Compte rendu

Commission d’enquête
sur la sûreté et la sécurité
des installations nucléaires

 Audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) 2


Jeudi
7 juin 2018

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 38

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
M. Paul Christophe,

Président

puis de

M. Jean-Marc Zulesi, membre de la commission d’enquête


  1 

La commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a procédé à l’audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN).

M. le président Paul Christophe. Nous accueillons aujourd’hui M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), que nous avions déjà entendu une première fois le 22 février dernier, alors que la commission d’enquête débutait ses travaux. Quatre mois et trente-sept auditions plus tard, nous approchons de la conclusion de notre enquête.

Nous avons lu quantité de documents, nous sommes rendus en France et à l’étranger sur plusieurs sites, dont celui, particulièrement marquant, de Fukushima Daiichi, et avons entendu un nombre important de témoignages, souvent complémentaires, parfois contradictoires.

Dans le but d’approfondir certains points et de tenter une synthèse de ce qu’elle a appris, la commission a éprouvé le besoin de rencontrer à nouveau les acteurs essentiels du nucléaire, au premier rang desquels, bien sûr, l’ASN.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, monsieur Chevet, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Pierre-Franck Chevet prête serment.)

À ce stade des auditions, je pense qu’il n’est plus nécessaire de commencer par un propos liminaire. Je vais donc donner directement la parole à Mme la rapporteure, qui a une série de questions à vous soumettre. J’inviterai ensuite les autres membres de la commission à vous interroger s’ils le souhaitent.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé nous ont montré à quel point l’ASN était centrale dans ce dossier. Nous avons donc effectivement de nombreuses questions à vous poser.

Concernant tout d’abord la question, souvent évoquée, du prolongement des réacteurs, il apparaît que le conseil d’administration d’EDF a comptablement voté, en 2016, la prolongation de quarante à cinquante ans de tous les réacteurs de 900 MW, à l’exception de ceux de Fessenheim. Nous souhaiterions savoir quel sens vous donnez à cette décision, alors même que l’ASN ne s’est à ce jour pas prononcée sur une telle prolongation. A-t-elle d’ailleurs été saisie de cette question ? Peut-on interpréter cela comme une pression exercée à l’égard de l’Autorité de sûreté nucléaire, à laquelle on entendrait ainsi montrer que le prolongement de la quasi-totalité du parc relève de l’évidence ?

M. Pierre-Franck Chevet. La première demande de principe effectuée à ce propos par EDF auprès de l’ASN et confirmée depuis date de 2009. C’est en cohérence avec cette demande qu’EDF a provisionné la somme correspondante. Bien évidemment, cela ne préjuge en rien de la position que va prendre l’ASN. Je ne le ressens pas comme une pression, dans la mesure où cette mesure est cohérente avec la position exprimée par l’industriel. À l’inverse, nous sommes totalement libres de notre décision. L’instruction est en cours et nous envisageons de prendre une position générale en 2020, laquelle se transformera en prescriptions qui s’imposeront à EDF en 2021.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. J’ignore si cela relève précisément de vos compétences, mais le budget prévu par EDF pour le grand carénage vous paraît-il suffisant pour permettre la prolongation en toute sûreté des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans ?

M. Pierre-Franck Chevet. L’ASN n’a pas vocation à se prononcer sur les budgets, mais uniquement sur les prescriptions techniques à imposer. EDF a estimé les sommes qu’il entendait investir, ce qui est assez logique. Pour autant, cela ne préjuge ni de nos décisions, ni des prescriptions que nous lui adresserons, en fonction desquelles le coût devra être actualisé.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Sans doute avez-vous, comme nous, suivi l’actualité : aujourd’hui, EDF indique, à propos de Fessenheim, se mettre en situation de prolonger les réacteurs jusqu’à la mi-2019, ce qui ne relève absolument pas d’une obligation légale et n’a rien à voir avec le fait notamment que l’EPR puisse ne pas être mis en service à la date prévue. L’ASN a-t-elle été consultée sur cette prolongation ? Qu’en est-il des travaux dont l’ASN avait demandé la réalisation pour la fin 2018 ? Cela concernait principalement la mise en place d’un diesel d’ultime secours. Si l’on prolonge les réacteurs de Fessenheim jusqu’en 2019, l’ASN compte-t-elle imposer cette réalisation ? S’ajoute à cela le fait que si l’on entre dans la logique d’EDF, qui indique attendre le démarrage de l’EPR pour fermer Fessenheim, la situation risque fort de se prolonger. Plus globalement, estimez-vous que les réacteurs de Fessenheim sont aujourd’hui conformes aux normes post-Fukushima ?

M. Pierre-Franck Chevet. Les réacteurs font l’objet d’un réexamen de sûreté tous les dix ans, conformément à la loi de 2006. Dans ce cadre, nous avons été amenés à nous prononcer favorablement, en 2010 et 2012, sur une extension de dix ans, moyennant un certain nombre de réserves. Les réacteurs de Fessenheim sont ainsi autorisés de principe à fonctionner respectivement, en termes de sûreté, jusqu’en 2020 et 2022. Ces autorisations s’accompagnaient d’un certain nombre de prescriptions, concernant notamment le renforcement du radier de Fessenheim, c’est-à-dire du plancher en béton sur lequel est posée l’enceinte de confinement. Ces travaux ont été effectués en 2013-2014. Il reste encore, comme sur les autres tranches, des travaux à mettre en œuvre dans le domaine du post-Fukushima : cela concerne notamment les diesels, qui ne figurent pas, me semble-t-il, dans le calendrier des opérations à effectuer d’ici la fin de l’année. Il va donc falloir que nous examinions dans quelles conditions accepter un retard et quels engagements EDF est prêt à prendre – ou pas – dans ce contexte avant de nous positionner. J’ajoute que cette question d’éventuels retards ou délais supplémentaires pour mettre en place des mesures post-Fukushima se pose pour l’ensemble des réacteurs, dont ceux de Fessenheim.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Concernant les prérogatives de l’ASN, vous souhaitez qu’elles soient élargies, à plus ou moins long terme, à la sécurité. Pourriez-vous nous préciser le périmètre d’extension que vous envisagez ? Dans quels champs l’ASN pourrait-elle prescrire non seulement aux opérateurs, mais aussi aux autorités chargées de la sécurité, des mesures à prendre en matière de tests complémentaires, comme des résistances de parois ou des tests d’explosifs ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je souligne que le domaine de la sécurité en général n’est pas « orphelin » en France : il existe actuellement des services en charge de ce sujet. Il ne s’agit donc pas d’une situation d’urgence, comme cela avait pu être le cas en matière de sécurité des sources radioactives, où il n’existait aucun organisme d’État en charge. Ce vide a été comblé par la loi de transition énergétique, qui a confié à l’ASN la mission de veiller à l’aspect sécurité sur les sources radioactives. Nous sommes donc déjà impliqués par ce biais dans les enjeux de sécurité. En revanche, les autres éléments de sécurité, notamment pour les centrales nucléaires, relèvent de la compétence de services de l’État, en l’occurrence le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’écologie. Il ne s’agit donc pas d’un sujet orphelin. Je pense toutefois qu’une réorganisation est, à terme, inéluctable, bien que sans urgence, pour plus d’efficience, comme cela est fait à l’étranger. Il s’agirait, selon des modes d’action relativement similaires à ceux que nous déployons déjà – d’où un gain d’efficience – d’effectuer des prescriptions en matière de sécurité, concernant les équipements, les dispositifs de retardement de l’accès, l’intervention des forces de défense propres aux exploitants, afin de vérifier que le système est cohérent. Il faut s’assurer que la résistance intrinsèque des installations et les dispositifs de retardement sont en cohérence avec le fait que, au bout d’un temps donné, les forces locales de sécurité arrivent et interviennent. Tout cela doit faire l’objet d’un encadrement, qui pourrait être effectué, selon la nature des textes, soit par l’État, soit par l’ASN, comme c’est déjà le cas dans le domaine de la sûreté.

Cela suppose également de réaliser un important travail d’inspection, afin d’aller vérifier sur place la façon dont les choses se passent ou ne se passent pas, travail que nous menons déjà dans le cadre de la sûreté. Disposer potentiellement, à terme, d’un double regard de nos inspecteurs à la fois sur les aspects de sûreté et de sécurité apporterait selon nous un « plus » au fonctionnement global de l’État. Il s’agit en fait d’adopter une approche intégrée, à savoir un établissement et un inspecteur pour l’ensemble des éléments à contrôler. Cela constitue à la fois une mesure de simplification pour les exploitants, qui n’ont qu’un seul interlocuteur, mais aussi vis-à-vis de nos concitoyens. Qu’il s’agisse de sûreté ou de sécurité, l’enjeu majeur est en effet la protection des personnes et de l’environnement. Être en capacité de parler d’une seule voix pour rendre compte de la manière dont les choses se passent me paraît important.

Je rappelle que nous gérons actuellement le volet de la sûreté, mais aussi les problèmes de radioprotection, de protection des personnes et de l’environnement, et l’inspection du travail dans les centrales nucléaires.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Nous avons abordé cette question avec les autorités chargées aujourd’hui de la sécurité – opérateurs, ministère, secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale – qui se sont toutes montrées plutôt réticentes à l’idée d’une intervention de l’ASN dans le champ de la sécurité, en faisant valoir que l’écosystème qu’elles forment se trouverait déstabilisé et que le fonctionnement de l’ASN s’en ressentirait également, notamment parce que les personnels chargés de la sûreté doivent travailler dans la transparence totale, alors que les personnels chargés de la sécurité sont contraints par le secret de la défense nationale. Que répondez-vous à ces arguments ? Dans quelle proportion des agents de l’ASN sont-ils déjà habilités au secret défense ?

