Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

 

Audition de :.................................... 2

 Mme Farida Dammene Debbih, vice-présidente de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNS ), directrice de « Tremplin 94 », Mme Delphine Beauvais, membre du conseil d'administration, directrice du pôle Solfa à Lille, et Mme Joan Auradon, chargée de mission justice ;

 Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes et Mme Floriane Volt, chargée de plaidoyer « féminicides » ;

 Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit (FIT) ;

 M. Michel Bouquet, directeur de l’association La Clède ;

 Mme Elise Perrin, coordinatrice de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d'auteurs de violences conjugales et familiales.

 


Mercredi
25 septembre 2019

Séance de 15 heures 15

Compte rendu n° 36

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence
de Mme Marie-Pierre Rixain, Présidente


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La séance est ouverte à 15 heures 15.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

La Délégation procède à laudition :

        de Mme Delphine Beauvais, membre du conseil d’administration de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) et directrice du pôle Solfa à Lille, et Mme Joan Auradon, chargée de mission justice ;

        de Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes et Mme Floriane Volt, chargée de plaidoyer « féminicides » ;

        de Mme Marie Cervetti, directrice d’Une Femme un Toit (FIT) ;

        de M. Michel Bouquet, directeur, La Clède ;

        de Mme Elise Perrin, coordinatrice de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui plusieurs structures associatives dans le cadre du travail mené par la Délégation aux droits des femmes en parallèle du Grenelle des violences conjugales lancé le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa aux côtés du Premier ministre Édouard Philippe.

Pour enrichir cette démarche lancée par le Gouvernement, nous avons choisi de revenir en profondeur sur les travaux, nombreux que nous avons déjà réalisés à la Délégation sur les violences faites aux femmes en général, et sur les violences conjugales en particulier. Nous souhaitons élaborer un livre blanc nourri de recommandations à la hauteur de la gravité de la situation. Nous remettrons ce Livre Blanc à Marlène Schiappa au début du mois de novembre.

Dans le cadre de ce travail, nous avons d’ores et déjà auditionné M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, et Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice. Nous aurons également le plaisir de recevoir la semaine prochaine M. Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement.

Par ailleurs, nous entamons aujourd’hui un cycle de plusieurs tables rondes qui ont pour objectif de rassembler des actrices et des acteurs qui agissent très concrètement pour lutter contre les violences conjugales, souvent au plus près des victimes, mais parfois également auprès des auteurs de ces violences.

Cette année, un décompte macabre rythme l’actualité, celui du nombre de femmes mortes sous les coups de leur partenaire. En ce 25 septembre, nous sommes déjà à 109. 109 femmes dont le quotidien a tourné au tragique parce que des hommes ont estimé avoir droit de vie ou de mort sur elles. Des hommes habitués à l’impunité de frapper leur femme ou leur compagne une fois, plusieurs fois, puis la violenter systématiquement pour ce qu’elle fait ou ce qu’elle ne fait pas, pour ce qu’elle dit ou ne dit pas, pour ce qu’elle est ou ce qu’elle n’est pas.

Cette année, un mot, celui de « féminicide », est apparu dans la presse, sur les affiches militantes, dans les discours politiques. Un mot qui matérialise le crime d’un homme qui refuse d’admettre que sa femme est une femme, libre de rompre des liens conjugaux et de mener sa vie en dehors de lui, que les liens de l’intime peuvent se conjuguer au passé, que son futur lui appartient. Un mot qui dénonce le processus d’emprise sexiste qui, ancré depuis si longtemps dans nos mentalités et nos pratiques, a habitué les hommes à l’impunité. L’impunité d’humilier, l’impunité de frapper, l’impunité de tuer.

Cette année, enfin, nous brisons le silence autour des violences conjugales. Nous pointons du doigt des agissements séculaires dont la société ne veut plus, et surtout nous organisons une réponse publique à la hauteur de l’urgence de la situation.

Ces agissements, Mesdames et Messieurs, vous les dénoncez depuis de nombreuses années au sein de vos associations. Vous dénoncez également les dysfonctionnements successifs qui demeurent d’un bout à l’autre de la chaîne judiciaire, et plus généralement les carences d’un système qui peine à protéger les femmes et à entendre leur parole. Votre engagement est salvateur pour les femmes et les hommes dont vous croisez le chemin ; il est également fort précieux pour les autorités publiques à qui échappent souvent, malheureusement, l’acuité du terrain et l’expérience des faits. C’est votre expérience, votre regard, que nous sollicitons aujourd’hui, et plus largement, dans l’élaboration de chacune des recommandations de la Délégation aux droits des femmes.

Parce que notre responsabilité est collective, le travail doit être collectif. Je vous sais, Mesdames et Messieurs, mobilisés pour nourrir le travail du Gouvernement, mais il me semble important que nous puissions également interagir ensemble pour compléter ces travaux et surtout les appréhender par le prisme des prérogatives propres au Législateur que nous sommes toutes et tous aujourd’hui devant vous.

Mme Delphine Beauvais, membre du conseil d’administration de la FNSF et directrice du pôle Solidarité Femmes Accueil (Solfa) à Lille. Je représente la Fédération Nationale Solidarité Femmes en tant qu’administratrice et je suis également directrice du pôle Violence faites aux femmes situé dans le Nord-Pas-de-Calais.

La FNSF dispose aujourd’hui d’un réseau de 67 associations sur le territoire national qui luttent quotidiennement contre les violences faites aux femmes. La fédération gère également le 3919, numéro d’écoute nationale anonyme gratuit dédié aux femmes victimes de violences ainsi qu’aux partenaires, aux employeurs, à l’entourage…

La FNSF est également dotée d’un certain nombre d’outils, notamment en matière de justice et d’accompagnement au logement et à l’hébergement. Elle porte des actions de plaidoyer pour faire reconnaître sur le territoire national la question des violences faites aux femmes, notamment par l’organisation de colloques, de formations et de journées nationales pour pouvoir réfléchir aux questions transversales en matière de violences faites aux femmes.

Aujourd’hui, il existe 2 800 places gérées au niveau national. En 2018, 5 853 femmes ont été hébergées. 86 545 entretiens ont été réalisés, notamment des entretiens téléphoniques gérés par la Fédération, que ce soit dans le cadre de la pré-écoute ou de l’écoute téléphonique. 340 actions de sensibilisation ont été menées par les associations nationales, avec des actions de formation et de prévention, que ce soit en milieu scolaire ou auprès de futurs professionnels ou de professionnels en fonction, notamment des agents de police et des gendarmes et différents professionnels de l’action sociale.

La Fédération a pour objet de mettre en lien et de coordonner l’ensemble des associations sur le territoire national et en outre-mer, pour favoriser une cohérence d’intervention et de réponses aux femmes.

Pour répondre à vos questionnements, voici les éléments que nous remarquons :

- l’augmentation de la demande de prise en charge par nos services d’écoute et d’hébergement et de nos accueils de jour ; nos réponses sont actuellement insatisfaisantes sur l’ensemble du territoire national, que l’on parle des milieux très ruraux ou très urbains, voire maritimes. 

 - l’émergence de nouvelles problématiques concernant l’accueil des très jeunes filles ;

Des jeunes filles de 16 ou 17 ans qui passent notre porte, dans le cadre d’une première union, vivent d’ores et déjà une situation de violence conjugale. La réponse, aujourd’hui, ne leur est pas adaptée. Elle nécessiterait une coordination avec les conseils départementaux, ceux-ci étant responsables de la protection de l’enfance.

- a contrario, on constate une demande de prise en charge très importante ces deux dernières années de personnes âgées, voire très âgées, qui subissent des violences conjugales pendant trente ou quarante ans et qui requièrent, elles aussi, un accompagnement spécifique ;

On n’accompagne pas de la même façon une personne de 25 ans ou de 80 ans. Cela nécessite des dispositifs innovants destinés à ces deux publics forts différents de par leur âge et leur vécu des violences.

- la barbarie croissante des violences ; On constate des stratégies de violence physique, psychologique et sexuelle de plus en plus fortes qui témoignent d’une barbarie de plus en plus importante de la part des auteurs.

- la prédominance de tout ce qui a trait au cyberharcèlement, aux réseaux sociaux et au harcèlement au sein du lieu de travail, qui conduisent des femmes à continuer à être victimes de violences même une fois sorties de la relation de conjugalité.

Quelles pourraient être les mesures à mettre prioritairement en œuvre en matière de lutte contre les violences conjugales ?

L’action de la Fédération Nationale Solidarité Femmes s’ancre dans le cadre de la prévention des comportements sexistes dès le plus jeune âge et sur la question de l’égalité filles-garçons. Nous sommes tous d’accord, que ce soient l’Éducation nationale, les conseils départementaux ou l’État, pour mettre en avant la nécessité de la prévention chez les très jeunes enfants.

Néanmoins, les moyens manquent parfois. On ne peut pas former et sensibiliser des enfants sans avoir soi-même une formation ou une sensibilisation particulière à ces questions. Cela suppose l’utilisation d’outils pédagogiques gérés et maîtrisés par les professionnels, notamment ceux de l’Éducation nationale.

