Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Audition de M. Joël Barre, délégué général pour larmement, sur le projet de loi de programmation militaire 2

 

 

 

 


Jeudi
15 février 2018

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 32

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
M. Jean-Jacques Bridey,
président
 


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La séance est ouverte à neuf heures.

M. le président Jean-Jacques Bridey. Nous recevons le délégué général pour l’armement (DGA) dont l’audition est très attendue dans la perspective de l’examen du projet de loi de programmation militaire (LPM). Je compte sur vous pour lui poser toutes les questions sur les programmes, les cibles, les calendriers, l’innovation...

M. Joël Barre, délégué général pour larmement (DGA). Merci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, de m’avoir invité à vous présenter les caractéristiques du projet de loi de programmation militaire, pour ce qui concerne la DGA en particulier, c’est-à-dire les études amont, que la DGA conduit directement et qui font partie du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». J’évoquerai également le programme 146 « Équipement des forces », dont nous assumons la responsabilité conjointement avec le chef d’état-major des armées.

Je commencerai par les études amont, dont le budget augmentera significativement puisqu’il doit atteindre le chiffre d’un milliard d’euros par an à partir de 2022, sachant que le niveau moyen actuel est de 730 millions d’euros par an. En effet, pour préparer nos programmes futurs, nous avons un fort besoin d’innovation nécessitant de nombreux travaux de recherche et technologie. Ce budget nous permettra de poursuivre l’investissement dans la montée en maturité des technologies spécifiques au secteur de la défense – nous devons préparer les grands systèmes de défense du futur, qu’il s’agisse du prochain avion de combat, du prochain porte-avions, du prochain char de combat… Nous avons également besoin de capter mieux que nous ne le faisons actuellement, en cycles aussi courts et efficaces que possible, les innovations issues du marché civil qui peuvent être très utiles pour nos systèmes d’armes – en particulier dans le domaine numérique : intelligence artificielle, traitement massif des données, objets connectés…

Il nous faut en outre investir dans l’innovation de rupture, la supériorité opérationnelle de nos armées reposant sur leur supériorité technologique, donc celle de nos équipements en matière de robotisation, d’hyper-vélocité ou d’hyper-manœuvrabilité des missiles, d’amélioration et de fusion des données issues de différents capteurs – des senseurs présents dans les systèmes d’armes –, en matière aussi de furtivité, bien entendu, qui est une condition essentielle de pénétration des défenses ennemies.

L’augmentation du budget des études amont nous permettra également de faire davantage de démonstrateurs, c’est-à-dire de regrouper dans de véritables projets les innovations technologiques que nous devons faire mûrir. Ceci est en effet la meilleure façon de fédérer dans un projet individualisé tous les développements technologiques que nous devons mener à bien, de gagner en efficacité dans la préparation des programmes et de mieux « dérisquer » les développements qui s’ensuivent.

Enfin, cette augmentation de ressources nous amènera à renforcer le soutien que nous apportons aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). Vous savez qu’à la fin 2017 nous avons complété notre dispositif de soutien aux PME – le régime d’appui à l’innovation duale (RAPID) –, qui est un dispositif de subventions, par un dispositif d’investissements que nous avons conclu avec la Bpifrance, nommé « Def’invest ». Nous allons consacrer une partie des ressources du programme 144 à ces actions de soutien à nos PME.

En ce qui concerne le programme 146, celui des programmes d’armement, nous avons bien terminé l’année 2017 puisque les crédits restés bloqués, c’est-à-dire 700 millions d’euros, ont finalement été dégelés en toute fin d’année. Nous avons pu les consommer intégralement, si bien que nous entamons une gestion pour 2018 dans les conditions initialement prévues, celles d’un report de charges de 2017 sur 2018 de 1,7 milliard d’euros. Pour 2018, la réserve de la mission « Défense » s’élève à 3 % des crédits hors enveloppe salariale, réserve dont 350 millions d’euros environ devraient « peser » sur le programme 146. Le report de charges, à la fin de l’année 2018, devrait s’élever à 2,1 milliards d’euros, conforme à nos hypothèses de travail lors de l’élaboration du projet de loi de programmation militaire – étant entendu que ce chiffre de 2,1 milliards d’euros est conditionné par la levée de la réserve dont je viens de parler.

J’en viens plus précisément aux hypothèses de ressources du projet de loi de programmation militaire, pour les programmes à effet majeur (PEM), qui sont le cœur du programme 146. Les besoins financiers des programmes à effet majeur représentent un total de 58,6 milliards d’euros pour la période 2019-2025, dont 37,2 milliards d’euros pour la seule période 2019-2023, ce qui représente une augmentation de plus de 30 % par rapport à la LPM précédente si l’on raisonne en moyenne annuelle. Cet effort significatif sur les programmes à effet majeur permettra tout à la fois de livrer les matériels déjà commandés, d’accélérer la livraison de certains d’entre eux, d’augmenter également la cible pour certains, je vais y revenir, enfin de lancer les programmes futurs nécessaires au renouvellement de nos équipements.

Pour ce qui est de l’accélération de la modernisation de nos forces, le projet de LPM permettra aux armées de disposer plus rapidement de moyens modernisés et renouvelés, tenant compte du retour d’expérience auquel les armées procèdent. Ce sera en particulier le cas pour l’armée de terre pour laquelle il est prévu d’accélérer la livraison des véhicules du segment médian du programme Scorpion, c’est-à-dire, notamment, des véhicules blindés multi-rôles lourds Griffon, des engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar, et des véhicules blindés multi-rôles légers dont nous avons tout récemment notifié le contrat au groupe Nexter. L’objectif de la prochaine loi de programmation militaire est donc de disposer dès 2025 de la moitié de la cible de l’ensemble de ces véhicules essentiels, en particulier pour les opérations extérieures (OPEX).

Une accélération des flux de la livraison des fusils d’assaut est également prévue – ceux du programme « Arme individuelle du futur » (AIF), dont les premières livraisons ont déjà commencé –, mais aussi de la livraison des missiles antichars à moyenne portée (MMP), sans oublier, pour l’armée de terre, une commande et une livraison de 32 canons CAESAR – acronyme de « camion équipé d’un système d’artillerie ».

En ce qui concerne la marine, un effort particulier est prévu pour augmenter la cible des patrouilleurs – et portera donc sur les fonctions de sauvegarde maritime – et pour accélérer leur livraison, qu’il s’agisse des patrouilleurs légers guyanais, des patrouilleurs destinés à l’outre-mer ou encore des patrouilleurs de haute mer. De la même manière, les capacités du programme « Flotte logistique » (FLOTLOG) seront renforcées : quatre bâtiments ravitailleurs sont prévus au total, deux seront livrés d’ici à 2025.

Toujours pour ce qui est de la marine, la flotte de frégates sera complétée et modernisée avec notamment la livraison des trois dernières frégates multimissions, des premières frégates de taille intermédiaire, dont le développement a été lancé au début de l’année dernière, et avec la rénovation de trois frégates La Fayette. Les sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Rubis seront remplacés. La livraison des premiers sous-marins Barracuda est prévue sur la période, dont le premier, le Suffren, pour 2020.

Enfin, dans le domaine de la guerre des mines, le projet de LPM prévoit une forte modernisation des capacités avec la réalisation du programme « Système de lutte anti-mines marines futur » (SLAMF) qui permettra à la marine de disposer d’un système qui alliera à la fois des bâtiments porteurs et des systèmes de drones et donc de gagner significativement en efficacité.

En ce qui concerne l’armée de l’air, il est envisagé d’augmenter la cible et d’accélérer le calendrier de livraison des avions ravitailleurs Multi-Role Tanker Transport (MRTT), puisque douze des quinze avions dorénavant prévus seront livrés avant 2025. En ce qui concerne le Rafale, nous allons lancer cette année en développement le nouveau standard F4, de manière à disposer, d’ici à la fin de la période couverte par la LPM, d’un avion encore plus polyvalent, d’un avion permettant une interopérabilité renforcée, une meilleure connectivité, donc d’un avion encore mieux adapté aux conditions d’engagement des années à venir.

Une des priorités du projet de LPM, ce sont les capacités de renseignement. L’effort consiste ici à augmenter le nombre d’avions légers de surveillance et de renseignement puisque six exemplaires supplémentaires seront commandés sur la période de programmation. En ce qui concerne le secteur spatial, les satellites du programme « Capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique spatiale » (CERES) et les satellites du programme « Système multinational d’imagerie spatiale » – Multinational Space-Based Imaging System (MUSIS) – seront mis en service. Leurs successeurs seront commandés et devraient être livrés à la fin de la décennie 2020.

