Compte rendu

Commission
des affaires économiques

– Examen pour avis du projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés (n° 1737) (M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis).              2


Mercredi
26 mars 2019

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 34

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Sophie Beaudouin-Hubiere,
Vice-Présidente
 


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La commission a examiné pour avis le projet de loi portant création dune taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de limpôt sur les sociétés (n° 1737), sur le rapport de M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis.

Mme Sophie Beaudoin-Hubiere, présidente. Mes chers collègues, notre commission examine ce soir l’avis rendu par notre collègue Benoît Potterie, dont je tiens à saluer la qualité du travail, sur le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés. Ce projet de loi, renvoyé à la commission des finances, sera débattu en séance publique lundi 8 avril, à 16 heures.

Ce projet de loi est aussi court qu’il est important et attendu, car il touche à une thématique de premier ordre pour les Français : la cohérence du système fiscal. Il est l’aboutissement d’un travail de longue haleine qui a conduit à envisager plusieurs scénarios de mise en place d’une taxation des géants du numérique, des négociations au niveau européen puis au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Né d’un combat qui a préexisté au mouvement social de ces derniers mois, ce projet de loi se veut une manière d’y répondre, puisque la modification de la trajectoire de la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) pour les entreprises enregistrant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros par an permettra de financer une partie des mesures d’urgence économiques et sociales votées cet hiver.

Après la présentation du texte par le rapporteur, les orateurs de groupe disposeront de quatre minutes pour s’exprimer lors de la discussion générale, à la suite de quoi les députés qui le souhaitent interviendront. Nous passerons ensuite à l’examen des articles. La commission a été saisie de six amendements, dont aucun n’a été retiré ou jugé irrecevable.

M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis. La commission des affaires économiques s’est saisie pour avis des deux articles du projet de loi. Le premier prévoit la mise en place d’une taxation de certains services numériques, le second modifie la trajectoire de l’impôt sur les sociétés (IS), afin d’obtenir un rendement budgétaire supplémentaire pour financer les mesures d’urgence économiques et sociales votées en décembre.

J’aimerais insister sur l’importance du premier article : il répond à une attente très forte de nos compatriotes, qui souhaitent que les géants du numérique contribuent de manière plus substantielle à l’impôt. Le numérique a bouleversé le fonctionnement de l’économie et des sociétés contemporaines ; les géants du numérique, qui ne se limitent pas aux seuls GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), ont modifié considérablement nos habitudes de consommateurs – nous le mesurons au quotidien.

Ces nouveaux modèles, fondés sur le principe de l’innovation, offrent des perspectives de croissance nouvelles pour les décennies à venir. L’idée n’est certainement pas de s’insurger contre leur succès ni de vouloir entraver leur développement ; mais nous devons apporter aujourd’hui une réponse à ce problème majeur que constitue l’insuffisante contribution des géants du numérique à l’impôt. Ainsi, Google, qui est, avec 790 milliards de dollars de capitalisation boursière, la troisième entreprise la plus cotée en bourse après Apple et Amazon, acquitte en France un IS de l’ordre de 15 millions d’euros. Le contraste est saisissant ! Quant à l’entreprise Airbnb, qui mise beaucoup sur la France, première destination touristique mondiale, elle aura payé 160 000 euros au titre de l’IS !

De façon plus générale, la Commission européenne estime que les entreprises traditionnelles paient en moyenne un impôt de 23 % sur les bénéfices, contre 9 % pour les entreprises du numérique. Comment ne pas comprendre le sentiment d’injustice des Français et de nos petites et moyennes entreprises (PME) et très petites entreprises (TPE), lorsqu’un restaurant est susceptible d’acquitter d’un montant d’imposition supérieur à celui d’Airbnb ?

Pourquoi les géants du numérique échappent-ils dans de telles proportions à l’impôt ? D’abord parce que la création de valeur ne nécessite plus un établissement physique stable de l’entreprise, alors que l’identification d’un établissement physique stable est au fondement de la fiscalité des entreprises : les géants du numérique créent leurs valeurs à partir d’actifs immatériels, à commencer par les données des utilisateurs. Ceux-ci, sans être rémunérés, sont au cœur du modèle d’affaires des géants du numérique.

Par ailleurs, bon nombre de grandes entreprises du numérique mettent en place des stratégies de planification fiscale agressives pour échapper à l’impôt, qui consistent à localiser leurs filiales dans des pays misant sur une fiscalité très basse pour attirer les capitaux ; le groupe facture ensuite des prestations fournies entre filiales à des prix de transfert déconnectés des prix du marché. Répréhensibles moralement, ces comportements ne sont pas toujours condamnables juridiquement.

Nous ne pouvons-nous contenter de cet état de fait. Nous voulons construire une politique fiscale juste et efficace ; or la faible taxation des géants du numérique est profondément injuste.

Injuste, car les grandes entreprises du numérique profitent pleinement des services publics français, employant des ingénieurs formés dans nos universités et nos grandes écoles, mobilisant nos réseaux routiers et nos réseaux de télécommunications.

Injuste, car elle conduit à une forme de concurrence déloyale entre les entreprises traditionnelles et les géants du numérique qui interviennent sur les mêmes secteurs d’activité – secteur hôtelier, transport individuel de voyageurs.

Injuste, car elle entretient la position monopolistique de ces acteurs. Les marchés du numérique se caractérisent par des rendements croissants et un tout petit nombre s’en partage l’essentiel des parts. La faiblesse de l’imposition conforte cette hégémonie : comment espérer que des pépites françaises et européennes grandissent si elles doivent acquitter d’impôts bien plus élevés que les entreprises déjà leaders sur leur marché ?