Aujourd’hui, il manque des places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences. À titre d’exemple, la métropole lilloise doit refuser plus de 500 demandes d’hébergement de femmes chaque année faute de places disponibles. Ce constat est évidemment partagé par l’ensemble des associations du territoire.

Les commissariats comme les brigades de gendarmerie manquent de réponse à apporter à des femmes qui viennent porter plainte le soir ou la nuit et qui sont sans solution d’hébergement puisque les centres n’ont pas suffisamment de places et qu’il n’existe pas de refuge 24h/24. Elles sont parfois orientées vers les hôpitaux dans l’attente de l’ouverture des accueils de jour ou des services d’écoute au petit matin, ce qui est totalement insatisfaisant.

Je terminerai sur la question de la mobilisation de la société civile. Par exemple, en extrême ruralité, on se rend compte que la sensibilisation et la prévention des violences faites aux femmes sont d’une extrême importance et qu’il est nécessaire que le message soit diffusé par des personnes relais qui soient formées. Cela nous renvoie également à la question de l’hébergement : attention au tout généraliste. L’accompagnement des femmes victimes nécessite d’être formé, de pouvoir bien différencier la question des violences conjugales du conflit conjugal, de bien maîtriser la question de l’emprise, de la domination et des différentes formes de violence. Aujourd’hui, on a encore trop tendance à parler des femmes battues, ce qui conduit à ignorer les violences psychologiques et sexuelles, qui restent très complexes à prouver et à identifier alors qu’elles concernent la majorité des femmes que nous accompagnons aujourd’hui.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit (FIT). Nous partageons les mêmes constats, y compris sur l’évolution des violences qui aujourd’hui sont vraiment proches d’actes de torture et de barbarie. On observe cela depuis quelques années. Lors des attentats terroristes, par exemple, la plupart des personnes arrêtées avaient été des conjoints violents. L’escalade dans les violences crée une sorte d’addiction à celles-ci de la part des agresseurs.

Notre association s’appelle FIT – Une Femme, un toit. Elle a pour objectif de contribuer à faire prendre conscience à la société tant des violences machistes contre les femmes que des inégalités entre les femmes et les hommes.

Partant du constat que les jeunes femmes de 18 à 25 ans sont les premières touchées par les violences sexistes et sexuelles, l’association gère un centre d’hébergement (à notre connaissance, c’est le seul sur le territoire national) qui dispose de 60 lits, ciblé en direction de ce public sans enfant et en situation d’exclusion sociale.

Nous venons également d’ouvrir, en Seine-Saint-Denis, un lieu d’accueil et d’orientation pour des jeunes filles à partir de 15 ans et des jeunes femmes jusqu’à 25 ans. Pour vous donner une illustration de la pénurie de places : au cours de la première semaine de son ouverture, les six premières jeunes femmes accueillies car victimes de violences au sein des familles ou au sein du couple, avaient toutes besoin d’être hébergées. Or nous étions complets, ce qui rendait la situation très compliquée. Si nous avons fait un effort en termes de violences au sein du couple, il nous reste encore beaucoup de travail à faire sur les autres formes de violence. En l’occurrence, il s’agissait dans ce cas de jeunes filles qui avaient été violées dans leur environnement familial et qui s’étaient enfuies de chez elles.

En 2018, 77 % des jeunes que nous avons hébergées déclaraient avoir subi des violences au sein de leur famille, 67 % des violences sexuelles et 54 % des violences au sein du couple. 30 % avaient eu recours à la prostitution quand elles étaient à la rue ou hébergées pour de courtes durées, parfois dans ce qu’on appelle les dispositifs d’urgence comme les hôtels sociaux, qui ne sont évidemment absolument pas adaptés à des jeunes femmes qui, je le rappelle, n’ont pas accès aux minima sociaux. Elles sont mises à l’abri, mais ne bénéficient pas de l’accompagnement nécessaire.

Toutes les jeunes femmes que nous hébergeons ont été victimes quand elles étaient plus jeunes, voire enfants, voire nourrissons. Cela rappelle que les violences contre les femmes sont systémiques ; elles s’inscrivent dans un continuum et devraient être traitées de façon holistique et transversale. Nous regrettons que les violences soient toujours abordées de façon séquencée alors qu’au sein d’un couple, une femme peut y être violée, être prostituée. Parler de femme battue n’a plus de sens aujourd’hui, car nous avons une connaissance plus pointue de ce que sont les violences conjugales.

Nous notons également le nombre croissant de plaintes classées sans suite. Pour la moitié des jeunes femmes accueillies par le FIT, les plaintes sont classées sans suite. Une jeune femme de 20 ans, qui s’appelait Sarah, a été assassinée alors qu’elle aurait pu être sauvée. Ce jour-là, nous avions justement une place d’hébergement. L’une de nos préconisations est qu’il faut absolument que la police – Marlène Schiappa l’a très bien dit – raisonne en termes de principe de précaution. Elle a même ajouté que plus aucune femme ne devait sortir d’un commissariat sans solution. C’est essentiel. J’aurais pu amener avec moi la plainte d’une jeune femme qui raconte séquestration, torture, coups, coups de couteau, viol, et pour laquelle l’affaire a été classée sans suite. Elle a dénoncé ces faits et elle est rentrée chez elle. Il faut comprendre qu’un conjoint violent est un homme dangereux et que la violence va crescendo jusqu’au féminicide.

Je salue l’action du commissariat du 3e arrondissement de Paris qui fait un travail remarquable et qui devrait être un commissariat pilote pour les bonnes pratiques qu’il met en place : ils sont dans une logique de protection avant même de savoir si l’affaire va être classée ou pas. On aurait pu éviter beaucoup d’assassinats en adoptant cette logique.

On a aussi souvent du mal à comprendre que l’emprise par le conjoint violent impacte la capacité des victimes à agir. La victime parfaite n’existe pas, elle se trompe dans les dates, elle se trompe de moments, elle revient sur ce qu’elle a dit, elle est très hésitante, elle est inconstante. Par conséquent, on a souvent tendance à considérer qu’elle a menti et très rapidement, elle devient suspecte, car elle n’est pas la victime comme on a imaginé qu’elle devrait être : elle ne pleure pas, elle ne crie pas, elle raconte de façon tranquille les horreurs qu’elle a subies. J’espère que cet aspect fera partie de la formation des policiers. Souvent, quand une femme va porter plainte toute seule sans être accompagnée par une association, le fait que son récit ne soit pas totalement cohérent conduit à ce que l’affaire soit classée.

À propos de l’emprise, je prends toujours l’exemple d’une porte que je demanderais à quelqu’un d’aller ouvrir, mais en lui précisant que j’ai placé des mines sur le chemin. C’est impossible, car elle sera terrorisée. Les femmes victimes de violences, au sein du couple ou autres, sont entravées par la terreur dans laquelle elles vivent, parfois depuis de nombreuses années.

En outre, nous manquons encore de données. Nous savons combien de femmes sont victimes de violences au sein du couple (220 000) et de viol (96 000). Mais au FIT, nous savons que sur les 30 % de jeunes filles que nous avons hébergées et qui ont eu recours à la prostitution, 97 % avaient été victimes de viols. Nous savons combien ont des troubles psychologiques ou psychiatriques. Il faudrait que les associations et les pouvoirs publics arrivent à croiser les données. Par exemple, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) indiquait en 2016 que « 17 660 personnes ont été condamnées pour violences entre partenaires et seulement 40 % des auteurs poursuivables, soit 43 500 individus, ont été poursuivis. »

On compte parmi les violences entre partenaires 2 060 viols, soit 60 de plus qu’en 2015. Au vu du témoignage des jeunes filles que nous recevons, 2 060 viols au sein du couple me semblent très peu. En effet, quand les jeunes filles sont victimes de violences au sein du couple, ce sont à 98 % des viols qui sont en cause. C’est parce que nous posons les bonnes questions qu’elles finissent par dire qu’elles n’étaient jamais d’accord pour avoir ce type de relation sexuelle. Par conséquent, elles sont souvent obligées d’aller porter plainte une deuxième fois et on leur rétorque qu’elles ont trouvé l’argument idéal en se souvenant avoir été violées.

Dans le jargon de l’hébergement, l’urgence concerne les personnes sans abri. Pour les femmes victimes de violence, cet hébergement n’est pas adapté. Il ne faut pas des lieux d’urgence, mais des lieux de mise en sécurité avec des personnels formés pour les accompagner et d’abord à comprendre comment fonctionne un agresseur. Les agresseurs ont tous la même stratégie d’isolement et c’est en comprenant les mécanismes des violences et les conséquences des violences sur les victimes qu’elles pourront retrouver la possibilité d’agir.

