprentissage dont les formations corresponde aux besoins locaux ? Enfin, cette logique de filière ne va-t-elle pas fragiliser les CFA interprofessionnels et les formations transversales ?

M. Thierry Michels. Monsieur le président Morin, vous avez fait référence dans votre intervention au risque de fermeture de 700 CFA et explicité votre méthodologie. Vous affirmez que dans la région Grand-Est, 90 % des CFA étaient menacés de fermeture. Cela me semble excessif, surtout lorsque je regarde les CFA du Bas-Rhin, dont j’ai visité un certain nombre. Comme cela a été dit, ce co-contrat uniforme pourra être ajusté en fonction du service que rend un CFA spécifique. Comment arrivez-vous à ces chiffres ? Que voudriez-vous voir changer dans la loi ?

M. Guillaume Chiche. Le moins qu’on puisse dire, c’est que vos propos sont à la mesure des déclarations que vous avez faites dans la presse, la veille du Conseil du ministre au cours duquel fut présenté le projet de loi sur l’apprentissage – c’est-à-dire avant même de connaître le contenu définitif du texte. Vous avez affirmé que cette réforme serait un échec pour l’apprentissage et pour la France : c’est bien évidemment un point de divergence entre nous. Vous avez aussi déclaré qu’il fallait, pour discuter de ces questions, des parlementaires ayant géré l’apprentissage et que comme il n’y avait plus de cumul des mandats, peu étaient ceux qui avaient eu des mandats locaux leur permettant d’appréhender parfaitement le mécanisme. Je voudrais vous rassurer sur ce point : il y a dans la majorité parlementaire des personnes ayant travaillé de longues années dans le milieu de l’apprentissage ainsi que des personnes ayant exercé des mandats locaux et s’étant elles aussi intéressées, dans ce cadre, à l’apprentissage. Il y a même des parlementaires qui ont toujours de tels mandats, qui s’intéressent toujours à la question et qui travaillent d’arrache-pied à cette réforme.

Deux apprentis sur trois sont des hommes. Estimée à 32 %, la faible proportion de femmes apprentis témoigne a minima d’un désintérêt ou d’une méconnaissance de leur part à l’égard de ces formations – au pire, d’obstacles à leur accès à ces formations. Comment, avec le transfert de compétences en matière d’orientation aux régions, envisagez-vous de favoriser la mixité et l’égalité femmes-hommes dans les filières de formation ?

M. Olivier Véran. Je citerai cinq chiffres résumant la politique menée par Laurent Wauquiez en matière de formation professionnelle dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) où je suis conseiller régional d’opposition. Les subventions accordées par la région à la formation et à l’apprentissage ont baissé de 45 millions d’euros en 2016, de 15 millions d’euros en 2017 et de 20 millions d’euros en 2018. Les effectifs des CFA et des établissements sanitaires et sociaux ont quant à eux baissé de 40 % dans la région. Enfin, un cinquième et dernier chiffre. Trente ans : c’est la durée de vie de l’Escale MPS Formations, centre de formation situé à Grenoble, qui aura bien fonctionné pendant toutes ces années avant d’être mis en redressement judiciaire, à la suite de la suppression brutale et totale des subventions qui lui étaient jusqu’alors accordées par la région. Ne peut-on imaginer que les exécutifs régionaux de tous bords jouent le jeu de l’intérêt général ? Quand on parle de formation professionnelles et d’apprentissage, on s’adresse à 1,3 million de jeunes qui n’ont pas d’emploi, pas de formation et qui ne suivent pas d’études, et à 400 000 apprentis qui ont envie de suivre une filière d’excellence.

M. Hervé Morin. J’imagine que Laurent Wauquiez vous répondra que ces chiffres sont inexacts mais je ne rentrerai pas dans ce débat car je ne puis répondre à sa place. En revanche, je peux vous répondre concernant la région Normandie que c’est en 2016 que nous sommes arrivés à la tête des régions. Nous avons organisé un Grenelle de l’apprentissage si bien que la région Normandie consacre entre 10 et 15 millions d’euros de plus à l’apprentissage que ce qu’elle perçoit au titre de la taxe d’apprentissage. Ce Grenelle de l’apprentissage nous a donc permis de définir un plan d’investissement nettement plus important qu’en 2016.

Plus globalement, les jaunes budgétaires nous renseignent quant à l’effort des régions en matière de financement de l’apprentissage. Les régions dépensent 1,963 milliard d’euros en ce domaine et ont perçu 1,685 milliard. Leur effort net fut donc de 278 millions en 2016. L’apprentissage touche ainsi plus de crédits qu’il n’en reçoit des entreprises. Ajoutez à cela que les majorités régionales ont changé – je pense par exemple à l’Île-de-France et à PACA, où Valérie Pécresse et Renaud Muselier ont décidé d’augmenter considérablement l’effort en faveur de l’apprentissage. Que certaines régions aient profité du système pour se fixer d’autres priorités, on ne dira pas le contraire, mais ces régions ont changé de majorité et consacrent aujourd’hui beaucoup plus d’argent qu’elles n’en touchent au profit de l’apprentissage. Il faut donc arrêter ce procès. De plus, ce chiffrage ne prend pas en compte les coûts de fonctionnement des personnels chargés de la gestion de l’apprentissage dans les régions ni l’ensemble des soutiens périphériques que j’évoquais tout à l’heure. Le solde net en faveur de l’apprentissage est donc de près de 300 millions d’euros, auxquels il faudrait ajouter les efforts faits en faveur de la mobilité, les aides à l’équipement etc. Il est donc archifaux de considérer que les régions en profitent pour se goinfrer sur le dos de l’apprentissage comme je l’ai entendu à plusieurs reprises. Il est vrai que certaines régions ont fait plus d’efforts que d’autres mais l’Île-de-France consacrait moins d’argent à la formation professionnelle du temps de M. Huchon qu’aujourd’hui. Cela étant, les libertés locales sont là pour que les exécutifs locaux qui tirent leur légitimité du suffrage universel mènent des politiques sensiblement différentes.

