Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

          Discussion générale sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau, rapporteurs).                            2

 

 

 


Mardi
26 juin 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 88

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
M. Stéphane Mazars,
vice-président


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La réunion débute à 16 heures 40.

Présidence de M. Stéphane Mazars, vice-président.

La Commission procède à une discussion générale sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau, rapporteurs).

M. Stéphane Mazars, président. Mes chers collègues, comme vous l’aurez constaté, j’ai aujourd’hui l’honneur de présider notre commission des Lois en remplacement de Mme Yaël Braun-Pivet qui, étant rapporteure sur le texte que nous allons examiner, se trouve empêchée d’exercer la fonction de présidente qu’elle assume habituellement avec le brio que nous lui connaissons.

Je très heureux de vous retrouver pour des débats qui promettent d’être passionnés et passionnants, mais aussi de nous occuper tout au long de la semaine, puisque nous allons examiner près de 1 400 amendements à ce projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.

Nous allons commencer nos travaux par la traditionnelle discussion générale, et je vais d’abord donner la parole à M. Richard Ferrand, rapporteur général, puis aux deux rapporteurs, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est une procédure peu ordinaire qui nous réunit en commission des Lois à partir de cet après-midi et pour les jours à venir. Nous nous trouvons ici, salle Lamartine, pour modifier la Constitution qui est, dans notre ordre interne, la norme suprême. Vouloir modifier la norme suprême est une démarche nécessairement solennelle, éloignée par définition de toute considération particulière ou contingente, et mue par des objectifs de longue durée.

Comme c’est la règle, ce projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace est présenté par le Premier ministre au nom du Président de la République, et défendu par la garde des Sceaux, qui est venue devant nous pour cela il y a trois semaines. Il traduit les engagements pris par le chef de l’État lors de sa campagne électorale, puis devant les assemblées réunies en Congrès le 3 juillet 2017. Ces engagements sont les nôtres, mais ce sont aussi des exigences autour desquelles peuvent se retrouver tous ceux qui constatent à quel point certains modes de fonctionnement de nos institutions sont en décalage avec les attentes de nos compatriotes, tous ceux qui ont compris qu’il était indispensable de moderniser les mécanismes de la Ve République pour assurer la vivacité de notre vie démocratique.

La dernière révision de la Constitution, qui remonte à dix ans, manifestait déjà le souci d’un renouvellement et d’une modernisation des institutions. Nos prédécesseurs avaient pour principale ambition de doter le Parlement de moyens d’action supplémentaires. Des progrès indéniables, auxquels nous sommes unanimement attachés, ont été accomplis à l’époque, qu’il s’agisse de la discussion de la plupart des textes en séance sur la base du texte de la commission, de la reconnaissance de droits spécifiques aux groupes parlementaires d’opposition et minoritaires, ou de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), grâce à laquelle les justiciables peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour faire respecter leurs droits fondamentaux.

Cependant, le bilan est partagé et certains dysfonctionnements méritent d’être corrigés, comme nous le constatons tous, jour après jour. La programmation de nos travaux est trop souvent chaotique, les délibérations en commission et en séance publique ne s’articulent pas toujours de manière satisfaisante, et l’accessoire l’emporte trop souvent sur l’essentiel. Avec le Président de la République, la majorité dresse le constat d’un rythme de conception des lois inadapté pour répondre aux besoins de la société. Le recentrage du droit d’amendement aux termes de l’article 3, la possibilité de voter les textes les plus simples en commission aux termes de l’article 4, la simplification de la navette aux termes de l’article 5, la plus grande souplesse de l’ordre du jour aux termes des articles 8 et 9, constituent des réformes utiles, susceptibles de rendre au Parlement le temps de débattre plus sereinement des questions de fond, et c’est ce que nous vous proposons.

Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une réforme des institutions plus vaste qui comporte aussi, vous le savez, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. C’est dans ce cadre que nous proposerons également de réduire le nombre de parlementaires, de limiter le cumul des mandats dans le temps, et d’introduire une dose de proportionnelle pour que toutes les sensibilités soient justement représentées au Parlement. Nous aborderons ces sujets au mois de septembre, au sein de cette même commission, sur la base du rapport de notre collègue Marie Guévenoux, mais j’ai l’intuition que certains d’entre vous souhaiteront en parler sans même attendre la rentrée.

Il nous appartiendra encore, dans la suite de la législature, de tirer les conséquences dans la législation organique et dans le règlement de notre assemblée de toutes les modifications qui seront apportées à la Constitution. Au-delà du Parlement, c’est un grand chantier de modernisation que nous abordons : Cour de justice de la République, Conseil supérieur de la magistrature, Conseil constitutionnel, Conseil économique, social et environnemental, chacune de ces institutions fait l’objet de dispositions importantes et nécessaires. Nous souhaitons de nouvelles règles pour la responsabilité pénale des membres du Gouvernement ; nous souhaitons que la justice bénéficie de garanties renforcées en matière d’indépendance ; nous souhaitons que la société tout entière participe davantage à la vie démocratique, donc aux décisions qui la concernent.

Un dernier groupe d’articles – 15, 16 et 17 – traite des collectivités territoriales. Certains attendaient depuis longtemps les mesures qui y figurent, à savoir le droit à la différenciation, le statut particulier de la collectivité de Corse, la possibilité pour les lois et les règlements nationaux de comporter des règles adaptées aux spécificités géographiques, économiques ou sociales, des adaptations du même ordre en ce qui concerne les cinq départements et régions d’outre-mer – Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. Le vent de la liberté ne doit pas s’arrêter au boulevard périphérique parisien, et nos collectivités doivent exercer leurs responsabilités.

L’ampleur de la tâche a justifié que nous retenions un dispositif un peu hors norme, reposant au sein de la seule commission des Lois sur trois rapporteurs. Je suis entouré de Mme Yaël Braun-Pivet, qui a délaissé momentanément la présidence de la commission pour rapporter les dispositions relatives à la justice, et au CESE, et de M Marc Fesneau, qui s’occupe plus particulièrement de la procédure parlementaire et des collectivités territoriales. Je tiens à les remercier du travail déjà accompli lors des auditions qui ont été organisées ces deux dernières semaines et de l’état d’avancement de leurs travaux, qui a été mis en ligne sur la page internet de la commission des Lois. Je salue également le travail des rapporteurs des commissions saisies pour avis, à savoir M. Olivier Véran pour la commission des Affaires sociales, M. Christophe Arend pour la commission du Développement durable, M. Laurent Saint-Martin pour la commission des Finances, et la présidente de la Délégation aux droits des femmes, Mme Marie-Pierre Rixain.

Mon rôle et celui des deux rapporteurs ne s’arrêtera pas là : nous allons délibérer en commission et en séance, puis il nous faudra engager la concertation avec nos collègues sénateurs. La difficulté de rapprocher les points de vue, parfois peu conciliables, ne doit pas être sous-estimée. Sous la précédente législature, elle a conduit à l’échec de six projets de loi constitutionnelle à un stade ou un autre de la procédure de l’article 89 de la Constitution. Comme vous le savez, en matière de révision constitutionnelle, le bicamérisme égalitaire prévaut : le texte doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées avant que le Congrès ou le peuple français par référendum ne se prononcent. C’est donc un dialogue constructif que j’entends engager avec nos collègues sénateurs.

Dans l’immédiat, je serai vigilant à ne pas dénaturer ce projet de loi constitutionnelle qui a un périmètre relativement précis. La hiérarchie des normes doit conserver tout son sens, et il ne me paraît pas utile de hisser au rang constitutionnel des dispositions organiques ou réglementaires. Il n’est pas non plus dans mes intentions de remettre en cause les ressorts fondamentaux de la Ve République et du parlementarisme rationalisé. Enfin, j’écarterai les dispositifs aux effets juridiques trop incertains, notamment ceux ayant pour objet de proclamer certains droits et libertés pour lesquelles la jurisprudence du Conseil constitutionnel offre un cadre mieux identifié et plus protecteur à nos concitoyens.

D’autres sujets que ceux figurant dans le projet initial pourront naturellement être débattus. Le nombre d’amendements déposés – 1 378 exactement, soit plus du double d’il y a dix ans –, pour un quart avant l’article 1er, témoigne s’il en est besoin de la fertilité de nos imaginations sur tous les bancs, mais nous devons veiller à ne pas surcharger la Constitution, à ne pas adopter des dispositions qui créeraient des difficultés d’interprétation et donneraient lieu à des contentieux. Telle est, mes chers collègues, la vision d’ensemble dont je souhaitais vous faire part, avant que nos deux rapporteurs n’entrent davantage dans le détail.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je commencerai en vous remerciant, monsieur Mazars, d’assurer la présidence par intérim de cette belle commission des Lois : je suis sûre que vous le ferez également avec brio.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui à la veille d’un instant dont chacun mesure l’importance. Il y a à peine un an, les citoyens nous ont donné mandat de siéger à l’Assemblée nationale pour exercer le pouvoir législatif. Nous l’exerçons différemment, je le revendique et je suis même convaincue que notre assemblée en avait besoin – même si les vieux codes refont parfois surface. Cela participe d’une transformation de nos institutions que nos concitoyens souhaitaient depuis longtemps. Cette transformation, nous nous apprêtons à la poursuivre tous ensemble en nous attachant aujourd’hui à un autre type d’exercice, celui du pouvoir constituant. Cet exercice est nécessairement empreint de solennité, puisqu’il consiste à modifier le texte juridique qui fonde notre État de droit. Pour ce faire, vous m’avez confié une responsabilité : corapporter, en votre nom, un projet de loi constitutionnelle de grande ampleur. Cette responsabilité, comme à l’accoutumée – et sans doute encore davantage –, je l’endosse pleinement, avec un intérêt à la hauteur des enjeux. Avec plaisir aussi, celui de travailler aux côtés de MM. Richard Ferrand et Marc Fesneau.

Nous ne sommes qu’au début du chemin qui nous conduira à réviser notre Constitution. Devant la commission des Lois, je viens vous rendre compte de l’état de ma réflexion ; nos débats à l’Assemblée nous permettront, j’en suis sûr, de l’enrichir – il n’est pas d’intelligence qui ne soit collective – avant que le texte n’entame sa navette – une navette un peu particulière, puisqu’elle a vocation à nous conduire, conformément aux termes de l’article 89 de notre Constitution, à Versailles ou devant le peuple français.

Pour travailler ce texte, il nous était indispensable d’écouter ceux qui ont vocation à s’exprimer sur le sujet qui nous intéresse, mais aussi de tirer les leçons du passé pour mieux préparer l’avenir. Pour ma part, je vous ai invités à entendre les représentants des juridictions – Cour de cassation, Cour de justice de la République, cours d’appel, tribunal de grande instance de Paris – et j’ai convié à participer à nos travaux le président du Conseil économique, social et environnemental et la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). Nous avons également fait venir des conseillers d’État, des avocats, des universitaires et des personnalités éminentes – je pense à M. Robert Badinter, à M. Jean-Louis Debré et à M. Pierre Mazeaud, enfin, qui présida avant moi cette belle commission des Lois et qui, à ce titre, rapporta lui aussi un projet de loi constitutionnelle, et même deux : celui de 1995, qui a institué la session parlementaire unique, et celui de 1996 qui a institué les lois de financement de la sécurité sociale, dont le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui propose d’ailleurs de modifier les conditions d’examen. Un autre de mes prédécesseurs, M. Jean-Luc Warsmann, lui aussi présent aujourd’hui, avait rapporté la révision constitutionnelle de 2008, ayant conduit à une forte revalorisation des pouvoirs du Parlement.

Le projet de loi dont nous allons débattre propose une nouvelle étape afin que notre démocratie soit plus représentative, responsable et efficace. Ce n’est pas un texte de circonstance : le 6 juin dernier, lorsque nous avons auditionné la garde des Sceaux, j’avais indiqué souhaiter inscrire ce texte dans ce temps long et dans une cohérence politique. De ce point de vue, je n’ai pas varié : nous avons l’ambition d’achever enfin des évolutions attendues depuis longtemps, qui ont parfois même été débattues et votées, mais qui n’ont jamais été menées à leur terme. Nombre des mesures qui nous sont proposées mettent en œuvre des engagements que nous avons pris devant les Français à l’occasion des dernières élections et donnent tout leur sens à des réformes engagées, notamment par la loi pour la confiance dans la vie politique.

Sur le fond et sans vouloir empiéter sur les débats à venir, je voudrais vous faire part de quelques réflexions qui concernent les sujets dont je suis plus particulièrement chargée. Ces sujets pouvaient sembler simples, ils ne le sont pas. Les nombreux amendements qui ont été déposés sur les articles concernés, qui soulèvent parfois de fort belles questions de principe, en témoignent.

Je n’ai guère hésité sur l’article 1er, qui prévoit l’incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l’exercice des fonctions exécutives locales. En 2012, la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par M. Lionel Jospin, considérait déjà que les responsabilités locales sont trop importantes pour être exercées par des hommes et des femmes politiques par ailleurs chargés d’une fonction ministérielle. Nous nous apprêtons aujourd’hui à mettre fin à ce cumul : je pense que nous pouvons parvenir à un consensus sur ce point.

Le climat nous retiendra davantage, et cette préoccupation donne déjà lieu à de nombreux débats : faut-il l’inscrire à l’article 1er et à l’article 34 ? Une chose est certaine, alors que la France a pris la tête des nations entendant agir contre les changements climatiques lors du sommet de Paris en 2015, nous souhaitons que la Constitution soit porteuse de ce choix. Je suis confiante : nous trouverons la voie la plus appropriée.

De même, incontestable me paraît être la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel. Que les anciens Présidents de la République y siègent à vie était une incongruité, que la question prioritaire de constitutionnalité a rendu plus évidente encore : on en parlait déjà il y a vingt-cinq ans, nous allons le faire !

Pour ce qui est du Conseil supérieur de la magistrature, j’ai envie de dire : « Enfin ! ». Sous les deux précédentes législatures, des tentatives ont été faites pour progresser sur la voie de l’indépendance de la justice – un texte a même été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. L’action politique ne doit pas être impuissante à ce point, il nous appartient d’affermir les garanties relatives à l’indépendance des magistrats du parquet. Pour cela, il est proposé que ces magistrats soient nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature.

Pour ce qui est de la Cour de justice de la République, les choix sont difficiles. Il est dans la tradition française, depuis l’Ancien régime, de soumettre la responsabilité pénale des ministres à des juridictions d’exception. Ainsi, depuis la Révolution, un seul ministre, Charles Baïhaut, a été condamné par une juridiction de droit commun – c’était en 1893, à la suite d’une infraction commise dans l’affaire du canal de Panama, et la peine fut prononcée par la cour d’assises de la Seine. Cette particularité peut s’expliquer par le fait qu’il existe un écart entre la responsabilité pénale potentielle des ministres et celle du citoyen ordinaire, même exerçant des responsabilités professionnelles.

Cependant, les juridictions d’exception sont d’un autre temps. La nécessité de rapprocher du droit commun la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, les critiques que suscite la composition de la Cour de justice de la République, la lenteur de sa procédure, ainsi que le sens de certaines décisions, justifie la réforme du régime de responsabilité pénale des ministres proposée par l’article 13 du projet de loi. Selon le professeur Bertrand Mathieu, le texte met fin « au refus de confier à l’autorité judiciaire le jugement des ministres, qui maintenait l’ambiguïté de la nature de la responsabilité des membres du Gouvernement ».

Cela dit, je m’interroge encore sur certains points. Faut-il maintenir deux voies différentes, une pour les ministres, une pour les coauteurs ou complices présumés, alors même que cette séparation a été critiquée par le passé ? Peut-on admettre que, pour des faits similaires, on puisse être condamné d’un côté et relaxé de l’autre, comme cela est déjà arrivé ? Ne faut-il pas prévoir, comme pour les autres justiciables, un double degré de juridiction, avec une possibilité d’appel ? Je ne m’interdis pas de continuer à y réfléchir.

Reste enfin la question du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui peine à trouver sa place dans notre système institutionnel. Malgré les réformes, la représentativité et le mode de désignation de ses membres continuent à faire l’objet de critiques. Le nombre de saisines gouvernementales ou parlementaires demeure faible et la saisine par pétition ne fonctionne manifestement pas : la seule à avoir dépassé le seuil des 500 000 signatures a été déclarée irrecevable. Les rapports et avis que le CESE rend chaque année apparaissent parfois redondants avec les travaux menés au sein des assemblées.

Le projet de loi constitutionnelle propose de transformer le CESE en une « chambre de la société civile », dont la mission serait de créer entre la société civile et les organes politiques un trait d’union fait de dialogues constructifs et de propositions suivies d’effets. Si je souscris à cette orientation, je dois dire qu’à l’issue des auditions que j’ai conduites, il m’est apparu que la vraie plus-value du CESE était de fournir un espace de dialogue indispensable aux corps constitués. Pour donner à cet organe consultatif la place qui doit être la sienne, c’est cette plus-value qu’il faut préserver et renforcer. Le CESE pourrait ainsi devenir le lieu par excellence du dialogue citoyen et de la démocratie participative : c’est ce à quoi aspirent nos concitoyens.