Injuste, enfin, car elle conduit à reporter le manque à gagner budgétaire sur les autres catégories de redevables, les travailleurs et les plus petites entreprises. Cela est inacceptable : l’équité fiscale est le préalable du consentement à l’impôt, c’est même à mon sens le fondement du pacte social.

La situation actuelle ne peut donc satisfaire personne. Qui plus est, la taxation des GAFA est inefficace en ce qu’elle ne permet pas de taxer la valeur là où elle est créée, ce qui affaiblit considérablement le rendement de l’impôt.

Face à ce constat, que pouvons-nous faire ? J’en suis convaincu, c’est vers une solution européenne et internationale qu’il faut s’orienter à terme. À cet égard, notre pays a constamment fait preuve d’une détermination sans faille. Dès juillet 2017, le ministre de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire, et ses homologues allemand, anglais, italien et espagnol ont écrit à la Commission pour demander une taxation commune des services numériques. À la suite de cette demande, deux propositions de directive ont été émises. Dix‑neuf États sont désormais convaincus de la nécessité d’agir ; malheureusement, l’exigence d’unanimité en matière fiscale ne permet pas d’envisager une solution européenne pour le moment.

Les auditions menées dans le cadre de la préparation du rapport laissent espérer qu’une solution pourra être trouvée au niveau de l’OCDE d’ici à 2020. Dans cette attente, nous faisons le choix de mettre en place une taxe nationale. Il ne s’agit pas de faire cavalier seul, mais d’agir au plus vite pour accélérer le rythme des négociations internationales. Cette taxe n’enlève rien à la nécessité de parvenir à un consensus européen et international ; c’est pourquoi sa vocation est temporaire. Remarquons d’ailleurs que ce texte a donné un nouvel élan aux négociations au sein de l’OCDE.

Quelles sont les grandes caractéristiques de la taxe proposée ? En premier lieu, elle est lisible. Elle reprend largement le dispositif prévu dans la proposition de directive européenne. Avec un taux uniforme de 3 %, elle poursuit un objectif de clarté pour les entreprises concernées.

En deuxième lieu, c’est une taxe ciblée, qui ne concerne que les activités pour lesquelles les utilisateurs situés en France contribuent à la création de valeur : publicité ciblée, intermédiation et vente de données en ligne. Le taux de 3 % s’appliquera au chiffre d’affaires tiré de ses activités, et la taxe sera due en proportion du nombre d’utilisateurs localisés en France. Elle ne dépend donc pas du lieu d’établissement de la société, mais de la présence d’utilisateurs sur le sol français, un moyen innovant pour lutter contre l’optimisation fiscale.

Cette taxe ne vise que les très grandes entreprises dont le chiffre d’affaires, pour les activités susmentionnées, est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et à 25 millions d’euros au niveau français. Au total, elle concernera une trentaine de groupes. Nous avons fait ce choix afin de ne pas entraver le développement des start-up françaises et européennes ni la digitalisation des TPE et PME.

Enfin, la taxe est rétroactive : elle s’appliquera à compter du 1er janvier 2019.

Sur le plan économique, cette taxe doit permettre d’atténuer les effets anticoncurrentiels qui résultent aujourd’hui d’une trop faible taxation : les géants du numérique, souvent étrangers, viennent concurrencer les entreprises nationales tout en bénéficiant d’une fiscalité plus favorable.

En matière de justice fiscale, cette taxe doit assurer une plus juste contribution des géants du numérique au financement des services publics dont ils bénéficient largement : 400 millions d’euros sont attendus sur le plan budgétaire.

Je veux rassurer ceux qui craignent des effets négatifs pour l’investissement et l’emploi en France : le nombre très limité de redevables nous permet largement d’écarter cet écueil.

Il ressort des auditions que nous avons menées que l’effet sur les consommateurs sera limité, puisque le modèle économique des géants du numérique repose précisément sur la gratuité d’utilisation. Il est par ailleurs peu probable que la taxe soit répercutée sur les entreprises partenaires : dans un environnement très concurrentiel, les géants du numérique tenteront de maintenir autant que possible leur position dominante sur le marché.

Je voudrais, avant de conclure, également évoquer le deuxième article du projet de loi. Si le second article poursuit un objectif simple de rendement budgétaire, il nen demeure pas moins essentiel. Il prévoit quun taux de 33,33 % continuera de sappliquer en 2019 pour les entreprises dont le chiffre daffaires est supérieur ou égal à 250 millions deuros et ce, sur la fraction de bénéfice imposable supérieure à 500 000 euros.

Il s’agit d’un léger infléchissement par rapport à la trajectoire de l’IS prévue par la loi de finances pour 2018, puisqu’un taux de 31 % avait été initialement retenu. La baisse de l’IS est une priorité politique de la législature : les entreprises françaises pâtissant encore trop des charges administratives et fiscales. Mais il est juste que les très grandes entreprises soient mises à contribution, de façon conjoncturelle, pour répondre aux attentes très fortes des citoyens en matière de pouvoir d’achat, sans pour autant mettre en danger l’équilibre des comptes publics.

Des recettes budgétaires supplémentaires de l’ordre de 1,7 milliard d’euros sont attendues, qui permettront de financer en partie les mesures d’urgence économique et sociale votées en décembre 2018. Le cap d’un taux d’IS de 25 % en 2022 est maintenu. Les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros se verront appliquer pour l’exercice 2019 un taux normal de 31 % pour la part des bénéfices supérieure à 500 000 euros, et de 28 % pour la part des bénéfices inférieure à cette somme. Pour les entreprises concernées par ce changement de trajectoire, cette modification sera neutre : elle ne revient pas sur un avantage acquis, mais consiste simplement à retarder d’un an la baisse du taux.

