Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

          Suite de l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau, rapporteurs).                            2

 

 

 


Mercredi
27 juin 2018

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 92

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
M. Didier Paris,
Vice-président


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La réunion débute à 21 heures.

Présidence de M. Didier Paris, vice-président.

La Commission poursuit l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911) (M. Richard Ferrand, rapporteur général, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau, rapporteurs).

M. Didier Paris, président. Nous reprenons l’examen du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.

Avant l’article 1er (suite)

La Commission examine l’amendement CL1384 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit d’introduire au rang constitutionnel l’idée que le principe d’égalité devant la loi ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes – une doctrine du Conseil constitutionnel.

On sait très bien qu’il existe des interprétations abusives du principe d’égalité, aussi bien de la part des collectivités locales que des parlementaires. Elles tendent à en faire un principe égalitariste ou uniformisant. Il nous semble nécessaire, et plus clair, d’inscrire ce principe dans la Constitution, afin d’éviter toute interprétation abusive et de pouvoir le mettre en œuvre dans le cadre de politiques publiques.

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’ai déjà indiqué que notre travail ne pouvait consister à codifier la jurisprudence constitutionnelle. Régler des situations différentes de façon différente est précisément l’objet des articles 15, 16 et 17, que nous examinerons plus tard. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL1016 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement vise à insérer un alinéa à l’article 1er pour protéger et promouvoir les biens communs. Le système économique actuel a transformé l’ensemble des biens en marchandises, notamment les éléments indispensables à la vie comme l’eau ou les semences – les États généraux de l’alimentation ont permis des débats intéressants sur ces questions –, ainsi que les services essentiels au bien-être des peuples, comme le droit au transport, à l’éducation ou à la santé.

Une réflexion partagée avec des économistes et des professeurs de droit nous a amenés à considérer qu’inscrire la question de la protection, de la promotion et de la gestion démocratique des biens communs dans la Constitution était un élément de nature à préserver la notion de service public à la française.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons déjà eu le débat sur les biens communs et leur inscription dans la Constitution. Mon avis reste le même, défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL318 de M. Paul Molac, CL1062 de M. Michel Castellani, CL1253 de M. Jean-Félix Acquaviva, les amendements identiques CL320 de M. Paul Molac et CL1072 de M. Michel Castellani, les amendements CL319 de M. Paul Molac, CL1224 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL1315 de Mme Maina Sage et CL1218 de M. Moetai Brotherson.

M. Paul Molac. Il s’agit de supprimer le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, « La langue de la République est le français. » Ajouté par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, soi-disant pour lutter contre l’anglais, il a principalement servi à lutter contre les langues régionales grâce à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel.

Accoler la notion de langue à celle de République revient à ethniciser celle-ci. C’est d’ailleurs ce que demandait Guy Carcassonne : « la République a-t-elle besoin d’une langue ? ». Si c’est le cas, il n’est pas nécessaire que cette langue soit placée au-dessus des autres. Si, dans le cadre de la laïcité, l’État reconnaît toutes les religions, il ne reconnaît qu’une langue dans la Constitution. On peut très bien comprendre la nécessité d’une langue commune, mais lui donner un statut supérieur et se servir de ce statut pour empêcher les autres langues d’exister est une mauvaise chose.

Je vous invite à ne pas sous-estimer cette question. Le français n’est pas la langue maternelle d’un certain nombre d’entre nous. Imposer le français sans reconnaître la langue maternelle des personnes revient à ethniciser la notion de République.

M. Michel Castellani. Notre amendement vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots : « et les langues régionales sont reconnues comme co-officielles, l’État s’engageant à leur développement ». Vous savez que ces langues risquent de s’éteindre et que leur sauvegarde est un enjeu essentiel, reconnu comme tel par l’État lors de la signature de la charte européenne des langues régionales.

J’ajoute que les députés de Corse ont été élus sur ce programme. Nous sommes donc très fiers de défendre cet amendement qui, bien évidemment, ne concerne pas que la langue corse, mais toutes les langues régionales.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’amendement vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots : « dans le respect des langues régionales qui appartiennent au patrimoine historique et culturel de la France. ». L’article 75-1, « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » ne garantit à ce jour aucun statut qui permettrait le sauvetage de ces langues ; il est quelque peu décoratif.

Inscrire à l’article 2 que le français n’est pas exclusif des autres langues permettrait de défendre, au niveau législatif, un statut qui garantirait à la fois le sauvetage de langues en extinction, les droits des locuteurs à en user, y compris dans la sphère publique. La langue n’est pas une religion, elle ne peut être traitée comme la laïcité traite les religions : il s’agit d’identité, non de croyance.

Ce débat, récurrent, a déjà eu lieu en 2008 avec l’adoption de l’amendement dit « Warsmann ». Nous n’avons que faire des contingences qui obligent à obtenir un accord du Sénat sur la réforme constitutionnelle quand il s’agit de sujets aussi importants que l’environnement ou la question de l’identité. J’ajoute qu’une république désincarnée, où les individus seraient substituables de Lille à Bonifacio, comme s’ils étaient identiques en tous points, ne saurait s’enraciner au sein de ses populations.

M. Paul Molac. L’amendement CL320 est un amendement de repli par rapport à l’amendement CL318. Il vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots : « dans le respect des langues régionales de la France ». Toutes les langues régionales de France sont classées par l’Unesco en grand danger d’extinction, sauf le basque. Sa vigueur est surtout due à la politique menée dans la communauté autonome du Pays basque, où il jouit d’un véritable statut, où deux chaînes de télévision au moins émettent en basque et où l’enseignement bilingue basque-castillan est généralisé.

L’article 2 de la Constitution est régulièrement invoqué par des fonctionnaires pour refuser toute mention des langues régionales. Il faut bien souvent batailler, ne serait-ce que pour faire coexister la langue régionale à côté du français, conçu comme langue exclusive de la République. Le Conseil constitutionnel a indiqué que les traductions pouvaient être acceptées, mais il faut bien souvent engager une épreuve de force avec l’administration pour obtenir une inscription des langues régionales.

M. Michel Castellani. En somme, avec cet amendement identique à celui de M. Molac, il s’agit de déplacer les langues régionales de l’article 75-1 à l’article 2. Il me semble important de signaler que la langue corse a été, pendant des siècles, et pour beaucoup, un moyen d’intégration et non de ségrégation.

M. Paul Molac. Avec ce nouvel amendement de repli, le CL319, nous proposons de compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par la phrase : « La République reconnaît les langues régionales. ». L’objet est de permettre à ces langues d’obtenir un statut. Elles pourront ainsi être enseignées, présentes dans la signalétique et dans les médias. Les vecteurs qui portaient autrefois ces langues n’existent plus, le monde a changé ; il faut les remplacer par de nouveaux afin de pérenniser ces langues.

Il n’est pas question de faire du monolinguisme en langue régionale, mais de faire en sorte que les sociétés soient plurilingues, associant aussi les langues étrangères. Le but est de préserver notre diversité et notre patrimoine sans s’enfermer dans une seule langue. Une éducation plurilingue est possible, ainsi que le montrent les exemples gallois ou irlandais. Je pense que la France aurait tout intérêt à emboîter le pas des pays européens déjà avancés dans cette pratique. Pour cela, nos langues régionales doivent avoir un statut.

M. Jean-Félix Acquaviva. Dans la lignée de l’amendement précédent, cet amendement vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par la phrase : « Les langues régionales sont reconnues et leur statut est déterminé par la loi. ». C’est la volonté politique et juridique de sauver et développer ces langues qui manque.

Élément de richesse pour la République, ces langues ne viennent pas contrarier le français, loin s’en faut, mais enrichir la société plurilingue. Elles ont même une utilité sociale et économique, notamment dans les zones frontalières, comme l’Alsace ou la Corse, car elles participent au développement des territoires. Il me paraît donc important d’insister sur la notion de statut et de rappeler que le budget de promotion des langues régionales en France est de 400 000 euros, ce qui montre le peu d’intérêt porté à la question.

M. Paul Christophe. L’amendement CL1315 vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 par la phrase : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. », ainsi qu’à abroger l’article 75‑1 de la Constitution.

Il a fallu attendre la révision constitutionnelle de 1992 pour voir apparaître au sein de la norme fondamentale une disposition consacrée à l’usage d’une langue. Adopté pour lutter contre le recul de la langue française au profit de la langue anglaise, le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution ne soulève pas moins la question du statut et même de l’exclusion éventuelle des autres langues parlées sur le territoire de la République.

L’insertion dans la Constitution de la disposition consacrant l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la France a été opérée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, par adjonction d’un nouvel article 75-1. Si cette disposition avait pour objectif de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, l’avis du Conseil d’État du 7 mars 2013 a rendu cet article inopérant, tendant à muséifier les langues régionales, pourtant très présentes en métropole et dans les outre-mer.

Sans remettre en cause le fait que le français est la langue de la République, il est nécessaire de replacer la mention des langues régionales à la seule place adéquate de notre Constitution, l’article 2.

M. Moetai Brotherson. Il s’agit d’insérer après le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution l’alinéa suivant : « Les langues régionales des territoires au sein de la France sont reconnues comme celles de la République sur ces territoires. La loi organique liste les langues régionales qui sont reconnues selon les territoires. »

Je sais bien que cela n’est pas du tout dans la tonalité de nos discussions, mais je suis lassé d’entendre cette approche obsolète, d’observer la République arc-boutée sur la notion de langue officielle unique, à l’heure où 54 nations comptent plusieurs langues officielles et s’en sortent très bien, à l’image de la Nouvelle-Zélande. Je ne sais pas si vous avez vu récemment jouer les All Blacks : il ne leur est pas nécessaire de parler une langue officielle unique pour se sentir appartenir à leur nation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous partageons la volonté de conserver, promouvoir et développer les langues régionales. Pour ce faire, les moyens mis en œuvre, auxquels certains d’entre vous ont fait référence, relèvent moins de la Constitution que de dispositifs législatifs.

Un certain nombre d’amendements développent la notion de co-officialité de la langue régionale. Celle-ci suppose que la maîtrise d’une de ces langues devienne une condition d’accès à un emploi public ou que des actes juridiques puissent être dressés dans ces langues, ce qui rendrait leurs effets difficiles dans d’autres régions. Je ne rappellerai pas les articles que nous avons déjà cités à maintes reprises et qui seraient en contradiction avec un certain nombre de vos propositions.

M. Acquaviva a dit que les habitants de Lille ou de Bonifacio n’étaient pas substituables. Personne n’a dit le contraire ! Personne n’a dit qu’il n’y avait pas de différenciation, ou qu’il ne fallait pas aller plus loin dans la différenciation pour reconnaître la spécificité des Lillois ou des Bonifaciens. Nous aurons ce débat à l’occasion de l’examen des articles 15, 16 et 17.

Enfin, monsieur Christophe, je ne vois pas en quoi abroger l’article 75-1 et compléter l’article 2 changerait les choses. Si nous commençons à distinguer les langues à l’article 2, alors il faudra le faire sur d’autres sujets. Il faut conserver sa force à l’article 2. L’article 75-1 permet de reconnaître la valeur patrimoniale des langues et il semble à la bonne place, même si certains indiquent que son application peut poser problème. Nous aborderons peut-être tout à l’heure la question des hymnes : rien n’empêche que l’on ait à la fois un hymne national et d’autres hymnes, au travers desquels s’exprime la diversité. Personne ne l’a jamais empêché. Il n’est nul besoin d’inscrire dans la Constitution des choses qui sont de l’ordre de la pratique. Avis défavorable sur l’ensemble des amendements.

M. Julien Aubert. Cette discussion mêle des amendements qui ne sont pas de même nature. Il y a pour moi une différence évidente entre l’amendement de M. Molac, qui vise à supprimer la mention de la langue française comme langue officielle, et d’autres amendements, qui proposent plutôt de développer les langues régionales.

Comme cela a été dit, le problème, ce sont les moyens et l’ardeur que met l’État au service de la protection et du développement de ces langues. Ce n’est pas parce que l’on aura modifié la Constitution que cela changera les politiques publiques.

Je ne peux pas ne pas critiquer l’argumentation de M. Molac qui nous a expliqué que la proclamation d’une langue officielle revenait à ethniciser la République. C’est parfaitement faux : les Africains parlent français ; le français n’est pas la langue d’une ethnie. En revanche, il ne faut pas confondre le multiethnique et le multiculturel. Effectivement, la langue est l’expression d’une culture et l’on peut considérer que nous partageons une partie de notre culture avec les pays francophones.

République vient du latin res publica, chose commune. Si nous ne sommes plus capables d’avoir quelque chose en commun, à commencer par la langue qui nous permet d’échanger, que reste-t-il de la République ?

D’un vièi pople fièr e libre / Sian bessai la finicioun – D’un ancien peuple fier et libre /Nous sommes peut-être la fin – dit l’hymne provençal Coupo Santo. De fait, de tels amendements signeraient peut-être la fin de la République. Je vous mets en garde contre la volonté de breveter ou de labelliser les langues régionales. En Provence, un débat dure depuis 1905, qui voit s’affronter ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une langue d’Oc et ceux qui distinguent deux graphies et deux parlers, le mistralien et la norme classique. Donner un statut à telle ou telle langue régionale supposerait d’entrer dans des détails linguistiques fort compliqués. Ces amendements constituent une atteinte à la République et à l’unicité de la nation, ils sont très dangereux.

M. Sacha Houlié. M. Molac a fait un parallélisme avec la constitution espagnole qui reconnaît plusieurs langues. Cela s’explique par la résistance dont ont fait preuve les Galiciens, les Basques ou les Catalans à l’époque du franquisme. La création des statuts – Estatutos – a eu pour effet de renforcer les identités locales et d’exacerber le pouvoir local à l’encontre du pouvoir national, donc de créer plus de problèmes encore. Dans la pratique, cela a mené à une dissension entre une Constitution unitaire et un pouvoir profondément fédéralisé, sans que cela transparaisse dans l’écriture ou dans l’application de la loi fondamentale.

Je ne me ferai pas plus chiraquien que ne le sont les chiraquiens sur ce sujet – c’était un engagement du Président de l’époque. Je note simplement que la non-reconnaissance des langues régionales à l’article 2 de la Constitution n’empêche pas leur existence : elles sont enseignées, affichées sur de nombreux panneaux de signalisation, en Bretagne, au Pays basque ou en Corse. J’y vois le signe d’une convivance, pour reprendre un hispanisme, de deux langues, en cohérence avec nos dispositions constitutionnelles.

M. Erwan Balanant. Cher collègue Paul Molac, vous connaissez mon intérêt pour la langue bretonne et pour les langues régionales en général. Cependant, je suis circonspect au sujet d’une éventuelle suppression du français comme langue de la République. Bien que je sois amoureux de la langue bretonne, je suis en effet attaché à l’idée que le français est la langue de la République.

Quant à transférer, comme le suggère notre collègue Paul Christophe, le contenu de l’article 75-1, relatif à la reconnaissance des langues régionales, vers l’article 2, qui définit aujourd’hui la langue de la République, l’idée me semble intéressante. Même si les langues régionales sont désormais reconnues, il n’a pas été si simple de mettre en place des panneaux routiers bilingues. De même, les réseaux d’enseignement bilingue français/breton connaissent des difficultés parce que les politiques publiques ne sont pas mises en œuvre. À Quimper, la semaine dernière, le Président de la République s’est tout de même engagé à soutenir ces filières de langue régionale.

Pour ma part, je voterai en faveur de la proposition de M. Paul Christophe.

