Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition de Mme Michèle Léridon, pressentie par M. le président de l’Assemblée nationale pour siéger au sein du collège du Conseil supérieur de l’audiovisuel              2

– Vote sur cette désignation en application de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication              22

– Présences en réunion..................................23


Mercredi
16 janvier 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 23

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mercredi 16 janvier 2019

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Bruno Studer, président de la Commission)

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La commission des Affaires Culturelles et de lÉducation auditionne Mme Michèle Léridon, pressentie par M. le président de lAssemblée nationale pour siéger au sein du collège du Conseil supérieur de laudiovisuel.

M. le président Bruno Studer. Chers collègues, je vous adresse mes meilleurs vœux pour 2019. Nous nous retrouvons ce matin pour entendre Mme Michèle Léridon, puis émettre un avis sur sa nomination par M. le président de l’Assemblée nationale aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

Je vous rappelle qu’en application de l’article 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, les six membres du CSA, autres que son président, sont désignés par les présidents des assemblées parlementaires (trois par le président de l’Assemblée nationale, trois par le président du Sénat) et renouvelés par tiers tous les deux ans. La procédure de désignation soumet le choix du président de chacune des assemblées à « un avis conforme de la commission permanente chargée des affaires culturelles statuant à bulletin secret à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. » Un certain nombre de critères de compétences doivent être pris en compte pour ces désignations. Les membres du CSA doivent en effet être choisis « en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques. » En outre, ces nominations doivent respecter un principe de parité : les présidents des assemblées doivent alterner les nominations d’hommes et de femmes, afin de préserver l’équilibre du collège. Après la nomination, par M. Claude Bartolone, de M. Jean‑François Mary en 2017, le président Richard Ferrand souhaite ainsi nommer Mme Michèle Léridon aux fonctions de membre du CSA.

Madame, je vous souhaite la bienvenue. Diplômée de sciences économiques et du Centre de formation des journalistes (CFJ), vous avez effectué l’essentiel de votre carrière à l’Agence France-Presse (AFP), où vous êtes entrée en 1981. Vous avez notamment dirigé le bureau de l’agence à Abidjan de 1996 à 1999, puis le service des informations sociales de 2004 à 2006. Directrice de la rédaction de 2006 à 2009, vous avez ensuite pris la tête du bureau de Rome pendant cinq ans, avant de revenir à Paris comme directrice de l’information de l’AFP en août 2014. Vous êtes également, depuis juillet 2015, administratrice de l’association Reporters sans frontières.

Cette audition vous permettra de vous présenter et de préciser les compétences que vous pourriez apporter au CSA, ainsi que les domaines qui, en tant que conseillère, vous tiendraient particulièrement à cœur.

Durant la dernière session, nous avons adopté une loi, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, tendant à lutter contre la manipulation de l’information, qui constitue un véritable danger pour le débat démocratique et le bon déroulement des scrutins. Cette loi, validée par le Conseil constitutionnel le 20 décembre 2018, donne de nouvelles compétences au CSA, notamment celle de veiller à la mise en place par les opérateurs de plateformes de mesures destinées à lutter contre la diffusion de fausses informations. Quel regard portez-vous sur les problématiques soulevées par cette loi ?

Plus largement, quels seront selon vous les principaux enjeux pour le CSA et la régulation des médias dans les années à venir ? Pensez-vous qu’une régulation du secteur audiovisuel soit encore pertinente à l’heure du numérique ? Si oui, quelles doivent être ses axes d’amélioration ou de renforcement ?

Sans plus tarder, je vous donne la parole pour une intervention liminaire, après quoi un dialogue avec les membres de la commission pourra s’instaurer. À l’issue de cette audition, nous procéderons au vote sur votre nomination.

Mme Michèle Léridon. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j’ai l’honneur et le plaisir de présenter à votre approbation ma candidature aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, après que le président de l’Assemblée nationale, M. Richard Ferrand, vous a proposé mon nom.

Nous vivons, vous le savez, une révolution sans précédent : les façons de s’informer et de se divertir sont bouleversées ; les médias historiques voient leur influence décroître au profit des réseaux sociaux ; la confiance vis-à-vis des journalistes est au plus bas ; le poids des fake news – « infox », pour parler français – ne cesse de croître ; le modèle économique de la presse et des groupes audiovisuels est menacé.

Ma conviction profonde est que, dans cet univers en pleine mutation, les médias doivent se remettre en question, s’adapter, se transformer, mais plus que jamais rester arrimés à leurs valeurs, à des pratiques professionnelles et à des principes déontologiques rigoureux. C’est la condition de leur survie, c’est aussi un enjeu démocratique.

Dans ce contexte, le rôle d’une instance de régulation telle que le CSA me paraît essentiel. Je me propose de présenter rapidement les étapes de ma vie professionnelle, puis de décrire les actions que j’ai menées ces dernières années et qui s’inscrivent, me semble-t-il, dans le droit fil des valeurs que porte le CSA. Enfin, je vous ferai part de quelques observations sur le rôle de cette instance, appelée à évoluer à l’heure du numérique – un avis, je crois, partagé par tous.

J’ai fait mes premiers pas de journaliste comme stagiaire à La Voix de lAin, à Bourg-en-Bresse – c’était il y a très longtemps, mais il me plaît de l’évoquer devant vous. Après un passage à LUsine Nouvelle, j’ai intégré l’AFP en 1981, où j’ai passé plus de trente‑sept ans. Derrière l’apparence quelque peu monolithique de ce parcours, se cache en réalité une grande diversité d’activités, les journalistes de l’AFP étant amenés à changer de poste tous les quatre ans en moyenne.

J’ai ainsi travaillé à la rubrique « médias », où j’ai couvert la loi relative à la liberté de communication de 1986 qui a, entre autres, transformé la Haute autorité de la communication audiovisuelle en Commission nationale de la communication et des libertés, laquelle allait plus tard laisser la place au CSA… À cette époque, j’ai vécu la création de Canal+, la privatisation historique de TF1 et la réattribution des cinquième et sixième chaînes. Au fil des années, j’ai couvert aussi bien les conflits sociaux, dans le privé et dans le public, que le festival de Cannes. Au début des années 1990, j’ai fondé la rubrique « Villes Banlieues » dont j’avais moi-même proposé la création, tant cette thématique transversale me paraissait cruciale.

J’ai été en poste à Abidjan, ce qui m’a donné l’occasion de sillonner une grande partie de l’Afrique de l’Ouest et de couvrir en Sierra Leone un conflit particulièrement cruel et sanglant qui m’a beaucoup marquée. De 2009 à 2014, j’ai dirigé le bureau de l’AFP à Rome, où nous avons couvert des séismes de tous ordres – tremblements de terre et glissements de terrain, mais aussi chute de Silvio Berlusconi, démission de Benoît XVI, élection du pape François.

Auparavant, j’avais exercé mes fonctions à la rédaction en chef ; j’ai été aussi directrice de la rédaction, où j’ai œuvré, notamment, à une meilleure place des femmes dans la hiérarchie de l’Agence. À l’été 2014, M. Emmanuel Hoog, alors président-directeur général (PDG) de l’AFP, m’a fait l’honneur de me nommer directrice de l’information – je suis la première femme à occuper ce poste, que je laisserai, quoi qu’il arrive, dans les prochains jours à mon successeur.

Depuis cette date, à la tête d’une rédaction de quelque 1 500 journalistes de 80 nationalités, répartis dans 150 pays, j’ai mené différentes actions qui visent à appliquer les valeurs que sont la rigueur, l’impartialité, la quête de la vérité des faits, le respect d’une éthique professionnelle.

Permettez-moi d’en citer quelques exemples. En août 2014, un journaliste américain, James Foley, a été décapité par les hommes du groupe État islamique – il était, hélas, le premier d’une longue liste. À la rédaction de l’AFP, il nous a fallu surmonter l’horreur et l’émotion, d’autant plus vive que certains d’entre nous le connaissaient personnellement, mais aussi décider ce qui pouvait – et devait – être dit et montré, ce qui ressortait de l’information, ce qui relevait de la propagande immonde. Nous avons pris des décisions à chaud que je n’ai pas regrettées par la suite, mais le sujet m’a paru suffisamment complexe pour lancer une réflexion à la fois en interne à l’agence et avec des collègues de grands médias français et étrangers.

J’ai publié un texte sur le blog de l’AFP, qui contenait une série de recommandations, des décisions claires en matière de sécurité – nous avons expliqué notamment que nous n’utiliserions plus aucun matériel de pigistes s’aventurant dans cette zone, afin qu’ils ne s’exposent pas inutilement au danger –, ainsi qu’en matière éditoriale
– nous avons préconisé de donner le plus d’informations possibles en textes, en images, sans toutefois nous laisser entraîner dans la mise en scène macabre de DAECH. Nous avons aussi mis en place des dispositifs pour prévenir le syndrome post-traumatique chez les journalistes. Par la suite, j’ai lancé une consultation plus globale au sein de l’agence, qui a abouti à la rédaction de la première charte de l’AFP, édictant des principes fondamentaux, et une charte des pratiques déontologiques et professionnelles, qui vise à guider les journalistes dans leur pratique quotidienne.

