Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

Réunion décentralisée à Metz à l’occasion du G7 des ministres de l’environnement :

 Rencontre sur la biodiversité avec des représentants de la société civile intervenus lors des échanges avec la société civile du G7 Environnement (Table ronde « humains et communautés ») : Mme Isabelle Delannoy, M. Cyril Dion et M. Benki Piyãko              2

 Table ronde : « Favoriser la biodiversité et l’éducation à l’environnement en milieu urbain » : M. Michel Koenig, directeur du pôle « Parcs, jardins et espaces naturels » de la ville de Metz et Mme Marylin Molinet, conseillère municipale de Metz, déléguée à la préservation et promotion de la biodiversité, M. Hugues Varachaud, directeur de l’association « Connaître et protéger la nature – Les Coquelicots », M. Jean-Yves Macé, président de la Ferme de Borny              9


Lundi 6 mai 2019

Séance de 11 heures

 

Compte rendu n° 48

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de Mme Barbara Pompili,

Présidente


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La Commission du développement durable et de laménagement du territoire a tenu une réunion décentralisée à Metz à l’occasion du G7 des ministres de l’environnement.

Elle a procédé dans un premier temps à une rencontre sur la biodiversité avec des représentants de la société civile intervenus lors des échanges avec la société civile – ou « side events » – du G7 Environnement (Table ronde « humains et communautés ») : Mme Isabelle Delannoy, M. Cyril Dion et M. Benki Piyãko.

Mme la présidente Barbara Pompili. La tenue à Metz du G7 des ministres de l’environnement nous fournit l’occasion de notre première réunion délocalisée. Nous assisterons cet après-midi à la conférence de presse finale du G7 ; nous verrons alors si l’espoir de la France d’aboutir à un communiqué final pourra se réaliser.

Dans l’immédiat, je suis particulièrement heureuse d’accueillir trois personnalités qui viennent de prendre part aux échanges avec la société civile. Ce sont :

– Mme Isabelle Delannoy, agronome, qui dans son ouvrage « L’économie symbiotique » tente de poser les fondements théoriques et pratiques d’une nouvelle approche de l’économie ;

– M. Cyril Dion, auteur d’ouvrages et de films, notamment Demain, qui posent particulièrement la question de la pédagogie sur les questions de la biodiversité et du climat ;

– et M. Benki Piyãnko, responsable politique et spirituel du peuple Ashaninka, en Amazonie, promoteur de l’agroforesterie et militant de l’environnement.

Madame, Messieurs, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation, alors que votre temps est compté, puisque vous devrez nous quitter vers 11 heures 30.

Le principe de votre participation à nos travaux nous a paru très significatif. En effet, je rappelle le thème de ce G7 Environnement : « Lutter contre les inégalités par la protection de la biodiversité et du climat ». Il associe largement les acteurs de la société civile, pour des débats vivants.

Sans plus attendre, quels seraient les messages que vous souhaiteriez adresser à notre commission du développement durable sur la biodiversité et le climat ? Quelles décisions, quelle pédagogie auprès de nos concitoyens vous semblent prioritaires ?

Mme Isabelle Delannoy. Merci de nous accueillir. Mon message est que nous avons inventé depuis cinquante ans, de façon non concertée mais cohérente, des nouvelles logiques économiques et productives qui sont très efficientes. Elles produisent une économie régénérative de ses ressources, qu’on peut qualifier de symbiotique, au sens où elle régénère les écosystèmes vivants et les liens sociaux. Partie des territoires, c’est une économie de prospérité, qui fait circuler la richesse entre les territoires et s’appuie sur les écosystèmes. Elle recrée du lien social et diminue donc la violence sociale ; elle lutte contre les îlots de chaleur, et produit des molécules, des matériaux et des fonctions. C’est un premier socle.

Un deuxième socle réside dans le passage à une « économie de l’accès ». Il ne s’agit plus de posséder nos biens d’équipement, mais d’en détenir l’usage. C’est la source d’un dynamisme économique. Des liens se créent alors sur les territoires entre les citoyens investisseurs et avec les collectivités territoriales. La redistribution de la valeur s’accompagne d’un partage des risques entre les différents agents économiques. Cette économie collaborative s’appuie largement sur le numérique à l’échelle locale, et tend à s’affranchir de la dépendance à l’égard des « GAFA » et autres grandes entreprises du secteur.

