Compte rendu

Mission d’information de la
Conférence des présidents
sur la révision de la
loi relative à la bioéthique

– Audition du Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section Ethique et Déontologie du Conseil national de l’Ordre des Médecins et du Dr Anne-Marie Trarieux, conseillère nationale              2

– Présences en réunion..............................14

 


Mercredi
19 septembre 2018

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 13

session extraordinaire de 2017-2018

 

Présidence de
M. Xavier BRETON,
président ,
 


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 19 septembre 2018

 

(Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission)

La Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l’audition du Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section Ethique et Déontologie du Conseil national de l’Ordre des Médecins et du Dr Anne-Marie Trarieux, conseillère nationale

La séance débute à seize heures quinze.

M. Xavier Breton, président. Je souhaite la bienvenue aux représentants du Conseil national de l’Ordre des médecins, le docteur Jean-Marie Faroudja et le docteur Anne-Marie Trarieux. L’audition, filmée et enregistrée, nous permettra de recueillir le point de vue de l’Ordre sur plusieurs thèmes qui font l’objet de notre mission d’information, tels le rythme de révision des lois de bioéthique, le don d’organe, l’assistance médicale à la procréation, la recherche sur les cellules souches ou encore l’intelligence artificielle.

M. Jean-Marie Faroudja, président de la section « Ethique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins. Je vous remercie d’entendre la voix de l’Ordre des médecins, assez timide jusqu’à présent sur ces sujets délicats. Je traiterai pour commencer des divers aspects de l’assistance médicale à la procréation (AMP), question d’une particulière importance sur laquelle le Conseil national a pris position hier par un avis qui est l’aboutissement d’années de réflexion.

Sur le fond, le rôle de l’Ordre n’est pas de s’opposer aux demandes sociétales auxquelles existe une possible réponse technique médicale. Ainsi, s’agissant de l’auto‑conservation des gamètes, l’Ordre a pour rôle de rappeler aux médecins que la stimulation ovarienne comporte des risques dont ils doivent informer la patiente : risque dû à ce que cette pratique suppose d’utiliser des produits extrêmement violents pour obtenir des ovocytes ; risque, aussi, de désillusion. Dimanche dernier, dans le journal Sud-Ouest, une spécialiste du centre hospitalo-universitaire de Bordeaux, le docteur Aline Papaxanthos, indiquait que 6 % seulement des ovocytes conservés donneront lieu à un embryon vivant. C’est le rôle du médecin de prévenir les dames, qui souhaiteraient reporter une conception, des risques qu’elles prennent et, dans tous les cas, de leur dire qu’il n’y a pas de garantie de réussite. L’Ordre demande aux médecins de se conformer au code de la déontologie médicale, ce qui suppose l’information de la patiente et son consentement.

De nombreuses discussions ont eu lieu sur l’AMP au sein du Conseil national. Après avoir entendu de nombreuses personnes – des scientifiques, des philosophes, des associations –, nous sommes parvenus à la conclusion que si, à la demande d’AMP, essentiellement sociétale, la réponse peut être médicale, le rôle du médecin ne peut en aucun cas être assimilé à celui du technicien supérieur capable d’apporter la réponse demandée. Est-ce le rôle du médecin traitant de donner à la patiente toutes les possibilités thérapeutiques existantes ? La question reste entière, mais elle doit être envisagée selon deux prismes.

Le premier est celui du code de déontologie médicale, qui figure dans la partie réglementaire du code de la santé publique. Aucun article du code de déontologie ne permet de refuser d’emblée l’AMP ; en revanche, l’article 7 du même code établit que le médecin ne peut en aucun cas opérer de discrimination entre les patients qui s’adressent à lui, quelles que soient leur origine, leurs convictions religieuses ou politiques, leurs moeurs et leur situation de famille. Il n’appartient donc pas au médecin de trancher la question ; c’est pourquoi nous estimons qu’il s’agit d’une demande sociétale. La question doit aussi être envisagée en fonction du respect des quatre principes de l’éthique médicale : l’autonomie de la personne ; la bienfaisance ; l’absence de maltraitance ; l’équité. On constate que les réponses sont très différentes si l’on s’interroge au sujet de l’AMP d’une part, au sujet de la gestation pour le compte d’autrui (GPA) d’autre part.

Commençons par l’autonomie de la personne. Une femme seule ou un couple de femmes homosexuelles veut un enfant ; l’absence d’enfant peut être la source d’une souffrance que le médecin est en devoir d’écouter. Je ne dis pas qu’il doit forcément accéder à la demande mais qu’il a le devoir de l’entendre et d’accompagner la femme qui l’exprime jusqu’à ce que le projet puisse être étudié, voire porté à bon terme par des équipes spécialisées. Parler d’autonomie amène aussi à parler de l’autonomie du médecin, qui est libre. Ce disant, je ne parle pas de clause de conscience, sujet sur lequel je reviendrai, mais de l’article 47 du code de déontologie médicale, que je cite : « Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d’urgence » – et il ne s’agit pas d’une situation d’urgence – « et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. »

J’en viens maintenant au principe de bienfaisance. Est-il bienfaisant d’accorder à une femme ou à un couple de femmes homosexuelles la possibilité d’avoir un enfant ? C’est ce que l’on a appelé le « droit à l’enfant », et qui a donné lieu à un large débat. L’Ordre des médecins considère que la demande exprimée ne relève pas du « droit à l’enfant », parce que ce n’est pas systématique, mais du droit d’accès à l’AMP – et de quel droit un médecin pourrait-il dire à une femme : « Non, madame, vous n’y avez pas droit !! », avant de la raccompagner à la porte de son cabinet ? Tel n’est pas le rôle du médecin, qui doit l’écouter et l’entendre.