M. Pierre Dharréville. Nous portons nous aussi un intérêt au débat qui s’amorce sur la place des langues régionales. Dans l’histoire de notre pays, ce sujet a parfois été traité avec une forme d’autoritarisme qui a laissé des traces. Nous pensons qu’il vaut mieux faire une force de cette richesse que constitue la diversité linguistique. À travers les langues, ce sont différentes manières de dire le monde qui se rencontrent. Reconnues à leur juste place, les langues régionales peuvent tout à fait contribuer à renforcer la République.

Il me semble que nous pourrions examiner plus finement les différents amendements proposés à ce sujet, pour faire le meilleur choix entre eux.

M. Paul Molac. Monsieur Aubert, la Confédération helvétique a quatre langues officielles, mais n’en constitue pas moins une nation. À l’inverse, Serbes et Croates parlent la même langue, mais cela ne les empêche pas de se détester cordialement. Cela nous montre que la République et la langue sont deux choses différentes.

Je pose la question de la pérennité de ces langues et de la nécessité de les sauvegarder. J’attends des réponses claires. Car je pense que nous ne pourrons nous passer d’un recours à la loi, en particulier pour pérenniser des filières d’enseignement.

Je remets en cause, non pas la langue commune, car il en faut bien une, mais les pratiques qui font qu’aujourd’hui, les langues régionales sont en voie d’extinction comme l’Unesco le reconnaît.

M. Didier Paris, président. La discussion est close. Pour la suite de nos débats je propose que les interventions en réponse au rapporteur n’excèdent pas une minute.

M. Sébastien Jumel. Nous ne sommes pas d’accord. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il s’agit tout de même de la réforme de la Constitution…

M. Didier Paris, président. Je vous en prie, vous avez largement le temps de vous exprimer quand vous présentez des amendements.

M. Sébastien Jumel. Une révision de la Constitution implique la souveraineté des parlementaires que nous sommes. Elle implique qu’on prenne le temps qu’il faut pour examiner un texte qui engage la République dans la durée. Le respect du Parlement – tant que votre réforme n’est pas allée jusqu’à son terme – nécessite que nous puissions défendre nos amendements et répondre au rapporteur, en se respectant les uns, les autres. Non aux oukases et au temps programmé ! Il n’est pas acceptable de bâillonner l’opposition sur ce sujet.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cela ne va pas du tout, monsieur le président. Vous glissez, vous dérivez... Nous attendons que vous vous ressaisissiez.

M. Sébastien Jumel. Je demande que les présidents de groupe se réunissent pour que nous examinions les conditions de déroulement de nos débats.

M. Didier Paris, président. En tant que président de séance, j’organise les prises de parole de la manière qui m’apparaît convenir. Il nous reste plus de 1 200 amendements à examiner. Vous disposez de deux minutes pour présenter vos amendements. En réponse à l’avis des rapporteurs, il apparaît logique de s’en tenir à une minute. Cela ne fait pas peser de contrainte excessive sur le droit d’expression qui est le vôtre. En outre, cette règle sera la même pour tous.

M. Sébastien Jumel. Je demande une suspension de séance.

M. Didier Paris, président. Il n’existe pas de droit de suspension de séance automatique à la commission des Lois. Permettez que nous poursuivions.

M. Sébastien Jumel. C’est inacceptable.

La Commission rejette, successivement, les amendements CL318, CL1062, CL1253, CL320, CL1072, CL319, CL1224, CL1315, CL1218.

Puis elle examine, en présentation commune, l’amendement CL1225 de M. Jean-Félix Acquaviva ainsi que les amendements CL1064 de M. Michel Castellani et CL1246 de M. Jean-Félix Acquaviva, qui sont en discussion commune.

M. Jean-Félix Acquaviva. Mes amendements portent sur la possibilité, pour une région, d’avoir un drapeau ou un hymne, qui leur donne une reconnaissance symbolique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous prenons le temps d’examiner tous les amendements, à un rythme raisonnable, et je vais ainsi prendre le temps de vous répondre.

Vos amendements touchent à une autre partie des dispositions de l’article 2 de la Constitution, celles qui concernent les drapeaux et enseignes. D’abord, ils entrent en contradiction avec le principe d’unicité de la République. En outre, votre amendement CL1225 n’évoque que les emblèmes des régions historiques alors que, dans une ville comme Marseille, on pourrait hisser aussi bien les couleurs de la Provence que le drapeau bleu blanc… Je relève ici une contradiction.

Les conséquences de cet amendement sont lourdes, alors que rien ne vous empêche, aujourd’hui, de hisser des drapeaux et d’entonner des hymnes à côté de ceux de la République française, sans enfreindre l’article 2. C’est d’ailleurs ce qui se pratique couramment en Corse.

M. Michel Castellani. Mon amendement porte également sur les hymnes régionaux. Ils ne bénéficient aujourd’hui d’aucune protection juridique même si personne n’interdit de les chanter. Ce sont pourtant des symboles qui nourrissent le sentiment d’appartenance régionale.

En Corse, l’hymne régional est chanté partout : dans les mariages, dans les enterrements, dans les matchs de foot… Il rassemble tous les Corses, quelle que soit leur origine ou leur sensibilité politique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il n’est besoin ni de la Constitution ni du juge constitutionnel pour vous livrer aux activités que vous venez de décrire. Vous ne trouverez pas d’occasion où elles ne seraient pas autorisées. Avis défavorable.

M. Paul Molac. Je voulais seulement apporter une précision. Quand un Président de la République se rend en Corse ou en Bretagne, il nous faut enlever le drapeau corse ou le drapeau breton. Les services du protocole refusent toute autre solution.

La Commission rejette, successivement, les amendements CL1225, CL1064 et CL1246.

Puis elle examine l’amendement CL543 de M. Éric Ciotti. 

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à renforcer, au sein de notre République, le principe de laïcité inscrit dans l’article 1 de notre constitution. Il est en effet remis en cause de manière quasi quotidienne. Menacé, il s’érode et s’altère.

C’est pourquoi cet amendement vise à ajouter à la devise de la République « Liberté, égalité, fraternité » la laïcité. Nous marquerions ainsi notre opposition à ceux qui estiment que certaines règles religieuses doivent être supérieures à la République. Cela apporterait une protection salutaire à notre société.

Aujourd’hui, la République est menacée par le communautarisme et par le terrorisme islamiste. Face à ces dérives, nous devons rappeler notre attachement à une laïcité exigeante, fidèle aux principes de 1905 sans être contradictoire avec notre histoire et notre identité chrétienne. La laïcité s’est d’ailleurs fondée en opposition à la religion catholique. Voilà l’équilibre qu’il faut préserver.

Alors que certains veulent imposer leur appartenance religieuse aux autres, dans l’espace public, au-delà de la sphère privée, nous devons, comme l’a fait M. Manuel Valls au sein de la majorité avec un courage que je veux saluer, réaffirmer l’expression de la laïcité. C’est un pilier de l’avenir de notre République. La remettre en cause nous exposera à de lourdes menaces.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’article premier de la Constitution fait état du fait que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Il affirme ainsi hautement le caractère laïc de l’État.

En outre, je ne souhaite pas revenir sur la devise de notre République, adoptée en 1848. Elle est sacrée, à mon sens. Les trois valeurs qui y figurent ne sont d’ailleurs pas sur le même plan qu’un principe comme la laïcité. Évitons donc un inutile mélange des genres.

Cela étant, je suis sûre que nous sommes tous attachés, dans cette salle, à défendre la laïcité. Récemment encore, la commission des Lois a créé une mission d’information sur la radicalisation qui s’intéressera notamment à la laïcité dans les services publics. Cela montre combien elle nous est chère. Mais il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la devise de notre République. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. L’idée peut paraître alléchante et intéressante. Sur un plan purement pragmatique, il faudrait cependant faire beaucoup de travaux pour changer tous les frontons…

Au sujet de la laïcité, le récent déplacement du Président de la République au Vatican a montré que le débat est loin d’être épuisé. C’est pourquoi nous avons déposé deux amendements visant à étendre le principe de la laïcité, certes déjà présent dans le texte constitutionnel. Nous voudrions ainsi qu’elle s’applique à tout le territoire de la République… Car il y a encore aujourd’hui, sur notre territoire, du personnel religieux qui est payé par le contribuable !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce point a été abordé lors du débat sur un amendement précédent, de sorte que la discussion a déjà eu lieu sur cette question-là.

M. Éric Ciotti. Je regrette, madame la rapporteure, la frilosité de la majorité sur ce thème. Vous devrez un jour sortir de l’ambiguïté dont le Président de la République veut se satisfaire. C’est un sujet grave. Le communautarisme menace la République et vous ne voyez rien, vous ne regardez rien, vous n’agissez pas… Je trouve cette pusillanimité extrêmement dangereuse et lourde de conséquences.

Dans ma circonscription, un principal m’a rapporté que des élèves de quatrième ont refusé de suivre, pour des raisons religieuses, un cours de sciences de la vie. Convoqués, les parents se disent impuissants… On voit les dégâts pour notre société. C’est pourquoi je vous conjure d’agir. Ne restez donc pas dans l’immobilisme actuel, qui est dangereux pour notre pays !

M. Erwan Balanant. Monsieur Ciotti, je ne comprends pas complètement votre position. Certes, je la partage totalement sur la question de la laïcité, mais vous ne pouvez défendre ainsi la laïcité tout en demandant, par d’autres amendements, que nous inscrivions dans notre Constitution la tradition chrétienne. Voilà un discours inaudible !

Certaines religions ne sauraient intégrer la laïcité tandis qu’une autre serait reconnue dans notre Constitution ? On ne peut tenir ce double discours.

M. Julien Aubert. Il y a un amalgame entre l’exercice de la religion – domaine sur lequel porte la laïcité, en marquant qu’on ne souhaite pas que la sphère publique soit envahie par une religion – et la reconnaissance d’une culture qu’on ne saurait changer. Il est en effet impossible de s’inventer une culture améro-indienne ou japonaise ! Notre culture est judéo-chrétienne. Il s’agit seulement de reconnaître des racines. Que cela nous plaise ou non, notre pays est marqué par la présence d’un héritage judéo-chrétien.

Mme Danièle Obono. « Nos ancêtres les Gaulois » ? Non, ce ne sont pas les miens !

M. Christophe Euzet. Je voudrais vous faire part de notre inquiétude quant à la tournure des débats, qui oscillent entre des commentaires de posture sur l’actualité du jour et des propositions de réfection totale de la Constitution par la gauche de la gauche de l’hémicycle.

Aurons-nous encore l’espace pour envisager le projet de révision constitutionnelle tel qu’il a été circonscrit par le Gouvernement ? Nous sommes censés le développer, non en nous comportant comme un constituant originaire qui aurait pour dessein de ficeler un texte en partant de zéro, mais en nous efforçant de le rendre plus moderne.

M. Ugo Bernalicis. Vos remarques n’ont aucun lien avec l’amendement en discussion !

M. Sébastien Jumel. Je vais m’exprimer calmement, mais avec la même fermeté. Limiter notre temps de parole est une chose, même si cela se fait dans des conditions qui me semblent inacceptables, mais c’en est encore une autre que de vouloir limiter notre capacité à réfléchir à la révision de la Constitution, en nous enfermant dans un cadre qui serait préalablement fixé par le Gouvernement !

Vous ne faites qu’anticiper sur les pleins pouvoirs renforcés qu’il est prévu de donner à une présidence hypertrophiée. Vous voulez priver le Parlement du pouvoir de faire la loi et de la modifier. Vous voulez cisailler la République en amputant les circonscriptions législatives, pour priver les territoires de représentants à l’Assemblée nationale. Et il faudrait discuter seulement des amendements que vous déposez ? C’est une plaisanterie ! En tout cas, c’est sans nous ! Car nous faisons comme bon nous semble.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL1065 de M. Michel Castellani. 

M. Michel Castellani. Il s’agit d’intégrer dans la Constitution la notion de « peuples » constituant la France. L’amendement vise ainsi à faire reconnaître la diversité des peuples composant l’unité de la France. Cette modification préciserait le principe d’unicité autour d’une souveraineté unie, mais exercée par des peuples différents qui font le choix d’adhérer à des principes communs.

Pour nous, la structure de l’État devrait reposer sur trois principes : la reconnaissance de la diversité, de l’unicité et de la diversité régionale à travers la décentralisation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL1426 de M. Paul-André Colombani. 

M. Paul-André Colombani. Je vous propose une modernisation de l’article 3.

Nous passerions d’une souveraineté nationale à une souveraineté populaire. Ensuite, nous préciserions que les modalités d’exercice de la souveraineté ne peuvent être seulement sous-entendues ou déduites, au risque de tomber dans la vision napoléonienne d’une Constitution « courte et obscure ».

La Constitution prévoirait que « Le peuple légifère par la voie du référendum et à travers ses représentants au Parlement européen et au Parlement national. Il rend la justice à travers les magistrats. » L’exécutif mettrait en œuvre ce que le peuple a décidé par la voie du référendum ou par la voix de ses représentants.

Dans une logique évolutive, les pouvoirs exécutif et législatif peuvent être exercés par l’État au niveau national ou par les collectivités au niveau local. Le pouvoir juridictionnel ne peut évidemment être exercé que par les magistrats. Enfin, le droit d’éligibilité est accordé à tous les citoyens de l’Union européenne établis en France, pour toutes les élections.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Dans plusieurs de vos amendements, vous réécrivez totalement les articles. C’est une démarche hardie ! Vos articles seraient d’abord beaucoup plus longs que les articles initiaux. Or, quand la Constitution bavarde, elle n’est pas efficace.

En outre, vous mettez en cause les principes établis depuis 1958 voire 1789. Or, nous n’entendons pas y toucher. Avis défavorable.

M. Julien Aubert. Cet amendement présente l’intérêt d’aborder le problème politique que constitue l’émancipation du juge. Mais il présente par ailleurs des contradictions.

La théorie de la souveraineté populaire est la doctrine qui a fondé, au début de l’histoire constitutionnelle de notre pays, l’idée de la démocratie directe. Cette théorie s’oppose à la souveraineté nationale, qui fait de la nation un concept abstrait, qui ne se réduit pas à une addition arithmétique de tous ceux qui forment le peuple.

Vous voulez donc revenir à l’an I de la République. Ce n’est pas forcément très moderne. Comme l’an II l’a montré, les résultats n’ont d’ailleurs pas toujours été très positifs. Cela revient à déclarer nulle et non avenue la démocratie représentative.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en présentation commune, les amendements CL1066 et CL1067 de M. Michel Castellani. 

M. Michel Castellani. Au premier alinéa de l’article 3 de la Constitution, les mots : « au peuple qui l’exerce par ses représentants » seraient remplacés par les mots : « aux peuples de France qui l’exercent par leurs représentants ».

En effet, la mention de peuple au singulier ne rend pas compte de la diversité des peuples en France. Le deuxième alinéa serait modifié dans le même esprit.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette, successivement, les amendements CL1066 et CL1067.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL1023 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et CL639 de M. Jean-Luc Mélenchon. 

M. Hervé Saulignac. Depuis longtemps, certains ont la volonté de rendre le vote obligatoire. C’est l’objet de cet amendement. Par ce moyen, nous combattrions l’abstention grandissante en France. Par ailleurs, nous renforcerions la légitimité démocratique des élus et des résultats des consultations.

M. Bastien Lachaud. Ce vote obligatoire s’inscrit dans une conception plus large que nous développerons dans les amendements ultérieurs. Le contrat social tisse des liens entre tous les individus qui composent la société française. Il se matérialise concrètement par l’action de l’État, des institutions publiques et des collectivités territoriales à tous les échelons. Les politiques publiques bénéficient à tous et sont élaborées par les détenteurs de mandats électifs, qu’ils soient exécutifs ou législatifs.

