Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), sur le rapport d’activité du Conseil en 2018              2

– Présences en réunion..................................21


Mardi
18 juin 2019

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 59

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mardi 18 juin 2019

La séance est ouverte à dix-sept heures vingt.

(Présidence de M. Bruno Studer, président de la Commission)

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La commission des affaires culturelles et de léducation procède à laudition de M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), sur le rapport d’activité du Conseil en 2018.

 

M. le président Bruno Studer. J’ai le plaisir d’accueillir M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). L’article 18 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que le CSA publie chaque année un rapport d’activité qui est présenté par son président aux commissions parlementaires compétentes dans le mois suivant sa publication. Le rapport a été adopté le 22 mai dernier en réunion plénière du collège ; nous sommes donc dans les temps. Ce document a été transmis aux commissaires la semaine dernière pour qu’ils en prennent connaissance.

C’est la première fois que notre commission vous entend, monsieur Maistre, en votre qualité de président du CSA, après vous avoir auditionné au sujet du Centre national de la musique puis en tant que candidat à la présidence que vous exercez désormais. Je me réjouis de vous accueillir parmi nous aujourd’hui. Le rendez-vous qui nous réunit chaque année autour du rapport d’activité du CSA donne l’occasion aux commissaires de s’entretenir avec le régulateur de l’audiovisuel sur l’actualité et les perspectives du secteur, et le moins que l’on puisse dire est que, cette année, les sujets de discussion ne manquent pas.

Même s’il est encore trop tôt pour dresser un premier bilan de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, j’aimerais savoir si vous pouvez déjà tirer quelques enseignements de la mission nouvelle que vous a confiée ce texte, notamment dans la perspective du vote prochain de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet. Comment s’est opérée la première étape de la mise en œuvre d’un texte qui vous permet d’adresser des recommandations aux principaux opérateurs ? Vous paraissent-ils réceptifs à cette régulation à laquelle ils ne sont pas habitués ?

M. Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel. C’est une joie pour moi de vous retrouver, cinq mois après que vous m’avez reçu pour émettre votre avis sur ma nomination à la présidence du CSA. Nous avons été très occupés depuis ma prise de fonctions. Je suis accompagné de Guillaume Blanchot, directeur général du Conseil supérieur, et de Yannick Faure, qui dirige mon cabinet. Cette audition me donne l’occasion de vous présenter le rapport annuel, adopté par le collège le 22 mai dernier. Ce rapport, qui rend compte de l’exercice par le CSA de ses missions de régulation, donne aussi de très nombreuses informations sur les moyens mis à sa disposition, afin d’assurer la parfaite information du Parlement et lui permettre d’exercer sa mission de contrôle de cette autorité administrative indépendante.

Le rapport complète l’ensemble des études économiques, des bilans et des avis que le CSA rend chaque année. Il est une dimension de la régulation à laquelle on ne pense pas suffisamment : la production d’analyses objectives sur les évolutions de fond touchant le secteur de l’audiovisuel. Toutes les parties prenantes, dont les pouvoirs publics et ainsi le Parlement, disposent de la sorte des éléments permettant d’objectiver les débats – je pense à la récente publication d’une étude sur les enceintes connectées, une première.

Vous trouverez donc dans ce rapport les faits marquants de l’année 2018 concernant l’activité du CSA, alors présidé par Olivier Schrameck. Sans dresser une liste exhaustive, j’évoquerai en premier lieu l’avancement de certains chantiers de longue haleine. Il y a d’abord le déploiement de la radio numérique terrestre, dite « DAB+ ». Ce mode de diffusion couvre désormais plus de 20 % de la population ; cela enclenche l’obligation prévue par la loi d’inclure la puce qui permet de capter la radio numérique terrestre dans tous les récepteurs, autoradios compris. Le CSA a aussi renouvelé plusieurs conventions de chaînes de la TNT ; ce mouvement s’est poursuivi au cours de cinq derniers mois.

D’autre part, le Conseil supérieur a exercé sa mission de garantie du pluralisme par le suivi de la consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie et par l’élaboration du bilan des derniers scrutins, présidentiel et législatif. Enfin, l’engagement sociétal du régulateur s’est concrétisé par la signature de la charte d’engagement volontaire pour la lutte contre les stéréotypes sexuels, sexistes et sexués dans la publicité, dans le prolongement de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, et par la nouvelle campagne de sensibilisation à la protection du jeune public intitulée Ça nous regarde tous.

Voilà pour l’année écoulée. Cette audition me donne aussi l’occasion de vous faire part, sous forme d’un rapport d’étonnement, si je puis dire, de ce qui m’a frappé dans cette institution qui, vous le savez, fête ses trente ans. L’événement sera marqué par un colloque, demain, à la Maison de la Radio ; il sera ouvert par le ministre de la Culture et clos par le Premier ministre. Vous y êtes bien sûr tous invités. Il est organisé en quatre tables rondes auxquelles de nombreux acteurs importants du secteur prêteront leur concours pour traiter des thématiques auxquelles la régulation sera confrontée dans les années à venir ; je vous remercie, monsieur le président, d’avoir accepté de participer à l’une d’elles.

J’ai été frappé, en premier lieu, de constater combien l’institution est solidement ancrée dans le paysage. Le CSA, très sollicité et très observé, est en quelque sorte un tiers de confiance vers lequel tous les acteurs du monde de l’audiovisuel se tournent spontanément. Cela vaut aussi pour des procédures de règlement de différends comme celle dont nous sommes actuellement saisis dans le cadre du conflit opposant le groupe Altice et le groupe Free pour la distribution des chaînes du groupe Altice. Le Conseil supérieur est une autorité respectée, garante des équilibres d’un secteur en mutation rapide.

Mon deuxième constat est que, même si l’on ne s’en rend pas toujours compte, l’institution s’est beaucoup transformée depuis sa création ; c’est ce qui fait sa force. Le Conseil supérieur a su, de façon pragmatique, s’adapter aux évolutions successives du paysage audiovisuel avec l’intégration à la régulation de nouveaux services, des services non‑hertziens aux services de médias à la demande, pour tenir compte de l’évolution des formats et des usages. Outre que le champ de la régulation s’est étendu, de nouvelles méthodes de régulation ont été déployées au fil du temps par la conclusion de plus d’une douzaine de chartes avec les parties prenantes, autant d’engagements volontaires qui les responsabilisent.

L’évolution de l’institution est aussi illustrée par l’inscription croissante de son action dans le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, l’ERGA. Ce réseau désormais reconnu dans la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), joue un rôle d’expert auprès de la Commission européenne. Je représenterai le CSA lors de l’assemblée plénière de l’ERGA, jeudi et vendredi prochains, à Bratislava.

Le Conseil supérieur est donc une institution fortement ancrée dans le paysage et qui a su évoluer au fil du temps, mais la perception que l’on en a n’est pas toujours celle-là. On nous renvoie souvent aux incidents qui surviennent lors de certaines émissions de télévision, à notre fonction de gardien de la déontologie des programmes et aux saisines qui font l’actualité, en particulier sur les réseaux sociaux, au sujet de propos contestables tenus sur les antennes. Mais la lecture du rapport montre que ces saisines, pour spectaculaires qu’elles soient parfois, ne représentent qu’une part minoritaire de l’activité de l’institution. On aurait tort de réduire la régulation, très large et très lourde – le collège se réunit chaque mercredi, et je suis frappé par le nombre de décisions administratives que nous sommes amenés à prendre, semaine après semaine – à la seule fonction de gardien de la déontologie des programmes et de gestion des incidents défrayant l’actualité. Ce volet de notre activité n’est pas pleinement représentatif de ce que nous sommes : le régulateur. Le CSA met en œuvre tous les instruments de la régulation du secteur : régime d’autorisation et d’utilisation des fréquences, négociation des conventions fixant les obligations qui s’imposent aux opérateurs, contrôle de leur exécution, études et analyses, avec une compétence en matière économique qui s’est fortement renforcée dans le prolongement de la loi de 2013.

Dans ce contexte, l’enjeu, au cours des prochains mois, sera pour le CSA de poursuivre sa mue pour tenir compte des mutations du secteur qui s’amplifient sous l’effet de la transformation numérique caractérisée par l’apparition de nouveaux services de contenu et l’évolution des modèles économiques et des chaînes de valeur. J’ai eu l’occasion d’exprimer mon sentiment sur cette transformation lorsque vous m’avez auditionné en janvier, et je continue de penser que les objectifs de la régulation fixés par le législateur en 1986 sont toujours pertinents.