Toujours dans le domaine du renseignement et en particulier dans le secteur de la guerre électronique, sera livré le premier système que nous appelons CUGE – capacité universelle de guerre électronique –, qui est le successeur du Transall Gabriel actuellement en service. Le premier système sera livré en 2025 et la cible de ce programme a été portée à trois systèmes. En outre, un second bâtiment léger de surveillance et de recueil de renseignement (BLSR) sera commandé pour 2025. Enfin, nous allons poursuivre la montée en puissance de la capacité des drones de renseignement avec la mise en service de deux systèmes de drones Reaper de moyenne altitude et longue endurance (MALE), ainsi que des drones tactiques de l’armée de terre (SDT), et nous allons poursuivre en coopération le programme de système de drone MALE européen, dont le premier exemplaire doit être livré en 2025.

J’en viens aux systèmes d’information et de communication. Nous développons actuellement les deux satellites de télécommunication SYRACUSE IV. Ils seront livrés pendant la période couverte par la prochaine LPM et un troisième de ces satellites sera commandé. La livraison des kits de numérisation des véhicules terrestres sera achevée, de même que celle des modules projetables du système d’information interarmées.

Le projet de LPM prévoit en outre la modernisation des équipements de positionnement et de navigation par satellite, de façon à bénéficier de la mise en service du système Galileo. Le système Oméga – récepteur capable de fournir une capacité autonome de géolocalisation, utilisant à la fois les signaux GPS américain et les signaux européens du système Galileo – sera réalisé pendant la période 2019-2025.

En ce qui concerne la dissuasion, pour finir cette revue des programmes, le projet de LPM prévoit la réalisation des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération à partir de 2020 ainsi que le renouvellement des missiles des deux composantes, à savoir le missile balistique de la force océanique et le missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP‑A) dont le successeur est l’ASN4G.

La prochaine LPM prévoit le lancement de nombreux programmes nouveaux : une cinquantaine.

Dans le domaine aéronautique, nous aurons le deuxième standard de l’avion ravitailleur MRTT, le standard 3 du Tigre, qui vise à apporter à cet hélicoptère de combat une modernisation à mi-vie, mais aussi, rapidement, le système d’autoprotection des hélicoptères et des avions de transport.

Pour ce qui est de la marine, j’ai déjà évoqué les ravitailleurs, les patrouilleurs et la guerre des mines, je n’y reviens donc pas.

Dans le secteur terrestre, nous nous efforcerons d’être à même de lancer en 2025 le programme d’un futur char lourd Main Ground Combat System (MGCS).

Nous devons également lancer le programme de missile anti-char destiné à équiper le Tigre pour remplacer les missiles Hellfire actuellement utilisés, ainsi que le successeur du missile anti-aérien à très courte portée Mistral ; nous travaillons par ailleurs avec les Britanniques sur l’avenir des missiles antinavires et des missiles de croisière.

Pour les drones, j’ai déjà cité le MALE, il faut aussi mentionner le drone destiné à être embarqué sur les frégates, avec un projet nommé système de drone aérien pour la marine (SDAM), qui sera également lancé pendant la période considérée.

J’ai déjà évoqué tout ce que nous avons prévu dans le domaine des communications dans le domaine spatial.

Il est important de souligner qu’il s’agit de renouveler nos grands programmes à l’horizon des années 2030, à savoir le système de combat aérien du futur, mais aussi le renouvellement du porte‑avions, qui devront faire l’objet de décisions à l’horizon 2020-2021, c’est-à-dire à peu près au moment de l’actualisation prévue de la LPM.

Je tiens à souligner que pour tous les programmes nouveaux que je viens d’évoquer, la coopération européenne sera recherchée. C’est en effet un des axes forts du projet de LPM.

Dans le domaine aéronautique, nous travaillons déjà avec les Britanniques pour ce qui concerne les développements technologiques.

Nous avons proposé aux Allemands de travailler ensemble sur l’étude technico-opérationnelle du système de combat aérien du futur, que j’ai évoqué il y a un instant, de manière à être au rendez-vous de 2020-2021. Avec les Allemands, nous travaillons également dès à présent sur le standard 3 du Tigre. Nous prévoyons par ailleurs de rechercher avec eux une coopération pour le renouvellement des avions de patrouille maritime. Enfin, toujours avec les Allemands, nous allons coopérer pour produire le char de combat futur MGCS.

Avec l’Italie, nous avons des perspectives de coopération dans le domaine naval. Ce pays a déjà été notre partenaire dans les programmes de frégates. Une coopération est prévue dans l’immédiat pour le programme des pétroliers ravitailleurs FLOTLOG. Les Italiens ayant eux-mêmes un programme correspondant, nous pouvons donc coopérer avec eux sur la base des travaux déjà réalisés en matière de conception.

Dans le domaine naval toujours, nous retrouvons nos amis britanniques avec lesquels nous travaillons sur la mise au point des programmes de guerre des mines du futur. Nous entendons par ailleurs poursuivre notre coopération avec eux dans le domaine des missiles de croisière, des missiles antinavires, avec en particulier la société « one MBDA », suivant un modèle de structuration industrielle fondé sur l’interdépendance mutuelle entre les centres d’expertise en France et les centres d’expertise au Royaume-Uni.

Dans le domaine du renseignement, le programme européen de drones MALE a été lancé avec un objectif de premières livraisons en 2025. De même a été engagé le programme de satellites d’observation optique MUSIS et le premier lancement devrait avoir lieu à la fin de cette année – programme de satellites pour lequel nous continuerons de rechercher la coopération européenne.

Tous ces éléments me conduisent à considérer que ce projet de loi de programmation militaire, avec son contenu d’études amont, de programmes en cours de réalisation et de programmes futurs, est de nature à consolider notre base industrielle et technologique de défense. Vous savez que notre industrie représente à peu près 200 000 emplois directs en France et qu’elle réalise un tiers de son chiffre d’affaires à l’export. Aussi la modernisation et le renouvellement des programmes prévus permettront-ils de maintenir sa compétitivité à l’exportation. La DGA a vocation à soutenir cette activité – ce que nous faisons et qui nécessitera d’ailleurs un accroissement sans doute sensible des moyens que nous pouvons y consacrer, en particulier parce que de plus en plus de clients de notre industrie demandent une assistance à maîtrise d’ouvrage, donc une contribution de la DGA à leurs achats ; voire des contrats d’État à État, dont l’exécution implique que la DGA soit encore davantage concernée par ces programmes d’exportation.

Pour me résumer, le projet de LPM donne à notre industrie la possibilité non seulement de se consolider – et par là nous donne les moyens nécessaires à notre autonomie stratégique – mais lui permet également de développer ses capacités à l’exportation. J’espère que les industriels que vous auditionnerez partageront ce constat.

Je dirai un mot concernant plus directement la DGA.

Le projet de LPM prévoit un renforcement de nos effectifs. Nous espérons ainsi obtenir d’ici à 2023 une augmentation de l’ordre de 500 emplois après dix années d’une diminution liée à l’application de la révision générale des politiques publiques (RGPP), puis de la LPM pour 2014-2019. Nous sommes actuellement environ 9 600 à la DGA. Cette remontée des effectifs permettra d’abord de relâcher la tension qui existe aujourd’hui sur l’ensemble de nos activités, tension consécutive, précisément, à la décroissance à laquelle je viens de faire allusion, ensuite de renforcer les capacités d’innovation et de développement des programmes nouveaux prévus par le projet de LPM, troisièmement de renforcer la montée en puissance des priorités comme les activités de cyberdéfense – nous avons déjà, dans notre centre de maîtrise de l’information (DGA-MI), à Bruz, près de Rennes, une forte capacité que nous devons continuer de développer ; nous devons également renforcer nos capacités dans le domaine numérique, le numérique étant présent dans tous nos systèmes d’armes et notre base industrielle et technologique devant être consolidée en la matière –, enfin, de soutenir l’exportation, je l’ai déjà évoqué – activité qui nécessitera une plus forte implication de la part de la DGA, les clients tendant à s’appuyer toujours davantage sur elle dans leurs relations contractuelles avec les industriels.