En novembre 2016, déjouant tous les pronostics, Donald Trump était élu président des États-Unis. Outre le séisme qu’elle a provoqué en termes géopolitiques, cette élection a poussé le monde des médias à une profonde remise en cause. Pourquoi n’avaient-ils rien vu venir ? Leurs capteurs sociaux étaient-ils brisés ? Par ailleurs, des phénomènes, dont nous avions déjà appréhendé l’émergence, avaient pris une ampleur considérable : pourquoi des rumeurs malveillantes, de fausses informations délirantes avaient fini par rencontrer plus d’audience que les informations vérifiées par nos confrères américains ? Là encore, après un vaste chantier collaboratif auquel chacun, à l’AFP, a pu participer, nous avons lancé plusieurs initiatives pour mieux capter le réel, mais surtout pour combattre ces fameuses fake news.

Pour l’AFP, c’est une mission fondamentale que d’aller à la source, de recouper les informations, de distinguer les faits du commentaire, en somme de rechercher la vérité des faits. Mais c’est aussi une petite révolution culturelle, car il faut nous intéresser aux fausses informations, même les plus extravagantes, sur Facebook et d’autres plateformes, les détecter, mesurer leur viralité, les démonter, expliquer comment et pourquoi telle photo ou telle vidéo a été détournée, décontextualisée, telle citation inventée ou trafiquée, tels faits déformés. Nous avons participé à une série d’initiatives ; des équipes spécialisées dans treize pays, sur tous les continents, alimentent dans plusieurs langues notre site Factuel AFP. Notre Médialab a participé au développement d’un outil spécifique pour détecter les vidéos truquées. Nous avons été leaders dans l’opération CrossCheck, durant l’élection présidentielle en France, qui réunissait une trentaine de médias, et nous participerons à un projet similaire pour les élections européennes.

Parallèlement, nous avons lancé ou accompagné une série d’initiatives en matière d’éducation aux médias, afin d’apprendre aux jeunes générations à distinguer le vrai du faux, à garder un œil critique vis-à-vis des contenus qu’elles lisent et partagent, à faire la différence entre le fait établi, le commentaire, les opinions et le ressenti vis-à-vis d’un événement, à se méfier des théories complotistes, à ne pas confondre une information recoupée avec une rumeur, voire l’article d’un site parodique – cela arrive souvent –, à combattre les discriminations et à lutter contre les discours de haine qui prospèrent malheureusement sur les plateformes, beaucoup trop lentes à réagir. Je parle des jeunes générations, mais si j’en crois une étude publiée cette semaine aux États-Unis, les personnes âgées sont plus enclines encore à croire les fausses informations.

Un autre sujet sur lequel nous nous sommes penchés au cours des dernières années est celui de la représentativité de la société au sein de la rédaction. On sait qu’une véritable crise de confiance touche les médias, mais le regard du public changerait peut-être si la diversité dont notre pays est riche – en origines géographiques, en accents, en couleurs de peau, en catégories socio-professionnelles, en handicaps – se retrouvait un tant soit peu sur les écrans. Les derniers résultats du baromètre de la diversité, établi par le CSA et publié cette semaine, font apparaître, par exemple, une sur-représentation des catégories socioprofessionnelles favorisées, dites CSP+, à hauteur de 74 %, alors qu’elles ne représentent que 27 % de la population. Les habitants des quartiers populaires et périphériques, des villages, de même que les habitants les plus jeunes et les plus âgés sont sous-représentés dans les programmes. Ce sont des chiffres à méditer, au moment où un grand nombre de Français jugent que leur souffrance sociale a été trop longtemps négligée par les médias.

Puisque je fais une allusion aux mouvements sociaux en cours, je me permets une parenthèse : je comprends parfaitement les critiques à l’égard des médias mais je condamne fermement les violences, d’où qu’elles viennent, dont les journalistes ont été victimes ces dernières semaines en France.

Des pistes existent pour ouvrir le monde trop fermé des médias à d’autres profils, d’autres origines. À l’AFP nous avons noué un partenariat avec l’association La Chance aux concours, qui permet à des professionnels aguerris d’aider les étudiants boursiers à préparer les concours d’entrée aux écoles de journalisme.

Si j’ai l’honneur de rejoindre le CSA, j’aurai à cœur de poursuivre l’action que mène le conseil pour une meilleure parité femmes-hommes dans les médias. À l’AFP, nous avons pris plusieurs initiatives pour une meilleure place des femmes dans les contenus de l’agence, en textes, en photos, en vidéos, même en infographie, tant en termes quantitatifs que qualitatifs.

Par tous ces exemples, je souhaite montrer que les valeurs dont nous parlons n’ont pour moi rien de théorique : elles représentent des convictions, mais surtout un engagement quotidien, une énergie pour les servir, une expérience, peut-être même une expertise. Je serais heureuse de les mettre au service du CSA.

Les compétences de cette instance sont larges. Le législateur lui a confié, au fil des années, la sauvegarde, dans les médias audiovisuels, des principes fondamentaux comme le pluralisme et l’indépendance, la protection de l’enfance et de la jeunesse, la dignité de la personne humaine, la diversité, l’égalité entre les femmes et les hommes, la défense de la langue française. Cette instance représente à mes yeux un rempart indispensable face aux informations données sans vérification ou manipulées, au déferlement d’images, diffusées parfois sans le recul nécessaire.

Attribuer une fréquence radio ou un canal sur la TNT, c’est offrir à un groupe public ou privé une belle exposition et un marché potentiellement lucratif ; c’est aussi exiger de sa part des devoirs, des engagements et le rappeler à l’ordre s’il ne les remplit pas, au besoin le sanctionner, puisque cela fait partie de l’arsenal du CSA. Mais j’aime aussi le travail collectif, collaboratif : il faut entendre ses interlocuteurs, comprendre les contraintes des opérateurs, travailler avec eux. À ce titre, je souscris pleinement à la proposition du CSA de privilégier le recours au droit souple, en consacrant par la loi, à l’égard de tous les interlocuteurs du CSA, les procédures de médiation et de conciliation, la publication de recommandations et de guides pratiques. Il convient d’associer la société civile à ces débats, par exemple en organisant des forums, des consultations publiques, car il est important aujourd’hui de substituer à la pratique verticale de l’information, qui n’a plus cours, une pratique horizontale où éditeurs, journalistes et grand public travaillent ensemble à ces questions.

Mesdames et messieurs les députés, je me porte candidate à une instance dont le périmètre est appelé à évoluer. Comme l’a souligné Mme Aurore Bergé, rapporteure de la mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère du numérique, il convient de casser les asymétries de régulation entre le secteur audiovisuel et les acteurs numériques. Cela passe sans doute par une redéfinition des missions du CSA. Ses membres actuels, ainsi que son président, jugent eux-mêmes que, sous sa forme actuelle, la régulation est inadaptée à un environnement numérisé et globalisé. Ils ont présenté vingt propositions pour promouvoir de nouvelles méthodes de régulation. Faut-il étendre le champ de la régulation aux plateformes de partage de vidéos, aux réseaux sociaux, aux plateformes de streaming à l’occasion de la transposition en droit français de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) ? Faut-il organiser un rapprochement avec d’autres instances indépendantes de contrôle et de régulation du numérique, telles la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), voire fusionner certaines d’entre elles, ainsi que le propose Mme Bergé ?

Cette réflexion va de pair avec la préparation de la réforme de l’audiovisuel, visant à répondre aux nouveaux usages et à créer plus de synergies entre les groupes. Elle intégrera également une dimension économique, avec la proposition d’une universalisation de la redevance. J’espère que, dans l’intervalle, les « GAFA », qui captent 80 % des recettes publicitaires on line en France, seront amenés à en redistribuer une partie aux médias historiques, qui investissent dans la production d’une information qui coûte de plus en plus cher, mais voient leurs ressources diminuer au profit des géants du numérique. Les pouvoirs publics français soutiennent avec force cette proposition auprès de la Commission, du Conseil et du Parlement européen. Vous savez peut-être que l’AFP est très engagée, avec d’autres médias français et européens, pour qu’une directive reconnaisse enfin des droits voisins en faveur des éditeurs et des agences de presse. Mais il revient au Gouvernement et au législateur de désigner les contours de toutes ces réformes et je n’aurai pas la prétention de m’y substituer.