Le vote est donc le moment fondateur de l’action de ces pouvoirs qui influent sur notre vie. Aujourd’hui, nous voyons l’abstention massive. Dans ce contexte, le vote obligatoire devrait permettre de rappeler l’importance des scrutins. Cela serait complété par la reconnaissance du vote blanc et par une extension du vote à seize ans qui élargirait le corps électoral.

La mesure proposée n’est en rien révolutionnaire. Ce dispositif existe dans de très nombreux pays, tels que la Belgique, l’Australie ou le Brésil. Certes, le vote obligatoire n’est pas la panacée pour résoudre les problèmes de légitimité démocratique, mais c’est un élément central pour renforcer l’importance du vote dans notre société.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’ai toujours été très opposée au vote obligatoire car je ne crois pas qu’il constitue la bonne réponse à l’abstention. Mieux vaut donner aux électeurs l’envie d’exprimer leur choix dans les urnes. Ce n’est pas en rendant le vote obligatoire qu’on y parviendra, bien au contraire ! En n’allant pas voter, ils disent quelque chose qu’il faut entendre. Il ne faut pas brider cette forme d’expression qui consiste à ne pas aller choisir de candidat. Je trouve anti-démocratique d’obliger les électeurs à aller voter. Avis défavorable.

M. Julien Aubert. Pourtant, le texte de révision constitutionnelle propose d’écourter le nombre de mandats d’un élu, ce qui empêchera les électeurs souhaitant reconduire leur représentant de le conserver. On ne peut aimer ainsi l’obligation quand elle nous intéresse et la supprimer quand elle ne nous intéresse pas.

Il faut aussi marcher sur deux jambes. Si nous rendons le vote obligatoire, il faut aussi reconnaître le vote blanc. Les deux vont ensemble et doivent être votés conjointement.

Enfin, la Belgique a adopté le vote obligatoire. Mais elle l’a assorti de sanctions financières. Un électeur belge qui ne se rend pas aux urnes encourt une amende. La mesure ne serait donc pas du tout populaire. Nous devons réfléchir aussi aux conséquences concrètes.

Sur le principe, compte tenu du fait que nombre de nos aïeux sont tombés pour défendre le droit de vote, je suis assez favorable à l’amendement.

M. Ugo Bernalicis. M. Aubert, vous m’obligez à dévoiler la suite de nos amendements. Soyons clairs : nous ne concevons pas le vote obligatoire de manière isolée. Si nous rendons le vote obligatoire, le vote blanc doit être reconnu. Ceux qui ont envie de protester, de dire quelque chose doivent pouvoir le faire aussi en usant du vote blanc ; il doit même entraîner des conséquences.

Le vote obligatoire serait de nature à renforcer la participation et le contrat social. Frapperait-on d’une amende ceux qui ne votent pas ? On peut aussi songer à du travail d’intérêt général, à la participation à des journées de citoyenneté...

M. Sacha Houlié. Le premier des principes évoqués dans la devise constitutionnelle est la liberté, ce qui se traduit notamment par la liberté d’aller voter ou non. La Constitution est d’essence libérale, même si cette liberté n’exclut pas des régulations, notamment en ce qui concerne, monsieur Aubert, le cumul entre mandats exécutifs locaux et mandats législatifs ou le nombre de mandats successifs.

M. Philippe Gosselin. Les élections sénatoriales sont-elles antidémocratiques, si on songe que les grands électeurs sont tenus d’aller voter ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Les grands électeurs votent en raison de leur fonction et il s’agit d’un suffrage indirect. Si le vote n’était pas obligatoire aux élections sénatoriales, la représentativité du Sénat pourrait être contestée.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Gosselin, j’ajoute que les grands électeurs sont, dans la plupart des cas, désignés, c’est-à-dire qu’ils font le choix d’être électeurs. Il y a très peu de membres de droit.

M. Philippe Gosselin. Si : les conseillers régionaux et départementaux, les parlementaires…

M. Jean-Félix Acquaviva. La représentation nationale s’honorerait de permettre qu’on entre dans le cycle d’une société de droits et de devoirs. Les citoyens doivent avoir conscience de leurs droits comme de leurs obligations, dont le vote fait partie. Le vote est non seulement un droit et une liberté, mais aussi un devoir moral et collectif. Il est sain de donner cette réponse. C’est pourquoi nous sommes favorables au vote obligatoire, ce qui ne nous empêche pas d’explorer d’autres voies pour inciter à une participation plus forte.

M. Sébastien Jumel. Ce débat fait la démonstration que notre démocratie est malade. Il y a donc urgence à réparer le lien entre nos citoyens et la République. Inscrire des objectifs de démocratie participative dans notre Constitution aurait pu y contribuer. En créant les conditions d’une co-élaboration par les citoyens, nous ferions en effet la démonstration de l’utilité de l’engagement citoyen et du vote, comme de l’utilité d’avoir des représentants qui répondent aux questions posées.

En fait, votre projet va dans la direction opposée. Il va éloigner les citoyens toujours un peu plus des décisions qui les concernent, au plan territorial et au plan politique, notamment en privant leurs représentants de leur capacité à intervenir. Votre projet ne va donc qu’aggraver la crise.

Mme Cécile Untermaier. Je suis très réservée quant à l’idée de transformer un droit en un devoir. Il faut effectivement chercher plutôt la solution dans des institutions qui sachent parler aux citoyens.

Je rejoins le diagnostic de mon collègue Jumel. Il faut que nous travaillions, nous députés, de manière différente, en lien avec les citoyens. Plutôt que de les sommer d’aller voter, donnons-leur l’envie de le faire !

La Commission rejette, successivement, les amendements CL1023 et CL639.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL640 de M. Jean-Luc Mélenchon et CL1024 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Danièle Obono. Cet amendement est complémentaire du précédent. Il s’agit de reconnaître le vote blanc de manière autonome, comme suffrage exprimé et choix politique à part entière. Cela constituerait un progrès démocratique.

Lors du débat sur la moralisation de la vie politique, nous avions déjà formulé des propositions sur les modalités d’exercice du vote blanc. De manière générale, une élection qui n’aurait pas rassemblé plus de 50 % de suffrages exprimés d’électeurs et d’électrices inscrits serait invalidée, de manière que la volonté de l’électorat soit prise en compte. Cela éviterait les situations où l’abstention nuit à la légitimité des élus.

Au sein de la population, il y a une attente réelle au sujet de la reconnaissance du vote blanc, par-delà même le cadre favorable à une démocratie directe dans lequel nous exprimons cette revendication. En octobre 2016, 79 % des électeurs et électrices français étaient favorables à une reconnaissance du vote blanc, taux monté à 86 % en mars 2017.

M. Hervé Saulignac. Vous nous avez dit, madame la rapporteure, que ne pas voter est une forme d’expression. Monsieur Houlié, vous avez soutenu quant à vous qu’il s’agissait d’une liberté. Eh bien, il en va de même du vote blanc. Il s’agit de reconnaître cette forme de protestation comme expression d’un suffrage choisi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Madame Obono, vous avez raison de rappeler que nous avions déjà débattu du vote blanc lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique. Il a aussi fait l’objet d’un certain nombre de propositions de loi, qui prévoyaient d’y attacher des conséquences.

Si le vote blanc a pu faire l’objet de propositions de loi ordinaire, c’est qu’il ne s’agit pas, en soi, d’un sujet de nature constitutionnelle. Notre Constitution ne doit pas être le réceptacle de toutes les idées et réflexions que nous pourrions nourrir, si légitimes fussent-elles.

Quant au principe, le vote blanc est effectivement, monsieur Saulignac, une expression dont il faut tenir compte. Mais comment en tirer des conséquences sur l’élection d’une personne qui n’aurait pas recueilli le nombre de suffrages suffisant à vos yeux pour disposer de la légitimité nécessaire ? Je pense au contraire que nous tirons notre légitimité du fait que la majorité des exprimés s’est portée sur nous. Même si des électeurs ne souhaitent pas se prononcer sur tel ou tel candidat, cela ne remet pas en cause la valeur de nos élections. Je ne crois pas qu’un nombre important de votes blancs puissent valablement invalider une élection, alors que c’est ce que vous proposez.

Avis défavorable.

Mme Alice Thourot. Dans un pays de liberté, il est dommage de ne pas choisir car cela équivaut à laisser les autres choisir.

Il est dit dans l’amendement qu’« une loi organique détermine les conditions dans lesquelles l’insuffisante expression du corps électoral entraîne l’invalidation d’une élection ». Pouvez-vous nous préciser ce qui se passera dans le cas où l’élection est invalidée : devra-t-on revoter indéfiniment jusqu’à ce qu’un candidat soit élu ? Pour ma part, j’estime que le dispositif que vous proposez est très dangereux.

M. Guillaume Larrivé. Mme la rapporteure nous a brillamment démontré combien il était dangereux d’envisager d’introduire, dans le texte ordinaire qui nous est soumis, la fameuse dose de proportionnelle. Vous avez souligné, à juste titre, que les députés tenaient leur légitimité du fait qu’ils avaient obtenu la majorité des suffrages exprimés – ce qui correspond à ma propre conviction. La difficulté, c’est que le texte ordinaire formant l’appendice de cette révision constitutionnelle va précisément créer deux catégories de députés : d’une part, des députés parfaitement légitimes car désignés par une majorité, d’autre part, des députés en réalité nommés par les partis politiques, qui ne seront que des « battus élus » minoritaires par essence. Je vous remercie, madame la présidente de la commission des Lois, d’avoir apporté cet argument décisif à la position que nous soutenons, avec toute l’autorité et la légitimité qui sont les vôtres.

Mme Danièle Obono. L’argument technique ne tient pas, car il est tout à fait possible d’inscrire dans la Constitution le fait que la République reconnaît le vote blanc, et de prévoir les modalités de sa prise en compte.

Sur le fond, le vote blanc est bien une expression, même si celle-ci ne porte pas sur les noms proposés au suffrage – et s’il y a plus de 50 % de votes blancs, on n’a pas la majorité des votants, ce qui signifie que l’on doit à nouveau s’efforcer de convaincre les électeurs. Pour nous, ce n’est pas le signe d’une faillite, mais au contraire celui d’une maturité politique et d’une démocratie vivante, où les gens votent parce qu’ils ont été convaincus.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je me demande comment Mme Obono peut évoquer le fait d’aller trouver les électeurs pour les convaincre, juste après avoir défendu le vote obligatoire et proposé de pénaliser financièrement les personnes qui ne voteraient pas !

Mme Danièle Obono. Vous faites preuve d’une certaine mauvaise foi, madame la rapporteure : nous n’avons jamais parlé d’imposer des pénalités financières !

La Commission rejette successivement les amendements CL640 et CL1024.

Elle examine l’amendement CL638 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous proposons d’abaisser le droit de vote en France de 18 ans à 16 ans. Nous estimons en effet que cette mesure serait de nature à améliorer la vitalité démocratique de notre pays, ne serait-ce qu’en apportant 1,5 million d’électeurs supplémentaires.

La société reconnaît aujourd’hui à un jeune de 16 ans le droit d’être émancipé, de travailler et de voter aux élections professionnelles, d’exercer l’autorité parentale… Pourquoi ne lui reconnaîtrait-elle pas également le droit de se prononcer sur l’avenir du pays, et celui d’être éligible ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Une telle disposition n’a clairement pas vocation à figurer dans la Constitution, qui précise simplement à l’article 3 un principe de majorité des deux sexes sans indication d’âge. Il me semble dangereux de graver dans le marbre des principes qui ne méritent pas de l’être : ne faisons pas de la Constitution un texte bavard. Si vous souhaitez modifier l’âge de la majorité, nous pouvons en discuter, mais cela ne doit pas se faire dans le cadre de l’examen d’une loi portant sur le texte fondamental.

M. Ugo Bernalicis. Nous ne souhaitons pas modifier l’âge de la majorité, mais uniquement l’âge à partir duquel on peut voter. Contrairement à vous, nous estimons qu’une telle disposition doit figurer dans la Constitution – et si cet amendement était adopté, ce serait tout simplement inscrit dans la Constitution ! Dans d’autres cas de figure, la référence à la majorité ouvre ou ferme un certain nombre de droits. Or, nous ne souhaitons pas qu’une personne de 16 ans dispose de la totalité des droits dont bénéficie une personne de 18 ans, mais simplement qu’elle puisse se prononcer sur l’avenir de son pays.

M. Pierre-Henri Dumont. Sur la forme, on voit ici le danger qu’il y a à faire une réforme de la Constitution quand ce n’est pas justifié : cela permet à certains de saisir cette occasion pour tenter de faire passer un peu tout et n’importe quoi par voie d’amendement…

Mme Danièle Obono. Ce que nous proposons, c’est n’importe quoi ?

M. Pierre-Henri Dumont. …sans aucun égard pour la hiérarchie des normes.

Sur le fond, certains pays européens ont déjà abaissé la majorité électorale à 16 ans, ce qui n’a pas produit des résultats très enthousiasmants : je pense au résultat des dernières élections en Autriche, par exemple, qui n’est sans doute pas de nature à plaire à nos collègues de La France insoumise.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas le sujet !

M. Pierre-Henri Dumont. Cela dit, le vote des jeunes ayant tendance à aller aux extrêmes, je peux comprendre l’intérêt que vous avez à défendre une mesure d’abaissement de la majorité électorale.

M. Sébastien Jumel. Le titre de ce projet de loi fait référence à une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Toute la question est de savoir si l’on veut donner force de symbole à cette réforme, afin de réparer la démocratie. C’est pourquoi il me paraît pertinent d’inscrire dans le texte constitutionnel l’abaissement de l’âge permettant de voter – comme, de la même manière, il était utile et raisonnable de proposer que le vote blanc soit vu comme la modalité d’une expression. La hiérarchie des normes est décidée par le constituant, c’est-à-dire par nous, et je ne vois pas pourquoi nous serions empêchés d’aborder certains sujets. Sur un thème de cette importance, cela me paraît légitime.

La Commission rejette l’amendement.

Mme Danièle Obono. M. le président, je veux protester contre la façon dont nos propositions sont accueillies. Le groupe La France insoumise présente une petite centaine d’amendements sur les plus de 1 300 qui vont être examinés au cours de ce débat. Nous avons pris le temps de travailler sérieusement sur ces propositions, dont nous pensons qu’elles ont leur place au sein d’un texte auquel nous sommes par ailleurs opposés : nous avons décidé de jouer le jeu, comme nous le faisons toujours au sein de notre assemblée et notamment de la commission des Lois.

Pour la bonne tenue de nos débats, il serait souhaitable que chacun soit un peu plus respectueux, et évite par exemple d’employer l’expression « tout et n’importe quoi » pour désigner nos amendements, mais aussi de reprocher systématiquement à ces amendements de n’être pas de niveau constitutionnel. Nous estimons qu’une telle attitude est insultante à l’égard de notre travail et de celui de nos collaborateurs. Je suis désolée, mais le travail parlementaire ne se résume pas à voter en bloc et sans réfléchir tout ce que Jupiter a décidé…

Mme Lætitia Avia. Affubler le Président de la République d’un surnom, ce n’est pas insultant ?

Mme Danièle Obono. C’est vous qui avez donné le ton, il ne faut pas vous plaindre que je réponde de la même manière ! En tout état de cause, je vous conseille de changer d’attitude avec nous si vous ne voulez pas que le débat, qui promet d’être long, vire à l’affrontement à chaque fois que nous présenterons l’un de nos cent amendements.

M. Didier Paris, président. Madame Obono, votre groupe a eu jusqu’à présent la possibilité de défendre ses amendements dans les mêmes conditions que tout le monde. Il va continuer à en être ainsi.