Nous avons été témoins, à Gravelines, d’une inspection de l’ASN et de sa restitution, lors desquelles avaient été abordés des sujets de sécurité : nous avons, à titre d’observateurs, trouvé cela très intéressant. Nous allons donc plutôt dans votre sens. Il existe toutefois, comme je viens de l’indiquer, des objections fortes.

M. Pierre-Franck Chevet. De très nombreuses personnes sont, au sein de l’ASN, habilitées secret défense. Cela concerne notamment toutes les personnes travaillant sur la sécurité des sources radioactives. Je souligne au passage que l’objection que vous avez mentionnée pourrait s’entendre à ce propos ; de fait, il n’y a pas de sujet. Nous avons l’habitude de gérer différentes formes de secret, dont le secret industriel et commercial. D’autres indications figurant dans les rapports de sûreté, y compris celles liées potentiellement aux actes de malveillance, méritent également de ne pas être divulguées. Cela s’impose à nous et nous semble normal. Je n’ai aucun problème de principe à expliquer à toute personne extérieure que certaines données ne sont pas accessibles, afin d’éviter des problèmes éventuels et protéger les personnes et l’environnement. En général, ce discours est totalement entendu par l’ensemble des parties prenantes.

À l’inverse, je pense important, sur ces sujets, que les autorités en charge soient challengées, y compris par le Parlement. Dans cette optique, il m’apparaît que l’idée d’une instance ad hoc du Parlement, composée de parlementaires habilités à en connaître, serait vraiment la bienvenue et permettrait d’aller plus loin dans les discussions et de challenger les autorités sur les dispositions mises en place.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) n’est pas l’objet de cette commission d’enquête ; pour autant, il est inévitable que les sujets se recoupent. EDF estime dorénavant que ses réacteurs pourraient faire du suivi de charge pour s’adapter aux variabilités des énergies renouvelables, donc être un complément de celles-ci. En conséquence, cela conduirait à réduire assez fréquemment la puissance des réacteurs lorsque davantage d’électricité serait produite par les renouvelables, puis à l’augmenter, en soirée par exemple. Cela impliquerait, à un rythme assez soutenu, une succession de baisses et de remontées en puissance. Cette idée, dont EDF semble vouloir faire un pilier de la PPE, a-t-elle été expertisée, en termes de sûreté, par l’ASN ? Si non, ne pensez-vous pas nécessaire que l’État demande à l’ASN et à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de procéder à cette expertise avant d’en faire un principe ? S’il est normal de pouvoir moduler la puissance d’un réacteur, la spécificité viendrait ici de la fréquence élevée des variations.

M. Pierre-Franck Chevet. Le suivi de charge est déjà autorisé, avec des limites. J’ai cru comprendre qu’EDF pensait pouvoir aller plus loin, avec des amplitudes sans doute plus fortes et plus rapides. Nous n’avons toutefois pas reçu le dossier de sûreté correspondant. Certaines pratiques sont autorisées, mais avec des limites, y compris en termes de fatigue plus rapide du combustible. Il peut également y avoir des enjeux de sûreté à faire ce genre de variations. Nous sommes tout à fait disposés à examiner un tel dossier ; encore faudrait-il que nous l’ayons.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste la procédure d’examen d’un dossier de sûreté et quel en est le délai ?

M. Pierre-Franck Chevet. Tout dépend de l’ampleur de la question posée. Généralement, pour un dossier relativement compliqué, cela se compte en années. Ne disposant pas des éléments concernant la demande d’EDF, je ne peux me prononcer quant au délai nécessaire à l’examen de ce dossier précis.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Il est également difficile pour nous de prendre des décisions si nous n’avons pas les éléments nécessaires.

Vous avez dit à de nombreuses reprises que vous souhaitiez que l’État se dote de marges d’approvisionnement énergétique importantes, pour ne pas vous retrouver, en cas d’anomalie générique susceptible de toucher un nombre important de réacteurs, devant l’obligation de choisir entre la sûreté et l’alimentation du pays. Il s’agit évidemment d’une préoccupation que nous partageons tous. Pouvez-vous décrire le type de mesure qui vous semblerait à même de répondre à cette demande ? Selon vous, cette marge de sécurité devrait correspondre à la puissance de combien de réacteurs ?

M. Pierre-Franck Chevet. J’ai déjà été amené à expliquer, y compris lors du débat qui a précédé la loi de transition énergétique pour la croissance verte, que l’ASN pouvait se trouver en situation, parce que le parc est générique et homogène, de devoir faire face à une anomalie touchant simultanément plusieurs réacteurs et nous conduisant, pour des raisons de sûreté, à en demander l’arrêt. J’avais alors donné un ordre de grandeur d’une dizaine de réacteurs. À l’époque, en 2013, un avis écrit et public avait été produit par l’ASN à ce sujet. C’était alors l’expression d’une possibilité réelle que ce phénomène puisse se produire. Or il se trouve que cette possibilité s’est avérée pendant l’hiver 2016-2017, puisque nous avons été amenés à arrêter douze réacteurs, sur une période de trois mois, pour des problèmes suspectés d’excès de carbone dans certains générateurs de vapeur, qu’il fallait donc aller contrôler. Le réseau a ainsi été sous très forte pression jusqu’en février 2017. Cela s’est plutôt relativement bien passé, mais s’est joué à un ou deux degrés d’écart de température, ce qui n’est pas très confortable. Il n’est pas exclu que ce type d’événement se reproduise. Nous souhaitons donc que les politiques en tiennent compte dans leurs politiques énergétiques, afin que l’on dispose de marges dans le système électrique.

Il ne m’appartient pas, en tant qu’autorité indépendante, de répondre à l’autre volet de votre question. Ayant quelques connaissances dans ce domaine, je puis simplement vous indiquer que cela pourrait se faire par exemple en cherchant vers les effacements de consommation ou vers d’autres formes de production, y compris en passant par des réservations de capacité à l’étranger.

Cette situation est la conséquence de la standardisation du parc, qui a par ailleurs été plutôt une très bonne chose en matière de sûreté, puisque dès lors qu’une anomalie est découverte tôt, il est relativement simple de mettre au point la réparation appropriée et de la déployer. Cela présente donc un réel intérêt pour la sûreté, à condition que les anomalies soient détectées précocement, ce que nous nous attachons à faire, sans toutefois pouvoir le garantir. J’en veux pour preuve le problème rencontré voici deux ans sur les générateurs de vapeur.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Lors de l’une de nos auditions, il nous a été indiqué que des incidents de niveau 2 sur l’échelle INES s’étaient produits, concernant des anomalies génériques. Or cela n’a été comptabilisé à chaque fois que comme un cas isolé, malgré le grand nombre de réacteurs potentiellement concernés, dans le cadre d’un parc standardisé. Cette manière de comptabiliser n’a-t-elle pas pour conséquence de donner une image faussement rassurante de la sûreté des installations ? En effet, on ne voit qu’un seul incident, qui est en réalité susceptible d’être démultiplié.

M. Pierre-Franck Chevet. Nous ne faisons pas dans la « bâtonite » en termes de comptage d’incidents. Nous rendons compte de chaque anomalie, en fournissant la liste des réacteurs concernés. Toutes ces données sont publiques. La manière de comptabiliser peut être discutée, mais cela ne change absolument rien à la rigueur de notre action, ni à l’information donnée au public.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Tout le monde devrait lire l’intégralité des rapports de l’ASN, mais il se trouve que si l’on ne consulte que le résumé, on constate par exemple que quatre incidents de niveau INES 2 ont eu lieu telle année, ce qui ne tient pas compte de cette notion d’anomalie générique.

M. Pierre-Franck Chevet. Nous précisons qu’il s’agit d’incidents génériques. Je rappelle par ailleurs que nous avons en France, par rapport à nos homologues étrangers, une pratique de comptabilisation des incidents très large. Nous recensons par exemple plus d’une centaine d’incidents de niveau 1 par an, soit deux par semaine environ, alors que certains pays voisins n’en comptabilisent qu’un par an.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Nous n’avons aucun doute quant à l’importance d’une autorité transparente et indépendante.

Lors des auditions, est également intervenue la notion d’exclusion de rupture. Je rappelle qu’il s’agit de considérer qu’une pièce ne peut pas rompre et qu’aucun accident ne peut donc se produire à cet endroit. Partant de ce présupposé, on n’envisage pas les conséquences d’une éventuelle rupture ou d’un potentiel accident, puisque, dans cette logique, il est impossible que cela survienne. Or nous avons été confrontés à ce problème avec la chute du générateur de vapeur de Paluel 2. Nous avons eu accès au rapport du cabinet Apteis – Analyse pluridisciplinaire du travail, études et interventions sociales – qui a notamment pointé la totale impréparation face à cet incident, due précisément à l’idée que celui-ci n’était pas possible. Est-il par conséquent pertinent de conserver cette notion d’exclusion de rupture ? Les soudures de l’EPR entraient par exemple dans cette catégorie ; or il apparaît que le dispositif n’est pas infaillible et qu’il va falloir changer les procédures à la lumière de cette donnée. À une période où vous indiquez vous-même que l’on ne peut totalement exclure la possibilité de survenue d’un accident grave, l’idée de l’exclusion de rupture vous semble-t-elle devoir être conservée ?

M. Pierre-Franck Chevet. Il s’agit d’un sujet compliqué, qui a été longuement débattu. Lorsque l’on postule qu’une tuyauterie ou un composant ne peut pas rompre, la contrepartie est la qualité même des matériaux utilisés. Or il se trouve que, concernant par exemple les soudures du circuit secondaire de l’EPR, la qualité n’est pas celle attendue.