Mesdames et messieurs les députés, la loi du 15 novembre 2013 dispose que les membres du CSA doivent être choisis notamment en raison de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel. Si j’ai passé la quasi-totalité de ma carrière à l’AFP, sachez que l’univers des télévisions est loin de m’être étranger. L’AFP s’est lancée dans la vidéo il y a près de vingt ans, c’est sa priorité stratégique, et prévoir ou contrôler une couverture vidéo représente une part non négligeable de mon travail aujourd’hui. Comme toutes les chaînes, j’ai par exemple été confrontée à des choix, à des dilemmes, à des décisions difficiles lors de la couverture en direct de l’attentat contre Charlie Hebdo et de la prise d’otages sanglante de la supérette casher en janvier 2015. Il fallait concilier volonté d’informer et responsabilité citoyenne. Que je sache, nous n’avons été à aucun moment pris en défaut sur ces épisodes tragiques.

Plus de 300 chaînes de télévision dans le monde sont clientes de l’Agence France‑Presse, soit par abonnement, soit par achat à la pièce – parmi elles, la BBC, CNN, Al‑Jazeera, NHK, Russia Today, et bien sûr l’ensemble des chaînes nationales françaises. Je connais la plupart de mes homologues dans les grands groupes audiovisuels français, publics ou privés, ainsi qu’à l’étranger – à la BBC notamment. Pour autant, n’ayant jamais été salariée d’un de ces groupes, je n’ai aucun compte à rendre, ou à régler – gage supplémentaire d’une indépendance que je défends farouchement depuis toujours et qui est aussi l’une des valeurs cardinales du CSA.

J’espère vous avoir convaincus de la cohérence de ma candidature, avoir communiqué la passion qui m’anime et fait part de l’envie que j’éprouve de rejoindre le CSA. Je vous remercie.

M. le président Bruno Studer. La parole est aux représentants des groupes pour une première série de questions.

Mme Aurore Bergé. Madame, vous n’êtes pas devant nous par hasard, votre parcours ayant été tout entier dédié au service de l’information. L’information est la meilleure des armes contre la prolifération de ce que l’on appelle désormais les « infox », et la volonté de manipuler les auditeurs, les téléspectateurs, les internautes et les lecteurs. C’est un combat que nous partageons, et le président de la commission a rappelé la loi que nous venons d’adopter.

Je souhaite vous interroger sur la juste représentation des Français et sur le pluralisme. Il faut sans cesse remettre sur le métier la question de l’équité des temps de parole dans les médias, une question tout à fait cruciale tant la représentation des opinions contribue à forger l’opinion publique. Il ne doit pas y avoir de situations de rente dans l’accès aux médias – vous avez rappelé le baromètre du CSA –, car cela empêcherait l’émergence de nouvelles idées et de nouveaux mouvements. Par ailleurs, cette représentation doit être juste, ne pas monter en épingle les situations, ne pas déformer la réalité pour répondre à des intérêts commerciaux ou à des logiques d’audience. À cet égard, peut-on accepter la mesure d’audience en direct réalisée par une chaîne, laquelle adaptera l’information qu’elle délivre à ses téléspectateurs en fonction de l’audience immédiate réalisée ?

La couverture des différents samedis de mobilisation était-elle juste, alors que la marche pour le climat ou celle pour les droits des femmes réunissaient au même moment autant, sinon plus, de personnes ? Quel rôle le CSA devrait-il jouer selon vous dans ces moments ? Peut-il réagir à chaud dans ce type de situation ?

En outre, la multiplication des émissions de plateau et l’évolution de la composition de ces plateaux posent la question de l’examen de l’équité de ces nouvelles prises de parole. La présence de personnalités, certes non partisanes, mais pas du tout apolitiques – qu’il s’agisse d’éditorialistes des pages opinions ou de membres de mouvements sociaux, elles sont souvent très engagées, revendiquent leur subjectivité et font, à ce titre, de la politique – prend le pas sur celles des experts, des journalistes, des chercheurs, en quête, eux, de neutralité, du moins d’objectivité. Comment envisagez-vous l’évolution de la régulation de l’équité des prises de parole par le CSA ?

Mme Brigitte Kuster. Madame, au nom du groupe Les Républicains, je vous souhaite la bienvenue. Je suis, au sein de la commission, en charge du suivi du CSA. Nous le savons tous, l’environnement audiovisuel a connu de profonds bouleversements ces dernières années, avec des mutations sans précédent. Les opérateurs nationaux traditionnels se trouvent soumis à la concurrence déloyale d’acteurs du numérique qui échappent très largement à la taxation de leurs revenus – et partant, aux obligations de financement de la création – mais également aux contraintes réglementaires qui régissent ce secteur. Le CSA a formulé une vingtaine de propositions pour réguler l’audiovisuel, et j’aimerais recueillir votre avis sur certaines d’entre elles, particulièrement intéressantes. Je pense notamment à l’allégement des contraintes pesant sur les éditeurs de télévision et à la modernisation des règles applicables aux radios.

Pensez-vous qu’il soit normal, à l’heure de la vidéo à la demande (VOD), de conserver l’interdiction de diffusion des œuvres cinématographiques certains jours ? De manière plus générale, ne considérez-vous pas qu’à la faveur de la transposition de la directive « SMA » ou de l’examen du projet de loi relatif à l’audiovisuel – s’il est confirmé – il soit indispensable d’étendre les pouvoirs de régulation du CSA aux acteurs du numérique ? Par ailleurs, compte tenu de votre expérience dans la presse et particulièrement à l’AFP, quel regard portez-vous sur la récente loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information ?

M. Laurent Garcia. Vous avez évoqué, madame, votre parcours et votre implication dans la lutte contre la manipulation de l’information. Vous avez mentionné les études qui montrent que, paradoxalement, les personnes âgées partagent beaucoup plus ces fausses informations, s’en faisant, volontairement ou non, le relais. Votre expérience à l’AFP et votre nomination éventuelle au sein du CSA seront-elles de nature à apporter de nouvelles orientations à la loi récemment adoptée, afin de rendre les personnes âgées moins sensibles à ces informations discutables, et moins promptes à les relayer ?

Mme George Pau-Langevin. Madame Léridon, nous avons écouté avec beaucoup d’intérêt vos réalisations précédentes à l’AFP et nous sommes conscients du rôle tout à fait déterminant de cet organe pour faire vivre nos valeurs républicaines. Je voudrais avoir votre opinion sur les rapprochements possibles entre le CSA et la CNIL, à l’heure de la lutte contre les fausses informations. Je souhaiterais également recueillir votre avis sur deux des propositions du président Schrameck, le renforcement de la lutte contre les discours de haine et le rééquilibrage des relations entre éditeurs et distributeurs.

Mme Frédérique Dumas. Le CSA joue un rôle important dans la vie et le développement des entreprises du secteur audiovisuel, dont font partie les radios. Il gère près de 6 000 fréquences et accompagne ce média dans ses évolutions organisationnelles et numériques ; il régule plus de 1 000 radios, associatives, indépendantes, locales, nationales, thématiques et généralistes. La radio a connu des évolutions profondes ces dernières années, l’arrivée des acteurs mondiaux du numérique, l’évolution des modes de consommation des contenus, plusieurs opérations de concentration avec le rapprochement des groupes Altice‑SFR et NextRadio TV, ou encore celui de M6 et RTL. Par ailleurs, les acteurs de la radio relèvent d’un cadre réglementaire dont les subtils équilibres, pensés par le législateur il y a maintenant trente ans, sont remis en cause ou sont susceptibles de l’être – je pense au renforcement des quotas francophones en 2016 ou au projet de remise en question des règles publicitaires. Dans un contexte complexe, la radio reste malgré tout le média de confiance des Français, qui lui vouent un profond attachement. Libre, gratuite et anonyme, la radio hertzienne est une alternative forte aux offres non régulées des GAFA. Quel regard portez‑vous sur ce média dans son ensemble et sur son évolution ?

Mme Elsa Faucillon. Madame, vous n’avez pas évoqué la radio, ce que je ne saurais vous reprocher. Ce média a connu d’importantes évolutions, avec l’arrivée des acteurs mondiaux du numérique, de nouveaux modes de consommation des contenus et des opérations de concentration majeures. Par ailleurs, le cadre réglementaire fixé il y a plusieurs dizaines d’années est susceptible d’être remis en cause. Malgré tout, et comme l’a expliqué Frédérique Dumas, la radio demeure un média auquel les Français font confiance, et il s’avère très réactif vis-à-vis des fausses informations.

Mme Michèle Léridon. Je le dis en toute franchise, la radio est un secteur que je connais moins bien, mais je l’écoute beaucoup. Il s’agit d’un média de confiance, à ce titre fort précieux, qui a réussi à tirer son épingle du jeu à l’heure du numérique et à prendre le virage du digital. Certaines stations revivent et regagnent des auditeurs via les podcasts. La question des concentrations se pose aussi dans les télévisions privées. Pour que ces chaînes puissent survivre, il faut favoriser la création de grands groupes. Mais il revient au CSA de veiller très attentivement à l’indépendance des rédactions qui y travaillent.