Au-delà des objectifs économiques, la régulation répond à trois enjeux. L’enjeu démocratique suppose de veiller au respect du pluralisme, à l’expression équitable de tous les courants de pensée et d’opinion. Cette responsabilité permanente ne s’exerce pas seulement en période électorale – sachant que, lors de la période électorale qui s’achève, avec trente‑quatre listes en présence, il nous a fallu répartir le temps de parole des candidats presqu’au centième de seconde, comme dans les compétitions d’athlétisme… À l’heure numérique, l’ambition culturelle, présente depuis l’origine, demeure elle aussi : la France veut toujours préserver un modèle singulier de financement d’une création riche et diversifiée. Le troisième enjeu est celui de la responsabilité sociétale des médias audiovisuels, qui doit se traduire par le respect de la dignité de la personne, la protection de l’enfance et de la jeunesse, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accessibilité aux personnes en situation de handicap, la juste représentation de la diversité de la société française et des territoires métropolitains et d’outre-mer. Ces ambitions demeurent entières.

En revanche, la régulation elle-même est appelée à se transformer, et pour commencer, son champ. Pour être opérante, la régulation doit désormais s’intéresser aux nouveaux acteurs internationaux que sont les plateformes de contenus et les réseaux sociaux. Ce que l’on n’accepte pas depuis longtemps sur les médias audiovisuels traditionnels, qui sont régulés, les opinions publiques l’acceptent de moins en moins sur internet. Les pouvoirs publics en ont pris conscience dans tous les pays, on l’a vu avec l’Appel de Christchurch. Les plateformes elles-mêmes ont, je crois, pris la mesure de l’évolution des opinions publiques à ce sujet. Dans la campagne électorale qui s’amorce aux États-Unis, de nombreux candidats, notamment démocrates, évoquent le démantèlement de ces plateformes, et les entreprises de la presse écrite américaine ont tout récemment appelé le Congrès à une forme de régulation. Elles ont ainsi souligné qu’en distribuant le contenu de l’information tout en monopolisant la publicité, ces opérateurs les étranglent. Le gouvernement britannique a publié un livre blanc sur les contenus haineux, la Commission européenne est en action, le gouvernement australien travaille à une législation en la matière, l’Allemagne a pris des dispositions législatives… Les opinions publiques ont donc pris conscience que la régulation devait aussi s’imposer à internet, même si c’est en prenant des formes différentes de la régulation classique.

Les plateformes ont, me semble-t-il, pris conscience que si elles ne faisaient rien, si elles ne se mettaient pas en phase avec les attentes des opinions publiques, leur modèle d’affaires serait remis en cause, leurs abonnés désertant ; on a vu combien la communication de Facebook s’est modifiée ces derniers mois sur ce plan. Nous nous sommes rendu compte de ces évolutions lors de l’élaboration de la recommandation tendant à la mise en œuvre de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Les modalités de la régulation doivent aussi évoluer. Pour être réaliste, la régulation d’acteurs tels que les plateformes ne peut pas utiliser les mêmes outils que la régulation classique. Il faut élaborer de nouveaux outils, comme l’a montré le rapport de la mission « Régulation des réseaux sociaux ‑ expérimentation Facebook » confiée à M. Benoît Loutrel et à laquelle participait une experte du CSA. Ce rapport, récemment remis au Gouvernement, dessine le schéma d’une régulation plus collaborative, plaçant le régulateur en position de superviseur des dispositifs créés par les acteurs eux-mêmes, comme cela existe de longue date dans le secteur bancaire – ce qui n’exclut évidemment pas une approche plus coercitive quand il le faut.

Ces évolutions ont commencé à devenir opérationnelles avec la nouvelle directive SMA, adoptée fin 2018 et qui devra être transposée dans le projet de loi audiovisuelle. La transposition marquera une étape décisive en intégrant les plateformes de partage de vidéos à la régulation ; surtout, la directive permettra, par dérogation aux règles de l’Union européenne, d’imposer aux plateformes les règles du pays de destination. En l’espèce, les obligations de financement de la création qui s’appliquent dans notre pays aux médias traditionnels s’imposeront demain aux sites de vidéo à la demande comme Netflix, dont le nombre d’abonnés en France est estimé à cinq millions.

Une autre illustration de l’application de la directive SMA réside dans la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, que nous avons mise en œuvre dès ce printemps. Le texte impose aux plateformes de coopérer avec le Conseil supérieur et prévoit qu’il peut leur adresser des recommandations. Le CSA donc sera appelé à élaborer un rapport périodique sur l’exécution, par les plateformes, de leurs obligations. Dans ce cadre, le collège a adopté le 15 mai dernier une série de recommandations qui portent notamment sur les dispositifs de signalement, afin que ceux-ci soient plus accessibles aux utilisateurs de ces plateformes, et donc plus efficaces.

Ces évolutions se poursuivront au cours des prochains mois, d’abord avec la proposition de loi sur la lutte contre les contenus haineux sur internet que votre commission a examinée pour avis sur rapport de Mme Fabienne Colboc. Le texte prévoit de renforcer les obligations de retrait de ces contenus en confiant au CSA la supervision des dispositifs installés par les plateformes et en l’assortissant d’un pouvoir de sanction.

Une autre étape de l’évolution à venir sera le projet de loi audiovisuelle, confirmée la semaine dernière par le Premier ministre dans son discours de politique générale ; ce sera le véhicule de la transposition de la nouvelle directive. Le CSA est très impliqué, au sein de l’ERGA, dans la mise en œuvre de ce texte. Le projet de loi permettra aussi, nous l’espérons, de corriger les imperfections de notre régime de régulation ; de nombreuses réflexions ont été engagées à ce sujet ces derniers mois, notamment au sein de votre commission, et le Conseil supérieur a proposé, l’automne dernier, une série de propositions. Le projet de loi pourrait aussi comporter un volet relatif à un nouveau schéma d’organisation de la régulation. Il faut en effet tendre à une collaboration plus marquée entre les régulateurs : nos interlocuteurs étant souvent les mêmes, nous ne pouvons les approcher en ordre dispersé.

Telles sont les évolutions, passionnantes, dont je souhaitais vous faire part. J’ai grand plaisir à présider cette institution, avec un collège solide et des services particulièrement compétents. L’institution va bien sûr se transformer, mais elle a fait la preuve de sa plasticité, elle a les atouts que lui donnent trente ans de savoir-faire et d’expérience et pourra affronter ces nouveaux défis, comme elle le fait depuis que j’en assume la présidence, avec confiance.

J’en viens, monsieur le président, à la question que vous m’avez posée. La loi relative à la manipulation de l’information nous donne deux attributions particulières. L’une s’exerce en période électorale et nous donne la possibilité d’interrompre le signal détenu par une puissance étrangère qui diffuserait des informations manifestement inexactes de nature à altérer le résultat du scrutin. Nous nous sommes acquittés de cette mission en exerçant une surveillance particulière sur les chaînes qui sont dans cette situation et, comme vous l’avez constaté, nous n’avons pas eu à user de cette faculté.

D’autre part, je l’ai dit, la loi fait obligation aux plateformes de réseaux sociaux de créer des mécanismes de signalement des fausses informations aisément accessibles aux utilisateurs. Le texte dote le CSA d’une double compétence à ce sujet : élaborer des recommandations destinées aux plateformes pour la mise en œuvre de ce texte ; rassembler chaque année les éléments que les plateformes sont tenues de lui communiquer pour expliciter les conditions dans lesquelles elles ont mis en œuvre les dispositions de la loi. Nous nous sommes acquittés de la première partie de cette tâche en élaborant une recommandation qui a été publiée au Journal officiel avant le démarrage de la campagne officielle, ce qui était une gageure étant donné le calendrier de ma prise de fonctions.

Pour ce faire, nous avons organisé un cycle intense d’auditions des plateformes ; ce fut très intéressant et très utile. J’ai été frappé par l’ouverture d’esprit de nos interlocuteurs. Ils n’avaient pas l’habitude d’entrer dans la tour Mirabeau et l’on pouvait penser que pour cette étape nouvelle, beaucoup d’entre eux, qui venaient des États-Unis, appréhenderaient l’approche normative française ; il n’en a rien été. Il faudra, bien sûr, apprécier lors de l’établissement du rapport annuel quel aura été le résultat concret de ces échanges, pour vérifier que l’on ne nous racontait pas seulement une belle histoire. En tout cas, il y a eu une phase de coopération réelle, et au terme de ces auditions nous avons bâti un projet que nous avons soumis au débat public. Nous avons eu des retours mais assez peu de contestations de la part de nos interlocuteurs qui, je crois, ont compris l’intérêt qu’il y a pour eux d’avoir un interlocuteur tel que le CSA, qui gère déjà une liberté publique.