L’une des conséquences de cette notion est que dès lors que l’on ne suppose pas qu’un élément peut rompre, certains dispositifs ne sont pas mis en œuvre : pour une tuyauterie par exemple, l’exclusion de rupture conduit à ce que l’on ne place pas, autour de cette tuyauterie, les dispositifs anti-débattements permettant de limiter, lorsque le système casse, le débattement de la tuyauterie sous l’effet de la pression, susceptible d’impacter les murs ou d’autres tuyauteries. Ces moyens additionnels ne sont ainsi pas présents sur les circuits secondaires de l’EPR de Flamanville. À l’inverse, cela présente un intérêt, qui peut motiver l’exclusion de rupture : comme les tuyauteries ne sont pas entourées de ces dispositifs, le contrôle en service peut être effectué beaucoup plus simplement et efficacement.

Il y a là un arbitrage à effectuer en termes de sûreté. Cela a été débattu dans le cadre de l’EPR notamment, mais l’exclusion de rupture s’applique aussi à des composants présents dans les réacteurs existants. Les cuves de réacteurs, tout comme les générateurs de vapeur, font par exemple partie des éléments non ruptibles. Le problème avec l’EPR est que la principale contrepartie de l’exclusion de rupture, à savoir la qualité sans faille du matériau, n’est pour l’instant apparemment pas respectée.

M. le président Paul Christophe. Nous avons été interpellés par le fait qu’à partir du moment où l’on considère toute rupture impossible, aucun process identifié n’est mis en place pour y faire face, dans l’éventualité où l’impossible se produirait. À Paluel, on considérait par exemple que le générateur de vapeur ne pouvait pas tomber : cela s’est pourtant produit. Que faire ? Rien n’a été prévu, aucun référentiel n’a été imaginé pour faire face à cette situation, en raison précisément de l’exclusion de rupture. Or notre visite au Japon nous a montré que rien ne devait être considéré comme impossible. Nous souhaiterions avoir votre point de vue sur cette question.

M. Pierre-Franck Chevet. Il n’est pas tout à fait exact de dire que rien n’est prévu. En réalité, dans les conceptions, notamment modernes, toutes les situations dites « de dimensionnement » ont été envisagées, en y ajoutant un volet « accident grave ». Cela permet d’avoir une forme de rattrapage par rapport aux éléments non pris en compte dans le dimensionnement strict. Cette démarche fait notamment suite à l’accident de Fukushima. Cela nous a permis de définir les moyens complémentaires à mettre en œuvre, en « imaginant linimaginable ».

Vous citiez l’exemple du générateur de vapeur de Paluel 2 : il se trouve que, la veille de cet incident, se tenait une réunion de groupe d’experts placés auprès de l’ASN pour discuter de la possibilité ou non d’une chute dans cette zone. Nous pensions, tout comme l’IRSN, qu’il fallait prendre en compte la chute, alors que l’exploitant concerné estimait le contraire. Tout cela doit se discuter. Il est clair que ce genre de situation doit conduire à revenir sur la doctrine, à tout vérifier à nouveau. En tout état de cause, l’exclusion de rupture doit être examinée au cas par cas, en essayant d’imaginer des situations allant au-delà du dimensionnement normal des installations. Cela fera partie du retour d’expérience.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Dans le rapport Apteis sur l’incident de Paluel, il est interpellant de constater que l’événement n’était tellement pas envisagé qu’aucune alarme ne s’est déclenchée lorsque le générateur est tombé. Évidemment, le bruit a alerté, mais si un problème moins visible survenait, la question se poserait. Rien n’était prévu dans le référentiel pour faire face à cette éventualité.

Lorsque l’on repère des défauts sur des pièces supposées en exclusion de rupture, la réponse ne devrait-elle pas être de tout arrêter immédiatement ? Ce n’est a priori pas la voie suivie pour l’EPR.

M. Pierre-Franck Chevet. Les contrôles ont été effectués par EDF. Il existe en réalité deux sujets distincts sur les soudures des circuits secondaires de l’EPR. Le premier concerne le fait que la matière constituant ces soudures ne possède pas les caractéristiques mécaniques attendues. Cela est dû au fait que la qualité attendue n’a pas été prescrite au fournisseur : une erreur a donc été commise à ce niveau par Areva, donc par Framatome, qui n’a pas indiqué cette donnée à ses prestataires.

Le second sujet est qu’une fois les soudures effectuées sur les circuits secondaires, des contrôles de fabrication doivent être réalisés sous la responsabilité de Framatome. Or ces contrôles n’ont pas mis le défaut en évidence, ce qui explique que les soudures aient continué à être faites. Ce sont de nouvelles vérifications, effectuées par la suite par EDF pour étalonner ses propres contrôles futurs, qui ont permis de déceler les défauts.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Les défauts ont-ils été détectés avant le montage ou alors que tout était déjà en place ?

M. Pierre-Franck Chevet. Tout était déjà monté. EDF a alors pris la décision qui s’imposait et décidé de vérifier à nouveau toutes les soudures. La procédure est en cours et nous en attendons le bilan global de façon imminente. D’après les indications dont nous disposons, environ 35 % des soudures présenteraient des défauts. L’ASN a été amenée à faire une inspection dans la semaine qui a suivi la mise en évidence de défauts par EDF, car le fait que les contrôles de fin de fabrication n’aient pas détecté le défaut témoigne d’un dysfonctionnement. Les conclusions de cette inspection sont en ligne. Nous avons ainsi pointé clairement un défaut de surveillance des prestations faites, notamment en matière de contrôle non destructif. Cela vise essentiellement Areva et EDF, qui auraient dû être présents pour regarder la manière dont tout cela était effectué. Visiblement, les conditions d’intervention se caractérisaient en outre par des contraintes de délai, ce qui pourrait expliquer que les premiers contrôles n’aient pas été efficaces. Nous avons refait une inspection la semaine dernière autour de cette question de la qualité de contrôle. L’affaire est en cours. J’attends les résultats. Les discussions avec EDF et Framatome dureront ensuite quelques semaines, avant que nous puissions tracer ou pas un chemin sur la résolution de ce problème.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Qu’entendez-vous exactement par « tracer un chemin ou pas » ?

M. Pierre-Franck Chevet. Cela signifie que je ne connais pas la conclusion de ces discussions sur les deux sujets précédemment mentionnés. De manière à peu près évidente, il va falloir réparer les défauts de soudure. Cela ne résoudra pas pour autant le premier sujet, dans la mesure où les caractéristiques mécaniques du matériau lui-même, y compris en l’absence de défaut, ne sont pas conformes à l’attendu.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Nous sommes allés hier visiter le chantier de l’EPR et avons pu en mesurer l’ampleur, ainsi que le poids économique et politique, dans la mesure où cette installation est censée être la tête de pont de toutes les futures générations éventuelles de réacteurs EPR. Peu de temps avant de rendre votre décision sur la validité de la cuve de l’EPR, vous aviez répondu en 2017 à une journaliste qui vous demandait si vous subissiez des pressions : « Oui, énormément ». Je ne détaillerai pas ici la nature des pressions que vous pouvez subir. J’ai tendance à penser que quand bien même vous ne seriez l’objet d’aucune pression directe, le seul fait de connaître le poids des enjeux économiques pour la région et les enjeux industriels et financiers énormes que cela représente pour l’avenir de la filière constitue en soi un élément de pression. Cette pression très forte vous permet-elle d’avoir la sérénité nécessaire pour prendre des décisions ? La qualité des matériaux étant en cause, cela signifie qu’il faudrait soit recommencer la totalité du processus, soit arrêter là. Une décision d’arrêt aurait des conséquences terribles. Avez-vous aujourd’hui la capacité de prendre des décisions en faisant abstraction de ces enjeux énormes ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je ne me souviens pas avoir répondu cela. La principale pression à laquelle nous sommes soumis n’est pas tant la pression économique que celle qui s’impose à nous pour protéger les personnes et l’environnement : seule nous importe la qualité de la décision technique. On peut parler du prix du réacteur de Fukushima : mais en réalité, l’enjeu n’est pas là. Le véritable enjeu est la catastrophe et ses conséquences. Notre seule mission est là : l’ASN n’est en charge ni du volet financier, ni de la politique énergétique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons été fondés en autorité indépendante. Je ne prétends pas que le métier est facile tous les jours, dans la mesure où les décisions que nous prenons sont liées à des enjeux extrêmement lourds de protection des personnes. La décision que nous avons prise par exemple relativement à la cuve de l’EPR était très compliquée. Les réactions ont d’ailleurs été diverses : nous avons entendu de nombreuses critiques de la part des associations de protection de l’environnement, mais aussi de la part des exploitants, en particulier d’EDF. Nous faisons notre métier. Il est normal qu’EDF ait sa vision du nucléaire, tout comme il est normal que des associations de protection de l’environnement expriment un autre point de vue. Chacun est dans son rôle. Nous remplissons le nôtre et raisonnons, en tant qu’autorité indépendante, dans un autre champ, qui est le seul qui nous importe, à savoir celui de la protection des personnes et de l’environnement.

Comment procédons-nous pour traiter au mieux ces enjeux de sûreté ? Nous travaillons en étroite collaboration avec l’IRSN, qui compte 500 personnes, venant s’ajouter aux 500 collaborateurs de l’ASN. Sur les dossiers importants, nous nous adjoignons les services de groupes d’experts, qui nous donnent leur avis, avant que nous ne prenions une décision. Je précise que nos grandes décisions sont par ailleurs soumises à consultation du public. Au terme de ce processus, les décisions sont prises in fine par le collège de l’ASN, composé de cinq membres, dont moi. Ce travail partenarial, faisant intervenir de nombreux experts, fait la robustesse de notre système et nous permet de prendre des décisions en toute sérénité, sur le volet de la sûreté qui nous incombe.

M. Pierre Cordier. Vous arrive-t-il, dans le cadre des discussions menées au sein de l’ASN, d’avoir des divergences ? Comment parvenez-vous alors à effectuer finalement une synthèse, qui ne saurait être contradictoire ?