La Commission est saisie de l’amendement CL805 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Madame la rapporteure, vous nous avez dit à plusieurs reprises que la Constitution ne devait pas devenir un texte bavard. L’amendement CL805, qui vise à la concision, devrait vous satisfaire. Il vise à simplifier le texte de la Constitution en remplaçant, au dernier alinéa de son article 3, les mots : « tous les nationaux français majeurs des deux sexes » par les mots : « toutes les personnes majeures de nationalité française ».

L’article 3 de la Constitution est l’un des plus importants du texte fondamental, en ce qu’il détermine qui est le souverain. Or, si l’expression « majeurs des deux sexes » était adaptée à l’époque où il s’agissait d’ouvrir le droit de vote aux femmes, elle ne l’est plus aujourd’hui, où nous avons la préoccupation d’inclure toutes les personnes qui, pour une raison ou une autre, ne se reconnaissent pas dans cette classification binaire – je pense notamment aux personnes intersexes ou transgenres. Avec la rédaction que nous proposons, qui clarifie et simplifie le texte, il suffit d’être français et majeur pour être citoyen et participer au suffrage.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis un peu interloquée par la précédente intervention de Mme Obono. Vous savez très bien que La France insoumise est particulièrement respectée en commission des Lois et que nous examinons aussi attentivement qu’il se doit tous les amendements que vous déposez. Dès lors, vous n’avez aucune raison de vous victimiser pour le traitement qui vous serait prétendument réservé. (Exclamations dans les rangs du groupe La France insoumise.)

Mme Danièle Obono. Vous dites maintenant que nous nous victimisons ! De mieux en mieux !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Pour ce qui est de l’amendement CL805, j’y suis défavorable.

M. Didier Paris, président. Allons, mes chers collègues ! Peut-on essayer de s’écouter les uns les autres ?

Mme Danièle Obono. Il faudrait déjà qu’on se respecte !

M. Fabien di Filippo. Je ne pense pas, pour ma part, que les députés de La France insoumise proposent tout et n’importe quoi, mais au contraire qu’il y a une stratégie idéologique derrière chacune de leur proposition – en l’occurrence, la reconnaissance du troisième sexe.

Mme Danièle Obono. Ou de l’intersexe !

M. Fabien di Filippo. Or, l’état civil ne reconnaît actuellement que deux sexes : les hommes et les femmes. Il faudra nous expliquer ce que c’est que d’être intersexe mais, en tout état de cause, je ne pense pas qu’il soit souhaitable d’ouvrir la porte à cette notion. Nous reconnaissons l’honnêteté intellectuelle de votre réflexion mais, sur le fond, nous avons de très fortes réserves de principe à ce type de proposition – vous noterez que je dis cela de manière aussi diplomatique que possible, afin de ne pas heurter votre sensibilité.

Mme Danièle Obono. J’apprécie cette réponse sur le fond, qui ouvre au moins la porte à un éventuel débat sur la question des identités de genre et de sexe, et sur les personnes – bien réelles – qui, pour des raisons physiques ou émotionnelles, ne se reconnaissent pas dans la classification binaire des sexes.

M. Philippe Gosselin. Ça ne les prive pas du droit de vote !

Mme Danièle Obono. Cela pose un certain nombre de problèmes très concrets, mais je pense que nous aurons l’occasion de les aborder et, pour notre part, nous aurons des propositions à formuler afin d’y remédier. Pour l’heure, l’objet de notre amendement est de faire en sorte que le texte constitutionnel reflète dans sa rédaction l’acceptation de toutes les identités de sexe et de genre, en cohérence avec notre ligne idéologique progressiste visant à l’ouverture de droits nouveaux.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL646 de M. Jean-Luc Mélenchon, CL1026 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et CL1385 de M. Gaël Le Bohec.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL646 vise à ce que les personnes qui ne sont pas détentrices de la nationalité française puissent, sous condition de résidence régulière, disposer du droit de vote aux élections municipales et départementales, dans des conditions déterminées par la loi.

Aujourd’hui, les droits politiques de ces personnes sont niés, sauf si elles sont ressortissantes d’un État membre de l’Union européenne. Or, de notre point de vue, rien ne justifie que les citoyens européens aient accès à ces droits politiques et que les ressortissants des autres États n’y aient pas droit, eu égard à la tradition universaliste de la France. En effet, ces personnes ne jouissent pas du droit de vote aux élections locales alors même qu’elles travaillent, participent à la vie économique et sociale, vivent leur vie de famille et payent leurs impôts et cotisations sociales. Faisant pleinement partie du tissu politique et social de notre pays, ces personnes devraient pouvoir participer aux élections qui régissent la trajectoire politique de la collectivité où elles résident, en vertu d’une conception ouverte de la citoyenneté qui permettrait par ailleurs une extension du champ de la démocratie.

Nous estimons dommage que, sur ce point, la France soit en retard par rapport à d’autres pays européens, notamment la Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et plusieurs cantons suisses, qui octroient le droit de vote à tous les étrangers qui résident sur leur territoire depuis quelques années. L’Irlande, elle, ne subordonne pas le droit de vote des étrangers à une durée minimale de résidence.

Notre pays honorerait ses traditions en étendant le droit de vote aux personnes étrangères qui vivent en France.

M. Hervé Saulignac. L’amendement CL1026 est défendu.

M. Gaël Le Bohec. L’amendement CL1385 vise, via la définition de l’électeur figurant à l’article 3 de la Constitution, à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux résidents étrangers, sous conditions de réciprocité et de durée de résidence, pour les résidents étrangers ressortissants ou non de l’Union européenne en raison du fait qu’ils sont intégrés à la société française à laquelle ils contribuent.

Il s’agit de véritablement appliquer une politique en faveur d’une République apaisée, capable de réunir chaque membre de la cité, quelle que soit sa nationalité, en lui accordant un droit hautement symbolique : être citoyen et participer à la vie de la collectivité.

Je regrette que M. le rapporteur général ne soit pas parmi nous, car j’aurais aimé connaître son point de vue sur notre proposition, lui qui était signataire, en 2012, d’une tribune allant dans le sens de cet amendement.

M. Julien Aubert. Pourquoi le droit de vote est-il réservé aux Français ? Parce que nous sommes en France ! Je trouve toujours étonnant qu’un parti s’appelant La France insoumise cherche constamment à nier l’identité de son mouvement politique en sapant les fondements même de la Nation française, à savoir que notre pays est la France, et son peuple, les Français.

C’est une nouvelle incohérence qui est ici avancée, après celle ayant consisté tout à l’heure à proposer de reconnaître le troisième sexe dans une Constitution qui, justement, affirme en son article 1er qu’elle ne fait aucune discrimination. Pour la même raison, votre position en faveur de l’écriture inclusive est tout aussi incompréhensible.

Il ne faut pas perdre de vue qu’une Constitution est faite pour un pays et pour un peuple. En multipliant les propositions incohérentes, vous niez l’existence même de notre République et de ses frontières.

M. Sébastien Jumel. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra cet amendement. Nous en avons d’ailleurs déposé un similaire, que nous examinerons prochainement.

Le critère de la nationalité, qui prive nombre de personnes résidant en France de voter aux élections locales, n’est pas une condition sine qua non du sentiment d’appartenance à un collectif, à la vie de la cité, et du fait de permettre à chacun de s’investir dans la vie politique locale. Pour nous, ce n’est en rien une négation de la France que de proposer le droit de vote aux résidents étrangers : au contraire, c’est faire en sorte que le collectif citoyen apporte au quotidien des réponses à la vie de la cité, dans la perspective de la construction d’une République apaisée.

M. M’jid El Guerrab. Je soutiens cet amendement même si je ne peux pas le voter, n’étant pas membre de la commission des Lois.

Pour que la France reste la France – je fais ici référence à un slogan figurant sur un tract récent du parti Les Républicains –, il faut qu’elle soit ouverte. Pour que la France reste la France, qu’elle n’ait pas peur de l’immigration. Pour que la France reste la France, qu’elle regarde son passé et son présent, et admette que les immigrés qui vivent sur son territoire ne sont pas tous des terroristes en puissance ou des personnes n’ayant pas vocation à rester sur le territoire français.

Surtout, vous commettez une erreur en affirmant que le droit de vote des étrangers aux élections locales n’existe pas : il est bel et bien accordé aux ressortissants des États membres de l’Union européenne : ainsi, ces étrangers que sont les Britanniques ou les Allemands peuvent déjà voter en France. Mais étrangement, certains étrangers sont plus étrangers que d’autres.

Mme Danièle Obono. Effectivement, il y a des étrangers qui votent en France…

M. Julien Aubert. C’est bien dommage !

Mme Danièle Obono. …et le lien entre la nationalité et la citoyenneté a donné lieu à des débats passionnants au sein des constituants, dès le XVIIIe siècle. Pour La France insoumise, ce qui fait la France, c’est le choix de faire communauté nationale et politique : en d’autres termes, c’est un choix d’adhésion. Quand des personnes qui viennent d’Europe ou d’ailleurs font le choix de vivre, d’élever leur enfant, de payer des impôts – à la différence de certains Français qui font le choix inverse – elles font un choix politique d’adhésion qui devrait leur garantir le droit de voter là où elles vivent : c’est ce qui fait la grandeur républicaine de notre pays.

M. Julien Aubert. C’est l’inverse de la République !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’entends ce que vous dites, madame Obono, sur le choix des personnes étrangères vivant depuis longtemps en France – certains amendements prévoient une condition de résidence de dix ans – de faire communauté nationale. Cela dit, si des étrangers font vraiment le choix d’appartenir à notre communauté nationale, ils ont la possibilité de demander la naturalisation. Je participe tous les mois à des cérémonies de naturalisation, qui sont l’occasion d’assister à des moments très émouvants, quand des personnes expriment leur choix d’intégrer la communauté nationale.

En revanche, je ne crois pas que le fait d’accorder le droit de vote à toutes les personnes étrangères résidant en France, sans aucune condition de réciprocité, soit une bonne solution, et j’émets donc un avis défavorable à ces amendements.

Mme Christine Pires Beaune. Je rappelle que l’amendement proposé par La France insoumise prévoit bien que le droit de vote est soumis à la condition d’une résidence régulière en France.

Quand on réside en France depuis dix, quinze ou vingt ans et qu’on a émigré parce qu’on n’a pas eu d’autre choix, on peut ne pas vouloir demander la naturalisation française, tout simplement parce que pour les personnes concernées, la nationalité est le seul lien qu’elles conservent avec leur pays d’origine. Ce n’est donc pas parce que certaines personnes décident de ne pas demander la naturalisation qu’elles ne sont pas françaises : elles sont peut-être même plus françaises que d’autres. (Protestations dans les rangs du groupe Les Républicains).

M. Philippe Gosselin. C’est de la provocation !

Mme Christine Pires Beaune. Non, ce n’est pas de la provocation.

Vous pouvez peut-être comprendre que certaines personnes aujourd’hui âgées de soixante ou soixante-dix ans, qui ont immigré à une certaine période, ont vécu des moments très difficiles. Elles vivent en France depuis des années, elles y cotisent, y paient leurs impôts, y ont parfois même acheté une concession, mais ne peuvent se résoudre à demander la naturalisation française. Pour elles, cela reviendrait à trahir le seul lien qui les unit encore à leur pays d’origine.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Comme nombre d’entre nous, je ne pense pas que des personnes étrangères vivant en France soient plus françaises que les Français : un tel propos n’est pas acceptable.  Bravo ! » dans les rangs du groupe Les Républicains).

Mme Christine Pires Beaune. Ce n’est pas ce que je voulais dire : je voulais souligner le fait qu’il y a des personnes étrangères qui paient leurs impôts en France alors que certains Français ne le font pas.

M. Gaël Le Bohec. Si l’on suit bien son raisonnement, notre collègue Aubert est opposé à ce que des Français établis dans d’autres pays européens puissent y prendre part aux élections locales, alors que pour ma part, je trouve cela tout à fait normal.

Par ailleurs, les étrangers établis en France y sont activement intégrés à la vie locale, notamment en payant des impôts et en participant à la vie sociale et communautaire.

Enfin, on peut avoir envie de passer dix ou douze ans en France sans projeter de s’y établir définitivement, auquel cas on peut comprendre que certaines personnes ne souhaitent pas demander la naturalisation, bien qu’elles participent à la vie de la collectivité et puissent donc, de ce fait, souhaiter prendre part aux élections.

La Commission rejette successivement les amendements CL646, CL1026 et CL1385.

Elle est saisie de l’amendement CL647 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Afin qu’un maximum de nos concitoyennes et concitoyens puissent avoir un mandat électif, il a été créé un système d’indemnités bénéficiant aux personnes élues, ce qui permet d’éviter que seuls les riches puissent détenir un mandat. Cela dit, pour être élu, il faut aussi pouvoir faire campagne, ce qui suppose des moyens matériels : il peut s’agir de moyens financiers, mais aussi du fait d’être fonctionnaire, ce qui constitue un avantage non négligeable – non que les fonctionnaires aient plus de temps disponible, mais ils bénéficient d’une garantie de retrouver leur emploi à l’issue de leur mandat.

Avec l’amendement CL647, nous proposons de mettre en place un congé républicain destiné à ce que toutes les personnes désirant se présenter à une élection soient placées sur un pied d’égalité. On voit bien que, d’un point de vue sociologique, notre assemblée n’est pas représentative de la société française, ce qui tend à démontrer qu’il existe une discrimination entre les personnes désirant se présenter aux élections : notre amendement vise précisément à remédier à ce problème.

M. Marc Fesneau, rapporteur. On est ici clairement dans le domaine de la loi et non dans celui de la Constitution. C’est un fait, il existe une hiérarchie des normes : c’est aujourd’hui de la Constitution que nous débattons.

Je précise que la loi octroie déjà jusqu’à vingt jours d’absence autorisée aux salariés-candidats, à la seule condition de prévenir l’employeur 24 heures à l’avance – des conditions qui me paraissent tout à fait raisonnables.

J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. C’est un congé non rémunéré que prévoit la loi !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL742 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Avec l’amendement CL742, nous proposons que la Constitution prévoie explicitement une limitation du cumul des mandats, d’une part entre mandats électifs – à savoir un mandat unique –, d’autre part dans le temps – un même mandat ne peut être exercé plus de deux fois.

En effet, le renouvellement de la vie politique française implique de mettre fin au cumul dans l’espace et dans le temps. Contre la captation du pouvoir politique par une oligarchie, une telle interdiction permettra d’empêcher la professionnalisation de la politique et l’émergence d’une véritable implication et d’un apprentissage collectif citoyen de l’exercice des mandats électifs.

Certes, la majorité a déjà prévu une proposition sur ce thème, mais celle-ci nous semble incomplète, ses effets ne devant s’exercer que très tardivement et sans effet rétroactif. Une telle proposition ne peut suffire à diversifier la représentation, ni à permettre au plus grand nombre de citoyens de se rendre compte de ce qu’est la responsabilité élective – ce qui permettrait peut-être de mettre fin à certains fantasmes, en particulier à l’idée selon laquelle être élu peut constituer une sinécure. Les objectifs que nous proposons de fixer seraient pour l’ensemble de la communauté nationale, prise individuellement et collectivement, un exercice important, qui viendrait utilement compléter les dispositifs en vigueur.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Sur la forme, les règles de cumul des mandats relèvent de la loi et, comme vous l’avez vous-même indiqué, il existe déjà des dispositifs en la matière.

Sur le fond, vous estimez qu’il convient d’empêcher le cumul de deux mandats, y compris locaux, afin d’éviter la professionnalisation : je vous invite à aller expliquer cela aux maires de petites communes qui sont également conseillers départementaux – pour ma part, je trouve cela excessif.