N’oublions pas que le Conseil supérieur a pour première mission d’être le garant de la liberté de communication : c’est l’article premier de la loi de 1986. On parle souvent de la fonction de gendarme du Conseil supérieur, mais la première mission que lui fixe la loi est celle-là. Des interlocuteurs venus des États-Unis imprégnés de la culture du Premier amendement de la Constitution constatent qu’ils s’adressent à un régulateur habitué depuis trente ans à concilier la liberté de communication dont il est le garant et le respect de principes posés par le législateur et qui sont au cœur du pacte républicain français. Je les ai donc trouvés allants et positifs mais, je le redis, nous devrons vérifier que cette affabilité se traduit par des initiatives concrètes de la part des plateformes. Facebook, qui a beaucoup communiqué sur des adaptations de sa plateforme au cours des derniers mois, a largement collaboré à la mission de M. Loutrel, et un responsable important de cette plateforme m’a dit, il y a peu, considérer que le modèle français de régulation peut être l’antichambre d’un modèle de régulation européen. C’est notre ambition et, lors de la prochaine réunion de l’ERGA, je ferai une communication sur les textes que je viens d’évoquer et sur les évolutions qui se dessinent. Je plaiderai en faveur d’un modèle de régulation nouveau et équilibré, qui ne soit ni le modèle chinois étatiste et antidémocratique que l’on connaît, ni le modèle libéral, pour ne pas dire ultra-libéral, des États-Unis, mais une voie équilibrée et modérée, en espérant que la nouvelle Commission européenne œuvrera en ce sens pour dessiner une régulation européenne, puisque beaucoup des questions que nous nous posons ne trouveront de réponses qu’à cet échelon.

M. le président Bruno Studer. Je vous remercie, monsieur le président. La parole est à Mme Kuster, chargée du suivi du CSA pour notre commission ; elle sera ensuite aux autres groupes politiques présents.

Mme Brigitte Kuster. Il vous est revenu la tâche de commenter un bilan qui n’est pas le vôtre ; l’exercice n’est jamais facile même si, comme vous l’avez rappelé, votre action s’inscrit dans la continuité de celle de votre prédécesseur. Le paradoxe de l’époque est que cette continuité est sans cesse percutée par des mutations technologiques. Certains parlent d’une crise de l’audiovisuel traditionnel – mais les crises sont temporaires. La révolution des usages à laquelle nous assistons mène, elle, à un autre monde, aux règles forcément différentes mais où le CSA, qui fête cette année ses trente ans, continue de trouver sa place et voit son périmètre d’action et d’influence croître de manière exponentielle.

On en vient à se demander si, à défaut de trouver des solutions aux problèmes qui se posent à lui, le législateur n’a pas délibérément choisi de se décharger sur le CSA, au risque de lui faire jouer un rôle d’arbitre de la parole politique qui n’est pas le sien et que, j’en suis certaine, il se refuse à jouer – je pense évidemment aux prérogatives que lui a confiées la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Les objectifs assignés par le législateur en 1986 sont plus que jamais d’actualité. Comment assurer une concurrence équitable entre des acteurs traditionnels et des acteurs globaux insaisissables ? Comment garantir le pluralisme, l’égalité des sexes, le respect du public dans un monde numérique qui s’affranchit de la plupart des règles ? Plus fondamentalement encore, comment préserver notre modèle de création, singularité française ? Le CSA est au carrefour de formidables enjeux, ce qui explique pourquoi les pouvoirs publics, à commencer par le Parlement, se tournent vers lui.

Ces enjeux, vous y avez insisté, appellent, à la suite de la directive SMA, des réponses de plus en plus européennes. Mais si la France est à la pointe du combat en Europe pour la rémunération des auteurs ou le financement de la création, de nombreux pays, notamment ceux dont l’industrie audiovisuelle est inexistante ou sinistrée, telle l’Italie, considèrent les plateformes comme une chance plus que comme une menace. Un opérateur qui, comme Netflix, investit 15 milliards d’euros par an dans la création et qui finance massivement des projets locaux offre finalement une alternative à des créateurs qui ne bénéficient d’aucun soutien public dans leur pays. Comment, dans ces conditions, parvenir à une régulation audiovisuelle à l’échelle de l’Union ? N’avez-vous pas le sentiment que la France, en raison précisément de son modèle culturel et des intérêts spécifiques qu’elle défend, est isolée sur la scène européenne et que, de ce fait, son industrie culturelle est plus menacée que jamais ? Est-il possible, comme le propose le ministre, d’imposer aux plateformes des obligations de financement de la création ? Ne faudrait-il pas, parallèlement, soulager d’une partie de leurs obligations les acteurs traditionnels, qui subissent de plein fouet le repli du marché publicitaire ? Comment, en bref, rééquilibrer une relation qui menace manifestement notre modèle audiovisuel ?

Concernant l’audiovisuel public, vous évoquez un équilibre financier encore fragile car il s’appuie sur l’augmentation des ressources publiques depuis 2018. Bien sûr, la donne a changé et vous faites plusieurs préconisations, mais je m’inquiète de savoir si elles seront suivies et ce qu’il en sera si elles ne le sont pas.

Enfin, après l’adoption de la proposition de loi relative à la lutte contre la haine sur internet, le CSA verra très certainement s’accroître encore son périmètre d’intervention dans le champ des libertés publiques. Comment envisagez-vous ces missions nouvelles qui intéressent de près la liberté d’opinion et d’expression ? Comment jugez-vous les craintes d’atteinte à ces principes fondamentaux qui se sont exprimées dans les débats publics et comment comptez-vous leur apporter des réponses convaincantes ?

Mme Aurore Bergé. Votre présentation, Monsieur le président, démontre la capacité du CSA à absorber des compétences nouvelles en phase avec de nouveaux usages et conformes aux objectifs qui lui ont été assignés depuis trente ans. La régulation, dans sa forme actuelle, est inadaptée à un environnement numérique globalisé. Le cadre et ses outils, conçus à l’ère pré-numérique, dans un marché fermé, doivent être réformés en profondeur. Le renforcement de la régulation sera un volet central de la future loi sur la réforme de l’audiovisuel. Des avancées sont en cours sur les attributions du régulateur, et la transposition de la directive SMA aura un impact sur les missions du CSA. Face à l’urgence d’une nouvelle régulation des contenus, des textes anticipent la future loi et renforcent la mission du Conseil supérieur : il en est ainsi de la loi visant à lutter contre la manipulation de l’information ou de la proposition de loi de notre collègue Laëtitia Avia sur la lutte contre la haine sur internet, en cours d’examen.

Le caractère transverse de la régulation dit la nécessité de favoriser la coopération entre le CSA, l’Autorité de la concurrence, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Je pense opportun de rapprocher la HADOPI du CSA. Pour les structures disposant d’une compétence propre plus distincte, il semble important de créer des mécanismes de coopération renforcée, particulièrement entre le CSA et l’ARCEP pour ce qui est de la résolution des conflits. Pourriez-vous préciser votre vision de l’évolution du CSA, qu’il s’agisse de ses attributions ou de son organisation ?

D’autre part, que pensez-vous de la multiplication des strates de normes applicables aux acteurs de l’audiovisuel ? Nous constatons une inflation de renvois pour précisions, transpositions, mises en application. Ainsi, la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias adoptée en 2016 renvoyait les modalités de mise en œuvre au CSA, et le Conseil a, de fait, créé une nouvelle strate de réglementation. Or, la déclinaison et l’empilement des textes brident les acteurs. Je vois une illustration de ce travers dans la retranscription des obligations de financement des chaînes dans les conventions, alors même qu’elles sont établies par décrets. Quelles solutions pourrait-on envisager, dans la future réforme, pour améliorer la prévisibilité et la lisibilité des normes et peut-être assouplir leur cadre ?

M. Maxime Minot. Une transformation radicale des conditions de financement de la création française est en cours, à laquelle les acteurs doivent s’adapter. Nous entendrons demain les auteurs du rapport sur le financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles. Ils proposent d’évaluer précisément les effets de la croissance continue du nombre de films et d’envisager la possibilité de ne plus exiger de sortie en salle pour définir une œuvre de cinéma. Cette évaluation doit être présentée à l’ensemble des financeurs de la production dans le cadre d’une conférence annuelle des financeurs de la production audiovisuelle et cinématographique à laquelle participeraient le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), le CSA, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), les contributeurs du compte de soutien et tous les diffuseurs contribuant au financement des œuvres, ainsi que les organisations professionnelles de la production et de la distribution et les principaux organismes financiers du secteur. Seriez-vous sensible à cette proposition ?