N’appartenant pas à ce stade au CSA, il m’est difficile de répondre aux questions concernant l’avenir des différentes instances. Il me semble qu’il revient plutôt au législateur d’en décider. Par ailleurs, je n’ai pas forcément d’expertise sur les prérogatives des autres instances que vous avez citées. Pour autant, on voit bien l’incongruité de la situation : le secteur demeure fortement contrôlé et régulé, tandis que se déversent sur le digital des contenus de toutes sortes, sans autre forme de contrôle.

Il serait donc logique que ces instances évoluent. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre ce que l’on peut trouver sur les plateformes et le contenu des autres médias. Il convient, bien sûr, de conserver la liberté d’expression et la créativité propres aux réseaux sociaux, espaces d’échanges formidables. Il n’est pas question de les remettre en cause, mais simplement de rééquilibrer les choses, notamment à l’encontre des discours de haine, en faveur de la protection de la jeunesse et, bien sûr, de la véracité des informations. Des évolutions sont souhaitables et je crois savoir que des réflexions sont en cours, aussi bien au niveau parlementaire que gouvernemental, notamment au secrétariat d’État chargé du numérique. Emmanuel Hoog s’est par ailleurs vu confier une mission en vue de la création d’un conseil de déontologie de la presse, dont il convient de se demander si le champ sera limité aux médias historiques ou étendus à d’autres.

S’agissant de la couverture du mouvement des Gilets jaunes, je ne veux pas prendre la position d’une « sage » que je ne suis pas. Il m’est difficile de porter un jugement. Le mouvement est protéiforme et, partant, très complexe à couvrir. Les médias ont fait ce qu’ils pouvaient. Dans le secteur social, comme en politique, de nouveaux acteurs émergent. Les règles du pluralisme doivent sans doute être revues, pour permettre à tout le monde de s’exprimer, tout en préservant l’équilibre entre les différents acteurs. Qui plus est, ce mouvement a posé un problème très particulier de représentativité, dans la mesure où, à peine émergées, certaines personnalités étaient remises en cause. Je partage les mêmes interrogations que vous sur l’effet loupe concernant certains événements ou certaines phrases. Le rôle du CSA est bien d’examiner les différentes couvertures du mouvement avec sang-froid. Il a d’ailleurs déjà commencé à rencontrer les directeurs de chaînes. Il faut aussi prendre le temps, pour mettre une distance entre ce qui est ressenti et ce qui se passe réellement. Certains critiquent aujourd’hui une couverture jugée trop complaisante vis-à-vis des manifestants, quand d’autres la trouvent trop complaisante à l’égard de la police ou des pouvoirs publics. Nous devons nous abstraire de ces impressions, afin d’examiner les faits et de vérifier si telle ou telle chaîne ne s’est pas trop attardée sur un incident mineur.

L’exemple des jours interdits, quant à lui, témoigne de l’obsolescence de certaines règles encore en vigueur. Pourquoi interdire la diffusion d’un film un soir, alors que tout le monde peut le voir sur Netflix ou ailleurs ?

Quant aux personnes âgées qui, moins familières des réseaux sociaux, seraient plus enclines à prendre pour vraies des informations qui ne le sont pas, ce sujet relève de l’éducation au numérique. Les jeunes nous disent partager parfois des contenus, qu’ils savent pourtant faux, simplement pour plaisanter. Il est possible que les générations moins agiles sur ces plateformes fassent preuve d’une plus grande naïveté.

Mme Céline Calvez. Madame Léridon, nous savons que la révolution numérique a de nombreuses répercussions sur les acteurs et les usages. Pour reprendre votre terme, il y a une certaine incongruité dans l’asymétrie de la régulation. Nous en sommes restés au cadre national, en évoquant des hypothèses de fusion entre les instances de régulation, mais qu’en est-il du cadre européen ? Le mandat d’Olivier Schrameck a été marqué par le développement d’une coopération avec les autorités européennes de régulation, notamment avec le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels. Nous avons déjà évoqué la transposition de la directive SMA. Plus largement, nous aurons à protéger la liberté d’information et d’expression et à préserver la valeur et le poids économiques de tout ce que génèrent les médias audiovisuels. De quelle façon envisagez-vous la coopération avec les autres autorités de régulation en Europe ?

M. Michel Larive. Je tiens à profiter de mon intervention pour vous souhaiter, à toutes et à tous, une excellente année 2019 !

Dans un article paru jeudi dernier dans Télérama, la journaliste Aude Dassonville écrit : « La télévision reste incapable de donner à voir les jeunes, les personnes âgées, les inactifs, les handicapés ou les habitants de villes ou quartiers périphériques tels quils existent réellement en France. » Elle note que « la part des personnes perçues comme non blanches a augmenté de deux points par rapport à 2016 », d’après le bilan effectué à la suite de l’introduction d’un nouveau critère au baromètre de la diversité du CSA. L’étude a été menée sur dix-huit chaînes de la TNT gratuite regardées, tous genres confondus, une semaine de juin et une semaine de septembre entre 17 et 23 heures, soit 1 450 heures de programmes examinés et 37 100 personnes à l’écran. Cela étant dit, la part des personnes « perçues comme blanches » reste très majoritaire, puisqu’elle représente encore 83 %.

Mémona Hintermann-Afféjee, la conseillère chargée de la représentation de la diversité au CSA, annonce dans l’article que, dans son discours d’adieu, le 15 janvier, elle demandera : « Où sont passées les femmes de ménage ? Où sont passés les mamans, les grands-pères de tous ces jeunes à capuche ou à casquette que lon nous montre ? » Je suis d’accord avec son analyse selon laquelle « une société ne peut fonctionner correctement si des gens qui vont travailler, peut-être dans des emplois précaires, trouvent que limage quon leur renvoie ne leur ressemble pas ». Cette défaillance dans la représentativité de toutes les couches de la société favorise la méfiance à l’égard de la classe médiatique.

Comment, si vous devenez membre du CSA, souhaitez-vous améliorer véritablement la représentativité des Françaises et des Français dans le secteur audiovisuel, alors que les tentatives entreprises jusqu’ici n’ont pas été très efficaces ?

M. Philippe Berta. Il y a un an, le CSA révoquait Mathieu Gallet, PDG de Radio France, à la suite d’une condamnation en première instance pour favoritisme. Il n’en fallait pas plus pour relancer la polémique sur l’indépendance du CSA, qui n’avait pourtant de choix qu’entre deux options : l’une pouvant être taxée de laxisme, l’autre de complaisance envers le pouvoir politique. Cette suspicion sur l’indépendance du CSA n’est pas nouvelle. En 1982, dès la création de son ancêtre, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, par François Mitterrand, les premières accusations de dépendance de l’instance ont émané de la gauche, avant de revenir périodiquement, sur tous les bancs politiques, au gré des alternances, ou dans la société civile.

La transformation de la Haute Autorité en CSA en 1989 n’a pas beaucoup changé cet état de fait. La procédure de nomination de ses membres, répartie entre le Président de la République et les présidents des assemblées, n’est pas étrangère à ces contestations. Ce doute sur l’indépendance du CSA revêt aujourd’hui cependant un caractère particulier, en s’inscrivant dans un climat de défiance généralisée. Tout devient suspect et hystérisant. Une boulangerie explose : la Toile crie au complot ; un journaliste formule une analyse qui déplaît : il est au service des élites ; la police mène une perquisition dans le cadre d’une enquête : une manipulation pour sûr ! Le problème de ces délires, c’est qu’à force de répétitions, ils minent les fondements mêmes de notre démocratie. Il devient urgent de rétablir le lien de confiance entre le citoyen et les institutions, le citoyen et les médias, le citoyen et la démocratie.

Selon vous, comment la réforme de l’audiovisuel peut-elle renforcer la confiance dans l’indépendance du CSA, donner au CSA un rôle accru dans la lutte contre les fausses nouvelles sur internet, rétablir la confiance dans la fiabilité de l’information télévisée et radiophonique ou encore rendre compatibles l’ère de l’information en continu et la qualité du travail journalistique ?

Mme Emmanuelle Anthoine. Ma question concernait initialement la régulation du numérique, madame Léridon, mais, puisque vous avez déjà répondu à ma collègue à ce sujet, je vous interrogerai sur la parité entre les femmes et les hommes. J’ai lu que vous aviez été la première femme nommée au poste de directrice de l’information. Vous avez rappelé que vous avez travaillé à améliorer cette parité. Si vous êtes nommée au CSA, envisagez-vous de continuer à promouvoir cette parité, et sous quelle forme ?