Vous allez jusqu’à considérer qu’on ne peut pas être remplaçant d’un candidat quand on a soi-même déjà été candidat deux fois. C’est là un exercice coercitif de la démocratie auquel je ne peux adhérer. Nous sommes déjà allés très loin dans la limitation du cumul des mandats  Trop loin ! » dans les rangs du groupe Les Républicains) et devons désormais examiner comment s’appliquent les mesures prises…

Par ailleurs, je vous rappelle que les députés peuvent exercer un mandat de conseiller municipal, ce qui est une bonne chose en ce que cela permet de conserver un ancrage local.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL1428 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. L’amendement CL1428 précise que les partis politiques ont pour rôle d’assurer le dialogue entre, d’une part, la société civile et, d’autre part, l’État et les collectivités territoriales. Une société de défiance a émergé, celle que Pierre Rosanvallon évoque dans son essai La Contre-démocratie. Les partis politiques avaient autrefois un rôle de laboratoire des innovations sociales, ils servaient à faire vivre des projets de société, mais ils ont abandonné ce rôle auprès de la société pour devenir de simples écuries en vue des présidentielles – une évolution dont nous avons subi la sanction lors de la dernière élection. Je propose donc d’affirmer le devoir des partis politiques de servir de pont entre la classe gouvernante et les forces vives de la société civile.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je salue la cohérence de M. Colombani à réécrire tous les articles de la Constitution. Faisant preuve de la même cohérence, j’émets un avis défavorable à cet amendement.

M. Paul-André Colombani. J’espère que nous avons encore le droit de faire des propositions !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1022 de M. Jean-Luc Warsmann.

Mme Maina Sage. L’amendement CL1022 de M. Warsmann vise à introduire quelques modifications rédactionnelles au premier alinéa de l’article 4 de la Constitution afin de renforcer le caractère obligatoire de ses dispositions.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL883 de Mme Cécile Untermaier.

M. Hervé Saulignac. Comme chacun le sait, le débat politique a de nos jours très largement lieu sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux – certainement plus qu’au sein des réunions de nos formations politiques – et les élections se jouent de plus en plus sur la toile. Il nous paraît donc nécessaire de fixer un cadre légal à cette réalité : c’est l’objet de notre amendement CL883, selon lequel la loi doit prévoir les conditions dans lesquelles les technologies numériques contribuent à l’expression des opinions et à la participation des partis et des personnes à cette vie démocratique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous ne sommes pas dans le domaine de la Constitution, qui prévoit déjà « la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

Que cette participation passe par différents médias, dont les réseaux numériques, est évidemment une excellente chose, mais nous n’avons pas besoin d’une accroche constitutionnelle pour cela, comme en témoignent les différents votes par correspondance et par voie électronique organisés par diverses formations politiques au cours des dernières années. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Julien Aubert. Je vois un intérêt très pratique à cet amendement : il reviendrait à instaurer un service public d’accès à internet et au numérique qui n’existe pas actuellement, contrairement au droit à accéder au service public du téléphone. Au-delà de l’objectif juridique, reconnaître que les réseaux numériques participent à la vie démocratique de la Nation impliquerait d’en tirer des conséquences en matière de politique économique. En tant qu’élu rural d’un territoire non couvert par la 4G, je les trouverais particulièrement pertinentes.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL469 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Dans le prolongement de la loi pour un État au service d’une société de confiance, cet amendement vise à parachever les efforts entrepris depuis plusieurs années pour construire un dispositif efficace de contrôle de la probité des responsables publics, de prévention des conflits d’intérêts et de transparence de la vie publique en réponse à la crise de confiance que traverse actuellement notre pays.

Jean-Jacques Rousseau écrivait dans le Contrat social que « rien n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés dans les affaires publiques ». L’exigence démocratique est un impératif républicain qui a traversé les siècles jusqu’à nous. En ce début de XXIe siècle, la République doit être intègre et même exemplaire.

Il nous semble que le moment est venu d’inscrire dans la Constitution une exigence de probité s’imposant à tout dépositaire d’une mission de service public. Cela a déjà été l’objet de lois votées au cours du précédent quinquennat, mais nous n’avons jamais pu faire en sorte que cette obligation des membres du Parlement s’applique également au Président de la République et aux membres du Gouvernement. Tel est l’objet du présent amendement, visant à améliorer la transparence, à favoriser l’intégrité et à mettre fin aux conflits d’intérêts.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous savez à quel point notre mouvement a mis la recherche de la probité et de l’intégrité au sommet de ses préoccupations. C’était d’ailleurs l’objet de la première grande loi de cette législature – celle relative à la confiance dans la vie politique, que nous avons examinée l’été dernier et que vous avez évoquée. Les dispositions que vous proposez sont déjà prévues par cette loi et par celle de 2013, et je ne pense pas qu’il faudrait les hisser au rang constitutionnel pour assurer leur effectivité. Comme le dispositif en vigueur concerne le Premier ministre et les membres du Gouvernement, je pense que votre amendement est satisfait, du moins dans son esprit.

Mme Cécile Untermaier. Nous avons fait le nécessaire dans le cadre de la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique, en effet. Il existe même une autorité indépendante dans ce domaine. Néanmoins, nous n’avons jamais pu aller très loin dans l’encadrement du Gouvernement et du Président de la République. Ce n’est pas celui d’aujourd’hui qui nous cause une inquiétude : c’est pour les temps à venir que nous avons une exigence. Au même titre que nous devons intégrer dans la Constitution le numérique et les citoyens, comme nous avons essayé de le faire, je pense qu’il faut consacrer la transparence et l’exemplarité. Ce serait un très bon signe donné par notre loi fondamentale, de manière générale, afin de couvrir l’ensemble du service public, au lieu de se contenter de dispositifs tronçonnés – il y a les fonctionnaires, les membres du Gouvernement, etc. Il est temps de nous doter d’une sorte de droit qui permettra de rassurer le citoyen sur l’ensemble des gouvernants.

M. Fabien Di Filippo. De prime abord, on pourrait penser que cet amendement n’a rien à faire ici, car un tel sujet relève de la loi. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà dit l’été dernier, toutes les règles que vous pourrez établir ne remplaceront jamais l’éthique individuelle. En revanche, la notion de dignité est très intéressante. Si vous pouviez nous montrer que ce concept, tel que vous l’avez présenté, pourrait empêcher qu’à l’occasion de certaines fêtes, comme celle de la musique, des propos obscènes et des insanités soient proférés dans l’enceinte de l’Élysée avec l’approbation et la participation du Président de la République (Exclamations sur quelques bancs), nous serions tout à fait disposés à soutenir l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL785 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement vise à inscrire dans la Constitution le principe de la planification écologique. L’écosystème permettant la vie humaine doit nécessairement être protégé, ce qui ne peut se faire que sur le temps long, au moyen d’une action dans la durée. Or la Constitution permet justement de se projeter sur le temps long. Du fait son objectif, la planification écologique doit être placée au sommet : il faut commencer par préserver l’écosystème qui permet la vie humaine afin de pouvoir continuer à débattre tranquillement, à s’opposer et même à se disputer. On doit faire en sorte que les lois se conforment à un certain nombre de principes qui figurent dans cet amendement, notamment la protection des biens communs, tels que l’eau et l’air. Le droit à l’eau est vital, car on ne peut pas vivre sans eau. Il en est de même pour l’air – j’en sais quelque chose, car nous sommes à Lille au-dessus des seuils de pollution au moins cinquante jours par an. Nous devons veiller à ce que les politiques publiques prennent en compte le changement climatique en cours et à venir : elles doivent être soutenables pour nous-mêmes et pour les générations futures. J’espère que nos propositions ne seront pas considérées, une fois encore, comme étant n’importe quoi…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons déjà évoqué à de nombreuses reprises ces questions, notamment celle des biens communs – nous avons rejeté leur inscription dans la Constitution. La protection de l’environnement a, en revanche, été ajoutée à l’article premier. Cela me paraît suffisamment fort pour que n’ayons pas besoin d’adopter le titre Ier bis que vous souhaitez insérer. J’émets donc un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL1429 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Par cet amendement, je vous propose une nouvelle rédaction de l’article 5 de la Constitution. Le Président de la République partagera avec le Premier ministre le pouvoir exécutif national, par opposition au pouvoir exécutif local qui revient aux collectivités. Il veillera au respect de la Constitution et du droit de l’Union européenne. Il ne sera plus l’arbitre, mais le médiateur des institutions. La notion d’indépendance de la nation sera par ailleurs supprimée, car elle est devenue désuète dans le cadre de l’Union européenne. Enfin, le Président devra veiller à la collaboration des trois pouvoirs, à la participation de la France à l’Union européenne et au respect par le Gouvernement des prérogatives du Parlement. Toutes ces dispositions existent dans d’autres démocraties qui fonctionnent parfaitement bien.

M. Marc Fesneau, rapporteur. En cohérence avec ma position sur vos propositions de réécriture des articles 1 à 4 de la Constitution, je suis au regret d’émettre un avis défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL43 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Pour paraphraser ce qu’a dit Talleyrand au congrès de Vienne, ce qui va sans dire ira encore mieux en le disant. C’est une évidence mais elle n’est écrite nulle part : le Président de la République définit la politique de la nation. Grâce à cet amendement, nous aurons une meilleure précision du rôle du chef de l’État, qui correspond à une recommandation du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de 2007.

L'objectif est de prendre acte de soixante années de présidentialisme majoritaire, en clarifiant la lettre de l’article 5 de la Constitution. Le chef de l’État est essentiellement appréhendé comme un « pouvoir neutre », selon la formule de Benjamin Constant, ou comme le « gardien de la Constitution ». Sa vocation serait de faire valoir l’intérêt de la nation par-delà les combinaisons et les contingences partisanes. Lorsque les ressorts de l’État « se croisent, s'entrechoquent et s'entravent », observait Benjamin Constant, « il faut une force qui les remette à leur place ». L’article 5 attribuait cette mission au chef de l’État. En pratique, pourtant, le Président de la République est non seulement l’arbitre du jeu politique, mais aussi un capitaine d’équipe. Il joue ces deux rôles dans notre monarchie républicaine. Telle est la logique de la Ve République, qui a été instillée d’emblée par le général de Gaulle. Il serait opportun de mettre le texte constitutionnel en conformité avec la pratique.

Je suis naturellement prêt à retirer cet amendement, mais j’aimerais entendre les rapporteurs sur cette proposition. Elle présente une faiblesse, liée aux périodes de cohabitation, mais la pratique prévaut sur ce qui est écrit dans notre Constitution.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est une faiblesse, en effet. L'article 20 de la Constitution dispose que la détermination et la conduite de la politique de la nation relèvent du Gouvernement. Celle-ci est évidemment conforme, la plupart du temps, à ce que souhaite le Président de la République, mais je rappelle que nous avons connu trois cohabitations. Votre amendement pourrait donc créer une distorsion. Par ailleurs, l’exposé des motifs pose un problème : le Président de la République serait un « capitaine d’équipe », à la tête d’une « monarchie républicaine » : cela ne me paraît conforme ni à la lettre ni à l’esprit de notre Constitution.

M. M’Jid El Guerrab. C’est un peu ce que le général de Gaulle voulait, tout de même.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il faut être prudent quand on évoque le général de Gaulle…

M. Philippe Gosselin. Je ne vois pas très bien comment cet amendement peut se combiner avec l’article 20 de la Constitution. Le Président de la République serait chargé de « définir la politique de la nation », alors que le Gouvernement la « détermine » aux termes de l’article 20. Même si cette disposition n’est pas nécessairement appliquée de manière courante, cela pose un problème sémantique. Il y a aussi la question de la cohabitation, qui peut être incontournable après des élections législatives.

M. Sébastien Jumel. Nous ne sommes pas d’accord avec cet amendement, mais je dois reconnaître qu’il est assez fidèle à la pratique du pouvoir que nous constatons depuis un an.

M. M’Jid El Guerrab. Pas seulement depuis un an…

M. Sébastien Jumel. Lorsque le Président de la République réunit le Parlement en Congrès la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre, il rabaisse le rôle de ce dernier à celui d’un collaborateur. Je vois que M. Ferrand bougonne, mais c’est la réalité. Quand le Président de la République convoque le Congrès, alors que nous sommes en train d’examiner la révision constitutionnelle, pour fixer le cap de votre majorité et la mettre au pas en ce qui concerne le périmètre de ce texte, il se comporte en monarque républicain. Lorsqu’il donne des impulsions comme il l’a fait dans son discours de la Mutualité, en fixant d’une certaine manière l’ordre du jour de l’Assemblée pour les deux prochaines années, et que l’on révise par ailleurs la Constitution pour réduire la capacité du Parlement à établir son propre agenda, le Président de la République se comporte également en monarque républicain. Cet amendement est donc une traduction assez fidèle de l’exercice actuel du pouvoir.

M. Didier Paris, président. Retirez-vous votre amendement, monsieur El Guerrab ?

M. M’Jid El Guerrab. Oui, je le retire : il visait à ouvrir le débat et je vois que c’est le cas.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement CL747 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement vise à compléter l’article 5 de la Constitution sur la question de la laïcité et plus particulièrement sur la manière dont le Président de la République devrait se comporter afin de respecter ce principe fondamental de notre République. Nous proposons de mettre un terme à une tradition rétrograde et profondément antirépublicaine selon laquelle la République française se rattache à un culte, à une religion, en méconnaissance du principe à valeur constitutionnel de laïcité. La décision d’Emmanuel Macron d’accepter le titre de « chanoine du Latran », décerné par une autorité religieuse, M. le Pape (Exclamations), comme l’avait déjà fait Nicolas Sarkozy en 2007, constitue une atteinte grave à la laïcité et à la neutralité qui doivent être adoptées par les institutions de la République à l’égard de tous les cultes. Accepter ce titre revient à admettre que l’on a été baptisé, ce qui est en contradiction avec le caractère laïque de la fonction présidentielle. Nous souhaitons préciser dans la Constitution que le Président d’une République laïque, où le principe de la séparation entre l’Église et l’État est une valeur centrale depuis 1905, ne peut pas accepter un titre religieux. En effet, quoi que puisse en dire le porte-parole du Gouvernement, le titre de « chanoine du Latran » est bien un titre religieux.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai l’impression qu’à chaque instant, on se rapproche un peu plus des préoccupations quotidiennes des Français, comme l’illustre bien cet amendement. (Sourires.) La laïcité figure déjà à l'article premier de la Constitution : le Président de la République en est le garant, comme il l’est par ailleurs de toutes les institutions.

Même s’il convient dans certains cas de faire du passé table rase, on ne doit pas négliger l'histoire, ni les relations internationales. Le titre de chanoine de Saint-Jean de Latran appartient de droit aux chefs d'État français depuis Henri IV. Il est décerné par un autre chef d'État, le pape, qui est à la tête du Vatican, pour marquer un événement historique. Cela ne suppose nullement que le récipiendaire soit religieux ou croyant. Évitons les amalgames et les approximations qui vous conduisent à la proposition baroque que vous nous faites !

Cet amendement créerait, par ailleurs, une situation dangereuse. Si le Maroc, par exemple, pays avec lequel la France entretient des liens forts, souhaitait demain honorer le Président de la République française, d’une manière ou d’une autre, faudrait-il opposer un refus au motif que le souverain de ce pays est aussi Commandeur des croyants ? Votre amendement, qui sert de prétexte pour promouvoir la laïcité, nous ferait entrer dans des querelles théologiques, voire byzantines, qui n’éclairent nullement la situation.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable. L’objectif poursuivi n’est aucunement atteint, mais on risquerait, en revanche, d’affaiblir la fonction présidentielle et la capacité de la France à prendre ses responsabilités en toutes circonstances.