Mme Nadia Essayan. Comme vous l’avez rappelé, la directive SMA et la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information contribueront à une refondation visant à rendre le Conseil plus apte à exercer son activité dans le monde numérique. D’autres textes devraient aussi faire évoluer le rôle du CSA : la proposition de loi de Mme Laëtitia Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet et le projet de loi audiovisuelle, qui devrait largement redéfinir le champ d’intervention de l’institution. Pour le groupe Mouvement Démocrate et apparentés, la régulation de secteur est impérative ; elle répond à des enjeux démocratiques et sociétaux et nous avons dit plusieurs fois notre attachement à un système économique régulé garantissant le respect des règles démocratiques, à commencer par la responsabilité des contenus que l’on publie. Un long chemin reste à parcourir pour faire entrer dans le cadre démocratique l’ensemble des acteurs du secteur. Cette évolution s’imposant, on ne peut écarter la question des moyens qui seront alloués au CSA pour lui permettre de répondre à la multiplicité des demandes et des obligations qui lui seront faites.

Comment envisagez-vous l’évolution de l’Autorité que vous présidez ? Pouvez-vous déjà tirer quelques enseignements de l’application de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, notamment pour ce qui est de la coopération des plateformes, ou est-ce encore trop tôt ? Enfin, les enjeux devant être traités globalement, quelles relations entretenez-vous avec les autres régulateurs européens réunis au sein de l’ERGA ?

Mme Michèle Victory. Nous mesurons la responsabilité toujours plus grande qui est la vôtre et que la proposition de loi en discussion alourdira vraisemblablement encore en confiant au Conseil plus de responsabilités dans le traitement des interdictions de contenus haineux sur internet. La protection de la liberté d’expression et celle du respect du pluralisme de l’information sont deux exigences dont l’équilibre a été à peu près maintenu pendant trente ans ; à l’ère du numérique, il est de plus en plus fragile, et c’est un défi à relever.

La présence des femmes est, globalement, en légère baisse sur les antennes. En dépit de quelques progrès – notamment en ce qui concerne de la proportion d’expertes à la télévision et à la radio –, les femmes sont inexplicablement sous-représentées aux heures de forte audience et la proportion de femmes invitées à des émissions politiques est désespérément faible ; que pensez-vous faire à ce sujet ? Sur un autre plan, la violence est quotidienne et omniprésente dans les séries, les films et les jeux, comme si les scènes de crime étaient devenues un décor inévitable. Les nombreux courriers que nous recevons à ce sujet témoignent d’une inquiétude réelle ; comment agir ? Pour ce qui est enfin de l’accessibilité des programmes aux personnes sourdes et malentendantes, êtes-vous satisfait de la manière dont les chaînes respectent leurs obligations ? Sourds et malentendants réclament un plus large accès aux journaux télévisés, et il semble que nous soyons encore loin de la couverture maximale qui serait à la hauteur de leur juste attente ; comment pensez-vous améliorer la situation ?

M. Michel Larive. À l’automne dernier, le Parlement a adopté une proposition de loi visant à lutter contre la manipulation de l’information qui a considérablement renforcé le pouvoir du CSA. Le Conseil peut désormais suspendre ou mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger en période électorale, ou en tout temps si cette interdiction répond à une nécessité d’ordre public. Le CSA a aussi le pouvoir de refuser une demande de conventionnement faite par une chaîne « si la diffusion du service de radio ou de télévision comporte un risque grave d’atteinte à la dignité de la personne humaine, à la liberté et à la propriété d’autrui, au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, à la protection de l’enfance et de l’adolescence, à la sauvegarde de l’ordre public, aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la Nation […] ». Le texte lui attribue également une nouvelle prérogative : celle de suspendre un média qui porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’un scrutin. Le CSA contribue aussi à la lutte contre la diffusion de fausses informations en adressant des recommandations aux plateformes. Le groupe La France insoumise avait exprimé son opposition à la proposition de loi, considérant que ces nouvelles prérogatives dotent le CSA d’un pouvoir exorbitant et dénonçant le processus de judiciarisation de ses compétences. Les élections européennes étant achevées, pouvez-vous, pour nous permettre d’évaluer la pertinence de vous les avoir attribués, dresser un premier bilan de l’application de vos nouveaux pouvoirs ?

Mme Frédérique Dumas. Certains voudraient supprimer la TNT, trop vite au regard de l’usage qui en est encore fait : les opérateurs de télécommunication essayent de récupérer le plus rapidement possible ces fréquences destinées à la télévision. Or, la TNT est le seul moyen – avec le satellite en complément –, d’assurer et de préserver l’égalité territoriale. À l’échelle européenne, le rapport remis par M. Pascal Lamy à la Commission considère qu’il est nécessaire de sécuriser les fréquences de la TNT jusqu’en 2030. Mais la France connaît encore d’importantes inégalités territoriales d’accès au haut débit et des fractures dans les usages, d’ordre social et culturel. Dans ce contexte, le CSA juge-t-il l’échéance de 2030 raisonnable ?

M. Roch-Olivier Maistre. Mme Kuster a dressé un panorama très juste des mutations à l’œuvre dans notre paysage et souligné combien ces changements venaient percuter les médias traditionnels. Cela dit, le CSA, tout en se projetant dans le numérique, continuera durablement à réguler les médias traditionnels, qui n’ont pas dit leur dernier mot ; ils prennent tous des initiatives pour s’adapter à leur nouvel environnement et ils ont encore toute leur place, à la télévision comme à la radio. Mais ils font face, c’est vrai, à une mutation profonde et votre commission a souligné à la fin de l’année dernière, comme l’a fait l’Autorité de la concurrence, qu’ils affrontent une concurrence totalement déséquilibrée avec des acteurs majeurs étrangers, très puissants technologiquement et financièrement, agissant sur le marché domestique français sans être soumis aux mêmes règles que les acteurs traditionnels ni sur le plan fiscal, ni sur le plan social, ni, surtout, au regard des obligations de financement de la création. Nous devons évidemment tenter de rééquilibrer cette situation.

C’est tout l’enjeu de la directive SMA, qui doit être transposée au plus vite. Dans la foulée de la transposition, nous devons pouvoir attraire ces plateformes dans le champ de la régulation. Tous les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) étrangers sont voués à conclure des conventions avec le CSA et, comme le permet la directive SMA, des obligations de financement et des obligations d’exposition d’œuvres d’origine européenne devront leur être imposées pour rétablir l’équilibre avec les acteurs traditionnels. La taxe dite « YouTube », instaurée il y a quelques années, est fixée à un taux très sensiblement inférieur à celui qui est appliqué aux médias traditionnels. La simple équité fiscale – que le ministre de la Culture a évoquée en indiquant que des propositions à ce sujet figureraient dans le projet de loi de finances pour 2020 – justifie que l’on rééquilibre les plateaux de la balance pour que chacun supporte un fardeau équivalent.

Je ne pense pas que la France soit isolée. Nous avons été à la pointe du combat sur la directive SMA, nous avons réussi à convaincre et l’Union européenne a très nettement marqué sa volonté de défendre son exception culturelle. Elle l’a fait une deuxième fois, dans la foulée de l’adoption de la directive SMA, en adoptant la directive sur le droit d’auteur. Ces signaux très importants me font considérer qu’au contraire les positions que la France a défendues commencent à être partagées. De même, notre position sur la taxation de Google, Apple, Facebook et Amazon – les GAFA – a fait bouger les lignes : de nombreux pays européens étaient alignés sur la position française et même si, en l’espèce, nous n’avons pas réussi à convaincre, vous avez constaté que le débat progresse dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et que l’on s’achemine vers une taxation. Nous défendons traditionnellement les thèmes qui se rapportent à l’exception culturelle qui nous est très chère et pour la préservation de laquelle nous avons toujours mené le combat ; beaucoup de nos grands voisins partagent ces préoccupations.

L’équilibre de l’audiovisuel public est effectivement fragile et je souligne le courage des équipes de ces très belles entreprises au très fort potentiel, qui contribuent de façon majeure à la vie culturelle de notre pays en matière de force de production. Elles sont actuellement dirigées par des femmes qui ont la bravoure d’engager la réforme que l’on avait longtemps hésité à entreprendre ; elles sont à pied d’œuvre, avec des stratégies visionnaires qui prennent en compte un paysage en mutation. Toutes les entreprises audiovisuelles doivent s’adapter à leur environnement, parce que toutes font face à un marché publicitaire très contraint en raison de la concurrence d’internet ; cela vaut aussi pour les entreprises privées, qui cherchent à maîtriser leurs coûts, et il est normal que le service public de l’audiovisuel se projette dans l’avenir. Je salue les efforts menés en ce sens ; ils sont nécessaires pour les finances publiques, mais pas seulement : ces entreprises doivent s’adapter à la mutation des usages qui s’impose à elles.