Cela passera d’abord par un changement de nom, c’est pourquoi je vous propose de le rebaptiser « Forum de la République », une appellation qui correspond davantage à la mission qui doit être la sienne, qui sera plus respectueuse du Parlement, car l’appellation de « chambre » en a heurté plus d’un. Par ailleurs, je vous propose, tout en reprenant les missions et les autorités de saisine prévues dans le projet de loi constitutionnelle, de supprimer le caractère obligatoire de la saisine sur les projets de loi à caractère économique, social et environnemental. Il est en effet à craindre que cette extension du champ de la saisine obligatoire n’entraîne un alourdissement considérable de la charge de travail de l’institution. Les projets de loi ayant cet objet ont représenté entre 30 % et 40 % des projets de loi de ces dernières années. L’allongement de la procédure d’adoption des projets qui en résulterait irait à l’encontre de l’objectif d’accélération de leur adoption recherché par le projet de loi constitutionnelle.

Mes chers collègues, je vous ai livré l’état de mes réflexions et je ne vous en dirai pas plus car nous avons devant nous de longues heures de débat, dont j’attends beaucoup. Rejoignant notre rapporteur général, je vous rappellerai que la dignité de la norme suprême exige qu’elle ne soit pas surchargée de dispositions de rang inférieur, comme l’a rappelé le Conseil d’État. Cela mérite assurément – et je ne doute pas que ce sera le cas – des échanges de haut niveau.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, mes chers collègues, je ne vais pas répéter devant vous ce qui a déjà été dit quant à l’organisation de nos travaux ou l’esprit qui a été le nôtre durant cette phase préparatoire. Pour autant, avant de vous présenter les thématiques dont je suis plus particulièrement chargé, je voudrais moi aussi insister sur la solennité de l’occasion qui nous réunit. Pour une fois, il n’y a pas seulement des législateurs dans cette salle Lamartine : aujourd’hui, nous sommes des constituants, ce qui signifie que notre charge, habituellement importante, est à présent exceptionnelle.

On ne révise pas la Constitution de la France aussi souvent qu’on change la loi : c’est une opportunité qui ne se présente qu’une ou deux fois par décennie, au mieux. L’occasion nous est offerte de changer, dans notre texte suprême, des éléments d’imperfection qui empêchent la République de fonctionner aussi bien que nos concitoyens sont en droit de l’espérer. Montrons-nous dignes de ce moment ! Nous sommes trop souvent accusés, à juste titre, de mal légiférer : tâchons donc d’écrire une meilleure Constitution que celle qui régit actuellement la vie politique de notre pays.

Je me suis efforcé, avec M. Richard Ferrand et Mme Yaël Braun-Pivet, de travailler en profondeur le texte proposé par le Gouvernement et le Président de la République, d’écouter tous les points de vue dans des auditions ouvertes à tous, d’essayer de prendre part à la construction d’un consensus. C’est le rôle normal d’un rapporteur.

Mais au-delà, parce que nous parlons de la Constitution, nous nous sommes efforcés de retenir la plume. Comme vous le constaterez, j’ai déposé peu d’amendements : pas parce que les idées manquaient, mais parce que la Constitution, plus encore que la loi, ne saurait être « bavarde », que nous souhaitions en rester aux objectifs initiaux de la réforme et qu’au stade de cette commission, il faut encore laisser le temps au débat. J’ai été exigeant avec moi-même et j’espère que nous saurons l’être collectivement.

J’en viens au projet de loi et aux évolutions qu’envisage le Gouvernement. Nous avons mené nos travaux en recherchant un équilibre : un équilibre des pouvoirs qu’il faut se garder de déstabiliser ; un équilibre des territoires qu’il faut certainement retoucher face à un État encore trop écrasant et une uniformité néfaste ; un équilibre politique, enfin, pour rendre possible la réforme dans notre assemblée et au Sénat.

Permettez-moi de commencer par les derniers articles du projet de loi, qui suscitent moins de débats bien que leur importance soit fondamentale pour le visage de la France de demain : je veux parler des articles 15, 16 et 17, qui transcrivent dans le droit l’engagement du Président de la République pour une meilleure prise en compte des spécificités de tous les territoires.

Il y a les dispositions pour les collectivités de droit commun – ce que l’on a appelé le droit à la différenciation –, qui consistent essentiellement à revenir sur une erreur d’appréciation commise par nos prédécesseurs, les constituants de 2003. S’ils avaient compris que l’uniformité absolue de la règle de droit, sans considération des territoires et de leurs spécificités, s’accommodait mal des réalités de terrain, et avaient accompli un pas important en imaginant des dérogations à la loi nationale suivant le principe de l’expérimentation, ils ont conçu cette démarche comme essentiellement temporaire, vouée à rejoindre d’une façon ou d’une autre le droit commun par l’abandon de la dérogation ou par sa généralisation à tous. Après quatre expérimentations en quinze ans, aujourd’hui la procédure n’intéresse plus personne. L’article 15 du projet de loi permettra de pérenniser les dérogations et de coller à la réalité des choses, car on ne subit pas les contraintes de la montagne, ou du littoral, ou des zones faiblement peuplées, pour quelques années seulement, et nous devons nous y adapter.

Outre-mer, l’article 17 propose d’élargir la capacité des collectivités à fixer des règles par dérogation à la norme nationale. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, le mécanisme adopté en 2003 a fonctionné, notamment dans les Antilles, où de nombreuses adaptations ont eu lieu. Le Gouvernement propose d’approfondir cette démarche en conférant un supplément d’autonomie, toujours sous le contrôle du Parlement, qui sera amené à ratifier les actes pris en ce domaine.

Et puis il y a la Corse, la seule île du territoire européen de la France aux dimensions d’une région. Elle est inscrite nommément dans la Constitution et ses spécificités sont reconnues pour la première fois, ce qui permettra des adaptations plus faciles à ses particularités, en desserrant le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel au nom du principe d’égalité. En tant que législateur, nous pourrons édicter pour la Corse des lois spécifiques, par exemple dans les matières foncière ou fiscale, pour tenir compte des contraintes réelles de l’insularité sur l’économie et sur la société corse tout entière.

Mes chers collègues, pour ce qui est de cette partie relative aux collectivités, j’ai eu l’impression, non pas d’une unanimité, mais d’un solide consensus sur les avancées. Certains veulent aller plus loin et nous en débattrons, mais j’appelle le législateur organique à la plus grande vigilance pour la « mise en musique » de cette partition constitutionnelle.

J’en viens maintenant à la réforme de la procédure parlementaire. Je ne crois pas briser un grand secret en constatant, avec vous, que le Parlement fonctionne mal. Il existe une forme de dérive depuis de nombreuses années : toujours plus d’amendements, toujours plus de lois, toujours plus de jours de travail en séance, toujours plus d’activité… Cela a-t-il permis une meilleure qualité de l’élaboration de la loi ? C’est une question que nous devons nous poser, y compris en parcourant les 1 400 amendements qui nous attendent sur ce projet de loi constitutionnelle.

Cette boulimie législative, et parfois réglementaire, occulte les autres fonctions fondamentales du Parlement et nuit même à l’aspect premier de notre rôle, celui de faire la loi. Quant à planifier nos travaux, cela paraît bien difficile en ce moment, où nous sommes souvent incapables de voir au-delà des deux ou trois jours qui viennent. C’est du mauvais travail et c’est dangereux pour le pays. Historiquement, les parlements qui travaillent sans arrêt ne sont pas des modèles dont il faut s’inspirer. Il faut aussi que les députés puissent s’occuper des territoires et être en contact avec la population. Il faut qu’ils puissent prendre le temps de travailler les textes, d’y apporter leurs propres expertise et expérience, et qu’ils puissent en anticiper l’examen.

Le Gouvernement propose dans son texte des dispositifs souvent volontaristes pour parvenir à une rationalisation du temps parlementaire, mais cette régulation que j’appelle de mes vœux doit être réciproque et équilibrée. Il revient aux assemblées de faire ce travail, mais aussi au Gouvernement : cette œuvre a vocation à être commune.

Plusieurs réflexions sont en cours. En ce qui concerne les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, ceux qui ont vécu l’exercice de l’automne dernier et des précédents savent qu’il faut agir – ce que la commission des Finances a d’ailleurs commencé en revalorisant le rôle de la loi de règlement.

Au sujet du nombre d’amendements, le Gouvernement préconise des irrecevabilités systématiques. Pour ma part, je considère que le droit d’amendement est un droit essentiel des parlementaires. Nous ne sommes pas le Corps Législatif du Premier Empire, qui pouvait voter les textes mais pas les discuter, tandis que le Tribunat les discutait sans les voter. Je suis conscient que c’est un droit qui est massivement utilisé, mais je constate que ce n’est généralement pas à des fins d’obstruction. Je vous proposerai donc de revenir à l’esprit de la Constitution en assortissant le droit d’amendement de nouvelles règles qui permettent de réellement appliquer les principes du droit fondamental : il faut permettre aux parlementaires de continuer à amender, tout en posant des règles permettant de faire une application conforme aux objectifs des constituants de 1958.

Pour ce qui est de la question sensible de l’ordre du jour, s’il n’est pas question de rendre au Gouvernement la maîtrise totale qu’il exerçait jusqu’à 2008, nous pouvons tous convenir que notre système est perclus de défaut, qu’il est trop rigide, et que la semaine de contrôle pourrait être mieux employée. Dans l’esprit de certains, « mieux employée » pourrait signifier « employée par le Gouvernement ». Là encore, je vous proposerai d’apporter des améliorations au cours de nos débats.

Enfin, il y a ce que le texte ne dit pas et que nous devrons construire ensemble. Je retiendrai deux thèmes principaux.

En premier lieu, il y a la prévisibilité de nos travaux, qui nous permettrait de mieux nous organiser et d’éviter les accusations les plus populistes en évitant, par exemple, que trois obligations se concentrent sur les mêmes créneaux horaires. Nous devons changer les choses de ce point de vue : le Gouvernement est libre de nombre de ses choix, mais il ne doit pas en être libre jusqu’au dernier moment.

En second lieu, il y a nos pouvoirs d’investigation, notre capacité de contrôle et d’évaluation, notre aptitude à disposer des données dont nous avons besoin, le fait que nous ayons des ministres face à nous pour nous rendre compte. Le projet de loi ne contient pour le moment aucun élément sur ce point : il va falloir que nous nous en chargions.

Mes chers collègues, je sais que les propositions que vous allez formuler, les attentes que vous allez exposer, embrassent pratiquement tous les articles de la Constitution. Comme je vous l’indiquais au début de mon propos, j’ai souhaité pour ma part rester dans l’épure de ce qui nous était proposé. Nous devons améliorer la Constitution, pas rebâtir un texte à partir de rien en essayant d’y inscrire toutes les dimensions de nos actions politiques.

De même, je n’ai pas mentionné devant vous les lois organique et ordinaire qui viendront cet automne, mais nous avons tous à l’esprit les prolongements qu’elles apporteront à cette grande réforme institutionnelle. C’est bien une réforme globale que nous allons entreprendre aujourd’hui. Montrons-nous à la fois responsables et exigeants : partons du réel pour l’améliorer, non de l’idéal pour déplorer son caractère inaccessible. C’est, je pense, la seule façon de donner à cette révision de la Constitution une chance réelle de prospérer et d’être utile à la démocratie et à ceux que nous entendons servir, à savoir les citoyens français.

Mme Isabelle Rauch, suppléant Mme Marie-Pierre Rixain, rapporteure pour avis de la Délégation aux droits des femmes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la révision constitutionnelle est une occasion rare d’affirmer la place, au sommet de notre hiérarchie des normes, des principes qui fondent notre société. C’est également l’occasion de consacrer solennellement des engagements politiques d’envergure et de faire évoluer notre norme suprême en accord avec la société que nous voulons construire. Je veux bien évidemment parler de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui constitue aujourd’hui l’une des pierres angulaires de notre République. En cohérence avec le choix du Président de la République de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat, la Délégation aux droits des femmes considère que cette révision constitutionnelle doit permettre de mieux affirmer ce principe. Cette évolution correspondrait d’ailleurs à une aspiration forte et largement exprimée depuis plusieurs années par nos citoyens.

Il convient toutefois de procéder à de telles évolutions avec la plus grande prudence et la plus grande rigueur. La Constitution est la norme suprême de notre ordre juridique interne et l’intégration de nouveaux dispositifs, voire de nouveaux droits, doit être appréhendée avec la plus grande vigilance. C’est dans cette double logique que la délégation a choisi de se concentrer sur trois axes principaux, se traduisant par six amendements que je défendrai durant la discussion en commission.

Le principe d’égalité entre les femmes et les hommes n’a pas encore fait l’objet d’une consécration constitutionnelle aboutie : sur cette question, j’ai l’impression que nous restons au milieu du gué. Le temps me paraît venu, mes chers collègues, de relever notre niveau d’exigence en affirmant à l’article 1er de notre Constitution l’égalité devant la loi sans distinction de sexe. Au sein du même article, je pense que nous devons également aller plus loin en termes de parité en passant de la phrase « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » à une formulation plus franche et plus forte en affirmant que « La France assure l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Dès lors que nous renforçons le principe à l’article 1er, il faut en tirer les conséquences dans le reste de la Constitution, notamment aux articles 4 et 8 sur la responsabilité des partis politiques et sur la composition du Gouvernement

Le deuxième axe sur lequel la délégation a choisi de concentrer son attention porte sur la place des femmes en général dans notre Constitution. Nous souffrons encore d’un phénomène d’invisibilisation des femmes, et c’est un travail de longue haleine pour lever tous les obstacles sociaux et symboliques. Cependant, nous pouvons déjà avancer sur cette voie et, pour ce faire, je crois qu’il est temps de privilégier l’expression des « droits humains » dans le préambule de notre Constitution. Cette formulation, qui me semble la plus adaptée, permettra de bien montrer que désormais nous n’oublions plus la moitié de l’humanité lorsque nous parlons des droits humains.

J’en viens au troisième axe que je souhaitais évoquer, la prise en compte des droits des femmes et des enjeux d’égalité dans l’ensemble du processus normatif. Cette question ne se limite pas au projet de loi, mais porte aussi et surtout sur des lois organiques et sur notre règlement. Nous pourrons cependant aborder ces enjeux dans nos débats, notamment pour préciser à l’article 34 que la loi fixe les grands principes de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Pour conclure, je voudrais ajouter deux points : d’une part, je suis persuadée que si nous voulons parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes, nous devons aujourd’hui faire changer les mentalités ; d’autre part, l’égalité est par essence une problématique transversale qui doit irriguer toutes nos réflexions et toutes nos législations. Pour ces deux raisons, l’affirmation claire de ce principe de notre Constitution me semble tout à fait pertinente et s’inscrit dans le sens de l’histoire.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous remercie de me recevoir au sein de la commission des Lois pour partager les conclusions du rapport pour avis sur l’article 2 du projet de loi constitutionnelle pour la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire.

Je vais vous raconter la belle histoire d’une construction en cours. Le Gouvernement a souhaité faire de l’action contre les changements climatiques une priorité. L’article 2 du projet de loi traduit sa volonté d’inscrire au plus haut niveau normatif l’enjeu majeur que constituent les changements climatiques. Dans la continuité de l’Accord de Paris adopté à la suite de la COP21 le 12 décembre 2015, face à l’urgence climatique, l’exécutif hisse cet objectif au rang constitutionnel. L’article 2 du projet de loi confie au législateur la responsabilité de définir les principes fondamentaux de l’action contre les changements climatiques, au moyen d’une inscription à l’article 34 de la Constitution – cet article innovant de la Ve République qui définit le domaine de la loi.

Au cours des dix-sept auditions menées, les spécialistes ont souligné que l’article 34 de la Constitution n’était pas l’endroit le plus adapté pour inscrire l’action contre les changements climatiques. Cet article n’a, de fait, aucun caractère contraignant le Parlement à légiférer. De plus, la préservation de l’environnement fait partie du domaine de la loi depuis la révision constitutionnelle de 2005. Enfin, la rédaction actuelle de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle n’engloberait pas la diversité des problèmes environnementaux. Le fait de morceler les problématiques liées à l’environnement pourrait avoir pour conséquence de donner la priorité au climat au détriment de la diversité biologique, et de créer une hiérarchie contreproductive pour notre planète entre les différents éléments constitutifs de l’environnement. Pour notre part, nous avons acquis la conviction que l’environnement ne peut être compris que dans sa globalité. À cet égard, une inscription de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la loi fondamentale, qui affirme certains grands principes de notre République, aurait une portée symbolique et juridique bien plus importante : c’est la conclusion à laquelle nous sommes parvenus grâce aux éclairages apportés par les différents experts.

Le premier pas a donc consisté à proposer cette inscription à l’article 1er de la Constitution. La commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, s’astreignant à la concision que demande un texte comme l’article 1er de la Constitution française, a retenu dans son avis la formulation « elle assure la préservation de l’environnement », cette position étant jugée la plus efficace pour contrer le risque de fractionnement de l’environnement grâce à un terme englobant. Depuis, les échanges avec le Gouvernement, avec Mme la rapporteure pour l’article 2, ainsi qu’avec le rapporteur général, ont encore permis de faire évoluer et d’optimiser la formule. Aussi, si le Gouvernement nous assure que choisir le terme « agir » à la place du terme « assurer » n’a pas de conséquences juridiques, et si nous avons la confirmation que le fait de mentionner la diversité biologique et le climat n’aura pas pour conséquence de fractionner l’environnement au détriment de certains de ces pans tels que la qualité de l’air, la qualité de l’eau, ou la gestion des déchets, et ne crée pas de hiérarchie entre ces éléments, nous ne pouvons que nous réjouir de la formule retenue à ce stade.