La pédagogie tend à montrer aux citoyens, qui sont très conscients des problèmes, qu’ils peuvent se mobiliser pour prendre en main leur avenir, en s’inspirant des nombreux exemples qui fonctionnent. Les élections municipales de 2020, dans le temps d’urgence écologique où nous sommes, qu’il s’agisse de biodiversité ou de climat, seront un moment crucial dans notre histoire. Je vous remercie.

M. Cyril Dion. Pour être bref, je voudrais souligner que nous avons un problème de tempo. Les citoyens ont de plus en plus conscience que les problèmes des inégalités, de la biodiversité et du climat sont criants. Pourtant, on continue à se projeter sur un horizon à vingt ou trente ans, soit en 2050. Or les études les plus récentes montrent que les moments où l’on commencera à dépasser des seuils irréversibles se situent dans les années qui viennent, entre maintenant et 2030.

Vous avez vu le rapport du GIEC. Les industriels du secteur pétrolier, notamment BP et Shell, ont des scénarios internes qui tablent sur des chiffres bien plus élevés en 2050. Au-dessus des seuils de réchauffement de 2 degrés, ou même de 1,5 degré, se déclencheraient en effet des « boucles de rétroaction positive » accélérant le réchauffement et le rendant quasiment incontrôlable. Cela tiendrait à des mécanismes que vous connaissez certainement : dégel du pergélisol, libération des carbones séquestrés ou affaiblissement des mécanismes océaniques régulateurs. La chute de la biodiversité à un rythme effréné vient encore renforcer ces phénomènes, comme elle aggrave les inégalités entre populations, augmentant les difficultés à vivre, donc les risques de migrations, de conflits armés, d’émeutes de la faim, rendant le système politique de plus en plus instable. Les marges de manœuvre des politiques se réduiront d’autant. Plus la situation sera grave, plus il sera difficile d’agir.

Nous sommes aujourd’hui dans la dernière petite fenêtre de temps où il est loisible d’agir de façon relativement démocratique. Il ne faut pas se leurrer, au-delà des seuils dont j’ai parlé, les solutions ne pourront qu’être autoritaires. Ce n’est certainement pas ce que l’on veut. Je ne sais pas si vous connaissez cette modélisation réalisée par le directeur de l’institut de recherche climatique de Potsdam. Il a calculé que si l’on atteignait un réchauffement de 5 degrés par rapport aux températures actuelles, la population mondiale devrait revenir autour d’un milliard d’êtres humains. Après une conception linéaire du progrès dans les années 1970, la science montre maintenant que l’on va vers des ruptures.

Pour moi, les trois priorités des toutes prochaines années sont d’abord d’arrêter le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité. À cet égard, les stratégies sont multiples. Je suis de ceux qui tentent de faire en sorte que la population vous aide à construire une majorité « culturelle » au sein de la société sur ces sujets : marche du siècle, marche des étudiants, désobéissance civile. La deuxième priorité, dont on parle peu, est de construire de la résilience. Comme malgré tout, on va vers des chocs, il nous faut préparer nos territoires à les encaisser : production locale d’un maximum de nourriture et d’énergie, sécurisation de l’approvisionnement en eau, mise en place de mécanismes régénératifs. La troisième priorité est justement de régénérer. Régénérer les écosystèmes : replanter des forêts ; aider la vie marine à repartir : mangroves et coraux ; mais aussi régénérer les systèmes sociaux : faire en sorte que l’ensemble de la population puisse bénéficier de la création de richesses.

En poussant le raisonnement, il convient d’éviter les logiques révolutionnaires, qui rendraient encore plus difficile l’action politique. C’est pourquoi nous devons rénover nos systèmes démocratiques afin de permettre d’élaborer ensemble des solutions. Vous savez peut-être que nous sommes en discussion avec le ministère de la transition écologique et solidaire pour permettre qu’une assemblée de citoyens tirés au sort puisse délibérer pendant plusieurs mois pour nous aider à élaborer des solutions acceptables par l’ensemble de la population sur tous les sujets actuellement bloqués faute de consensus : par exemple taxe carbone, pesticides, implantations d’éoliennes. Ces décisions seraient ensuite validées par référendum. On pourrait ainsi susciter une adhésion dans la société : chacun ayant contribué à élaborer les solutions, chacun participerait à leur mise en œuvre. Vous auriez un vrai rôle à jouer, en tant que représentants de la population française, pour accompagner et stimuler ce mouvement. Je vous exhorte à le faire. La majorité, aidée par un groupe de travail comme Accélérons, qui est transpartisan, peut faire en sorte que le Parlement joue un rôle moteur dans ces évolutions.

Mme la présidente Barbara Pompili. Je vous précise que vous avez ici des députés de la majorité et des oppositions.