Pour la lutte contre la diffusion de contenus haineux sur internet, j’attends de savoir ce que le législateur décidera. Le texte, qui sera présenté très prochainement à l’examen de la commission des Lois, a fait l’objet de nombreux amendements. Il y a un souci juridique d’équilibre entre ce qui relève de la compétence du juge judiciaire – le prononcé de l’interdiction – et ce qui peut relever du CSA, autorité administrative indépendante. Ce projet a été élaboré dans le même esprit que la loi relative à la manipulation de l’information, qui impose aux plateformes de déployer des dispositifs et qui confie au Conseil la tâche de vérifier qu’elles les mettent effectivement en œuvre. De la même manière, une fois connues les procédures souhaitées par le législateur, nous nous assurerons que les plateformes les déploient pour éliminer les contenus haineux, soit par l’intervention humaine de modérateurs, soit par des dispositifs d’intelligence artificielle, et nous vérifierons que ces dispositifs fonctionnent effectivement. Et si nous constatons une mauvaise volonté, nous pourrons utiliser le pouvoir de sanction que le législateur voudra bien nous confier.

Le souci de préserver la liberté d’expression, à laquelle personne ne souhaite porter atteinte ; la capacité du juge judiciaire de se prononcer sur des contenus et d’ordonner leur retrait dans des délais très brefs ; la faculté qui serait conférée à une autorité administrative de superviser les procédures instituées par les plateformes pour éliminer ces contenus : voilà qui doit définir le juste équilibre répondant à l’attente de l’opinion publique. La consultation des réseaux sociaux laisse effaré tant sidère la violence des propos – haineux, racistes, antisémites, homophobes… – qui s’y déversent. L’opinion publique souhaite légitimement qu’ils soient retirés rapidement sans que cela remette en cause une liberté fondamentale. Mme Laetitia Avia cherche à trouver le point d’équilibre.

La régulation doit en effet évoluer et son périmètre s’élargir, pour les raisons dites. Nous continuerons de réguler durablement les médias traditionnels selon les modalités en vigueur mais l’approche à l’égard des réseaux sociaux sera sensiblement différente, je l’ai indiqué. Sont donc à venir l’extension du champ de la régulation, l’évolution de ses modalités et probablement aussi l’évolution de l’organisation de la régulation : les autorités régulatrices traitant de nombreux sujets qui ont un caractère transverse, leurs relations devront se renforcer. Cela peut se faire de diverses manières.

La plus simple est une collaboration volontaire, ce que nous faisons très bien dans la conduite des études – ainsi, l’étude sur les enceintes connectées a été menée par le CSA et la HADOPI avec le concours de l’ARCEP et de l’Autorité de la concurrence, et nous l’avons présentée ensemble. Il faut aller plus loin, et l’on peut passer à une collaboration renforcée à un degré supérieur sur le plan institutionnel. Comme je vous l’ai dit en janvier – mais la décision appartiendra au Gouvernement et au Parlement –, je pense que l’ARCEP et le CSA ont des champs de régulation différents : la régulation par l’ARCEP, liée au départ à l’ouverture du marché des télécommunications et qui a évolué ensuite, est d’ordre plutôt économique, celle qui incombe au CSA porte sur les contenus. Cependant, leur forte spécificité n’interdit pas d’organiser une collaboration. Des propositions séduisantes ont été avancées, par exemple qu’un membre du collège du CSA siège au collège de l’ARCEP et vice-versa. C’est une idée intéressante pour acculturer les deux entités en donnant à chacun des collèges des réflexes qu’il n’a peut-être pas spontanément. Outre les études conjointes, on peut envisager des collaborations dans le contrôle que nous serons amenés à opérer sur les plateformes numériques.

D’autre part, notre relation avec la CNIL devra s’intensifier. Toutes les plateformes numériques et tous les fournisseurs d’accès à internet gèrent un nombre d’abonnés très élevé ; or, le droit à la protection des données personnelles et les attentes de ces opérateurs de l’audiovisuel sont en opposition ou du moins en tension. Les acteurs du numérique vivant essentiellement de l’utilisation des données qu’ils collectent, des problèmes de droits se poseront certainement de façon croissante dans les années qui viennent. Pour cette raison, le renforcement de la collaboration entre le CSA et la CNIL me semble importante. Il en va de même pour l’Autorité de la concurrence, avec laquelle nous entretenons un dialogue étroit, riche et efficace sur les questions de concentration.

Vous avez évoqué le millefeuille à la française, l’accumulation de strates de normes dont nous nous sommes fait une spécialité puisqu’en France, un « choc de simplification » se traduit généralement par une norme supplémentaire. Oui, nous devons simplifier notre dispositif trop raffiné et trop lourd parce qu’il est le fruit d’une histoire et tendre vers une approche telle que la loi fixe les principes et les orientations, les décrets précisent les normes minimales utiles pour atteindre ces objectifs, une souplesse accrue permettant ensuite au régulateur d’exercer une fonction élargie en le dotant d’une capacité de négociation, de régulation au sens propre du terme, qui se déclinera dans des conventions. Celles-ci peuvent certainement être allégées : même si un effort de simplification a été fait, elles demeurent très denses parce qu’y sont repris le texte des obligations légales et règlementaires.

Le CSA est tout à fait disposé à participer à la rencontre évoquée par M. Minot. Pour les films, de nombreux sujets sont sur la table, à commencer par la réglementation des jours interdits, à mes yeux obsolète à l’heure des plateformes. Il y a aussi celle de la publicité ; les choses doivent probablement évoluer pour redonner quelques ressources aux acteurs du secteur. Mais, dans un marché publicitaire contraint, cela doit être fait de manière pondérée et prudente, avec des études d’impact sérieuses et des expérimentations, pour être sûr de ne pas déséquilibrer les radios et la presse écrite, pour lesquelles la ressource publicitaire est importante. Le CSA est tout disposé à participer à ces dispositifs, qu’il s’agisse des relations entre producteurs et diffuseurs ou de la chronologie des médias. Parce que nous contrôlons le respect des obligations de financement qui pèsent sur les acteurs traditionnels, il est important que nous soyons présents dans les négociations entre les acteurs dans le rôle de tiers de confiance. C’est utile à tous.

L’extension du champ de compétence du CSA nous conduira à adapter notre organisation. Le directeur général et ses équipes commencent à y travailler, à apprécier s’il convient d’ajuster notre organigramme et par exemple l’intitulé de nos directions. La question des ressources pourra se poser. L’application de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information ne nous a pas, à ce stade, fait exprimer la demande de besoins supplémentaires. Le collège a procédé à d’assez nombreuses auditions, puis les services ont préparé un projet de recommandation qui a été soumis aux différents acteurs et nous rédigerons un rapport annuel. La surcharge de travail n’est pas massive.

Il n’en sera probablement pas de même pour la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet et il n’est donc pas exclu, monsieur le président, qu’en fonction du texte qui sera adopté, le CSA demande au Parlement de l’aider à exercer les missions supplémentaires qu’il lui confie.

Je pense avoir répondu dans mon propos liminaire au sujet du caractère coopératif des plateformes.

Nous tenons une place centrale parmi les régulateurs européens. Nous allons défendre activement des positions conformes à la tradition française de l’exception culturelle et je pense que nous avons une écoute solide. Comme au sein de l’Union européenne, on trouve au sein de l’ERGA un groupe central actif – le régulateur français, le régulateur allemand et le régulateur belge notamment – dont les membres ont des approches assez homogènes. Il nous revient de faire preuve de pédagogie pour convaincre les autres et singulièrement le régulateur irlandais qui va jouer un rôle important, puisque l’Irlande héberge des acteurs très puissants.

J’attache une très grande importance à la juste représentation des femmes dans le paysage audiovisuel français, dont un baromètre nous permet de suivre l’évolution annuelle. Même si les choses ont heureusement progressé, il montre que les femmes restent sous‑représentées. Le baromètre nous permet d’établir des constats objectifs opposables aux responsables des entreprises considérées pour les mettre devant leurs responsabilités
– entreprises qui, comme toutes les entreprises de France, sont aussi soumises à cette demande légitime en interne. Nous avons la chance que l’audiovisuel public soit présidé par quatre femmes, Mmes Ernotte, Cayla, Saragosse et Veil, qui ont donc une sensibilité particulière en la matière. Cependant, nous avons encore du chemin à parcourir, et nous nous y attacherons. Ce chantier est suivi au sein du notre collège par une de nos collègues dont la détermination est entière.

Nous sommes très vigilants au sujet de la violence sur les écrans. Nous instruisons les demandes à chaque fois que nous sommes saisis et adressons aux responsables des mises en garde et parfois des mises en demeure quand l’un des principes posés par la loi est violé.

Nous finalisons une nouvelle charte relative aux personnes en situation de handicap ; elle sera probablement signée à l’automne lors d’une réunion que présidera le Président de la République. Il est vrai que pour les personnes sourdes et malentendantes, des progrès sont nécessaires, notamment pour les émissions d’information ; à cette fin, nous avons engagé un dialogue ces dernières semaines avec les chaînes.

