Compte rendu

GROUPE DE TRAVAIL N° 6

LA DÉMOCRATIE NUMÉRIQUE ET
LES NOUVELLES FORMES DE PARTICIPATION CITOYENNE

« La dimension participative dans l’élaboration et le vote du budget »

– Visioconférence avec M. Robert Bjarnason, président de la fondation  « Citizens » en Islande, et Mme Unnur Margrét Arnardóttir, responsable des projets participatifs citoyens de la ville de Reykjavik (Better Reykjavik)               10

– Présences en réunion.................................11

 

 

 

 

 


Mardi
10 avril 2018

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 06

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
Mme Cécile UNTERMAIER,
Présidente


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GROUPE DE TRAVAIL
"DEMOCRATIE NUMERIQUE ET NOUVELLES FORMES
DE PARTICIPATION CITOYENNE"

Mardi 10 avril 2018

L’audition par visioconférence commence à neuf heures cinq.

(Présidence de Mme Cécile Untermaier)

Le groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne organise une visioconférence sur « Le budget participatif islandais » avec M. Robert Bjarnason, président de la fondation « Citizens » en Islande, et Mme Unnur Margrét Arnardóttir, responsable des projets participatifs citoyens de la ville de Reykjavik (Better Reykjavik).

Mme la présidente Cécile Untermaier Chers collègues, nous tenons ce matin une réunion un peu particulière puisque nous nous entretiendrons par visioconférence avec deux personnalités islandaises dont l’engagement citoyen dans la vie démocratique et politique de leur pays les a conduits à mettre en place plusieurs outils : la plateforme Your Priorities de la fondation Citizens, qui permet aux citoyens de proposer des lois, des politiques et des mesures budgétaires, sur lesquelles les autres utilisateurs peuvent ensuite se prononcer par un vote. Cette fondation est financée par la ville de Reykjavik et par l’Union européenne.

Autre outil : le site internet Better Reykjavik, créé juste avant les élections municipales de 2010. Le maire de Reykjavik avait alors encouragé les gens à utiliser la plateforme pour lui faire des propositions politiques et s’était engagé à financer les dix meilleures idées chaque mois. Sept ans plus tard, Better Reykjavik compte quelque 20 000 utilisateurs pour une ville de 123 000 habitants, et le conseil municipal a adopté 769 idées proposées par ce moyen. Ce site a également été testé dans d’autres pays, notamment en Estonie, en Australie, en Écosse, au Pays de Galles, en Norvège et à Malte.

Enfin, en 2011 a été créé le portail Better Neighborhoods, qui permet aux citoyens de contrôler une partie du budget d’infrastructure de Reykjavik. Quelque 18 millions d’euros, soit 6 % du budget de la ville pour cette année, ont été alloués pour être dépensés dans le cadre de ce portail. Cette dernière initiative nous intéresse plus particulièrement puisque notre groupe de travail, composé de dix députés représentant toutes les tendances politiques, réfléchit actuellement à la façon d’associer les citoyens à la définition, à l’examen et au vote du budget à l’échelon national. Les expériences locales et étrangères sont pour nous une source d’inspiration.

Aussi nous sommes particulièrement heureux d’entendre M. Robert Bjarnason, président de la Citizens Foundation en Islande, et Mme Unnur Margrét Arnardóttir, responsable des projets participatifs citoyens de la ville de Reykjavik.

Je vous propose un premier tour de table consacré à l’utilisation de la plateforme Your Priorities, puis un second consacré aux expériences islandaises en matière de participation des citoyens à la décision en matière budgétaire. Pourriez-vous d’abord nous présenter l’outil Your Priorities, son fonctionnement à Reykjavik et ailleurs ? 

M. Robert Bjarnason, président de la fondation Citizens en Islande. (Interprétation de l’anglais.) Nous avons créé la plateforme Your Priorities en 2008, dans le sillage de la crise financière, afin de jeter des passerelles entre les citoyens et leurs gouvernants et de bâtir la confiance citoyenne qui avait été perdue pendant la crise. Nous sommes entrepreneurs dans le secteur d’internet et avons créé cette organisation à but non lucratif pour développer des logiciels ouverts de participation citoyenne, dont la plateforme Your Priorities qui sert à produire des idées de manière collaborative – en crowdsourcing – et à en débattre. Elle comporte notamment un mécanisme de vote ouvert sur le budget et d’éducation civique, et nous utilisons également des outils d’intelligence artificielle pour renforcer l’autonomie des citoyens.