M. Benki Piyãko. (Chant.) Je voudrais d’abord vous remercier de m’entendre. Je m’appelle Benki Piyãko, j’habite en forêt amazonienne, à la frontière entre le Pérou et le Brésil. En ce moment, je suis très préoccupé, en tant que dirigeant, à l’égard de tout ce qui se passe dans le monde.

Depuis trente ans, nous connaissons de grands changements dans l’environnement. Conséquences des changements climatiques, des rivières sont à sec, des arbres fruitiers donnent du fruit hors saison, des poissons meurent, des espèces d’animaux disparaissent. La chaleur augmente sur terre. Dans le passé, il faisait chaud l’hiver mais sans pluie ; aujourd’hui, la pluie tombe extrêmement fort. L’été, le soleil est tellement chaud que beaucoup d’espèces sont mortes quand la pluie revient. Nous sommes dans une période de changements sans retour à l’équilibre.

Aujourd’hui, beaucoup de lois parlent d’environnement, nous disposons de nombreux travaux scientifiques et, dans le monde entier, il est de la responsabilité de chacun, en particulier les hommes et femmes politiques, d’analyser la crise actuelle. Nous, en Amazonie, sommes les gardiens de la plus grande diversité du monde. Nous en prenons soin comme d’un patrimoine vital. Cette biodiversité nous fait survivre. Dans la forêt, un écosystème maintient un équilibre pour l’ensemble des climats ; c’est une chose que nous ne saurions pas faire, tandis que naturellement, la nature le sait.

Or, nous sommes attaqués frontalement : des composantes des écosystèmes ont déjà été détruites. Nous sommes confrontés à de grandes entreprises pétrolières et de déboisement, à la construction de barrages hydroélectriques, à de grandes entreprises minières exploitant l’or, le fer, et provoquant de graves contaminations par des produits chimiques rejetés dans la terre. Nous voyons aussi de nombreuses semences qui sont génétiquement modifiées. Nous assistons à une sorte de privatisation des plantes par des multinationales. Nos agriculteurs sont obligés par la loi de renoncer à l’usage de plantes natives. Or, les plantes naturelles, tout comme les fruits et les animaux, sont nécessaires à notre équilibre.

Nous parlons d’un changement global. Nous-mêmes avons une responsabilité. Avec mon peuple, nous avons déjà planté deux millions d’arbres. Nous habitons au milieu d’une forêt ; pourquoi plantons-nous ? Parce que nous voulons donner l’exemple. Or nous voyons qu’il y a même des lois qui nous empêchent de planter. Pourtant, un million de plants avaient disparu. Il y a aussi un million d’espèces vivantes qui ont disparu. Nous voyons des contaminations par le gaz, par les déchets répandus n’importe où sur le sol. À qui revient la responsabilité ? Au Gouvernement ? À la société ? Nous pensons qu’il nous faut assumer certaines choses.

Nous voyons chaque jour nos responsables qui sont menacés et attaqués. Nous voyons aussi la manière dont notre Gouvernement actuel nous traite. Dans notre pays, des accords internationaux donnent aux industries qui affectent notre santé le droit d’utiliser les mers et les voies de communication.

Je crois que nous pouvons changer tout cela. Il nous faut travailler sur la conscience, éveiller les êtres humains par l’éducation. Nous savons aujourd’hui que le changement dans le monde est de notre responsabilité.

Nous devons beaucoup prendre soin de ce monde. Il nous faut échanger, étendre nos connaissances, pour pouvoir le changer. Sinon, nous aurons une terre incendiée, ou inondée, et nous pourrons voir une guerre pour un verre d’eau.

Cette responsabilité nous revient. Merci.

Mme la présidente Barbara Pompili. Merci de vous être déplacé jusqu’à nous pour nous rappeler que nous sommes sur la même planète avec les mêmes problèmes.

M. Jean-Marie Sermier. Merci aux orateurs pour leurs propos poignants, particulièrement venant du Brésil. Nous sommes largement d’accord sur les constats et sur la volonté, même si nos positions peuvent diverger quant aux solutions. Pourtant il nous semble que cela ne suffit pas, car les sujets n’avanceront pas tant qu’il n’existera pas de gouvernance internationale. Vous avez évoqué le réchauffement climatique. 0,8 % des émissions de dioxyde de carbone viennent de la France. Celle-ci ne pourra pas à elle seule apporter les réponses. De même, vous avez, Monsieur, évoqué à juste titre les organismes génétiquement modifiés – les OGM. La France a décidé d’en interdire la culture, mais on voit bien que donner l’exemple ne suffit pas.