Ont aussi été évoqués les droits de l’enfant à naître. Mais revient-il à l’Ordre des médecins de dire ce qui est bien ou pas bien ? Certains disent qu’un enfant doit avoir un père et une mère, d’autres que le fait qu’un enfant ait deux mères ou une mère l’élevant seule ne change rien. Nous connaissons tous des femmes abandonnées, des mères célibataires et des veuves ayant élevé correctement un enfant. On connaît aujourd’hui des couples de femmes homosexuelles qui, ayant adopté un enfant, l’ont mené jusqu’où elles ont pu. Et le médecin de campagne que je fus a connu des enfants nés dans un couple comportant un père et une mère qui n’ont pas forcément été heureux et dont certains ont dû être confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). En bref, il n’appartient pas à l’Ordre de prendre position sur ce qui est bien et sur ce qui ne l’est pas en cette matière, même sur le plan éthique.

Passons au principe de l’absence de maltraitance. Est-il malfaisant de permettre à une femme seule ou à un couple de femmes d’avoir un enfant ? Sur ce plan également, l’Ordre considère ne pas avoir à se prononcer.

La dernière question éthique qui se pose est celle de l’équité et de la justice. Nul, ici, n’ignore que des femmes se rendent dans des pays voisins pour bénéficier d’une AMP. Mais encore faut-il, pour cela, disposer de ressources suffisantes. Une femme habitant près d’un pays où l’AMP est admise pour elle obtiendra sans trop de difficulté ce qu’elle ne peut obtenir en France ; il en ira autrement pour une femme habitant le Massif central. Il y a là une inéquité géographique et pécuniaire, et ce problème doit être tranché par la société.

Si la législation évoluait, la question de la clause de conscience et de son expression dans la loi ferait débat. L’article 18 du code de déontologie médicale, relatif spécifiquement à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), établit qu’un médecin est « toujours libre » de refuser de pratiquer cet acte. Nous estimons que si l’accès de l’AMP était étendu aux couples de femmes et aux femmes seules, un article équivalent ne devrait pas être introduit dans le texte, car la disposition entraînerait une discrimination contredisant l’article 7 précité du même code. Reste aux médecins la possibilité de se récuser, à la condition d’avoir entendu la patiente et de lui avoir donné les moyens de poursuivre son projet auprès d’équipes spécialisées. On sait que la pratique de l’AMP n’est pas à la portée de tout le monde ; il est donc vraisemblable qu’une femme qui réclame une AMP s’adressera à une équipe spécialisée. Comme on conçoit mal aujourd’hui qu’un gynécologue refuse de faire des interruptions volontaires de grossesse (IVG), on conçoit mal qu’un médecin en mesure de réaliser des AMP refuse systématiquement de répondre à ces nouvelles demandes. Mais quand bien même estimerait-il en conscience devoir le refuser, pour des raisons qui lui appartiennent, il lui reviendra, si la loi évolue, de confier la patiente à une équipe compétente susceptible de l’écouter et de lui apporter une réponse adaptée.

Cela étant, d’autres questions éthiques se poseront si l’accès à l’AMP est étendu à toutes les femmes. Si la demande émane de femmes seules, de couples de femmes et de couples hétérosexuels, à qui donnera-t-on des gamètes qui se font rares ? Il ne doit pas y avoir de discrimination, mais j’ignore comment se fera le choix. Se posera aussi la question de l’appariement. Aujourd’hui, quand un couple hétérosexuel demande une AMP avec tiers donneur, on recherche une compatibilité géographique pour « assortir » parents et enfant autant que faire se peut. La question est sensible, expliquent les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS).

L’Ordre s’est aussi intéressé à la question de l’accès aux origines, qui tourmente un certain nombre de personnes. L’éventualité d’un accès aux origines personnelles bénéficierait à celui ou celle qui en fait la demande ; en pareil cas, le donneur devra être informé de cette éventualité, pour qu’il exprime ou non son consentement à l’éventualité de la levée d’anonymat dès lors que l’enfant conçu grâce à son don accèdera à la majorité. Sur le plan médical, peut-être serait-il utile de savoir que le donneur qui a offert son sperme il y a une décennie a ensuite développé une pathologie héréditaire possiblement handicapante. Si les modalités d’accès aux origines personnelles sont correctement encadrées par un texte, il n’y a pas de raison que l’Ordre s’y oppose dès lors que tous les interessés ont manifesté leur accord. L’Ordre a pour rôle de guider les médecins dans l’intérêt des patients : le patient a-t-il intérêt à connaître ses origines ou non ? A-t-il intérêt à connaître la pathologie de celui qui a permis de le faire naître ? Il faut en débattre, tout comme il faudra s’interroger sur l’insémination post mortem, et aussi sur le double don ; à ce sujet, il me paraîtrait singulier d’autoriser le transfert d’embryon post mortem et de parallèlement refuser que les deux gamètes susceptibles d’engendrer une personne – les ovules d’une donneuse et le sperme d’un donneur – puissent être réunies à cette fin.

Que ces questions éthiques demeurent signifie que l’évolution de la loi ne règlerait pas tous les problèmes. Mais, aucun principe déontologique et éthique ne s’y opposant, l’Ordre des médecins considère n’avoir pas de raison d’être contre l’extension de l’accès à l’AMP.

Nos réponses ne seraient pas les mêmes au sujet de la GPA. Repartons du principe d’autonomie de la personne : on ne peut assurément pas penser que la femme qui accepte de faire cela le fait dans une autonomie absolue ; on verra beaucoup plus de femmes, en Inde, accepter une grossesse tous les treize mois, et elles ne le font certainement pas dans un but uniquement altruiste, mais par nécessité. Voilà pour l’autonomie. Ensuite, je ne peux pas penser qu’il soit bienfaisant d’accorder ou de demander à une femme d’être enceinte tous les treize mois. On peut aussi considérer que c’est une maltraitance d’autoriser la location d’utérus. Enfin, où sont la justice et l’équité entre celles ou ceux qui peuvent éventuellement louer un ventre et celle qui a besoin de cette location pour pouvoir vivre ?