M. Pierre-Franck Chevet. Toutes les positions sont invitées à s’exprimer. Nous auditionnons tout le monde, y compris les exploitants, qui effectuent leurs propres analyses et formulent les premières propositions. Ensuite, nos experts font leur travail, puis le collège de l’ASN prend ses décisions, sur la base de tous les éléments fournis. Toutes les décisions doivent faire l’objet d’un consensus complet au sein de notre collège. La contrepartie est que tant que l’un des cinq membres n’est pas convaincu du bien-fondé de la décision envisagée, nous poursuivons la discussion jusqu’à ce que nous parvenions à un accord de tous. Chacune de nos décisions fait l’objet d’un acte signé par les cinq membres du collège. Ce temps de discussion apporte une forme de garantie quant à la décision elle-même.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Lors de nos auditions, d’aucuns ont déploré, concernant les collèges d’experts travaillant auprès de l’ASN, que tous les experts les composant aient globalement des profils assez similaires et ont regretté que ces groupes ne comptent pas de personnes ayant des parcours et des profils différents, ce qui permettrait d’apporter une pluralité de vision bienvenue. Il nous a été expliqué que cela pouvait être dû au fait que les experts sollicités ne sont aujourd’hui pas payés, mais seulement indemnisés des frais engagés. Quand on voit le travail qui leur est demandé et le temps nécessaire pour l’accomplir, il n’apparaît pas complètement illégitime de penser qu’ils pourraient être rémunérés, ce qui permettrait de ne pas se limiter aux seules personnes qui peuvent se permettre, parce qu’elles sont par exemple retraitées et disposent du temps nécessaire, d’entrer dans de telles démarches. Cela permettrait peut-être d’attirer d’autres experts. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre-Franck Chevet. Être expert suppose de travailler sur les sujets concernés.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Ou d’y avoir travaillé.

M. Pierre-Franck Chevet. Effectivement. Sur le sujet de la sûreté nucléaire ou de la radioprotection par exemple, le nombre des personnes compétentes est relativement limité. Nous avons toutefois, voici trois ou quatre ans, ouvert ces groupes à la société civile, en lançant des appels d’offres visant à recruter des experts hors du champ habituel. Nous avons reçu quelques candidatures, dont certaines ont été incorporées dans nos groupes d’experts. Leur contribution est, de mon point de vue, tout à fait positive, car ces personnes apportent une autre vision des choses.

Nous disposons en outre d’un autre vivier, qui est celui des experts étrangers. La langue de travail ou la distance constituent toutefois des problèmes majeurs dans ce contexte. Les Canadiens sont de bons candidats, mais loin géographiquement, ce qui complique les choses. Nous faisons appel à des experts belges, suisses ou allemands, qui siègent dans nos groupes permanents. Cela permet d’enrichir considérablement la contribution de ces groupes à notre prise de décision.

Le principal problème ne réside pas tant selon moi dans la rémunération que dans le fait de trouver des personnes capables de contribuer à ces débats d’experts, extrêmement techniques. Le vivier est très limité.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Concernant l’EPR, vous venez de nous indiquer que des discussions étaient en cours avec l’exploitant sur ces questions de soudures. Pouvez-vous néanmoins évaluer l’ordre de grandeur du retard que pourrait prendre le chantier ?

M. Pierre-Franck Chevet. Le calendrier de l’EPR n’est pas mon sujet : l’important pour moi est que la sûreté soit assurée. Les défauts de soudure identifiés devront être réparés. J’ai le sentiment que cela pourrait prendre quelques mois de travail. Je n’ai pas dit que c’est la fin de ce qu’on demanderait. Mais nous n’avons pas fini la discussion et d’autres questions se posent…

M. Pierre Cordier. J’ai écouté vos propos avec beaucoup d’attention. Je suis président d’une commission locale d’information (CLI) de centrale nucléaire dans les Ardennes. À chaque réunion de la CLI, un agent de l’ASN est présent et nous éclaire de ses lumières : je tiens donc à vous remercier et à saluer le travail de vos collaborateurs, qui viennent sur le terrain et que l’on peut interroger en toute transparence.

J’ai été surpris par la question de l’exclusion de rupture et cette perception d’un risque zéro, ayant pour conséquence qu’aucune procédure ne soit prévue pour faire face à un éventuel problème. Cela m’interpelle et je pense qu’il serait souhaitable à l’avenir de remettre en cause cet élément, dans la mesure où il apparaît que le risque zéro n’existe pas, dans le nucléaire comme dans tout autre sujet.

Concernant les anomalies génériques, je pense que le fait qu’un incident se produise, lié à un défaut sur une pièce, devrait conduire systématiquement à ce qu’une vérification soit effectuée sur toutes les autres sites, afin que le même incident ne se reproduise pas.

M. Pierre-Franck Chevet. Tous les incidents constatés sont rendus publics, y compris lorsque la même anomalie est repérée sur plusieurs centrales. Bien évidemment, le retour d’expérience conduit à ce qu’en cas de détection d’un problème, des vérifications soient immédiatement effectuées sur les autres installations potentiellement concernées. C’est d’autant plus important dans un parc standardisé comme celui dont nous disposons en France, dans la mesure où, lorsqu’une anomalie est détectée quelque part, la probabilité est forte qu’elle se retrouve ailleurs. Je signale qu’en France les seuils de signalement des anomalies sont très bas comparés à ceux de nos voisins : nous avons volontairement, au nom de l’importance du retour d’expérience, mis la barre très bas en termes de signalement, donc de traitement, des anomalies. Il s’agit, je pense, du dispositif le plus rigoureux au monde.

Concernant l’exclusion de rupture, il est toujours important de débattre de ce genre de sujet. Nous n’avons pas en tête, ce faisant, le risque zéro. Dans les accidents graves étudiés à l’origine, lorsqu’un design est approuvé et une installation mise en service, la rupture de deux des quatre circuits secondaires est par exemple prise en compte et l’on vérifie que cela ne produirait pas de conséquence inacceptable. Il ne s’agit donc pas d’un no mans land complet. Cela est pris en considération soit dans le dimensionnement classique, soit dans le volet « accident grave », ce qui donne lieu à des débats techniques.

M. Pierre Cordier. Ce qu’évoquait Mme la rapporteure précédemment est, me semble-t-il, en contradiction avec vos propos, puisqu’en l’occurrence l’incident cité ne correspondait à aucune procédure, aucun protocole préalablement établis.

M. Pierre-Franck Chevet. Il existe, comme je vous l’expliquais, des procédures « accident grave », correspondant à des situations dans lesquelles des alarmes se déclenchent, c’est-à-dire lorsqu’il y a de la radioactivité. S’il y avait eu de telles conséquences à Paluel, les alarmes prévues à cet effet auraient retenti et l’on serait entré automatiquement dans une séquence d’accident faisant l’objet de procédures très précises. Fort heureusement, il n’y a pas eu, en l’occurrence, de conséquences de ce genre.

Mme Bérangère Abba. Je m’intéresse plus particulièrement, dans le champ du nucléaire, à la question de la gestion des déchets radioactifs, notamment des déchets ultimes. Il est ici question, évidemment, du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo), à propos duquel vous avez rendu des conclusions assez récemment. On s’inscrit là dans un temps très long, de plusieurs milliers d’années, donc dans une forme de gestion des incertitudes, puisque les scientifiques reconnaissent agir en s’appuyant davantage sur un faisceau de connaissances et d’indices que sur des certitudes. Quid, dans ce contexte, de la question de la réversibilité, qui constitue un critère de sûreté, au-delà de l’acceptabilité de ce projet ? Si un incident se produisait, il faudrait autant de temps pour intervenir qu’il n’en a fallu pour stocker ces déchets. Avez-vous étudié ces scénarios dans des temps très longs ?

De la même façon, les autorisations qui seront données engagent évidemment bien au-delà des experts que vous représentez aujourd’hui. Comment abordez-vous cette question éthique de la transmission de l’information et des compétences dans la durée ?

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Il nous a en effet été dit, lorsque nous nous sommes rendus à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), qu’il faudrait, pour retirer un colis posant problème, retirer préalablement tous ceux qui auraient été entreposés après lui. Il faudrait donc autant de temps pour retirer les colis que pour les mettre. Si l’on a par exemple entreposé des colis pendant trente ans, il faudrait trente ans pour les retirer. Même en l’absence de problème, si une décision politique d’arrêt de Cigéo intervenait, quelle qu’en soit la raison, il faudrait énormément de temps pour extraire tous les colis. L’expression de « réversibilité politique » a ainsi été employée, par opposition à une réversibilité concrète. Il s’agit d’un sujet important, dans la mesure où nos décisions vont se fonder sur l’existence d’une réversibilité.

Il nous a également été indiqué que l’un des problèmes résidait dans le fait que le laboratoire n’avait pas procédé à des expertises sur le site où les déchets allaient être stockés. Cela signifie que l’on n’est donc pas à l’abri de découvrir, lors du début des travaux sur le site, un certain nombre de problèmes insoupçonnés. Cela a-t-il été envisagé ?

M. Pierre-Franck Chevet. Les déchets auxquels vous faites référence sont les plus nocifs. Leur durée de vie est de l’ordre de 100 000 ans. La phase d’exploitation de Cigéo s’inscrit dans un ordre de grandeur totalement différent, à taille industrielle et quasiment humaine, c’est-à-dire de 100 à 200 ans. Une durée de plusieurs milliers d’années implique qu’aucune disposition classique, telle que l’entreposage à sec ou le stockage en subsurface, n’est pertinente, car toutes s’appuient sur des matériaux – bétons, aciers – dont personne n’est capable de démontrer la tenue à des horizons de 100 000 ans. Le seul moyen trouvé est de faire confiance aux qualités géologiques du terrain, dont la stabilité s’inscrit, elle, dans de tels horizons temporels.