Pour faire face à l’ensemble de ces défis, nous avons lancé une réforme de la DGA, un plan progrès, baptisé « DGA Évolution », qui prend la suite des actions menées au cours des années précédentes et qui surtout s’insère dans le chantier de modernisation du ministère des Armées, avec pour objectif d’accroître la performance du processus d’acquisition des équipements, qu’il s’agisse de sa flexibilité ou de sa réactivité, d’exploiter davantage l’innovation venue du civil, je l’ai déjà mentionné, de retirer, pour nos opérations d’armement et pour notre fonctionnement interne, tout le bénéfice des techniques du numérique, qu’il s’agisse du traitement massif des données ou de l’intelligence artificielle. Nous sommes en train de travailler sur tous ces sujets dans le cadre des réformes ministérielles – nous avons en particulier un chantier commun avec l’état-major des armées dans le domaine du processus d’acquisition.

En conclusion, je dirai que, contrairement à ce qu’il s’est passé avec les lois de programmation militaire précédentes, des programmes en cours sont non seulement confirmés mais, pour certains, accélérés et leur cible est même parfois augmentée. Nous n’aurons donc pas à renégocier des contrats en cours à la baisse – ce qui place toujours la puissance publique, que nous sommes, dans une situation très inconfortable lors de ces négociations. Nous avons de nombreux programmes nouveaux à lancer pour moderniser nos équipements. Nous rechercherons systématiquement, pour leur réalisation, une coopération européenne : parce que cela répond à une orientation politique, parce que c’est une nécessité économique, parce que cela facilite l’interopérabilité de nos forces en opération et parce que c’est un moyen de soutenir la consolidation industrielle à l’échelle de l’Europe. Nous avons à mettre en œuvre un effort financier accru dans le domaine de la préparation de l’avenir. Et tout cela doit permettre le renforcement de notre base industrielle et technologique de défense.

Mme Frédérique Lardet. Dans le cadre de la dernière loi de programmation militaire 2014-2019, la répartition par agrégat des crédits de paiement d’études amont faisait ressortir d’importants écarts. Ainsi, 26 % des crédits étaient consacrés à la dissuasion, contre seulement 2 % à l’humain ; 19 % étaient destinés à l’aéronautique de combat, contre seulement 3 % à la cybersécurité et 4 % au combat naval et à la lutte sous la mer. Pouvez‑vous, Monsieur le délégué général, nous préciser si, compte tenu de l’augmentation du budget des études amont à hauteur d’un milliard d’ici à 2022 prévue dans la nouvelle LPM, vous accorderez plus de place à celles qui portent sur les trois domaines qui nous préoccupent : l’humain, la cybersécurité et le naval ?

M. Jean-Philippe Ardouin. La LPM 2019-2025 doit permettre de moderniser les équipements et d’en livrer de nouveaux à nos forces armées. Ainsi, l’accélération du programme Scorpion permettra la livraison de 50 % des nouveaux blindés de l’armée de terre d’ici à 2025. Quant à la dissuasion nucléaire, elle sera modernisée et renouvelée, conformément aux annonces faites par le président de la République dans son discours aux armées du 19 janvier 2018 et aux recommandations de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale.

Le drone est devenu un élément essentiel de la modernisation de l’outil militaire. Aux termes de la LPM, l’armée de terre disposera, fin 2025, d’une vingtaine de ces appareils ; quant à la marine nationale, elle pourra compter non seulement sur le drone de guerre des mines et sur le nouveau programme de système de lutte anti-mines du futur, mais également, d’ici à 2028, du système de drones aériens. L’importance, pour toutes les armées, de cet outil sur les théâtres d’opérations n’est plus à démontrer. À l’heure de l’Europe de la défense, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement des projets de coopération européenne dans ce domaine, notamment le programme de drones « moyenne altitude longue endurance » (MALE) développé en commun avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ?

M. Laurent Furst. La France représente 2,11 % des dépenses militaires mondiales, 3,26 % du PIB mondial et seulement 0,9 % de la population mondiale. Pourtant, et c’est un véritable mérite petit miracle, l’armée française sait tout faire – spatial, nucléaire, porte‑avions, sous-marins –, grâce à une industrie militaire d’une qualité formidable. Cependant, les technologies évoluent et l’on cherche de plus en plus à mettre sur pied des coopérations internationales pour faire face à des besoins de plus en plus importants. Dès lors, on peut se demander – et c’est une question fondamentale – si la France parviendra à maintenir sa spécificité et son autonomie technologique, dont dépend son autonomie stratégique ?

M. le président. Votre question appelle une réponse plutôt politique.

M. Laurent Furst. C’est une question économique !

M. Yannick Favennec Becot. Ma question porte sur le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération. La construction du premier de ces quatre sous-marins devrait débuter en 2020, en vue d’une mise en service au début des années 2030. Mais il semblerait que, sur le site Naval Group de Cherbourg, le retard pris dans l’exécution du programme Barracuda et la construction des sous-marins nucléaires d’attaque impose une contrainte industrielle, puisqu’il rend indisponibles les installations de Naval Group pour la construction des nouveaux SNLE. Estimez-vous, Monsieur le délégué général, qu’en cas d’indisponibilité prolongée de ces infrastructures, l’activité des sous-marins lanceurs d’engins actuellement en service devra être prolongée ?

M. Fabien Lainé. La nouvelle LPM comporte beaucoup de bonnes nouvelles mais également de nouveaux défis technologiques. De nouveaux programmes d’innovation doivent ainsi être lancés. DGA Essais en vol, centre auquel on demande beaucoup, est un véritable soutien à l’export. Pourtant, alors que l’on doit développer le nouveau standard F4 pour le Rafale, elle ne bénéficie pas jusqu’à présent de Rafale, mais de Mirage en fin de vie. Dans le cadre de ce nouveau programme et du soutien à l’export, compte-t-on mettre davantage de Rafale à la disposition de DGA Essais en vol ? Je précise que la question se pose également pour les hélicoptères.

M. Joël Barre. En ce qui concerne les études amont, Madame Lardet, nous n’avons pas encore établi le « Document d’Orientation de la science et technologie », que nous élaborons tous les deux ans et qui définit le cadre de la répartition de nos études amont entre les différents domaines. Cependant, l’augmentation significative du budget que nous espérons obtenir une fois que la loi de programmation militaire aura été promulguée nous permettra de dégager des marges de manœuvre. La cybersécurité est clairement une priorité de la loi de programmation militaire en faveur de laquelle je crois avoir déjà dit que nous avions consenti un effort significatif. Faut-il augmenter la part des crédits d’études amont qui lui est allouée ? Probablement, mais je ne peux pas encore vous dire quelle sera cette augmentation.

Dans le domaine naval, nous devons lancer les études de préparation du programme de porte-avions du futur. Le Charles-de-Gaulle étant en service jusqu’à l’horizon 2040, il nous faut, dans l’immédiat, travailler à la préparation de son successeur et nous interroger sur ses performances, ses caractéristiques et son calendrier. Des études seront menées dans le cadre des études amont. Quant à l’humain, nous y réfléchirons également, dès cette année, dans le cadre de l’élaboration du document que j’ai évoqué il y a un instant.

Monsieur Ardouin, la coopération sur le drone MALE est en cours. Le programme, qui associe les Allemands, les Italiens et les Espagnols, a été lancé et doit se poursuivre dès cette année. Nous avons prévu, dans le cadre de notre référentiel, une participation française à hauteur d’environ 25 % des coûts non récurrents ; celle des Allemands devrait être légèrement supérieure, le complément étant apporté par les Italiens et les Espagnols. Nous proposons également que le programme MALE puisse bénéficier, si possible dès l’an prochain, des premiers financements communautaires consacrés aux dépenses de défense. Vous savez, en effet, que l’Union européenne a décidé, l’an dernier, qu’un Fonds européen de défense pourrait financer, sur des crédits communautaires, des actions de recherche et des actions capacitaires. Nous souhaitons donc que les MALE fassent partie, dès 2019, des programmes pouvant bénéficier d’un complément de financement de l’Union européenne. En résumé, le MALE est donc un programme qui avance, de sorte que le lancement de la réalisation en 2019 devrait être tenu. Nous pensons que le contrat industriel de réalisation pourrait être notifié au début de l’année prochaine.

Ce programme me permet de faire le lien avec la question, plus politique, de M. Furst. La volonté du président de la République et du Gouvernement – je me permets de le dire en termes politiques – est de montrer que la France, en augmentant son effort de défense, en adoptant une loi de programmation militaire de renouveau et en s’efforçant d’élaborer un modèle d’armée complet et équilibré, veut clairement être la première puissance européenne en matière de défense. Certes, notre budget demeurera vingt fois moindre que celui des Américains, qui s’élève à 700 milliards de dollars, mais nos efforts peuvent nous permettre d’entraîner les autres, que ce soit en opérations ou dans le développement des capacités. Telle est, me semble-t-il, la stratégie de notre pays.