Il nous incombe, en tant que législateur, d’adopter ces deux articles qui répondent à des attentes fortes exprimées par nos concitoyens.

Mme Sophie Beaudoin-Hubiere, présidente. Nous en venons à la discussion générale, en commençant par les orateurs des groupes.

M. Philippe Huppé. Une nation a besoin de tranquillité, et pour l’assurer, elle a besoin de services publics. Ce qui suppose de payer des salaires et, pour ce faire, de prélever des impôts ; une juste imposition doit peser sur tous.

Or les entreprises du numérique, en Europe, sont imposées en moyenne à hauteur de 9,1 % de leurs bénéfices, quand les PME, TPE ou les artisans se voient appliquer un taux moyen de plus de 23 %. Le Gouvernement entendait corriger cette inégalité, mais il s’est avéré compliqué d’emprunter la voie internationale, au niveau de l’OCDE, ou la voie européenne, qui exige une unanimité des États membres dans ce domaine. Il a donc été décidé, comme l’ont fait d’autres pays européens, d’instaurer une taxe au niveau national.

Le taux de 3 % n’est pas énorme, mais il permet de rétablir une certaine égalité en termes de justice fiscale. En outre, la taxe présente l’intérêt d’être un outil un peu plus moderne en ce qu’elle rompt avec une imposition essentiellement fondée sur la territorialité. Il serait injuste que les entreprises qui tirent leurs bénéfices d’une économie contemporaine de plus en plus détachée des territoires ne soient pas taxées. Les géants du numérique bénéficient des infrastructures territoriales – Booking, par exemple, profite de tous les services et infrastructures qu’un État peut proposer, à commencer par le réseau routier – sans contribuer aux charges que représente leur entretien. Nous ne pouvons que nous féliciter de la décision prise par le Gouvernement, qui permettra aussi de rétablir l’équité fiscale en faveur des PME, des TPE et de l’artisanat.

Je soutiendrai de toutes mes forces ce projet de loi, en faveur duquel le groupe de La République en Marche votera.

M. Jérôme Nury. Les membres du groupe Les Républicains sont plutôt réservés sur ce texte. Nous sommes tous d’accord pour taxer les GAFA, dont une grande partie de l’activité échappe à l’impôt national. Mais on peut regretter que la France n’ait pas su convaincre ses partenaires européens d’instaurer cette taxe au niveau européen. Outre que cela témoigne d’un certain isolement de notre pays, il est à craindre que ces grands groupes ne se réfugient ailleurs en Europe, et qu’une partie de leurs activités n’échappe ainsi à l’économie française.

Par ailleurs, l’assiette de la taxe ne paraît pas suffisamment claire, ce qui nuit au calcul de l’impôt et, in fine, rend la recette aléatoire.

Se pose également la question des effets de cette taxe sur le consommateur. Les GAFA n’ont rien d’une Mère Teresa : c’est bien sur l’internaute qu’ils répercuteront ce nouvel impôt, car leur but est de gagner toujours plus d’argent !

Par ailleurs, je ne suis pas certain que les effets de cette taxe sur les entreprises françaises – je crois savoir que deux d’entre elles sont concernées, et que d’autres pourraient l’être à l’avenir – ont été bien mesurés. Il serait dommage de leur couper les ailes, nous avons besoin d’elles !

Sur la forme enfin, ce texte mêle deux sujets qui n’ont que peu de rapports entre eux : on a le sentiment que la taxe sur les GAFA n’est qu’un alibi pour masquer le rétropédalage du Gouvernement sur l’IS. Il s’agit moins, après les annonces présidentielles, d’infléchir la trajectoire que de trouver des recettes. Ce n’est pas un bon signal pour l’économie et les sociétés françaises, qui espéraient une baisse de l’IS.

En conclusion, ce texte nous paraît peu clair et peu efficace : c’est plus un outil de communication qu’une révolution dans la taxation des GAFA.

M. Jean-Luc Lagleize. Dans son adresse à la Nation du 10 décembre dernier, le Président de la République a évoqué la nécessité d’aller plus loin pour mettre fin aux évasions fiscales. Ce projet de loi vise précisément à répondre à ces objectifs l’efficacité et l’équité fiscale.

La taxation des géants américains du numérique est l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle, et nous devons y répondre collectivement. Cette contribution financière des multinationales du numérique, nos concitoyens et les entreprises qui souffrent de cette concurrence déloyale la réclament de longue date.

Notre action est essentielle, tant pour réaffirmer notre souveraineté que pour protéger notre démocratie. En défendant le principe d’égalité devant l’impôt, nous maintenons la cohésion du corps social. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés appelle de ses vœux la construction de ce nouveau pacte économique et social.

Les grandes entreprises du numérique qui ont des activités et font des profits en France ne peuvent s’exempter de participer à ce pacte : elles doivent donc payer l’impôt en France.

La France n’est pas le seul pays qui souhaite relever ce défi, bien sûr, mais elle a su s’imposer comme leader, aussi bien sur la scène européenne que sur la scène internationale. Notre pays a ainsi joué un rôle pionnier en entreprenant une réforme fiscale de grande échelle.