Voilà où en est la réflexion de l’Ordre des médecins sur la procréation. Inutile de dire que, le corps médical étant aussi divisé sur ces questions que l’est la société dans son ensemble, les réactions des médecins se feront entendre : certains seront « contre » sa prise de position, certains seront « pour » et d’autres indécis. Mais l’Ordre ne pouvait pas continuer à tourner en rond en dépit des multiples consultations auxquelles il a procédé.

J’en viens maintenant au don d’organes. Nous avons débattu de ce sujet avec le ministère à l’initiative de la mission flash conduite par le rapporteur de la mission d’information. L’Ordre des médecins n’a rien de particulier à dire sur la situation actuelle : les protocoles sont parfaitement établis, les équipes de prélèvement pleines d’humanité, les questionnaires remarquables et l’on respecte la volonté des donneurs. Pour les donneurs vivants, la loi paraît tout à fait satisfaisante ; peut-être serait-il judicieux de prévoir un « statut du donneur vivant » pour que ceux qui consentent à un don ne soient pas pénalisés sur le plan matériel. Pour ce qui est du prélèvement d’organes, nous prenons acte de l’existence d’un registre des refus mais nous aurions préféré un registre des dons. On peut en effet considérer que donner un organe est un geste altruiste et donc gratifiant pour le donneur, si bien que certains ne doivent envisager qu’à reculons d’aller s’inscrire sur le registre des refus. Enfin, l’Ordre souhaite évidemment voir préservés les principes qui fondent le don d’organes : consentement, gratuité, anonymat, équité de répartition et sécurité sanitaire. L’Ordre des médecins s’engage à promouvoir le don d’organes et sa gratuité, comme le font d’autres pays, telle l’Espagne, avec un succès retentissant. Il est terrible de penser que tous les jours des organes sont mis en terre et que dans le même temps des gens attendent, alités, en priant le ciel de pouvoir obtenir un greffon.

Pour ce qui est du don de gamètes, une modification de la loi conduisant à supprimer l’anonymat du donneur pourrait entraîner le risque d’une diminution du stock. D’ailleurs, plutôt que de parler de « levée de l’anonymat », il serait prudent de parler de « possibilité d’accès à ses origines » – et il n’est pas obligatoire de dire que le donneur est M. Dupont, habitant à tel endroit. Après avoir levé l’anonymat des donneurs, l’Australie a connu, un temps, une baisse du stock de gamètes ; il est finalement remonté. Bien entendu, si le législateur décidait de permettre l’accès aux origines, le processus devrait être strictement encadré et ne pas contrevenir au principe de non rétroactivité de la loi. Les dons effectués antérieurement à la loi nouvelle ne pourraient être soumis à cette évolution : le donneur doit savoir, au moment où il fait ce don, qu’un jour peut-être l’enfant qui en est issu voudra l’interroger, et dire s’il y consent ou non. La modification de la loi ne pourra donc pas s’appliquer instantanément.

Sur le don du sang, il n’y a rien à dire, sinon que les mêmes principes –consentement, gratuité, anonymat et équité de répartition – doivent, bien sûr, s’appliquer.

Sur la recherche sur l’embryon et les cellules hématopoïétiques, les lois successives ont été de plus en plus permissives. La demande actuelle émane surtout des chercheurs. Ils font remarquer que notre pays n’est pas dans le peloton de tête de ceux qui déposent des brevets et que si la France persiste dans sa position, elle se fera « dépasser » par de nombreuses nations, pays émergents compris. L’Ordre des médecins n’est pas opposé à la recherche sur l’embryon, à condition que soit maintenue la clause de conscience qui figure dans le code de la santé publique – elle doit valoir pour tous, laborantins, ingénieurs et médecins, mais l’Ordre n’a pas à se prononcer pour les laborantins ou les ingénieurs ; il dit que les médecins doivent avoir le droit de refuser de participer à de telles recherches. Pour autant, il n’a pas à s’opposer à l’élargissement des règles si elles visent à faire progresser la science et à apporter une amélioration à la société et aux patients.

Je souhaiterais maintenant aborder la question de la génomique. On sait que le diagnostic préimplantatoire constitue une méthode de sélection. On sait aussi qu’il est désormais possible de corriger le génome en utilisant le ciseau Crisper-Cas9, qui permet, pardonnez la trivialité de l’expression, de « tripoter » l’acide désoxyribonucléique (ADN). On sait à peu près ce que l’on peut faire, mais l’on ne sait peut-être pas vraiment à quoi l’on va aboutir. Je laisse les spécialistes de ces questions en débattre, mais il faut se garder de tout risque d’eugénisme ou de dérives à partir de la génomique.

Je n’ouvrirai pas le chapitre de la fin de vie, mais j’espère que la question sera l’objet d’une autre rencontre nous permettant de vous exposer la position de l’Ordre, qui résulte d’une très longue réflexion.

Sur l’intelligence artificielle, je serai bref car je ne suispas spécialiste de cette question, mais d’autres que moi le sont au sein de l’Ordre et le Conseil national a été un partenaire actif de son introduction dans l’exercice médical. Si l’on peut apporter aux praticiens des outils supplémentaires grâce auxquels ils exerceront mieux et seront plus avertis en toutes matières médicales, c’est une bonne chose. Aujourd’hui, en tapant trois mots sur un clavier, on voit défiler une série impressionnante d’hypothèses diagnostiques, ce qui peut rendre service aux patients, au lieu que, jusqu’à présent, le médecin cherchait dans sa mémoire, dans ses livres et éventuellement à la bibliothèque de la faculté de médecine une information peut-être déjà périmée. Plus on donnera aux médecins de moyens de trouver des renseignements et mieux cela vaudra, à condition de préserver certains principes.