M. Philippe Gosselin. Outre le Commandeur des croyants, on pourrait citer la reine d’Angleterre, qui est chef de l’Église anglicane et chef d’État de 17 ou 18 pays qui appartiennent au Commonwealth. Cet amendement tombe un peu à l’eau…

M. Vincent Bru. Le titre de « chanoine du Latran » vient de l’histoire – il n’est pas profondément religieux. Par ailleurs, il n’y a pas que les autorités religieuses : vous pourriez tout aussi bien présenter un amendement demandant que le Président de la République ne soit plus coprince d’Andorre.

M. Bastien Lachaud. Tout à fait.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL925 de M. Sébastien Jumel, CL1259 de M. Julien Aubert, CL923 de M. André Chassaigne, CL311 de Mme Laurence Trastour-Isnart, CL891 de M. Jean-Christophe Lagarde et CL471 de Mme Cécile Untermaier.

M. Sébastien Jumel. Nous souhaitons créer, vous l’avez compris, des conditions qui permettront de réduire les prérogatives exorbitantes du Président de la République.

À côté de mille autres combats et actes de résistance plus connus, Raymond Aubrac était farouchement opposé à l’élection du Président de la République au suffrage direct. Il pensait, en effet, que ce mode d’élection conduisait la vie politique à la vacuité, en engendrant la prééminence des personnes sur les idées et de la forme sur le fond. Il dénonçait le danger d’une élection par les médias et critiquait les campagnes électorales à l’américaine, fondées sur l’instant et la réactivité plutôt que sur la réflexion. Ce grand homme maudissait les sondages, devenus la base d’une politique court-termiste. Je trouve que cette analyse politique reste profondément d’actualité.

M. Hervé Morin, président du Nouveau Centre, ce qui devrait parler à un certain nombre d’entre vous, a par ailleurs déclaré que l’élection du Président de la République au suffrage universel est une « gangrène pour la démocratie ». Il faut ajouter que l’inversion du calendrier électoral a renforcé le problème.

C’est pourquoi notre amendement CL925 vise à faire élire le Président de la République non pas au suffrage universel direct, mais par le Parlement réuni en Congrès.

M. Julien Aubert. Nous devons revenir à l’esprit qui était, à l’origine, celui de la Ve République, en redonnant à son Président une visibilité de long terme. La réforme du quinquennat visait à supprimer la cohabitation. Moralité : les Français, qui étaient dépourvus de toute capacité de sanctionner le pouvoir en place, se sont mis à voter systématiquement pour l’opposition aux élections locales, ce qui a provoqué une nouvelle cohabitation : entre un pouvoir central d’une couleur et des pouvoirs locaux d’une autre couleur, ce qui a d’ailleurs fini par faire basculer le Sénat.

Contrairement à ce que l’on peut penser, le quinquennat n’a pas amputé de 2/7e le mandat présidentiel : il l’a en réalité diminué de moitié. La durée moyenne du mandat des Présidents de la République entre 1958 et 1995 était en effet de dix ans. Porter ce mandat à 8 ans, comme le propose l’amendement CL1259, conduirait ensuite à faire passer le mandat parlementaire à 4 ans.

On me demandera peut-être pourquoi je ne propose pas de rétablir le septennat : je pense qu’il faut réduire le mandat parlementaire et renouveler l’Assemblée nationale par moitié tous les deux ans, ce qui permettrait d’adresser des signaux au Gouvernement et d’avoir une plus grande vitalité démocratique. La durée de 7 ans s’explique par des raisons historiques. Elle a été choisie à l’époque de Mac Mahon, alors qu’il s’agissait en réalité d’attendre l’héritier du trône de France. À notre époque, cette durée ne répond donc à aucune autre logique. En 1958, Michel Debré avait d’abord envisagé un mandat de dix ans, qui correspondait à la durée moyenne du règne des rois de France.

Tout cela pour dire que nous sommes assez libres sur cette question. L’octennat, que je propose d’instaurer, permettrait de revenir à un système comportant une différenciation entre le Président de la République et le Premier ministre, ce qui supposerait d’adopter aussi des mécanismes assurant un partage des responsabilités en cas de cohabitation. Sans une telle évolution, nous irons vers le régime présidentiel qui s’est mal terminé en 1851.

M. Sébastien Jumel. L’amendement CL923 est un amendement de repli par rapport à celui que j’ai déjà présenté. En réduisant la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et en faisant précéder l’élection législative par l’élection présidentielle, on a renforcé le fait majoritaire. Vous en êtes d’ailleurs l’illustration…

Nous proposons de revenir à un mandat présidentiel de sept ans, non renouvelable, ce qui permettra de déconnecter le Président de la République de la gestion quotidienne des affaires publiques tout en le faisant sortir du jeu des partis et du rôle d’éternel candidat à sa réélection. Le Président y gagnera une autorité morale, conformément à ce que souhaitaient ceux qui ont participé à la genèse de notre Constitution. On déliera ainsi l’élection présidentielle de l’élection législative, ce qui renforcera la vitalité démocratique de notre pays.

Mme Laurence Trastour-Isnart. L’amendement CL311 a pour objet de rétablir le septennat, tout en rendant le mandat présidentiel non renouvelable. Le Parlement retrouvera alors une véritable force d’impulsion sur le plan politique. Cela nous paraît la meilleure solution pour régénérer l’exercice du pouvoir exécutif et ses relations avec le Parlement.

M. Michel Zumkeller. Par l’amendement CL891, nous proposons également d’instaurer un septennat non renouvelable. Le quinquennat a très clairement conduit à un régime présidentiel : on élit un Président puis, dans la foulée, une majorité, et la démocratie n’y a guère gagné. Nous estimons que 5 ans est une durée courte, qui ne facilite pas la mise en œuvre d’une politique. Il faut d’ailleurs noter qu’aucun Président de la République n’a été réélu depuis que l’on a instauré le quinquennat. Nous préférons une durée de 7 ans, sans perspective de renouvellement. Cela permettrait au Président d’appliquer sa politique et de déconnecter l’élection présidentielle de l’élection législative, ce qui instaurerait une vraie démocratie dans ce pays, voire une cohabitation qui nous ferait travailler tous ensemble.

Mme Christine Pires Beaune. Je ne comprends pas bien pourquoi l’amendement CL471 est en discussion commune. En effet, tous les autres amendements visent à modifier la durée du mandat présidentiel, alors que nous voulons simplement inscrire dans la Constitution un fait constant depuis l’instauration de la Ve République : aucun Président n’a été élu plus de deux fois. Nous ne proposons pas de modifier le mandat présidentiel, mais de faire en sorte qu’un Président ne puisse effectuer plus de deux mandats.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je voudrais d’abord saluer la variété des sources de M. Jumel et son ouverture d’esprit. Je pourrais aussi lui recommander de saines lectures de centriste. (Sourires.)

Cette série d’amendements n’a pas pour objet de renforcer les pouvoirs du Parlement mais de revenir à une situation antérieure à la Ve République, en affaiblissant les pouvoirs du Président. Le faire élire par le Parlement constituerait une rupture avec ce qui constitue la fonction présidentielle depuis 1962. C’est votre droit de le proposer, mais ce n’est pas en affaiblissant les pouvoirs du Président de la République que l’on renforcera ceux du Parlement – nous y reviendrons lorsque nous pourrons enfin aborder ce débat.

De même, les propositions de rétablissement du septennat ne conduiraient pas à revenir à la situation antérieure : il s’agissait d’un septennat renouvelable alors que vous proposez un septennat unique, ce qui poserait la question de la succession dès le début. On a vu des doubles mandats avoir des difficultés à se terminer, car la fin du dernier septennat, ou quinquennat, conduisait à la question de la succession. Vous allez affaiblir dès le début celui qui est élu.

J’émets donc un avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Je voudrais rassurer le rapporteur. Nous avons déposé toute une série d’amendements qui visent à renforcer les pouvoirs du Parlement, en lui confiant des compétences nouvelles en matière budgétaire, en posant clairement le principe de sa responsabilité en ce qui concerne la politique économique et sociale, en renforçant son rôle en cas d’opérations extérieures, en supprimant le régime des ordonnances, dont on a vu à quel point vous les utilisez pour priver le Parlement de sa capacité à discuter la loi, mais aussi en renforçant nos capacités en matière d’initiative législative et de fixation de l’ordre du jour. Il y a une cohérence : nous souhaitons non seulement réduire les pouvoirs du Président de la République, qui est devenu omniprésent, mais aussi renforcer ceux du Parlement, dans une logique de rééquilibrage.

M. Julien Aubert. J’ai l’impression que le rapporteur a répondu à l’ensemble des amendements, mais pas au mien.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Pas encore, en effet.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’émets un avis défavorable. Avec ces idées lumineuses, nous allons éteindre la lumière. Tout cela ne nous éclaire pas beaucoup. (Sourires.).

M. Julien Aubert. Ce n’est pas une réponse. Par ailleurs, je ne propose pas de revenir à la situation antérieure à 1958 : je souhaite que le Président de la République soit élu au suffrage universel, pour une durée de 8 ans. Des mandats de 5 ou 7 ans rendent la question de la cohabitation beaucoup plus aléatoire. Il y aurait désormais deux mandats parlementaires de 4 ans au sein d’un mandat présidentiel de 8 ans, ce qui permettrait de comprendre bien mieux la dialectique et la dynamique de ce mandat. Je propose aussi qu’il ne soit pas renouvelable, car on a bien vu qu’une durée totale de 14 ans était très longue – celle de 16 ans serait impossible à expliquer.

Vous avez évoqué, avec beaucoup d’intelligence, le problème que l’on appelle les lame ducks ou « canards boîteux » aux États-Unis, qui survient dans les deux dernières années du mandat présidentiel, lequel est de 4 ans, à partir du moment où les élections de mi-mandat ont eu lieu. S’agissant d’un mandat de 8 ans, vous reconnaîtrez que l’impact serait moindre. Même avec le quinquennat, on a par ailleurs un phénomène de lame duck quand un Président ne veut pas ou ne peut pas se représenter – et cela peut même durer quatre ans.

M. Bastien Lachaud. Je voudrais saluer l’ingéniosité de tous ces amendements. Je ne sais pas, encore une fois, si on se situe du côté du tout et n’importe quoi, comme on nous l’a dit tout à l’heure. En tout cas, le diagnostic est clair : nos institutions ne sont plus satisfaisantes depuis que le calendrier électoral a été inversé et que le quinquennat a été instauré, car cela nous a conduits à une présidentialisation accrue du régime. Je pense que seule une Assemblée constituante, en redonnant la parole au peuple, permettrait de se mettre d’accord sur la durée du mandat présidentiel et sur l’inversion, ou non, du calendrier électoral. Seule cette méthode est de nature à éclairer les débats.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement CL622 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Nous proposons de consacrer un droit de révocation du Président de la République par le peuple français.

Cela imposera au Président de la République une responsabilité permanente vis-à-vis du peuple, et conférera à ce dernier un pouvoir de contrôle régulé et institutionnel sur celui qui est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traité. Les électeurs pourront voter en toute quiétude puisqu’ils disposeront d’un pouvoir de contrôle sur des Présidents de la République qui se renient, trahissent leurs engagements et tournent casaque dès leur arrivée au pouvoir.

Ce nouveau droit sera suffisamment encadré pour ne pas perturber l’ordre démocratique : il sera, au contraire, employé avec parcimonie par les électeurs, comme le montrent les expériences étrangères. Un droit de révocation existe notamment, à différents degrés et pour différents élus publics, dans dix-neuf États des États-Unis d’Amérique, dans une province du Canada et dans six cantons suisses.

La procédure de révocation sera engagée à l’initiative d’1/10e du corps électoral et elle aboutira si une majorité absolue est réunie. Si le Président de la République est révoqué, le Conseil Constitutionnel déclarera son empêchement définitif dans les conditions prévues par l’article 7 de la Constitution. Le scrutin pour l’élection du nouveau Président aura lieu dans un délai de vingt jours au moins et de trente-cinq jours au plus.

Ce dispositif permettra d’allier pleinement l’exigence démocratique avec la nécessité d’assurer la continuité et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je donne évidemment un avis défavorable à cet amendement. Chacun peut avoir ses modèles, mais je ne suis pas sûr que nous ayons tous envie d’importer celui qui prévaut au Venezuela. Je voudrais aussi vous rappeler que M. Schwarzenegger est devenu gouverneur de la Californie après la révocation de son prédécesseur.

M. Bastien Lachaud. Je m’inquiète de ce que le rapporteur vient de dire. Il se permet de juger le choix des électeurs californiens, alors que vous ne cessez pas de nous rappeler que les États-Unis sont un allié et une grande démocratie. De tels propos me semblent un peu cavaliers. En outre, vous n’avez pas répondu sur le fond. La révocation permettrait de renforcer la confiance des électeurs dans le système, car ils auraient un droit de sanction à l’égard des Présidents de la République. Plusieurs orateurs ont souligné qu’aucun d’entre eux n’a été réélu à l’issue de leur quinquennat, ce qui conduit à s’interroger. Une révocation permettrait peut-être de résoudre le problème.

M. Erwan Balanant. L’idée d’une révocation peut paraître séduisante a priori, mais vous ne vous rendez pas compte de ce que cela implique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Mais si !

M. Erwan Balanant. Un Président venant d’être élu n’aurait plus qu’une idée : faire du populisme. Afin de ne pas être révoqué, la meilleure solution serait de n’adopter que des mesures plaisant à la majorité.

M. Bastien Lachaud. Quel mépris du peuple !

M. Erwan Balanant. Pas du tout. Le peuple choisit un Président au moment de son élection, puis il choisit de nouveau cinq ans plus tard. Il faut du temps pour mettre en place des politiques, et cet amendement est parfaitement contradictoire avec la volonté exprimée de rétablir le septennat.

Pourquoi ne pas instaurer une élection annuelle, bisannuelle, voire trimestrielle du Président de la République ? On serait alors certain que des décisions très populistes seront prises.

M. Rémy Rebeyrotte. Ce qui nous est proposé est tout à fait contraire à l’article 27 de la Constitution : tout mandat impératif est nul, et c’est heureux. Cet amendement est une négation de la démocratie représentative. Si la personne élue ne respecte pas exactement son programme de départ, on pourra trouver le moyen de la révoquer. Or la démocratie représentative repose sur la possibilité de prendre, en toute responsabilité, les mesures qui s’imposent pour diriger le pays. Mais je ne suis pas surpris que vous n’en soyez pas de très fervents défenseurs.

M. Sébastien Jumel. La nullité des mandats impératifs est une question intéressante : elle devrait nous conduire à réaffirmer, quels que soient les groupes auxquels nous appartenons, mais en particulier quand on fait partie de la majorité, l’existence d’une liberté de vote pleine et entière. Je ne suis pas certain qu’elle soit au rendez-vous dans tous les groupes politiques.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL743 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Caroline Fiat. Je sens que cet amendement ne va pas beaucoup vous plaire, lui non plus, car il vise à prendre en compte les citoyens français – ces gens qui votent puis subissent tous les textes adoptés ici.

Nous proposons de compléter la procédure de parrainage des candidats à l’élection présidentielle – vous savez qu’il faut actuellement 500 signatures d’élus – par la mise en place d’un parrainage citoyen. Il faudra désormais recueillir, dans des conditions définies par une loi organique, le parrainage de 150 000 citoyens. Les candidats n’auront plus à engager des démarches complexes pour recueillir des parrainages d’élus, et leurs moyens humains et financiers pourront ainsi être utilisés pour le débat d’idées et la campagne électorale au sens strict du terme.