Concernant la réversibilité, l’une des remarques récurrentes est de considérer que la science va peut-être trouver, dans les cent prochaines années, un procédé plus intelligent. Il s’agit là d’une remarque pertinente. La réponse n’est toutefois pas certaine ; d’où la conclusion, qui figure dans la loi, selon laquelle s’imposent d’une part la récupérabilité, pour être en mesure de récupérer des colis si l’on trouvait une autre solution ou sur incident, d’autre part l’adaptabilité, dans le cas où des décisions politiques viseraient par exemple à ne plus faire de retraitement et à stocker par conséquent non plus de la matière radioactive autour de laquelle des verres ont été coulés, mais des déchets d’une autre nature, sous forme de combustibles usés en l’état, dans des emballages. Le législateur a considéré qu’il était important de déployer une solution réversible afin que, si une meilleure solution était éventuellement trouvée ultérieurement, elle puisse être mise en œuvre.

Le principe de Cigéo est le suivant : un puits d’accès dessert plusieurs galeries, de tailles différentes selon les objets entreposés. Pour les déchets de moyenne activité, qui ne sont pas les plus nocifs, ces galeries ont globalement une dizaine de mètres de diamètre, alors que pour les déchets de haute activité à vie longue, elles mesurent environ 80 centimètres de diamètre et plusieurs de dizaines de mètres de long. Si l’on veut par conséquent récupérer le premier colis stocké, il faudra un temps quasiment équivalent à celui qu’il aura fallu pour tout entreposer. Dans la mesure où plusieurs galeries sont prévues, il ne faudrait toutefois pas tout déstocker, mais seulement la galerie contenant le colis en question.

La réversibilité est politique dans la mesure où elle émane d’une question d’ordre politique, mais doit aussi pouvoir se matérialiser techniquement. Lorsque les galeries sont pleines, le fait de les fermer en coulant plusieurs dizaines de mètres de béton complique par exemple cette réversibilité. La question est donc de savoir quel type de « bouchon » installer, sachant qu’il doit être suffisamment résistant pour éviter les interférences entre les différents chantiers et la galerie concernée, mais pas trop non plus afin qu’il puisse être éventuellement démonté si on l’estime un jour nécessaire. Tout cela a été indiqué dans la loi. Encore faut-il maintenant, techniquement, trouver le bon réglage.

Je suis en outre quelque peu surpris d’entendre qu’aucun test n’aurait été réalisé sur site, puisque l’idée était au contraire de tester la zone. Dans un avis rendu public en janvier dernier, nous insistions notamment sur le fait que la géologie locale s’avérait, au regard des nombreuses investigations effectuées, particulièrement bonne. Cela n’empêche pas la survenue éventuelle d’une mauvaise surprise un jour, très localement ; mais il est confirmé que la géologie globale de l’endroit est adaptée aux caractères requis pour ce type de stockage.

Mme Bérangère Abba. Que pouvez-vous nous dire de la transmission dans le temps de l’information de l’avis que vous émettez aujourd’hui ?

M. Pierre-Franck Chevet. Il faut considérer deux échelles de temps. La première est celle du fonctionnement de l’installation, qui est d’une centaine d’années environ. Il s’agit d’un horizon de temps long, mais habituel à l’échelle industrielle, pour lequel il est possible d’organiser cette transmission.

À l’inverse, une fois le site fermé, il ne sera plus réalisé d’inspections. Quelques mesures environnementales seront peut-être effectuées pendant un temps mais, par définition technique de l’objet, la sûreté sera assurée par la géologie elle-même et non par un quelconque système social.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Pouvez-vous nous rappeler quels sont, selon vous, les principaux risques en termes de sûreté et de sécurité pendant la période d’exploitation ?

M. Pierre-Franck Chevet. Il s’agit fondamentalement d’une installation minière ; il faut donc considérer les risques miniers, comme les chutes de paroi par exemple. Il existe aussi des risques d’incendie, qui se gèrent de façon particulière dans les ouvrages souterrains, ainsi éventuellement que des sujets d’entrée d’eau. Sur le très long terme, c’est à la géologie qu’il reviendra d’assurer la sûreté de l’installation : il importe donc de la tester tout au long du chantier.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Qu’en est-il en termes de sécurité, même si ce champ ne relève pas de vous ?

M. Pierre-Franck Chevet. La sûreté et la sécurité vont toujours de pair. Un incendie peut par exemple résulter d’un problème « normal » ou être consécutif à un acte de malveillance.

M. Jean-Marc Zulesi. Le 30 mai, l’ASN a rendu un rapport concernant le site de Chinon, dans lequel il est indiqué que ce site se maintient à un niveau satisfaisant dans le domaine de la sûreté. Y sont notamment soulignés de bons résultats en matière de dosimétrie et de propreté radiologique. Il semblerait toutefois qu’il existe quelques points d’amélioration en matière de performance environnementale. Quels sont-ils ? Sous quelle échéance les actions nécessaires pourraient-elles être mises en place ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je n’ai pas pris avec moi notre petit rapport annuel et ne dispose donc pas du détail. Je vous répondrai donc ultérieurement et ferai simplement un commentaire général : je pense que la centrale de Chinon rencontre depuis quelques années des problèmes vis-à-vis du critère environnemental. Il n’est donc pas très étonnant que ces difficultés soient à nouveau pointées. Ce genre de classement est toutefois effectué pour que les situations évoluent. Si certains problèmes sont récurrents à Chinon, c’est peut-être le signe qu’il convient probablement de passer à une vitesse supérieure en termes d’action. La centrale voisine de Belleville a par exemple été placée sous surveillance renforcée en raison de problèmes de sûreté d’exploitation.

M. Philippe Bolo. Quelles que soient les options retenues sur la trajectoire du nucléaire et sa part dans le mix énergétique français, viendra le temps du démantèlement d’infrastructures. Le retour d’expérience est moins important que dans le domaine de l’exploitation en cours. Quels sont, selon vous, les grands enjeux de sûreté en matière de démantèlement des ouvrages qui arriveront en fin de vie ?

M. Pierre-Franck Chevet. Il convient, sur ce sujet du démantèlement, de distinguer deux aspects. La première génération de réacteurs en France, qui étaient des réacteurs à uranium naturel graphite gaz, arrêtés voici quelque temps déjà, présente des difficultés en matière de démantèlement. Ces objets sont assez compliqués à démonter en toute sûreté. Le caisson par exemple, ouvrage en béton renforcé de plusieurs dizaines de mètres de haut et de large qui contenait la matière radioactive, nécessite, pour accéder à l’intérieur, d’être partiellement cassé ; or l’un des enjeux techniques est de savoir comment procéder sans tout casser. Cela fait partie des discussions menées avec EDF, avec lequel nous élaborons notamment un calendrier de démantèlement de cette première génération de réacteurs. Pour l’instant, EDF nous propose une fin de démantèlement d’ici une centaine d’années, alors que la loi impose le principe d’un démantèlement « immédiat ». Une discussion assez serrée est donc en cours à ce propos, qui ne doit pas négliger les problèmes techniques.

La situation est assez différente pour la génération actuelle de réacteurs à eau sous pression. Nous disposons, à l’étranger mais aussi en France, d’une certaine expérience dans ce domaine. Le réacteur de Chooz A est ainsi en bonne voie de démantèlement et tout s’est déroulé techniquement de façon satisfaisante, ce qui constitue un signe plutôt positif pour les démantèlements futurs du parc actuellement en fonctionnement. Le fait que ce réacteur se trouve dans une caverne ne change pas fondamentalement les questions essentielles posées en matière de sûreté.

Néanmoins, les démantèlements présentent évidemment des enjeux de sûreté, notamment pendant la phase au cours de laquelle le combustible est encore sur le site, bien que sorti de la cuve et placé dans la piscine de refroidissement du réacteur. On a en effet encore affaire, alors, à une installation nucléaire, soumise à notre contrôle. Une fois la première phase gérée, il peut exister éventuellement des contaminations, un peu de radioactivité résiduelle, des enjeux de protection des personnes, voire une pollution qui n’avait pas été identifiée ou mémorisée et qu’il convient de traiter. Tant que la radioactivité n’est pas suffisamment éliminée, la fin du démantèlement n’est pas prononcée. Nous sommes présents durant toute la procédure, jusqu’au moment où nous considérons que tous les critères sont réunis pour déclasser complètement l’installation.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Il semble que vous éprouviez parfois quelques difficultés à faire avancer les exploitants. Le démantèlement des réacteurs graphite gaz, auquel vous venez de faire allusion, en est une illustration : au-delà des problèmes techniques, EDF prend le temps. Il en existe d’autres exemples, parmi lesquels celui-ci : le 6 janvier 1981, un incendie se déclare dans le silo 130 à La Hague, qui contient plus de 1 200 tonnes de déchets. En 2005, soit 24 ans plus tard, l’ASN confirme la nécessité d’entreprendre au plus tôt la reprise de différents déchets anciens entreposés sur le site. En juin 2010, l’ASN prescrit à la direction de l’usine de La Hague un calendrier contraignant de reprise des déchets du silo 130. En avril 2013, elle adresse une mise en demeure à Areva. Enfin, figure dans le rapport annuel de l’ASN de 2017, soit trente-six ans après l’incendie, le constat suivant : « LASN a constaté en juillet 2016, lors dune inspection, quAreva NC navait pas commencé la reprise effective des déchets entreposés dans le silo 130. » Il existe là un sujet quant au pouvoir dont vous disposez dans ce type de situation. Face à une entreprise exploitant un réacteur, vous pouvez exercer une pression, puisque vous disposez d’une arme ultime, à savoir la mise à l’arrêt du réacteur. Mais dans les autres cas, vous semblez relativement démuni. Que faudrait-il modifier, sur le plan législatif ou réglementaire, pour que l’ASN soit davantage respectée dans ses prescriptions ? Faudrait-il par exemple vous autoriser à infliger des sanctions pécuniaires lourdes ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je reviendrai éventuellement sur les exemples que vous venez de citer, mais la loi de transition énergétique, à laquelle nous avons quelque peu contribué, nous a donné les armes que nous souhaitions. Les cas que vous mentionnez ont la particularité de ne pas présenter de risque important à court terme. Cela explique que, de proche en proche, le délai soit celui que vous avez souligné. Cela constitue néanmoins, j’en conviens, un vrai sujet. C’est la raison pour laquelle la loi a prévu notamment un mécanisme d’astreinte journalière, en vertu duquel l’exploitant doit verser une somme donnée chaque jour où il n’est pas en conformité. La loi a également prévu des sanctions, selon un principe de séparation entre le prescripteur et l’organisme qui sanctionne. Une commission des sanctions, prévue par la loi, doit donc être mise en place : le texte expliquant dans quelles conditions les personnes composant cette commission travailleront a été élaboré, mais n’a pas encore été signé, si bien que cette dernière n’est pas encore constituée. Nous attendons la nomination de ces personnalités pour déployer ce mécanisme. Les astreintes journalières peuvent en revanche déjà être appliquées. Il s’agit d’un dispositif réellement adapté aux situations non dramatiques qui tendent à perdurer. Nous n’avons pas encore eu à mettre cet outil en œuvre. Dans les cas que vous citez, nous avons effectué des prescriptions.