Dans un centre d’urgence, il peut y avoir jusqu’à 300 personnes, hommes et femmes, pour seulement 7 travailleurs sociaux. Parmi ces hommes et femmes il y a des agresseurs. Or les éducateurs spécialisés, par exemple, ne reçoivent aucune formation sur les violences faites aux femmes. Ainsi, ils ne repèrent pas ces cas, ni ne créent des lieux favorables pour recueillir la parole. Les femmes racontent qu’elles ont tellement peur que dans ces centres, elles ne sortent pas de leur chambre la nuit. La violence se poursuit dans ce type de lieu.

Le ministre en charge du logement est plus dans une logique de logement d’abord. Or, le logement d’urgence a été inventé pour les personnes en très grande exclusion, par exemple des victimes d’addiction, des personnes en souffrance psychiatrique… Ce n’est pas le cas des femmes victimes de violence. Si on se trompe d’hébergement, on se trompe aussi d’accompagnement.

Si j’ai un message à faire passer aujourd’hui, c’est celui du caractère essentiel de l’hébergement. Nous savons tous qu’il existe une pénurie d’hébergement. Lorsque le Premier ministre a annoncé la création de 250 places d’hébergement dans des centres d’urgence, je me suis demandé s’il voulait y mettre ces femmes. Si c’est pour cela, il vaut mieux dépenser l’argent ailleurs, car ce n’est pas une solution possible.

Quant aux 750 places annoncées qui bénéficieraient de l’allocation logement à caractère temporaire (ALT), c’est le même problème : dans quelles structures ? Ce n’est pas adapté. Nous avons aussi entendu qu’il y aurait une géolocalisation des places. C’est aujourd’hui la mission du Service interdépartemental de l’accueil et de l’orientation (SIAO). Lorsqu’une femme quitte notre centre, nous sommes obligés de signaler au SIAO qu’une place est vacante et celui-ci nous envoie immédiatement une femme victime de violences. Je ne sais pas si cette géolocalisation va s’appliquer à des centres d’hébergement d’urgence mixte, mais eux aussi ont un SIAO.

Nous constatons ensuite que dans ces centres d’hébergement d’urgence, des places prévues pour les femmes victimes de violences peuvent être attribuées à d’autres quand elles sont vacantes. En effet, à Paris par exemple, le numéro d’urgence sociale, le 115, refuse chaque jour plus de 400 familles qui dorment dans la rue. Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder.

Dans le cinquième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui se termine en octobre 2019, 100 places d’hébergement étaient préconisées pour des jeunes femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Nous les attendons encore.

Il faut sensibiliser les politiques et l’administration au fait que l’hébergement des femmes victimes de violences ne peut être considéré comme l’hébergement pour les personnes sans abri.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Le message est bien passé et je vous remercie. Le fait de mal adapter la solution du logement pour les victimes de violences conjugales rajoute de la précarité à la violence subie et crée de nouvelles problématiques.

Mme Elise Perrin, coordinatrice de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV). La FNACAV a été créée en 2003 par des praticiens qui accompagnaient les victimes de violence. Ils se sont aperçus de la nécessité de prendre également en charge les auteurs. Aujourd’hui, la fédération rassemble une trentaine d’associations en France, qui mettent en place des actions à destination des auteurs de violences.

En tant que fédération, la FNACAV soutient le développement de ce type de structure ; elle permet l’échange de pratiques entre ses adhérents, la mise en commun d’outils et l’aide à la recherche et à la formation des professionnels. C’est également une instance de représentation auprès des élus comme c’est le cas aujourd’hui.

Les violences sont multiples. Il existe des violences visibles (violences physiques, coups, violences verbales, insultes…), mais aussi des violences insidieuses, psychologiques. C’est le rabaissement de la victime, le contrôle de tous ses faits et gestes, de ses relations ; c’est rendre la victime dépendante affectivement, économiquement, etc.

Les violences conjugales reposent sur des mécanismes complexes, et de par la nature particulière et spécifique des relations au sein de la famille, pour reprendre l’expression d’une professionnelle de la FNACAV, les violences sont semblables à une guerre civile entre des personnes qui ont des liens durables. La sortie de la violence reste donc un processus complexe et progressif.

Je ne rentrerai pas dans le détail sur la question de l’emprise, car elle a déjà été évoquée, mais les travaux de Muriel Salmona à ce sujet sont très éclairants.

Par rapport aux mesures proposées dans le cadre du Grenelle, nous souhaitions mettre en avant le fait qu’il serait important de prendre en compte la complexité du phénomène des violences.

Concernant les mesures prioritaires, selon nous, toutes les propositions qui ont été énoncées sont nécessaires, mais ne sont-elles pas des solutions à court ou à moyen terme ? Il est impératif de mettre aussi l’accent sur le long terme, c’est-à-dire sur la prise en charge psychosociale et thérapeutique des victimes femmes et enfants et des auteurs, et ce dans un objectif de lutte contre la récidive.

À ce jour, la prise en charge psychologique des auteurs de violences et des enfants victimes n’est pas considérée en France comme un axe prioritaire et c’est à notre sens une erreur. Bien entendu, la priorité reste la protection des victimes : faciliter le dépôt de plainte, évaluer les risques de dangerosité, augmenter les solutions d’hébergement et pas forcément d’urgence, sauf bien entendu pour les auteurs, car en cas d’éviction du conjoint violent, qui est une mesure tout à fait défendable, il est important qu’il puisse y avoir un point de chute.

Mais cette protection ne doit pas se faire au détriment de l’accompagnement à long terme de tous les protagonistes par des professionnels formés à ces questions. Pour la FNACAV, la priorité après le traitement de l’urgence, c’est le traitement sur le long terme, car il n’y a que sur le long terme que l’on peut lutter efficacement contre la récidive.

Lorsqu’on parle des auteurs de violences, on pense souvent aux justiciables, mais de nombreux auteurs sont des demandeurs volontaires et vont à la rencontre des associations. Ce sont ceux qui disent par exemple : « J’ai esquivé, j’ai tapé dans le mur, mais la prochaine fois, pourrai-je encore dévier le coup ? », « J’ai giflé ma femme une fois et je ne veux plus que ça se reproduise » ou « Ma femme m’a dit de me soigner, sinon elle me quitte ».

La FNACAV comprend actuellement une trentaine de structures aux fonctionnements très différents. Certaines sont des associations de contrôle judiciaire qui ne reçoivent que des justiciables et proposent des stages de responsabilisation. D’autres, souvent plus petites, reçoivent avec ou sans orientation judiciaire, proposent des groupes de parole, des suivis thérapeutiques individuels ou en couple et d’autres sont des structures d’hébergement. Cette diversité fait la force de la Fédération. Leur point commun est de faire en sorte que l’accompagnement des auteurs permette la prise de conscience et la reconnaissance de la violence, à savoir lever le déni. C’est la responsabilisation de l’auteur et le changement de son comportement sur le long terme.

Sur le territoire national, les structures sont assez mal réparties. Par exemple il en existe assez peu dans l’Ouest, dans la région bordelaise ou lyonnaise. Le nombre de 30 structures n’est pas suffisant au vu de l’ampleur des violences conjugales en France, d’autant plus qu’elles sont encore trop méconnues par les professionnels, les usagers, les auteurs et les victimes. Je dis « victimes », car ce sont souvent aussi les conjointes qui contactent la FNACAV pour savoir s’il existe des structures pour leur compagnon. Cela les rassure de savoir qu’ils peuvent se faire aider et que des solutions existent.

La prise en charge des auteurs est indispensable en termes de prévention afin de réduire la récidive. C’est une nécessité absolue pour progresser et travailler sur les causes de la violence qui, rappelons-le, est multifactorielle. On peut aider une femme et ses enfants à sortir de la situation de violence, on peut mettre l’auteur en prison, et après ? Il purge sa peine, il sort, il n’a rien élaboré, il récidive et cela recommence.

Autre point important à garder à l’esprit : très souvent, malgré les violences et malgré leur dévoilement, le couple ne se sépare pas. Nous observons fréquemment ce phénomène dans nos associations ; c’est pourquoi il faut venir en aide à toute la famille.

Dans quel cadre doit se faire cette prise en charge ? Il s’agit de développer les structures spécialisées pour les auteurs demandeurs volontaires avant toute judiciarisation. Pour les justiciables, il faut systématiser les obligations de soins vers ces mêmes structures, car pour certains, c’est la seule voie d’entrée vers le soin, et enfin former les professionnels : les magistrats, l’administration pénitentiaire, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et les associations. Bien entendu, tout cela implique des financements pérennes.

Pour reprendre le slogan de la FNACAV, prendre en charge un auteur, c’est aider des victimes. Je vais aussi reprendre les propos d’un auteur de violences qui participait à un groupe de parole : si les auteurs de violences sont le problème, ils sont aussi une partie de la solution.

M. Michel Bouquet, directeur de l’association La Clède. Je suis directeur d’une association à Alès, qui est engagée dans la lutte contre l’exclusion au sens large depuis plus de quarante ans. Elle gère aujourd’hui plusieurs dispositifs d’hébergement, de premier accueil, de logement, de santé, d’insertion par l’activité économique, ainsi que des dispositifs autour de la citoyenneté. Elle s’est engagée depuis 2010 dans la lutte contre les violences faites aux femmes à la suite d’un processus de fusion avec une autre association.