Mais cette avancée majeure n’est qu’une étape. Pour affirmer sa souveraineté, la France, aux côtés de ses partenaires, doit faire aboutir les négociations européennes et multilatérales. Je pense en premier lieu aux négociations sur la proposition de directive concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains de ces services ; nous regrettons que le manque d’ambition de certains pays de l’Union en matière d’harmonisation fiscale oblige les États membres comme la France, l’Espagne ou l’Italie à créer de telles taxes au niveau national, avec, forcément, une efficacité moindre.

Une taxe européenne sur les services numériques serait pourtant un symbole fort d’unité, qui permettrait de faire entendre la voix de l’Europe au sein de l’OCDE, qui travaille avec succès sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. C’est dans le cadre multilatéral — OCDE et G20 – que 127 pays se sont rassemblés en janvier autour d’un objectif commun : mettre fin aux stratégies d’optimisation fiscale des entreprises du numérique.

Nous partageons ces conclusions : nous ne pouvons laisser perdurer un système dont les entreprises exploitent les failles pour faire disparaître leurs bénéfices ou les transférer dans des pays où elles n’exercent guère d’activité réelle. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés soutient la création d’une taxe nationale, en attendant que les règles de la fiscalité internationale évoluent et appréhendent pleinement les réalités économiques et numériques actuelles.

Ce projet de loi aborde également une modification de la trajectoire de baisse de l’IS, pour répondre à l’impératif de rendement budgétaire. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, sensible à l’effort de redressement des finances publiques, salue cette mesure qui devrait rapporter quelque 1,7 milliard d’euros en 2019. Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur du texte et serons vigilants quant aux positions qui seront défendues, tant dans le cadre des conclusions du grand débat national, qu’au niveau européen et multilatéral.

M. Antoine Herth. Au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, je me réjouis de cette avancée dans un dossier au long cours. À de multiples reprises dans cette commission, nous avons fait le constat de notre impuissance face aux entreprises du numérique – ainsi, un rapport de notre collègue Daniel Fasquelle sur l’impact du numérique sur le tourisme montrait que des centrales de réservation, qui prélèvent 25 %, voire davantage, de la richesse créée dans le domaine hôtelier, échappent à toute fiscalisation. Le terme de pillage de la création de la valeur ajoutée sur le territoire national n’est pas excessif pour décrire cette réalité.

Un certain nombre de points, toutefois, doivent être explicités et j’espère que le rapporteur pourra nous aider à y voir plus clair. Monsieur Potterie, vous avez évoqué le caractère provisoire de cette première tentative de fiscalisation : sait-on combien de temps ce dispositif sera appelé à fonctionner ? Nous savons que cela est lié à l’évolution des négociations, en particulier au sein de l’OCDE, difficilement prévisible, mais le ministère a‑t‑il d’ores et déjà prévu une durée, quitte à prolonger le dispositif si les négociations devaient se poursuivre ?

La domiciliation des entreprises était jusqu’alors l’un des principes de l’imposition. Il s’agit cette fois de considérer où est créée la richesse – en l’occurrence, en fonction des adresses IP (Internet Protocol), sur le territoire français. Peut-on considérer que c’est un nouveau principe de fiscalité qui est mis en place ? J’ai à l’esprit des exemples d’entreprises industrielles, qui ont déménagé leur siège dans un pays d’Europe, voire en marge de l’Europe, fiscalement plus intéressant ; les usines situées sur le territoire français sont devenues un simple centre de coûts, tandis que les bénéfices sont déportés, par une simple écriture comptable, dans le pays du siège. Peut-on imaginer que ce nouveau principe s’applique à des entreprises dont l’activité n’est pas numérique ?

Toujours à l’article 1er, Monsieur le rapporteur, vous expliquez que l’impact de la taxe sur les clients de ces sociétés sera négligeable, en raison d’un environnement fortement concurrentiel. Pouvez-vous nous apporter des précisions et des assurances sur ce point ?

Au sujet de l’article 2, je me dis que, pour une fois, un gouvernement a pensé à financer une dépense. Cela n’arrive pas tous les jours, et cela ne se produisait que trop rarement sous la précédente législature. Réjouissons-nous-en !

Toutefois, j’achoppe sur un point, Monsieur le rapporteur. Vous parlez d’effet neutre sur les entreprises concernées. Si neutralité il y avait, il faudrait revoir la courbe. S’il s’agit simplement d’une avance de trésorerie, il faudra prévoir des taux moins importants les années suivantes pour rattraper la courbe. Je pressens une légère entourloupe : en fait de neutralité, il s’agit bel et bien d’une taxation supplémentaire pour ces grandes entreprises, ce qui va à l’encontre du principe de prévisibilité de l’impôt.

Je conclurai en disant qu’après deux jours passés au Bundestag, où ces questions ont été évoquées, et au lendemain de la première réunion de l’Assemblée parlementaire franco‑allemande, nous devons avancer très vite, notamment dans le cadre de l’Eurogroupe, sur ces questions au niveau européen.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Présenté en conseil des ministres le 6 mars 2019, ce projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique a donc pour objectif de renforcer la justice fiscale, dans l’attente de l’éventuelle mise en place d’une taxe au niveau européen ou mondial. En premier lieu, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait pas réussi à obtenir un accord européen sur la taxation des géants du numérique, que l’on connaît mieux sous le nom de GAFA.