Le rapport que nous établirons en fin d’année dressera le bilan de l’application de la loi relative à la lutte contre la manipulation de la formation. Nous demanderons des comptes aux plateformes, sur la base de la recommandation que nous avons publiée avant les élections européennes, et nous irons contrôler autant que possible sur pièces et sur place, comme on dit à la Cour des comptes, pour nous assurer que ce que l’on nous dit vaut argent sonnant et trébuchant. Ce rapport, qui sera évidemment communiqué au Parlement, nous permettra, à vous comme à nous, de déterminer les améliorations possibles.

Il faut, en effet, défendre la TNT, qui est pour beaucoup de nos concitoyens le seul vecteur d’accès gratuit à une offre d’images élargie. Étant donné les inégalités territoriales persistantes en matière de haut débit, le taux d’écoute par le canal de la TNT est encore très significatif. Le transfert de cette bande de fréquences au secteur des télécommunications est prévu, en principe, en 2030, mais un rendez-vous intermédiaire doit avoir lieu en 2025 pour analyser la situation. La décision n’est pas technique mais politique : aussi longtemps que les Français ont accès à ces chaînes de télévision par le biais de la TNT dans une proportion importante, on ne peut évidemment les pénaliser en y mettant un terme. L’échéance de 2025 permettra de dresser l’état des lieux. Il est vrai que l’utilisation de la TNT décline, mais ce déclin n’a rien d’une chute verticale ; il faudra donc observer l’évolution de cet usage. Dans l’intervalle, le CSA défend la modernisation de la plateforme TNT avec le passage à l’ultra haute définition qui offre une qualité d’image spectaculaire, notamment pour les événements sportifs. Nous souhaitons lancer une expérimentation en grandeur réelle dans la perspective des Jeux olympiques de 2024.

M. Raphaël Gérard. Monsieur le président, à l’aube des débats parlementaires sur le projet de loi de bioéthique, je dois vous dire mon étonnement du traitement par les médias de la question de l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Alors qu’un sondage du journal La Croix montre que 65 % des Français y sont favorables, je suis frappé par la saturation de l’espace médiatique par la voix des opposants les plus dogmatiques, tels ceux de La Manif pour tous, qui ne sont ni représentatifs de la diversité des points de vue ni au fait de la complexité technique du sujet, notamment de la réforme de l’établissement des règles de filiation. Ainsi, après que, dans son discours de politique générale, le Premier ministre a confirmé l’engagement pris par le Gouvernement d’ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, j’ai dénombré pas moins de six interventions de Mme Ludovine de La Rochère dans les médias les 12 et 13 juin. Ce constat pose évidemment la question de la responsabilité des médias car, à l’inverse, on n’entend pas la voix des premières concernées, lesbiennes ou femmes célibataires ; pour que l’on comprenne tous les termes du débat, leur histoire doit pourtant être racontée et leurs sentiments exprimés. La loi du 30 septembre 1986 prévoit que le CSA doit faire respecter l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale. De quels outils disposez-vous pour mesurer, quantitativement et qualitativement, le traitement médiatique d’un sujet de société aussi primordial que la PMA pour éviter toute tentation d’instrumentalisation de l’information à des fins politiques ou sensationnalistes ?

Mme Frédérique Meunier. Depuis 2016, en raison de la multiplication des programmes courts, on assiste au glissement progressif des horaires de diffusion des programmes de première partie de soirée. Les programmes télévisés en prime time débutent de plus en plus tard, parfois à vingt-et-une heures quinze ; c’est très déplaisant, entre autres, pour les personnes âgées. Saisi par des téléspectateurs mécontents, le CSA a lancé une concertation avec les chaînes. Quel en est calendrier et quelles sont vos pistes de réflexion ?

M. Roch-Olivier Maistre. Nous assurons le contrôle du pluralisme politique, hors période électorale comme en période électorale. Hors période électorale, les chaînes sont tenues de nous remettre tous les mois les chiffres des émissions à caractère politique diffusées sur leurs antennes ; nous apprécions l’équilibre du pluralisme politique sur une base trimestrielle, pour laisser aux chaînes qui font peu d’émissions politiques le temps d’équilibrer l’expression pluraliste sur cette durée. La règle est qu’un tiers du temps de parole est réservé à l’exécutif – Président de la République et ses collaborateurs, Gouvernement – et le temps restant aux autres formations politiques en proportion de leur représentativité. En période électorale, les contraintes sont plus fortes ; on impose aux chaînes le respect de l’équité de traitement des candidatures dans la campagne officielle, qui est organisée par le CSA.

En réalité, votre question ne porte pas sur le pluralisme mais sur le traitement équitable d’une information. Toutes les chaînes sont tenues de respecter les obligations déontologiques déclinées dans les conventions que nous concluons avec elles, et en particulier de faire une présentation juste et équilibré de l’information, ce que nous vérifions à chaque fois que nous sommes saisis, comme c’est le cas pour les questions de société du type de celle que vous avez évoquée. Nous visionnons les programmes et nous vérifions si le point de vue de toutes les parties a bien été exposé pour éviter une présentation monocolore. Je n’ai pas visionné moi-même le programme que vous avez mentionné, mais si nous sommes saisis de cette question, nous vérifierons que les points de vue ont été traités de façon équitable ; si ce n’est pas le cas, nous rappellerons la chaîne à ses obligations et, le cas échéant, nous la mettrons en demeure de respecter les obligations légales qui lui incombent.

Nous avons constaté la dérive des horaires de programmes en soirée. C’est un sujet d’irritation récurrent pour les téléspectateurs, qui nous en font part régulièrement, qu’un programme censé débuter à vingt heures trente commence à vingt-et-une heures quinze. Aussi avons-nous fait venir toutes les chaînes pour les sensibiliser à nouveau à cette question. Le dialogue s’est bien passé ; beaucoup de chaînes font valoir que la problématique n’est plus tout à fait la même depuis le très fort développement du replay, qui permet de voir tous les programmes au moment de son choix, cette fonction de rediffusion à la demande étant accessible sur les téléviseurs. C’est vrai… mais en même temps, ce n’est pas vrai. Quand on annonce qu’un programme commencera à une heure donnée, c’est à cette heure qu’il doit commencer. Les chaînes nous ont assuré qu’elles feraient des efforts ; un nouveau rendez‑vous aura lieu à l’automne pour voir si les choses ont effectivement progressé. J’espère que les engagements pris seront respectés ; nous ne baisserons pas les bras.

M. Pascal Bois. De nombreux chantiers ont été lancés l’année dernière, dont certains me tiennent particulièrement à cœur, comme la lutte contre les stéréotypes dans la publicité et la poursuite du déploiement de la radio numérique terrestre par exemple. L’année 2018 a aussi été celle de l’application de nouvelles règles relatives au pluralisme politique hors campagne électorale ; à ce sujet, quel est votre sentiment sur les multiples retransmissions des manifestations du mouvement des Gilets jaunes sur les chaînes d’information en continu ? Je respecte ce mouvement mais je regrette que certains choix éditoriaux aient eu pour effet d’occulter certaines manifestations qui se déroulaient au même moment en faveur de l’environnement ou de lutte contre le sexisme ; elles ont été passées sous silence en dépit d’une participation dense.

D’autre part, le CSA doit contrôler le respect de l’obligation de diffuser de la musique française à la radio. Quelles sont vos premières conclusions sur l’application, récente, de nouvelles règles permettant de moduler cette obligation par un dispositif de bonus‑malus ? J’ai lu dans votre rapport annuel que vos contrôles s’étaient diversifiés et amplifiés sans pour autant être exhaustifs ; envisagez-vous qu’ils concernent un jour l’ensemble des stations, ou, au minimum, s’élargissent encore ?

M. Roch-Olivier Maistre. Le respect du pluralisme, très bien assuré en France, est l’une des réussites de la régulation depuis trente ans. Cela représente beaucoup de travail pour les rédactions des médias mais elles sont rompues à l’exercice et dialoguent régulièrement avec les services du CSA pour bien adapter le dispositif. Lors des élections européennes, nous n’avons constaté aucune anomalie. Nous procéderons néanmoins à un retour d’expérience ; nous recevrons toutes les rédactions pour tirer les enseignements de cette séquence avec elles, et aussi les formations politiques, probablement à l’automne, pour faire le point avant que ne s’ouvre la campagne des élections municipales.