Aujourd’hui, l’association gère plusieurs dispositifs en lien avec l’accueil des femmes victimes de violences :

-          un dispositif d’hébergement d’urgence de 7 à 8 places ;

-          un centre d’hébergement et de réinsertion sociale de 25 places accueillant des femmes victimes de violences seules ou avec leurs enfants ;

-          un tout nouveau dispositif d’accueil des auteurs, sur lequel nous avons encore peu de recul, et un dispositif de stages et de responsabilisation, qui devrait commencer dans les semaines à venir.

J’adhère à tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant. Une équipe à part entière formée sur la question des violences est engagée depuis plusieurs années et nous avons bien séparé les choses, notamment pour l’accueil des auteurs et l’hébergement des femmes victimes de violences.

Je voudrais attirer votre attention sur deux points, en commençant par les zones rurales. Alès est une petite ville de 50 000 habitants qui représente une agglomération de 150 000 habitants répartis sur 27 communes, dont certaines très isolées, notamment dans les Cévennes et dans lesquelles on compte un grand nombre de femmes victimes de violences. Le territoire est très fortement précarisé, avec de nombreuses familles monoparentales et des zones très isolées où les femmes victimes ont beaucoup de mal à se rapprocher des services existant dans les centres-villes.

Nous avons développé un accueil de jour à Alès, mais également, par le biais de financements croisés avec les différentes structures institutionnelles relevant de la politique de la ville et du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), des permanences décentralisées sur certains territoires, de façon à ce que les femmes puissent accéder au service, ainsi que des rencontres à la demande lorsque nous sommes sollicités par une femme dans le cadre de l’accueil de jour. Nous pouvons nous déplacer en donnant rendez-vous dans un centre médico-social, parfois à la mairie mais c’est toujours délicat, car les femmes ont peur d’être identifiées, ou parfois au bar quand il y en a un. Il existe de nombreux dispositifs, mais très souvent, il est difficile de répondre en urgence à une demande d’hébergement sur des territoires aussi isolés.

Le deuxième point sur lequel j’aimerais attirer votre attention est la question des enfants, qui sont très fortement impactés par les violences. Nous travaillons avec des enfants, notamment dans le cadre de l’hébergement en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). À Alès s’est mis en place un réseau de professionnels qui réfléchit à cette question en développant des services de soutien psychologique et en formant les travailleurs sociaux à leur accompagnement.

Comme l’ont dit mes collègues, on constate un rajeunissement de la population qui s’adresse à nos services, notamment en accueil de jour, même si nous n’accueillons pas de jeunes filles mineures, ainsi qu’une population plus âgée qui, grâce à l’information diffusée dans les médias et à toutes les mobilisations de ces dernières années, vient parler de la violence qu’elle subit depuis de nombreuses années.

Je voudrais également attirer votre attention sur le fait qu’il faut continuer à consolider la formation des services de police et de gendarmerie. Nous travaillons avec ces deux services et avec des intervenants sociaux dans les commissariats ou à la gendarmerie. Il faut conforter la présence de travailleurs sociaux, voire de psychologues, et en tout cas d’intervenants sociaux au sein des commissariats et des gendarmeries.

Lors d’un comité local d'aide aux victimes (CLAV), un colonel de gendarmerie disait combien le fait d’avoir cet intervenant au sein de sa structure avait changé les représentations des gendarmes et l’accueil des femmes victimes de violences.

Je voudrais également insister sur la formation des travailleurs sociaux. Très peu d’interventions ont lieu dans les écoles qui les forment.

Sur l’hébergement, je ne peux que partager ce qui a été dit. Nous assurons plusieurs types d’hébergement : un hébergement généraliste et un hébergement spécifique pour les femmes victimes de violences. Je crains que dans le développement du nombre de places, des opportunités ne se créent pour des associations, mais développer de l’accueil d’urgence ou de longue durée pour des femmes victimes n’est pas la même chose que développer de l’accueil généraliste. Je militerai donc auprès de mes collègues de la FNSF et du préfet pour que ces places soient vraiment spécialisées, et si elles venaient à ne pas l’être, je militerai pour que des personnes formées y accompagnent les femmes victimes de violences. Effectivement, en fusionnant ces places, on risque de noyer la question de la violence faite aux femmes dans un dispositif généraliste dans lequel l’approche ne sera pas la même, y compris pour les enfants.

Il manque des places d’hébergement d’urgence, d’hébergements ouverts 24h/24. Au vu de la baisse des budgets et de la demande des pouvoirs publics d’avoir des logements sans cesse occupés, nous n’avons pas pu maintenir des surveillants de nuit. Les commissariats et gendarmeries nous sollicitent beaucoup et trouvent que c’est un défaut dans l’organisation que de ne pas avoir systématiquement quelqu’un 24h/24 pour accueillir ces femmes victimes de violences.

Enfin, nous avons développé en parallèle l’accueil des auteurs. Un journaliste nous disait : « Mais alors finalement, vous protégez les auteurs. » L’accueil de l’auteur, c’est d’abord protéger la victime et il me semble que l’éviction du conjoint violent n’est pas suffisamment utilisée, même si toutes les victimes ne souhaitent pas rester au domicile. Quand c’est possible et qu’elle le souhaite, cela permet à la victime de rester avec ses enfants et, en parallèle, met l’homme dans une position où il doit d’ores et déjà supporter les conséquences de ses actes. C’est aussi pour cette raison que nous avons développé des stages de responsabilisation pour permettre à l’auteur de mettre le doigt sur ce qu’est la violence et ce qu’elle provoque.

Mes collègues parlaient de barbarie. On constate que la violence augmente particulièrement dans les zones rurales.

Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. La Fondation des Femmes est la fondation de référence en France en matière de droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes. Grâce aux dons qu’elle reçoit, elle apporte un soutien financier, juridique et matériel aux initiatives associatives qui nous paraissent les plus impactantes.

Devant les demandes de familles de victimes de féminicide que nous avons reçues ces derniers mois et les moyens insuffisants des associations, nous avons décidé de mettre nos avocates et nos ressources à disposition pour rassembler plus d’une trentaine d’associations et construire un plaidoyer, une plateforme de propositions sur les féminicides.

C’est dans ce cadre que je profite de la tribune qui m’est donnée pour prendre du recul par rapport à ce qui a été dit puisque nous ne sommes pas directement sur le terrain, et lancer un cri d’alarme.

La situation en cette année 2019 est tout à fait extraordinaire. Parlons d’abord de ce qui est ordinaire. En France, les violences sont légion, les associations y répondent difficilement car elles n’ont pas suffisamment de moyens, et à peu près 130 féminicides en moyenne sont commis par an par conjoint ou ex-conjoint violent. En France donc, on assassine.

En tant que financeur (nous finançons plus d’une centaine d’associations partout en France), il nous est apparu essentiel de savoir quel dispositif devrait être financé pour améliorer cet état de fait. Nous avons commencé à travailler sur le sujet des féminicides avec le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et le Conseil économique social et environnemental (CESE) dans un rapport que nous avons co-porté, qui s’appelait Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? rédigé en 2018.

Nous nous sommes rendu compte que la plupart des féminicides suivaient des grandes tendances et qu’ils avaient souvent lieu dans les jours ou les semaines qui suivent une séparation et un dépôt de plainte. Conclusion : lorsque les femmes quittent leurs conjoints et que ces conjoints sont extrêmement violents, la violence explose et elles sont en danger de mort. Nous savons en danger de qui et nous savons quand. Dans notre pays, on assassine.

Dans ce rapport, nous avions étudié les dispositifs de sortie des violences, l’accompagnement, la protection des femmes dans les semaines au cours desquelles elles sont le plus en danger, quand elles quittent leur conjoint. Nous avions déjà constaté en 2018 qu’ils étaient sous-dimensionnés, et qu’il aurait fallu multiplier le budget par 7.

Nous avions également constaté un nombre assez impressionnant de dysfonctionnements, générés parfois par ce manque de moyens, parfois par manque de formation, de manque de prise en compte de l’importance de ce sujet (problématique d’ordonnances de protection, de plaintes, de non-lieux…) Ce constat est déprimant, mais il est aussi source d’espoir, car avec une volonté politique, les dysfonctionnements se règlent et les moyens augmentent. Nous sommes donc absolument persuadés que les féminicides ne sont pas une fatalité, même si la société continue plutôt à faire la sourde oreille avec une forme d’état d’impunité qui favorise les violences. Depuis 2018, on sent cependant un changement. Nous avons mené une étude avec l’institut de sondage Kantar, qui montre que 57 % des Français considèrent que la priorité nº1 en matière d’égalité entre les femmes et les hommes est la lutte contre les violences conjugales. Loin derrière, l’égalité salariale arrive en troisième priorité, avec 33 % des sondages exprimés.