M. Stéphane Mazars, président. M. Olivier Véran, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales, et M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances, étant tous deux absents, je vais maintenant donner la parole aux orateurs des groupes, en commençant par M. Philippe Gosselin, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, mes chers collègues, je vais commencer par déplorer l’absence de nos collègues rapporteurs pour avis…

M. Stéphane Mazars, président. Ils nous rejoindront pour l’examen des articles.

M. Philippe Gosselin. Sans doute, mais j’estime qu’en tant que rapporteurs pour avis, ils ont une importance particulière dans le débat, et je trouve dommage qu’ils ne prennent pas part à la discussion générale, où chaque groupe expose sa vision des institutions.

Nous sommes aujourd’hui à la veille du soixantième anniversaire de l’adoption de la Ve République. Au printemps et à l’été 1958, dans les communes, au sein du Conseil d’État et des assemblées parlementaires, chacun s’agitait et réfléchissait, tentant de trouver le moyen de redonner du poids à des institutions singulièrement malmenées par une instabilité ministérielle bien connue sous la IVe République : Edgar Faure employait à ce sujet l’expression de « gouvernements à secousses », tant il est vrai que vingt-quatre gouvernements en douze ans, cela faisait beaucoup – à tel point que la stabilité du pouvoir s’en trouvait menacée. C’est dans ce contexte que le général de Gaulle fut rappelé aux affaires en 1958 et qu’une loi constitutionnelle fut votée le 3 juin de la même année, fixant un certain nombre de grands principes fondateurs de la Ve République.

En tant qu’héritiers légitimes, sinon exclusifs, du gaullisme, les députés du groupe Les Républicains sont évidemment très attachés à cette Ve République, et il leur paraît important de maintenir l’esprit des institutions et leur stabilité – en rappelant, comme le disait le général de Gaulle dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, qu’« une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». Oui, nous voulons préserver l’esprit de la Ve République et la stabilité du pouvoir, avec un Parlement certes rationalisé, mais pas à la botte du pouvoir, un Parlement renforcé par la révision constitutionnelle de 2008 – parce qu’il y avait, en effet, matière à progresser –, ce qui nous conduit à nous poser bien des questions sur ce que souhaitent faire le Gouvernement et la majorité.

En 1958, il était question de « donner un pouvoir à la République », c’est ce que disait Michel Debré dans son discours bien connu devant le Conseil d’État le 27 août 1958. S’agit-il aujourd’hui de défaire ce qui a été fait, de partir tous azimuts dans une logorrhée constitutionnelle ? Si certains articles qui nous sont soumis ne nous posent aucun problème – ainsi, il n’y a pas de difficulté sur le non-cumul des fonctions gouvernementales et exécutives, ni sur le fait que les anciens Présidents de la République ne siègent plus au Conseil constitutionnel – en revanche, nous sommes très sceptiques lorsque le texte prétend vouloir renforcer les droits du Parlement.

Nous aurons l’occasion de revenir sur le paquet formé par les lois organiques et les lois ordinaires, que le Président de la République entend remettre sur la table à l’automne, mais je veux d’ores et déjà souligner qu’avec la diminution de 30 % du nombre de parlementaires, des circonscriptions qui vont doubler de taille, une représentation proportionnelle se situant à au moins 15 % et qui va instaurer un double statut au sein des parlementaires, entre ceux qui relèveront de la représentation proportionnelle et ceux qui, « de droit commun », relèveront du scrutin uninominal, avec ces différentes procédures qui encadrent le droit constitutionnel d’amendement qui, en vertu d’une tradition de très longue date, est conféré à chaque parlementaire à titre individuel, il y a de quoi se poser bien des questions.

Pour ce qui est de la volonté de donner plus de pouvoir aux collectivités locales, si le principe constitutionnel d’autonomie doit effectivement être renforcé jusqu’à l’autonomie financière, assortie d’un certain nombre de procédures et d’adaptations, on comprend mal que, dans le même temps, le Gouvernement s’acharne à diminuer les moyens de ces collectivités et à réorganiser les territoires dans des buts souvent inavoués. Cela nous conduit à nous interroger sur ce qu’il en est de l’unité de notre République : certes, cette unité dans la diversité peut être acceptée en vertu du principe d’adaptation, mais ce principe ne saurait aller trop loin et doit être particulièrement encadré, car l’unité de la République constitue, elle, un principe fondateur de la Ve République. Si nous sommes favorables à la reconnaissance indispensable des singularités des outre-mer ou des particularités continentales de tel ou tel territoire, nous nous interrogeons très clairement sur la reconnaissance de certaines insularités – je sais qu’il y a plus de 200 amendements sur le sujet.

L’heure est grave, puisque nous nous apprêtons à toucher à notre grande charte, notre code de bonne conduite, le code que les Françaises et les Français ont accepté en 1958 par une grande manifestation d’adhésion revêtant la forme d’un référendum. La réforme qui nous est soumise, qui constitue la vingt-cinquième révision constitutionnelle depuis 1958, contient à la fois des modifications importantes et d’autres plus anecdotiques, mais il nous paraît essentiel de savoir où la majorité veut nous emmener. Avec les 1 378 amendements qui ont été déposés, on a l’impression d’assister à une sorte de concours Lépine – le nombre d’amendements a été multiplié par deux par rapport à 2008. Mme la présidente de la commission des Lois nous a laissé entendre qu’un certain nombre d’arbitrages n’étaient pas rendus, notamment au sujet du Conseil économique, social et environnemental, qui devait initialement se transformer en une grande chambre de la citoyenneté et qui, finalement, deviendrait plutôt un forum. La rédaction actuelle du texte suscite de nombreuses interrogations au sujet de ce qui ressemble fort à l’instauration d’une troisième chambre, ce qui viendrait heurter la légitimité démocratique de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ce n’est pas l’existence même du CESE que nous critiquons, car il nous paraît très important que les corps intermédiaires soient associés, afin que les forces vives de la Nation puissent s’exprimer : ce qui nous gêne, c’est cette forme ultime qu’il est proposé de lui donner, qui viendrait nous heurter dans nos légitimités et sans doute, parfois, court-circuiter un certain nombre de débats.

Dans l’attente des débats qui s’ouvriront avec l’examen des articles, nous avons déposé prudemment des amendements de suppression. Peut-être défendrons-nous en séance d’autres amendements plus constructifs, plus complets, une fois que nous aurons précisé l’épure.

Nous voulions éviter de partir tous azimuts, car, comme le faisait remarquer en 1992 le Conseil d’État à propos de certains textes législatifs ou réglementaires, nous n’étions pas loin de la logorrhée. Nous voulons ne réformer que ce qui est nécessaire et conserver l’essentiel, cet esprit de la Ve qui nous anime et permet à la France de connaître la stabilité, contrairement à l’Italie, et peut-être à l’Allemagne, aujourd’hui bien en difficulté.

M. Bastien Lachaud. Nous abordons une longue séquence de réformes institutionnelles qui se traduira par trois projets de loi, constitutionnelle, organique et ordinaire. Permettez-moi de dire qu’il n’est pas sérieux d’aborder des sujets d’une si haute importance en catimini, au début de l’été, au moment où nos concitoyennes et concitoyens songent aux congés, et pour celles et ceux qui le peuvent, aux vacances.

Une révision constitutionnelle touche à la souveraineté, puisque le texte fondamental définit la façon dont elle s’exerce, ainsi que les principes fondamentaux au nom desquels elle s’exerce. Nous n’avons pas la légitimité démocratique pour opérer ainsi une révision constitutionnelle : seul le souverain, c’est-à-dire le peuple, est légitime pour le faire. Vous ne m’apprendrez pas l’existence de l’article 89 de la Constitution, qui prévoit les modalités de révision constitutionnelle ; je parle de la légitimité politique réelle, celle du peuple à décider lui-même de la forme de ses institutions.

Depuis ses débuts, la Ve République est entachée d’illégitimité démocratique. La Constitution de 1958 a été rédigée à la hâte, pour légitimer ce qui s’apparente quand même à un putsch militaire, (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) et le peuple n’a pas eu son mot à dire. Il continue d’être ignoré, souverain théorique et factice, bien commode pour les grandes déclarations solennelles, méprisé et écrasé chaque fois qu’il cherche à s’exprimer.

Je rappelle la forfaiture et la trahison de la souveraineté populaire qu’a été la ratification du traité de Lisbonne. La souveraineté populaire a été foulée au pied, alors que les résultats du référendum de 2005 étaient nettement en faveur du « non ». La Ve République organise le coup d’État permanent, et ce projet de révision cherche à en renforcer les pires travers. Non, le Parlement ne peut pas légitimement réviser la Constitution après cette trahison.

Comment voulez-vous que les citoyennes et citoyens aient confiance dans leurs institutions, alors qu’on leur a jeté à la face que leur vote ne valait rien ? Comment osez-vous déplorer l’abstention lors des élections, alors qu’il est manifeste que les mêmes politiques sont appliquées, peu importe ce qu’ils votent ?

La futile promesse du candidat Macron d’un nouveau monde en est la preuve évidente : son gouvernement applique toutes les vieilles recettes, alors que les électrices et électeurs avaient, trop naïvement peut-être, choisi un candidat qui se prétendait dégagiste de l’ancien monde. Nous avons bien l’ancien monde, avec de nouveaux habits : aucun changement réel, la même chose que Sarkozy et Hollande, mais en pire.

Notre régime politique a trahi la confiance populaire. Le lundi 4 février 2008 a sonné le glas de l’illusion démocratique de notre Constitution. Il ne s’est trouvé que 20 % des parlementaires pour respecter le vote populaire ! Le peuple est l’objet de nos savants débats, au lieu d’en être le sujet. On parle du peuple ; le peuple, lui, n’a rien le droit de dire. Il n’a pas d’initiative, hormis le très encadré article 11, alinéa 3 qui n’a d’ailleurs jamais été mis en pratique. Ce projet de révision ne lui donne pas davantage de droits.

La Constitution de la Ve République institue davantage une monarchie présidentielle qu’une démocratie. Nous sommes quasiment de retour à l’Ancien régime, où les sujets du bon roi pouvaient bien obéir et payer leurs impôts. Les nouveaux ordres privilégiés, la noblesse, non plus de robe ou d’épée, mais de dividendes ou de riches capitaux, ne paient quasiment plus d’impôts. Le clergé médiatique sermonne à l’envi et déblatère sa vérité révélée, sans contestation possible. La presse a oint le candidat Macron de ses faveurs, elle a investi le monarque et légitimé son pouvoir quasi absolu. La seule différence réside dans le fait que nous avons, ô noble fonction, le droit de choisir quel monarque présidentiel nous gouvernera, une fois tous les cinq ans. Une fois la présidentielle achevée, le peuple n’a plus aucun mot à dire. Personne d’autre d’ailleurs : nous voyons comment les débats parlementaires sont menés, le plus vite possible ; les discours de l’opposition ne sont supportés que parce que le Règlement l’impose, mais il n’en est pas tenu compte.

Oui, la Constitution de 1958 nous a fait revenir à l’Ancien régime. Nul contre-pouvoir ne peut réellement s’opposer aux volontés du monarque, désormais jupitérien. L’inversion du calendrier électoral produit des assemblées nationales aux ordres, qui font plus ou moins bien semblant de remplir leur rôle de contre-pouvoir au gouvernement.

Mais le pire reste à venir. Car si notre assemblée entérine le projet de révision constitutionnelle du Gouvernement, ce sera un dramatique sabordage démocratique. Ne nous leurrons pas nous-mêmes : la baisse du nombre de parlementaires ne rendra aucunement l’Assemblée plus efficace. Il y aura moins de députés pour faire le même travail, ce qui veut dire moins de missions d’informations, de commissions d’enquête, d’amendements, de propositions de loi, de présence en circonscription, de contrôle, de visites d’information. Nous devons déjà tous nous dédoubler pour pouvoir accomplir intégralement les tâches que nous voudrions accomplir. Après la réforme, ce sera pire : l’exécutif aura les mains plus libres encore, le déséquilibre entre les pouvoirs sera plus grand, les possibilités d’exercer un pouvoir autoritaire sans contrôle seront plus nombreuses. Au lieu d’être le lieu des débats politiques qui traversent notre pays, le Parlement sera le relai de discussions technocratiques et techniques, incompréhensibles du grand public, obscures et cachées, et dont dépendront pourtant les choix essentiels.

La seule façon de rompre avec ces pratiques est de changer entièrement nos institutions par une assemblée constituante. Seul le peuple, et exclusivement lui, a la légitimité suffisante pour toucher à la Constitution. Ratifier un projet par référendum resterait insuffisant. Car c’est le peuple qui fait vivre ses institutions démocratiquement, quand il s’en empare, et les laisse mourir, quand il s’en retire. Le président Macron n’a même pas été élu par la majorité des inscrits sur les listes électorales, même après le vaste chantage organisé pour ne laisser le choix qu’entre n’importe quoi et l’extrême droite.

Notre démocratie se meurt par la colère froide de l’abstention. La société est à bout. Les gens souffrent. Vos réformes leur pourrissent encore davantage la vie. Et ils doivent en plus subir l’insulte de voir les plus riches encore favorisés, alors qu’eux ne font que trimer. Vous voyez que partout, dans tous les secteurs de la société, les luttes sociales se multiplient. La colère gronde. Parfois l’une d’entre elles parvient à percer le mur d’indifférence médiatique à la souffrance sociale. Instrumentalisée en exemple, la résolution d’un problème sert de prétexte à ne résoudre aucun autre problème similaire. Dans les hôpitaux, les prisons, les universités, les transports ferroviaires, les tribunaux, les usines, les ateliers, tous les secteurs publics et privés, les gens se demandent comment ils vont encore tenir ce mois-ci. Et celui d’après.

Le jeu auquel vous jouez est très dangereux. On ne contient pas longtemps la colère populaire impunément. On n’accule pas au désespoir autant de braves gens sans conséquence. Cette histoire va mal finir. Car plus vous appuyez sur le couvercle de la marmite, plus la pression monte, et plus forte sera la déflagration quand il se soulèvera enfin.

Croyez-vous sérieusement que vous sauverez notre démocratie si mal en point en empêchant davantage le peuple d’exercer sa souveraineté ? Il faut trouver une issue positive, pacifique, démocratique, joyeuse, à l’immense problème qui est face à nous. Le peuple français est hautement politique. Nos concitoyennes et concitoyens sont parfaitement capables de saisir les enjeux et de prendre des décisions judicieuses. C’est au peuple de se charger de l’écriture de son texte fondamental. En réécrivant une nouvelle constitution pour une VIe République, par une assemblée constituante dédiée, le peuple aurait l’occasion de se refonder lui-même comme sujet politique, comme auteur du régime qui se gouverne. Revenons aux fondamentaux du Contrat social de Rousseau. Le contrat social qui fait sortir du régime tyrannique fait que celui qui édicte la loi est le même que celui qui obéit. Le gouvernant est le gouverné. Le souverain est le peuple. Même si la monarchique constitution de 1958 le rappelle dans son article 2 : « Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Gouvernement du peuple, on voit bien, « par le peuple et pour le peuple », c’est moins flagrant.

Il faut rétablir la souveraineté populaire dans un grand moment démocratique où l’ensemble du peuple est sollicité par les débats essentiels. Où les enjeux sont exposés publiquement et débattus. Où les foyers débattent et discutent. Où la politique est vivante et irrigue les places publiques. Où l’assemblée n’est pas le lieu confiné et caché des débats, mais le réceptacle et le lieu d’expression de ce que le peuple délibère.

Au lieu de quoi, dans la chaleur écrasante du milieu de juillet, des députés, seuls dans leur hémicycle, vont modifier la règle fondamentale. Aucun débat populaire n’aura lieu. Le calendrier a à peine permis aux députés et à leurs équipes de préparer leurs amendements. Ainsi, nous avons travaillé en moins de trois semaines sur une charte du numérique, que nous proposerons sous forme d’amendement – il avait fallu plus de six mois pour rédiger la Charte de l’environnement. Aucun temps pour consulter les secteurs de la société en pointe sur ces questions, les associations, les professionnels ! Nous légiférons dans l’urgence, celle du calendrier imposé par l’exécutif, alors qu’il n’y a aucune urgence réelle. Il faut en moyenne deux ans pour une Constituante. Donnons-nous le temps. Et que le peuple se saisisse de ce texte !

Aussi, le groupe de La France insoumise s’oppose fermement et résolument à ce projet de révision constitutionnelle. Nous avons déposé des amendements dans l’idée de parer au pire, et de proposer des axes qu’il faudrait mettre en débat. Mais la méthode est mauvaise. Nous défendrons un amendement pour une assemblée constituante, pour une Constitution du peuple, pour une VIe République.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’ai entendu nos rapporteurs, mais aussi M. Gosselin, évoquer l’équilibre des pouvoirs sous la Ve République. Vous me permettrez donc de commencer par exprimer les réserves d’une grande partie de notre groupe sur cet équilibre.