En créant un climat de collaboration entre les responsables politiques et les administrés, cette plateforme vise in fine à améliorer la qualité des décisions prises en impliquant davantage les citoyens. Depuis 2008, elle a été consultée par plus d’un million et demi de visiteurs uniques. Elle est également utilisée dans une vingtaine de pays.

Le concept de base est relativement simple : il s’agit de permettre aux citoyens de proposer des idées et de nourrir le débat par des arguments pour ou contre. C’est ainsi que les idées sont hiérarchisées par niveau de priorité, selon les votes des participants. Le but est d’optimiser le caractère constructif du débat, et non de capturer l’attention des internautes aussi longtemps que possible – à preuve, c’est une plateforme sans publicité qui, de ce fait, ne connaît aucun des problèmes que rencontrent les plateformes commerciales telles que Facebook.

L’une des principales innovations de cet outil consiste en un système de débat spécialisé. En 2009, la première version du site internet, qui jouait à l’époque le rôle de parlement fantôme – shadow parliament – appelé à débattre des textes examinés par le Parlement, utilisait un fil de discussion classique où les commentaires s’accumulaient les uns après les autres, sans classement aucun. Ce système a très vite montré ses limites, les discussions sur des sujets sérieux se transformant souvent en polémiques. Nous avons donc mis au point un système plus proche d’un débat universitaire : les arguments pour et contre sont classés dans deux colonnes différentes, ce qui permet aux participants de voter pour les arguments de leur choix et qui les oblige, plutôt que de commenter tel ou tel argument, à proposer un contre-argument en vis-à-vis. Cette manière de confronter les points de vue favorise une culture du consensus.

De tels débats permettent de faire apparaître les idées les plus intéressantes et d’enrichir les connaissances des participants. De façon générale, la co-construction favorise l’adhésion aux politiques publiques.

Mme la présidente Cécile Untermaier. Le système de débat numérique et de classement des arguments en colonnes me semble très intéressant. Comment faites-vous pour attirer les « invisibles », les personnes les plus éloignées de la vie politique ?

Mme Paula Forteza, rapporteure. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions sur l’utilisation que vous faites de l’intelligence artificielle pour encourager la participation citoyenne ? D’autre part, quel est le cadre politique et administratif dans lequel vous avez conduit cette expérimentation ?

M. Robert Bjarnason. (Interprétation de l’anglais.) Les méthodes permettant d’atteindre les personnes les plus éloignées de la vie publique sont nombreuses. En Islande, nous utilisons des réseaux sociaux tels que Facebook, mais aussi des « réseaux de voisinage » ; en Écosse, où nous avons récemment travaillé sur un projet dans la ville de Dundee, des bénévoles se rendent dans les quartiers les moins intégrés munis d’une tablette numérique pour présenter l’application aux habitants.

De façon générale, il est devenu très difficile de capturer l’attention des gens sur quelque sujet que ce soit, a fortiori sur la possibilité qu’ils ont de participer aux décisions. À l’évidence, personne ne peut prendre part à un processus participatif s’il n’est pas connu.

Nous utilisons également des programmes informatiques de traduction en anglais et en islandais mais surtout, nous développons actuellement un programme automatisé d’aide à l’élaboration des projets. En effet, nous pensons que l’intelligence artificielle est un outil très précieux de démocratisation et de compréhension des questions complexes, qui pourra aider les gens à prendre des décisions dans leur intérêt.

Mme Unnur Margrét Arnardóttir, responsable des projets participatifs citoyens de la ville de Reykjavik. (Interprétation de l’anglais.) Suite à la crise financière de 2008, la confiance envers la politique traditionnelle s’est effondrée en Islande. Un nouveau parti a été créé en vue des élections municipales de 2010, le parti Besti Flokkurinn – « le meilleur parti » –, dirigé par le comédien Jόn Gnarr et reposant sur un mode d’organisation très innovant consistant à laisser les citoyens définir eux-mêmes le programme politique du parti via des plateformes d’échanges. La méthode s’est avérée payante : la participation a été très élevée, le parti Besti Flokkurinn a remporté les élections et Jόn Gnarr a été élu maire de Reykjavik pour quatre ans. Après l’élection, la plateforme Better Reykjavik a été intégrée à l’administration municipale, ce qui nous a permis d’adopter une approche plus créative.