Imaginez-vous un type de gouvernance mondiale ? Ne constatons-nous pas la faillite du système d’organisations internationales mises en place après la deuxième guerre mondiale ?

M. François-Michel Lambert. Merci beaucoup à Mme Isabelle Delannoy, à M. Cyril Dion et à notre ami brésilien (mots de bienvenue en portugais). Ma question porte sur la nécessité de changer de cap. Comme les finances mènent le monde, si nous pouvions avoir une comptabilité intégrée prenant en compte aussi les enjeux sociaux et environnementaux, pensent-ils que nous pourrions réorienter le modèle de développement de notre planète ?

M. Bruno Millienne. Merci aux orateurs pour ce moment important et chargé d’émotion, et merci en particulier à nos amis brésiliens, dont les propos ont été comme une claque. Après les questions de MM. Jean-Marie Sermier et François-Michel Lambert, parlant de gouvernance mondiale et de changement de modèle, je vais être très terre à terre. Pour ne prendre qu’un exemple, quelques années après que la loi a posé le principe du « zéro phyto » dans toutes les communes de France, l’adhésion de la population n’est toujours pas acquise. La biodiversité qui pousse dans les espaces interstitiels, dans les cimetières, dérange encore. Malgré tous nos efforts de pédagogie, je le vois dans mes fonctions de président de l’Agence pour la biodiversité d’Île-de-France, la population en reste au vieux principe « not in my backyard ».

J’aimerais savoir si vous avez des solutions, en particulier pour éduquer les enfants dans les écoles, parce que c’est par eux que cela passera, mais le temps nous est compté. Comment obtenir l’adhésion des citoyens et qui plus est, au niveau mondial ?

Mme Frédérique Tuffnell. M. Piyãko, je suis très touchée par vos déclarations. Je condamne fortement la politique conduite par votre Président. J’aimerais pouvoir dire qu’il y a des solutions à apporter, mais j’ai du mal à faire encore confiance aux hommes, préférant croire à la biodiversité et à la manière dont nous, Français et Européens, avançons sur ces sujets.

Ma question a pour objet le G7 Environnement : qu’en attendiez-vous et que vous a-t-il apporté, en particulier en matière de moyens de préserver la biodiversité ?

M. Benki Piyãko. J’estime que la gouvernance doit commencer à la maison. Si nous n’assurons pas une gouvernance chez nous, comment aurons-nous une gouvernance du monde ? Nous devons orienter nos enfants, notre famille, pour bien manger et bien vivre. À partir de cette orientation familiale, on peut aussi influencer d’autres familles. C’est une manière d’éduquer, d’écouter, d’apprendre ensemble. Nous parvenons à une bonne gouvernance quand nous écoutons la diversité. À partir de cette diversité, nous expérimentons et, après délibération, la gouvernance de notre communauté décide du meilleur chemin, des meilleures solutions pour la vie de notre peuple, mais elle ne décide jamais seule.

Nous voyons aujourd’hui dans notre pays des politiques qui se coupent de millions de personnes. Si nous n’écoutons pas les meilleurs exemples, nous pouvons détruire très vite un pays. Mais reconstruire est très difficile. La forêt, l’eau sont des biens communs dont chacun doit prendre soin.

Notre peuple a un dicton qui dit qu’un bon guerrier, un bon protecteur, un grand homme de connaissances met peu de choses sur son corps et dans sa vie. Il faut simplifier la manière de vivre.

Quand nous considérons le monde où nous vivons, nous constatons que tout est transformé en business. Pourtant, nous devons agir avec humanité. Il y a assez d’argent pour s’occuper de la forêt, éliminer les déchets, aider les autres. J’ai peu à vous dire sur la façon dont on devrait réaliser la mathématique de l’argent.

Mais nous devons traiter les gens avec conscience et avoir du respect pour la biodiversité. Cela peut faire une grande différence. Il nous faut avoir un grand respect humain pour pouvoir changer l’histoire.

M. Cyril Dion. En complément, je voudrais dire que nos sociétés se construisent beaucoup sur des récits. Aujourd’hui, ces récits sont fondés sur des idées de croissance économique, de matérialisme, de profit, et on est en train d’en mourir. Ce sont ces récits que l’on a besoin de remettre en question. C’est extraordinairement difficile, car une bonne partie de la planète fonctionne ainsi.