Le principal problème des silos anciens de La Hague réside dans le fait que la plupart ne sont pas conçus pour résister aux séismes. À l’instant T, ce n’est pas un drame, mais pourrait le devenir si la situation s’éternisait. Il existe de nombreuses installations, rencontrant ce même type de difficultés, où les déchets doivent être repris et conditionnés correctement. Depuis le début des années 1990, cela a donné lieu à des écrits de mes prédécesseurs et de tous les ministres qui se sont succédé. En réponse, des engagements fermes ont été pris par la COGEMA, puis par Areva, qui n’ont globalement pas été tenus dans la durée. C’est la raison pour laquelle nous avons, en 2013, prononcé des prescriptions juridiquement opposables, permettant de déclencher, si elles ne sont pas respectées, des mises en demeure et éventuellement d’engager par la suite une action pénale. Nous pouvons donc aller assez loin dans les formes de sanctions applicables.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Le site de La Hague a été identifié par beaucoup des personnes que nous avons auditionnées comme l’un des points de vigilance majeurs, dans la mesure où l’on se situe là sur des concentrations très fortes – les plus fortes au monde me semble-t-il – de matières radioactives, encore appelées à augmenter dans les années à venir. Le 12 avril dernier, dans cette salle, j’ai interrogé le ministre d’État Nicolas Hulot sur ce système, en lui rappelant que le système de retraitement du combustible usagé, et notamment la production de MOx, était basé sur l’hypothèse d’une économie circulaire du cycle des déchets, avec la possibilité, dans trente ou quarante ans, d’une quatrième génération de centrales. Or aujourd’hui, 100 tonnes de MOx usé arrivent chaque année sur le site de La Hague. À l’échelle de trois ou quatre décennies, cela correspond à des quantités considérables, dans un contexte où l’éventualité que les réacteurs de quatrième génération voient le jour est, selon de nombreuses personnes, de plus en plus hypothétique. J’ai donc demandé à Nicolas Hulot s’il ne considérait pas que les risques pris pour entreposer ces matières nucléaires étaient quelque peu disproportionnés au regard de l’hypothèse de plus en plus incertaine d’une réutilisation de ces combustibles dans plusieurs dizaines d’années. Il m’a répondu que la réponse était dans la question. Quel est votre point de vue, en tant que responsable de la sûreté nucléaire ?

M. Pierre-Franck Chevet. Il s’agit, par définition, d’une excellente réponse. Les 100 tonnes de MOx usé envoyées chaque année à La Hague sans être retraitées constituent en effet une matière qui, progressivement, s’additionne et risque à terme de saturer le site. C’est en application de ce même calcul que le groupe de travail chargé de mettre au point le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs a considéré qu’il fallait qu’EDF étudie rapidement la possibilité d’une capacité d’entreposage additionnelle. Au-delà de La Hague, on a estimé que le besoin d’entreposage se ferait sentir à partir de 2030. Or pour construire quelque édifice que ce soit dans le domaine nucléaire, il faut, entre les procédures, les instructions techniques et la construction elle-même, environ une dizaine d’années : d’où la prescription faite à EDF d’étudier la perspective d’un entreposage additionnel, afin de gérer les MOx non retraités actuellement. EDF nous a présenté un dossier d’options de sûreté concernant un entreposage en piscine, non localisé, répondant à ce besoin : nous disposons toutefois des plans du bâtiment et des grandes options de sûreté. Les discussions ont commencé. L’installation présente apparemment de bonnes caractéristiques, au plan de la sûreté comme de la sécurité. Il faut trouver une façon de gérer ces matières. Il ne s’agit pas d’envisager un stockage définitif, mais un entreposage.

Une alternative est venue dans le débat, concernant la possibilité d’effectuer de l’entreposage à sec. L’IRSN a été saisi de cette question. À l’étranger, l’entreposage à sec est pratiqué, dans des emballages individuels, avec souvent des stockages sur les parkings des centrales nucléaires : bien que techniquement acceptable, ce type de solution est un pis-aller. La contrainte, lorsqu’un emballage contient du combustible usé, est en effet que ce dernier ne soit pas trop chaud, dans la mesure où il n’est alors refroidi que par l’air, dont la capacité de refroidissement est beaucoup plus faible que celle de l’eau. Il faut donc, pour pouvoir pratiquer un entreposage à sec, que le combustible ait suffisamment décru en puissance thermique. Or l’objet principal du nouvel entreposage serait de gérer des MOx usés, qui restent plus chauds et plus longtemps chauds – quelques dizaines d’années – qu’un combustible usé « normal ».

Mme Barbara Pompili, rapporteure. On reste toujours dans l’hypothèse où l’on continue à retraiter. La piscine qu’il va falloir construire pour entreposer le MOx usé va poser des problèmes en termes de sûreté, dans la mesure où il s’agit de matières plus dangereuses que des combustibles usés « classiques ». Considérez-vous qu’il soit raisonnable de poursuivre dans cette voie, sachant que la seule finalité annoncée aujourd’hui pour le MOx usé est d’entrer dans ces hypothétiques centrales de quatrième génération ? Ne vaudrait-il pas mieux considérer que le risque est trop grand pour procéder à un tel entreposage et envisager ultérieurement, si ces centrales sont construites, comment les alimenter ? L’entreposage à sec semble, du point de vue de la sûreté, plus intéressant que l’entreposage en piscine ; mais se pose le problème de temps de refroidissement préalable nécessaire. On ne peut donc pour l’instant entreposer du MOx ainsi. En revanche, on pourrait imaginer stocker dans ce genre de conditionnement tous les autres combustibles usés qui attendent aujourd’hui à La Hague, ce qui libèrerait de la place sur le site pour entreposer du MOx, ne rendant ainsi peut-être plus nécessaire la construction d’une piscine. Cette éventualité a-t-elle été envisagée ?

M. Pierre-Franck Chevet. Si votre question est de savoir s’il vaut mieux retraiter ou ne pas retraiter, la réponse à y apporter en termes de sûreté n’est pas évidente, dans la mesure où, quelle que soit l’option choisie, la même masse globale de matières de différentes natures serait transportée et entreposée.

Si l’on ne procède à aucun retraitement, il faudra envoyer en stockage final davantage de combustibles usés en l’état, ce qui augmentera le volume stocké à Cigéo, ce qui, en termes de sûreté, n’est pas forcément mieux. C’est sur la base de cette hypothèse que nous avions demandé à l’Andra, au moment du dépôt de la future demande d’autorisation de création, de justifier la faisabilité de stocker du combustible en l’état directement à Cigéo, au nom de la réversibilité et de l’adaptabilité à des décisions politiques éventuelles futures.

Le choix entre les deux options est difficile. Je rappelle qu’en principe environnemental classique, l’idée de recycler un maximum de déchets avant de les envoyer en décharge est généralement privilégiée. Dans le même temps, il convient de tenir compte du fait qu’il s’agit de MOx. Il y a donc là un arbitrage à faire. En termes de pure sûreté, les deux solutions présentent des avantages et des inconvénients. Dans un cas, contrairement à l’autre, cela conduit à une minimisation des matières placées en stockage final, ce qui n’est pas négligeable en termes d’environnement et de sûreté. Objectivement, les choix de retraitement n’ont toutefois pas été effectués sur la base de considération de sûreté, ni dans un sens, ni dans un autre, mais plutôt sur des aspects de sécurité d’approvisionnement.

Vous avez évoqué la quatrième génération de réacteurs, sujet sur lequel l’ASN s’est déjà exprimée. Pour l’instant, l’option retenue en France en termes de design est celle de réacteurs à neutrons rapides (RNR). Cela a un sens dans la mesure où nous disposons d’une expérience dans ce domaine, en matière par exemple de tenue des matériaux ou de problèmes de corrosion, ce qui est important en termes de sûreté. À l’inverse, nous savons que ces réacteurs posent un certain nombre de questions de sûreté liées notamment à l’usage du sodium et aux difficultés à effectuer l’inspection et la réparation en service. L’autre sujet concerne les problèmes d’interaction entre le sodium et l’eau. Au regard de ces éléments, l’ASN insiste pour que les réacteurs de quatrième génération, au premier rang desquels ASTRID, traitent et règlent ces sujets, en ayant en tête les objectifs de sûreté améliorée des centrales de troisième génération et en allant au-delà, l’idée étant qu’ASTRID puisse servir de démonstrateur à ce nouveau niveau de sûreté.