Le projet Your Priorities de comités participatifs est distinct du processus de budget participatif que nous appelons My District. Les citoyens adressent leurs idées aux comités participatifs, suite à quoi les utilisateurs de la plateforme en débattent en présentant des arguments pour ou contre ; chaque mois, les idées ayant recueilli le plus grand nombre de votes sont soumises à l’examen des commissions du conseil municipal. C’est ainsi que les citoyens peuvent directement inscrire leurs propres priorités à l’ordre du jour de l’exécutif.

Nous constatons néanmoins que la participation à cette plateforme recule, et ce pour plusieurs raisons : pour des responsables politiques et pour une administration, il est certes essentiel mais très délicat de travailler en lien aussi étroit avec la « base ». Les citoyens exigent que nous apportions des réponses claires et lisibles à leurs projets, mais le système tel qu’il fonctionne ne permet guère aux responsables municipaux d’y répondre par oui ou par non, souvent parce qu’un groupe de travail s’est saisi de l’initiative en question ou parce qu’il n’est pas certain qu’elle puisse être financée. Si cette expérience nous a appris quelque chose, c’est précisément à trouver un langage commun qui ne soit ni une réponse simple par oui ou par non, inadaptée à l’administration, ni le langage habituel de l’administration, inadapté aux citoyens.

Au début, les comités ont été quelque peu submergés par l’avalanche des idées qui leur étaient soumises ; nous veillons désormais à ne leur adresser que les idées qui recueillent le plus grand soutien populaire, de sorte qu’ils aient le temps de les examiner de manière approfondie. La principale raison qui explique le recul de la participation, cependant, tient surtout au fait que le deuxième volet de notre projet, le mécanisme de budget participatif, mobilise l’essentiel de nos moyens humains et financiers bien plus que nous ne l’avions anticipé. C’est pourquoi nous avons été contraints, faute de temps, de consacrer moins de ressources à la plateforme participative.

En ce qui nous concerne, le projet de budget participatif a porté principalement sur l’environnement et la planification, en particulier les nouvelles constructions et l’entretien des bâtiments. La ville de Reykjavik se divise en dix districts. Les citoyens transmettent leurs projets de construction ou d’entretien qui, après examen par des experts de la ville, sont adressés aux dix comités de district à qui il appartient d’en retenir vingt-cinq au maximum par district afin qu’ils soient mis aux voix. Les comités de district veillent à ce que les projets soient répartis de manière équilibrée dans la ville, qu’ils soient de nature diverse et qu’ils s’adressent à toutes les classes d’âge. Le système de vote électronique est très sûr. L’an dernier, la participation a atteint 10,9 % de la population ; les résultats du vote sont contraignants et les projets sélectionnés doivent être réalisés.

Le budget participatif a suscité une participation croissante au fil des ans : il répond à un cycle annuel et nous y avons consacré des moyens plus importants, d’où les progrès accomplis. En 2012, lors du premier vote, la participation n’a guère dépassé 8 %, et elle a diminué au cours des deux années suivantes. Nous avons donc procédé à plusieurs changements : nous avons notamment remodelé le site internet pour l’adapter aux appareils mobiles et en étoffer les contenus visuels, et avons sollicité les conseils d’une agence de publicité. Nous nous sommes également efforcés de travailler en lien plus étroit avec les services municipaux répartis dans chaque district, afin d’être au plus près des besoins des citoyens. Les projets les plus populaires portaient souvent sur les cours d’école, les piscines publiques, la sécurité routière et d’autres équipements de grande taille ; c’est pourquoi il nous était difficile de traiter ces projets complexes dans les délais imposés. En outre, notre mode de publicité ne permettait pas d’atteindre les plus jeunes, les personnes âges et les immigrés. Cette année, nous avons donc recruté une jeune femme chargée d’aller rencontrer les gens là où ils se trouvent, dans les écoles, les maisons de retraite, les centres de la Croix-Rouge : ce fut une bonne idée que nous renouvellerons lors de l’appel à idées de l’année prochaine.