Si la société avance, le reste stagne. Les moyens n’ont pas encore été augmentés, les dysfonctionnements pas encore réglés. Pire encore, les féminicides ont augmenté. À la date d’aujourd’hui, il y a eu 87 féminicides en 2018, contre 109 en 2019. L’augmentation est de 25 % en 2019. La situation n’est donc plus ordinaire, mais extraordinaire. Nous allons finir cette année avec un chiffre record de femmes assassinées dans notre pays, et ce n’est pas parce qu’on s’y intéresse enfin ; on s’y intéresse enfin parce que la situation est extraordinaire.

Pourquoi ? Il est trop tôt pour être absolument certain des raisons. Pour nous, la plus vraisemblable, c’est que suite à « Me too », cette année de libération de la parole, le message sur les violences perce enfin les différentes couches de la société. 40 % de plaintes en plus en 2017, 23 % en plus en 2018, c’est impressionnant. Ça y est, les femmes parlent enfin.

Mais les femmes qui trouvent enfin le courage de parler nous font confiance. En portant plainte, en quittant leurs conjoints, elles leur échappent. Cela fait exploser la violence et les met en danger de mort. Elles sont en danger en restant chez elles, mais c’est dans les semaines qui suivent le départ que leur vulnérabilité est au plus haut. Nous devons prendre en compte notre responsabilité. En les incitant à porter plainte et à partir, nous leur faisons la promesse que nous allons être là et les protéger. Lorsque nous ne tenons pas cette promesse, nous participons de leur mise en danger. En France, on assassine.

Qu’avons-nous fait pour que les réponses judiciaires, policières, d’hébergement et d’accompagnement associatif soient à la hauteur de cette libération de la parole ? Comme nous le montrions en 2018, le système de prise en charge était déjà sous-dimensionné en temps normal. Aujourd’hui, il est en explosion. Quand nous disons aux femmes que nous pouvons les aider, nous leur mentons. Nous n’avons pas les moyens de le faire correctement. À Sarcelles, où la Fondation des Femmes lance un grand projet avec l’association Du Côté des femmes, 30 femmes n’avaient pas, en septembre, de places d’hébergement. À la suite de l’excellente campagne sur le numéro d’écoute national 3919, elles sont maintenant trois fois plus nombreuses à demander de l’aide.

Ce n’est qu’un exemple. Des travailleuses sociales sont en burn-out et si les demandes explosent, les moyens n’ont pas été multipliés par trois. Les assassinats, eux, ont augmenté d’un quart. C’est dans ce contexte inédit que nous avons, depuis le mois de mars, alerté les pouvoirs publics et demandé la tenue d’un Grenelle des violences conjugales. Ce travail s’est fait en soutien des familles de victimes, désespérées devant cette situation terrible.

Nous avons rencontré Mme Belloubet en avril, et Mme Schiappa et M. Castaner en juillet. Un Grenelle nous a été accordé. C’est un signe extrêmement positif de voir l’ensemble du Gouvernement se rassembler dans cette lutte qui, il y a peu de temps, était encore si peu visible.

En parallèle du Grenelle, le projet de loi de finances est en ce moment en discussion. Il est illusoire de penser qu’on pourra endiguer un phénomène en explosion sans prévoir des moyens supplémentaires. S’il y avait une critique à faire au Grenelle, c’est bien celle-là. Nous comptons sur le Gouvernement, sur vous, sur le Parlement et sur l’ensemble des pouvoirs publics pour agir à la mesure de cette situation dramatique.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Nous avons bien compris la difficulté en matière d’hébergement et les besoins des femmes victimes de violences conjugales. Le fait pour une femme victime de violences de se trouver dans un hébergement d’urgence où règne la violence peut être un frein au fait de quitter son domicile et, si elle n’a pas le choix, la place dans un autre processus de violence.

Imaginons que vous soyez ministre du Logement et des Droits des femmes. Quelles seraient les mesures prioritaires que vous mettriez en place en termes de politiques publiques ?

Les bailleurs sociaux jouent-ils suffisamment leur rôle en matière de priorité donnée aux victimes de violences conjugales ? De manière générale, quels sont les outils qui permettraient aux femmes qui travaillent et ont un revenu de retrouver plus facilement un logement ?

Enfin, dans un couple copropriétaire d’un logement, les deux parties doivent payer leur part du crédit lorsqu’ils en sont tous deux redevables. Y aurait-il des mesures à mettre en place de manière à ce qu’une femme ne soit plus redevable de sa part du crédit dès la suspicion des violences ? Une condamnation peut prendre du temps et la victime n’a pas forcément les moyens de payer à la fois un crédit et un logement de substitution.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit (FIT). Il n’y a effectivement pas un public homogène. Il y a des femmes jeunes, des femmes moins jeunes, des femmes autonomes, indépendantes économiquement… On ne peut considérer les femmes victimes de violences conjugales comme un ensemble homogène.

Pour revenir à l’hébergement, si j’étais ministre, je ne supprimerais pas 57 millions d’euros durant la mandature pour les centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Les jeunes que nous accueillons ont en moyenne 20 ans, elles ont quitté l’école, souvent à cause des violences qu’elles subissaient dans la famille, sans diplôme ni qualification. Il leur faut un minimum de temps (dix-huit mois, ce n’est pas très long) pour qu’elles puissent accéder à une formation, suivre les affaires quand elles ont porté plainte, avoir un avocat…

En outre, on oublie trop souvent que les femmes victimes de violence peuvent avoir des problèmes de santé comme des maladies sexuellement transmissibles ou des blessures graves. Faire les démarches pour obtenir une allocation de travailleuse handicapée, par exemple, prend du temps. Si nos budgets diminuent, nous aurons moins de temps à leur consacrer.

J’avais parlé de l’obligation d’avoir des CHRS non mixtes à Édouard Philippe, qui était venu visiter notre centre. Il l’a compris et en a parlé lors du Grenelle. Nous avons le temps sur 18 mois d’avoir des partenariats avec des entreprises privées, de faire des petits-déjeuners de l’emploi, de passer des accords avec des entreprises de formation. Chaque année, quarante jeunes filles sortent de chez nous avec une résidence sociale ou un logement, ce qui signifie qu’elles ont obtenu un travail. Ce lieu de 60 lits coûte cher (et encore, nous sommes propriétaires de l’immeuble), à peu près un million d’euros pour l’État. Mais on dit que les violences conjugales coûtent 3,6 milliards d’euros chaque année. La mise en sécurité et l’accompagnement social global de ces femmes garantissent qu’en principe ni la police ni les hôpitaux ne les reverront. Elles deviennent des femmes qui, au sein de leur couple et vis-à-vis de leurs enfants, ont brisé la chaîne de reproduction. Je ne connais aucune jeune fille ayant subi une excision qui ressorte de notre association en disant qu’elle va exciser sa petite fille. J’ai toujours entendu l’inverse : « Moi, jamais ». Par conséquent, c’est beaucoup d’argent gagné sur le futur. On ne peut pas continuer à supprimer des crédits aux dispositifs pour les femmes victimes de violences.

Je demandais à Édouard Philippe qu’il épargne au moins les CHRS qui hébergent des femmes victimes de violences. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. C’est vraiment triste, car ces dispositifs sont une vraie pépite. Évidemment, il faut de l’argent pour l’urgence, mais si j’étais ministre, l’urgence serait quelque chose d’adapté, avec des moyens.

Un centre d’hébergement et de réinsertion sociale coûte en moyenne 52 euros par jour et par personne, contre 26 euros, parfois 16, pour un centre d’hébergement d’urgence. Pour 300 personnes qui sont toutes dans des situations dramatiques, il y a 7 travailleurs sociaux. Ce n’est déjà pas possible de travailler ainsi avec des personnes qui ont des problématiques sociales et cela l’est encore moins avec des femmes victimes de violences.

Il faut que les dispositifs soient adaptés aux victimes et que ces lieux soient gérés par des associations mieux dotées pour pouvoir le faire.

En matière de logement, on pourrait imaginer pour les jeunes des colocations avec des travailleuses sociales volantes qui se rendraient à domicile. Ces solutions sont aussi adaptées pour les femmes autonomes économiquement qui peuvent payer un loyer. Ces loyers pourraient prendre la forme de baux glissants où elles pourraient rester dans l’appartement ou en tout cas avoir le temps de trouver un appartement dans le parc privé si leurs ressources le permettent. Cela pourrait être une solution, à condition que les associations soient dotées en ressources humaines et financières pour assurer l’accompagnement social de ces femmes dans les appartements. Quand les personnes ont une expérience locative, qu’elles sont capables de montrer qu’elles ont payé leur loyer, par exemple, c’est beaucoup plus facile de trouver un bailleur. Très peu de jeunes femmes du FIT partent dans un logement traditionnel ; elles passent d’abord par des résidences sociales, car les bailleurs savent très bien qu’à leur âge, elles n’ont pas ce type d’expérience.