Pour faire un peu d’histoire, la question de la juste taxation des GAFA fait l’actualité depuis plusieurs années et a été l’objet de nombreux rapports. Celui de la mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique de 2013 soulignait d’ailleurs : « Les gains de productivité générés par l’économie numérique ne se traduisent donc pas par des recettes fiscales supplémentaires pour les grands États. Cette situation est sans précédent historique ». En effet – cela a été dit tout à l’heure –, alors que le taux d’imposition moyen d’une entreprise dans l’Union européenne est de 23,2 %, il est de seulement 9,5 % pour les entreprises du numérique. On mesure bien, au regard des chiffres d’affaires cumulés des sociétés visées, l’enjeu que revêt la question dont nous débattons.

Face à cet enjeu, la Commission européenne avait présenté deux propositions de directive. La première visait à introduire la notion de « présence numérique significative » en complément de celle d’« établissement stable », afin d’améliorer les règles de taxation des bénéfices dans les États où ils étaient réalisés. La seconde, issue d’une initiative de septembre 2017 de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne, visait à créer une taxe sur les services numériques, qui devait cibler les services dont la valeur principale était créée par les données de l’utilisateur et les services d’intermédiaires numériques permettant aux utilisateurs d’interagir avec d’autres utilisateurs et facilitant la vente entre eux de biens et de services. Cette proposition a finalement été enterrée en raison de l’opposition persistante de pays comme l’Irlande, le Danemark, la Finlande ou la Suède. Le 22 janvier 2019, 127 pays – dont les États-Unis, l’Inde et la Chine – représentant 90 % de l’économie mondiale ont donné leur accord de principe pour la mise en place d’une réforme de la fiscalité des entreprises du numérique et plus largement de toutes les multinationales, avec l’objectif de parvenir à un accord en 2020. Le projet de loi que le Gouvernement nous présente aujourd’hui s’inscrit dans cette dynamique.

L’article 1er prévoit une taxation des entreprises qui encaissent des sommes en contrepartie de la fourniture de services numériques d’intermédiaire entre internautes et de fourniture de services de ciblage publicitaire. Sont concernées les entreprises ayant réalisé un chiffre d’affaires mondial d’au moins 750 millions d’euros, dont au moins 25 millions d’euros correspondent à celui qui peut être rattaché à la France. Le taux de la taxe serait de 3 %. L’assiette retenue nous semble poser une véritable difficulté car elle exclut la fourniture directe de contenus numériques – vidéos, applications, etc. –, la vente de biens en ligne et les services de messagerie, de paiement, de stockage de données en ligne, de publicité non ciblée en ligne ou encore les services financiers réglementés.

Cette taxe GAFA ne touche donc que le sommet de l’iceberg de l’activité de ces entreprises. Quant au taux retenu, même si 3 %, c’est mieux que rien, il nous semble insuffisant : le Parlement européen avait proposé 5 %, ce qui aurait porté le produit attendu de la taxe à 800 millions d’euros. Il convient également de souligner que le produit de cette taxe est déductible de l’impôt sur les sociétés, dont j’ai évoqué tout à l’heure la faiblesse. Enfin, elle repose sur un système déclaratif, alors même que l’administration fiscale reconnaît les difficultés importantes qu’elle a à contrôler la réalité du chiffre d’affaires réalisé en France par ces sociétés. Tout cela nous semble mériter des précisions et des aménagements. Pour ces raisons, à ce stade, et dans l’attente des débats ici même et en séance, au cours desquels nous espérons enrichir le texte dans le sens de ce que notre collègue Boris Vallaud avait proposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis. Non, Monsieur Nury, la France n’a pas de mal à convaincre. Le problème est qu’une telle mesure exige l’unanimité des pays européens ; or l’Irlande et les pays nordiques, notamment, n’y ont pas forcément intérêt puisque ces États pratiquent des taux d’IS très faibles. La France est leader sur le sujet. Le fait que nous activions la taxe en France a permis de rouvrir les négociations au niveau de l’OCDE.

Pour répondre à M. Herth, nous pensons obtenir des résultats d’ici à deux ans. Dès qu’un accord aura été trouvé, la taxe française sera remplacée par la taxe décidée au niveau de l’OCDE. Les conséquences pour les consommateurs devraient être très faibles car les services de Google et Facebook, par exemple, sont gratuits pour eux. Par ailleurs, la compétition est telle sur ce marché en croissance que les intervenants n’auront pas intérêt à augmenter leurs prix. Une taxe de 3 % sur les commissions d’intermédiation aura un impact assez faible.

Certes, nous serons amenés à taxer également les sociétés françaises, mais nous ne pouvions pas faire autrement, à moins d’adopter une mesure discriminatoire : comme vous le savez, on ne peut pas taxer des sociétés en fonction de leur nationalité. En revanche, pour les sociétés françaises, la nouvelle charge viendra en déduction de leurs bénéfices, ce qui devrait faire diminuer le montant de l’IS qu’elles acquittent.

La modification de la trajectoire de l’IS concerne les grosses entreprises françaises, au nombre de 1 000 environ. Je voudrais tout de même dire que c’est la première fois qu’un gouvernement se fixe un objectif aussi ambitieux en matière de baisse de l’IS. Nous maintenons l’objectif d’atteindre le taux de 25 % en 2022, ce qui nous permettra d’être au niveau moyen constaté en Europe et d’améliorer la compétitivité de nos entreprises.

Monsieur Herth, les traités internationaux sur la fiscalité sont en effet fondés sur la présence physique des entreprises. C’est tout l’objectif des négociations au sein de l’OCDE que de les modifier sur ce point, afin de partir davantage de la création de valeur que de la présence physique d’une entreprise sur un territoire.

Vous m’avez parlé de la répercussion sur les opérations d’intermédiation. Sachant que le niveau des commissions d’intermédiation est compris entre 8 % et 15 %, l’instauration d’une taxe de 3 % aura un impact assez faible.