La principale leçon que nous tirons de ce projet est qu’il suppose des moyens importants que nous avions initialement sous-estimés. Nous avons donc recruté de nouveaux employés. Le budget participatif suscite aussi des critiques parmi les citoyens, notamment le fait que les projets d’entretien sont privilégiés par rapport aux nouvelles constructions et autres projets, mais rares sont ceux qui souhaitent in fine que ces projets ne soient pas financés. Même s’il s’agit de projets de petite ampleur, ils font une véritable différence dans les quartiers et n’auraient sans doute pas été réalisés sans le processus participatif, car ils sont au plus près des besoins des habitants.

C’est un projet évolutif par nature au sujet duquel nous ne cessons d’apprendre et de nous améliorer. Il présente d’innombrables petites difficultés mais nous nous employons à les résoudre. Dans la sphère administrative et politique, chacun convient qu’il est utile et qu’il faut continuer de le renforcer.

Mme la présidente Cécile Untermaier. Merci de cette présentation. Il ne faut pas sous-estimer le prix de la démocratie. Vous avez rappelé que la maintenance coûte cher, et qu’il faut du personnel et des crédits, on ne peut pas faire quelque chose avec rien. Nous retenons aussi la nécessité du contact humain, puisque vous considérez que le numérique ne suffit pas pour mobiliser les citoyens et qu’il faut prévoir une information par d’autres canaux.

Notre préoccupation, en tant que députés, porte sur le budget de l’État. À partir de votre expérience au niveau de la ville, vous semble-t-il possible de proposer une participation sur le budget de l’État ? Elle pourrait porter sur la loi de finances telle qu’elle nous est soumise, ou alors sur les aides que l’État attribue aux régions. Excusez mon ignorance, je ne sais pas comment fonctionne le budget de l’État en Islande, mais nous avons en France des lignes budgétaires qui intéressent les territoires. Avec Mme Forteza, nous explorons deux pistes : une expérience de budget participatif sur les masses budgétaires ; ou bien sur les politiques appliquées dans les territoires, qui pourraient être soumises à l’appréciation des citoyens.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Je voudrais comprendre comment vous en êtes venus à concentrer l’expérience sur la maintenance. Nous devons choisir, parmi les différentes alternatives, s’il est plus pertinent de soutenir des projets associatifs, des projets de collectivités territoriales, ou de donner la possibilité au citoyen de choisir parmi les grandes orientations budgétaires. Une part du budget pourrait être laissée à disposition, en déterminant quelle part va à la santé, quelle part à la défense, quelle part va à la cause des femmes, et ainsi de suite. Quelles alternatives avez-vous envisagées avant de décider de vous porter sur les projets de maintenance ? Quels arguments vous ont amené à retenir ce cas particulier ?

M. Robert Bjarnason. (Interprétation de l’anglais.) Mettre en place un budget participatif au niveau national serait une superbe expérience progressiste. Certainement, l’aspect policy crowdsourcing de notre travail, afin de fixer des priorités, a été utilisé en Estonie où il a permis l’adoption de sept lois. Mais jamais cela n’a été mis en œuvre sur une aussi large échelle, nulle part dans le monde.

Si vous me permettez une observation : peut-être ne vaut-il mieux pas ouvrir tout le budget, et laisser les citoyens arbitrer entre la santé et la défense, mais plutôt se concentrer sur une part qui est plus discrétionnaire et qui ne porte pas sur les fonctions régaliennes. Je ne pense pas que la première chose à faire soit de proposer un système qui permette de retirer les financements du système de santé. C’est aussi une bonne idée d’habiliter les collectivités territoriales à se lancer dans de telles démarches.

Enfin, nous ne discutons pas uniquement de projets d’équipement, il y a bien plus.

Mme Unnur Margrét Arnardóttir. (Interprétation de l’anglais.) Mettre en place un tel projet au niveau national serait d’une échelle tellement supérieure à la nôtre que nous apprendrions certainement de vous. Je ne pense pas que notre expérience, limitée à 6 % du budget de construction, soit vraiment transposable à votre niveau, c’est très ambitieux. Mon cœur d’administratrice est très stressé à cette seule pensée ! Mais c’est très enthousiasmant, je suivrais cela de très près.