L’un des éléments majeurs de la LPM consiste à rechercher systématiquement la coopération européenne là où elle est possible, à bénéficier des initiatives prises à Bruxelles dans le cadre du Fonds européen de défense et à passer au stade de l’autonomie stratégique qui, aujourd’hui, est française mais devra être de plus en plus européenne. Une telle stratégie implique des rapprochements industriels, telle l’initiative « one MBDA » dans le domaine des missiles. Des rapprochements industriels de ce type devront se poursuivre pour consolider la base technologique à l’échelle de l’Europe. Il existe donc, me semble-t-il, une stratégie de passage à l’échelle européenne, qui doit évidemment être élaborée de manière pragmatique, dans le respect de nos intérêts, de notre souveraineté et des intérêts industriels. Ce n’est pas simple, mais nous avançons dans cette voie.

S’agissant des sous-marins nucléaires qui doivent être construits à Cherbourg, il est vrai, Monsieur Favennec Becot, que nous avons rencontré des difficultés liées au calendrier des SNA Barracuda. Nous avons d’ailleurs été amenés, cette année, à prolonger la durée de vie du Rubis jusqu’à la fin 2020. Mais nous avons demandé aux industriels Naval Group et TechnicAtome de reprendre sérieusement en main la réalisation du premier sous-marin, le Suffren. Hier, j’ai présidé une réunion avec ces industriels, en compagnie de la marine et du CEA, et je crois que nous pouvons être relativement confiants quant au fait que ce premier Barracuda, le Suffren, sortira en 2020. Nous ne courrons donc pas le risque d’une rupture de capacités, qui serait dommageable pour la marine. Par ailleurs, nous avons préparé le calendrier du SNLE 3G dans le cadre de la LPM en tenant compte du calendrier du Barracuda. Nous avons donc repris en main une situation qui était effectivement en train de dériver de manière un peu dangereuse. Les efforts de Naval Group et de TechnicAtome doivent désormais nous permettre de mieux la maîtriser et d’engager sereinement la préparation du SNLE 3G.

Vous avez raison, Monsieur Lainé, notre flotte de moyens d’essais en vol est vieillissante. Nous en avons déjà renouvelé une partie grâce à ce que nous appelons l’avion banc d’essai de nouvelle génération (ABE-NG), qui est un Fokker 100. Nous allons chercher à poursuivre cette amélioration, en renouvelant cette flotte, en la modernisant et en la consolidant, car elle est trop disparate, de manière à la rendre plus efficace. Quant aux Rafale, la question est en cours d’étude. Nous devons y travailler dans les mois qui viennent.

Mme Natalia Pouzyreff. Monsieur le délégué général, la LPM 2019-2025 doit permettre de lancer les études du système de combat aérien futur. Il est envisagé que ce système combine différentes plateformes et armements, tous interconnectés et centrés autour d’un aéronef de combat polyvalent. Une feuille de route est attendue courant 2018 ; elle définira ce programme structurant tant pour nos forces que pour la coopération européenne en matière de défense et doit aboutir à un grand choix d’architecture aux alentours de 2020 ou 2021. Pourriez-vous nous préciser l’organisation des programmes – le recours à des démonstrateurs type Neuron, par exemple – et les méthodes de travail entre partenaires industriels français et européens – je pense à la répartition des tâches entre Britanniques et Allemands – ainsi qu’avec les forces armées vous allez mettre en œuvre pour atteindre cet objectif et lancer les études détaillées du programme SCAF en 2021 ?

M. Didier Le Gac. Hier, nous avons entendu l’amiral Prazuck, chef d’état-major de la marine. Nous nous sommes, bien entendu, félicités de la remontée en puissance des équipements, même s’il nous faut apporter un bémol car le système de drone aérien pour la marine, qui suscite une forte attente, ne sera pas opérationnel avant 2028. Néanmoins, l’amiral Prazuck nous a confié qu’il n’était pas inquiet, car la DGA travaille à ce programme avec Naval Group ou Airbus. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’état d’avancement des études ?

M. Thibault Bazin. Monsieur le délégué général, vous avez évoqué une augmentation de 30 % par rapport à la LPM précédente. Faites-vous référence à ce qui était budgété ou à ce qui a été réalisé ? Se pose en effet la question de la capacité de la DGA à réaliser ce qui est budgété. Vous avez beaucoup parlé de coopération européenne, mais il ne faudrait pas confier les exportations à Bruxelles car cela pourrait menacer la production française. Y a-t-il des secteurs stratégiques dans lesquels nous ne serons plus autonomes, demain ? Enfin, dans ses derniers discours, le président Macron a jugé les industriels de la défense parfois peu compétitifs et peu efficaces. Quelle est la part de la DGA dans ce constat ?

M. François André. Mes questions portent sur l’exécution 2018 du PLF, mais vos réponses peuvent avoir des incidences sur le début de l’application de la future loi de programmation. Tout d’abord, le président de Naval Group nous a encore alertés récemment sur la nécessité absolue, selon lui, d’inscrire dès 2018 des crédits d’études amont consacrés au futur porte-avions, afin d’éviter un risque de rupture de compétences au sein de ses équipes. Je souhaiterais donc savoir si ces études amont sont prévues dans le cadre du PLF 2018 et quels sont les montants envisagés pour les années suivantes.

Ma seconde question a trait à la fameuse mise en réserve de 3 % des crédits 2018 hors titre 2. Facialement, c’est une bonne chose, puisque les crédits disponibles sont plus importants que les années antérieures, mais les crédits gelés ne risquent-ils pas d’être appelés, en fin de gestion 2018, à couvrir les surcoûts liés aux opérations extérieures (OPEX) qui seront constatés, mais non encore budgétés, avec des conséquences sur le report de charges sur les crédits d’équipement ?

M. Loïc Kervran. L’article 22 de la loi de programmation militaire permet d’encadrer les conditions dans lesquelles les qualifications des techniques de renseignement seront réalisées. Sont notamment prévus une déclaration préalable à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et un contrôle a posteriori. Je souhaiterais donc savoir si, auparavant, la DGA intervenait dans la qualification de ces techniques et dans quel cadre et, le cas échéant, l’appréciation que vous portez sur cette mesure.

M. Joël Barre. Madame Pouzyreff, vous m’avez interrogé sur le SCAF – ce n’est pas la question la plus facile. Nous nous sommes en effet fixé l’objectif très ambitieux de définir le système de combat aérien du futur à l’horizon 2035 qui, comme vous l’avez fort bien dit, ne devra pas se limiter à un avion de combat. Du reste, le général Lanata vous le dira sans doute, le système de combat aérien existe déjà. En opération, le Rafale n’est pas isolé – il bénéficie notamment de moyens de communication, d’armement, de renseignement –, si bien que le général Lanata lui-même parle, me semble-t-il, de la configuration actuelle comme du SCAF V0. J’espère qu’il vous le confirmera. Quoi qu’il en soit, vous avez tout à fait raison, nous devons travailler à ce que sera le système de combat aérien du futur, qu’il s’agisse de l’avion – on peut difficilement imaginer que l’on se passe d’un avion de combat de nouvelle génération –, des armements, des liaisons de connectivité ou des moyens de commande-contrôle et, peut-être, des drones, destinés au renseignement, voire au combat.

Nous avons entamé, dès le mois de janvier dernier, avec les états-majors, la préparation d’une étude technique opérationnelle préalable, que nous avons décidé de réaliser dans le cadre d’une équipe intégrée, qui regroupe la DGA et les états-majors. Cette équipe intégrée a déjà commencé à travailler, l’objectif étant de réaliser des études qui permettront de définir, à partir des menaces et de scénarios d’intervention, les caractéristiques techniques de ce système. Pour ce faire, nous nous appuierons sur des moyens de simulation, d’ingénierie système, que nous sommes en train de mettre sur pied avec les armées dans notre centre d’analyse technico-opérationnel de défense (CATOD) d’Arcueil. Nous y associerons les industriels dans un second temps, de manière à ce qu’eux-mêmes – en particulier Dassault, mais aussi Thales, Safran, MBDA et d’autres – apportent leurs capacités et leurs réflexions sur le sujet.

Nous devons construire une coopération européenne autour du SCAF ; or, la meilleure façon d’y parvenir est de commencer le plus tôt possible. Nous avons donc proposé dès la fin de l’année dernière aux Allemands de se joindre à nous pour participer à cette étude technico-opérationnelle de définition du système de combat aérien du futur. Nous leur avons indiqué très précisément quel était le contenu de l’étude, la façon dont nous voulions la mener et la manière dont nous pouvions nous associer. Nous attendons leur réponse. Il ne vous a pas échappé que l’Allemagne est actuellement dans une phase d’instabilité politique.