M. Raphaël Gérard. Madame Léridon, si nous avions six heures devant nous, je vous poserais une question aussi courte que vaste : quelle visibilité pour les outre-mer dans l’audiovisuel français ? Malheureusement, par manque de temps, je devrai être un peu plus précis… Le 19 juillet dernier, le Premier ministre a annoncé la fin de la diffusion des programmes de France Ô sur le canal hertzien. Or, aujourd’hui, on constate dans le paysage audiovisuel français une quasi invisibilité des outre-mer, qui représentent seulement 0,5 % de l’information sur les grandes chaînes. Tout comme se pose la question de la transversalité entre la ville et les banlieues, se pose celle de la transversalité ultramarine qui doit irradier toute la société française, pour favoriser une juste représentation de nos concitoyens. Quels sont, selon vous, les indicateurs qui pourraient être mis en place pour mieux mesurer cette visibilité ? Nous disposons en effet de peu d’outils pour l’évaluer, exception faite d’une enquête de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) qui a révélé cette carence dans le traitement des cultures et de l’information ultramarines.

Mme Michèle Victory. Madame Léridon, les administrés de ma circonscription m’ont souvent interrogée au sujet de la violence présente dans les séries et les films – crimes, enlèvements ou viols. Quelle est la responsabilité des organismes de contrôle dans le plébiscite de ces thèmes par les téléspectateurs ? Comment pourrions-nous lutter contre une dérive qui semble être le reflet d’une société assez violente et de plus en plus sous tension ?

Mme Béatrice Descamps. Madame Léridon, quelle est votre lecture des difficultés financières auxquelles est soumis notre paysage médiatique de façon générale ?

Mme Maud Petit. Madame Léridon, je vous remercie pour votre propos introductif, en particulier pour l’intérêt que vous avez manifesté pour les multiples formes de la diversité, qu’elle soit géographique, linguistique ou de couleur de peau, ainsi que pour l’exigence dont vous faites preuve en matière d’égalité femme-homme et de représentation au plus juste de toutes les catégories sociales et professionnelles. En tant que directrice de l’information à l’AFP, vous avez œuvré constamment pour son développement. Sous votre direction, en 2016, a été conclue à l’AFP la première charte des bonnes pratiques éditoriales et déontologiques, qui rappelle combien est essentielle « la fabrication dune information fiable et digne de confiance, selon des principes éditoriaux et déontologiques clairs ».

Je souhaite vous interroger sur le traitement médiatique du mouvement social des Gilets jaunes, alors que les chaînes d’information en continu ont rencontré des difficultés pour couvrir les événements, qu’il y a eu des accusations de manipulation de l’information, dans un climat de défiance à l’égard des médias traditionnels. Au-delà des sanctions, comment le CSA peut-il, d’après vous, assurer le bon déroulement du traitement médiatique d’un mouvement social qui trouve ses fondements dans les réseaux sociaux, ce qui impacte nécessairement les médias classiques ?

M. Maxime Minot. Madame Léridon, comme directrice de l’AFP, vous avez contribué à faire entrer ce fleuron de l’information internationale made in France dans l’ère numérique, notamment en favorisant, à raison, le développement de la vidéo. De même, vous avez œuvré en faveur de la lutte contre la désinformation. À l’heure de la mise en œuvre de la loi contre les « infox », dont l’objet était, soit dit en passant, déjà prévu par notre droit, le CSA dispose de pouvoirs renforcés. Ma question est simple : comment comptez-vous apaiser les craintes exprimées par de nombreux Français face au risque de censure du CSA ? Par ailleurs, alors que votre départ de l’AFP a été salué par le premier syndicat de journalistes, comment comptez-vous rétablir un climat de confiance avec les journalistes, nécessaire à l’exercice de votre mission au sein du CSA ?

M. Stéphane Claireaux. Madame Léridon, je souhaitais vous interroger sur deux sujets. Pour le premier, sur la visibilité de nos outre-mer, une fois n’est pas coutume, mon collègue Raphaël Gérard m’a brûlé la priorité…

Quand vous étiez directrice de l’information de l’Agence France-Presse, vous aviez placé au cœur de vos priorités le combat contre les fake news et défini la première charte des bonnes pratiques éditoriales et déontologiques. La diffusion récente du classement mondial de la liberté de la presse 2018, établi par Reporters sans frontières, a démontré que huit des dix premiers pays possèdent un conseil déontologique de la presse. Nos voisins suisses et belges, qui en sont tous les deux dotés, occupent respectivement les cinquième et septième places, alors que la France n’est qu’au trente‑troisième rang du classement. En Suisse, les derniers sondages relatifs à la confiance des citoyens envers les médias témoignent d’une confiance à plus de 75 %. En des temps « d’infox » à répétition, ce chiffre doit nous interpeller.

Pensez-vous qu’il serait pertinent de créer un conseil déontologique de la presse et des médias en France ? Un tel conseil représenterait-il un concurrent ou un doublon pour le CSA ou serait-il complémentaire et bienvenu ?

Mme Michèle Léridon. Pour répondre à la première question, je pense en effet que si le débat doit être porté au niveau national, il doit également l’être au niveau européen. Beaucoup de problématiques sont partagées par nos voisins européens. Personnellement, je m’inspire beaucoup de ce que font nos collègues, notamment en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Nous avons de nombreux échanges sur le plan éditorial. Mais il faut également en mener sur le plan économique, la crise économique touchant de fait tous les médias. Qu’il s’agisse d’innovation ou de régulation, nous avons tout intérêt à échanger nos expériences avec nos collègues européens et à porter les débats au niveau de la Commission européenne. Le cas des droits voisins représente un combat crucial.

L’information coûte cher, je suis bien placée pour le savoir : ouvrir des bureaux, avoir un réseau, envoyer des correspondants en mission... Les médias sont confrontés à un paradoxe : alors qu’ils ont de plus en plus de lecteurs, grâce à internet, ils n’en tirent pas de bénéfices. En effet, 80 % des bénéfices de la publicité en ligne en France, ce qui représente des sommes considérables, sont captés par Google et Facebook. Il faut rééquilibrer cette répartition, pour éviter que ces plateformes ne captent des revenus pour lesquels elles n’ont rien déboursé. Il convient aussi de réviser leur statut, dans la mesure où elles se réfugient derrière le fait qu’elles sont hébergeuses, ce qui les déresponsabilise quant aux contenus, sans les empêcher d’en tirer des revenus. Au contraire, les éditeurs sont soumis à toute une série de contraintes et de régulations : la presse écrite à la loi de 1881 et l’audiovisuel au CSA. Il serait pertinent d’envisager la création d’un troisième statut pour ces plateformes, de façon à les responsabiliser et à leur faire redistribuer les revenus perçus. Cela nécessiterait de travailler à Bruxelles et à Strasbourg pour modifier la directive sur le commerce électronique.

S’agissant de la diversité, j’avoue ne pas avoir lu l’article d’Aude Dassonville que vous avez cité, monsieur Larive. J’ai cependant évoqué ce baromètre dans mon propos liminaire, en soulignant qu’il existait un gros déséquilibre dans la représentation des catégories les moins favorisées, des habitants des villages ou des banlieues, des plus jeunes, des plus anciens, des habitants outre-mer. Le baromètre du CSA s’est attaché dans un premier temps aux origines géographiques, aux couleurs de peau, avant qu’on n’y ajoute récemment, sous l’impulsion de Mme Hintermann-Afféjee, des indicateurs sur la précarité et les catégories socio-professionnelles. Comment améliorer la représentativité ? Je ne peux vous répondre qu’avec humilité, puisque je ne connais pas encore parfaitement tous les débats qui animent le CSA. Il faut compter, par le biais des indicateurs, mais aussi sensibiliser les chaînes en leur montrant ce qu’elles diffusent. Elles ne se rendent pas toujours compte des carences dans leurs programmes, ni de l’image qu’elles projettent. Il ne s’agit en effet pas seulement d’une réponse quantitative : toujours présenter une certaine catégorie de la population en position de délinquance ne fera pas beaucoup avancer la représentativité.

Il faut également prendre les choses très en amont, dès la formation des journalistes. Si elle doit faire partie des programmes, la volonté de représentativité doit aussi s’incarner dans les personnes qui animent les plateaux. Je vous ai déjà parlé du partenariat que nous avons signé avec La Chance aux concours. Lorsque j’étais directrice de la rédaction, nous avions créé deux bourses – l’une pour les jeunes frais émoulus des écoles et l’autre pour favoriser la diversité et faire entrer des gens qui avaient suivi d’autres parcours – et je m’étais rendu compte que ce système ne produisait pas beaucoup plus de diversité. Il faut s’y prendre très tôt et aider les jeunes quand ils sont encore étudiants et qu’ils n’osent pas se lancer dans la carrière de journaliste, qui peut être un peu intimidante. L’association paie même parfois les frais d’inscription aux concours.