Vous me demandiez pourquoi la France doit faire un effort. Je veux rappeler que le récit du développement qui s’est imposé un peu partout, récit matérialiste, extractiviste, de pouvoir sur l’ensemble de l’écosystème vivant, a été propagé par l’occident, notamment par la France, au travers de la colonisation et de la révolution industrielle. Peut-être la France n’est-elle à l’origine que de 0,8 % des émissions de CO2. Mais chaque année, un Français émet 11 tonnes de carbone, alors qu’il devrait n’en émettre qu’une pour rester en deçà d’un réchauffement de 2 degrés. Si l’on continue à proposer ce récit, sans changer notre mode de vie, en considérant que notre mode de vie n’est pas négociable : deux voitures, quatre iPad, un iPhone tous les six mois, et tant pis pour les autres et pour la biodiversité, alors on continuera à aller dans le mur.

En revanche, si des pays comme la France – bien sûr, il n’y a pas que nous, mais partons de là où nous sommes – montrent que l’on est capable de s’inspirer du fonctionnement de la nature, de vivre plus simplement, de réorienter nos priorités, de changer nos cadres, nos indicateurs, alors nous pourrons changer le récit. Ce dont on a besoin, c’est de changer le sens de nos sociétés. Il en sera de même pour l’adhésion des populations. Ce récit doit devenir collectif.

Et vous, en tant que parlementaires, vous portez une part de responsabilité dans la construction de ces nouveaux récits.

Mme la présidente Barbara Pompili. Je souhaiterais vous sensibiliser à la situation dans laquelle nous nous trouvons, et qui est par moment abominable. Prenons un exemple : celui de ces pesticides produits en France et dans d’autres pays d’Europe, mais dont l’utilisation est interdite en Europe parce qu’ils sont dangereux pour la santé et l’environnement, tandis que nous continuons à les exporter au-dehors.

Récemment, à l’Assemblée nationale, nous avons essayé de les interdire, mais nous avons subi des pressions terribles, et compréhensibles, venant de territoires où des emplois sont en jeu. Il y a des réponses : il faut travailler en amont. Mais nous sommes nous-mêmes des élus de territoires. C’est une réalité que nous devons prendre en compte si nous voulons réussir. Finalement, sur ce vote, nous avons failli y arriver, mais nous n’avons pas réussi. On voit qu’au-delà de la volonté et de la conscience, il y a là une autre étape à passer. Nous avons des idées pour la franchir, mais si vous pouvez nous aider, nous serons heureux de vous entendre.

M. Cyril Dion. Nous tentons justement de répondre à cela. Le problème est qu’on voit les solutions, mais qu’il manque de l’adhésion sur ces solutions. On manque d’espaces de concertation. Au fond, c’est un problème démocratique, auquel nous essayons de répondre dans le cadre d’une expérience de démocratie délibérative.

Ce qu’on tente d’élaborer s’appuie sur un groupe de gens tirés au sort, comme un jury d’assises. Ils délibèrent pendant plusieurs mois, « nourris » par les informations qui leur permettent de prendre leurs décisions. De multiples exemples montrent que de tels échantillons de la population vont beaucoup plus loin dans leurs propositions. L’exemple du Texas, État pétrolier par excellence, l’a montré : une telle assemblée délibérative a permis d’engager une transition écologique telle que le Texas est maintenant l’État qui a le plus d’éoliennes aux États-Unis, alors qu’au départ la population était farouchement contre.

Il faut faire en sorte que la population se sente partie prenante. Les États où l’éolien participatif ou citoyen a le mieux marché sont ceux où les personnes ont été intéressées, notamment financièrement, à la présence d’éoliennes sur leur territoire. Ayant travaillé sur des plans climat dans de nombreuses communes, je pourrais vous donner de nombreux exemples de cette intelligence collective.

Mme Sandra Marsaud. Quelle est la légitimité qui s’attache à ces procédures ?

M. Cyril Dion. La légitimité a besoin de se construire collectivement. Si l’on arrive à tenir ces assemblées citoyennes tirées au sort à l’échelle de la France, ils tireront leur légitimité : 1. Du fait qu’ils sont représentatifs de l’ensemble de la population ; 2. Que leurs propositions seront « nourries » par des experts ; 3. Que ces propositions seront ensuite soumises à un référendum.

Les parlementaires ne sont pas absents. Par exemple, en Irlande, 33 parlementaires figuraient parmi les citoyens tirés au sort. Mais si l’on ne compte que sur les élus, comme vous-mêmes l’avez constaté sur les pesticides, cela marche moyennement. Dix ans après le plan Éco-Phyto, nous en sommes à + 20 % d’utilisation des pesticides, pour un objectif de ‑ 50 %. On voit bien que quelque chose ne fonctionne pas.