La mesure concernant l’IS est temporaire et il n’est pas prévu, pour l’instant, de la compenser les années suivantes. Les grandes entreprises, que nous avons rencontrées, comprennent tout à fait que nous leur demandions de contribuer au financement des mesures d’urgence votées en décembre 2018.

Le taux de 3 %, que vous jugez trop faible, Madame Battistel, a été calculé en se fondant sur les mêmes hypothèses que la Commission européenne. Pourquoi 3 % et non pas 5 % ? Le calcul est fondé sur les hypothèses de rentabilité et de résultats des entreprises. Rappelons que l’imposition porte sur le chiffre d’affaires et non sur les bénéfices, et que 3 % du chiffre d’affaires, cela représente 15 % à 20 % des bénéfices : ce n’est déjà pas si mal. En allant au-delà, nous risquions que la mesure soit considérée comme confiscatoire.

M. Denis Masséglia, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Tout d’abord, permettez-moi de remercier mon collègue Benoit Potterie, qui, une fois de plus, a fait un travail extraordinaire.

On parle à tort de « taxe GAFA ». Nous ne tapons pas sur les GAFA ; nous ne sommes pas contre les États-Unis. Il s’agit d’une taxe sur les services numériques et portant sur deux aspects, en l’occurrence les revenus liés, d’une part, à la publicité et, d’autre part, aux market places – les places de marché. S’il vous plaît, utilisez donc des termes adéquats : il est important de se focaliser sur les services numériques.

J’entends dire que la France est isolée. Je dirais plutôt, pour ma part, qu’elle est en position de leader. On peut d’ailleurs mettre en avant le travail de notre ministre, M. Bruno Le Maire, qui s’est longtemps battu pour obtenir cette taxation. Pourquoi ne sommes-nous pas isolés ? Parce que, sur les vingt-sept pays de l’Union européenne, vingt-trois étaient d’accord, comme l’a rappelé mon collègue rapporteur pour avis. Ceux qui sont isolés, voire recroquevillés, ce sont plutôt les quatre pays qui s’y sont opposés. Du reste, plusieurs pays ont déjà voté de tels dispositifs. L’Italie et l’Espagne ont été citées, mais il y a aussi Israël, ou encore l’Australie. Nous sommes leaders, mais nous ne sommes pas non plus seuls.

Pour ce qui est du taux de 3 %, Madame Battistel, le calcul est extrêmement simple, sinon mathématique : la rentabilité moyenne d’une entreprise du numérique est de 15 % du chiffre d’affaires, le taux d’imposition à l’IS est de 20 % : 20 % de 15 %, cela fait bien 3 %. Il n’y a là rien d’étonnant.

Enfin, je voulais évoquer la notion de création de valeur. J’entends parler de fiscalité sur les entreprises qui fabriquent des produits. Attention : si on commence à taxer la création de valeur là où sont vendus les produits, certains pays pourraient taxer la vente de nos Airbus ou de nos produits agricoles. Il faudra vraiment s’appuyer sur les négociations au sein de l’OCDE, dont votre rapporteur pour avis a très bien parlé.

Mme Valéria Faure-Muntian. Comme tous mes collègues, je salue le travail de notre rapporteur pour avis. Cependant, j’ai quelques regrets – comme tout le monde – au sujet du projet de loi, à commencer par l’absence d’une démarche rassemblant l’ensemble des pays de l’Union européenne. Surtout, je regrette que nous travaillions sur un marché disruptif et innovant – l’économie numérique – en essayant de lui appliquer le système de taxation du marché physique historique, celui dont on a l’habitude. Il faudra, à l’avenir, que nous soyons nous aussi disruptifs quant à la fixation de l’imposition – car il ne doit pas s’agir seulement d’une taxation –, une fois que l’on aura abouti à un résultat collectif en Europe sur le sujet. Il faut être en mesure d’imposer réellement ce qui crée de la valeur chez les géants du numérique, c’est-à-dire l’usage des données, et pas uniquement les publicités, directement visées ici. Enfin, cessons de ne parler que des Américains : il y a beaucoup d’autres acteurs sur le marché.

M. Dominique Potier. Je me contenterai, pour ma part, de poursuivre l’œuvre colossale de ma collègue Marie-Noëlle Battistel, qui n’a pu terminer son propos tout à l’heure (Sourires) et a dû nous quitter. Elle allait nous dire que, lors de l’examen du PLF pour 2019, notre collègue Boris Vallaud avait défendu un amendement visant à refondre l’impôt sur les sociétés, pour une meilleure justice fiscale dans tous les secteurs, et pas seulement celui du numérique. L’objectif était simple : réformer l’impôt sur les sociétés afin de répartir les profits mondiaux des multinationales à proportion de leurs ventes par pays et dans le but de rapprocher la base taxable des activités réellement exercées sur chaque territoire, et ainsi d’éviter les stratégies de fuite fiscale, qui consistent à transférer artificiellement, par un jeu d’écritures comptables, les bénéfices vers d’autres pays. Concrètement, une multinationale réalisant 10 milliards d’euros de bénéfice consolidé dans le monde et 10 % de son chiffre d’affaires en France devrait s’acquitter d’un impôt sur les sociétés correspondant à 10 % de ces 10 milliards, soit 1 milliard d’euros.