M. le président. Ou plutôt de construction politique !

M. Joël Barre. Outre ces études technico-opérationnelles, cette approche système, la préparation du système de combat aérien du futur nécessite des développements technologiques. Nous avons en effet besoin de développer les technologies de l’aviation de combat du futur, qu’elles soient applicables à un avion piloté ou à un drone. Je pense aux technologies de furtivité – l’un des défis sera de réaliser des engins volants les moins détectables possible –, aux technologies électroniques, de senseurs, de capteurs et de propulsion. Tel est l’objet du projet FCAS-DP – acronyme de Future Combat Air System Demonstration Program – que nous menons en coopération avec les Britanniques. Nous sommes, du reste, en train de discuter avec eux de son avenir.

Le SCAF comporte donc deux volets : d’une part, des études technico-opérationnelles que nous réalisons dans un cadre franco-français et auxquelles nous avons proposé aux Allemands de s’associer et, d’autre part, des études de développement technologique que nous avons proposé aux Britanniques de réaliser avec nous. In fine, il faudra, et c’est un défi majeur que nous aurons à relever, parvenir à faire converger tout cela à l’horizon 2020-2021.

M. le président. Et pas plus tard.

M. Joël Barre. En ce qui concerne le SDAM, il est vrai, Monsieur Le Gac, que nous avons prévu de lancer une commande en 2025 pour des livraisons à partir de 2028. L’amiral Prazuck s’est plaint, me dites-vous, de ces délais tardifs. Mais nous avons tout de même un palliatif, puisque nous disposons de travaux sur l’emploi et l’expérimentation à partir de bâtiments de la marine de drones à voilure tournante achetés sur étagère. Il s’agit d’un drone de la société autrichienne Schiebel. Nous disposons donc déjà des enseignements d’essais préliminaires.

Monsieur Bazin, l’augmentation de 30 % à laquelle j’ai fait référence est fondée sur une comparaison des moyennes annuelles de la LPM à venir par rapport à ce qui a été prévu dans la précédente. Nous comparons les deux LPM.

M. lingénieur général de larmement Christophe Fournier, directeur des plans, des programmes et du budget. La question est en effet un peu complexe car, en exécution, la LPM a été modifiée, d’une part, par la loi d’actualisation et, d’autre part, par les bilans d’exécution, année après année. S’agissant d’une projection, il nous a semblé que le plus simple, pour effectuer une comparaison pertinente, était de comparer la LPM initiale telle qu’elle a été votée fin 2013 au projet de loi qui vous est soumis. Ainsi on ne tient compte ni des actualisations qui sont intervenues ni de l’impact des événements de gestion, en particulier des annulations qui ont eu lieu, à plusieurs reprises, en particulier dans le cadre du financement des OPEX. Si l’on fait tous ces bilans, cela devient assez difficile à interpréter. S’agissant d’une perspective, on compare donc les deux LPM initiales.

M. Joël Barre. En ce qui concerne les exportations, il est en effet fondamental, dès lors que nous voulons promouvoir la coopération européenne en matière de défense, que les règles d’exportation des différents partenaires soient harmonisées, pour ne pas dire identiques. Il est vrai que, sur ce point, nous pouvons avoir des inquiétudes lorsque nous lisons le contrat de la große Koalition que nos amis allemands sont en train de négocier. Il est donc fondamental que nous le clarifiions et que nous nous accordions sur les règles d’exportation, car ils veulent manifestement s’imposer des contraintes qui ne sont pas les nôtres. C’est un sujet-clé : on ne peut pas développer la coopération européenne si les différents pays n’ont pas des règles d’exportation homogènes. Je l’ai indiqué tout à l’heure, l’exportation représente un tiers du chiffre d’affaires de notre industrie de défense. Celle-ci en a donc besoin, et nous avons nous-mêmes besoin pour garantir, par exemple, les chaînes de production de nos matériels. Cette question doit donc faire l’objet d’un dialogue politique, car il s’agit d’une question d’abord politique ; c’est d’ailleurs ainsi que les Allemands l’envisagent, me semble-t-il. Il faut que nous parvenions à un accord et que nous veillions à ce que des règles d’exportation ne soient pas inventées à Bruxelles.

M. le président. À Bruxelles ou à Berlin…

M. Joël Barre. Oui. C’est une véritable inquiétude, vous avez raison de le souligner, et cette inquiétude n’est pas apaisée par ce que l’on a pu lire à propos de l’élaboration du contrat de coalition allemand.

Le caractère éventuellement urgent du travail de préparation du porte-avions du futur ne nous inspire pas d’inquiétude. Des études amont devront être lancées au cours de la période de cette loi de programmation militaire mais je préférerais que Naval Group se concentre dans l’immédiat sur la consolidation du calendrier des SNA Barracuda. Nous commencerons les études amont pour la préparation du porte-avions sur le programme 144. Ensuite, des crédits sont programmés sur la période de la LPM sur le programme 146.

Quant au projet de loi de finances pour l’année 2018, nous avons dit tout à l’heure que le report de charges s’élevait à la fin de l’année 2017 à 1,7 milliard d’euros, que le report de charges à la fin de l’année 2018 était estimé à 2,1 milliards d’euros, à condition, évidemment, que tous les crédits soient disponibles en 2018, que les 3 % soient dégelés – plus précisément : la part des 3 % qui concerne le programme 146.

M. Christophe Fournier. En fait, les 3 % de réserves sur la mission « Défense » ont été répartis de manière non-homogène sur les différents programmes. La réserve du programme 146 est fixée à 359 millions d’euros en crédits de paiement, soit 3,5 % de l’annuité. Effectivement, cette réserve est susceptible d’être mobilisée, par exemple, pour les OPEX, ce qui conduirait de fait à un « bourrage » sur la LPM si la réserve n’est que partiellement levée. Ensuite, en cours de gestion, nous actualiserons le besoin de paiement.

Retenons que le risque est tout de même moindre que lors de l’entrée en vigueur de la LPM 2014-2019, marquée par une annulation de 600 millions d’euros à la fin de l’année 2013, quasiment à huit jours du vote. L’impasse de départ était plus importante. La situation est différente, et l’impact sera moindre car il est probable que toute la réserve ne soit pas annulée. En tout cas, le risque maximum est de 356 millions d’euros.

M. Joël Barre. En ce qui concerne la qualification des systèmes de renseignement, nous sommes évidemment concernés, et, effectivement, l’article 22 de la LPM nous fournira le cadre juridique nécessaire à la poursuite de la réalisation de ces essais. Nous en sommes satisfaits.

Mme Séverine Gipson. Monsieur le délégué général, à l’occasion de votre audition le 18 octobre dernier, je vous avais interrogé sur le fait que la ministre des Armées, Florence Parly, avait annoncé que les drones d’observation Reaper seraient armés. Ce changement majeur permettrait à la fois de sécuriser les pilotes et de procéder rapidement aux frappes aériennes sur des foyers ennemis repérés. La LPM prévoit que deux systèmes de drones MALE Reaper seront livrés au début de l’année 2019 et les cinq systèmes MALE dont quatre Reaper et un européen à la fin de l’année 2025. Hormis le symbole de coopération européenne que ce dernier représente, sera‑t‑il armé ?

M. Jacques Marilossian. Monsieur le délégué général, vous connaissez, bien sûr, les mérites et les qualités de notre base industrielle et technologique de défense mais les entreprises qui la composent doivent faire face, dans tous les secteurs, à de nombreux concurrents issus des pays émergents, dont les pratiques commerciales sont non seulement agressives mais aussi innovantes. Or, depuis près de quinze ans, nous n’avons cessé de réduire les budgets, d’étaler les programmes, de repousser les livraisons, donc de restreindre les capacités de production. Cela a augmenté les coûts des équipements et de leur maintenance. Nous conservons aussi, semble-t-il, certains modes de gestion budgétaire ou de contractualisation assez contraignants pour nos industriels, par exemple un contrat unique au forfait, sans distinction entre prototype et production de série. Ces pratiques pénalisent nos entreprises, elles augmentent leurs coûts, fragilisent leurs capacités d’investissement d’innovation et les placent en position difficile dans la concurrence internationale. Dans le cadre de la LPM, quelles mesures pourrions-nous prendre pour mieux soutenir nos entreprises et préserver cet outil industriel essentiel à notre indépendance stratégique, à notre souveraineté et à l’emploi ?