Après avoir copieusement dénigré ce qui s’était passé sous les IIIe et IVe Républiques – en oubliant que la IVe a reconstruit la France après la guerre mais a chu parce qu’elle n’avait pas su gérer la décolonisation –, la Ve République a été instaurée en créant, en 1958, puis en 1962, le Président de la République. Le chef de l’État français est celui qui, dans le monde occidental, concentre le plus grand nombre de pouvoirs et a, en face de lui, le moins de contre-pouvoirs. Le paradoxe, c’est qu’au cours des quarante dernières années, cette forme de monarchie républicaine, rééligible tous les sept ans, puis tous les cinq ans, a réussi à aboutir au résultat que la France est le pays occidental qui a fait le moins de réformes.

Cela devrait nous faire réfléchir à ce que l’on appelle l’équilibre des pouvoirs au sein des démocraties occidentales. À l’époque, on voulait instaurer un parlementarisme rationalisé, raisonné. Nous n’avons obtenu qu’un Parlement arraisonné, ficelé et même souvent corseté, encore plus depuis le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Hélas, l’Assemblée nationale s’est retrouvée considérablement diminuée, de législature en législature, avec l’assentiment des majorités successives. Il y a malheureusement une grande continuité sur ce point. Le renoncement à un équilibre des pouvoirs par le Parlement lui-même est sans doute ce qui doit le plus étonner les observateurs étrangers. Lorsque nous avons l’occasion de rencontrer des parlementaires d’autres pays, nous nous apercevons qu’alors même que nous avons décidé d’avoir un Parlement composé de parlementaires à 100 % de leur temps, nous sommes un Parlement qui n’a pas 10 % des pouvoirs des autres parlements.

J’aimerais que cela puisse inspirer nos débats, parce que je ne crois pas que la démocratie se trouverait amoindrie si ces parlementaires à 100 % se voyaient confier un peu plus de pouvoirs et de responsabilités. Il est vrai que le travail ici est insatisfaisant. C’est une des raisons pour lesquelles nous souhaiterions qu’une réforme puisse aboutir et nous essaierons d’y contribuer. Mais disons les choses clairement : si cela fonctionne si mal ici, c’est parce qu’il est difficile de demander à une assemblée d’être responsable quand on ne lui confie pas de responsabilités. C’est, me semble-t-il, un des travers de la Ve République que nous pourrions corriger.

Mais tel n’est pas l’objet du texte qui a été présenté par le Gouvernement. Il se limite à d’autres ambitions, qui sont respectables et qu’il faut étudier, me semble-t-il, plus avant. L’exécutif a choisi de présenter les trois textes à la fois. Je veux saluer sa volonté de transparence quant à la globalité du raisonnement et des modifications qu’il entend proposer.

Les votes que nous exprimerons seront fonction non pas du seul texte constitutionnel, mais des trois textes. Cela nous conduira, je le dis d’ores et déjà, à poser souvent des questions, à la majorité, et au Gouvernement lorsqu’il sera présent, sur les évolutions des autres textes. Connaître la globalité de la réforme est la seule façon de juger de sa pertinence.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui contient essentiellement la fin, la conclusion de la réforme constitutionnelle de 2008, laquelle n’avait pas trouvé une majorité sur un certain nombre de sujets pourtant consensuels. Je pense à la suppression de la Cour de justice de la République, qui était déjà prête mais n’a pas obtenu la majorité des trois cinquièmes – nous nous souvenons tous que la réforme de 2008 est passée à une voix près. Je pense aussi à la fin de l’appartenance de droit des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel, une bonne chose tant cette institution finissait par être emplie de personnalités, certes éminentes, mais dont on ne pouvait dire qu’elles n’étaient pas politiques. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, prévoyant l’avis conforme du CSM pour les nominations au Parquet, peut nous convenir, avec une interrogation toutefois sur le moment où la magistrature échange avec la société – nous y reviendrons.

Nous soutenons le droit à la différenciation, à même de faire évoluer notre République dans un sens plus proche des réalités locales. La réforme du CESE, que l’on veut transformer en chambre de la société civile, nous inquiète. Nous contestons absolument ce titre : la chambre de la société civile se trouve ici, dans cette pièce, dans l’hémicycle, à l’Assemblée nationale. Que sommes-nous d’autre que la société civile ? (Applaudissement sur les bancs des groupes UDI, Agir et Indépendants, Mouvement Démocrate et apparentés, Les Républicains et Nouvelle Gauche). D’ailleurs, tous ceux qui viennent d’être élus savent que nous sommes les représentants de la société civile. Il faudra donc veiller à la place et au titre qui seront donné au CESE.

D’autres éléments concernent la fabrique de la loi. Disons les choses concrètement : nous pouvons ici être plus efficaces, et parfois plus rapides. Encore faut-il que ce ne soit pas au détriment des débats de fond et d’un Parlement, dont j’ai dit combien il était faible par rapport à ses homologues dans les démocraties occidentales. Nous veillerons à ce qu’il ne sorte pas davantage affaibli de cette réforme. Nous ferons donc un certain nombre de propositions qui permettent à la fois de libérer les initiatives parlementaires et de résoudre un certain nombre d’anomalies démocratiques.

Il convient par exemple d’améliorer la rédaction de l’article 40 de la Constitution, qui nous empêche quasiment de débattre de la plupart des domaines budgétaires. On doit attendre du Parlement, non pas qu’il ne débatte pas du budget, mais qu’il équilibre le budget, et ne pas lui faire le procès de vouloir influer sur telle ou telle chose. L’article 40 fait que la plupart du temps, sans trop que l’on sache pourquoi, selon une jurisprudence constante et bien établie, des amendements qui auraient pu être discutés sans nuire aux finances publiques ne viennent pas en débat dans notre assemblée.

Nous souhaitons un Parlement qui soit renforcé, plus efficace grâce à la fin du cumul des mandats. Nous souhaitons que le Sénat puisse être respecté. Nous avons plus que des interrogations, des réticences, sur la réforme de la navette parlementaire et le raccourcissement du mandat du Sénat. Nous souhaitons qu’on libère le droit d’initiative : la semaine de contrôle, M. Marc Fesneau y a fait allusion, n’est pas efficiente ; on contrôle mal et insuffisamment. Ce temps pourrait être redistribué, dévolu à l’ordre du jour gouvernemental en partie peut-être, mais aussi au droit d’initiative des groupes parlementaires. Si l’on veut restreindre le droit d’amendement, pour le « rationaliser » – je dirai mon sentiment sur le sujet lorsque nous en débattrons –, il faut en contrepartie augmenter le nombre des espaces réservés, afin que les parlementaires puissent proposer des lois ou débattre – c’est ce à quoi ils doivent servir, me semble-t-il.

Pour mieux contrôler, il faut aussi pouvoir travailler dans le cadre de sous-commissions, comme dans tous les parlements du monde. Cela ne se fait pas ici, alors que c’est la garantie d’un travail à la fois plus pointu, plus efficace, plus poussé. De la même façon, les commissions d’enquête sont limitées dans notre Parlement à une par an et par groupe : comment peut-on dire que le Parlement doit mieux contrôler et en même temps limiter sa capacité à mener des enquêtes ?

Enfin, la réforme globale vise à modifier la façon dont on élit la représentation nationale et la représentation politique. L’interdiction du cumul de trois mandats dans le temps ne porte pas grief, encore que cela ne soit pas indispensable pour les maires – j’en veux pour preuve que vous avez dû instaurer un seuil. Il nous semble que la baisse du nombre de parlementaires est excessive – elle pourrait être limitée à 150 parlementaires. Par ailleurs, l’introduction d’une dose de proportionnelle est toute symbolique et ne sera pas efficiente. Il nous semble que nous devons trouver un équilibre sur ce point.

Pour notre part, nous cherchons une modernisation, pas un affaiblissement. Nous souhaitons une réforme pour que le Parlement puisse être plus efficace, plus rapide mais prenne aussi plus de place dans l’équilibre des pouvoirs, avec des prérogatives élargies. Nous verrons l’accueil que le Gouvernement réservera à nos objections, mais aussi à nos propositions.

Une réforme constitutionnelle est un moment très particulier de la vie parlementaire – la réforme de 2008 a été adoptée à une voix. C’est la seule fois, mes chers collègues, que chacune et chacun d’entre nous, dans les trois réponses à sa disposition – pour, contre ou abstention – a un pouvoir, même s’il s’abstient. Les réformes constitutionnelles réussies sont celles où la majorité et l’opposition savent s’écouter, s’entendre et avancer ensemble.

Mme Isabelle Florennes. L’annonce d’un projet de loi constitutionnelle a suscité parmi les parlementaires des attentes et des espoirs. Le texte qui nous a été présenté, il faut bien le reconnaître, a un peu surpris.              Il a d’abord provoqué une frustration, celle de ne pas pouvoir examiner les trois textes de nature différente en même temps. Ensuite, son contenu nous a étonnés, puisqu’il semble en deçà des attentes dont nous nous nourrissions.

Plusieurs d’entre nous ont souligné, dans cette discussion générale ou lors des débats en commissions saisies pour avis, que ce projet de révision constitutionnelle contient une diminution des droits du Parlement face à l’exécutif. Si le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés peut partager une partie de ce constat, nous pensons que l’analyse de départ est pourtant la bonne : le fonctionnement du Parlement n’est pas satisfaisant, la fabrique de la loi n’est pas optimale. Par ailleurs, nous n’en sommes qu’au début du processus parlementaire, et nous sommes persuadés que nous serons capables, collectivement, de faire évoluer ce projet de loi afin qu’il convienne au plus grand nombre.

Vous le savez, il sera nécessaire de réunir une majorité des trois cinquièmes. Dans cette optique, je souhaite que nos travaux nous permettent d’établir un consensus le plus large possible, pour que cette révision constitutionnelle aboutisse. Sur la partie concernant les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, il est de notre responsabilité de rétablir un équilibre et de corriger les dysfonctionnements que nous constatons.

C’est donc de manière positive et optimiste que le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés aborde ce projet de loi constitutionnelle. Nous ferons un certain nombre de propositions qui nous semblent cohérentes et de nature à corriger les déséquilibres initiaux de ce texte. Nous pensons que la Constitution doit être modifiée avec parcimonie ; c’est un texte qui ne saurait être bavard et qui doit aller à l’essentiel.

Par ailleurs, nous sommes attachés à l’équilibre des pouvoirs tels que dessinés par le texte de 1958 et ses révisions successives. Il s’agit donc pour nous de conserver ces équilibres globaux, en procédant à des ajustements et à des correctifs afin d’améliorer le fonctionnement de notre démocratie. Ces éléments étant posés, j’en viens au contenu du texte.

Certaines dispositions font globalement consensus : nous sommes bien sûr favorables aux dispositions relatives aux modalités de nomination et de sanction des magistrats du Parquet, en ce qu’elles renforcent l’indépendance de la justice et confortent le rôle du Conseil supérieur de la magistrature. Nous soutenons les propositions relatives aux incompatibilités des membres du Gouvernement, une mesure qui s’inscrit dans le processus de refondation de notre vie publique pour redonner aux citoyens confiance en la politique. De même, nous partageons le souci de revenir sur la participation de droit des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel. Enfin, je citerai la suppression de la Cour de justice de la République parmi les propositions qui devraient emporter un large consensus. Notre collègue Laurence Vichnievsky défendra au nom du groupe un amendement visant à préciser les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des ministres.

Au-delà de ces points les plus consensuels, le texte comporte d’autres propositions de réformes qui devraient nourrir un plus large débat. Avant d’aborder la question du travail parlementaire, je reviendrai sur deux points importants du projet de loi : la réforme du Conseil économique, social et environnemental et l’introduction du principe de différenciation.

Ce dernier est un thème cher à notre groupe politique : sans contrevenir à l’unicité et à l’indivisibilité de la République, ce droit nouveau doit permettre la mise en place par les collectivités territoriales de politiques différenciées selon les besoins de chaque territoire. Ce droit à la différenciation soulève un grand nombre de questions, qui seront traitées dans le cadre d’une loi organique, à laquelle nous serons particulièrement attentifs.

Nous pensons qu’il est nécessaire de réformer le Conseil économique, social et environnemental. Toutefois, les dispositions figurant dans le projet de loi constitutionnelle suscitent chez nous de fortes réserves. Nous pensons pouvoir trouver un équilibre qui conviendra au plus grand nombre, et je laisserai le soin à notre collègue Erwan Balanant, qui a travaillé sur ce sujet avec la rapporteure, de présenter au moment opportun le fruit de leurs travaux.

J’en viens au travail parlementaire. Vous le savez, la modernisation de nos institutions est une ambition qui guide notre sensibilité politique depuis plusieurs années. Aussi, le bilan de cette première année de mandat a conforté certaines des idées déjà à l’œuvre dans nos travaux : le fonctionnement du Parlement n’est pas optimal, ce qui l’empêche de remplir convenablement ses missions premières. Cet état de fait découle notamment du manque de visibilité concernant notre calendrier. Travailler selon un ordre du jour qui nous échappe, avec une visibilité à quelques semaines – voire à quelques jours ! – n’est pas satisfaisant. Or le projet de loi occulte cette problématique et impute les dysfonctionnements à un mauvais usage des outils qui font notre fonction de législateur.

Cela s’incarne notamment dans les dispositions prévues par l’article 3, qui viennent circonscrire le droit d’amendement de manière drastique, en s’appuyant sur une irrecevabilité systématique. En l’état, nous ne pouvons nous en satisfaire et nous y reviendrons lors des débats.

De la même manière, les dispositions de l’article 8 permettent au Gouvernement de reprendre la main sur la quasi-intégralité du calendrier parlementaire. Nous ne saurions consentir à un tel retour en arrière par rapport aux acquis de la révision constitutionnelle de 2008, sans un rééquilibrage général du calendrier. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés souhaite privilégier une approche globale du problème en réfléchissant à un schéma qui intègre les remarques qui ont été faites de part et d’autre.

Nous détaillerons nos propositions lors de l’examen des amendements. L’essentiel pour nous est de parvenir à combiner lisibilité et prévisibilité. Le Gouvernement, comme les parlementaires, doivent avoir le temps nécessaire pour mener à bien leurs missions.

Je finirai par les questions soulevées par les travaux menés par M. Jean-Noël Barrot sur les missions de contrôle et d’évaluation du Parlement. Il est important que cette révision marque des avancées sur ce sujet, attendu de nos concitoyens. Notre objectif est de faire en sorte que la répartition entre les pouvoirs exécutif et législatif soit équilibrée, que le Parlement ait les moyens de remplir pleinement les missions qui sont les siennes et que nos institutions fonctionnent correctement. C’est donc avec un esprit ouvert et volontariste, et des propositions mûrement réfléchies que nous abordons ce projet de loi constitutionnelle.

Mme Cécile Untermaier. Je ferai deux remarques liminaires. Alors que le nombre de députés va être réduit de manière drastique, je constate que deux rapporteurs pour avis de votre majorité ne peuvent être présents ! La preuve est donnée que nous avons besoin d’être tous là, pour pouvoir travailler ensemble. Par ailleurs, j’ai entendu qu’un accord aurait été trouvé avec le Sénat. Si tel est le cas, nous devons partager cette information, vous nous la devez. Mais j’imagine que ce ne sont là que des rumeurs sans fondement ?

Ce projet de loi sera suivi d’autres textes, l’analyse doit donc être globale. Il ne s’agit pas de n’importe quel texte, mais d’un texte de révision de la Constitution, nous en sommes tous conscients. Bien avant cette législature, nous avions mené avec M. Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale, une mission parlementaire sur la révision de nos institutions. Je n’en ai pas partagé toutes les conclusions, mais je pense que ces travaux nous seront utiles. Par ailleurs, nous menons depuis un an une réflexion transpartisane, centrée sur le travail du parlementaire, et des propositions sont au coeur de la discussion. Si elles n’étaient pas prises en compte, ce serait à désespérer du travail parlementaire, de son organisation et de son utilité.

Par sa nature, par sa portée, ce texte exige une implication particulière des députés, y compris de la majorité, libres dans leurs rapports au Gouvernement et à son administration – je le sais car j’ai appartenu à la majorité dans la précédente législature. Qui, mieux que nous, peut parler de notre travail, de notre liberté dans le débat, de notre rapport à la société civile, au monde qui nous entoure ? J’espère que nous saurons tous adopter une approche ouverte et sincère des amendements qui nous seront soumis et que le groupe La République en Marche saura faire preuve d’écoute et travaillera avec nous.

Ce texte est présenté comme un texte à enjeu démocratique, visant à plus d’efficacité. Il peut évoluer, mais à ce stade, c’est à l’affaiblissement du Parlement qu’il tend. Nous constatons un retour en arrière par rapport à la réforme de 2008, qui portait une réelle ambition démocratique. Je ne pensais pas, moi qui appartiens au groupe Nouvelle gauche, regretter en 2018 l’esprit qui soufflait en 2008 !