Le secret médical, en particulier, doit être maintenu avec force vigilance. L’intelligence artificielle et la puissance de calcul phénoménale de l’informatique quantique ne permettront-elles pas de remonter à l’origine d’un cas pathologique et de trouver l’identité du patient concerné à partir de quelques éléments ? Aujourd’hui, le secret médical est attaqué, fréquemment et de toutes parts, et l’Ordre se bat pied à pied pour qu’il demeure toujours général et absolu, sauf dérogations prévues par la loi. Si les fondations en étaient érodées, le patient n’aurait plus confiance en son médecin. Or, sans la confiance du patient, les soins ne pourront pas être apportés. Les dérogations légales sont aujourd’hui suffisantes et nous avons exprimé à plusieurs reprises notre désaccord sur l’extension de leur champ. Notre réflexion porte actuellement sur la transgression du secret ; elle doit rester exceptionnelle et peut éventuellement permettre aux médecins de s’affranchir du secret médical à condition qu’ils puissent s’en justifier et que la transgression soit proportionnelle à l’objet poursuivi.

Enfin, l’intelligence artificielle ne doit pas trop interférer entre le patient et son médecin. On dit que l’écran crée un obstacle ; je ne le pense pas – et des patients qui ne verraient pas d’écran chez un médecin le soupçonneraient vraisemblablement d’être un peu dépassé. En revanche, il importe que l’intelligence artificielle reste à sa juste place et que l’on veille à ce que son émergence ne remplace en aucun cas l’humanité du médecin. Un patient ne vient pas seulement voir son médecin pour qu’il pose un diagnostic : il veut aussi une main tendue et s’assurer qu’il est pris en charge et accompagné.

S’agissant des enfants nés intersexes, je dirai pour résumer que, quand la situation se présente, il est urgent d’attendre. « Anomalies du développement génital », « variation sexuelle », « malformation des organes génitaux », « anomalie de la différenciation sexuelle », « désordre de la différenciation sexuelle »... Cette très riche terminologie traduit la difficulté à définir ce dont on parle. D’un point de vue médical, soit une intervention chirurgicale se justifie d’emblée car, à trop attendre, des complications rénales se produiront, soit il n’y a pas urgence auquel cas, il est plutôt conseillé d’attendre que l’enfant atteigne la majorité, le temps pour lui de se construire sa propre identité plutôt que celle qu’aurait choisi pour lui ses parents. Ce sera tout l’art du médecin, ou plutôt des équipes spécialisées – car s’il est un sujet à propos duquel le médecin ne doit pas rester seul, c’est bien celui-là – de faire comprendre aux parents qu’il faut attendre, car il s’agira forcément d’une chirurgie mutilatrice et qu’il est bien d’attendre la majorité sexuelle de l’enfant pour avoir sa pleine adhésion. Il est vrai que, dans l’intervalle, il passera dix-huit années dans une situation ambiguë, avec des problèmes dramatiques, mais nous pensons qu’il est dangereux de provoquer une assignation irréversible. Quoi qu’il en soit, la décision doit toujours être prise collégialement par l’équipe pluridisciplinaire d’un centre de référence. En de tels cas, le rôle du médecin est d’assister les parents, de les éclairer et de rester à leur disposition pour les guider au cours de ce long cheminement. Quant aux problèmes d’état civil qu’entraînent ces cas, c’est au législateur qu’il revient de les trancher.

En conclusion, pour chacun de ces sujets, l’Ordre des médecins s’interroge sur la compatibilité entre ce qui est envisagé ou proposé et les règles fixées dans le code de déontologie médicale d’une part, les principes de l’éthique médicale d’autre part. Mais les principes éthiques donnent lieu à des discussions sans fin et le code de déontologie lui-même n’est pas gravé dans le marbre : nous savons l’adapter en fonction des circonstances comme nous l’avons fait en en réécrivant les articles 37 et suivants, relatifs à la fin de vie, pour expliciter et rendre applicable la loi Léonetti.

M. le président Xavier Breton. Je vous remercie d’avoir brossé ce panorama général. J’observe qu’en évoquant l’éventuelle extension de l’accès à l’AMP, vous avez insisté sur la nécessaire application des principes de non-discrimination, d’autonomie de la personne, de bienfaisance et d’équité pour les parents, mais que vous n’avez rien dit de l’intérêt de l’enfant. Au contraire, lors des États généraux de la bioéthique, le comité d’éthique de l’Académie de médecine a fait prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant. Jugez-vous ces deux positions contradictoires ?

D’autre part, notre pays se singularise, s’agissant de l’AMP, par des choix éthiques que vous avez mentionnés. Dans le même temps, vous dites qu’en cette matière des actes prohibés en France ont lieu à l’étranger, ce contre quoi on ne peut lutter, si bien que nous devons adapter notre législation et ainsi, d’une certaine manière, nous soumettre à une sorte de dumping éthique. N’est-ce pas dangereux ? Les rappels des principes qui doivent s’imposer pour les dons d’organes et de sang seraient ainsi balayés pour le don de gamètes ; ne risque-t-on pas d’entrer dans une spirale de moins-disant éthique ? Enfin toujours au sujet de l’AMP, que répondez-vous à ceux qui disent que la médecine est d’abord l’art de prévenir les maladies et de soigner les malades et qu’elle n’a pas à répondre à des demandes sociétales dont elle devient ainsi, d’une certaine manière, le prestataire technique ? Pensez-vous que la médecine doive sortir de son rôle initial ?