Je partage votre point de vue au sujet de la diffusion des informations relatives au mouvement des Gilets jaunes. Il est vrai que c’est un phénomène inédit par sa nature, sa forme, son absence d’organisation, et les chaînes, notamment les chaînes d’information en continu, ont cherché la bonne manière de traiter ces événements avec un effet grossissant incontestable, notamment au cours des premières semaines. Mon prédécesseur a reçu les chaînes, non pour exercer une tutelle qui n’aurait pas lieu d’être et qui n’entre pas dans les attributions du CSA mais pour favoriser un partage d’expériences entre les chaînes au regard de cet événement et de mettre en valeur les bonnes pratiques, la meilleure façon d’adapter le dispositif de couverture. Toutes les rédactions de ces chaînes ont elles-mêmes ouvert le débat en interne avec leurs responsables parce que, comme vous le savez, de nombreux journalistes ont été agressés durant ces événements. Cela a conduit les rédactions à se mettre en question et à interroger leurs entreprises sur la manière dont ces événements étaient couverts et, outre que le mouvement a évolué dans le temps, les formats se sont progressivement adaptés.

Le fait que quatre chaînes d’information continue soient en concurrence frontale sur un marché publicitaire qui est ce qu’il est – les deux chaînes privées concurrentes de BFM étant en perte sur ce segment – crée une compétition incontestable, d’autant que l’audience se mesure de façon presque instantanée. Il y a donc une éditorialisation de la diffusion pour s’adapter en temps réel aux audiences ; cela amplifie fortement ces phénomènes et l’on voit à quelle vitesse un événement chasse l’autre. Mais il faut respecter le principe de la liberté éditoriale, dont le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il est un élément consubstantiel de la vie démocratique. Les chaînes d’information continue ont leur liberté éditoriale dont il faut tenir compte aussi longtemps qu’elles ne transgressent pas frontalement l’un des principes posés par le législateur.

Les règles relatives aux quotas de musique française diffusée sur les ondes sont particulièrement sophistiquées : tout est dans la loi, et beaucoup est dans la loi. C’est pour nous un chapitre de contrôle très important en quantité : c’est un gros travail de vérifier que toutes les radios, si nombreuses dans notre pays, respectent leurs obligations, notamment celles du dispositif de bonus-malus. Nous procédons évidemment à ces contrôles, qui font partie de nos missions, en proportionnant nos efforts aux enjeux : nous suivons certains acteurs plus précisément et plus continûment que d’autres, même si tout le monde est susceptible d’être contrôlé par le CSA. Nous disposons désormais du recul suffisant pour faire des évaluations. Nous travaillons en ce moment sur le dispositif dit de malus, et nous devrions avoir au courant de l’année les éléments permettant de mesurer si cette règle porte ses fruits. Nous avons adressé des courriers de mise en garde, et des procédures de sanction sont actuellement à l’instruction. Comme vous le savez, elles passent par un rapporteur indépendant ; la mécanique est donc enclenchée, et nous serons probablement amenés à prononcer dans quelques jours des sanctions au titre du non-respect de ces quotas, qui participent de la défense de la musique et de la chanson françaises. Mais ces dispositifs, qui jouent un rôle important, sont compliqués ; ils devraient probablement être réévalués à l’ère des plateformes de streaming qui ne sont soumises ni à régulation ni à obligations.

M. Régis Juanico. Je remercie le CSA d’avoir renouvelé, en février dernier, l’opération « Sport au féminin toujours », en espérant que ce temps fort de médiatisation du sport féminin se poursuive tout au long de l’année et non le seul temps d’un week-end. Les très bonnes audiences réalisées lors des trois premiers matches de la Coupe du monde féminine de football, avec dix millions de téléspectateurs pour chaque match, devraient finir de convaincre les rédactions les plus réticentes. Les proportions de retransmission de compétitions sportives féminines dans les médias audiovisuels, qui plafonnaient encore entre 14 % et 18 % en 2017, montrent le chemin qu’il reste à parcourir. Outre cela, certaines disciplines, tel le volley-ball, ont disparu des écrans. Une consultation publique vient d’avoir lieu sur les événements d’importance majeure, ceux qui sont retransmis gratuitement à la télévision ; la liste établie dans le décret de 2004 va-t-elle évoluer ? Dans un autre registre, avez-vous constaté une hausse de la diffusion de messages publicitaires des opérateurs de jeux d’argent et de hasard pendant les retransmissions de manifestations sportives ces derniers mois ? Enfin, que le CSA prévoit-il de faire pour lutter contre le piratage des programmes sportifs ?

M. Roch-Olivier Maistre. C’est une fierté pour le CSA de mener le combat en faveur de la médiatisation du sport féminin. Le jour même de ma prise de fonctions, j’ai eu le plaisir de faire une conférence de presse avec la ministre des Sports et la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes sur notre opération « Sport au féminin toujours », qui a connu un très grand succès cette année. Effectivement, le taux d’audience de TF1 pour la Coupe du monde féminine de football montre que ce mouvement est bien lancé.

Pour les événements d’importance majeure, nous avons participé à l’enquête lancée par le Gouvernement. Je pense que l’on se dirige vers l’élargissement de la liste, mais les arbitrages ne sont pas encore rendus ; nous serons saisis du projet de décret.

Je n’ai pas de chiffres à vous donner sur la diffusion de messages publicitaires durant cette période ; si nous disposons d’éléments à ce sujet, nous vous les communiquerons.

Le piratage des programmes sportifs, sujet majeur, est corrélé à l’augmentation des droits sportifs : plus les droits augmentent, plus les compétitions passent sur les chaînes payantes, auxquelles tout le monde n’est pas abonné. La tentation est alors forte de basculer dans le piratage – les chiffres de la HADOPI sont très parlants. Aussi, dans le cadre du projet de loi à venir et des réflexions en cours sur la réorganisation de la régulation et l’éventuelle fusion du CSA et de la HADOPI, il a été décidé de renforcer le dispositif législatif de lutte contre les plateformes de streaming qui permettent le piratage.

Mme Florence Provendier. Un mot sur la campagne annuelle de sensibilisation à la signalétique « jeunesse » diffusée par les chaînes de télévision pendant trois semaines en fin d’année. La campagne 2018, intitulée « Ça nous regarde tous », qui mettait en scène des enfants partageant les sentiments qu’ils éprouvent devant des images choquantes à la télévision sans oser en parler à leurs parents, a été, semble-t-il, une vraie réussite. Mais trois semaines suffisant-elles à sensibiliser les enfants à cette signalétique et à la faire prendre au sérieux par les parents ? Envisagez-vous des actions visant à protéger les enfants de contenus inadaptés, en impliquant éventuellement des enfants dans cette réflexion ?

Mme Emmanuelle Anthoine. Le CSA a une mission de protection du jeune public, dont la sensibilité peut être heurtée par les images auxquelles il est exposé. Vous avez constaté, en 2018, plusieurs manquements aux règles de protection des mineurs, à la télévision comme à la radio. Comment prévenir ces manquements ? Y aurait-il matière à renforcer le régime de sanctions prévu en de tels cas ?

M. Gaël Le Bohec. Dans la même ligne, des systèmes de verrouillage de certains contenus en amont ne faciliteraient-ils pas votre travail ? Quels sont les liens entre le CSA et le monde de l’éducation ? Contribuerez-vous aux travaux lancés par M. le secrétaire d’État Adrien Taquet sur la protection de l’enfance ?

Mme Cathy Racon-Bouzon. S’agissant toujours de la protection des mineurs, le CSA a proposé l’année dernière d’étendre aux nouveaux acteurs les bonnes pratiques développées en matière d’information du public, par l’organisation de campagnes de sensibilisation à l’impact des images et à l’usage des écrans, et donc de généraliser les mécanismes de contrôle parental sur tous les terminaux – téléviseurs, ordinateurs, smartphones et tablettes. Où en est-on ?

M. Roch-Olivier Maistre. La protection de la jeunesse est l’une des missions fondamentales du CSA. Notre action à ce sujet est ancienne, et c’est un autre des domaines dans lesquels la régulation a permis de faire bouger les lignes. La bonne réponse est celle d’un continuum allant des familles aux opérateurs, en passant par l’école. Les familles ont évidemment une responsabilité majeure dans l’éducation de leurs enfants et dans la façon dont elles gèrent les écrans – et l’on sait combien cette tâche est parfois difficile pour les parents, surtout en présence d’adolescents.