L’annonce d’une réduction drastique du nombre de députés, avec un taux de représentation par nombre d’habitants qui met la France à la remorque de l’Union européenne, pèse comme un couvercle sur cette réforme. Une telle annonce populiste rend difficile le débat pour ceux qui la contestent. Ils apparaissent comme voulant défendre leur cas personnel ou animés d’un esprit corporatiste. En réalité, c’est aux citoyens et à la nation tout entière que cette réforme porte préjudice. Personne, d’ailleurs, n’en comprend l’objectif. Lors des nombreuses auditions que nous avons menées, tant dans le cadre de la préparation de ce projet de loi que des groupes de travail, sous la présidence de M. de Rugy, aucun spécialiste n’en a admis l’utilité.

Une institution puissante, c’est une institution puissante en nombre. Avec cette réforme, nous nous situerons juste après la Russie en termes de représentativité par habitants, dans une situation qui se rapproche de celle que la France a connue sous Napoléon III en 1852. Nous espérions quand même faire mieux ! Nous sortirons totalement du cadre européen, à un moment où la politique est de plus en plus et violemment rejetée, vécue comme extérieure à la vie des gens. Nous allons nous couper de la réalité de la vie des personnes et nous faire remplacer par des administrateurs.

M. Charles de Courson. Tout à fait !

M. Bastien Lachaud. Contractuels, qui plus est !

Mme Cécile Untermaier. La réforme sur le non-cumul des mandats, une réforme difficile, que nous avons menée d’ailleurs avec M. Richard Ferrand, n’avait pas pour objectif de faire en sorte que les députés soient moins nombreux, mais que leur action devienne enfin lisible. Il fallait que le député, se rendant dans sa circonscription ou dans une circonscription voisine, n’y soit pas vu et vécu comme le maire ou le président du conseil général, mais bien comme un député représentant la nation.

Nous assistons actuellement à une torsion du dispositif législatif que nous avions mis en place, qui ne visait pas à réduire le nombre de députés, mais à donner à l’Assemblée nationale tout son souffle, loin des conflits d’intérêts et dans une lisibilité du travail parlementaire enfin admise.

Cela dit, nous en sommes tous convaincus, la réforme doit répondre aux grands enjeux du XXIe siècle. Le groupe Nouvelle Gauche proposera, de manière raisonnable et pertinente, monsieur le rapporteur général, moins de 200 amendements. Nous ne participons pas au concours Lépine : nous faisons des propositions qui nous paraissent devoir être prises au sérieux.

Nous travaillerons pour plus de représentativité et de lien avec les citoyens. La mission première du député est d’être à l’écoute du citoyen où qu’il soit, sur le territoire national, dans sa circonscription ou à l’Assemblée nationale. Le numérique, l’engagement d’actions présentielles nous le permettent. Nous devons organiser l’ouverture des citoyens au Parlement, une ouverture encadrée excluant le mandat impératif, mais une ouverture réelle, une main tendue à celles et ceux qui veulent participer à la vie politique. Le député doit être acteur de lisibilité, de visibilité de la politique, animateur de débats ici et là, sur le territoire et à l’Assemblée nationale.

Nous proposerons également l’introduction de la préservation de la diversité biologique et la lutte contre les changements climatiques à l’article 1er de la Constitution. J’ai entendu avec satisfaction le rapporteur pour avis de la commission du Développement durable, qui semble avoir œuvré en ce sens.

Nous appelons également de nos vœux l’introduction de la transparence et de l’éthique en politique. C’est à nos yeux le prix de la démocratie. Les citoyens nous le demandent, et nous défendrons quelques amendements dans la suite de nos travaux de 2013. La Déclaration des droits de l’homme identifie dans ses toutes premières lignes le risque des gouvernements de tomber dans la corruption ; je pense qu’il est de notre devoir d’avancer dans cette voie.

Les quelques points positifs, et qui correspondent d’ailleurs souvent à des propositions que nous avions tenté de faire aboutir en 2012, ne peuvent pas compenser la gravité du moment. Cette vingt-cinquième révision constitutionnelle est, selon tous les spécialistes, la première qui va à contresens de l’histoire et affaiblit le Parlement.

Nous reviendrons sur la procédure, ce n’est pas le plus compliqué. En revanche, la réforme du Conseil économique, social et environnemental, lequel a brillé jusqu’alors par son inefficacité, ne donnant satisfaction qu’à ceux qui étaient en place, est, ne vous y trompez pas, un artifice pour affaiblir plus encore l’Assemblée nationale, sans pour autant donner une quelconque réalité au CESE.

Pendant ces débats, nous ferons donc de la pédagogie : nous dirons ce que doit être le député, ancré dans son territoire et à l’Assemblée nationale, travaillant dans la proximité, l’impartialité et le respect des citoyens ; nous expliquerons ce qu’est le temps parlementaire, et comment il doit être assumé ; nous rappellerons que les corps intermédiaires doivent être respectés.

L’une des caractéristiques de la démocratie représentative est, comme l’écrivait le philosophe Bernard Manin, « l’épreuve de la discussion ». Il est temps de nous en souvenir.

M. Sébastien Jumel. Derrière un titre ambitieux et prometteur, « Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », se cache un texte sans grande ambition. Ou alors avec l’ambition d’un apothicaire, lequel dissimule dans ses poches quelques fioles de poison dangereux pour la démocratie représentative. Ce manque d’ambition a été d’ailleurs souligné par le président de l’Assemblée nationale lui-même, qui a dit qu’il fallait réserver le référendum aux grandes occasions, sous-entendant que celle-ci n’en était pas une.

Il y a les textes, et le contexte. Le contexte est celui dans lequel votre majorité et le président omniprésent, jupitérien, exercent le pouvoir depuis un an. Nous sommes bien placés ici pour voir comment cela s’est concrétisé : un nombre record de procédures accélérées, des temps programmés, un recours quasi systématisé aux ordonnances, au vote bloqué, aux commissions mixtes paritaires en catimini – la dernière en date étant celle qui a permis de caler l’accord entre la droite sénatoriale et la droite de la majorité En Marche sur la réforme ferroviaire.

Dans votre esprit, le Parlement a vocation à être libéralisé pour souvent, trop souvent dans la bouche du président de l’Assemblée nationale, être méprisé. C’est ce qui a conduit notre groupe, avec d’autres, à considérer qu’il ne fallait pas cautionner le bilan de la première année au perchoir de M. François de Rugy, lequel a passé son temps à disqualifier le Parlement, à le discréditer, au risque d’ouvrir la porte à des réflexes peu conformes à nos valeurs républicaines.

 Au sein de ce Parlement méprisé travaillent des fonctionnaires qui ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés, au terme de la réforme du statut de la fonction publique parlementaire, ce qui en dit long sur l’expertise dont on ambitionne de se doter pour renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement.

Les projets de loi organique et ordinaire affichent la volonté de découper au scalpel la République, d’éloigner encore un peu plus les parlementaires de leur territoire. Au bout du compte, vous êtes porteurs du projet d’une République désincarnée, d’une République déshumanisée, d’une République start-upisée.

Ce texte accentue le déséquilibre des pouvoirs : réduction du droit d’amendement, accélération de la discussion législative, rabougrissement de l’initiative parlementaire pour l’Assemblée nationale, perte de contrôle dans la fixation de l’ordre du jour, fléchage de textes, dans des conditions dont nous ignorons tout, directement en commission pour échapper à l’appropriation démocratique que permet la séance publique, sont autant d’illustrations de votre volonté d’affadir, d’affaiblir le Parlement et, in fine, de priver l’opposition de sa capacité à discuter de la loi, à l’enrichir, voire à la modifier.

Certaines dispositions font partie des marronniers constitutionnels. Dire qu’elles ne mangent pas de pain serait désobligeant, mais elles font consensus. Nous sommes favorables à la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel, lequel risque de devenir une réserve pour anciens Présidents de la République et ex-Premiers ministres. On voit bien à quel point cela peut porter préjudice au Conseil des Sages. C’est le cas aussi de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, de la suppression de la Cour de justice de la République ou encore de l’interdiction du cumul des fonctions ministérielles avec un mandat exécutif local. Nous ferons des propositions d’amélioration, mais ces dispositions, globalement, font consensus.

D’autres dispositions, en revanche, nous semblent profondément dangereuses, ainsi que la pratique l’a démontré. À titre d’exemple, nous ne considérons pas que le Premier ministre doit être un collaborateur du Président de la République. Lorsque l’on réunit le Congrès à Versailles la veille d’une déclaration de politique générale, on le rabaisse. Réunir le Congrès à Versailles le lundi 9 juillet, alors que nous sommes en train de travailler sur la révision de la Constitution, en dit long, aussi, sur la volonté du Président de la République de fixer la feuille de route des députés de sa majorité et de transformer le Gouvernement et le Parlement en simples exécutants. Nous ferons un grand nombre de propositions visant à rétablir la primauté du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif et à réduire le fait majoritaire en assurant une déconnexion avec les pouvoirs du Président, car nous sommes attachés à la séparation des pouvoirs. Nous voulons freiner l’hypertrophie présidentielle que cette première année de mandat a bien montrée. Nous entendons aussi, même si c’est un peu plus anecdotique, supprimer le fait du prince dans un grand nombre de domaines – des grâces à la capacité du Président de la République de déclencher seul un conflit armé, en ne consultant le Parlement qu’a posteriori.

Nous avons déposé d’autres amendements qui permettront de graver dans le marbre de la Constitution un certain nombre de principes fondamentaux. Dans un discours prononcé à la Mutualité, le Président de la République nous a livré une relecture personnelle de Marx, sur la question des libertés formelles et réelles. Nous estimons qu’il est nécessaire de consacrer dans la Constitution plusieurs libertés formelles qui sont irréfragables. Nous vous proposerons de supprimer le mot « race » à l’article 1er de la Constitution, M. André Chassaigne présentera des propositions de modification de la Charte de l’environnement, et nous défendrons aussi des amendements relatifs aux biens communs, à la dignité et à l’égalité entre les hommes et les femmes, qui constituent à nos yeux des principes fondamentaux.

Nous aurons par ailleurs l’occasion de revenir sur certains débats récents. Nous proposons d’inscrire dans la Constitution la moralisation de la haute fonction publique – je pense en particulier au pantouflage, que nous devons définitivement faire sortir des pratiques de notre République. Face à votre volonté de casser le socle du modèle social français et de notre organisation territoriale, nous ferons également d’autres propositions. En matière de dialogue social, nous avons besoin d’avoir des garanties constitutionnelles lorsque l’on élabore des lois concernant les salariés, comme la démocratie en entreprise. Nous ferons aussi des propositions pour que le référendum d’initiative populaire, c’est-à-dire le principe de la démocratie participative, soit au cœur d’une nouvelle ambition pour la République, que nous souhaitons renforcer au bénéfice de nos concitoyens.

Comme un grand journal national l’a récemment souligné, dans un titre bien choisi, le président Macron « insupporte ceux qu’il ne faisait qu’irriter. Il désenchante ceux qu’il avait emballés ». Notre fonction est évidemment de faire la loi, en l’initiant ou en la modifiant, mais elle consiste aussi à contrôler son exécution, avec des moyens réels, de faire entrer la force du peuple à l’Assemblée et d’y faire entendre la voix des territoires. Les parlementaires communistes réaffirmeront leur attachement à une République qui ne doit pas être éclatée « façon puzzle » : il faut, au contraire, qu’elle soit présente partout et pour tous. C’est pourquoi nous proposerons d’inscrire l’aménagement du territoire dans la Constitution. Nous le ferons dans le respect de notre composante ultramarine, qui fera sonner son originalité, sa sensibilité et son apport sur la question de la spécificité des outre-mer.

M. Sacha Houlié. Il y a une gravité du législateur lorsqu’il se transforme en constituant. J’ai entendu de la gravité dans ce qui a été dit jusqu’à présent, même si ce n’était pas forcément dans toutes les bouches ou, en tout cas, pas toujours dans des sens concordants. Il y a une vraie volonté de rénovation de notre Constitution, à différents égards, même s’il existe aussi un certain conservatisme. Je ne préempterai pas, monsieur Gosselin, la figure du général de Gaulle, qui a habité nos institutions. Il y a chez nous une vraie volonté de respecter le corps des règles de la Ve République : sa force s’impose depuis soixante ans, sa stabilité institutionnelle nous protège de toutes les tempêtes et, en même temps, elle a fait l’objet de vingt-quatre révisions constitutionnelles, ce qui démontre qu’elle n’est pas si figée.

Il est essentiel de protéger les institutions des événements qui pavent la vie politique. L’histoire le démontre, et la séquence politique que nous vivons, avec une montée des populismes rarement égalée jusque-là, nous conforte dans cette position. L’histoire nous montre l’intérêt de nous appuyer sur des institutions fortes et nous enseigne que la rationalité se justifie quand les excès se multiplient. C’est une des nombreuses raisons de notre attachement à la forme constitutionnelle qui est propre à la France, c’est-à-dire un régime parlementaire rationalisé. Certains le qualifient de présidentialiste, alors qu’il repose en réalité sur un équilibre délicat entre la République du Parlement, celle de la IVe République, comme M. Lagarde l’a dit, et un régime purement présidentiel. Notre régime n’est pas figé, sinon il n’aurait pas tant évolué. Il l’a fait en matière électorale – des tests ont eu lieu en ce qui concerne la proportionnelle intégrale –, sous l’angle doctrinal – des ajouts ont été opérés, notamment la Charte de l’environnement – mais aussi, plus récemment encore, sur le plan fonctionnel, avec des innovations telles que la possibilité donnée, en 2008, aux citoyens de saisir directement le Conseil constitutionnel, par voie d’exception.

La procédure de révision constitutionnelle est exigeante, mais elle n’est pas interdite pour autant. Elle est périlleuse et longue, elle oblige les constituants à présenter un cap, un but, un objectif ou une ambition pour la République. L’ampleur du texte dont nous allons débattre dit déjà beaucoup de notre ambition. Par son volume et par son contenu, c’est l’une des révisions constitutionnelles les plus importantes de la Ve République. Elle conserve, je l’ai dit, l’esprit de notre loi fondamentale tout en adaptant sa lettre. Cette évolution forme un tout, comme chacun l’a remarqué, et il n’est pas question de le cacher, avec la rénovation de l’institution parlementaire qui sera soumise à notre assemblée au mois de septembre prochain. Je ne partage pas l’idée selon laquelle on sera moins efficace si l’on réduit le nombre de parlementaires, bien au contraire. Une armée mexicaine n’a jamais permis de gagner beaucoup de batailles. (Exclamations sur quelques bancs.) Je pense aussi que les élus de la nation sont les élus de la nation. Afin de tenir compte de la pluralité des opinions, on doit faire entrer au Parlement une partie de ceux qui sont sous-représentés ou mal représentés, car c’est ici que l’on doit combattre leurs idées. C’est dans cette enceinte que l’on doit leur apporter la contradiction. Enfin, poursuivre le travail déjà engagé en ce qui concerne le cumul des mandats, en imposant une interdiction dans le temps, n’est pas du populisme. C’est une forme de rationalité : la fonction d’élu n’est qu’une fonction. Elle peut être une page qui se tourne dans la vie.

Cette réforme est, certes, la volonté de la majorité. Elle est née des engagements qui ont été validés lors des dernières échéances électorales et qui n’ont jamais été cachés lorsque nous avons concouru à l’élection et que nous avons promis de tenir nos engagements. J’entends déjà les remarques, les reproches ou les griefs de ceux qui vont insister sur ce qui manquerait. Or il n’est pas nécessaire de tout écrire dans la Constitution. Nous sommes nous-mêmes l’exemple que l’on peut rénover les pratiques politiques sans rénover toutes nos institutions au préalable. Les députés qui siègent aujourd’hui sur ces bancs n’ont pas plus de trois mandats derrière eux. Par ailleurs, nous avons quasiment atteint la parité, en tout cas au sein de la majorité – nous sommes à un taux de 47 % – et des origines différentes sont représentées, y compris dans le groupe majoritaire. Cela démontre qu’il n’y a nul besoin de tout écrire, dans une sorte de concours Lépine, afin de renouveler le cadre, de représenter et donc de gouverner différemment.

Je le dis à ceux qui voudront, au cours des débats, inscrire tel ou tel sujet dans la Constitution : la loi fondamentale est nécessairement limitée. Cela nous oblige à bien préciser ce que nous voulons y inscrire. Quels sont les objectifs ? Nous voulons une Constitution correspondant, dans ses valeurs et sa pratique, au siècle dans lequel nous vivons. Il faut ensuite reconnaître au Parlement le droit de mieux s’organiser, de mieux fonctionner et donc de mieux travailler. Enfin, on doit construire une organisation territoriale dans lesquelles les cadres sont adaptés et où les différences sont reconnues comme des spécificités. Il ne s’agit pas d’inscrire une égalité formelle dans la Constitution, mais de consacrer le principe d’égalité réelle.