Sur un autre plan, pensez-vous que l’essor de l’intelligence artificielle appelle un encadrement éthique de ses applications en médecine ? Á propos des tests génétiques, faut-il garantir la protection des données personnelles génétiques et interdire qu’elles donnent lieu à marchandisation ? Devons-nous réglementer en ce domaine soumis à la pression de la mondialisation ?

M. Jean-Marie Faroudja. Nous ne saurons vraiment la position qu’a prise l’Académie nationale de médecine au cours des États généraux de la bioéthique que lorsque le Conseil national consultatif d’éthique (CCNE) rendra son rapport, le 25 septembre prochain. Jusqu’à présent, il n’a communiqué que le résultat des réunions régionales. J’ai assisté à quelques-unes d’entre elles. Je ne sais ce qu’il en a été ailleurs, mais j’ai constaté, là où j’étais, que dans ces réunions ouvertes au public, on se livrait à un lobbying effréné, et les représentants des lobbies ont peut-être accaparé le micro. Sur le fond, l’Académie de médecine a une mission qui n’est pas la nôtre. L’Ordre a pour rôle d’éclairer le médecin, de lui demander de respecter les règles déontologiques et le code de la santé publique, dans l’intérêt des patients ; ses prérogatives s’arrêtent là. Je l’ai dit plusieurs fois ces jours-ci : qui est l’Ordre des médecins pour affirmer ce qui bien et ce qui ne l’est pas ? Nous ne sommes pas des philosophes : nous sommes là pour écouter les patients qui souffrent, quelles que soient leur situation et leur origine, en application du merveilleux article 7 du code de déontologie médicale, remarquablement rédigé et qui mérite d’être relu régulièrement. L’Académie et l’Ordre ne poursuivent peut-être pas les mêmes objectifs mais ils ne sont pas antinomiques.

Pour ce qui est de l’intérêt de l’enfant, des articles disent que le consentement, c’est l’autorité des deux parents. En de certaines circonstances, en dehors des actes usuels de la vie, il faut l’avis des deux parents pour prendre une décision – même, par exemple, pour une vaccination contre le cancer du col de l’utérus – sauf si l’un d’eux est déchu de l’autorité parentale. Le très difficile problème des anomalies du développement uro-génital ne peut se gérer en dehors des centres de référence. Mais le consentement de l’enfant est une notion juridique et nous avions eu l’occasion de dire que, comme pour une personne sous sauvegarde de justice, même si l’on ne peut obtenir le consentement dans les formes prévues dans la loi, tout oblige le médecin à rechercher l’assentiment. On voit, dans les hôpitaux, des enfants de douze ans tout à fait capables d’entendre ce que le médecin va dire. Évidemment, on doit la vérité aux patients – mais, comme disait Jean Bernard, « la vérité, rien que la vérité, mais pas tout et pas tout de suite ». On ne dira pas à un enfant : « Il n’y a rien à faire, tu vas mourir », mais on lui doit la vérité, on doit lui dire qu’il a une maladie mais que l’on va s’occuper de lui, l’accompagner quotidiennement et lui donner les meilleurs médicaments du monde. Je ne dis pas qu’il faut mentir, mais qu’il faut rester humain jusqu’au bout.

Nous avons d’ailleurs malheureusement en ce moment une discussion sur la consultation d’annonce. Il se passe à ce sujet des choses inacceptables : on n’annonce pas à quelqu’un un pronostic fatal à court terme par téléphone, dans une salle d’attente devant tout le monde, ou dans un couloir ! On reçoit le patient et on lui dit la vérité progressivement, en fonction de ses réactions, et non pas brutalement avant de le renvoyer dans ses foyers ! Procéder de la sorte est inhumain.

Il faut parler avec l’enfant et l’informer. Et si par hasard il fallait faire quelque chose pour lui et que ses parents s’y opposent, nous avons la possibilité d’alerter le procureur de la République ou la cellule de recueil d’informations préoccupantes du conseil départemental lorsque nous considérons qu’il y a non-assistance à personne en danger.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vous remercie pour cette très riche présentation que vous pourriez peut-être compléter par un document écrit sur les nombreux sujets que vous avez évoqués. On comprend en vous écoutant que le Conseil national de l’Ordre des médecins accompagne très positivement les évolutions de notre société, entend les questions nouvelles, ne s’en tient pas à des positions écrites dans le marbre et réfléchit en permanence à leur évolution souhaitable.

Vous avez dit tout récemment en d’autres lieux que « le rôle des médecins est d’apaiser les souffrances, qu’elles soient physiques ou psychologiques : or le désir d’enfant est une souffrance et le médecin est là pour l’entendre ». Vous avez souligné que l’Ordre des médecins n’est pas une instance moralisatrice et réfuté l’argument des opposants à l’extension de l’AMP selon lesquels cela équivaudrait à instaurer un « droit à l’enfant », alors qu’il s’agit pour vous du droit d’accéder à une technique médicale spécialisée. Que pensez-vous de ceux qui, y compris parmi les médecins, disent que l’AMP devrait être réservée à la suppléance de la stérilité médicalement prouvée – alors même qu’en pratique, de 30 % à 40 % des AMP ont lieu sans qu’il y ait stérilité médicale mais simplement en raison d’une difficulté à concevoir – tant et si bien que certains couples ayant bénéficié d’une AMP auront quelques années plus tard des enfants dans des conditions naturelles ? C’est déjà à une demande sociétale que répond l’AMP pour les couples hétérosexuels, et la question qui se pose à nous est celle de l’extension de cette demande au bénéfice des femmes seules ou des femmes en couples homosexuels. Comment les médecins considérant que l’AMP doit être réservée à la suppléance d’une pathologie conjuguent-ils cette approche avec les dispositions de l’article 7 du code de déontologie médicale qui interdit la discrimination ?