M. Charles de la Verpillière. Je veux à mon tour revenir à la question des coopérations européennes, centrale dans nos échanges de ce matin. Les pays avec lesquels nous coopérons – l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne – sont évidemment membres, comme nous, de l’OTAN. Pendant très longtemps, ils ont largement dépendu, pour leur armement, de l’industrie américaine. Comment voyez-vous évoluer dans ces pays le partage entre programmes en coopération européenne – avec nous, avec la France – et continuité des achats auprès des États-Unis ?

Quid, par ailleurs, de l’indépendance capitalistique de l’industrie française ? Le fait qu’une part croissante du capital des grandes entreprises françaises d’armement soit maintenant sous maîtrise étrangère vous préoccupe-t-il ?

M. Christophe Lejeune. Parmi les programmes importants à venir figurent en particulier le renouvellement et la modernisation de notre dissuasion nucléaire dans ses deux composantes, océanique et aéroportée. Les programmes nécessitent une collaboration étroite entre vos services et les autres services du ministère. Estimez-vous l’organisation actuelle satisfaisante, ou envisagez-vous des évolutions ? J’associe ma collègue Françoise Dumas à cette question.

M. Joël Barre. Madame Gipson, en ce qui concerne l’armement des drones, nous travaillons actuellement sur l’armement du Reaper, comme je vous l’avais effectivement dit au mois d’octobre dernier. Nous avons lancé la procédure d’achat avec le gouvernement américain, dite « FMS » – pour Foreign Military Sales –, de missiles Hellfire. Nous visons la signature de ce qui s’appelle une letter of offer and acceptance (LOA) à la fin du premier semestre de l’année 2018, pour un délai d’acquisition de douze mois. Si ce calendrier est tenu, nous devrions être capables d’équiper nos drones Reaper actuellement en opération à la mi-2019. Quant à l’Euromale, l’objectif est effectivement de l’armer. Cela fait partie des travaux d’études en cours dont j’ai dit tout à l’heure qu’ils devaient s’achever à la fin de l’année 2018 pour aboutir à un contrat industriel au début de l’année 2019. Il faudra effectivement, dans ce cadre, développer l’armement du drone MALE européen.

Monsieur Marilossian, vous me posez une question difficile sur les contrats. Premièrement, quand on compare les résultats des entreprises françaises de défense, par exemple, à ceux d’une entreprise de défense américaine, l’écart est significatif. Les industries françaises atteignent effectivement un niveau de rentabilité compris entre 5 % et 10 %, tandis que les industries américaines sont nettement au-dessus de 10 %. Deuxièmement, les contrats que nous concluons avec elles les soumettent-ils à une pression exagérée ou les conduisent‑ils à des dépassements de coûts significatifs ? Oui, dans certains cas – nous avons évoqué le Barracuda et nous pourrions parler, entre autres, de l’A400M. Cela étant, la DGA, garante de la bonne utilisation des deniers publics, doit veiller à un partage des risques et des responsabilités équilibré et convenable entre l’État, qui finance, et l’industrie, qui réalise. Les difficultés que nous avons rencontrées sur l’A400M ou sur le Barracuda sont de la responsabilité de l’industrie. Il ne me semble donc pas anormal qu’elle en supporte les conséquences.

Les contrats forfaitaires sont la seule façon d’engager la responsabilité de l’industrie sur des objectifs de performance, de délais et de coûts. Si nous revenions à des contrats tels que nous en avons pratiqué dans le passé, dits de « dépenses contrôlées » – je demande à l’industrie le coût de son activité et je conviens avec elle d’une marge supplémentaire –, ce serait la porte ouverte au financement par la puissance publique de toutes les dérives techniques et industrielles. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher à optimiser la forfaitisation de nos contrats. On peut être sensible au discours de certains industriels lorsqu’ils nous disent que l’on forfaitise des choses trop insuffisamment définies et conceptualisées pour qu’ils puissent prendre un engagement ferme de performance ou de délai. Il faut passer le contrat forfaitaire au moment où chacun sait ce qu’il veut – la puissance publique, donc le maître d’ouvrage DGA, et l’industriel qui réalise.

Cependant, il faut aussi engager l’industrie sur le soutien. La prise de risques y étant quasi nulle, ses marges sont bien plus significatives en la matière que sur le développement. Au-delà de la responsabilité des industriels, notre organisation, à l’intérieur de nos armées et de notre ministère, pourrait être améliorée – c’est d’ailleurs l’objectif de la création de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé).

Les performances sont défaillantes du point de vue du maintien en condition opérationnelle (MCO) – vous connaissez le faible taux de disponibilité de nos hélicoptères et de nos avions, dont tout le monde se plaint, y compris au plus haut niveau de la République –, et nous devons progresser. Nous-mêmes, DGA, devons passer sur les matériels des contrats forfaitaires – développement, production et soutien – nous le faisons déjà depuis plusieurs années. Ces contrats doivent permettre d’obtenir un engagement de performance et de coût de l’industriel sur le maintien en condition opérationnelle, typiquement sur une dizaine d’années de première exploitation. Nous devons réorganiser le fonctionnement, et c’est l’objet de la création de la DMAé et de tout le chantier lancé dans ce cadre-là. Et, dans le cadre de la LPM, le budget de l’entretien programmé des matériels est significativement accru, parce que les résultats sont aussi une question d’argent.

Quant à la coopération, nous voulons entraîner nos partenaires et amis. Nous attendons la décision des Allemands sur le renouvellement du Tornado. Si les Allemands achètent le F35, nous sommes mal partis pour la coopération future. Si nous essayons d’impulser cette coopération européenne, il faut que nos partenaires nous suivent. Les décisions que prendront, à court terme, les Allemands sur l’exportation ou encore sur le renouvellement du Tornado seront des signaux majeurs.

Avec les Britanniques, nous essayons de définir la suite du projet de développement technologique relatif aux technologies de l’aviation de combat du futur. Nous sentons bien qu’ils veulent travailler avec nous, mais qu’ils ont des accords avec les Américains. Ils s’interrogent donc. C’est pourquoi nous continuons de discuter.

Quant aux capitaux étrangers investis dans les entreprises de défense en France, il y en a peu, Monsieur de la Verpillière, et, de toute façon, il existe un processus de contrôle des investissements étrangers en France, que nous appliquons systématiquement, dans l’ensemble du tissu industriel. Cela concerne des petites sociétés qui font partie de la base industrielle et technologique de défense, auxquelles il faut effectivement être très attentif. En 2017, nous avons ainsi traité vingt-sept dossiers de surveillance des investissements étrangers en France.

En ce qui concerne l’organisation du ministère des Armées, nous avons un modèle : la dissuasion. Dès l’origine, nous avons créé la notion de programmes d’ensemble, c’est-à-dire non seulement le missile mais aussi le sous-marin, l’infrastructure, les liaisons de communication, etc.

Dans le cadre de notre plan de progrès et des chantiers de modernisation du ministère, nous sommes en train de discuter avec l’état-major des armées d’une sorte de généralisation de cette démarche de programme d’ensemble, d’abord au niveau technique, avec une approche plus capacitaire qu’actuellement. Nous avons tendance à aller trop vite dans l’engagement et la réalisation d’un programme, sans intégrer celui-ci dans un ensemble. Ainsi, il faut commencer par définir le système de combat aérien du futur avant de lancer le programme de l’avion, le programme de drones, le programme de missiles, le programme de systèmes de communication. Cette cohérence d’ensemble doit ensuite être assurée tout au long de la réalisation du cycle de nos programmes – c’est l’idée de programmes d’ensemble.

Vous avez raison de le dire : nous devons nous améliorer sur ce plan, nous, DGA, qui avons la responsabilité des programmes eux-mêmes, mais évidemment en liaison avec les armées, en liaison avec le service d’infrastructure de la défense, etc. Nous devons avoir une vision globale de ces systèmes complets tout au long de leur cycle de vie – nous y travaillons.

M. Jean-Michel Jacques. Monsieur le délégué général, vous avez abordé le programme à effet majeur, mais, tout le monde l’aura compris, cette LPM est aussi une LPM à hauteur d’homme. Pour ma part, je pense à l’équipement de nos soldats au moment de partir en opération. Lors des auditions et sur le terrain, nos interlocuteurs ont soulevé des problèmes de délais de livraison de certains équipements qui existent déjà dans le commerce et qui ne font pas l’objet de modifications majeures, voire qui ne font l’objet d’aucune modification.