Mme Delphine Beauvais. La solution à la question de l’hébergement et du logement réside dans la pluralité des dispositifs qu’on peut mettre à disposition. On peut avoir des dispositifs d’accueil d’urgence pour les femmes victimes de violences pour ensuite passer à un hébergement en CHRS avec un accompagnement spécialisé. Nous faisons cela sur le territoire lillois et le Pas-de-Calais et cela fonctionne très bien.

Peuvent s’ajouter les refuges 24h/24. Ils fonctionnent très bien au Québec et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas en France. On pourrait avoir de petites unités qui ne sont pas identifiées dans le tissu rural et social, mais qui permettent d’avoir un fonctionnement beaucoup plus autonome sans forcément de présence de veilleur de nuit mais seulement un cadre d’astreinte. Pour prendre à nouveau l’exemple québécois, chaque ville du Québec dispose d’un refuge pour les femmes victimes de violences, de 3, 4 ou 5 places, très peu onéreux et qui fonctionne très bien.

Pour l’accès au logement pérenne, le travail avec les bailleurs sociaux est en train de prendre une tournure intéressante. Certains bailleurs pensent encore que les femmes victimes de violences sont censées bénéficier d’un accompagnement social pendant les dix ans à venir. D’autres exigent toujours une ordonnance de non-conciliation (ONC), ce qui est interdit. Ne peut-on pas réfléchir à cette obligation d’une plainte préalable ? Nous menons une expérimentation sur trois ans à Lille avec un bailleur social dans le cadre de la politique « 10 000 logements accompagnés » pour un accompagnement social de dix familles, femmes avec ou sans enfants. Les femmes sont locataires en titre de leur logement, elles savent tout à fait s’acquitter d’un loyer et nous réalisons l’accompagnement social au domicile avec un axe fort sur l’insertion professionnelle et sur la parentalité.

Nous n’avons pas du tout parlé de l’insertion professionnelle des femmes victimes. Une marque de supermarché a créé un travail interfilières. Madame a dû quitter le département du Nord en urgence pour se mettre à l’abri des violences, elle était salariée d’un grand magasin lillois. Le grand magasin qui se trouvait à Marseille a repris son ancienneté et en quinze jours, elle avait changé non pas d’employeur, mais juste de lieu de travail, avec un véritable accueil et une prise en charge.

 Pour répondre à votre interrogation sur la question des femmes co-propriétaires, aujourd’hui, nous sommes dans une impasse législative. Permettre à ces femmes d’accéder à un bail locatif par une garantie, un accompagnement et une prise en charge financière des mesures nous semble extrêmement opportun. De quelle manière peut-on se désolidariser quand on est propriétaire du logement sans être tenu sur un laps de temps très long ? Je pense qu’il faudrait vraiment travailler sur cette question.

M. Stéphane Viry. Nous sommes conscients de l’importance de la question des violences conjugales, sujet qui nous occupe depuis le début de cette législature. Vos témoignages ont été très forts et, incontestablement, nourriront nos réflexions et je voulais à mon tour vous en remercier.

Quel est votre avis sur les ordonnances de protection ? Cet outil est-il adapté ? Comment faudrait-il potentiellement le modifier ou l’ajuster ?

Avez-vous des relations particulières avec les parquets ? Un substitut a parfois la capacité d’être davantage à l’écoute d’une cause et peut créer de la fluidité dans le traitement d’une plainte pénale. Cela vous concerne-t-il et qu’en pensez-vous ?

Auriez-vous des exemples d’associations avec des structures d’insertion par l’activité économique, qui permettraient la mise en situation de travail de ces femmes qui sont déjà victimes de faits de vie ?

M. Gaël Le Bohec. Merci pour vos témoignages, qui nous montrent à quel point la question est prégnante. Vous la connaissez depuis longtemps, mais ce sont des faits que la société découvre et sur lesquels il est important d’insister.

Que pensez-vous de l’éducation dès le plus jeune âge et que serait-il bon de faire à ce sujet ? En tant que membre de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, je souhaiterais interpeller le ministre Jean-Michel Blanquer sur cette question.

Quelles pourraient être les deux ou trois mesures phares concernant la question de l’émancipation économique ?

Enfin, vous avez beaucoup parlé des violences conjugales, en particulier dans le monde rural. Je signale que nous organisons, le 18 octobre à Redon, une soirée sur cette thématique.

Mme Caroline Abadie. Merci pour cette table ronde qui permet d’approfondir notre connaissance du sujet pour ceux qui ne s’en occupent que depuis quelque temps. À Grenoble, la FNACAV a de très bons représentants par l’intermédiaire de l’association Passible. Merci à toutes les associations pour tout ce que vous faites et pour les mots que vous avez eus. Vous prêchez une convaincue : aider un auteur, c’est aider des victimes. C’est d’ailleurs vrai pour tous les types d’infractions en général, mais encore plus pour les conjoints violents, car on sait qu’ils récidivent systématiquement s’ils n’ont pas eu d’accompagnement social.

On sait aussi que les structures de soins psychologiques sont saturées et qu’en général les hommes violents sont à la fin des listes d’attente, voire n’y sont pas inscrits. Vous jouez donc un rôle essentiel pour nous aider à diminuer la récidive.

Vous disiez que beaucoup d’hommes passent volontairement la porte de vos associations, 40 % à Grenoble selon l’association Passible, parfois même en tenant la main de leurs femmes.

Je crois que vous intervenez aussi en alternative de poursuites sur les injonctions d’un procureur, et en milieu fermé quand les hommes violents sont détenus. À votre avis, quel est le meilleur moment pour intervenir ? Que pourriez-vous améliorer, au-delà des moyens, bien sûr : 36 euros par jour pour la prise en charge d’un auteur, sachant que cela implique plusieurs années de suivi ?

Passible organise à Grenoble une convention avec les associations de victimes. Parfois, l’association qui s’occupe des auteurs peut intervenir et va convaincre l’auteur de basculer les aides de la CAF sur le compte de sa conjointe. Ce travail peut se faire par l’intermédiaire des deux associations. Cette initiative n’est pas encore mise en place, mais va bientôt voir le jour. Je voulais savoir si à l’échelle nationale, d’autres initiatives de ce type existaient pour permettre une prise en charge à 360 degrés de ce couple en séparation, certes, mais qui a toujours des liens à dénouer.

Mme Floriane Volt, chargée de plaidoyer « féminicides », Fondation des Femmes. Nous avons consulté tout l’été une trentaine d’associations et créé une plateforme de plaidoyer. Par ailleurs, nous disposons d’un réseau d’environ 150 avocates. Concernant l’ordonnance de protection, nous avons notamment réfléchi à une série d’améliorations qui seront également présentées demain dans le cadre de l’audition sur la proposition de loi de M. Aurélien Pradié.

Plus généralement, je pense qu’un réel dispositif de précaution doit être instauré auprès des femmes victimes de violences et à cet égard, l’ordonnance de protection est un outil indispensable qui doit être simplifié et étendu.

Une des difficultés dont parlent les avocates qui accompagnent des femmes victimes de violences dans ces procédures, c’est que lorsque le juge aux affaires familiales est saisi pour un divorce et constate des faits de violence, il ne peut pas prononcer d’ordonnance de protection, et inversement : lorsque le juge est saisi sur une ordonnance de protection et constate une demande de divorce, il ne peut pas non plus faire avancer cette procédure. C’est l’un des premiers aspects qu’il faudrait améliorer en étendant la saisine et la possibilité pour le juge aux affaires familiales de prendre, dès qu’il intervient, des mesures de protection.

L’ordonnance de protection devrait être prolongée ou en tout cas sa durée devrait être allongée, car elle est aujourd’hui limitée à six mois et doit être renouvelée, ce qui pose des questions pratiques.

De manière générale, on constate un problème de communication entre le parquet d’une part et les affaires civiles d’autre part. Il faudrait vraiment revenir vers des juges spécifiques et des chambres spécialisées afin de garantir une communication harmonieuse. La justice doit faire sa révolution. Comme l’avait annoncé le Premier ministre lors du Grenelle, ces chambres d’urgence et ces parquets référents constituent une réelle solution, qui doit être mise en avant pour qu’à la fois la procédure civile et la procédure pénale puissent être suivies et que le parcours de justice, et plus généralement l’ensemble du parcours de sortie des violences pour les femmes victimes, soit simplifié.

Une avocate m’indiquait qu’elle disposait d’une ordonnance de protection qui prévoyait une interdiction d’entrer en contact pour le conjoint, mais qui était arrivée à échéance. Cette femme n’a donc pas eu droit au téléphone grave danger (TGD).

Il reste un réel effort à fournir. La Fondation, comme la FNSF, est membre des groupes Justice du Grenelle, avec l’objectif de simplifier le parcours de justice des femmes victimes de violences et d’élargir les mesures que peut prendre le juge.

Dernier point technique sur l’ordonnance de protection : elle devrait être opposable aux bailleurs sociaux, aux écoles, à la CAF ainsi qu’à d’autres organismes afin de faciliter les démarches des femmes victimes de violence. Cela éviterait notamment, que les bailleurs sociaux actionnent la clause de solidarité : l’homme peut se rendre insolvable donc on se retourne vers la victime alors qu’elle bénéficie d’une ordonnance de protection.