Mme Isabelle Delannoy. Quoiqu’élus nationaux, vous êtes des élus dans des territoires et, vous l’avez remarqué, nous ne vous parlons que des territoires. Gardez à l’esprit vos territoires. Lorsque j’ai suivi les négociations de Copenhague en 2009, nous avions déjà adressé aux négociateurs un manifeste pour leur dire : « Vous ne savez pas faire. Cela ne marchera pas avec une gouvernance mondiale ».

Je reviens du Japon. Une étude de l’université de Tokyo avec Hitachi, sur la base des mécanismes actuels, a exploré 20 000 scénarios prospectifs ; sur ces 20 000 scénarios, 20, soit un pour mille, étaient résilients. La « fenêtre de tir » ne se referme pas en 2030, mais en 2025. La Commission européenne rejoint aujourd’hui l’université de Tokyo. Il ne s’agit pas de former les jeunes pour quand ils auront le pouvoir. Il faut agir maintenant. C’est vous, vous, qui avez les mandats électifs. J’ai envie de rappeler la phrase d’Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».

La solution ne viendra pas de la gouvernance mondiale, mais de vos territoires. Les élus sont responsables de la sécurité de la population. Regardez les prévisions de débit du Rhône. Vous les connaissez ?

Mme la présidente Barbara Pompili. Oui, nous en avons débattu au cours d’une réunion de la commission, dès le début de la législature.

Mme Isabelle Delannoy. Bien. Comment allez-vous nourrir la population avec l’accumulation des risques climatiques ? Même en plantant des arbres fruitiers, on n’atteint pas l’autonomie alimentaire, car il reste le problème des pesticides. En France notamment, ce qui nous empêche d’avancer, c’est la réglementation. Pourquoi ne pas expérimenter la notion de zone franche écologique où les acteurs auraient la liberté de faire ? Elles permettraient au passage de soutenir les prix de l’immobilier. Lorsque vous mettez une zone d’épuration au milieu des habitats, l’attraction économique augmente. Permettez cela à certains endroits et vous verrez : cela fera tache d’huile.

Mme la présidente Barbara Pompili. Beaucoup d’innovations fonctionnent très bien sur les territoires et il importe de mettre en réseau les expériences. Lorsque j’étais au ministère, sous le nom de « la biodiversité en action », nous les avions répertoriées, mais cela reste embryonnaire : c’est un lourd travail à finir.

Merci pour vos contributions à notre réflexion. C’est frustrant, mais il vous faut partir. Je crois que le message a été entendu. Nous nous sentons tous concernés, même si nous sommes pris entre des injonctions contradictoires. Je n’ai jamais vu autant de collègues députés aussi sensibles à ces questions.

M. Cyril Dion. Si je peux ajouter un mot, je sais combien c’est difficile, faute de solution miracle. Pour un nouveau récit, il faut imaginer à quoi pourrait ressembler l’avenir. Seule une vision nous permettra de dépasser les problèmes du quotidien, pour « embarquer » les élus et la population. Les exemples dans les territoires peuvent aider à la construire, à nous mettre en connexion avec l’ensemble du vivant. Cela fait envie ! Si les lycéens d’Europe sont dans les rues tous les vendredis, c’est bien qu’ils ont envie d’autre chose. Il faut vous appuyer là-dessus. Nous essayons de vous aider à bâtir une vision désirable par tout le monde.

Mme la présidente Barbara Pompili. Ce n’est pas pour rien qu’écologie rime avec économie. Merci de nous avoir rappelé que nous avons une histoire à raconter, mais aussi que nos actions ici ont des conséquences ailleurs. C’est pourquoi il était important d’entendre le témoignage de Benki.

Après une brève suspension, nous allons justement parler d’expériences locales.

(Suspendue à 12 heures, la séance reprend à 12 heures 10).

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La commission a tenu dans un deuxième temps une table ronde sur le thème : « Favoriser la biodiversité et l’éducation à l’environnement en milieu urbain ».

Mme la présidente Barbara Pompili. Nous reprenons donc nos travaux en revenant à une perspective locale.

Ce n’est pas par hasard si le ministre M. François de Rugy a désigné la ville de Metz pour accueillir le G7 Environnement. La ville est engagée de longue date dans la transition écologique et solidaire. Son maire, M. Dominique Gros, nous en a donné ce matin une première illustration en présentant sa politique de pilotage local des enjeux énergétiques.

Nous avons aussi particulièrement apprécié l’engagement de notre collègue M. Belkhir Belhaddad, député de la Moselle, dans l’organisation de cette journée. Je l’en remercie chaleureusement.