S’agissant des procédures de nomination au CSA, je n’en suis bien sûr pas responsable. Je sais qu’elles posent à chaque fois question. À l’AFP, j’ai défendu avec force cette notion d’indépendance, sans qu’il n’y en ait réellement besoin, dans la mesure où les 1 500 journalistes de la rédaction défendaient tous ce principe et refusaient toute pression. La confiance ne pourra se rétablir que par les actes, et l’indépendance se prouver par les faits.

Concernant la violence, il existe déjà des campagnes pour prévenir les publics de l’existence de contenus violents dans les programmes. Sur le fond, je ne sais pas ce qui peut être fait à ce stade pour inciter les producteurs ou les réalisateurs à s’intéresser à des sujets moins violents. Posons-nous aussi la question au niveau de l’information. Il est important de ne pas nous laisser entraîner dans des mises en scène macabres. Cela relève notamment de questions de cadrage, de formats de plans, fixes plutôt qu’animés. Ce n’est pas parce que le groupe État islamique nous envoie des vidéos gratuitement que nous les utiliserons telles quelles. Nous devons penser à préserver la dignité des victimes. Nos règles de déontologie fixent des principes concernant les photos : par exemple, les gros plans ne se justifient pas pour relater un événement.

Pour revenir sur le financement, j’ai déjà parlé du coût de l’information, qui ne va pas en diminuant. Je sais que le Parlement et les pouvoirs publics sont très attentifs à l’avenir de l’AFP et au financement de l’audiovisuel public.

Pour ce qui est de la parité, les actions sont à mener sur deux fronts : d’une part, en termes de ressources humaines, en laissant les femmes accéder à des postes à responsabilité ; de l’autre, en termes de contenus – cela signifie compter le nombre d’expertes invitées, par exemple, ou celui des intervenantes, tout en tenant bien compte de l’aspect qualitatif. J’ai été invitée par plusieurs médias à parler de la charte de l’AFP. Un quotidien s’était rendu compte, après avoir compté combien de fois une femme avait été à sa une, que cela se produisait de façon très mineure, mais surtout qu’il s’agissait une fois de l’allaitement, une autre des infractions au code de la route, alors même que les femmes ont plutôt moins d’accidents que les hommes… C’était risible !

Je crois beaucoup à la sensibilisation. À l’AFP, deux journalistes de la rédaction m’ont proposé de travailler sur ces questions, alors même – je l’avoue – que je n’avais pas relevé de problèmes de contenu. Nous avons passé un partenariat avec l’université de Toulouse, qui, après s’être penchée sur nos travaux, a mis en évidence le recours à des expressions que l’on utilise tous sans même s’en rendre compte et qui véhiculent des clichés. Par exemple, lorsqu’on interviewe un couple de restaurateurs, on présentera l’homme comme M. Jean Dupont et son épouse par son seul prénom, mais jamais l’inverse. Comme par hasard, on donne plutôt la parole à l’homme, tandis que la femme acquiesce ou vient confirmer les propos de son époux. Cela revient beaucoup plus souvent qu’on ne le croit. En lisant rapidement la dépêche, on est satisfait de voir que tout le monde a eu la parole, alors qu’il faut aller derrière les mots, chercher derrière les lignes ce qui se passe réellement. Nous devons travailler plus finement, au-delà des simples quotas.

Mme Maud Petit. Je ne suis pas sûre d’avoir entendu votre réponse sur le traitement médiatique des mouvements sociaux nés sur les réseaux sociaux – j’évoquais les Gilets jaunes.

Mme Michèle Léridon. Je croyais avoir répondu en expliquant qu’il s’agit d’un mouvement protéiforme, très complexe à couvrir, car les leaders ne sont pas identifiés. On constate effectivement des effets de loupe sur certains incidents ou certaines phrases. Il faut prendre le temps d’évaluer cette couverture.

S’agissant du Conseil de la déontologie de la presse, comme certains collègues de l’audiovisuel, j’ai été auditionnée par Emmanuel Hoog. À titre personnel, j’y suis plutôt favorable – peut-être ne devrais-je d’ailleurs pas l’exprimer ici. En effet, en cette période de crise de confiance, l’autorégulation est importante et cette instance tripartite regrouperait à la fois des éditeurs – patron de presse ou de groupes audiovisuels –, des journalistes et la société civile. Pour autant, lors de cette audition, j’ai entendu et je comprends l’inquiétude des chaînes de télévision face à l’empilement des régulateurs et des organismes auxquels elles devront répondre, chacun ayant ses propres indicateurs, grilles de lecture et sanctions ! Si un tel conseil devait être créé, il faudrait prévoir une articulation avec les missions – notamment déontologiques – du CSA. Ainsi, on pourrait imaginer une instruction par le Conseil de déontologie, et des décisions, assorties d’éventuelles sanctions, du CSA. Mais peut-être m’aventuré-je déjà un peu trop loin ?

M. le président Bruno Studer. Je viens d’adresser un courrier à M. Olivier Schrameck, président du CSA jusqu’à la semaine prochaine, pour lui demander des explications concernant le traitement de l’information violente qui passe en boucle sur certaines chaînes d’information en continue. En effet, les émissions et journaux d’information ne sont pas tenus d’afficher des pastilles alertant de la violence de certaines images, le présentateur de l’information devant normalement transmettre oralement cet avertissement.

Concernant la question tout à fait pertinente de la représentation femmes-hommes, Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du CSA qui quitte également son poste, a fait un travail remarquable, notamment concernant les réseaux sociaux : elle a pu constater que, sur une des grandes plateformes de partage de vidéos, la parité n’est pas vraiment respectée parmi les vidéos les plus populaires… Il est urgent de traiter ce problème dans le cadre de la rénovation de la régulation.

Mme Anne Brugnera. Madame, je vous remercie pour vos propos introductifs et vos premières réponses. Deux éléments saillants ressortent de votre candidature, qui nous est proposée par le président de l’Assemblée nationale et sur laquelle nous devons nous prononcer : d’une part, vous êtes une journaliste d’expérience et connaissez donc bien le fonctionnement des médias. Vous êtes en conséquence tout à fait à même d’arbitrer les questions de régulation, au cœur des missions du CSA.

D’autre part, vous êtes directrice de l’information sortante de l’Agence France‑Presse, dont l’une des obligations fondamentales est de diffuser une information exacte, impartiale et digne de confiance, en toute indépendance. Le recoupement des sources, la vérification des faits font partie des missions fondamentales de l’AFP, car vos dépêches sont extrêmement reprises. Cela vous conduit souvent à temporiser, par opposition aux médias d’information en continu, peut-être moins prudents et plus guidés par l’actualité. Cette expérience sera précieuse dans la lutte contre les « infox » et contre la manipulation de l’information.

Beaucoup de questions ont déjà été posées ; j’insisterai donc seulement sur deux points. Votre expérience permettra au CSA de progresser en matière de régulation mais également dans ses missions de protection de notre jeunesse. Je rejoins ma collègue sur ce sujet car je suis trop souvent spectatrice de programmes violents ou, pire, de programmes qui véhiculent une banalisation de la violence, comme des crimes les plus odieux.

Je suis également attentive au déploiement de la radio numérique terrestre en DAB+ – sur lequel nous avons pu échanger il y a peu lors d’une visite au CSA – comme à la place des femmes dans nos médias. Sur ce dernier point, je sais que nous pouvons compter sur vous.

Mme Annie Genevard. En préambule, j’émets un souhait : celui que, lorsque notre commission doit se prononcer sur une nomination comme celle de ce jour, nous soyons informés de toutes les candidatures parvenues au président de l’Assemblée nationale. Je ne conteste pas sa prérogative, mais il serait intéressant de disposer de cette information. Peut‑être découvririons-nous une candidature plus conforme à cette diversité que Mme Léridon appelle de ses vœux…

Madame Léridon, en juin dernier, dans le cadre du Monde Festival, vous avez participé à un débat autour de la question : « Comment informer sous la présidence d’Emmanuel Macron ? ». Quelles sont les conclusions de ce débat ? Elles sont indisponibles en ligne. Inspireront-elles votre travail au CSA, autorité garante de l’indépendance et de l’équilibre de l’information ?

M. le président Bruno Studer. Madame Genevard, en votre qualité de vice‑présidente de l’Assemblée nationale, je vous propose de mettre ce point à l’ordre du jour de la prochaine Conférence des présidents. On peut regretter le déroulement de cette procédure de nomination mais la loi ne prévoit pas que le président de l’Assemblée nationale transmette la liste des candidats déclarés. L’inscription de cette demande à l’ordre du jour de la conférence serait l’occasion d’y réfléchir.