Les 150 000 parrainages d’électeurs et d’électrices devront émaner d'un minimum de 50 départements ou collectivités d’outre-mer, sans qu'un département ou une collectivité ne puisse fournir plus de 5 % du total.

Je voudrais enfin souligner que cet amendement correspond à une proposition formulée en 2012 par la commission présidée par Lionel Jospin.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement.

Elle étudie ensuite l’amendement CL936 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement vise à faire en sorte que le second tour de l’élection présidentielle ne soit pas privée de vitalité et de pluralisme. Nous éviterons ainsi d’élire un Président de la République par défaut, ou en choisissant le moindre mal. Nous souhaitons qu’un candidat ayant obtenu 12,5 % des suffrages exprimés puisse être présent au second tour. Cela permettra de redonner du souffle à l’élection présidentielle et à notre démocratie.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud. C’est une proposition qu’il serait intéressant de soumettre à une Assemblée constituante, seul moyen de repenser complètement nos institutions et de refonder notre démocratie. C’est avec de telles idées que nous pourrions nourrir un débat riche, dans l’ensemble de la nation, et rétablir la confiance dont vous nous rebattez les oreilles. À chaque fois que des initiatives vous sont proposées pour redonner des pouvoirs aux citoyens et leur permettre de se ressaisir de la chose publique, vous les rejetez en bloc, et désormais sans même argumenter.

M. Christophe Euzet. Ne retenir que les deux candidats arrivés en tête au premier tour présente, quand même, pour intérêt d’asseoir la légitimité de celui qui l’emporte, avec plus de 50 % des voix. Je peux être ouvert à l’idée d’une triangulaire, voire d’une quinquangulaire, au deuxième tour, mais je me demande quelle sera la légitimité d’un Président de la République élu avec 22 % des voix.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL861 de M. Jean-Christophe Lagarde. 

M. Michel Zumkeller. Nous vous proposons que l’élection présidentielle se tienne entre 20 et 35 jours avant la fin de l’année, par cohérence avec l’année civile et budgétaire. Je rappelle que c’était le cas avant la démission du général de Gaulle, en 1969.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le système proposé serait sans doute assez frustrant pour le nouvel élu à la présidence de la République. En effet, l’année civile est une chose, l’année budgétaire en est une autre. Un président élu en décembre serait prisonnier de la loi de finances tout juste votée par la majorité précédente, sans la moindre possibilité d’appliquer son programme à brève échéance.

Au contraire, l’élection au printemps apparaît comme un meilleur système puisqu’il permet l’examen d’un collectif budgétaire pour le semestre restant et le vote en toute responsabilité d’un projet de loi de finances complet à l’automne par le Parlement.

Avis défavorable à cette fausse bonne idée.

M. Michel Zumkeller. Les constituants de 1958 ont donc eu selon vous une mauvaise idée, voilà une bonne nouvelle…

M. Vincent Bru. Si l’élection présidentielle a eu lieu, alors, en décembre, c’est parce que la Constitution a été adoptée le 4 octobre !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. En effet !

M. Michel Zumkeller. Quand le général de Gaulle a été élu fin 1965, cela ne l’a pas empêché de diriger le pays. Et quand il est élu en mai, reconnaissez que le nouveau Président gère le budget de la majorité qui était en place six mois auparavant. Même si le fait d’être élu au printemps permet le vote d’un collectif budgétaire, le nouveau président, pendant les six premiers mois de son mandat, j’y insiste, fait avec le budget voté par la majorité précédente.

M. Philippe Latombe. Certes, mais que fait-on si le Président de la République démissionne ou s’il décède ?

M. Michel Zumkeller. Le président du Sénat assure l’intérim.

M. Philippe Latombe. Je sais, mais pendant un bref délai qui, suivant la date du décès ou de l’empêchement, ne permettra pas au président du Sénat d’assurer l’intérim jusqu’en décembre. Alors comment fait-on ? C’est donc vraiment une fausse bonne idée.

M. Fabien Di Filippo. Si le président est élu en décembre, le temps de la campagne législative, de l’installation de la nouvelle Assemblée et du vote d’un nouveau budget, l’exécution d’un précédent budget ne sera pas de six mois mais d’au moins une année complète. Il faudrait donc organiser l’élection présidentielle avant l’examen du budget, à savoir en août ; or les Français sont en vacances. Si l’élection présidentielle est dès lors organisée au moins un mois avant les vacances d’été et si l’on tient compte de la nécessité de convoquer les électeurs pour désigner leurs députés ensuite, nous tombons bien sur le mois de mai.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL727 de Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune. En cas de vacance de la présidence de la République, la Constitution prévoit que l’intérim est assuré par le président du Sénat, lequel n’est pas élu au suffrage universel. Le présent amendement vise, en cas de vacance prévisible, due à un problème de santé ou à une démission, à organiser les élections de manière anticipée afin que l’élection au suffrage universel du nouveau Président de la République ait lieu sans discontinuité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai le sentiment que c’est le type d’amendement qui facilitera l’aboutissement avec le Sénat de ce projet de révision constitutionnelle – merci de cette contribution au consensus qui démontre une volonté farouche d’aboutir. (Sourires.)

Le cas imaginé ici est tout à fait théorique puisqu’il ne s’est jamais produit. Seul Charles de Gaulle a démissionné de la présidence de la République, et il l’a fait sans préavis à la suite de sa défaite au référendum de 1969.

Dans tous les cas, il n’apparaît pas souhaitable que la présidence de la République soit occupée par une personne qui aurait déjà notifié sa démission pour un avenir plus ou moins proche. Ce serait déjà, en soi, une forme d’intérim, et exercée par quelqu’un qui s’estime lui-même hors d’état d’assurer pleinement sa fonction.

En outre, il n’existe pas de rupture du suffrage universel puisque le président du Sénat, appelé à exercer l’intérim, en procède aussi, quoique indirectement. Donc avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL924 de M. André Chassaigne et CL835 de Mme Marietta Karamanli.

M. Sébastien Jumel. Je vais vous faire une révélation : j’ai vraiment un profond respect pour le Premier ministre, pas seulement parce qu’il a été le maire d’une ville proche de la mienne mais parce que, même si je combats résolument sa politique, il assume sa responsabilité avec hauteur de vue. Or je n’aime pas l’idée que le Premier ministre soit le collaborateur du Président de la République – que ce soit sous M. Nicolas Sarkozy ou le président actuel. C’est rabaisser le rôle du Premier ministre. Sa nomination ne doit donc pas être le fait du prince.

C’est pourquoi, par l’amendement CL924, nous proposons que le Premier ministre, issu de la majorité parlementaire, tire sa légitimité de l’Assemblée nationale. En effet, je le répète, rabaisser le rôle du Premier ministre à celui d’un collaborateur, c’est rompre l’équilibre des pouvoirs.

Mme Marietta Karamanli. Dans le même sens, je défends depuis longtemps l’idée que le Premier ministre doit être investi par l’Assemblée nationale, propre d’un vrai régime parlementaire. Et puisque notre régime politique fonde l’autorité politique sur le principe de la responsabilité, le Gouvernement, qui détient l’autorité publique, doit être pleinement responsable devant l’Assemblée.

La défense d’un Parlement plus autonome donc plus fort, sur laquelle une très large majorité de responsables politiques s’accordent, suppose qu’on lui redonne précisément toute sa place dans les relations entre le législatif et l’exécutif, sans toutefois qu’il soit nécessaire de toucher aux prérogatives essentielles du Président de la République. Dans un récent article à paraître, très circonstancié, un éminent spécialiste de droit constitutionnel et parlementaire met en évidence une dévalorisation continue du Parlement. C’est en effet le Président de la République qui gouverne ou, plus exactement, qui demande au Gouvernement d’agir et au Parlement d’obéir à ses ordres.

Dans ces conditions, le nécessaire rééquilibrage institutionnel passe par la correction du texte constitutionnel. Par souci de cohérence, la légitimité du Premier ministre doit être réaffirmée et l’Assemblée nationale peut lui donner, dans cette perspective, ce supplément de force en votant son investiture avant sa nomination par le chef de l’État. Cette amélioration du dispositif, qu’apporte l’amendement CL835, est nécessaire à une République moderne.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable à ces deux amendements pour des raisons évidentes. Le choix du Premier ministre relève exclusivement du Président de la République. L’Assemblée nationale est libre de le renverser de sa propre initiative par une motion de censure ou à l’occasion d’un discours de politique générale. Voyons les faits : les premiers ministres sont en général nommés par les présidents nouvellement élus, tandis que les majorités parlementaires sont « expirantes ». Moyennant quoi, à coup sûr, un Premier ministre nommé au lendemain de l’élection du Président de la République, alors même que siège encore pour quelque temps une majorité issue d’une législature précédente, ne pourrait pas obtenir cette investiture. Cela aurait pour exclusif bénéfice, comme sous la IVe République ou comme dans les pays voisins, de bloquer le fonctionnement de l’exécutif pendant quelques mois, et donc de faire dysfonctionner les pouvoirs publics et la capacité du pays à agir.

Mme Marietta Karamanli. Nous ne sommes pas d’accord. Je me souviens très bien, il y a quelques années, surtout pendant la législature 2007-2012, que vous partagiez l’analyse selon laquelle le Premier ministre n’était pas autonome, en tout cas qu’il ne gouvernait pas.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cela m’étonnerait : je ne siégeais pas à l’Assemblée nationale !

Mme Marietta Karamanli. Mais je me souviens très bien qu’entre 2012 et 2017 nous avons eu de nombreux débats, à l’Assemblée nationale, alors que nous siégions au sein du même groupe, et que nous étions d’accord.

Nous sommes des élus de la nation et non d’un exécutif. Or, à la suite de l’élection présidentielle, il serait difficile de ne pas investir un Premier ministre qui ne soit pas issu de la majorité présidentielle. Il s’agit pour l’Assemblée de renforcer le pouvoir et la reconnaissance du Premier ministre.

M. Sébastien Jumel. La cohérence des amendements en discussion n’aura pas échappé au président Ferrand : il ne s’agit pas de les considérer isolément mais dans leur ensemble.

Nous avons expliqué tout à l’heure que, selon nous, l’une des malformations congénitales des institutions était l’effet mécanique que l’élection présidentielle entraînait sur les élections législatives, surtout depuis qu’on a inversé le calendrier électoral de façon que ces dernières suivent la première, si bien que le fait majoritaire s’en trouve renforcé et l’équilibre des pouvoirs perturbé. C’est bien pourquoi nous entendons renforcer la légitimité du Premier ministre puisque sa nomination serait approuvée par l’Assemblée.

La Commission rejette successivement les amendements CL924 et CL835.

Elle en vient à l’amendement CL398 de M. François-Michel Lambert.

M. Paul Molac. En 2006, Nicolas Hulot appelait les candidats à l’élection présidentielle à signer un « Pacte écologique » composé de plusieurs propositions concrètes dont la première consistait à créer la fonction de vice-Premier ministre chargé du développement durable. Cette proposition procédait d’un constat assez simple : le ministre chargé de l’environnement, même animé des meilleures intentions, ne peut pas imposer que l’écologie soit, non plus une politique publique parmi d’autres, mais au fondement de toute politique publique.

Le Pacte écologique défendu par Nicolas Hulot précisait ainsi : « En bonne logique, nous proposons donc que les objectifs du développement durable et les impératifs de la crise écologique reçoivent enfin leur traduction concrète au plus haut niveau de l’action gouvernementale. Cela implique la création d’une nouvelle fonction, celle de vice-Premier ministre en charge du développement durable. Il s’agit là, dans notre esprit, d’une fonction de haut niveau : ce vice-Premier ministre sera responsable de l’insertion de l’impératif écologique dans l’ensemble des politiques de l’État. Si les candidats à la magistrature suprême veulent réellement convaincre l’opinion qu’ils sont acquis à la nécessité de placer le développement durable au cœur de leur politique, ils doivent le montrer, en s’engageant à le faire figurer au cœur de l’action et de l’architecture gouvernementales. »

Une telle proposition est assez novatrice mais elle a été défendue par un certain nombre de personnalités.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le Premier ministre, sous l’autorité du Président de la République, est libre de composer son gouvernement comme il l’entend, en fonction des défis qui se présentent au pays.

Chacun est conscient de l’urgence environnementale. La France n’a pas à rougir de son action nationale et internationale en la matière. Faut-il, pour autant, créer un vice-Premier ministre à l’environnement ? N’y a-t-il pas, aussi, urgence à agir dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la justice ?

Je ne vois pas bien l’intérêt de fixer dans la Constitution les intitulés des portefeuilles ministériels. Créer un « vice » de plus, fût-il « vice-Premier ministre », n’est pas forcément vertueux. (Sourires.) Avis défavorable.

M. Michel Castellani. Je suis pour ma part favorable à cet amendement : la création d’un poste de vice-Premier ministre chargé de l’environnement serait le moyen de promouvoir le développement durable au sein de toutes les politiques publiques. Il ne faut pas y voir un exercice de style : nous avons la conviction profonde que telle est la direction à prendre pour préparer l’avenir.

M. Paul Molac. Je comprends bien qu’il y ait de nombreux domaines dans lesquels il soit nécessaire d’agir. Je rappelle tout de même que le changement climatique, l’augmentation de la température, est une bombe à retardement. Notre proposition novatrice consiste bien à faire entrer l’écologie dans toutes les politiques publiques.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je ne crois pas une demi-seconde que cette proposition soit novatrice. S’il suffisait de nommer un ministre pour résoudre un problème, ça se saurait.

M. Philippe Gosselin. En effet !

M. Sébastien Jumel. Vous avez présenté comme une avancée extraordinaire le vote de dispositions constitutionnelles visant à la réalisation d’objectifs en matière de défense de l’environnement et de la biodiversité, mais aussi de lutte contre le réchauffement climatique. Nous étions alors un certain nombre considérant qu’il fallait garantir ces nouvelles dispositions alors qu’on s’est contenté d’introduire le verbe agir. Alors que nous avons inscrit en première place, dans la Constitution, la défense de la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, nous considérons, dans un souci de cohérence, qu’il faut un vice-Premier ministre pour coordonner cette action.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL408 de Mme Marie-Pierre Rixain, CL413 de Mme Cécile Untermaier, CL186 de M. M’Jid El Guerrab et CL1375 de Mme Stella Dupont.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Issu de la recommandation n° 4 de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, l’amendement CL408 vise à renforcer la parité en politique, et par-là même à contribuer à la promotion de l’égalité de droit et de fait entre les femmes et les hommes dans notre République. Si, depuis plusieurs années, le pouvoir exécutif s’est attaché à respecter le principe de parité dans la composition du Gouvernement, cette bonne pratique mériterait d’être consacrée dans la Constitution.

Mme Yaël Braun-Pivet, rappoteure. Il y a des objectifs, comme la parité, que nous souhaiterions toujours voir satisfaits pour ce qui concerne la composition du Gouvernement. Ne nous enfermons pas, toutefois, dans des règles trop strictes en la matière et privilégions la volonté politique, celle de l’actuelle majorité, par exemple, que je salue. Avis défavorable.

M. Hervé Saulignac. Je ne considère pas que prévoir un Gouvernement paritaire soit une exigence « trop stricte ». Ce serait au contraire une avancée intéressante, proposée par l’amendement CL413, ne serait-ce que pour ne plus entendre des présidents de la République se targuer d’avoir nommé des gouvernements paritaires. C’est une attente forte de la part de nos concitoyens.

M. M’Jid El Guerrab. Former un gouvernement paritaire est une pratique louable, une forme d’affichage d’une volonté politique. Or puisque nous révisons la Constitution, nous pouvons en profiter pour constitutionnaliser cette règle, objet de l’amendement CL186 : l’écart entre le nombre de femmes et d’hommes nommés ne doit pas être supérieur à un. Il s’agit ici de penser aux éventuels remaniements ministériels qui risquent de remettre en cause la parité initiale : nous voulons que la parité soit respectée tout le temps.