Qu’est-ce qu’une Constitution du XXIe siècle ? Cela revient à se poser la question des principes. C’est ce que nous ferons à l’article 1er de la Constitution. Cela consiste aussi à s’intéresser aux relations avec les corps intermédiaires – M. Jumel a notamment parlé de dialogue social. Par ailleurs, je rappelle que la France s’est distinguée dans le monde en organisant la conférence sur le climat, en 2015, et en se battant pour son application : en l’absence de ressources, de respect et de préservation de l’environnement et de la biodiversité, et s’il n’y a pas d’action contre le changement climatique, les textes que nous pouvons adopter seront vite rayés de la carte, comme nous d’ailleurs. Nous souhaitons que la formule « make the planet great again » soit une réalité. C’est pourquoi nous présenterons un amendement pour que cela figure à l’article 1er.

Réformer nos principes signifie également rénover la Constitution de 1958, qui a été adoptée dans une phase de prédécolonisation, en supprimant le mot « race » à l’article 1er. Nous y ajouterons une référence au sexe, afin qu’il n’y ait plus aucune distinction en la matière. C’est un travail qui sera entrepris par le groupe majoritaire et les rapporteurs.

Comprendre la société, c’est aussi imposer au Gouvernement des règles de non-cumul et de probité qui s’appliquent au Parlement, en faisant écho aux débats que nous avons eus à l’occasion de la loi « confiance ». Nous vous proposerons de le faire par voie d’amendements. Comprendre la société, c’est aussi accepter et institutionnaliser le fonctionnement de la société civile. Nous la représentons, certes, mais pas totalement : des corps intermédiaires adoptent également la loi sociale dans notre pays, par le biais d’accords interprofessionnels. Nous souhaitons reconnaître ces corps intermédiaires grâce à une transformation du Conseil économique, social et environnemental qui donnera à cette instance une pleine utilité.

La question du service universel a fait l’objet d’un débat. Nous souhaitons inscrire ce sujet à l’article 34 de la Constitution, ce qui confortera chacun dans l’idée que le Parlement a un rôle essentiel à jouer dans l’adoption des futurs textes, ou en tout cas des enjeux que l’on considère comme fondamentaux.

Cela m’amène au deuxième objectif, qui concerne l’organisation du Parlement. Il a été question d’une libéralisation tout à l’heure : si cela signifie lui redonner de la liberté, nous sommes d’accord, car ce sera un Parlement qui anticipe en se saisissant des textes dès leur adoption par le Conseil des ministres, qui organise des débats d’orientation préalable, qui dispose d’informations sur son calendrier, sur une période de six mois, avec un programme détaillé sur trois mois – c’est ce que nous souhaitons inscrire dans la réforme. Par ailleurs, la procédure sera purgée de tous ses excès, dont le principal est d’accumuler des amendements qui n’ont pas de portée normative, qui constituent des cavaliers ou qui entrent dans le domaine du règlement. Je précise que cela vaudra non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour le Gouvernement. Afin de retrouver sa force, le Parlement doit aussi avoir la possibilité de voter la loi en commission, comme c’est le cas au Sénat : inscrivons cette possibilité dans la Constitution afin que l’Assemblée nationale s’en saisisse. Nous devons également retrouver notre droit d’amendement après la Commission mixte paritaire – nous nous y attacherons – et pouvoir recourir plus facilement à des procédures accélérées, à condition que des délais s’appliquent, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Afin d’ouvrir une nouvelle page de son histoire, le Parlement doit aussi pouvoir mieux contrôler – cela a déjà été dit –, dans le cadre des « printemps de l’évaluation » ou encore grâce à l’application d’un délai avant l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui pourrait d’ailleurs devenir un projet de loi de financement de la protection sociale. Par ailleurs, les textes ayant un impact important pour nos concitoyens doivent pouvoir être examinés en priorité. Afin que le Parlement puisse garder la maîtrise du dispositif, cette possibilité sera encadrée, comme le prévoit l’article 8 du projet de loi.

Je termine par la question des territoires. Les parlementaires de cette législature seront les premiers à ne pas cumuler. Cela en fait-il des députés moins implantés dans les territoires et moins conscients de leurs réalités ? Je ne le crois pas. Nous savons qu’il existe des différences entre les territoires : le droit à l’expérimentation doit donc être renforcé et pérennisé. Lorsqu’une expérimentation est couronnée de succès, les communes, les départements et les régions doivent avoir la possibilité de l’inscrire dans la durée sans avoir à passer par une loi. Nous allons aussi reconnaître le caractère insulaire de la Corse. Enfin, les lois et les règlements pourront avoir une application différente dans des collectivités d’outre-mer. Il y a, là aussi, une spécificité qu’il faut reconnaître.

Nous tendons la main, aussi bien au sein des groupes de travail transpartisans, qui ont été créés par le président de Rugy, que dans le cadre du travail qui sera entrepris avec le Sénat. Puisque cette question a été évoquée, je tiens à souligner qu’il n’existe pas d’accord caché, ou déjà préparé. Il faudra néanmoins en trouver un si nous voulons aboutir. Ce sera un succès qui nous honorera tous : nous aurons un Parlement du XXIe siècle, mieux organisé, et des territoires davantage respectés. Nous y gagnerons tous en tant qu’élus de la nation.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je crois que la richesse des points de vue qui se sont exprimés augure bien de la richesse des débats à venir.

On ne peut pas laisser dire, sans réagir, que ces débats auraient lieu en catimini. Cette idée est quand même un peu extravagante : tout est public, les auditions ont été ouvertes, nous siégeons dans la salle Lamartine, qui n’est pas le lieu le plus clandestin qui soit, nos travaux sont diffusés en direct et, pour la première fois s’agissant d’une révision constitutionnelle, un document faisant état de l’avancement des travaux des rapporteurs a été mis en ligne. On pourrait faire mieux en matière de clandestinité ou de travail en catimini !

Les mêmes se sont étonnés que l’on travaille au cœur de l’été – nous n’y sommes pourtant pas tout à fait. Le Parlement travaille en juin, ce qui est bien normal. Si l’on anticipe un peu, on peut même imaginer qu’à peu près tous les mois de l’année, à part celui d’août, seront concernés, puisqu’il y aura une navette : le Sénat va vraisemblablement se saisir en septembre des différents textes qui nous sont proposés. Je ne sais pas s’il sera pénible de travailler à l’automne, en hiver, au printemps ou même à la renaissance de l’été, mais il faut bien le faire à un moment. Il n’y a donc ni catimini, ni facéties estivales, mais seulement de la transparence, de la clarté et un projet qui avance depuis qu’il a été mis sur la table.

Ce texte est conforme aux annonces faites par le Président de la République il y a un an, devant le Congrès réuni à Versailles, non pas dans le but d’abaisser qui que ce soit, mais conformément à l’article 18 de la Constitution, dont tout le monde a chanté les louanges à propos de la précédente révision constitutionnelle, en 2008.

Mme Huguette Bello. Mon intervention portera surtout sur les articles 15 et 17 du projet de loi. La grande innovation de ce texte est la généralisation du droit à la différenciation pour toutes les collectivités territoriales de la République, qui disposeront désormais d’un pouvoir normatif dans les matières relevant de leurs compétences. Cette révision constitutionnelle étend ainsi, pour partie, à l’article 72, la décentralisation normative imaginée en 2003 pour les collectivités d’outre-mer visées à l’article 73. Elles peuvent adopter, pour leur territoire, des règles normatives dans le domaine de la loi, à l’exception notable de La Réunion.

Le projet de loi maintient, pour l’instant, cette exception. En ce qui concerne La Réunion, la rédaction qui nous est proposée pour l’article 72 et celle de l’actuel article 73 sont identiques, aux procédures d’habilitations près : ce sont des frères jumeaux. À la suite de ce que le président de la région a déclaré, il se répète à l’envi que le nouvel article 72 est bienvenu et suffisant, car il offre « de vraies marges de manœuvre à La Réunion ». Il faut rappeler que celles-ci lui ont été offertes il y a quinze ans, lors de la révision de 2003. Notre préoccupation est précisément de ne pas revivre le scénario de cette époque : le débat a été tronqué et le dénouement est intervenu en dehors du Parlement. Cette stratégie « hors les murs » ne va pas dans le sens du temps long que toute révision constitutionnelle requiert. Elle est aussi la source de bien des dérives. Il y a quelques jours, quatre députés réunionnais ont été assimilés à des putschistes pour avoir commis le forfait de déposer un amendement à l’article 17 du projet de loi. L’expérience des quinze dernières années, les nouveaux enjeux du développement, le revirement de la doctrine européenne, mais aussi la nouvelle rédaction de l’article 72 plaident avec force et évidence pour un amendement supprimant la disposition qui limite le champ d’action de La Réunion.

Le Gouvernement a posé une condition avant tout passage à l’acte : qu’il existe un consensus au sein des parlementaires réunionnais. Nous y avons travaillé : 5 députés sur 7 et 2 sénateurs sur 4 sont aujourd’hui favorables à une évolution. Mieux encore, 4 d’entre nous ont pris la précaution d’y assortir un dispositif garantissant le maintien de la région et du département, afin de pas susciter un débat institutionnel sur la question d’une assemblée unique. Notre proposition a par ailleurs recueilli l’assentiment de la délégation aux outre-mer de notre assemblée.

On voit bien aujourd’hui que toutes les vieilles ficelles sont de retour, même si ce sont parfois de jeunes marionnettistes qui les utilisent. Même notre Constitution en fait l’expérience.

M. Alain Tourret. La Constitution de 1958 peut être considérée comme un texte d’excellence : elle a réussi à résister à la révolte des généraux, grâce à son article 16, et elle a aussi démontré sa plasticité lors des périodes de cohabitation. Il ne faut donc la modifier qu’à la marge. Mais cette Constitution, c’est aussi un parti dominant qui fait passer ce que souhaite le Gouvernement. Dans ces conditions, il est indispensable de renforcer le bloc des libertés publiques, qui est aujourd’hui en déclin. Comment peut-on le faire ? On doit renforcer le pouvoir du législateur. J’ai eu des inquiétudes sur ce point lorsque j’ai lu la première version du texte.

Il est également nécessaire de mieux contrôler la loi et la manière dont l’administration l’applique. J’espère, depuis toujours, que la Cour des comptes fera partie des moyens mis à la disposition du Parlement afin de mieux contrôler l’administration et le pouvoir exécutif – je sais que des propositions nous seront faites dans ce domaine. Le socle de nos libertés publiques se trouve dans la dyarchie formée par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Je souhaite que nous puissions améliorer ce texte en renforçant les libertés publiques. N’oublions pas, en effet, ce que disait Alain sur le « citoyen contre les pouvoirs ». C’est le meilleur citoyen de la République.

M. David Lorion. Dans le cadre de ce projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, nous nous attendions à ce que vous décliniez pour l’outre-mer non seulement la notion de représentativité, dont d’autres ont parlé avant moi, mais aussi celles de responsabilité et d’efficacité. Vous le faites, en partie, à l’article 17, mais pas pour La Réunion, que notre collègue Huguette Bello a déjà évoquée. Il est prévu, en effet, que le département et la région de La Réunion continueront à avoir un régime spécifique qui les prive depuis 2003 d’une habilitation qui sera désormais donnée à toutes les autres collectivités de la métropole et de l’outre-mer.

Comment peut-on comprendre que, dans ce projet de loi qui insiste sur la notion de responsabilité, vous priviez un département d’une capacité d’adaptation dont bénéficieront tous les autres départements et toutes les autres régions ? Serions-nous plus incompétents que les élus de la métropole et de l’outre-mer ? En matière d’efficacité, nous avons besoin d’une adaptation législative en raison de notre climat, de notre environnement et de notre histoire, mais vous nous en privez. À La Réunion, l’adaptation ne pourra avoir lieu que dans le cadre des compétences des collectivités territoriales. Pour faire face à notre environnement régional et nous y ancrer, nous avons besoin d’une marge de manœuvre un peu plus importante, tout en restant un département et une région de France, et en conservant le même statut qu’aujourd’hui, c’est-à-dire la même organisation. Il nous faut une capacité d’adaptation au monde à venir.

Mme Naïma Moutchou. Beaucoup a déjà été dit et nous aurons largement l’occasion de revenir sur le fond, puisque nous avons presque 1 500 amendements à examiner. Je voudrais seulement revenir sur le sens de cette révision constitutionnelle, en vous faisant part de ma vision sur ce sujet – je sais qu’elle est largement partagée. C’est un projet d’ampleur et ambitieux pour notre démocratie. Il s’agit, on l’a dit avant moi, de la première révision que nous allons connaître depuis dix ans. Je ne dirais pas que ce texte réalise une révolution, car nous n’avons pas besoin d’un tel renversement : l’équilibre des pouvoirs qui est assuré par la Ve République garantit la stabilité politique depuis 60 ans, malgré les crises, internes comme internationales, et les alternances. Il n’est pas question de remettre en cause cet équilibre en revenant à la IVe République ou en basculant dans une VIe République qui ne serait en réalité qu’un retour dans le passé. Nous devons veiller à préserver l’esprit de la Constitution de 1958.

Il n’y a donc pas de renversement, mais une continuité avec la révision de 2008. Ce qui nous est proposé aujourd’hui est indispensable. C’est une évolution nécessaire et courageuse de notre texte constitutionnel, qui s’inscrit dans le projet progressiste qui est le nôtre depuis le début de cette législature, c’est-à-dire une transformation de la vie politique qui nous permettra d’aller vers une société de confiance, où le débat démocratique, et en particulier parlementaire, sera revitalisé. Par leur vote de 2017, les Français ont exprimé une aspiration démocratique très forte : ils veulent être mieux représentés par les élus de leur territoire dans une société appartenant à son temps, qui prend en compte les défis du XXIe siècle. Nous devons continuer à mettre en œuvre ce choix très clair d’un changement politique profond. Telle est l’ambition de la réforme qui nous est proposée par les trois textes déposés par le Gouvernement : il s’agit de rendre notre démocratie plus représentative, plus responsable et plus efficace. C’est ce que la majorité défendra jusqu’au bout avec conviction.

M. Olivier Marleix. En ce qui concerne les droits du Parlement, cette révision constitutionnelle est à contre-courant de toutes celles que nous avons connues depuis 1958 – celles de 1974, qui a permis aux parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, de 1992, de 1995 ou encore de 2008. Cette dernière avait donné à l’opposition des droits nouveaux et importants : un droit de tirage pour la création des commissions d’enquête, la réduction du recours à l’article 49, alinéa 3, mais aussi la soumission des nominations décidées par le chef de l’État à l’avis des commissions parlementaires compétentes. Cette fois, rien de tel n’est prévu : tout va dans le sens de la réduction des pouvoirs du Parlement, alors que l’équilibre est pourtant fragile.

Vous connaissez, en effet, les mesures qui nous sont proposées : un encadrement du droit d’amendement, notamment avec la fin de la possibilité de déposer des amendements d’appel pour évoquer certains sujets et l’interdiction du droit d’amendement en séance plénière ; un pouvoir budgétaire encore plus encadré sur le plan temporel, et donc escamoté ; une extension du champ de l’ordre du jour prioritaire au bénéfice du Gouvernement – vous arrivez même à donner au Gouvernement une espèce de droit de préemption sur le temps réservé aux semaines de contrôle parlementaire, à tel point que le Conseil d’État a fait part de ses réserves. À quoi serviront encore les semaines de contrôle si le Gouvernement peut y inscrire des projets de loi ?

Vous auriez pu proposer des mesures visant à renforcer le Parlement, notamment en ce qui concerne les commissions d’enquête, mais vous avez bien sûr écarté toutes ces pistes. Quel argument invoquez-vous ? Celui de l’efficacité, qui est le grand maître mot dans ce texte. Je vous renvoie à l’excellent rapport de M. Michel Winock, intitulé Refaire la démocratie, qui a été remis sous la précédente législature. Ce rapport comporte notamment une comparaison des délais d’adoption des projets de loi au plan européen. Notre délai moyen, qui est de 149 jours, fait partie des moins élevés. Seuls les pays ayant un système monocaméral font mieux que nous, notamment la Hongrie de M. Orbán. Je doute que ce soit le modèle qui inspire votre majorité, mais pourtant c’est le sens que vous semblez prendre avec ce texte.

M. Jean-François Eliaou. Les « rendez-vous des réformes 2017-2022 », qui ont été lancés en septembre dernier par le Président de l’Assemblée nationale, ont vu la création de sept groupes de travail, dont un est consacré aux moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement – j’en suis le rapporteur. Nous avons d’abord adopté, dans ce cadre, quinze propositions de niveau constitutionnel au mois de décembre 2017, puis un nouveau rapport mercredi dernier. Vous savez qu’il prône la création d’une agence d’évaluation au sein du Parlement.

L’avenir de notre institution, a fortiori si le nombre d’élus est réduit, passe par un meilleur équilibre entre l’activité législative pure et les missions de contrôle et d’évaluation. J’ai donc déposé plusieurs amendements visant à assurer la force et l’efficacité du Parlement grâce à une meilleure prévisibilité des travaux législatifs, à accroître notre rôle de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, au moyen d’outils efficaces, et à sanctuariser des périodes d’évaluation et de contrôle dans l’ordre du jour. Je suis d’avis, et je ne pense pas être le seul, que mieux évaluer conduit nécessairement à mieux légiférer, ce qui est notre devoir de parlementaires.