Comme vous, je partage le constat que le terme « accès aux origines » est beaucoup plus approprié que « levée d’anonymat ». Le secret institué de prime abord ne visait d’ailleurs pas à protéger l’enfant mais les pères, dont la société de l’époque voulait dissimuler l’éventuelle infertilité, en raison d’une confusion qui ne s’est peut-être pas entièrement estompée, entre fécondité et virilité. Cette approche tient d’autant moins aujourd’hui que parmi les enfants nés dans ces conditions, cinq sont déjà parvenus à savoir qui est leur procréateur grâce à des techniques mêlant génétique et généalogie. Il est donc illusoire de penser que l’on peut maintenir le secret. De multiples raisons plaident pour que ces enfants soient informés des conditions de leur procréation dès l’enfance et informés plus complètement au cours de leur adolescence ou à dix-huit ans. Cela ne suppose pas forcément une rencontre, tant s’en faut ; d’ailleurs, beaucoup d’enfants nés d’une AMP avec tiers donneur ne demandent pas à rencontrer le donneur de gamètes. Quelles informations fournir à l’enfant, à l’adolescent et au jeune adulte ?

Hier, Mme Dominique Thouvenin nous a dit récuser, sur le plan juridique, le terme « don d’organes », lui préférant celui de « prélèvement » – dont acte. Vous avez dit au sujet des transplantations tout ce qu’il importait de dire : vous regrettez qu’il n’y ait pas en France un registre des acceptations de prélèvements d’organe. Mais en Belgique, où l’on a institué un double registre – acceptations et refus de prélèvements –, et en dépit des efforts constants des pouvoirs publics, le nombre des inscrits sur les deux registres est demeuré très faible. On voit la difficulté qu’il y a pour nos contemporains à se prononcer sur l’avenir de leurs organes. Or, 6 000 transplantations sont réalisées chaque année en France, mais 23 000 malades sont inscrits sur la liste d’attente, dont un grand nombre mourront faute d’avoir reçu la greffe qui les aurait sauvés. L’Agence de la biomédecine comme la mission flash conduite en nos murs il y a quelques mois ont montré des disparités régionales considérables, sans explication connue. Cette disparité d’accès aux greffons est si marquée que, dans certaines villes, des malades ont très peu de chance d’être traités. Cette situation provoque des remous et une association s’occupant des malades a demandé la création d’un pool national pour uniformiser les chances d’accès aux organes prélevés. Cette proposition mésestime une difficulté : une ville ou une région qui s’implique dans la promotion du prélèvement d’organes le fait d’autant plus qu’elle sait que les malades dont elle s’occupe pourront être traités. Le risque, si l’on en vient à constituer un pool national, est de freiner l’encouragement aux dons. Comment résorber ces disparités pour améliorer l’accès à la greffe ?

J’en viens maintenant à la médecine prédictive. En France, les tests génétiques sont d’accès très réservé puisqu’ils supposent une prescription médicale, mais les Français peuvent les demander dans des pays proches ; ceux qui le font obtiennent des informations, d’ailleurs très imprécises, sur leur prédisposition éventuelles à des maladies. Quelle est la position de l’Ordre des médecins à ce sujet ? Faut-il encourager ou dissuader une certaine extension des connaissances génétiques et de la médecine prédictive qui en résulte ? L’avantage de l’extension est de permettre que les individus ayant une propension à une certaine pathologie puissent recevoir des conseils hygiéno-diététiques ou des traitements qui retarderont l’émergence de la maladie ou la préviendront : ainsi, une personne qui a une forte propension au diabète mangera moins de sucre, fera plus d’exercice physique et se soumettra à des dépistages plus fréquents, si bien que la maladie sera diagnostiquée plus tôt et dans de meilleures conditions. Les adversaires de la médecine prédictive disent que ces prédictions suscitent chez les gens une angoisse d’autant plus dommageable que, pour les trois quarts d’entre elles, elles sont pour l’instant très imprécises et très peu probables, si bien que l’on délivre aux malades potentiels des conseils qui n’ont pas lieu d’être.

Enfin, la progression des droits du malade se fait au détriment du « pouvoir médical ». Cette progression doit-elle aller, au-delà du consentement éclairé institué par la loi de 2002, jusqu’à une codécision ?

M. le président Xavier Breton. Je vous saurais gré, monsieur Faroudja, de répondre aussi brièvement que possible afin que nos collègues puissent prendre la parole.

M. Jean-Marie Faroudja. Je m’y efforcerai, mais les questions posées sont nombreuses. Vous avez mentionné, monsieur le rapporteur, l’opposition de certains confrères à la prise de position de l’ordre au sujet de l’AMP ; je puis vous dire que j’ai déjà reçu, depuis hier soir, quelques courriers assez désagréables. Certains étant favorables et d’autres défavorables à l’extension de l’accès à l’AMP, nous ne satisferons jamais tous les médecins, non plus que l’ensemble de la société. Oui, dire que les médecins ont pour rôle de soigner des maladies et non de répondre à des sollicitations sociétales est un argument. Et c’est parce que nous considérons la demande comme sociétale que nous estimons que la réponse doit être sociétale. Mais si la société veut cette évolution, il revient évidemment au médecin d’y répondre – qui d’autre pourrait le faire sur le plan technique ? –, à condition que son autonomie de décision soit préservée.