Mme Stella Dupont. L’amendement CL1375 ne vise pas à inscrire dans la Constitution l’obligation de parité dans la répartition des portefeuilles ministériels et en particulier dans l’attribution des ministères régaliens : il tend simplement à garantir la parité dans la composition du Gouvernement. C’est un acquis aujourd’hui mais l’inscrire dans la Constitution reviendrait à l’inscrire dans la durée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’adoption d’un tel amendement nous empêcherait de faire comme nos voisins espagnols dont l’actuel gouvernement est composé de onze femmes et de six hommes. Nous nous empêcherions en effet d’atteindre un nombre de femmes supérieur, ce qui serait bien dommage, vous en conviendrez.

M. M’Jid El Guerrab. Eh bien, proposez un sous-amendement !

M. Bastien Lachaud. Vous ne croyez pas vous-même en cet argument, madame la rapporteure. Je dirais plutôt que, pour moi, inscrire la parité dans la Constitution n’est pas faire preuve de rigidité puisqu’il s’agit de promouvoir l’égalité entre les genres. Imposer cette règle pour le Gouvernement ne m’apparaît pas plus rigide que de l’imposer pour les listes des élections européennes, des élections régionales… Certes, cela nous empêche d’avoir des assemblées composées uniquement de femmes, mais comme ce n’est pas aujourd’hui un risque – malheureusement –, la consécration constitutionnelle de l’égalité serait une avancée et non pas, je le répète, une rigidité.

M. Erwan Balanant. Madame la rapporteure, franchement, votre argument n’est pas sérieux. Inscrire la parité dans la Constitution n’est pas une idée de doux farfelus puisque cette règle s’impose d’ores et déjà pour la plupart des scrutins de listes. Deux présidents de la République ont fait preuve de volonté politique à cet égard, mais un de leurs successeurs pourrait fort bien ne plus avoir envie d’appliquer la parité et nous nous retrouverions alors avec un gouvernement composé uniquement d’hommes blancs barbus.

Plus sérieusement, partout où la parité n’est pas obligatoire, elle n’existe pas. Prenons l’exemple des intercommunalités : on ne compte que 16 % de femmes.

Mme Maina Sage. Dans l’absolu, nous aimerions ne pas avoir à contraindre à la parité. L’assemblée de Polynésie est paritaire depuis 2001, fruit d’une décision avant-gardiste pas évidente à appliquer. Le gouvernement, lui, n’est pas paritaire. Je rejoins ce qui vient d’être dit sur les intercommunalités : on voit tout de suite la différence.

M. Erwan Balanant. Et encore, j’ai avancé le chiffre de 16 % de femmes, en fait, c’est 8 % !

Mme Maina Sage. Il serait bon que les dispositifs imposant la parité soient temporaires car elle devrait être naturelle. Tant mieux si vous prônez la présence d’un maximum de femmes dans les institutions et en particulier au sein du Gouvernement, mais vous n’êtes pas éternels et l’inscrire dans la Constitution est une garantie.

Je termine en vous invitant à bien réfléchir : à terme, la parité protégera les hommes en politique.

Mme Marietta Karamanli. Vous n’avez cessé de répéter que le présent quinquennat était placé sous le signe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Vous avez une belle occasion ici de le montrer au plus haut niveau, celui de la Constitution.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Vous avez raison, madame la rapporteure, nous ne devrions pas avoir besoin d’inscrire la parité dans la Constitution. Malheureusement, on a bien vu que, pour l’obtenir, il a fallu l’instaurer pour un certain nombre de scrutins. Et j’espère que vous avez raison et qu’un jour nous ferons comme les Espagnols… avec une proportion entre les hommes et les femmes inverse de ce qu’elle est en général aujourd’hui.

La Commission rejette successivement les amendements CL408, CL413, CL186 et CL1375.

Elle en vient, en discussion commune, aux amendements CL1439 de M. Paul-André Colombani, CL926 de M. André Chassaigne et CL839 de Mme Marietta Karamanli.

M. Paul-André Colombani. L’amendement CL1439 vise à réduire la présidentialisation du régime et à donner une place centrale au Premier ministre dans la gestion des affaires intérieures du pays. Le Président doit garder une certaine distance vis-à-vis des affaires courantes car, à la différence du Premier ministre, il ne rend pas compte de son action au Parlement. Son rôle originel consiste à se concentrer sur les affaires extérieures. Ainsi, aux termes de l’amendement CL1439, le Président de la République ne présiderait plus le Conseil des ministres mais assisterait à ses réunions sur invitation du Premier ministre qui les dirigerait.

M. Sébastien Jumel. Le Premier ministre n’est pas un collaborateur et doit donc pouvoir présider le Conseil des ministres. C’est l’objet de l’amendement CL926.

Mme Marietta Karamanli. L’amendement CL839 prévoit que le Conseil des ministres est présidé par le Premier ministre ou, quand c’est nécessaire, par le Président de la République. L’article 20 de la Constitution dispose que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation – sous-entendu : sous la direction du Premier ministre dont il serait dès lors logique qu’il préside le Conseil des ministres.

Je rappelle par ailleurs que des constitutionnalistes ont déjà signalé que notre Constitution n’était pas formellement appliquée du fait d’un accord des pouvoirs constitués entre eux. Ainsi toute sa force n’est-elle pas donnée à l’article 21. Il est donc important de redonner au directeur du travail gouvernemental, le Premier ministre, la maîtrise de certains pouvoirs qui lui sont logiquement propres.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette successivement les amendements CL1439, CL926 et CL839.

Puis elle examine l’amendement CL937 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Nous souhaitons supprimer la possibilité qu’a le Président de la République de demander une seconde délibération des lois définitivement adoptées par le Parlement. Vous aurez compris que le fait du prince nous chagrine beaucoup.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cette disposition a été utilisée à trois reprises et permet au Président, lorsque le Conseil constitutionnel censure une disposition d’un texte voté par le Parlement, de suspendre le délai de promulgation et de rouvrir les débats pour corriger la disposition censurée. Cette possibilité, utilisée, j’y insiste, de façon exceptionnelle pour parer à une situation exceptionnelle, a montré sa nécessité puisqu’elle permet d’éviter la prolongation des débats qui risquerait d’entamer l’unité du texte partiellement censuré par le Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. J’entends bien votre argument, qui est solide ; en même temps l’article 10 de la Constitution n’envisage pas exclusivement le cas que vous avez mentionné. On pourrait en effet prévoir que le Conseil constitutionnel, lorsqu’il censure une partie de la loi, donne un délai supplémentaire avant la promulgation et la possibilité pour le président de l’Assemblée nationale de remettre à l’ordre du jour ledit texte afin que soit atteint l’objectif d’unité que vous venez d’évoquer. Reste, j’y insiste, que l’alinéa 2 de l’article 10 de la Constitution donne un pouvoir exorbitant au Président de la République qui contrevient au principe d’équilibre des pouvoirs auquel nous devons demeurer profondément attachés et à la préservation duquel nous devons donc veiller.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL1 de M. Marc Le Fur, CL172 de M. Vincent Descoeur et CL1069 de M. Michel Castellani.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Afin, à l’avenir, que sur des textes sociétaux majeurs, les Français puissent être consultés par voie de référendum, il s’agit d’insérer, au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, après le mot « sociale », le mot « , sociétale ».

M. Didier Paris, président. L’amendement CL172 étant défendu, nous passons à celui de M. Castellani.

M. Michel Castellani. L’objet de ces amendements identiques est d’élargir l’article 11 de la Constitution dans le sens précisé à l’instant par Mme Trastour-Isnart. Ainsi, sur des sujets de fond comme l’euthanasie, le mariage de personnes de même sexe… les Français estiment, si l’on en croit certains sondages, qu’ils auraient dû décider par la voie du référendum. Or, les sujets de société n’ont pas fait l’objet de référendums jusqu’à présent. Ces amendements vont donc dans le sens de la démocratie.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’adoption de ces amendements accroîtrait de façon considérable les pouvoirs du Président de la République en lui permettant de procéder plus facilement à des référendums et, par conséquent, d’enjamber le travail du Parlement.

Les instruments de démocratie directe peuvent être des outils intéressants pour trancher des questions relativement binaires, mais ils ne se prêtent pas toujours à l’étude approfondie de questions complexes ou qui demandent des auditions, des analyses subtiles.

Alors que, depuis des semaines, j’entends dire qu’il faut veiller à ce que les droits du Parlement ne soient pas abaissés, voilà une trouvaille qui, précisément, les abaisserait considérablement. Puisque le Parlement est l’organe chargé de voter les lois, il n’a pas à avoir honte de le faire. Les deux chambres doivent mener des débats sérieux, prendre leurs responsabilités et, dans le cadre de notre démocratie représentative, voter la loi.

Outre le fait d’attenter aux droits du Parlement, le vote de ces amendements ne permettrait pas l’organisation de débats sereins et éclairés sur les sujets que vous avez évoqués. Avis défavorable.

M. Michel Castellani. Président Ferrand, je reconnais que vos arguments peuvent être entendus mais, dans notre esprit, il ne s’agit pas d’enjamber les prérogatives du Parlement, loin de là. Nous souhaitons au contraire qu’elles soient renforcées, nous voulons faire rayonner davantage la démocratie directe à l’initiative du Président de la République et forcément sur des grands sujets.

M. Fabien Di Filippo. Si le Parlement était dessaisi de certaines de ses responsabilités au profit du peuple, ce serait légitime. Mais c’est toujours au profit de l’exécutif – que ce même Parlement est censé contrôler – et c’est ce qui est regrettable.

Ensuite, quand des changements sont susceptibles d’affecter pour toujours et de façon importante la société, il est bien normal que nous n’en décidions pas entre nous puisque, quand les lois, en la matière, sont adoptées, nous n’y revenons jamais. Il paraît donc légitime, que pour de tels changements, ce soit le peuple qui décide dans quel sens il souhaite aller.

La Commission rejette ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CL642 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Il s’agit de donner à la population la possibilité d’abroger une loi par voie de référendum.

Depuis des décennies, l’on assiste à de vastes mouvements de contestation de la part du peuple français des décisions des exécutifs successifs. La plupart du temps, ces contestations sont dirigées à l’encontre de décisions qui ne figuraient pas dans le programme du candidat devenu président. Par exemple, la loi dite El Khomri a provoqué un mouvement de contestation considérable alors même que son principe n’a jamais été validé par les électeurs. Ainsi, un référendum abrogatif d’initiative citoyenne aurait permis au peuple français de se prononcer sur l’opportunité ou non de cette loi. Cela aurait permis, d’une part, de prendre une décision légitime et, d’autre part, de rejeter une mesure sans que soit mise en cause la responsabilité du ministre concerné, ni celle du Gouvernement qui en est responsable.

Nous proposons donc, après l’alinéa 2 de l’article 11 de la Constitution, d’insérer un alinéa ainsi rédigé : « Un référendum tendant à l’abrogation de tout projet ou proposition de loi peut être organisé sur l’initiative d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. »

Enfin, le présent amendement correspond parfaitement au programme de La France insoumise : L’avenir en commun.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous aurez noté, chers collègues, que, par définition, cette proposition ne fait pas partie du programme de ceux qui aujourd’hui forment la majorité. En outre, l’adoption d’un tel amendement importerait dans notre droit une procédure de démocratie directe nommée « veto populaire », qui permet aux électeurs de voter l’abolition d’une loi en vigueur.

Il se trouve que nous y sommes hostiles comme à toutes les propositions comparables. Nous croyons en effet à l’utilité et à la force de la démocratie représentative. Les débats et les changements de règles passent par les élus, qui ne sont pas dans une tour d’ivoire – inutile de nourrir cette caricature –, mais qui au contraire sont au contact des électeurs, à l’écoute de leurs attentes, de leurs espoirs ou de leurs récriminations.

Voter cet amendement reviendrait à estimer que le travail législatif serait inférieur à des campagnes d’opinion ou d’agitation. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo. Outre qu’il est très difficile de récolter et de contrôler la validité de la signature d’un dixième du corps électoral, comme le prévoit l’amendement, ce qui représente des millions de personnes, le problème, ce ne sont pas les textes de loi adoptés, débattus au Parlement très démocratiquement et dont nous rendons compte devant nos électeurs, mais ce sont certaines décisions réglementaires prises de façon discrétionnaire par l’exécutif et notamment par le Premier ministre – je pense ici à la décision de limiter la vitesse à 80 kilomètres par heure sur certaines routes départementales, qui aurait mérité davantage de débats au Parlement alors qu’elle a été prise de manière complètement antidémocratique.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas faux.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL643 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Caroline Fiat. La pseudo-initiative populaire prévue par l’alinéa 5 de l’article 11 de la Constitution a été tellement verrouillée qu’elle n’a, depuis 2008, tout simplement jamais pu être appliquée.

En Suisse, pourtant régime directorial, 50 000 citoyens peuvent demander la tenue d’un référendum obligatoire sur les lois fédérales. En Californie, les initiatives populaires, qui peuvent avoir pour objet une révision de la Constitution ou l’adoption d’une loi ordinaire, sont soumises à référendum en dehors de toute intervention du Parlement. Selon qu’elle porte sur une matière constitutionnelle ou législative, une telle initiative doit être présentée par un nombre minimal d’électeurs égal à 8 %, ou à 5 % des personnes ayant participé à la dernière élection du gouverneur. Le dépôt de l’initiative populaire entraîne automatiquement l’organisation d’un référendum à l’issue duquel la norme proposée peut être définitivement adoptée.

Ainsi, on voit bien, avec ces deux exemples, que la possibilité pour une fraction du peuple de proposer une loi soumise à référendum est de nature à accentuer le caractère démocratique d’un régime politique sans provoquer une quelconque instabilité juridique, la Californie et la Suisse étant reconnues dans le monde entier pour le caractère démocratique de leurs procédures législatives sans pour autant qu’elles soient taxées d’États instables.

Nous proposons donc qu’un « référendum tendant à l’adoption de tout projet ou proposition de loi puisse être organisé sur l’initiative d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ».

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Pour les mêmes raisons, exactement, que pour le précédent amendement, j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

M. Didier Paris, président. Nous avons examiné 254 amendements au cours de treize heures trente de réunion. Il reste 1 105 amendements et, au rythme actuel, il nous faudrait cinquante-huit heures de débats pour en venir à bout.

Je vous remercie pour votre assiduité et pour la qualité de vos interventions. La Commission sera présente demain matin dans l’hémicycle. Nous nous retrouverons ici dès quatorze heures.

La réunion s’achève à 0 heure 30.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Typhanie Degois, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Dunoyer, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Jumel, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, M. Jean-Louis Masson, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Maina Sage, M. Hervé Saulignac, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Cédric Villani, Mme Hélène Zannier, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, M. Manuel Valls, M. Arnaud Viala, M. Guillaume Vuilletet

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Félix Acquaviva, M. Julien Aubert, Mme Delphine Batho, M. Moetai Brotherson, M. Michel Castellani, M. André Chassaigne, M. Paul Christophe, M. Pierre Dharréville, M. Fabien Di Filippo, M. Julien Dive, Mme Virginie Duby-Muller, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Stella Dupont, M. M'jid El Guerrab, Mme Caroline Fiat, M. Claude de Ganay, M. Brahim Hammouche, Mme Danièle Hérin, M. Christophe Jerretie, M. Bastien Lachaud, M. Gaël Le Bohec, Mme Christine Pires Beaune, M. Jean-Hugues Ratenon, M. François Ruffin, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Hélène Vainqueur-Christophe