Sur sa suggestion, nous ouvrons maintenant une table ronde sur le thème « Favoriser la biodiversité et l’éducation à l’environnement en milieu urbain ». C’est pour nous une façon de reprendre l’une des priorités du G7 : « Promouvoir des solutions concrètes pour le climat et la biodiversité ».

J’ai donc le plaisir d’accueillir :

– M. Michel Koenig, directeur du pôle « Parcs, jardins et espaces naturels » de la ville de Metz ;

– Mme Marylin Molinet, conseillère municipale de Metz, déléguée à la préservation et promotion de la biodiversité ;

– M. Hugues Varachaud, directeur de l’association « Connaître et protéger la nature - Les Coquelicots » ;

– et M. Jean-Yves Macé, président de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Ferme de Borny, située à Metz.

M. Michel Koenig. Très heureux d’être parmi vous ce matin, je suis responsable d’un service de la ville qui s’occupe des espaces verts et en particulier des arbres.

Il y a quelques années, nous avons décidé de travailler sur une charte de l’arbre. Pourquoi ? Tout le monde a conscience du statut particulier de l’arbre, à la fois acteur de notre qualité de vie et délaissé dans les projets d’aménagement, où il vient souvent après les parkings ou les voies de bus. Nous avions besoin d’un outil pour mieux défendre l’arbre et pour mieux communiquer. Tous les Messins peuvent la télécharger sur le site de la mairie.

Dans cet outil, que nous avons voulu très pratique, nous rappelons les besoins des arbres : terre végétale de qualité, eau, espace. Acte de foi rappelant que les arbres sont nos bienfaiteurs, la charte est aussi le support d’engagements ; publiée il y a cinq ans, elle a recueilli peu à peu les signatures de décideurs institutionnels et d’entreprises intervenant sur la voirie, les uns et les autres s’engageant à mieux défendre nos arbres et à en planter davantage. Ce document contient un rappel réglementaire de ce qui peut être fait en matière d’urbanisme et de ce qui peut être dû au titre des arbres en cas de conflit ou d’accident. Ainsi, la ville a récemment reçu 50 000 euros après la destruction d’un arbre du fait d’un chauffard. Or on sait que ce qui est cher est généralement mieux respecté. Nous avons des barèmes d’estimation tenant compte de l’âge des arbres, permettant d’évaluer le préjudice collectif en cas de perte d’un arbre et étayant notre position en cas de contentieux. Pour aider à la préservation de nos arbres les plus anciens, les plus volumineux et les plus emblématiques, une liste d’environ quatre-vingts arbres remarquables a été dressée ; en parallèle, des arbres d’avenir ont été plantés, qui seront suivis et préservés dans le futur.

Mme la présidente Barbara Pompili. Je vous remercie. Mme Marylin Molinet, souhaitez-vous compléter ce propos ?

Mme Marylin Molinet. Je vous propose de présenter le projet SESAME (pour Services Écosystémiques rendus par les Arbres Modulés selon l’Essence) à l’issue de cette table ronde.

M. Hugues Varachaud. Je suis animateur nature et je dirige une association intitulée « Connaître et protéger la nature », rattachée à une fédération du même nom, la FCPN, née dans les années 1970, avec la revue La Hulotte, dont certains d’entre vous se souviennent peut-être. Localement, notre nom est « Les Coquelicots ». Nous gérons des espaces pédagogiques, en faisant de l’éducation à l’environnement et au développement durable. Deux hectares de terrain comprennent bois, potagers, vergers, ruchers ou mares. Un hectare est occupé par des ânes, qui se prêtent très bien à notre mission, qui comporte une part importante de médiation sociale. Nous avons aussi en gestion 400 mètres carrés de locaux éducatifs, les uns dédiés à l’éducation à la consommation, d’autres par exemple en lien avec l’eau.

Nos leviers d’action sont inscrits dans les territoires, ce qui fait le lien avec votre précédente table ronde, et dans le monde de l’éducation populaire, nous permettant de nous adresser à différents publics. Nous sommes dans un quartier de la politique de la ville, et notre mission commence en tâchant d’éviter que les enfants mangent des chips à leur goûter de dix heures. C’est à nous d’aider chacun à faire un petit bout de chemin.

Pour cela, nous avons des partenariats avec les collectivités locales, mais aussi avec les réseaux existant dans le monde de l’éducation, et qui à mon sens ne sont pas toujours assez valorisés. L’éducation est trop souvent perçue comme un outil de communication.