La numérisation des contenus de formation nous renvoie à la nécessité de pouvoir appréhender la diversité des situations. L’intérêt d’un système piloté au plus près est qu’il permet aux organismes de formation d’innover et d’inventer de nouvelles solutions pédagogiques dans le cadre des conventions d’objectifs et de moyens que les régions signent avec eux. Dès lors que vous fixez un prix national, cela devient beaucoup plus compliqué. Les innovations pédagogiques pourront certes être financées par les régions dans le cadre du fonds d’aménagement des territoires mais elles ne pourront être appréhendées autrement que dans le cadre d’un dialogue avec les régions. Si nous réclamons le pilotage de la formation professionnelle, c’est en effet pour favoriser les innovations pédagogiques.

Les chiffres de 250 et 280 millions d’euros ne sont pas dans le texte, qui ne fait qu’évoquer un fonds d’aménagement du territoire et un fonds d’investissement. Si le premier fonds s’élève à 250 millions d’euros, certaines régions seront incapables de financer des déficits beaucoup plus lourds que ce que vous croyez, à moins que les centres de formation ne décident tout simplement de fermer toute une série de formations à faible effectif, ce qui est une autre façon d’ajuster l’offre et la demande.

Je suis totalement d’accord avec Mme Dubié concernant le sort des formations interprofessionnelles, sujet que j’ai oublié d’évoquer dans mon propos introductif. La construction du modèle d’organisation et le pilotage des formations de back office des entreprises – formations socles pouvant intéresser différentes branches – va être extrêmement compliquée et je n’ai pas le sentiment qu’on ait trouvé de solution à ce sujet.

Pardonnez-moi si j’ai dit que 700 centres de formation allaient fermer : il s’agit de 700 centres dans lesquels certaines formations vont fermer. Nous vous donnerons notre méthode de calcul, comme nous l’avons donnée à l’Élysée et au Gouvernement, et vous aurez la liste précise des formations qui vont fermer. Dans ma région, je puis vous dire quelles formations seront concernées, à partir d’hypothèses qui ont été construites très sérieusement. Quand nous avons discuté avec Muriel Pénicaud du niveau de ce fonds d’aménagement du territoire, nous avons demandé à nos services d’évaluer à la louche les besoins du système et nous nous sommes rendu compte qu’en deçà de 400 millions d’euros, ce serait infaisable et qu’à 250 millions on serait très loin du compte. Ce n’est pas parce que le budget de la région Normandie va s’effondrer de 30 ou 40 millions d’euros que le rôle de la région va changer : la question est plutôt de savoir si l’on s’apprête à construire un système efficace à partir d’un modèle nouveau. Ces 400 millions ne représentent que 10 % de la ressource globale, ce qui n’est pas énorme. Par conséquent, si le Gouvernement ne prévoit que 250 millions, on ne sera pas dans les clous.

Enfin, vous avez entièrement raison concernant la représentation des métiers, monsieur Chiche, mais nous n’avons pas la compétence en matière d’orientation. La question cruciale de la représentation des métiers ne concerne d’ailleurs pas que les métiers liés à l’apprentissage : regardez combien il y a de femmes dans les entreprises du numérique et dans les startups. Quand il y a quelques femmes sur un plateau technique d’une cinquantaine de collaborateurs, c’est le bout du monde ! On apporte pour l’instant très peu de solutions à ce problème colossal. Nous prenons chacun et chacune des initiatives, l’éducation nationale aussi, mais nous avons besoin dans le pays non seulement d’avoir une autre représentation des métiers de l’apprentissage mais aussi des métiers du numérique, ce qui suppose d’intégrer l’idée d’une culture scientifique qui soit partageable aussi bien par les hommes que par les femmes.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur le président, je vous remercie.

 

La séance est levée à vingt heures vingt.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 15 mai 2018 à 18 heures 15

Présents. – M. Bruno Bilde, Mme Brigitte Bourguignon, M. Guillaume Chiche, Mme Josiane Corneloup, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Catherine Fabre, Mme Monique Iborra, Mme Fadila Khattabi, Mme Charlotte Lecocq, Mme Geneviève Levy, M. Sylvain Maillard, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, Mme Mireille Robert, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, Mme Isabelle Valentin, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, Mme Annie Vidal

Excusés.  Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Adrien Quatennens, Mme Nadia Ramassamy, Mme Nicole Sanquer, M. Adrien Taquet, M. Boris Vallaud

Assistaient également à la réunion.  M. Brahim Hammouche, M. Denis Sommer