Vos services m’ont expliqué que c’était en raison des expertises nécessaires, par exemple pour valider un drone de reconnaissance, mais cela ne déresponsabilise-t-il pas les industriels qui vendent des produits, tout en donnant du travail à vos services et en rallongeant les délais ? C’est ainsi que des équipements de protection déjà dans le commerce et déjà utilisés par des armées étrangères mettent du temps à arriver sur le terrain.

On m’a également dit que c’était un problème d’appel d’offres : un appel d’offres, c’est compliqué. Pardonnez-moi mais, mais, maire d’une petite commune, je sais que ce n’est pas si compliqué, et nos états-majors savent comment faire.

Dernière explication qui m’a été donnée : il faut que cela passe par les services, parce qu’il est prévu qu’il en soit ainsi. Qu’en est-il donc, et quelles réformes procédurales envisager, le cas échéant, pour une plus grande fluidité ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Monsieur le délégué général, tout à l’heure, vous avez confirmé que la DGA contribue largement au soutien à l’exportation au profit des industriels. Cela mobilise de plus en plus de personnel hautement qualifié. Hélas, la faible compétitivité des salaires offerts par l’État ne facilite pas le recrutement d’ingénieurs de haut niveau, en particulier dans des domaines spécifiques comme la cyberdéfense. Comment, concrètement, veillez-vous à l’attractivité de la DGA ?

M. Guillaume Gouffier-Cha. Monsieur le délégué général, pouvez-vous préciser si les échanges ont déjà commencé pour revoir nos relations contractuelles avec les industriels ? Et comment ces derniers envisagent-ils cette perspective ?

Quant à l’innovation civile, quels sont les dispositifs mis en place pour mieux détecter les startups, TPE et PME françaises sur lesquelles nous pourrions nous appuyer ?

M. Philippe Chalumeau. Cette LPM prévoit une montée en puissance du renseignement : satellites d’observation, charge universelle de guerre électronique (CUGE), deuxième bâtiment de recueil de renseignements, drones de renseignement, d’autres systèmes de drones également. L’autonomie stratégique est évidemment un objectif majeur. À quel niveau ces efforts nous placent-ils ? Certains champs doivent-ils encore être couverts ?

M. Jean-Marie Fiévet. Monsieur le délégué général, vous avez parlé d’accélérer la livraison des blindés médians – 150 Jaguar et 936 Griffon – mais également de divers autres matériels, dont 32 canons CAESAR, pour la fin de la LPM. Or la production des Jaguar et des Griffon commence tout juste. Pensez-vous que les industriels seront capables de tenir les délais de livraison sans augmentation des coûts ?

M. Joël Barre. Monsieur Jacques, l’achat des équipements auxquels vous faites référence, les Equipements d’accompagnement et de cohérence ne relève pas de la DGA. Pour ce qui relève de notre périmètre, nous avons tout de même un efficace dispositif d’urgence opérationnelle. Je ne prétends évidemment pas que le processus soit parfait et n’ait pas besoin d’être amélioré. Quant aux appels d’offres, nous devons suivre les mêmes règles que tous les acheteurs publics. Ces dernières années, nous avons varié les dispositifs utilisés, tels des dialogues compétitifs ou des partenariats d’innovation, Certes, il n’est plus question, là, uniquement de petits équipements, mais notre rôle est notamment d’acheter des éléments de technologie avancée. S’il faut encore améliorer nos processus dans le domaine de l’achat des petits équipements, nous le ferons. Quant au fait que nous nous imposerions en tant qu’experts, on est parfois venu chercher la DGA pour sortir de telle ou telle difficulté face à l’achat d’un matériel ! Quoi qu’il en soit, nous avons mis en place un groupe de travail sur l’amélioration des processus d’acquisition avec l’état-major des armées.

Cela m’amène à la question qui a été posée sur les industriels. Nous avons engagé, dans le cadre de ce groupe de travail, des échanges avec le Conseil des industries de défenses françaises (CIDEF), actuellement présidé par Éric Trappier. Cela fait partie de l’exercice en cours, qui doit déboucher d’ici l’été prochain. Nous allons voir avec les industriels comment améliorer leurs processus, mais aussi leur expliquer qu’ils doivent faire preuve de transparence et de compréhension vis-à-vis de nos exigences.

Nexter sera-t-il à même de réaliser les différents équipements ? Lundi dernier, en accompagnant la ministre des Armées chez Nexter, nous avons pu nous en faire une idée. Ces dernières années, le groupe avait vu son activité chuter considérablement. Maintenant, avec la LPM et le plan de réalisation des différents véhicules dont nous avons parlé, son plan de charge a été significativement relevé à la hausse. C’est toutefois compatible avec ses moyens industriels. Certes, ils vont devoir embaucher dans leur emprise de Roanne, mais cela ne semble pas poser de grandes difficultés – je le leur ai demandé. Voilà pourquoi nous avons confiance en la capacité de Nexter et de ses partenaires de faire face à cette charge de travail.

Maintenant, puisqu’on parle de recrutement, la DGA réalise chaque année l’ensemble des recrutements auxquels elle a droit. Toutefois, je vous confirme que nous avons des difficultés à recruter des ingénieurs dans les domaines des hautes technologies, compte tenu du handicap de nos salaires par rapport à ceux du privé. Cela étant, pour des raisons évidentes, nous avons moins de difficultés à Rennes qu’à Paris, c’est une des marges de manœuvre dont nous disposons. Cela étant, la DGA bénéficiera des mesures prévues par la LPM en termes d’attractivité et de capacités de fidélisation.

M. le président. Nous allons auditionner la directrice des ressources humaines du ministère des Armées à ce sujet.

M. Joël Barre. Concernant notre positionnement dans le renseignement : il est patent que nous ne pouvons pas nous comparer aux Américains, qui ont un budget vingt fois supérieur. Et dans le domaine spatial, dont je viens, leur budget doit même être cinquante fois supérieur. Nous ne jouons pas dans la même cour !

Il y a deux secteurs sur lesquels nous devons travailler et essayer de promouvoir la coopération européenne dans le domaine du renseignement : la surveillance de l’espace et l’alerte avancée.

La surveillance de l’espace consiste à surveiller les satellites qui sont au-dessus de nous, qu’ils soient en orbite basse ou qu’ils soient en orbite géostationnaire – pour les satellites de télécommunication.

Aujourd’hui, nous avons en service une première capacité, notamment avec le radar GRAVES, qui a été conçu et développé par l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) il y a plus de dix ans. Nous devons continuer à l’améliorer. C’est prévu. Par ailleurs, nous devons le compléter avec des moyens d’observation optique, des télescopes. Et il faut le faire à l’échelle européenne. Des initiatives ont déjà été lancées, notamment avec les Allemands. C’est l’un des axes identifiés dans la LPM.

Quant à l’alerte avancée, c’est-à-dire la détection du départ des missiles balistiques, nous n’en sommes qu’au stade des études. Nous avons réalisé dans le passé des démonstrations technologiques en orbite, avec SPIRALE – acronyme de « système préparatoire infrarouge pour l’alerte » – sur des satellites qui ont été lancés voici une dizaine d’années. Dans ce domaine aussi, il faut chercher à promouvoir la coopération européenne.

Dans le domaine de l’observation, notre imagerie optique est de très bonne performance. Nous avons des échanges avec nos partenaires pour disposer d’une imagerie radar, qui vient compléter l’imagerie optique.

À l’horizon 2020, nous comptons livrer le système CERES – pour « capacité de renseignement électromagnétique spatiale ».

Dans les télécommunications, nous avons ce qu’il faut depuis les premiers satellites Syracuse des années quatre-vingt. C’est donc en matière de surveillance de l’espace et de l’alerte avancée qu’il faut essayer, autant que possible, de se développer et de le faire en coopération européenne.

Comment aller chercher l’innovation civile ? C’est en effet un sujet clé. Nous avons créé en 2016 DGA Lab, c’est-à-dire un outil de rencontre entre des innovateurs, qui proposaient des matériels existant dans le civil, et des opérationnels qui exprimaient un besoin. Je peux vous donner un exemple. Nous avons actuellement en cours ce que nous appelons un « défi », processus qui consiste à rapprocher les innovateurs du civil et des utilisateurs militaires, et qui porte sur les drones indoor, c’est-à-dire capables d’entrer dans les bâtiments. Il est prévu de généraliser la démarche à l’ensemble du ministère. Le processus connaîtrait alors une montée en puissance, DGA Lab deviendra Innovation Défense Lab. L’idée est toujours de repérer les technologies civiles disponibles qui pourraient nous être utiles, et si les armées estiment que c’est bien le cas, de rapprocher les uns et les autres, puis de mettre en place un processus contractuel passant par un appel d’offres, et faire en sorte que les matériels répondant à nos besoins nous soient livrés le plus rapidement possible.