Mme Joan Auradon, chargée de mission justice à la FNSF. Je souscris complètement à ce qu’a dit Floriane Volt concernant les ordonnances de protection. Au-delà des évolutions législatives possibles, les ordonnances de protection sont insuffisamment prononcées. C’est une mesure très méconnue des femmes elles-mêmes, mais aussi des professionnels du droit et notamment les magistrats qui sont censés les prononcer (je pense aux juges aux affaires familiales). Les ordonnances de protection permettent de protéger la victime de violences, mais aussi les enfants en donnant la possibilité au juge de prendre des mesures mais pour seulement six mois. Je souscris à l’idée de l’allongement de sa durée.

Au-delà du petit nombre de délivrances d’ordonnances de protection, nous constatons aussi l’incohérence des mesures prononcées. L’ordonnance de protection peut interdire à l’auteur d’entrer en contact avec la victime et éventuellement avec les enfants, mais permet aussi de se prononcer sur les mesures d’exercice de l’autorité parentale. Certains juges aujourd’hui prononcent l’interdiction, mais maintiennent des droits de visite et d’hébergement classiques pour les auteurs de violences, ce qui signifie que les femmes qui sont censées être protégées et qui le sont puisqu’elles sont bénéficiaires d’une ordonnance de protection, doivent rencontrer l’auteur des violences pour remettre l’enfant au père un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Nous n’en avons pas parlé jusqu’à présent, mais la question de l’autorité parentale est évidemment au cœur de notre problématique.

Sur la question de l’éducation, je sais que certaines associations revendiquent la création d’un brevet de non-violence à l’école. Qu’en pensez-vous ? Se pose aussi la question de l’émancipation économique.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit. Nous avons proposé à M. Blanquer à Matignon le jour de l’inauguration du Grenelle la création d’un brevet de non-violence, à l’instar de ce qui existe pour la sécurité routière, qui expliquerait ce qu’est la violence. Le conflit et la violence sont deux choses différentes. Souvent, les jeunes n’en ont pas vraiment conscience. Quand je vois le niveau de vocabulaire et de maltraitance verbale des garçons et des filles que je côtoie en travaillant avec des jeunes femmes, je suis ébahie par le niveau de violence. Disposer d’un brevet qui permettrait aux jeunes de comprendre ce que sont des relations de domination et de violence pourrait permettre d’avoir une génération qui envisage plus paisiblement les relations entre les femmes et les hommes. Le ministre a répondu qu’on faisait déjà cela à l’école en parlant de liberté, égalité, fraternité, respect. Or il ne s’agit pas simplement d’une question de respect, mais de savoir comment des relations de domination vont vers la violence et comment elles inscrivent chacun des deux genres dans une représentation insupportable.

Sur l’émancipation économique, l’Organisation internationale du travail (OIT) a établi plusieurs textes qui proposent des dispositifs à mettre en place dans les entreprises. Aujourd’hui, notre association est sollicitée par des entreprises pour former les directeurs des ressources humaines (DRH) à mieux comprendre les violences. Cette initiative s’appelle « Quand les violences conjugales passent la porte de l’entreprise » et certains s’interrogent : « Maintenant, je me suis rendu compte que j’ai licencié une dame qui manifeste absolument tous les troubles et les conséquences des violences sur une personne ». Bien sûr, le travail de l’entreprise ne consiste pas à se transformer en assistante sociale, mais on peut montrer comment actionner des leviers pour muter une personne, faciliter la mobilité, mettre son dossier 1 % Logement au-dessus de la pile, lui verser un panier-repas directement dans l’entreprise plutôt que sur le compte joint (ou même sur son compte personnel puisqu’on sait que les conjoints détournent l’argent)…

La FNSF collabore également avec des associations, telle que Du Côté des femmes, qui travaillent avec des entreprises d’insertion par l’activité économique. Même si notre association ne gère pas ce type de dispositif, nous travaillons avec les régies de quartier, qui sont un premier pied à l’étrier pour s’engager vers l’insertion pérenne.

J’espère que nous pourrons aller plus loin sur ce sujet dans le cadre du Grenelle grâce à des ateliers dédiés sur le travail.

Mme Elise Perrin, coordonnatrice de la FNACAV. À la FNACAV, nous constatons que les campagnes de sensibilisation ont eu des effets : au même titre que les plaintes augmentent, les demandes d’aide de la part des auteurs ont également augmenté. Les chiffres que vous évoquiez, soit 40 % de demandeurs volontaires et 60 % de justiciables, se constatent au niveau national, ce qui est assez surprenant. On n’imagine pas forcément 40 % de demandeurs volontaires.

Les demandes augmentent, mais les réponses diminuent, voire ne donnent pas lieu à financement. Pour vous donner un exemple, la FNACAV n’a reçu aucun financement en 2019. Seul le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) pouvait intervenir mais seulement en cofinancement et comme personne d’autre ne participait, nous n’avons reçu aucune aide. Cette baisse voire cette absence de financement est constatée sur l’ensemble du territoire. Pour les victimes, c’est déjà le cas ; pour les associations d’aide aux victimes, les financements baissent, et pour les auteurs, n’en parlons pas.

La sanction est nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. Le rapport Vanneste en 2016 sur la récidive a mis en lumière le fait que plus la sanction pénale était stricte, à savoir l’emprisonnement, plus le taux de récidive augmentait s’il n’y avait pas d’accompagnement en parallèle.

Actuellement, en termes de prise en charge, les magistrats ont plusieurs dispositifs à portée de main, entre autres les stages de responsabilisation pour les primodélinquants qui ont perpétré des violences légères. Or dans les faits on s’aperçoit que les juges envoient des personnes dans ces stages, qui sont récidivistes et ont commis des violences graves. Ce n’est pas du tout adapté. Il faudrait des financements pour créer des structures pour les volontaires au début des violences, avant qu’elles ne s’aggravent et qu’on en vienne au féminicide. Il faut aussi les rendre visibles par des campagnes d’information, car souvent, ces personnes ignorent l’existence de potentielles structures d’aide. D’autres structures seraient destinées aux justiciables, en respectant le cadre des stages de responsabilisation et surtout en multipliant les obligations de soins vers des structures spécialisées. Cela nécessite aussi d’informer les juges sur l’existence de telles structures dans leur juridiction.

La collaboration entre les structures d’aide aux victimes et d’accompagnement des auteurs existe, mais le système fonctionne plus ou moins bien selon les régions. Nous sommes en contact avec certains pays européens qui prennent en charge les auteurs mais aussi la famille tout entière. Bien sûr, ils n’occupent pas les mêmes chambres, mais une même structure s’occupe des auteurs, des victimes et des enfants.

M. Michel Bouquet, directeur de l’association La Clède. Il manque une réflexion sur le lien entre l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes et l’insertion par l’activité économique. Au sein des commissions départementales d’insertion par l’activité économique, il est question des publics prioritaires et on pourrait imaginer une réflexion locale sur les femmes victimes.

Les relations avec les parquets restent très dépendantes de la personnalité et de la volonté des procureurs. Pour avoir connu deux procureurs dans la ville où je travaille, le premier s’est saisi très fortement des différents dispositifs et nous avons pu créer des appartements pour les auteurs et des stages de responsabilisation. Depuis l’arrivée du nouveau procureur, c’est beaucoup plus long, ce qui est dommage, car les dispositifs se désamorcent et finissent par ne plus être pertinents.

Le financement des stages de responsabilisation est assuré par le seul FIPD. Ce fonds nous permet de proposer des stages, mais il ne nous permettra pas d’en augmenter le nombre comme le demandent les deux procureurs des villes de Nîmes ou d’Alès.

Mme Elise Perrin, coordonnatrice de la FNACAV. La question des financements est importante, mais c’est surtout leur aspect pérenne qui compte. Si nous voulons proposer des choses sur le long terme, il faut des financements suivis d’une année sur l’autre. Chaque fin d’année, nous nous inquiétons de savoir si nous allons pouvoir poursuivre nos actions.

Mme Nicole Le Peih. Je suis élue d’une petite circonscription rurale dans le centre du Morbihan et je souhaitais vous interroger sur la situation des violences conjugales dans les zones rurales et leur prise en charge. Une différence vous apparaît-elle dans les cas de violences conjugales, leur quantité bien sûr, mais aussi leur typologie ? Il y a des types de victimes et des auteurs de violences différents en zones rurales, ainsi que des mécanismes de violences spécifiques, une vraie rupture d’égalité territoriale dans l’accès à l’aide pour les victimes.

Nous avons effectué début juillet un déplacement de la délégation dans ma circonscription qui a permis de mettre en lumière une double peine pour les victimes, qui ont un accès beaucoup plus difficile aux structures de prise en charge et qui, lorsqu’elles parviennent à entrer dans ce processus d’accompagnement, doivent faire face à un isolement, ce qui rend tout le processus bien plus complexe : l’accès aux associations, aux structures de soins, aux services médico-sociaux, à la justice et à un hébergement pour une mise à l’abri.