La médecine doit-elle être au service des désirs de la société ? C’est une question importante, mais le médecin n’est-il pas là pour écouter son patient et tenter de répondre au mieux à sa demande ? Le bien-être, tel que le définit l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis longtemps, c’est le bien-être physique et psychique. On peut penser qu’une femme seule en mal d’enfant souffre, et si vraiment sa motivation est profonde, pourquoi n’aurait-elle pas recours à la médecine ? Au nom de quel principe le conseiller ordinal que je suis estimerait-il que cette dame n’en aurait pas le droit ? L’Ordre s’attribuerait ainsi des prérogatives qui ne sont pas les siennes. Que le législateur dise ce qu’il veut et nous adapterons nos réponses. Mais il est certain que le consensus ne se fera jamais à ce sujet, comme sur bien d’autres en matière de bioéthique, en particulier au sujet de la fin de vie.

Plutôt que de parler de levée de l’anonymat, mieux vaut, j’en suis convaincu, parler d’« accès à certains éléments concernant ses origines ». J’ai reçu des personnes nées après un don de gamètes avec tiers donneur, qui l’ont su très tard. J’ai le souvenir précis de deux d’entre elles. L’une, enchantée de l’avoir appris, m’a dit s’être doutée de la vérité sa vie entière – alors même que, pour aider les parents à préserver le secret, on essaie non seulement de vérifier l’origine géographique du donneur mais aussi d’apparier les groupes sanguins ; l’autre en voulait terriblement à ses parents de leur mensonge au long cours. Mais peut-on blâmer les parents qui, ne l’ayant pas dit d’emblée, ne savent plus comment le dire, attendent une circonstance qui ne vient pas et redoutent que la révélation ait des effets désastreux sur l’enfant ? J’ajoute que l’accès à certains éléments génétiques peut servir à suivre une pathologie : si, dix ans après avoir fait un don, le donneur se découvre une chorée de Huntington, maladie héréditaire, cela pose un problème.

Il y a, c’est exact, des disparités régionales dans le nombre de prélèvements d’organes. Plus largement, vous vous souvenez certainement, Monsieur le rapporteur, que lorsque nous nous étions rencontrés au ministère de la santé, les Espagnols avaient apporté des statistiques montrant un taux extraordinaire d’acceptation de prélèvements dans un pays latin, taux qui fait honte aux Français. Á mon sens, tout passe par l’éducation et l’instruction. Les jeunes gens à qui l’on parle de don d’organes n’y sont pas opposés : ils y sont même beaucoup plus favorables que les gens d’un âge plus avancé. L’Ordre des médecins a, comme d’autres, un rôle à remplir pour favoriser l’acceptation du prélèvement. Peut-être faudrait-il créer, outre le registre des refus, un registre de l’acceptation du prélèvement. J’ai le vif souvenir de la première greffe cardiaque faite à Bordeaux ; j’étais dans l’équipe qui a dû aller chercher un cœur qui battait encore dans un autre établissement hospitalier et obtenir, pour le prélever, l’accord d’une famille sous le choc de l’accident dont venait d’être victime leur parent parti le matin en pleine santé – c’est violent. Je pense comme vous qu’un pool national entraînerait un désengagement régional. Tout passe, à mon avis, par la promotion acharnée du don et je vous promets que l’Ordre fera tout ce qu’il peut à cette fin, par le biais de son Bulletin national.

Pour ce qui est de la médecine prédictive, est-il opportun de dire à quelqu’un qu’il risque de développer une chorée de Huntington alors que nous ne savons pas la traiter ? Le fil conducteur doit être la possibilité de traitement. S’il s’agit de découvrir une affection curable, on ne peut pas être contre ; mais si l’on déroule une liste de quinze anomalies génétiques découvertes alors que l’on cherchait une, est-il utile de pourrir la vie du patient si ces informations ne débouchent pas sur une possibilité de prise en charge de la pathologie ? Je suis favorable au dépistage à condition qu’il soit ciblé. S’il agit d’affections curables pour lesquelles on peut prendre des dispositions précoces, si l’on peut éviter à quelqu’un d’être diabétique insulino-dépendant à quarante ans, très bien. Mais s’il s’agit de pathologies neuro-dégénératives, a fortiori celles qui nous laissent malheureusement bras ballants, il faut être extrêmement prudent.

La codécision fait désormais partie du contrat entre le médecin et son patient. C’en est fini du paternalisme, amplement critiqué – même si, au cours des longues années pendant lesquelles j’ai exercé comme médecin de campagne, lorsque je disais à un patient : « Il y a deux solutions, laquelle préférez-vous ? », il me répondait : « Docteur, si je suis venu vous voir, c’est pour que vous me disiez ce qu’il faut faire ». C’est ainsi que s’est façonnée une attitude paternaliste. La loi a établi le principe de la démocratie sanitaire et, maintenant, on prend une décision après avoir donné toutes les cartes au patient. Mais il appartient toujours au médecin d’être le confident du malade, et il est aussi chargé d’expliciter les informations qu’il met à disposition pour obtenir un consentement. L’information médicale reste capitale et la codécision doit être la règle ; on n’opérera évidemment pas quelqu’un qui n’est pas d’accord.

M. le président Xavier Breton. Le temps dont nous disposons désormais est très limité et je ne pourrai appeler que les trois premiers orateurs inscrits. Je les invite à poser des questions concises, entraînant des réponses qui ne le seront pas moins.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Les femmes manquent peut-être d’informations sur l’autoconservation des ovocytes, les conséquences sur leur santé que peut avoir cet acte médical, les risques que cette pratique comporte et l’absence de certitude sur la réussite de la procédure. Par ailleurs, une fois l’information délivrée, le nombre de gamètes disponibles augmente. Cette pratique aurait donc une utilité sociale non négligeable : les ovocytes conservés pourraient servir à d’autres couples si les femmes concernées ont finalement procréé par d’autres voies ou abandonné l’idée d’utiliser les ovocytes prélevés. Quels sont les éventuels problèmes déontologiques à ce sujet ?