J’ai entendu parler d’une expérience en France, permettant aux personnes de voter pour les projets qu’ils souhaitent. La Nouvelle Orléans a fait la même chose, mais c’est un peu effrayant de laisser complètement la décision aux citoyens. Je n’ai pas la sensation que notre expérience soit transposable à cette échelle.

Je n’étais pas partie à ce projet lors de sa mise en œuvre, étant arrivée en 2014, je ne sais donc pas pourquoi il a été décidé de le restreindre aux constructions nouvelles et à la maintenance. Mon impression, et ce que j’ai entendu dire, est que c’était une bonne façon de commencer : il s’agit d’un domaine restreint, ce sont des projets visibles par les citoyens. Il ne s’agit pas seulement de maintenance, mais aussi de nouvelles constructions, donc sont inclus les terrains de jeux, de nouvelles structures, des œuvres d’art dans la ville, le paysage.

Je pense que l’idée était aussi de montrer aux citoyens que les projets qu’ils choisissaient étaient effectivement réalisés et qu’ils étaient écoutés, c’est particulièrement évident avec un bâtiment. Maintenant, il y a une demande pour élargir le champ de l’expérience à d’autres catégories, et nous devons trouver des moyens pour le faire. Cette année, pour la première fois, d’autres catégories de projets sont prévues, par exemple en matière de propreté. Donc nous espérons que cette démarche ne restera pas limitée au domaine des nouvelles constructions et de l’entretien très longtemps.

M. Nicolas Démoulin. Bonjour, et merci de vous être levés si tôt ! Les projets dont vous parlez concernent beaucoup le domaine associatif et la culture. Y a-t-il eu des projets plus liés à l’entreprise, par exemple le développement des petits commerces en centre-ville ?

À vous écouter, on comprend que ce n’est pas simple, que le numérique ne résout pas tous les problèmes et qu’il faut aussi de l’humain. Vous nous faites un peu peur, mais c’est tant mieux, vous parlez franchement à propos de la participation au niveau du budget de l’État. Si ce n’est pas possible en Islande, je pense que ce serait encore plus difficile en France.

Existe-t-il des initiatives plus précises dans d’autres domaines ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Bonjour, je suis ravi de rejoindre ce groupe de travail en remplacement de Mme Louwagie. Je suis agréablement surpris de votre démarche, que j’ai expérimentée à l’échelle d’une communauté d’agglomération, mais également effrayé, car en fait elle ne fait que pointer les défaillances du politique. Vous l’avez bien expliqué : ce sont des dispositifs destinés à ramener les gens à la participation à la vie publique et à la politique, elles ne font que pallier les insuffisances du politique. Nous sommes confrontés à nos propres carences, ce qui fait toujours un peu peur. Confier cela à des logiciels est un peu effrayant, même si c’est fait à un échelon local. Et je pense que c’est à l’échelon local que cette démarche doit se développer.

Quel est votre sentiment sur les perspectives à long terme ? Il y a besoin de moyens supplémentaires, moyens humains et ressources. Est-il dommageable de consacrer autant de moyens alors que vous êtes dans l’obligation d’envoyer des gens sur le terrain ? Vous avez dit que les politiques n’habitaient plus ces quartiers, nous allons devoir choisir entre développer ces nouvelles méthodes ou en revenir aux contacts entre humains, même si j’ai bien compris que les deux peuvent aller de concert.

J’avais beaucoup aimé cette méthode de travail au niveau local. Par exemple, avant d’envisager des projets de déplacement urbain, de mobilité, de transport, d’environnement, la participation avait très bien fonctionné. On ne peut pas mettre en place de telles mesures sans l’adhésion de la population et ces outils étaient le meilleur moyen. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit souhaitable de le transposer au niveau national ou à un niveau plus élevé.

M. Robert Bjarnason. (Interprétation de l’anglais.) Nous faisons fonctionner Better Reykjavik depuis 2010, mais nous avons aussi un site à l’échelle nationale, Better Iceland, depuis 2011. Les citoyens souhaitent aussi participer au processus de décision à l’échelon national. Une des raisons pour lesquelles nous pensons que la démocratie participative doit aller de l’avant, c’est que beaucoup de citoyens ont perdu confiance dans la politique et les institutions. Un des objectifs principaux, au niveau local comme national, est de reconstruire cette confiance, d’engager un dialogue et de partager le pouvoir.