Au passage, je souligne que, jusqu’à présent, des étapes avaient toujours été franchies en termes de sûreté entre les trois premières générations ; or la génération 4 n’a pas été conçue dans cette optique, mais vise plutôt une amélioration dans la gestion des déchets, des matières. Or il faut selon nous veiller à ce que cette nouvelle génération franchisse encore un cap en termes de sûreté et poursuive les améliorations apportées successivement dans ce domaine par les trois générations précédentes. Je ne me prononcerai pas sur l’aspect hypothétique ou pas.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Je souhaite évoquer à présent avec vous la question de la lutte contre les fraudes. Des problèmes de fraude ont en effet été détectés non seulement au Creusot, mais aussi chez d’autres fournisseurs et sous-traitants des exploitants nucléaires. Concernant le Creusot, où en est-on précisément de l’analyse des dossiers de fabrication de l’usine ? Quelle est la capacité de l’ASN à s’assurer, au vu de l’ampleur et de l’ancienneté du phénomène, de l’exhaustivité des résultats de cette investigation, alors même que cet autocontrôle a été réalisé a posteriori par Areva, sous la supervision d’EDF ? L’ASN prévoit-elle de rendre public le détail des résultats de cette enquête ? Puisque le problème ne se limite pas au Creusot, peut-on avoir des informations plus précises sur le nombre et la nature des autres cas détectés ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je rappelle qu’au Creusot, les irrégularités ont été décelées à notre demande, puisque nous avions prescrit à Areva, ayant constaté les problèmes rencontrés sur la cuve et quelques autres anomalies vénielles, de mener un audit sur la qualité au Creusot, couvrant au moins la période pendant laquelle cette entreprise avait fabriqué des pièces pour l’EPR. C’est suite à cet audit qu’ont été mises à jour des irrégularités, s’apparentant dans certains cas à des falsifications. J’emploie à dessein la formule « s’apparente à », car une action en justice est en cours et que les termes « fraude » ou « falsification » relèvent d’une qualification pénale.

Une fois ces irrégularités constatées, il a été décidé de procéder à un passage en revue, page à page, de tous les dossiers de fabrication sur cinquante ans, ce qui correspond à plusieurs millions de pages. Dès lors qu’il est question de « falsifications », ce qui sous-entend un caractère intentionnel, détecter une incohérence à la lecture d’un simple compte rendu nécessite l’intervention d’experts. Ce travail de relecture est en cours et mobilise plus d’une centaine de personnes, sous la supervision de Framatome, d’EDF et sous le contrôle de l’ASN. Nous menons des inspections pour vérifier le travail effectué et rendrons publics les résultats. Cette revue complète a commencé au début de l’année dernière et doit durer environ deux ans. À ce stade, aucune mauvaise nouvelle n’est intervenue ; seules quelques petites anomalies, sans impact sur la sûreté, ont été notées. La revue devant se terminer fin 2018, on ne peut toutefois totalement exclure que soient découvertes des anomalies présentant des risques en termes de sûreté. Pour l’instant, le bilan est acceptable. Seuls quelques cas ont été relevés, parmi lesquels celui du générateur de vapeur de Fessenheim, pour lequel nous avons suspendu le certificat le temps que des analyses soient effectuées ; le redémarrage a ensuite pu intervenir au vu des justifications apportées.

Dans le périmètre d’Areva, des vérifications ont également été réalisées dans les autres usines, sans rien révéler à ce stade.

Peut-être avez-vous par ailleurs entendu qu’au Japon l’usine Kobe Steel, qui fournit l’industrie, et notamment l’industrie automobile, a déclaré des malversations, ce qui a entraîné des vérifications en cascade dans tous les secteurs industriels concernés. En France, ces contrôles n’ont rien révélé d’anormal.

Nous avons aussi été confrontés au cas d’une usine située en Italie, fabriquant des pièces notamment pour le parc français, dans laquelle a été repéré un problème lors d’une inspection : une pièce en acier, qui aurait dû bénéficier d’un traitement thermique, était en fait simplement passée au chalumeau pour donner l’impression que ce traitement avait été fait. Cela a donné lieu, pour parler pudiquement, à une réorganisation assez complète de l’usine.

Nous avons fait le point global de notre plan d’action anti-fraude et produit à ce propos une note d’information rendue publique hier matin.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Cette note précise que « les falsifications sont difficiles à détecter a posteriori dans le cadre du contrôle ». Le plan d’action repose donc en grande partie sur la confiance du système dans la bonne foi de l’exploitant, qui signalerait par lui-même des pratiques frauduleuses au sein de sa propre entreprise ou de ses sous-traitants. Dans quelle mesure les actions présentées par l’ASN permettraient-elles d’éviter des fraudes telles que celles détectées a posteriori à Creusot Forge ? Si ce plan avait par exemple été mis en œuvre voici une dizaine d’années, dans quelle mesure aurait-il permis de détecter par exemple la fraude sur le générateur de vapeur de Fessenheim avant sa mise en service ?

L’ASN indique en outre qu’« une organisation tolérant, favorisant ou ne détectant pas des pratiques individuelles ou collectives de fraude est une organisation qui présente des risques pour la protection des intérêts mentionnés à larticle L. 593-1 du code de lenvironnement ». Permettez-moi de vous provoquer à dessein : lorsque l’ASN autorise l’utilisation du générateur de vapeur de Fessenheim en se basant sur des résultats de sûreté, sans tenir compte de la dimension frauduleuse du dossier, ne peut-on affirmer que l’organisation actuelle de la sûreté en France tolère « des pratiques individuelles ou collectives de fraude » ?

Vous indiquez également que la réglementation actuelle ne prévoit pas explicitement une information de l’ASN lors de la détection d’un cas de fraude : estimez-vous nécessaire que le législateur rende obligatoire une telle déclaration ? Dans l’affirmative, quelles devraient en être les modalités ?

M. Jean-Marc Zulesi remplace le président Paul Christophe

M. Pierre-Franck Chevet. En termes d’organisation, vous ne m’entendrez jamais exclure le fait qu’une fraude puisse éventuellement se produire, quel que soit le système mis en place. On peut seulement réduire les risques, ce que nous avons essayé de faire, du mieux possible. Cela passe par diverses mesures, que je ne détaillerai pas ici. Cela peut notamment passer par le fait de missionner des organismes tierce partie de contrôle, pour qu’ils soient présents à des moments importants ou à risque – je pense notamment aux moments où sont réalisés des contrôles non destructifs – ou pour effectuer des contre-mesures. Dans l’usine du Creusot par exemple, certaines mesures de caractéristiques mécaniques étaient incorrectes : si ces mesures avaient été effectuées en double par un laboratoire tiers, le problème aurait été détecté plus précocement.

À l’autre bout du spectre, il est également envisageable de mettre en place un système de lanceur d’alerte organisé, permettant de protéger d’une part les personnes à l’origine de l’alerte, d’autre part les entreprises contre des alertes injustifiées. Cela devrait être mis en œuvre explicitement au cours du deuxième semestre de cette année.

La mise en œuvre de mécanismes de certification d’un certain nombre de laboratoires, impliquant des benchmarks entre laboratoires, est également de nature à minimiser les risques de fraude. Les échantillons étant en effet confiés à plusieurs laboratoires, cela permet de réaliser des recoupements, afin d’identifier ceux d’entre eux ne travaillant pas correctement.

Je ne prétends pas que les mesures présentées dans la note permettront d’exclure complètement le risque de fraude ; ce dispositif, visant à mettre en place et à renforcer tout une chaîne de contrôle, nous semble toutefois aller dans le bon sens. Nous avons d’ores et déjà engagé une dizaine d’inspections incluant un volet fraude. Nous entendons poursuivre et déployer cette démarche, mais avons besoin pour ce faire de quelques moyens supplémentaires. Nous avons estimé dans nos demandes budgétaires récentes qu’il nous faudrait, sur les deux ou trois années à venir, une quinzaine de personnes en plus. Nous en avons pour l’instant obtenu deux au titre de l’année 2018. Nous cherchons ainsi à recruter deux agents dans des services spécialisés, en provenance notamment de la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes et de la gendarmerie nationale, qui ont une pratique dans ce domaine. Cela nous permettrait d’initier une petite équipe de spécialistes de ces questions.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. La réglementation actuelle ne prévoit pas explicitement une information de l’ASN en cas de détection de fraude ? Faudrait-il selon vous la prévoir ?

Le fait d’autoriser le fonctionnement du générateur de vapeur de Fessenheim alors même qu’il y a eu fraude ne vous place-t-il pas de fait dans une situation de tolérance vis-à-vis de pratiques frauduleuses individuelles ou collectives ?

M. Pierre-Franck Chevet. Je rappelle que les notions de « fraude » et de « falsification » sont des qualifications pénales : il appartient à la justice de se prononcer. L’ASN ne peut intervenir que sur les aspects de sûreté : dès lors que les études mécaniques effectuées sur ce générateur de vapeur ont démontré qu’il respectait la réglementation et répondait aux attentes consignées dans le référentiel de sûreté, avec des marges assez importantes, alors l’ASN ne pouvait que donner son autorisation.