Mme Annie Genevard. Monsieur le président, si vous le « regrettez », pour ma part j’interpelle mes collègues : il serait intéressant que la commission se saisisse de ce sujet et appuie cette demande si elle la juge légitime. Dans cette maison, on vante la transparence matin, midi et soir : livrons-nous donc à cet exercice de transparence et faisons, le cas échéant, une proposition au Bureau !

Mme Géraldine Bannier. Je vous remercie d’avoir souligné dans vos propos liminaires votre attachement à plus de diversité sociale et géographique dans les médias. J’y suis également très attachée.

Depuis des années, comme un grand nombre de Français, je fais le même constat concernant la représentativité politique. Avant d’être députée, j’avais l’impression de voir régulièrement les mêmes députés dans les médias. Depuis que je suis députée, ce constat n’a pas évolué ! C’est probablement lié au fait que les députés sont en circonscription le week‑end, ce qui explique la surreprésentation des députés parisiens, plus proches des médias nationaux. Peut-être les médias ont-ils également la volonté d’en médiatiser certains plus que d’autres ? Les politiques de tous les territoires vous semblent-ils également représentés ?

Enfin, dès qu’une phrase est prononcée ou une information donnée par un homme ou une femme politique, certains médias sont passés de la recherche de la vérité et de la diffusion d’informations objectives à des commentaires permanents ! Cela doit être intégré à la réflexion concernant la déontologie des médias. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Mme Danièle Cazarian. Madame, je vous remercie pour votre présentation. Depuis plusieurs années, nous assistons à une recrudescence des théories du complot. Celles-ci sont souvent reprises par des citoyens sincères, y compris par notre jeunesse. Le phénomène s’est largement développé par le biais des réseaux sociaux mais également – et c’est relativement nouveau – sur les chaînes de télévision et à la radio.

Le CSA doit remplir son rôle : diffuser de bonnes pratiques et tracer des limites claires. Comment peut-il accompagner les journalistes, notamment ceux sur le terrain qui sont parfois confrontés à ces théories ?

Vous avez évoqué un conseil d’autorégulation tripartite : est-ce le seul outil que vous mettrez en place si vous êtes élue ?

M. Régis Juanico. Ces dernières semaines, la radio numérique terrestre, désormais appelée DAB+, est entrée dans une dynamique nouvelle grâce à l’action du CSA qui a fortement œuvré à l’accélération de son déploiement. Plusieurs appels à candidatures sont en cours au niveau local et à l’échelle métropolitaine pour permettre une large diffusion des radios hertziennes en « DAB+ » sur l’ensemble du territoire d’ici deux ans. Le CSA a indiqué très récemment que 20 % de la population était désormais couverte par le DAB+, ce qui va permettre d’entrer dans une logique industrielle d’équipement des Français. Pour poursuivre cette dynamique, les radios engagées dans cette technologie ont manifesté leur besoin d’être mieux soutenues par les pouvoirs publics dans les prochains mois – meilleure information des Français, soutien politique, voire soutien financier. Comment envisagez-vous l’action du CSA ?

M. Frédéric Reiss. Madame, lors de votre présentation, vous avez abordé de nombreux sujets, en vous appuyant sur votre expérience et un parcours professionnel riche. Ma question concernait la gestion de la crise des Gilets jaunes, tant en matière de traitement de l’information – et notamment de l’information continue – et que de gestion des violences – violence des images, mais aussi violences dont ont été victimes certains journalistes. J’ai entendu le médiateur de Radio France sur le sujet et vous avez donné certains éléments de réponse.

J’évoquerai donc la prochaine session du Conseil de l’Europe, qui abordera deux sujets sur lesquels j’aimerais vous entendre : les médias de service public dans le contexte de la désinformation et de la propagande d’une part et, d’autre part, la liberté des médias en tant que condition pour des élections démocratiques.

M. Stéphane Testé. Je vous remercie pour les réponses que vous nous avez apportées concernant la diversité. Ce sujet reste un véritable défi pour l’audiovisuel.

Je souhaite revenir sur le mouvement des Gilets jaunes. Le CSA a été saisi du traitement actuel du mouvement sur les antennes. Le mouvement semble désormais se structurer pour tenter de présenter une liste aux prochaines élections européennes. Comment le CSA envisage-t-il la couverture du mouvement dans le cadre de la campagne des élections européennes, afin de garantir une équité de traitement avec les partis politiques traditionnels ?

Mme Valérie Bazin-Malgras. Ma question concerne la fusion du CSA avec d’autres instances. Depuis plusieurs années, de nombreuses propositions ont été faites allant dans le sens d’une fusion avec d’autres autorités administratives indépendantes. Il a d’abord été question d’une fusion avec l’ARCEP, afin de disposer d’un seul régulateur pour les réseaux de communication et les éditeurs de contenus et de tenir ainsi compte de l’évolution de ce secteur.

Puis, plus récemment, la fusion avec la HADOPI a été régulièrement évoquée, afin de créer une autorité unique de régulation des contenus audiovisuels. Soutenez-vous une telle proposition ?

Mme Fabienne Colboc. Je vous remercie de cette présentation. Comme vous l’avez expliqué, vous avez fortement contribué à développer les activités de l’AFP en matière de vérification de l’information, afin de lutter contre les « infox » et la désinformation.

L’un des objectifs principaux des lois organiques et ordinaire relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, adoptées en novembre dernier, est d’inciter l’ensemble des acteurs du numérique à prendre des mesures pour lutter contre la diffusion des fausses informations. Elles renforcent également les prérogatives du CSA en lui confiant un pouvoir de recommandation et de suivi. Il fera périodiquement le bilan des mesures prises par les plateformes numériques. Comment envisagez-vous ce nouveau rôle dévolu au CSA, et comment souhaitez-vous qu’il se positionne au regard de ces nouvelles prérogatives ?

M. Bertrand Sorre. Madame Léridon, je vous souhaite d’intégrer le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Le lundi 7 janvier dernier, le CSA se réunissait afin d’examiner la couverture des manifestations dites des « gilets jaunes » par les chaînes de télévision, et plus particulièrement par les chaînes d’information en continu. Un mois plus tôt, par communiqué de presse, le CSA faisait savoir qu’« à la veille dune journée particulièrement difficile pour le pays tout entier, il en appelle à la responsabilité, lourde et complexe, des médias audiovisuels et demande à chacun dêtre attentif au respect du travail des journalistes et des équipes de reportage. Il souligne la nécessité de ne pas diffuser dinformations susceptibles de mettre en danger les forces de sécurité et la paix civile. Le Conseil supérieur de laudiovisuel met en garde contre toute diffusion complaisante, déséquilibrée ou insuffisamment vérifiée dimages et de commentaires qui attiseraient les antagonismes et les oppositions. » Le ministre de la Culture a également appelé les médias à la responsabilité.

Beaucoup de nos concitoyens ont été interpellés, voire choqués par certaines retransmissions. Une chaîne de hard news a été accusée de ne diffuser que des images de violences et de casse, au détriment des images de manifestations plus pacifiques. Quel est votre avis et quelles sont vos préconisations en la matière ?

Mme Sophie Mette. Avec l’expertise dont vous disposez, si vous n’aviez qu’un combat à mener au CSA, quel serait-il ? Quelles missions aimeriez-vous remplir ?

Mme Florence Provendier. Je vous remercie pour cette présentation et vos premières réponses. Quel travail de prospective le CSA devrait-il réaliser pour garantir ses missions de régulation dans le futur ? Comment veiller à la liberté d’expression des médias, dans l’intérêt du public et des professionnels, tout en anticipant les changements technologiques, en tenant compte des facteurs de mondialisation et en intégrant l’évolution des usages, notamment chez les plus jeunes générations ?

Mme Cécile Rilhac. Je vous remercie pour vos premières réponses. Plusieurs collègues ont déjà abordé la question de la diversité : aujourd’hui comme hier, elle n’est toujours pas considérée comme télégénique…

C’est une réalité difficile à accepter. Pour que nos médias reflètent mieux la réalité de notre société, ils doivent rendre davantage visible la fabuleuse diversité de la France : France hexagonale et ultramarine, France rurale, urbaine et périurbaine, France des quartiers, France aux origines multiples, hommes, femmes, lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), etc.

Vous nous avez fait part de votre vision des choses, mais je m’attarderai sur les personnes en situation de handicap et les travailleurs handicapés. Leur taux d’emploi direct
– 6 % de l’effectif de l’entreprise selon la loi – est rarement atteint dans les entreprises de l’audiovisuel. La visibilité des personnes, comme de la diversité des situations de handicap, est donc très faible – on peut même parler d’invisibilité… Quelles mesures envisagez-vous pour que le monde de l’audiovisuel s’ouvre davantage – voire devienne attractif – pour les personnes en situation de handicap ?