Le monde change très vite, et les institutions – pas seulement en Islande, mais aussi l’Union européenne et les autres États – doivent changer également. La démocratie participative peut aider à accompagner ces changements, et permet aux citoyens d’être une partie de la solution.

Quant à l’opposition entre la démocratie numérique et le porte-à-porte, il faut en fait des deux. Il est important de rencontrer les personnes en face, mais les outils numériques rendent bien plus aisées les consultations à plus grande échelle.

Mme Unnur Margrét Arnardóttir. (Interprétation de l’anglais.) Nous n’avons pas beaucoup d’expérience avec les entreprises, elles n’ont pas été des parties prenantes au projet, ce sont vraiment les citoyens qui se sont mobilisés. Je suis sûre que certains d’entre eux ont de petites ou moyennes entreprises, mais ce n’est pas en tant que commerçants qu’ils se sont exprimés, plutôt en tant que citoyens.

S’agissant de la possibilité de mettre en place une telle politique à l’échelle du budget national de la France, je ne voulais évidemment pas dire que ce n’est pas possible, mais simplement que cela me semble très compliqué. Humblement, je pense uniquement que notre expérience ici ne nous permet pas d’envisager de passer à l’échelle nationale en Islande. Mon cerveau n’est pas capable de réfléchir à une telle montée en charge et un passage à l’échelle nationale, le niveau municipal demande déjà beaucoup de travail, mais je suis sûre que vous allez y arriver, et ce sera pour moi une formidable opportunité d’apprendre.

Je ne partage pas la vision selon laquelle les politiques participatives viennent combler les défaillances du politique. Je pars du principe qu’il faut qu’une culture s’installe, qui permette d’améliorer les décisions prises par les politiques en leur apportant des informations qu’on ne peut pas avoir autrement. Cela change la culture, de manière à ce qu’il n’y ait pas ces grandes fractures entre les citoyens et les autorités. Ce dialogue ne vient qu’en partie combler le vide existant, il vient surtout alimenter les réflexions pour qu’elles soient plus pertinentes.

Je pense par ailleurs qu’il faut utiliser les moyens de communication en ligne et hors-ligne. Les citoyens doivent comprendre que la ville et les autorités sont proches d’eux, et que nous sommes à leur écoute. L’idée n’est pas de dire que ce que nous avons fait n’a pas marché et que nous leur donnons les clefs du camion. Il faut chercher à mobiliser les gens et leur faire comprendre qu’ils font partie du projet, qu’ils savent des choses que nous ne savons pas, et que ces formes de travail sont complémentaires. En tout cas, c’est ainsi que je vois les choses.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Sur des aspects plus techniques, quel niveau d’identification utilisez-vous ? Est-ce que les comptes peuvent être créés de façon complètement anonyme, et est-ce qu’un contrôle des doublons possibles est fait ? Comment s’assurer que des lobbys ou d’autres acteurs ne cherchent pas à manipuler la plateforme d’une façon ou d’une autre ?

Est-ce que vous utilisez des techniques de gamification ? J’en avais entendu parler autour de votre projet. Est-ce qu’une certaine somme est mise à disposition de chaque compte, est-ce qu’il n’y a qu’un seul vote ? Comment fonctionne la mécanique de la participation pour le budget ?

M. Robert Bjarnason. (Interprétation de l’anglais.) En ce qui concerne la sécurité, il y a deux volets. Quand on ajoute une identité sur le portail, n’importe qui peut participer, avec Facebook ou Google, c’est très simple. Mais pour le vote, la seule possibilité est de s’enregistrer avec sa carte d’identité numérique ou un mot de passe envoyé par les autorités directement au citoyen, qui passe par les mêmes systèmes que les codes bancaires. Le vote est donc beaucoup plus sécurisé que la proposition.

En ce qui concerne la gamification, lorsqu’un citoyen participe au système de vote, il choisit un quartier, et une interface apparaît qui lui montre les différents projets et leur coût. Il peut alors appuyer un projet en cliquant sur une icône en forme de « + ». Par exemple, dans un quartier, le budget total est de 55 millions, et les citoyens peuvent choisir une idée en particulier, ou dépenser la totalité du budget en la répartissant entre les différents projets. C’est très simple, assez interactif, et il suffit de quatre ou cinq minutes pour voter. À peu près 12 000 personnes ont ainsi voté l’an dernier. Voici l’angle interactif et ludique que nous avons adopté.