M. Paul Molac. Sous la Ve République, le pouvoir législatif a la particularité de ne pas faire la loi. Je pense que Locke et Montesquieu ne seraient d’ailleurs pas nécessairement d’accord… Quand j’ai vu que l’on voulait limiter la possibilité d’amendement, qui est un droit inaliénable du député, j’ai été un peu inquiet : non seulement nous ne faisons pas la loi, mais on pourrait maintenant ne plus la discuter, ce qui poserait franchement un problème. La première mouture du texte ne me plaisait pas, mais j’ai vu qu’un certain nombre d’amendements devraient permettre d’aboutir à une situation plus acceptable.

J’en viens à la question de la libre administration des collectivités locales. J’avoue ne pas avoir été très rassuré sur ce point : il a été rappelé tout à l’heure que le Parlement peut adopter des statuts spéciaux – il en existe déjà, notamment pour la Nouvelle-Calédonie et l’Alsace-Moselle. Il n’y a donc pas de difficulté. Ce que demandent les collectivités locales, ce n’est pas que le Parlement légifère pour elles, mais de pouvoir disposer du pouvoir réglementaire, ou du moins d’avoir une possibilité d’adaptation. Voilà ce qui est essentiel. Le reste peut demeurer inchangé dans notre Constitution. En ce qui concerne la Corse, il ne suffit pas qu’elle soit inscrite dans la Constitution pour qu’elle ait un statut particulier – d’ailleurs, elle en a déjà un.

Conformément à l’article 75-1, les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France, mais ce n’est qu’inscrit dans la Constitution à l’heure actuelle : aucune loi n’a été adoptée en la matière. Une inscription dans la Constitution peut donc constituer un trompe-l’œil. Le candidat Macron avait promis de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais je ne vois rien de tel dans ce qui nous est proposé. Je défendrai donc des amendements sur ce sujet.

M. Jean-Louis Masson. Montesquieu a souligné dans De l’esprit des lois que le détenteur du pouvoir a toujours tendance à en abuser et que seul le pouvoir peut limiter le pouvoir : c’est ce que l’on appelle l’équilibre des pouvoirs. À mon avis, et je sais qu’un certain nombre de collègues le pensent aussi, cet équilibre a été rompu par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Alors que la réforme de 2008 avait donné davantage de pouvoir au Parlement, ce texte constitue un retour en arrière puisqu’il prévoit au contraire un affaiblissement flagrant, en réduisant le droit d’amendement et les délais accordés au Parlement pour se prononcer.

La réduction du nombre de députés et de sénateurs pose aussi deux difficultés, comme l’a relevé Mme Cécile Untermaier. Nous subirons un décrochage par rapport à d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Italie, qui auront un nombre de députés nettement supérieur au nôtre, et il y aura aussi un problème de lien entre les députés et les territoires. La taille de ces derniers va quasiment doubler, du moins pour les députés qui resteront élus dans ce cadre, pour atteindre parfois 150 kilomètres, et leur population doublera. Pourquoi faut-il maintenir un lien territorial ? Une loi ne peut pas être purement technique : le législateur doit sortir des considérations purement juridiques pour vérifier le texte et l’amender, pour ajuster la loi aux réalités humaines. Pour cela, encore faut-il qu’il y ait une proximité suffisante.

Le package formé par la loi constitutionnelle, la loi organique et la loi ordinaire renforcera le déséquilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif. Celui-ci en avait-il besoin ? L’efficacité n’est pas une valeur, mais seulement un moyen : les seules valeurs que je connais sont celles de notre République.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Je n’ai pas d’a priori sur cette révision constitutionnelle, mais je voudrais faire part d’un certain nombre d’observations, en commençant par prolonger ce qu’a dit M. Jean-François Eliaou au sujet de l’évaluation – je suis, en effet, l’auteur d’un rapport sur le même thème. Il me semble important de mieux légiférer grâce à l’évaluation des politiques publiques et d’améliorer les études d’impact. Je suis favorable au droit à la différenciation pour les collectivités locales, mais aussi à leur pouvoir d’adaptation des normes. Sur ce sujet récurrent, une consécration constitutionnelle serait importante.

Enfin, je voudrais appeler l’attention sur la question des « députés uniques ». Tout comme le député de la Creuse, je vis cette situation depuis cinq ans, en tant que député de Lozère. Ce n’est pas simple d’avoir une circonscription de 5 000 kilomètres carrés, en zone de montagne, et de parcourir 7 000 kilomètres par mois : voilà ce qu’est la vie d’un député unique. De 2, le nombre de départements concernés passerait à 21. Je crois que nous devons faire très attention à la représentativité parlementaire dans notre pays.

Mme Lætitia Avia. Je voudrais revenir sur le Conseil économique, social et environnemental. La Constitution lui confère un rôle spécifique au sein de nos institutions, puisqu’elle en fait l’assemblée consultative de la République : le CESE a vocation à conseiller le Gouvernement ainsi que les deux autres chambres que sont l’Assemblée nationale et le Sénat pour l’élaboration de la loi, en leur fournissant des avis, des études et des rapports sur les sujets économiques, sociaux et – depuis 2008 – environnementaux. Cet organe reste pourtant méconnu de nos concitoyens, incompris, voire caricaturé. Nous avons tous entendu les commentaires qui en font une chambre dormante ou, s’agissant de sa composition, une forme de « République des copains ». Je ne souscris pas à ces commentaires, mais il faut reconnaître qu’ils ont une origine que nous ne pouvons pas ignorer : l’altération du lien de confiance entre nos concitoyens et ceux qui sont censés les représenter au sein du CESE.

Comme le Président de la République l’a rappelé devant nous lors de la dernière réunion du Congrès à Versailles, la mission du CESE est de servir de trait d’union entre la société civile et les institutions politiques, grâce à un dialogue constructif et à des propositions suivies d’effets. Cette intention fondatrice s’est un peu perdue, mais nous avons l’occasion de redonner ses lettres de noblesse au CESE, en faisant de lui un véritable lieu d’expression directe de la société civile. Cela signifie-t-il que nous ne la représenterons plus ? Ce sera toujours le cas, via nos parcours ainsi que par le travail d’intermédiaire et le rôle de courroie de transmission que nous exerçons, dans un sens comme dans l’autre. Cette réforme consacre la place de la société civile dans le cadre du CESE. Cette instance, qui sera dotée d’une composition resserrée, de missions affermies et de compétences élargies, redonnera toute leur place à ceux qui doivent, en toute hypothèse, être notre priorité, c’est-à-dire nos concitoyens, qu’ils s’investissent dans la vie publique et politique directement, via leurs élus ou via les corps intermédiaires, sans que cela heurte la légitimité démocratique du Parlement.

M. Hervé Saulignac. À ce stade de nos travaux, je ne m’attacherai qu’à l’esprit général de ce texte. Comme d’autres collègues, peut-être, je m’interroge sur l’implication personnelle du Président de la République dans le projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis : j’ai l’impression qu’il est fait par le Président et pour lui.

Vous êtes un certain nombre à être absolument convaincus qu’il faut un pouvoir exécutif fort pour mettre en œuvre des réformes ambitieuses et nombreuses. Or c’est une grave erreur : un Parlement faible conduit à une démocratie faible et, in fine, impuissante à réformer.

De ce point de vue, ce texte est anachronique : il conforte la Ve République dans ce qu’elle n’a plus d’utile aujourd’hui. Elle a fait ses preuves, et je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que l’on devrait la passer par pertes et profits. Elle est adaptable, et il faut évidemment l’ajuster aux impératifs du XXIe siècle, mais vous avez fait le choix de conforter ce qui, a contrario, aurait sans doute dû être mis de côté, afin d’aller vers un réel équilibre des pouvoirs.

M. Jean-René Cazeneuve. Mon intervention portera sur l’article15 du projet de loi, qui vise à redonner du souffle à la décentralisation en facilitant la différenciation territoriale. Cet article permettra, d’une part, au législateur de prévoir que certaines collectivités exercent des compétences dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de même catégorie et, d’autre part, aux collectivités de déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives et réglementaires régissant l’exercice de leurs compétences. Le droit de l’expérimentation sera simplifié : les collectivités pourront pérenniser une expérimentation réussie sans que celle-ci soit généralisée à l’ensemble du territoire. Ce sont des avancées majeures qui sont réclamées depuis longtemps par les élus, leurs représentants et, je crois, une majorité des Français. Il faut donc saluer ces évolutions et s’en réjouir.

Depuis quelques mois, nous avons travaillé avec M. Arnaud Viala, au sein de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur la question de l’expérimentation et de la différenciation territoriale : notre communication finale comporte cinq propositions, dont deux sont satisfaites par le présent texte, ce dont je me félicite. Une autre proposition, relative à l’étude de l’impact sur les collectivités des mesures envisagées, est de nature organique et sera présentée le moment venu. Les deux dernières visent à aller un peu plus loin dans le nouvel élan décentralisateur.

Nous vous proposerons ainsi d’adopter un amendement disposant que toute loi ou tout règlement ayant un impact significatif sur les collectivités doit prendre en compte les spécificités des territoires concernés. Le second amendement vise à ce que les collectivités aient la possibilité non seulement de déroger à des dispositions législatives ou réglementaires, mais aussi de les adapter aux spécificités de leur territoire.

Pour conclure, permettez-moi de rappeler les propos que le Président de la République a tenus lors du centième congrès des maires : « les communes les plus rurales, elles demandent bien souvent qu’on adapte la règle à leurs réalités de terrain. C’est cela ce que je veux qu’ensemble nous inventions. Conférer aux collectivités une capacité inédite de différenciation, une faculté d’adaptation des règles aux territoires et pouvoir, le cas échéant, aboutir aussi à des transferts aux collectivités pour une répartition plus efficace ».

Mme Laurence Vichnievsky. Je ferai simplement deux observations.

La première est d’ordre général. Le quinquennat et l’élection des députés consécutivement à l’élection présidentielle entraînent une grande frustration chez les parlementaires, qui pensent, parfois à juste titre, qu’ils ne sont pas suffisamment entendus. Je veux simplement indiquer que le Parlement vote la loi et que c’est donc lui qui, à la fin des fins, décide. C’est vrai, nous souhaiterions sans doute être plus impliqués en amont, mais cela ne signifie pas une co-élaboration. Il ne faut pas confondre les genres, et je pense que la réponse à cette difficulté nous est donnée par la loi ordinaire qui sera soumise à notre examen et qui traitera de l’élection de députés au scrutin proportionnel. Évidemment, ces trois textes s’appréhendent en même temps, et c’est la proportionnelle qui est susceptible de rétablir des équilibres et de permettre la prise en compte des exigences de chacun.

Ma deuxième observation porte plus particulièrement sur l’article 1er, objet d’un nombre croissant d’amendements. Si l’on veut ajouter ou enlever certains mots, chers collègues, cela veut dire qu’il y en a qui sont autorisés et d’autres qui seraient interdits. C’est la police des mots, qui précède la police de la pensée. Je voudrais que nous soyons, les uns et les autres, très attentifs à cela. Et, puisque certains ont fait référence à Montesquieu, j’évoquerai une référence un peu plus récente : cela me fait penser à la novlangue d’Orwell.

M. Jacques Marilossian. Comme de très nombreux collègues de toutes origines, j’ai déposé un amendement afin de supprimer le mot « race » dans le texte de la Constitution. Je pense que nous serons unanimes pour voter cette modification.

Je voudrais aussi partager bien modestement avec vous quelques préoccupations. Comment pouvons-nous renforcer la prise en compte de tous les territoires ? Comment pouvons-nous favoriser leur représentation, tout en assurant la cohésion nationale ? Je propose des amendements aux articles 1er, 2 et 15 du projet afin de favoriser la reconnaissance des territoires et leur aménagement équilibré mais aussi afin d’assurer l’égalité entre les collectivités. Bien que député des Hauts-de-Seine, je suis né au Puy-en-Velay, en Haute-Loire. C’est à ce titre que je souhaite que notre assemblée consacre un peu de son énergie, pendant l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, à la promotion de nos territoires.

Mme Danièle Obono. Je veux revenir sur un élément signalé par notre collègue Lachaud : l’absence de ce qui devrait être le sujet participatif, actif, impliqué, de ce débat constitutionnel, c’est-à-dire le peuple, les citoyens et les citoyennes, au nom de qui nous légiférons et discutons mais à qui nous n’avons pas donné largement la parole. J’en veux pour preuve la manière dont a été reçue l’initiative de l’association Les Lucioles, qui mène depuis plusieurs mois des débats sur la Constitution. Son projet extrêmement ambitieux et intéressant rassemble aujourd’hui des citoyens et des citoyennes membres d’associations de quartier. Il s’agit de se pencher sur le texte constitutionnel et de porter leur compréhension et leurs revendications. Cette association s’est adressée à la commission des Lois pour intervenir dans le débat et présenter aux parlementaires ce travail de plusieurs mois, mais elle a reçu une fin de non-recevoir, qui a été mal comprise par ces citoyens et citoyennes. Pour moi, et pour elles et eux, vous en conviendrez également, c’est à la fois exemplaire et caractéristique de cette manière de prendre le débat à l’envers.

Je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir. Notre groupe défendra un certain nombre d’amendements pour que les citoyens et citoyennes soient des acteurs et pas simplement des sujets du débat démocratique.

Je vous appelle cependant, chers collègues, à profiter de la possibilité que nous avons d’entendre ces personnes après-demain jeudi, à quatorze heures, au premier bureau du palais Bourbon, et d’échanger avec elles. Cela me semble être une manière responsable et ouverte que d’avoir ces débats et d’entendre la parole des citoyens et des citoyennes.

M. Moetai Brotherson. Je poserai simplement une nouvelle fois la question que j’ai posée un peu plus tôt aujourd’hui à la ministre des outre-mer, à laquelle j’ai reçu une réponse un peu surréaliste.

Depuis 2004 est inscrite dans le statut d’autonomie de la Polynésie française la limitation à deux du nombre de mandats du président de l’exécutif. Aux termes de cette révision, la limitation serait portée… à trois mandats ! On m’a répondu ce matin que c’était au nom de l’intérêt national, je ne comprends pas.

M. Cédric Villani. Mes chers collègues, cette révision est l’occasion de rendre nos institutions plus efficaces et plus au service de la démocratie. Cela s’applique aussi à notre propre assemblée. Nos mécanismes doivent favoriser le contact avec la nation qui nous élit au suffrage universel direct et attend d’être écoutée, représentée et informée par nos soins. Ils doivent aussi nous permettre d’être efficaces et éclairés dans nos actions.

Dans cette révision, il y aura de grands principes comme celui de l’inscription de l’environnement en excellente place dans la Constitution, il y aura aussi des propositions techniques et des ajustements pragmatiques, par exemple dans la fabrique de la loi, mais derrière les propositions techniques, on peut distinguer au moins trois débats de fond sur le parlementarisme. Le premier débat, appelons-le « des paroles ou des actes », oppose deux visions légitimes et complémentaires, celle du député qui fait vivre le débat par la parole et celle du député qui produit des lois et des contrôles efficaces. Le second débat, disons « en province ou à Paris ? », oppose le parlementaire passant du temps au contact direct des citoyens et de leurs problèmes au parlementaire discutant avec ses collègues ou d’autres instances nationales. Le troisième débat serait celui entre la démocratie participative et la démocratie représentative. L’élection est-elle le seul moyen par lequel les citoyens font directement part de leurs souhaits au Parlement ou faut-il la compléter par d’autres mécanismes de participation directe ?

Bien sûr, il nous faut veiller à l’équilibre, avoir des députés à la fois parlant et agissant, sur le terrain et à Paris, dans les discussions qui se tiennent dans un cadre représentatif et dans l’écoute directe des citoyens. C’est cet équilibre qui fait la beauté de notre mandat.

C’est pourquoi nous examinerons dans le projet de loi ou au travers des amendements des mesures destinées à améliorer la qualité d’analyse et d’action du Parlement tout en facilitant le débat et le contact, par exemple par la mise en place d’une agence d’analyse, d’évaluation et de contrôle, par la possibilité de prévoir des semaines de travail hors de Paris, par la révision de l’organisation de nos travaux en commission dans le sens d’une plus grande efficacité, par la rationalisation de notre emploi du temps pour que nous puissions prendre le temps du débat, sans devoir jongler entre des réunions concomitantes dans des semaines de travail atrophiées, accumulant les nuits de travail mais incapables de prévoir à quarante-huit heures près l’heure de passage d’une question sur laquelle on a travaillé, incapables même de donner des rendez-vous fiables.

Le parlementaire amoureux de l’Europe et immensément fier de la France que je suis ne peut que se désoler de voir à quel point des parlements voisins sont mieux organisés dans leur fonctionnement et plus pointus dans leur expertise. Le politique scientifique que je suis se désole de voir à quel point notre emploi du temps chaotique interdit une réflexion scientifique et politique décente, un exemple parmi cent de l’enrichissement qu’un travail d’expertise soigneux et une rationalisation de notre fonctionnement pourra apporter aux politiques dans le Parlement du XXIe siècle.