Donc, cette démarche existe depuis deux ans environ. Les premiers résultats sont attendus au milieu de cette année, et la généralisation de la démarche à l’ensemble du ministère interviendrait dans le cadre du chantier de modernisation.

M. le président. Il nous reste les questions de nos deux co-rapporteurs de la mission d’information sur la numérisation dans les armées, à peine revenus de leur déplacement outre-Atlantique.

M. Thomas Gassilloud. Nous avons eu l’occasion de participer à des réunions de travail très intéressantes avec des hauts responsables militaires, politiques et industriels dans le domaine du numérique. Nous revenons avec la conviction renforcée que l’intelligence artificielle – avec tout ce que cela englobe : cloud, big data, internet des objets, combat collaboratif sur le terrain – va jouer un rôle fondamental de rupture dans les années qui arrivent, à l’instar de l’arrivée de la poudre ou de l’arrivée de l’atome. Notre défense doit être au rendez-vous pour éviter tout risque de déclassement opérationnel.

Ma première question se rapproche un peu de celle de Jean-Michel Jacques sur les petits équipements. Il semble qu’il faille réformer fondamentalement notre procédure d’acquisition. On parle de délais, mais il faut aussi penser aux méthodes. Tout à l’heure, vous avez dit que le contrat était passé quand on savait ce que l’on voulait. En matière de numérique, cela ne se vérifie pas forcément puisque, une fois que l’on a fini le prototype, il est bien souvent dépassé. Cela explique que le DoD – le département de la défense aux États‑Unis – a récemment signé un contrat avec Amazon pour un milliard de dollars par an, sans savoir exactement ce qu’ils veulent, simplement pour implémenter du cloud. Dans ces conditions, comment réformer fondamentalement cette procédure d’acquisition pour le numérique ?

Deuxièmement, comment la DGA soutient-elle l’innovation d’usage, pour des questions de performance ? Le Strategic Capabilities Office (SCO) le fait, pour voir les « briques » qui existent et les mettre directement aux mains des armées.

M. Olivier Becht. Monsieur le délégué général, ma question portera sur la ventilation des crédits sur la recherche amont. La LPM fait apparaître une évolution de 170 millions d’euros de crédits supplémentaires à l’horizon 2022 – de 730 millions à un milliard d’euros. Cet effort conséquent reste évidemment bien moindre que ce que l’on a pu voir ailleurs – le CSO à lui seul reçoit 1,5 milliard d’euros de crédits par an. Il n’est pas question de remettre en cause la priorité d’acquisition de matériel et de régénération du matériel actuel, qui est aussi une des priorités de la LPM, comme l’a rappelé Thomas Gassilloud. Malgré tout, en matière d’intelligence artificielle, d’ordinateurs quantiques, de blockchain, de cloud computing, les enjeux sont majeurs. Comment ce milliard d’euros sera-t-il réparti, sachant que les études sur le futur porte-avions ou sur la dissuasion nucléaire seront financées sur cette enveloppe ? Que restera-t-il pour ces domaines stratégiques en termes de souveraineté numérique, ou simplement de souveraineté ?

M. Joël Barre. Je vais commencer par cette dernière question. Je ne peux pas vous répondre de façon détaillée, parce que nous sommes en train de travailler à l’élaboration du dossier d’orientation de nos activités de sciences et technologies, dont l’objet est précisément, tous les deux ans, de définir la répartition des enveloppes entre les différents domaines.

Je tiens cependant à faire un commentaire personnel. D’abord, c’est nous qui avons proposé ce milliard d’euros pour les études amont à l’horizon 2022, et notre proposition a été retenue. Ensuite, je comprends l’équilibre que représente la loi de programmation militaire qui vous est proposée. J’ai été nommé délégué général le 9 août 2017 et dès le début du mois de septembre, le chef d’état-major des armées m’a amené voir l’opération Barkhane. Je me suis ainsi rendu compte qu’il fallait moderniser à la fois l’équipement et les conditions de mission et de vie de nos soldats.

Vous rentrez des États-Unis, et c’est bien. Mais il ne faut pas oublier que le budget américain représente vingt fois le budget français. On ne peut pas jouer avec les mêmes armes. Encore une fois, ce projet de LPM me semble équilibré : d’un côté, il faut redonner à nos soldats les capacités de se battre ; de l’autre, il faut que nous investissions ces champs de nouvelles technologies.

M. Olivier Becht. Aujourd’hui, il n’y a pas de ventilation préétablie ?

M. Joël Barre. Non, c’est à nous de la faire et de la proposer à la ministre. Tout cela fait l’objet d’un processus, dont nous pourrons reparler, si vous le souhaitez, quand il aura été mené à son terme.

M. le président. Je comprends ces interrogations, et je les partage. J’observe toutefois que le financement de l’innovation de rupture ne va pas incomber seulement au budget des armées et à la loi de programmation militaire. Pour ma part, je plaide pour un effort significatif du budget de la Nation, en coopération peut-être avec l’Allemagne, ou au niveau européen. Car l’Europe devra « se réveiller » et mettre en place sur un modèle de financement de l’innovation de rupture, sur des bases soutenables et durables.

M. Joël Barre. Je ferai quelques commentaires, qui rejoignent les deux questions que vous avez posées.

Sur l’intelligence artificielle proprement dite, il y a déjà des actions en cours. La DGA emploie une vingtaine d’ingénieurs spécialisés dans ce domaine. Nous comptons profiter de l’augmentation des effectifs dont j’ai parlé tout à l’heure pour accroître le nombre de ces ingénieurs dans les années qui viennent.

Nous devons définir la capacité dont nous avons besoin, en tant que maître d’ouvrage. En effet, nous ne sommes pas un établissement de recherche. Nous sommes l’agence exécutive des crédits publics de défense, ce qui nous impose de bien identifier notre cible. Aujourd’hui, nous estimons qu’il faudra augmenter significativement le nombre de ces ingénieurs. Nous devrions pouvoir faire cet effort dans les années qui viennent, à condition bien sûr de résoudre le problème d’attractivité que nous avons par rapport au secteur industriel.

Nous devons aussi structurer, en tout cas faciliter la structuration de notre base industrielle et technologique de défense dans ce domaine. Nous avons commencé à le faire en lançant en 2017 un ARTEMIS, un partenariat d’innovation consacré à l’étude d’une architecture de traitement de données massives pour le Big data, et l’intelligence artificielle. Nous faisons travailler en parallèle trois groupements d’industriels. Au fur et à mesure, nous choisirons les meilleurs, et cela se traduira dans un contrat de développement et de réalisation. Il s’agit d’un mode de contractualisation qui est nouveau, auquel on n’avait pas recours dans le passé, et qui est lié à ces nouvelles technologies.

La question sur l’innovation d’usage rejoint ce que j’ai dit tout à l’heure sur DGA Lab. Le drone indoor, que j’ai pris en exemple, est typiquement un produit qui existe dans le commerce ; les forces spéciales considèrent que ce drone peut leur être utile pour mener certaines de leurs opérations ; on demande aux industriels qui en sont capables de nous faire des propositions ; on travaille avec eux, on expérimente, on sélectionne, et on prend le meilleur ; enfin, on l’achète et on le livre : c’est ce genre de processus qu’il faut effectivement généraliser.

M. Thomas Gassilloud. En effet, on nous cite régulièrement l’exemple de ce drone indoor. Cela étant, je comprends bien que l’on n’a pas tout à fait les budgets que le Department of Defense. Mais il me semble qu’à enveloppe constante, en s’attachant à la méthode, on pourrait déjà considérablement changer les choses.

M. Joël Barre. Il faut généraliser cette approche, et nous y travaillons dans le cadre du groupe de travail sur les processus d’acquisition. Il faut effectivement poursuivre dans cette voie. Mais nous y sommes déjà engagés.

La séance est levée à dix-heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Louis Aliot, M. François André, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean‑Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Fabien Lainé, Mme Frédérique Lardet, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Damien Abad, M. Bruno Nestor Azerot, M. Florian Bachelier, M. Luc Carvounas, M. André Chassaigne, M. M’jid El Guerrab, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, M. Christian Jacob, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Patricia Mirallès, M. François de Rugy, Mme Sabine Thillaye, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Patrice Verchère