Mme Jacqueline Dubois. Je m’associe à ma collègue, Cécile Rilhac, et vais poursuivre sur le même sujet. Vous avez abordé les déséquilibres de représentation sur les écrans ; les personnes en situation de handicap sont les plus sous-représentées. En outre, la mise en accessibilité des programmes – plus particulièrement des programmes d’information continue – est très insatisfaisante. Ainsi, la traduction en langue des signes n’est assurée par aucune des chaînes d’information continue. Comment envisagez-vous de faire évoluer cette situation ?

Mme Danièle Hérin. Madame, je vous remercie pour cette présentation qui met en exergue votre expérience et les valeurs que vous portez.

Vous avez évoqué les territoires défavorisés. Quel est votre avis sur l’équité territoriale et le rééquilibrage de l’information entre, d’une part, les métropoles et, d’autre part, les territoires ruraux et les villes moyennes ?

Quelle est votre position s’agissant des temps de parole accordés aux scientifiques dans la lutte contre la désinformation ?

Enfin, vous avez évoqué la technique du comptage des temps de parole. Quelle est sa valeur par rapport aux mesures de l’impact des émissions ?

Mme Florence Granjus. Depuis plusieurs années, le constat est toujours le même concernant la présence des femmes sur les antennes radios et télévisées aux heures de forte audience : 29 % de visibilité sur la tranche 18-20 heures, contre 42 % toutes tranches horaires confondues, 27 % des invitées politiques et 37 % des experts sollicités. Quelle sera votre stratégie pour améliorer ces résultats ? En effet, en 2017, l’action du CSA s’est limitée à quatre interventions auprès des chaînes : une lettre simple, une mise en demeure et deux sanctions.

M. Bertrand Bouyx. Comment le CSA envisage-t-il d’assurer la promotion des médias sur l’ensemble de nos territoires ? C’est une question d’équité car vous n’êtes pas sans savoir que certaines de nos communes n’ont pas toujours accès à l’information.

Mme Michèle Léridon. Concernant la présence des femmes dans les médias, j’ai déjà répondu. Je compléterai en rendant hommage au travail de Sylvie Pierre-Brossolette. J’ai réfléchi à ses côtés au sein de différents groupes de travail et instances et suis donc bien placée pour savoir que son action ne s’est pas limitée à une lettre et deux sanctions. Elle a réalisé un important travail de discussion et de persuasion auprès des différents groupes audiovisuels, afin d’améliorer la représentation des femmes au sein des chaînes de télévision.

Le travail doit continuer, y compris auprès des expertes et des femmes politiques elles-mêmes, car elles ont parfois plus de réticences que leurs homologues masculins à s’exprimer et s’interrogent plus sur leur légitimité. Dans le cadre de mes fonctions à l’AFP, j’avais invité des expertes afin de les convaincre de leur légitimité, équivalente à celle de leurs collègues masculins, qui n’ont pas forcément ces préventions !

Vos questions sur la représentativité politique rejoignent celles relatives à l’équité territoriale. Vous avez raison, le regard des médias est sans doute trop parisien. C’est pourquoi nous devons donner plus de place aux informations et programmes régionaux, afin que la diversité des représentants politiques soit plus visible.

Je ne crois pas que les médias médiatisent volontairement certains hommes ou femmes politiques plus que d’autres. Vous connaissez mieux que moi la tradition des Quatre Colonnes. Sans doute certaines personnalités politiques s’y montrent-elles plus que d’autres… Si certaines ou certains d’entre vous estiment qu’ils n’ont pas suffisamment de place dans les médias, je vous invite à le leur faire savoir.

Vous m’avez ensuite interrogée sur les théories du complot. À mon sens, les fake news participent à la manipulation de l’information : l’information diffusée est fausse et, de surcroît, on nous explique qu’on la diffuse parce que les médias nous la cachent… Cette « complotite aiguë » est intrinsèquement liée à la prolifération des fake news.

Il faut soutenir les initiatives qui luttent contre ce phénomène. Ainsi, l’initiative pour la fiabilité de l’information lancée par Reporters sans frontières, et dont l’AFP est partenaire avec l’Union européenne de radio-télévision (UER) et le Global Editors Network, vise à introduire des normes de production journalistique, afin de certifier des médias et de leur ouvrir un certain nombre d’avantages – meilleure visibilité dans les algorithmes, mais aussi auprès des annonceurs, ces derniers étant désireux d’accoler leur nom à des contenus fiables.

Sur le déploiement du DAB+, je vais sortir mon joker car je n’ai pas de réponse. Vous avez raison, on constate une augmentation de la consommation radio en numérique.

Concernant le travail prospectif, le CSA s’en préoccupe déjà. Je le sais car j’ai participé à de nombreuses réunions internationales sur le sujet avec d’autres agences. Les évolutions sont incroyablement rapides : il y a quelques années, on nous expliquait que la consommation de l’information basculait sur internet, puis on nous a parlé des téléphones, des réseaux sociaux – d’abord Facebook, maintenant Snapchat. Les médias tentent d’anticiper ; ils font beaucoup d’efforts pour accompagner cette révolution numérique et continuer à se projeter vers l’avenir.

J’ai évoqué la question du handicap et de la nécessaire amélioration de sa représentation dans la société, qui passe tout à la fois par la hausse du taux d’emploi des personnes handicapées dans les chaînes de télévision et par le renforcement de leur visibilité. Je prends également note de la question de l’accessibilité des programmes : malgré les progrès accomplis, il reste encore du chemin à parcourir.

J’ignore qui étaient les autres candidats déclarés auprès du président de l’Assemblée nationale, mais j’ai en effet participé au débat auquel ont également pris part Léa Salamé de France Inter, des journalistes du Monde et surtout le public, avec lequel nous avons échangé entre autres choses sur les difficultés et incompréhensions survenues au début de la présidence de M. Macron – je pense à la question symbolique de la salle de presse de l’Élysée. Face à l’augmentation du nombre de médias, il a été décidé de remplacer cette salle trop petite par un espace plus grand et fonctionnel, mais la salle en question présentait pour nous l’avantage important d’être située dans la cour de l’Élysée, où les agences de presse peuvent accéder à toute heure du jour et de la nuit. Les échanges avec le public ont été variés : certains étaient d’avis que la presse est trop complaisante, d’autres au contraire – nous étions alors en septembre – estimaient que les médias avaient accordé à l’affaire Benalla une couverture trop importante, voire dangereuse. Ce débat, néanmoins, n’a pas donné lieu à des conclusions ou à des recommandations – ce n’en était d’ailleurs pas l’objet.

Le CSA étant une instance collégiale, il appartient aux membres de s’attribuer les différents dossiers entre eux ; je n’aurai donc pas la prétention d’en revendiquer un dès aujourd’hui. Je me contenterai de dire que j’ai en effet acquis une certaine expérience dans plusieurs domaines – la déontologie, les femmes, la diversité. D’autre part, l’AFP n’est pas un établissement public puisqu’elle possède un statut sui generis, mais elle poursuit une mission d’intérêt général. De ce fait, tout ce qui touche à l’audiovisuel public est susceptible de m’intéresser. Cela étant dit, il est encore trop tôt pour faire acte de candidature en vue de suivre tel ou tel dossier puisque je n’appartiens pas encore au Conseil.

M. le président Bruno Studer. Madame, nous vous remercions. Je vais maintenant suspendre la séance pour vous reconduire. Nous procéderons ensuite au vote sur votre nomination.

*


La commission procède au vote sur cette désignation en application de larticle 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, voici le résultat du scrutin :

– nombre de votants : 53

– nombre de suffrages exprimés : 39

– pour : 36

– contre : 3

La Commission donne en conséquence un avis favorable à la nomination de Mme Michèle Léridon aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel

 

La séance est levée à onze heures vingt.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 janvier à 9 heures 30

Présents. – Mme Aude Amadou, Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Géraldine Bannier, Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Pascal Bois, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Bertrand Bouyx, M. Bernard Brochand, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, Mme Danièle Cazarian, Mme Sylvie Charrière, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Frédérique Dumas, Mme Nadia Essayan, Mme Elsa Faucillon, M. Alexandre Freschi, M. Laurent Garcia, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Florence Granjus, M. Pierre Henriet, Mme Danièle Hérin, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Michel Larive, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Brigitte Liso, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, M. Maxime Minot, Mme Cécile Muschotti, Mme George Pau-Langevin, M. Guillaume Peltier, Mme Maud Petit, Mme Béatrice Piron, Mme Florence Provendier, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Pierre-Alain Raphan, M. Frédéric Reiss, Mme Cécile Rilhac, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Michèle Victory, M. Patrick Vignal, M. Cédric Villani, M. Michel Zumkeller

Excusés. M. Bruno Bilde, Mme Fannette Charvier, Mme Frédérique Meunier, Mme Marie-Pierre Rixain

Assistaient également à la réunion. Mme Ramlati Ali, M. Christophe Bouillon