A-t-on des chiffres sur cette inégalité d’accès entre territoires et quelles pistes pouvons-nous explorer ? Je pense par exemple à une proposition d’agricultrices de mon territoire, de mettre à disposition des gîtes ruraux, lorsqu’ils ne sont pas occupés, pour accueillir des victimes de violences dans les zones isolées. Qu’en pensez-vous et avez-vous d’autres suggestions au niveau territorial ?

Mme Sophie Panonacle. J’ai organisé sur ma circonscription du bassin d’Arcachon plusieurs tables rondes qui ont réuni des associations de femmes, la police, la gendarmerie, les centres communaux d’action sociale (CCAS), le corps médical et la préfecture, ainsi qu’un grand débat axé sur la place des femmes dans la société.

Il en est ressorti le problème du logement. Nous avons une situation très tendue dans le bassin d’Arcachon, où il y a très peu d’accès au logement social. Nous avons adressé un courrier aux bailleurs sociaux du département pour leur proposer un partenariat en leur demandant, sur les quelques logements sociaux de la circonscription, d’en réserver à des femmes victimes de violences. Deux ont accepté – Aquitanis et Domofrance pour ne pas les citer. Il s’agissait d’avoir un appartement disponible 24h/24 toute l’année et un accompagnant. Seule l’association Solidarité Femmes Bassin a l’agrément d’intermédiation locatif, ce qui pose un réel problème. Elle pourra être locataire de cet appartement et le sous-louera à des femmes. Pourrait-on généraliser ce genre de convention ? L’association m’a dit aujourd’hui qu’elle ne souhaitait qu’un seul logement, car si elle en avait dix, elle ne pourrait pas accompagner ces femmes. C’est un problème de moyens. Ne pourrions-nous pas donner cet agrément d’intermédiation de location à l’ensemble des associations, ce qui faciliterait également ces conventions de partenariat ?

M. Guillaume Gouffier-Cha. Ma question porte sur la proposition de loi sur les violences conjugales. J’aimerais avoir votre avis sur le bracelet électronique anti-rapprochement. La ministre de la Justice s’est prononcée en faveur du déploiement rapide de ce dispositif. Comment pensez-vous qu’il faille utiliser un tel dispositif et comment envisageriez-vous son articulation avec d’autres dispositifs comme l’ordonnance de protection ou le téléphone grave danger ?

M. Erwan Balanant. Vous avez évoqué le fait que pour 57 % des Français, les violences conjugales sont la question principale en matière d’égalité femme-homme. C’est dommageable qu’on en arrive à cette situation, mais la vraie question pour moi est celle de l’égalité femmes-hommes dès le plus jeune âge. Il faut abaisser le seuil de tolérance de la société, de manière générale, sur les inégalités pour permettre aux femmes de s’en sortir. Parfois, si elles restent au domicile, c’est parce qu’elles n’ont pas d’autre choix.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je partage totalement ce point de vue : à travers la question des violences conjugales, le problème-clé est celui de la place de la femme dans le foyer, dans la famille, dans le couple, dans la société. Tant qu’on aura une vision de domination masculine dans notre société, les violences conjugales perdureront.

Mme Marie Cervetti, directrice de l’association Une Femme un Toit (FIT). Le Centre d’accueil en urgence des victimes d’agression (CAUVA), est un dispositif extraordinaire. Dans les zones rurales, les femmes des villages doivent pouvoir avoir un accueil avec la possibilité de porter plainte, de préserver les preuves, de pouvoir les conserver ainsi que le témoignage qu’elles ont apporté. Il faut vraiment que ce dispositif se développe sur tous les territoires. Cet été, en Corse, les pompiers m’ont demandé si je voulais bien leur faire une formation, car quand ils se rendent dans des maisons où ils savent que la femme est victime de violences, ils ne savent pas comment faire. On oublie souvent les pompiers alors que dans les villages, ils jouent un rôle crucial.

Il faudrait faire en sorte que ce ne soit pas obligatoire de porter plainte pour conserver les preuves. Ce serait une petite partie de la réponse. Bien sûr, certaines femmes sont très isolées, mais un jour ou l’autre, elles se rendent en ville.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. La grande innovation du CAUVA est de pouvoir conserver les preuves pendant trois ans et donc laisser à la femme la possibilité de porter plainte au moment où elle est prête psychologiquement pour le faire.

Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. Il y a effectivement une rupture d’égalité dans notre pays. À ce titre, je vous alerte sur le développement d’expérimentations, excellentes pour les territoires dans lesquels elles ont lieu, mais qui laissent les autres de côté. Donc attention aux expérimentations qui en réalité ne concernent pas beaucoup de femmes. Je pense par exemple à ce qui se passe à Créteil, c’est très bien, mais il faudrait pouvoir rapidement généraliser ces initiatives.

Les associations mènent un travail d’ampleur, mais il reste des départements dans lesquels il n’existe aucune association spécialisée sur les violences faites aux femmes. Il faut absolument continuer à les aider à se développer et à se multiplier.

Sur les modalités du bracelet anti-rapprochement, deux questions se posent pour moi. La première est une question financière : un tel bracelet coûte 6 euros par jour et par couple puisque les deux le portent. Il faudrait un budget d’environ 5 millions d’euros par an pour développer ces bracelets. Nous plaidons surtout pour que les auteurs de violences porteurs de ces bracelets puissent être suivis par des associations spécialisées car il faut absolument un accompagnement psychosocial.

Il existe deux modalités de bracelet anti-rapprochement : une des modalités est un bracelet qui sonne lorsque l’agresseur s’approche, ce qui met la femme dans un état de stress aigu, c’est comme si elle était responsable de sa propre sécurité. Ce système existe au Portugal, mais nous ne le recommandons pas. En revanche, en Espagne, c’est auprès d’une intermédiation qui pourra prévenir la police que se fera l’alerte. Dans ce cas, la femme ne se rend même pas compte que son ancien agresseur ou son conjoint violent a pu s’approcher. C’est dans ses modalités que nous allons pouvoir voir si ce dispositif est bien pensé ou non.

La sensibilisation à l’égalité dès le plus jeune âge, même si on prend l’angle des féminicides pour attirer l’attention de l’opinion sur le sujet, doit porter sur tout type de violences, sexistes et sexuelles. Inégalité et violence sont les deux faces d’une même médaille qui est la domination masculine. Il faut absolument pouvoir traiter les deux.

M. Blanquer agit sur la sensibilisation des écoliers sur l’environnement ; la création d’éco-délégués et de circulaires pour favoriser l’enseignement de l’environnement est très bien, mais nous l’encourageons à le faire aussi sur l’éducation à l’égalité. Pourquoi pas, à côté des éco-délégués, des égalité-délégués dans chaque école.

Dans le cadre du service national universel (SNU), on pourrait tout à fait insérer ce fameux brevet de non-violence. C’est un public adolescent qui se pose énormément de questions.

Enfin, j’attire votre attention sur le fait que dans les fiches que nous allons vous faire parvenir et qui ont été rédigées avec toutes les associations, vous verrez que nous proposons un certain nombre de dispositifs pour faire progresser les sujets judiciaires tels que :

- l’amélioration de l’aide juridictionnelle pour les femmes victimes de violences, qui est aujourd’hui très insuffisante. Les avocats n’ont aucun intérêt à défendre des femmes victimes de violences, car cela les met en précarité économique ;

- le sujet de l’identité d’emprunt ; En France, quand on témoigne contre la mafia, on peut demander à changer d’identité. De la même manière, certaines femmes ont besoin de se cacher, d’avoir une identité d’emprunt, car elles sont poursuivies par leurs conjoints violents.

- l’amélioration de l’indemnisation du préjudice, de la prise en compte de l’incapacité temporaire travail (ITT) pour calculer les indemnisations et le faire de manière plus rapide.

Certaines de ces propositions figurent dans la Convention d’Istanbul. Le rapport du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), qui a analysé la situation en France l’année dernière va être publié courant octobre et va rappeler un certain nombre d’engagements que notre pays est censé respecter. Autant s’aligner tout de suite avec cette Convention que nous avons ratifiée.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je souscris pleinement à l’idée d’une formation à l’égalité femme-homme dans le cadre du SNU. Je vous précise également que la délégation a été entendue dans le cadre des travaux d’évaluation du GREVIO et que nous sommes très attentifs au respect de la Convention d’Istanbul. Merci beaucoup pour l’ensemble de vos interventions et pour tout le travail que vous faites au quotidien pour les femmes et contre les violences faites aux femmes.

 

L’audition s’achève à dix-sept heures vingt.


Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Erwan Balanant, Mme Laurence Gayte, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Mustapha Laabid, Mme Fiona Lazaar, M. Gaël Le Bohec, Mme Nicole Le Peih, Mme Sophie Panonacle, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Stéphane Viry

Excusés. - M. Mickaël Nogal, Mme Laurence Trastour-Isnart

Assistait également à la réunion. - Mme Caroline Abadie