M. Jean-François Mbaye. Quelle est la position de l’Ordre des médecins sur l’AMP post mortem ?

Mme Laëtitia Romeiro Dias. La loi autorise les médecins à arguer de la clause de conscience pour ne pas réaliser d’IVG. Récemment, le président du syndicat des gynécologues-obstétriciens a fait valoir qu’il ne souhaitait pas pratiquer cet acte, expliquant que son métier consiste à donner la vie et non à l’empêcher. Dans le prolongement de cette intervention, j’aimerais connaître la position éthique de l’Ordre des médecins au sujet de l’AMP, pratique qui consiste à donner la vie. Jusqu’où doit aller le droit à l’objection de conscience du médecin ? Serait-il, selon vous, légitime de reconnaître ce droit à un médecin qui refuserait de procéder à une AMP pour un couple de femmes ou une femme seule ? N’y aurait-il pas un risque que le médecin devienne un policier des mœurs en droit de privilégier certaines structures familiales en vertu de ses convictions personnelles ? Vous avez mentionné l’éventualité non pas d’une objection systématique mais d’une récusation. Vous comprendrez que la subtilité entre le droit d’objection de conscience et la récusation puisse nous échapper et échapper aux femmes concernées. N’y a-t-il pas un risque d’hypocrisie ? Quelques précisions seraient bienvenues.

M. Jean-Marie Faroudja. L’Ordre des médecins ne veut pas se prononcer sur l’autoconservation des gamètes en disant si c’est bien ou si ce ne l’est pas : il dit à ses membres qu’ils ont l’obligation déontologique d’informer les femmes sur les dangers et les risques de cette pratique. La récupération d’ovocytes demande une simulation ovarienne par injection de produits extrêmement dangereux qui peuvent provoquer des complications thrombo-emboliques entraînant le décès. Quand une femme de vingt-deux ans veut garder ses ovocytes pour s’en servir dix ans plus tard, le médecin se doit de lui dire ce qu’elle risque, à plus forte raison si elle a pris une pilule contraceptive pendant un certain temps ou si elle est fumeuse ; après quoi, la patiente décidera de ce qu’elle voudra. Le médecin a aussi un devoir d’information sur le faible pourcentage de réussite : une femme âgée de vingt-six ans qui fait conserver ses ovocytes pour les utiliser à trente-neuf ans doit savoir que 6 % d’ovocytes vitrifiés donneront lieu à un embryon vivant – ce qui ne signifie pas que la grossesse ira à son terme. Une médecin qui ne le dirait pas à la femme venue le consulter ne remplirait pas sa mission.

L’insémination post mortem n’est pas autorisée aujourd’hui, sauf cas très exceptionnel. La première question à se poser au moment de la refuser à une femme est de savoir si la conservation des spermatozoïdes entrait dans un projet parental ou si elle avait été faite sans projet précis. Pour le reste, imaginons que l’on autorise l’extension de l’AMP : en ce cas, une femme seule pourrait concevoir avec les spermatozoïdes d’un donneur inconnu mais une veuve ne pourrait pas utiliser ceux de son mari mort ? On risquerait d’en venir à des situations ubuesques.

Il existe une nuance entre clause de conscience et refus de soins. Un médecin a toujours le droit de refuser ses soins mais à deux conditions précises – les juridictions disciplinaires sont très à cheval à ce sujet. En premier lieu, il ne doit pas s’agir d’une urgence car en pareil cas le médecin doit toujours faire tout ce qu’il peut. Ensuite, le médecin doit prendre toutes dispositions pour que le patient ou la patiente puisse continuer à se faire suivre : lui remettre son dossier et le mettre en relation avec un confrère. Un médecin a toujours le droit de dire à une patiente ou à un patient : « Ne revenez plus me voir, je ne peux plus vous supporter. Je vous donne des traitements que vous ne suivez pas, je prescris des examens complémentaires que vous ne faites pas, et vous revenez tous les huit jours ; dans ces conditions, je ne veux plus vous soigner ». Ce faisant, le médecin exerce son droit de récusation, légitime s’il n’y a pas d’urgence et s’il s’assure que le patient sera pris en charge par un confrère, conformément à l’article 47 du code de déontologie médicale qui organise, de manière générale, la continuité des soins.

L’article 18 du même code prévoit d’autre part que le médecin est libre de refuser de pratiquer une IVG. Cette disposition doit demeurer. La grossesse n’est pas une pathologie mais une étape physiologique ; ce n’est pas non plus une urgence. Le médecin, pour des raisons personnelles ou professionnelles, peut refuser de pratiquer l’IVG, mais il a alors l’obligation absolue – et s’il ne fait pas, il sera poursuivi et sanctionné – de prendre l’intéressée en charge en lui donnant les informations nécessaires.

D’autre part, les médecins ne peuvent s’abriter derrière la clause de conscience pour opérer une discrimination. Autrement dit, un médecin peut, comme je l’ai indiqué, refuser de soigner un patient qui ne l’écoute pas, mais si ledit patient est aussi d’une certaine ethnie ou dans un état d’hygiène déplorable, le médecin ne peut refuser ses soins au motif de son origine ethnique ou de son absence d’hygiène. La non-discrimination est pour nous une règle absolue. Je vous invite à lire, sur notre site les articles 7, 18 et 47 du code de déontologie, ainsi que nos commentaires régulièrement mis à jour.

M. le président Xavier Breton. Je vous remercie.

 

La séance s’achève à dix-sept heures trente-cinq.

 


Membres présents ou excusés

Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

 

Réunion du Mercredi 19 septembre 2018 à 16 h 15

Présents. M. Joël Aviragnet, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, M. M'jid El Guerrab, Mme Caroline Janvier, M. Jean François Mbaye, Mme Bérengère Poletti, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine

Assistait également à la réunion. M. Yves Daniel