Les participants peuvent choisir le budget dont ils rêvent, et ce rêve prend corps au fur et à mesure que les projets se mettent en place.

Mme Unnur Margrét Arnardóttir. (Interprétation de l’anglais.) C’est un des domaines dans lesquels il y a un choc culturel entre l’administration et les associations de citoyens. Nous aimerons savoir quels sont les gens qui fréquentent le site, dans quels quartiers ils vivent, quel âge ont-ils, s’il s’agit de personnes âgées, de jeunes ou d’immigrés. Tandis que les citoyens demandent davantage de transparence et d’ouverture, et souhaitent que l’inscription sur le site soit simple pour participer. Je crois que c’est un domaine dans lequel nous avons mutuellement beaucoup à apprendre, et dans lequel il faut instaurer un dialogue.

Si nous appliquions nos principes de sécurité, ce serait tellement compliqué que personne ne s’inscrirait. Mais pour le vote, il faut une sécurité renforcée, puisque l’argent des contribuables est en jeu, et nous aimerions qu’il soit possible d’avoir le même niveau de sécurité pour voter aux élections municipales en ligne. Il faudra du temps et beaucoup de travail, mais c’est le cap que nous nous sommes fixé.

Mme Paula Forteza, rapporteure. En France, nous réfléchissons actuellement à la création d’une identité numérique. Quel est le dispositif qui a été mis en place pour l’identité numérique en Islande : une carte à puce, un mot de passe en ligne ?

M. Robert Bjarnason. (Interprétation de l’anglais.) C’est un peu des deux. Un mot de passe est envoyé par le biais du système de sécurité bancaire. Il faut renseigner le numéro d’identité national pour le recevoir. De plus en plus de personnes se servent de leur identité électronique, dans le cadre du programme lancé par l’Union européenne.

C’est très simple : il faut se rendre à la banque et montrer sa carte d’identité. Ensuite, il est possible de créer son identité sur la carte SIM de son téléphone, et lors de la connexion au site, il suffit de rentrer son numéro de téléphone, de cliquer sur « OK », pour recevoir un mot de passe et accéder au site. C’est très simple à mettre en place ; la Norvège a le même système, les Pays-Bas aussi. C’est un système classique, mais certaines personnes utilisent encore le vieux système des mots de passe envoyés par l’administration.

Mais il va de soi qu’il faut plus de sécurité pour le vote contraignant que pour les propositions.

Mme la présidente Cécile Untermaier. Va-t-il de soi que le vote des électeurs reste secret, et qu’il n’y a pas de possibilité de remonter à l’identité de la personne ? N’y a-t-il aucune inquiétude à avoir sur les systèmes de sécurité sous cet angle ?

M. Robert Bjarnason. (Interprétation de l’anglais.) D’un point de vue technique, l’état civil a les identités de tout le monde et s’occupe de l’identification de tous les utilisateurs. Quand l’utilisateur a été identifié, l’état civil nous envoie une version cryptée de l’identité nationale. Dans la base de données du vote, il n’y a que la donnée cryptée. Les organisations de la société civile ou les autorités municipales ne peuvent pas remonter la chaîne, c’est totalement impossible de relier un vote à une personne. On a créé cette séparation classique, qui permet l’anonymat numérique.

 Mme la présidente Cécile Untermaier. Je vous adresse un grand merci. Votre expérience est extrêmement intéressante pour nous. Bravo pour ce que vous faites en Islande, sachez que nous aussi, députés français, avons le souci d’établir cette culture collaborative. Nous le faisons déjà pour les lois, pourquoi ne pas le faire pour la loi de finances ? C’est notre ambition.

 

 

 

 

L’audition par visioconférence s’achève à dix heures.

 

 

 

 


Présences en réunion

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 9 heures 

Présents.  M. Nicolas Démoulin, M. Jean-Jacques Ferrara, Mme Paula Forteza, Mme Cécile Untermaier

Excusé. M. Guillaume Peltier