M. David Habib. Merveilleux réquisitoire contre un texte qui présente bien des lacunes !

J’évoquerai pour ma part la philosophie qui préside à l’examen de ce texte. Vous avez conçu une organisation des pouvoirs verticale, très centralisée, très individualisée, très « macronisée », déséquilibrée, qui aboutit à un affadissement du Parlement, avec une confiscation de l’ordre du jour au-delà de ce qui était prévu par le Constituant de 1958, avec une réduction des délais d’examen et une réforme du droit d’amendement qui sera peut-être revue mais qui, en l’état, ne répond pas aux attentes de celles et ceux qui considèrent, comme M. Paul Molac l’a remarquablement exprimé tout à l’heure, que c’est l’un des derniers droits des députés de la République.

Et puis, au-delà de la loi constitutionnelle, je le dis à mon ami Richard Ferrand, il y a la loi organique ; et, derrière la loi organique, il y a la loi ordinaire et le redécoupage électoral. Celles et ceux qui auraient pu un instant penser que de nobles idées pouvaient animer la majorité actuelle seront déçus. Vous auriez pu adhérer au principe, qui existe dans d’autres démocraties, selon lequel le redécoupage électoral relève d’autres autorités que le président du groupe parlementaire La République en Marche et du délégué général de La République en Marche, et notamment d’experts – en aménagement du territoire, en géographie et en économie. Chaque fois que nous avons fait cette proposition, M. François de Rugy et d’autres l’ont récusée.

Quant aux lacunes, le texte ne contient rien sur l’accompagnement de la construction européenne, rien sur l’État ni son action – cela a été dit par d’autres tout à l’heure. Or, si la France est malade de quelque chose, c’est de son État et de l’organisation de celui-ci sur le terrain, de l’absence de réponse des pouvoirs centraux. Et il n’y a rien dans le texte pour codifier ou réorganiser cela.

Dernier point, le décentralisateur obstiné que je suis voit que le texte est silencieux sur l’autonomie financière des collectivités – je suis jaloux de l’Espagne ! Il n’est fait référence qu’à la Corse mais pas à la capacité à innover sur les territoires. C’est un rendez-vous manqué.

M. Christophe Euzet. Nous avons beaucoup dit que l’heure est grave. Je crois surtout qu’elle nous oblige, collectivement.

Nous ne sommes pas en train de faire table rase du passé, nous sommes non pas le constituant originaire mais le constituant dérivé, c’est-à-dire que nous travaillons dans le cadre d’un texte constitutionnel qui guide la procédure et nous dit où nous devons aller.

On ne doit pas le faire, comme l’a dit Montesquieu, « la main tremblante » mais la main assurée, au sens collectif et « alpinistique » du terme, si j’ose dire, c’est-à-dire en s’assurant les uns les autres. En se prononçant pour une volonté politique raisonnable, comme celle qui se donne à lire dans le projet qui nous est soumis, les Français ont appelé à un projet de réforme, ils ont dit non au statu quo et au conservatisme, ils ont dit non à la politique de la table rase. Ils se sont prononcés pour une réforme raisonnée et raisonnable, pour un texte cohérent, comme celui qui nous est proposé aujourd’hui, qui préserve – je crois que ce point fait consensus – la logique de la Ve République et même l’améliore à de multiples égards et doit être regardé, pour être perçu dans toute sa cohérence, avec les textes qui suivront : la loi organique, les lois ordinaires et, probablement, les modifications des règlements des assemblées.

Reste à savoir si ce texte est équilibré. Il répond à des promesses de campagne du candidat devenu Président de la République, avec des toilettages nécessaires sur lesquels tout le monde, ici, s’accorde, qui concernent le Conseil supérieur de la magistrature, la Cour de justice de la République, le Conseil constitutionnel, le CESE et le droit à la différenciation, avec un souci d’efficacité auquel nous souscrivons quand même tous. Reconnaissons au-delà des postures qu’on peut faire des choses et améliorer la qualité de notre travail. Et puis peut-être nous incombe-t-il de nous pencher sur la préparation et le déroulement du travail législatif, ainsi que sur l’évaluation de l’action du Gouvernement. Tout cela demandera des compromis. Il faut être raisonnable, cohérent et équilibré et chercher le consensus en nous disant que nous travaillons, comme disait Paul Valéry, pour ceux qui viennent après nous.

M. Aurélien Pradié. Puisque nous sommes au stade des généralités, je voudrais en partager quelques-unes.

Au fond, l’excès de mots peut susciter deux soupçons. Il peut être soupçonné de cacher le vide. Je ne pense pas que nous puissions considérer que l’excès de certains mots, récurrents dans la bouche des députés de la majorité, notamment le mot d’efficacité, cache un vide. En l’espèce, il y a de la matière dans cette réforme-là. La deuxième option, c’est que l’excès de mots cache une manœuvre bien peu avouable du point de vue de la démocratie et du point de vue de l’opinion publique. Je pense que c’est là votre option. Au fond, votre option, c’est – vous le faites depuis un an – de mettre des mots faciles, sur des choses qui jusqu’à présent étaient inquiétantes mais qui, cette fois, sont graves car elles touchent à un patrimoine, le patrimoine commun de ceux qui sont tout et de ceux qui ne sont rien : nos institutions.

Je pense que votre excès de mots méritera, durant tous ces débats, que nous l’analysions avec un peu d’attention. Je ne supporte plus le culte idéologique de l’efficacité : c’est tout à fait insupportable parce que c’est la négation même de ce que nous sommes, chacune et chacun. C’est la négation même de ce qu’est la politique.

Vous prétendez ne porter aucune idéologie… Vous portez une idéologie épouvantable : celle de la seule efficacité ! Il y a quelques mois, alors que nous venions d’arriver à l’Assemblée nationale, nous avions un débat sur le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance et la garde des Sceaux prononçait une phrase qui ne me quitte pas depuis le début de nos débats, il y a un an. On l’avait interrogée pour savoir où elle voulait en venir. Elle avait répondu ceci : « Je veux en revenir à la pureté de l’Assemblée nationale. » Il y a là, dans ce texte, cette signature : vous voulez en revenir à la pureté de l’Assemblée nationale. Or la pureté et la démocratie c’est une contradiction, c’est un mélange de deux notions qui n’ont jamais fait bon ménage. L’Assemblée nationale, le Parlement doit rester le lieu des aspérités, le lieu des représentations de notre pays et de notre nation. Ce texte nous permettra de démasquer l’idéologie profonde qui ne vous quitte pas depuis un an.

Mme Paula Forteza. Outre notre travail sur la question de l’équilibre des pouvoirs et de la procédure parlementaire, nous avons la responsabilité de travailler sur une constitution moderne qui répond aux enjeux de notre temps et aux attentes des citoyens. Pour y parvenir, nous devons traiter au moins trois sujets : l’environnement, les nouveaux défis du numérique et la participation citoyenne.

Je laisserai d’autres, plus experts que moi, s’exprimer sur l’environnement, mais je sais que les débats vont dans le bon sens.

Quant au numérique, je vous proposerai dans quelques heures une charte du numérique, sur le modèle de la Charte de l’environnement, que nous avons préparée dans le cadre du groupe de travail réuni par les présidents de nos deux assemblées, composé de députés et de sénateurs de tous bords. Nous avons réfléchi à quelques droits assez généraux que nous pouvons inscrire dans la Constitution. Il est vrai qu’aujourd’hui l’exercice de certains droits et de certaines libertés fondamentales est conditionné par l’accès et la maîtrise du numérique. Nous avons aussi une occasion d’affirmer une vision française du numérique qui revient aux fondamentaux d’un numérique neutre, ouvert et non centralisé, tous principes aujourd’hui contestés partout dans le monde.

Quant à la participation citoyenne, je sais que madame la rapporteure proposera une réécriture des dispositions relatives au CESE. Je voudrais vraiment que nous traitions cette question avec beaucoup de sérieux, notamment en ce qui concerne l’impact sur la décision politique des nouveaux dispositifs que nous mettons en place, comme la pétition citoyenne, et l’articulation entre le CESE et les assemblées représentatives sur cette question.

Mme Marie-France Lorho. Chers collègues, ayant médiocrement apprécié certaines évolutions récentes, je suis heureuse de participer à ce débat sur la réforme de nos institutions. Du non-cumul des mandats au parquet national financier, les débats font encore rage sur la pertinence des choix récents, j’ai donc déposé un certain nombre d’amendements sur ce texte.

Je dois dire d’abord que l’entrée en matière de l’exposé des motifs me semble pour le moins présomptueuse : « En se rendant aux urnes au printemps 2017, les Français ont exprimé une volonté profonde de changement de notre vie politique. » Alors que notre auguste commission a pour devoir de fabriquer la loi avec la prudence de l’universalité nécessaire, cela me semble inadapté. Faudrait-il en effet considérer que les électeurs du Front national ou même ceux des autres partis pour les candidats desquels les Français ont voté au premier tour ne voulaient pas de ce changement ? Cela reviendrait, je crois, chers collègues, à entrer en contradiction avec l’objectif initial d’un projet de loi « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ».

À titre personnel, je suis opposée aux trois réformes majeures envisagées. J’ignore en effet quels sont les terroirs de nos pays qui ne sont pas assez singuliers pour être représentés par un député et je suis convaincue que cette réforme actera encore plus la domination par la France citadine de la France rurale. Je pense que les lois sur le non-cumul des mandats ne prouvent pas leur efficacité et qu’au-delà d’une communication médiatique sur le renouvellement de l’Assemblée rien n’a changé dans la réalité des chambres parlementaires. Enfin, je suis sceptique sur le mode de scrutin proposé. En fait de proportionnelle, les précautions prises contre le risque avéré de donner l’avantage aux gros partis politiques sont insuffisantes.

Plus globalement, chers collègues, je pense que notre démocratie souffre de deux choses – et je m’appuie sur le rejet massif qu’expriment les Français devant deux institutions pour corroborer mon propos. Les Français sont exaspérés par l’absence de diversité médiatique et la concentration des médias aux mains de quelques personnes. Je rappelle que les orientations politiques des patrons de presse ont largement transpiré lors des dernières élections et que ce fut largement dénoncé par nos compatriotes. Je crois qu’ils sont aussi exaspérés par la dictature des partis politiques. Les aléas des primaires, le rejet des mouvements historiques et le sentiment d’une absence de pluralité dans les solutions proposées sont évidents. Je me pose donc une question : n’avez-vous pas l’impression de présenter un texte qui intéresse surtout les intérêts de la classe politique plutôt qu’il ne prend vraiment en considération les désirs du peuple ?

Mme Marietta Karamanli. J’adhère à nombre des propos qui ont été tenus, mais je poserai simplement deux questions aux rapporteurs.

Il est proposé d’ajouter à l’article 34 de la Constitution définissant le domaine de la loi les mots « et de l’action contre les changements climatiques ». Depuis le 1er mars 2005, la première phrase du préambule de la Constitution dispose tout de même que « Le peuple français proclame solennellement son attachement […] aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ». Pensez-vous vraiment que l’ajout proposé aujourd’hui conduise le Gouvernement à une meilleure prise en compte des enjeux climatiques ? Je me permets de vous le demander car, malgré la référence à l’environnement qui figurait déjà dans le texte constitutionnel, l’exécutif s’est opposé, récemment, à l’inscription dans le texte de la loi sur l’agriculture actuellement examiné par le Parlement de l’interdiction de certaines substances dangereuses pour la santé et l’environnement, pourtant proposée par de nombreux députés.

Par ailleurs, la diminution du nombre de députés et sénateurs pose question. Notre pays sera celui des pays développés qui compte le moins de parlementaires, alors même que l’enjeu est de pouvoir contrebalancer ce que veulent Paris et quelques élites que dénonçait d’ailleurs le candidat devenu chef de l’État. Je note que les comparaisons nous placent actuellement derrière le Royaume-Uni. Après la réforme, nous serons derrière l’Allemagne, qui, elle, compte par ailleurs seize Länder, dotés chacun d’un Gouvernement et de députés, seize Länder qui exercent des compétences que n’exerce pas l’État fédéral – la police, l’éducation, l’aide sociale. C’est un peu comme si nos régions avaient aujourd’hui la possibilité d’avoir de vrais députés. Ces parlementaires des Länder votent l’équivalent de 40 % du budget. Que répondez-vous donc à cette comparaison ?

M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur les différentes interventions qui ont été faites sur l’orientation fondamentale de ce projet de loi constitutionnelle, qui consiste en un affaiblissement du pouvoir législatif – c’est central, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans les débats.

Quelques mots sur les questions environnementales, j’ai participé en 2004 à l’écriture de la Charte de l’environnement. C’était un débat passionnant. D’ailleurs, quand on a été député et qu’on retrouve dans le texte des amendements qu’on a pu faire adopter, on éprouve une forme de satisfaction personnelle.

Nous avons beaucoup réfléchi, au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine : fallait-il ou non toucher à la Charte de l’environnement ? Il faut être très attentif à ce que certains articles ne soient pas « bousculés », notamment l’article 5 sur le principe de précaution qui a beaucoup été attaqué. Si on y portait atteinte, cela aurait, je crois, beaucoup de conséquences extrêmement négatives.

Cependant, certaines formulations de cette Charte de l’environnement doivent être revues. Le texte de l’article 1er, selon lequel « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », me semble devoir évoluer. C’est pour cette raison que nous défendrons – et sans doute d’autres avec nous – un amendement qui évoque plutôt « un environnement qui préserve les équilibres écosystémiques, la biodiversité et la santé humaine ». En 2004, nous n’abordions pas la question ainsi. Il faut tenir compte de cette évolution. En modifiant la Charte de l’environnement, nous marquerons des avancées.

De même, promouvoir un développement durable supposait, selon la lettre de la Charte de 2004, de concilier « la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». Il faut être très attentif à ce que recouvre le développement économique. Aujourd’hui, il est plutôt question de transition écologique et de conciliation du progrès social avec la protection et la mise en valeur de l’environnement, tandis que c’est au nom de l’économie que de nombreuses atteintes sont portées à l’environnement.

M. Jean-Michel Clément. Rapporteur du groupe de travail sur la procédure législative, ayant entendu de nombreux intervenants, je crois que ce qui ressort le plus c’est la volonté partagée de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Depuis 1958, toutes les réformes constitutionnelles n’ont fait que renforcer le pouvoir exécutif. Nous avons atteint un point de non-retour, et il est temps de procéder à un rééquilibrage. Les trois textes que nous devrons examiner successivement – projet de loi constitutionnelle, projet de loi organique et projet de loi ordinaire – devront s’inscrire dans cette démarche de renforcement du pouvoir parlementaire. Sinon, notre démocratie en sera affaiblie. Selon moi, la réforme constitutionnelle sera réussie si on peut mesurer comment effectivement nous avons rééquilibré les pouvoirs – je n’entre pas dans les détails pour l’instant.

Quant à l’article 34, je défendrai, le moment venu, un amendement pour évoquer une notion bien particulière. En ce début du XXIe siècle, l’urgence, selon moi, est de donner leur pleine mesure à la justice et à la liberté. Face à la démesure, il appartient à l’État de droit de prévenir cette distribution inégale des droits et devoirs qui met aux prises des populations humaines soucieuses de leur développement avec des puissances privées habiles à réclamer et à profiter des limites que le Parlement se voit sommé de fixer à ses propres initiatives. Comment justifier aujourd’hui notre incapacité à légiférer pleinement afin de sanctionner le travail des enfants dans les manufactures du bout du monde, d’assurer une souveraineté alimentaire, de protéger la biodiversité, de lutter contre le changement climatique ou encore d’abolir le privilège qu’ont les puissants de se soustraire à l’impôt ? Le temps est venu de poser démocratiquement des limites à la puissance privée pour qu’elle se déploie dans le respect de l’intérêt général, des limites qui donnent un sens humain à l’extraordinaire potentiel d’innovation de l’esprit d’entreprise. Une réforme sage et mesurée de notre Constitution est devenue une urgence, dans l’esprit de ce que d’autres pays européens connaissent déjà. Cette réforme pourrait prendre la forme d’une précision apportée à l’article 34 de notre Constitution.

M. Stéphane Mazars, président. Chers collègues, nous aborderons l’examen des articles ce soir, lors de notre prochaine réunion. Je vous remercie.

La réunion s’achève à 19 heures 20.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Dunoyer, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Jumel, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Stéphane Mazars, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, Mme Maina Sage, M. Hervé Saulignac, M. Jean Terlier, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Cédric Villani, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - M. Jean-Michel Fauvergue, M. Mansour Kamardine, M. Philippe Latombe, Mme Alice Thourot, M. Manuel Valls

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Delphine Batho, M. Thierry Benoit, M. Christophe Blanchet, M. Guy Bricout, M. Moetai Brotherson, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. André Chassaigne, M. Jean-Michel Clément, M. Paul-André Colombani, M. Pierre Cordier, M. Charles de Courson, Mme Virginie Duby-Muller, M. M'jid El Guerrab, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Claude de Ganay, M. Christophe Jerretie, Mme Brigitte Kuster, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Constance Le Grip, M. David Lorion, M. Jacques Marilossian, M. Bertrand Pancher, Mme Christine Pires Beaune, Mme Barbara Pompili, Mme Isabelle Rauch, Mme Hélène Vainqueur-Christophe