Je voudrais rappeler que, dans le cadre du projet de loi PACTE, nous avions également proposé une autre stratégie de lutte contre l’évasion fiscale, avec la possibilité de communiquer aux instances représentatives du personnel (IRP) la situation fiscale de l’entreprise, sans toutefois la rendre publique – les IRP étaient tenues au secret –, ce qui rendait le dispositif acceptable au regard du cadre constitutionnel. Cette communication était possible pour les holdings – ce point avait été vérifié par le Conseil d’État. Vous l’avez refusé alors que son champ d’application était bien plus large et qu’il aurait permis de décourager certaines pratiques, renforçant ainsi la lutte contre la fuite fiscale. Bref, nous défendons des initiatives plus importantes.

Je me permets d’adresser une remarque au rapporteur pour avis. Il a évoqué le risque d’un impôt confiscatoire au-delà de 3 % du chiffre d’affaires, soit 15 % des bénéfices. À ce compte-là, et en extrapolant, c’est l’ensemble de l’impôt sur les sociétés qui est déjà confiscatoire… Qui plus est, cette taxation est déductible de l’IS. De notre point de vue, son augmentation ne serait donc en aucun cas confiscatoire.

Je terminerai par une suggestion : la surtaxe à 5 % pourrait être justifiée pour les géants du numérique qui ne s’inscriraient pas dans le dessein que nous partageons tous, à savoir aboutir à une civilisation du numérique. Bref, il faut engager des réformes profondes sur la réglementation et la régulation du numérique ; dans ce cadre, nous pourrions imaginer une taxation différenciée. En l’absence de réponses sur ces différents points, à ce stade, le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

M. Didier Martin. C’est dommage !

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Monsieur Potier je vous remercie d’avoir complété les propos de votre collègue, mais je tiens à rappeler qu’elle a bénéficié du même temps de parole que les autres orateurs des groupes et que j’ai même fait preuve de largesse.

M. Damien Adam. Pourquoi faut-il taxer les GAFA ou, plus généralement, les entreprises offrant des services numériques ? Pour la simple et bonne raison que le taux de fiscalité auquel ces entreprises sont soumises actuellement en France est inférieur de 14 points à celui qui s’applique pour les entreprises françaises ou européennes qui officient sur notre territoire. Nous ne saurions nous satisfaire de cette situation. C’est pourquoi nous devrions tous, dans cette salle, nous réjouir du fait que le Gouvernement français et la majorité La République en Marche se saisissent de ce sujet et fassent en sorte de voter un texte de loi permettant de taxer ces entreprises dès cette année, et cela d’autant plus que le ministre de l’économie et des finances se bat depuis des mois, au niveau européen, pour l’imposer à tous nos partenaires.

Comme notre rapporteur pour avis l’a très bien rappelé, certains pays européens sont vent debout contre cette proposition. Or, je vous le demande : qui gouverne l’Union européenne ? Qui, au Parlement européen, a la majorité ? Le Parti populaire européen (PPE), c’est-à-dire, pour partie, les députés européens Les Républicains. Et ce sont des députés du même parti qui se plaignent ici du fait que nous soyons le seul pays européen à mettre en place cette taxation ! C’est à vous de voir avec vos collègues députés européens pour faire en sorte que les choses bougent. Vous allez me répondre que les élections européennes sont désormais trop proches et qu’il ne sera pas possible de le faire. Malgré tout, il est dommage que vous en restiez à des postures. Vous prétendez que le Gouvernement ne fait rien alors que, nous, nous nous battons contre des forces contraires – le PPE mais aussi les sociaux‑démocrates, qui gouvernent ensemble le Parlement européen –, pour faire en sorte que cette taxation voie le jour. Je n’ai aucun doute quant au fait que, dans les prochains mois, le sujet sera à l’ordre du jour dans les autres pays européens et qu’ils s’inspireront de ce que nous sommes en train de mettre en place.

Je reviens sur l’article 2, qui prévoit le report de la baisse de l’IS pour les grandes entreprises. Celles-ci sont tout à fait responsables : elles acceptent le fait que des mesures d’urgence aient dû être mises en place en fin d’année dernière, de manière à accélérer le calendrier d’application de certaines dispositions qui étaient d’ailleurs inscrites dans notre programme.

Enfin, la nouvelle taxe ne va pas embêter les entreprises qui paient l’IS car elle vient précisément en déduction de cet impôt : si elles paient beaucoup de taxe GAFA, elles paieront moins d’IS. Le mécanisme sera donc transparent pour les entreprises qui respectent pleinement notre fiscalité.

Mme Véronique Hammerer. Excellent ! (Sourires.)

Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, présidente. Notre collègue Thierry Benoit n’est pas présent mais je constate que certains pensent à lui…

M. Dino Cinieri. Je lis, dans l’exposé des motifs du projet de loi, au sujet de l’article 1er : « Seules les entreprises des grands groupes ayant une forte empreinte numérique au niveau mondial (montant annuel mondial des produits tirés des services taxés supérieur à 750 millions d’euros) et au niveau national (montant annuel des produits rattachés à la France tirés des services taxés supérieur à 25 millions d’euros) sont concernées car, du fait de la structure concurrentielle des marchés en cause, elles ne sont pas dans une situation comparable à celle des entreprises plus petites ». Combien de grands groupes seront concernés au niveau national ? Ne craignez-vous pas une concurrence déloyale de la part des autres pays d’Europe, aux dépens de nos entreprises et, par ricochet, de l’emploi ?