L’obligation de déclarer des fraudes à l’ASN existe déjà lorsque les anomalies détectées sont susceptibles d’avoir un impact sur la sûreté, ce qui est souvent le cas. Il faudrait clarifier ce point. Nous vérifierons les textes en vigueur. Je ne pense pas que cela soit de nature à changer radicalement les choses en matière de lutte contre la fraude.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Concernant la question de la sous-traitance, les représentants des salariés des entreprises sous-traitantes ont fait part de leur regret que la dimension socio-organisationnelle de la sûreté soit trop peu prise en compte dans vos évaluations, alors même que le facteur humain est souvent à l’origine des incidents, au même titre que le facteur technique ou matériel. Selon eux, vos équipes ne contrôleraient pas suffisamment la pertinence du recours à la sous-traitance, les effectifs, les modalités de management, les conditions de travail, la gestion des ressources humaines ou encore les relations de travail, qui peuvent pourtant affecter et dégrader la sûreté d’une installation nucléaire de base (INB). Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est et nous expliquer de quelle manière les critères socio-organisationnels sont pris en compte lors de vos inspections ? Lorsque nous nous sommes rendus à Gravelines, l’ASN a effectué une restitution de son inspection et nous a parlé de cette fameuse culture de sûreté souvent évoquée par les exploitants, en soulignant que des anomalies – fort heureusement sans gravité – qui auraient dû être relevées ne l’avaient pas été, faute d’une vigilance nécessaire de la part de certains personnels insuffisamment sensibilisés à ces questions.

M. Pierre-Franck Chevet. Cette question n’est pas simple à traiter, car elle nécessite de regarder très finement au cœur des organisations. La loi de transition énergétique pour la croissance verte a introduit un mécanisme limitant, en exploitation, le nombre de niveaux de sous-traitance à un prestataire et deux sous-traitants. Ce n’est que de manière dérogatoire que l’ASN peut autoriser à aller au-delà. Il convient toutefois de savoir que la sous-traitance est parfois nécessaire, car elle permet de faire intervenir des spécialistes.

Concernant les facteurs socio-organisationnels et humains (FSOH), nous avons créé voici presque six ans un comité spécialisé, réunissant l’ensemble des parties prenantes, y compris les ONG, les grands exploitants, les représentants syndicaux de ces grands exploitants, des entreprises prestataires et sous-traitantes, des spécialistes FSOH. Ce groupe fait suite à la démarche entreprise après Fukushima : à l’origine, le travail était centré sur les conditions dans lesquelles des sous-traitants pouvaient intervenir sur une centrale en cas d’accident. Le champ de réflexion a progressivement été élargi aux questions de sûreté au quotidien, sur une installation en fonctionnement normal. Ce comité a produit deux ou trois rapports, rendus publics, et continue à travailler notamment sur les FSOH dans le contexte du démantèlement, où les chantiers sont beaucoup plus évolutifs que dans une installation en exploitation, ce qui crée des configurations particulières en matière d’organisation et de facteurs organisationnels et humains.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Nous recevrons les syndicats la semaine prochaine ; sans doute nous apporteront-ils un complément d’information sur ce sujet.

J’aimerais aborder à présent la question des changements climatiques, qui peuvent entraîner des conséquences lourdes. Les accidents climatiques sont de plus en plus violents et peuvent par exemple causer des problèmes en termes de stress hydrique pour un certain nombre de cours d’eau. Évidemment, toutes ces dimensions vont avoir un impact sur le fonctionnement de nos centrales, notamment sur la question du refroidissement pour les installations situées en bord de fleuve, mais aussi en matière de risques liés à des inondations ou à des cyclones. L’ASN a-t-elle examiné l’impact potentiel du changement climatique sur la sûreté des centrales nucléaires françaises, notamment en cas de grave sécheresse ? La sécheresse de 1976 n’était pas doublée d’une grave canicule, tandis que la canicule de 2003 ne s’accompagnait pas d’une grave sécheresse ; mais si les deux facteurs venaient à se combiner, ce qui est évidemment possible, on se trouverait alors confronté à des baisses très fortes du niveau des cours d’eau. Des études ont-elles été menées à ce propos par l’ASN ?

M. Pierre-Franck Chevet. De telles études ont en effet été demandées à EDF et analysées par nos services. Après l’épisode de 2003, un dispositif a été mis en place. Deux grands sujets sont à prendre en considération autour de la possibilité de canicule, qui peuvent avoir un impact sur le niveau des eaux, notamment des fleuves. Le premier, de nature environnementale, concerne la température au sortir des effluents et son impact sur la température du cours d’eau. Cela a été encadré, avec des possibilités de dérogation lorsque le réseau est en très grande limite. Pour ce qui est de la canicule elle-même, cela renvoie au fonctionnement de certains équipements, avec des locaux susceptibles de monter en température et de perturber le bon fonctionnement des matériels. Un passage en revue a été effectué à ce propos, en renforcement d’un certain nombre de ventilations et d’équipements.

La réponse à votre question est donc affirmative : les risques liés au changement climatique global, notamment en cas de canicule et de sécheresse, ont bien été envisagés.

Il existe évidemment, de ce point de vue, des sites plus sensibles que d’autres. Les sites en bord de rivière identifiés comme les plus sensibles sont ceux de Civaux, Bugey, Saint-Alban, Cruas, Tricastin, Blayais, Golfech et Chooz.

Vous m’avez tout à l’heure posé une question sur le site de Chinon : il apparaît que les difficultés concernent, entre autres, le bâtiment de conditionnement des déchets, avec des dépassements de la capacité maximale de stockage et une armoire de stockage de déchets renfermant des solvants, potentiellement combustibles.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Les risques d’ouragan sont-ils par exemple pris en compte ?

M. Pierre-Franck Chevet. Cela fait partie des critères inclus dans le réexamen de sûreté effectué tous les dix ans.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Je terminerai en évoquant la question du couvercle de l’EPR, dont vous avez exigé le remplacement en 2024, soit six ans après la date de mise en service prévisionnelle. EDF vous a-t-il fourni des éléments sur la nature de ce nouveau chantier, sa faisabilité, son coût et son financement ?

Les représentants d’EDF nous ont indiqué hier, lors de notre visite sur le chantier, que leur objectif était de ne pas avoir à effectuer ce remplacement, donc de parvenir à vous prouver que le couvercle prévu ferait parfaitement l’affaire. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre-Franck Chevet. Les questions de coût et de financement n’intéressent pas l’ASN.

Concernant l’anomalie détectée sur la cuve, touchant à la fois le fond et le couvercle, plusieurs milliers d’essais ont été effectués pour caractériser plus finement le matériau. Sur cette base, de nouveaux calculs ont été réalisés, qui montrent des résultats acceptables, mais avec des marges diminuées par rapport à celles d’une cuve normale. Or ces marges visent à être en mesure de faire face à des événements que l’on n’aurait pas vus, pas anticipés. Cela concerne par exemple, typiquement, des vieillissements, des corrosions. Il ne s’agit pas de situations théoriques : de tels phénomènes ont déjà été constatés, y compris d’ailleurs sur des couvercles de cuves du parc existant, où nous avons été surpris, au début des années 1990, par des éléments de corrosion inattendus.

Le sens de notre décision est de considérer que, les marges étant moindres, il faut effectuer un suivi en service. C’est tout à fait réalisable technologiquement pour ce qui concerne le fond de la cuve ; en revanche, nous estimons que ce n’est pas faisable sur le couvercle de la cuve à court terme. EDF a une vision autre et pense parvenir à trouver un contrôle non destructif fonctionnant dans ce contexte. Dans la mesure où nous ne partageons pas ce point de vue, nous avons demandé qu’un couvercle de remplacement soit produit au plus vite, en respectant bien évidemment les normes de sûreté. EDF a estimé qu’il faudrait sept ans pour le fabriquer. Notre décision ayant été prise en 2017, nous avons donc donné un délai jusqu’en 2024. Ce délai est acceptable en termes de sûreté, dans la mesure où les phénomènes redoutés sur le couvercle initial sont des phénomènes de vieillissement, qui n’interviendront par conséquent pas durant les premières années de fonctionnement de l’EPR.

Même si EDF arrivait avec un nouveau moyen de contrôle très performant, nous savons par ailleurs d’expérience que qualifier aux usages nucléaires un procédé de contrôle non destructif nécessite plusieurs années. Pour l’instant, nous nous en tenons donc à notre prescription.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Il va y avoir, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, des indications du nombre de réacteurs voués à être fermés dans un certain délai, afin de respecter l’obligation de baisser à 50 % la part du nucléaire dans la production d’énergie. Or ce calendrier n’est pas forcément en adéquation avec votre agenda de visites décennales. L’ASN pourrait-elle par conséquent, sans attendre ces visites qui vont se succéder, donner un avis technique sur un projet d’échéancier de fermeture d’un certain nombre de réacteurs ? Quelle forme cet avis pourrait-il prendre ? Dans quel délai pourrait-il être rendu ?

M. Pierre-Franck Chevet. J’ai déjà indiqué au gouvernement que l’ASN était prête, si le gouvernement saisissait EDF sur cette question, à regarder, parmi d’autres acteurs, la cohérence du dossier avec les éléments dont on dispose en termes de sûreté. Pour l’instant, je n’ai reçu aucun dossier d’EDF correspondant et il ne nous apparaît pas opportun d’effectuer l’exercice à blanc : nous estimons en effet qu’en termes de responsabilité, il appartient à EDF de proposer, ensuite de quoi nous donnerons notre avis si nous sommes saisis.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Merci beaucoup.

M. Jean-Marc Zulesi, président. Merci pour l’ensemble des réponses que vous nous avez apportées. Nous vous avons par ailleurs transmis un document écrit, qu’il vous appartiendra de compléter et de nous adresser. Nous vous en remercions par avance.

 

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Membres présents ou excusés

 

Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

 

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9 heures :

 

Présents. – Mme Bérangère Abba, M. Philippe Bolo, M. Paul Christophe, M. Pierre Cordier, Mme Claire Pitollat, Mme Barbara Pompili, M. Jean-Pierre Pont, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi.

 

Excusés. – M. Christophe Bouillon, Mme Isabelle Rauch, M. Hervé Saulignac