Peu de temps après ma prise de fonctions, je me suis entretenu avec le ministre de l’Éducation nationale de l’éducation à l’image. Dans cet important volet de notre mission, nos initiatives sont peut-être trop dispersées, et nous devons parvenir à mieux solidariser nos efforts ; nous en avons parlé il y a peu de temps. L’organisation du CSA est en partie décentralisée : il existe dans chaque région française un mini-CSA qui a pour nom Comité territorial de l’audiovisuel (CTA), avec un collège et des services. J’ai dit à leurs présidents que nous devrions reprendre des initiatives avec les rectorats et les opérateurs médias de la zone – chaînes de radios et de télévision de service public comme médias privés – en matière d’éducation aux médias, domaine dans lequel des progrès sont incontestablement nécessaires. La sensibilisation sur les écrans se traduit par la campagne que nous promouvons chaque année. Peut-être la durée de trois semaines est-elle trop courte, et peut-être pourrait-on imaginer une périodicité différente. C’est un sujet que l’on peut probablement évoquer avec les diffuseurs. Je crois au principe de responsabilité : nous avons face à nous des médias installés dans le paysage depuis longtemps, dont les dirigeants sont des gens responsables et donc à l’écoute quand on les sensibilise à des sujets de cette importance. Il n’empêche que le volet répressif doit être utilisé de temps à autre. La peur du gendarme a aussi des vertus, et si nous sommes confrontés à des situations inacceptables, nous utiliserons sans hésiter l’arsenal dont nous disposons.

L’idée de généraliser le contrôle parental sur toutes les plateformes n’a pas beaucoup progressé pour l’instant ; nous devons donc faire des efforts en ce sens. Enfin, j’ai entendu l’invitation qui m’a été faite de me rapprocher de M. Adrien Taquet, et je n’y manquerai pas. La protection de la jeunesse est un sujet de grande importance que nous suivons de près ; au sein du collège, une de nos collègues particulièrement sensible à ces sujets est à l’initiative, et je pense que nous allons franchir de nouvelles étapes ; c’est en tout cas notre ambition.

Mme Danièle Hérin. Les priorités en matière de régulation de vos homologues européens réunis au sein de l’ERGA sont-elles différentes de celles de la France ?

Mme Bénédicte Pételle. Comme l’indique votre rapport d’activité pour 2018, le CSA se préoccupe de la représentation de la diversité de la société française dans les médias. Cet engagement s’est traduit par la création en 2009 du baromètre de la diversité, qui mesure la perception de cette représentation à la télévision. Les critères indexés sont la catégorie socioprofessionnelle, le sexe, l’origine perçue, le handicap, l’âge, la précarité et, désormais, le lieu de résidence. Or, les résultats de la vague 2018 font constater la quasi-absence des personnes en situation de précarité à l’écran : le nombre de personnes perçues comme étant en situation de précarité ne s’élève qu’à 0,7 %, alors que, selon l’Observatoire des inégalités, 6 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2018. Que fera le CSA pour favoriser l’expression réelle de la diversité de notre société à la télévision avec la représentation de la population concernée ? D’autre part, le Conseil envisage-t-il une réflexion visant à favoriser une représentation constructive des initiatives solidaires ?

M. Yannick Kerlogot. Ma question porte aussi sur la responsabilité des médias audiovisuels en matière de cohésion sociale et de promotion de l’égalité. Le baromètre de la diversité inclut un nouveau critère, celui du lieu de résidence, et la vague 2018 montre que les quartiers périphériques sont sous-représentés sur nos écrans. Pour la sixième année consécutive, vous avez été à l’origine d’un message diffusé à l’occasion de la Fête nationale pour promouvoir la diversité des origines. Le CSA ne peut-il faire encore évoluer le baromètre de la diversité pour tenir compte aussi de l’usage des langues de France, langues régionales et langues parlées dans la société française, l’arabe en premier lieu ? Je pense que nous serons d’accord pour dire qu’aucune langue ou culture ne peut survivre dans une société sans la possibilité d’une expression de création audiovisuelle. Quel est votre avis sur le principe de discrimination positive ? Des télévisions entièrement en langue régionale sous convention avec le CSA sont soutenues par les collectivités locales. Opérant dans une logique d’offre complémentaire, elles font preuve de leur efficacité en termes de diffusion et de création, mais la demande de programmes concerne majoritairement des programmes de flux – magazines de plateaux, reportages, programmes pour la jeunesse – alors que le système de soutien français est majoritairement tourné vers des programmes de stocks – cinéma, téléfilms, documentaires. Certains préconisent la création d’un fonds de financement spécifique privilégiant la production de programmes de flux pour les télévisions en langue régionale dont le public est toujours croissant ; qu’en pensez-vous ?

M. Roch-Olivier Maistre. La directive SMA consacre le rôle de l’ERGA, réseau des régulateurs européens, et aussi un modèle de régulation qui est d’une certaine façon le modèle français, puisque la directive exige que les régulateurs soient des régulateurs indépendants comme l’est le CSA. Dans certains pays, le régulateur est encore un département d’administration centrale ; tous vont désormais se conformer à un modèle identique à celui que nous avons adopté il y a trente ans. Comme je vous l’ai dit, il y a au sein de l’ERGA un bloc plus actif, un peu comme le couple franco-allemand a un rôle central dans le fonctionnement de l’Union européenne ; j’ai parlé de nos homologues allemands et de nos amis belges et l’on peut citer également les Italiens. Tous constituent une force de proposition et président des groupes de travail ; nous-mêmes présidons actuellement un groupe de travail sur l’évolution du fonctionnement futur de l’ERGA. Je pense que notre directeur général, qui a assisté à plus de réunions de l’ERGA que moi par le passé, ne me contredira pas si je dis qu’il n’y a pas d’oppositions entre les régulateurs.

M. Guillaume Blanchot, directeur général du CSA. Il y a des sensibilités nationales, et l’on sait que la France a historiquement défendu l’exception culturelle. Cette orientation n’était pas nécessairement partagée, sinon dans son principe en tout cas dans son ampleur, par d’autres pays. Mais les exigences liées à la mise en œuvre de la directive SMA contribuent à unir ou, à tout le moins, à rendre plus homogène la vision des régulateurs européens, qui devront travailler bien davantage entre eux qu’auparavant pour que le texte s’applique de façon cohérente aux nouveaux opérateurs ; l’enjeu est essentiel et nous y travaillons beaucoup.

M. Roch-Olivier Maistre. À propos de la juste représentation de la diversité de la société française, notre action centrale est le baromètre que nous publions chaque année. Vous l’avez relevé : pour la représentation de la précarité, des marges de progression sont possibles. Que comptons-nous faire ? Nous poursuivrons la publication de notre baromètre pour dire les choses, dénoncer et faire honte – c’est la pratique du name and shame : un coup de projecteur est donné, les médias suivent cela de très près et les chaînes sont interpellées. Lorsque vous m’avez auditionné en janvier dernier, je vous ai dit que je gardais le vif souvenir d’une réunion organisée au début des années 2000, alors que j’étais à la présidence de la République. Le Président de l’époque avait réuni pour la première fois tous les patrons de chaînes pour leur signifier que la réalité de la société française n’était pas celle qu’ils donnaient à voir. Des progrès ont eu lieu depuis lors, mais le baromètre montre qu’il reste du chemin à parcourir. Nous poursuivrons dans cette voie, à partir de ce baromètre, en sensibilisant les chaînes chaque année.

Enfin, il est bon de rappeler notre rôle en matière de cohésion sociale. La cohésion sociale, c’est la juste représentation de la diversité de la société française et aussi de ses territoires dans leurs singularités, dont les langues régionales font partie. Vous savez que la loi Toubon comporte une exception au principe constitutionnel qui donne à la langue française une place centrale dans notre architecture institutionnelle, en laissant un espace pour les langues régionales. Le cahier des charges des sociétés nationales de programme leur laisse cette possibilité, et France Bleu comme France 3 en usent largement. Les collectivités locales soutiennent et encouragent des initiatives en la matière, ce que l’on ne peut que saluer. Faut-il créer un fonds spécifique destiné à financer des programmes de flux ? C’est une revendication générale des producteurs de ces émissions. Notre mode de financement de la création porte essentiellement sur le cinéma et la production audiovisuelle, notamment de fiction ; c’est un modèle culturel. Je ne suis pas sûr d’être le mieux placé pour envisager la création d’un fonds supplémentaire ; la question pourrait être utilement posée au ministre de la Culture lors d’une prochaine audition.

M. le président Bruno Studer. Monsieur le président, je vous remercie.

 

 

 

 

La séance est levée à dix-neuf heures dix.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 17 heures

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Stéphanie Atger, Mme Aurore Bergé, M. Bruno Bilde, M. Pascal Bois, Mme Céline Calvez, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Frédérique Dumas, Mme Nadia Essayan, Mme Elsa Faucillon, M. Alexandre Freschi, M. Raphaël Gérard, Mme Danièle Hérin, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Michel Larive, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, Mme Michèle Victory

Excusés. - Mme Géraldine Bannier, M. Ian Boucard, M. Bertrand Bouyx, M. Stéphane Claireaux, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Jacqueline Dubois, Mme Annie Genevard, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, Mme Cécile Muschotti, Mme Muriel Ressiguier