M. Nicolas Démoulin. Merci, Monsieur le rapporteur pour avis, pour votre excellent travail. Je rebondis sur ce qu’a dit notre collègue M. Denis Masséglia : effectivement, il faut prendre garde aux raccourcis en ne parlant que des GAFA. Les GAFA sont des sociétés américaines et, comme l’indique le sigle, il n’y en a que quatre. Or cette loi va faire date car d’autres entreprises seront concernées : on parle des Américains, mais les Chinois vont certainement arriver. Il faut garder cela à l’esprit. Par ailleurs, l’objectif est de récolter 400 millions d’euros grâce à cette taxe n’est qu’un objectif de départ : les projections sont un peu plus optimistes puisqu’on table sur plus de 650 millions en 2022.

Je suis un peu étonné, voire désemparé, devant la position des Socialistes et des Républicains sur un projet de loi qui devrait faire consensus. Non seulement la disposition est symbolique – on l’a souvent constaté lors des réunions organisées dans le cadre du grand débat : elle répond à un appel très fort –, mais elle rapporte de l’argent. Je suis un peu étonné et déçu par ces postures. L’argument avancé par Les Républicains consistant à dire que la France n’a pas réussi à convaincre tous les pays européens…

M. Dino Cinieri. C’est pourtant vrai !

M. Nicolas Démoulin.… me paraît totalement démagogique. C’est mal connaître la situation et les intérêts de chaque pays. Nous sommes un fer de lance en la matière et d’autres États nous suivent. Nos amis de l’opposition pourraient être satisfaits de ce projet de loi et s’inscrire dans cet élan ; je suis donc légèrement déçu.

M. Éric Bothorel. Je m’inscrirai un peu en retrait par rapport aux « youpi ! » collectifs, même si je comprends le sens de cette mesure. Vous avez rappelé, Monsieur le rapporteur pour avis, la pression de l’actualité à laquelle nous ne saurions échapper : nous étions quasiment obligés de mettre en place cette taxe, tant elle avait été évoquée, lors du grand débat, parmi d’autres mesures qui, pour symboliques qu’elle soient, n’en sont pas moins nécessaires. Comme l’ont fait M. Denis Masséglia et, il y a un instant, M. Nicolas Démoulin, il n’est pas inutile de rappeler que les termes « GAFA » – « GAFAMI », si l’on rajoute Microsoft et IBM –, ou encore « BATX » – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – servent à désigner l’ensemble des géants du numérique. Or, quand on suit l’actualité, on ne saurait contester qu’un climat très lourd règne en ce moment : le numérique est rendu coupable de tous les maux de la société, que ce soient les fake news, le cyberharcèlement ou les cybermenaces.

La fiscalité va donc rattraper des entreprises dont on considère qu’elles ne paient pas un juste impôt ; et lorsque l’on compare l’activité d’une entreprise dématérialisée et celle d’une entreprise résidentielle, autrement dit relevant de l’économie traditionnelle, personne ne peut nier ces écarts en matière d’investissements, de coût et de charges. Cela dit, les services dématérialisés séduisent un nombre toujours plus grand de consommateurs et personne ne leur met le pistolet sur la tempe pour les forcer à choisir un canal d’approvisionnement plutôt qu’un autre.

Quoi qu’il en soit, je soutiendrai cette mesure. Mais de là à affirmer qu’elle participe à un rééquilibrage de la concurrence entre les différents acteurs, le raccourci me paraît très rapide : l’instauration d’une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises agissant sur les places de marché ou dans la publicité en ligne ne corrigera pas fondamentalement le déséquilibre. Je pense que le mal est ailleurs ; il vient, entre autres, de pratiques qui créent par nature cette concurrence entre le commerce dématérialisé et le commerce résidentiel.

M. Benoit Potterie, rapporteur pour avis. Monsieur Cinieri, une trentaine de groupes seraient concernés au niveau mondial, même s’il s’agit pour l’instant de projections, car nous n’avons pas la liste. A priori, il y aurait très peu de groupes français. De toute façon, nous ne pourrions pas les exclure de cette taxation car ce serait discriminatoire. Au demeurant, comme je le disais tout à l’heure et comme l’a rappelé M. Damien Adam, cette charge vient en déduction des bénéfices des entreprises. En ce qui concerne l’impact du dispositif sur l’attractivité de la France, il devrait être limité, car le taux est modeste et l’objectif est de taxer dans le pays où la valeur est créée par les utilisateurs, pas dans celui où l’entreprise est installée. Par ailleurs, la France a d’autres atouts pour attirer les entreprises et les start-up, notamment le crédit d’impôt recherche. L’impact de la mesure sur l’attractivité de la France devrait donc être très limité.

La commission en arrive à lexamen des articles du projet de loi.

Elle émet successivement des avis favorables à ladoption de larticle 1er et de larticle 2 sans modification, puis de lensemble du projet de loi.


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 26 mars 2019 à 18 h 30

Présents.  M. Damien Adam, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Yves Blein, M. Éric Bothorel, M. Sébastien Cazenove, M. Anthony Cellier, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, M. Rémi Delatte, M. Nicolas Démoulin, Mme Stéphanie Do, Mme Valéria Faure-Muntian, Mme Véronique Hammerer, Mme Christine Hennion, M. Antoine Herth, M. Philippe Huppé, M. Guillaume Kasbarian, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Frédérique Lardet, Mme Célia de Lavergne, Mme Annaïg Le Meur, M. Serge Letchimy, M. Richard Lioger, M. Didier Martin, Mme Graziella Melchior, M. Jérôme Nury, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Benoit Potterie, M. Vincent Rolland, M. Jean-Bernard Sempastous

Excusés.  Mme Anne Blanc, Mme Michèle Crouzet, M. José Evrard, M. Roland Lescure, M. Richard Ramos, M. Denis Sommer

Assistait également à la réunion.  M. Denis Masséglia