L’éventail des pédagogies tient compte de la diversité de nos publics : des enfants à qui on apprend à faire des câlins aux arbres, jusqu’aux seniors, avec lesquels on insiste sur l’aspect santé et environnement. Pour autant, dans la nature, qui est notre bien commun à tous, il n’y a pas de discrimination en fonction par exemple de la religion ou du milieu économique. Cela nous permet une transmission d’esprit critique : à chacun de réfléchir à son besoin.

Si je peux témoigner de notre expérience, il est intéressant que, sur notre territoire, l’écoute réciproque avec les élus ait fait évoluer nos missions. Nous avons commencé par des conventionnements avec les établissements scolaires, ce qui se traduisait par des sorties de milliers d’enfants pour des demi-journées. Puis nous avons souhaité aller plus loin en faisant de la pédagogie de projets, en entrant dans les écoles, où nous avons mis en place des coins nature. Notre étape actuelle est d’accompagner des écoles dotées du label d’« éco-écoles » ; dans le cadre du projet éducatif de territoire – le PEdT –, nous assurons des formations inter-acteurs, des enfants aux enseignants, ce qui permet d’ouvrir l’école sur son territoire. Si nous pouvons réaliser tout cela, c’est parce que des élus nous font confiance.

Mme la présidente Barbara Pompili. M. Jean-Yves Macé, vous avez la parole pour nous présenter la Ferme de Borny.

M. Jean-Yves Macé. Je suis depuis peu le président de cette ferme, créée il y a deux ans dans un quartier de la politique de la ville, à l’initiative de la ville de Metz. La grande ambition était de consacrer trois hectares à une ferme maraîchère, en épousant toutes les dimensions d’une ferme urbaine à proximité immédiate d’un quartier connaissant des difficultés et impliquant une pression sociale forte. Le pari est à la fois économique : avoir une ferme qui vive de sa production ; social, pour faire en sorte que cet espace soit ouvert à la dimension éducative ; et commercial, en proposant si possible notre production à destination de la population du quartier, dont les conceptions sont très loin de la consommation de produits bio. Comme nous n’avons aucun intermédiaire, nous pouvons pratiquer des tarifs bien plus bas que dans le commerce traditionnel.

Depuis deux ans, la ferme se bat pour tenter d’inventer un nouveau modèle économique. C’est un combat de tous les jours. Nous tentons de trouver de nouveaux partenaires pour renforcer notre activité. Cette ferme urbaine est au cœur des enjeux dont vous débattez depuis ce matin, de transformation de notre alimentation et de nos modes de vie. Je voudrais mettre l’accent sur la forme juridique retenue : celle d’une coopérative d’intérêt collectif. La volonté délibérée de recourir à cette forme particulière de société anonyme, à capital variable, répond au souhait de tourner le dos à l’économie traditionnelle du monde associatif, véhiculant l’image d’une économie consommatrice de ressources publiques. Il s’agit de parvenir à démontrer que la ferme peut vivre de sa production, ce qui n’est absolument pas assuré au départ. Une dimension importante est celle du pilotage de la structure, et du mariage entre les intérêts privés de nos actionnaires et les intérêts publics, principalement ceux de la ville de Metz. Il nous reste encore à asseoir et affermir ce modèle, qui reste fragile.

Mme la présidente Barbara Pompili. Merci à tous. Je vais donner la parole à nos collègues députés, pour une première série de question.

M. Vincent Thiébaut. Félicitations pour vos initiatives. Ma question est dans la continuité de la précédente table ronde, où l’on a insisté sur l’urgence d’agir. Beaucoup d’initiatives sont prises dans ma circonscription comme sur les différents territoires, souvent sans que les citoyens et citoyennes en aient connaissance. Or tout ne peut venir du haut : le rôle du citoyen et du consommateur sera décisif.

Ma question est donc de savoir comment vous travaillez ensemble, comment vous faites connaître vos initiatives et comment vous aidez les citoyens et citoyennes à développer une prise de conscience et à changer leurs comportements.

Mme la présidente Barbara Pompili. J’ajoute une question proche. Nous avons bien entendu que chacun doit prendre part au changement d’approche global qui est nécessaire. Nous avons vu ici des acteurs de terrains conscients et engagés, et des élus qui jouent le jeu. Mais ce n’est pas le cas partout. Ne touche-t-on pas aux limites de nos politiques publiques, qui se heurtent à ce que la biodiversité, au fond, reste optionnelle et liée au bon vouloir des uns et des autres ?

M. Michel Koenig. Je peux témoigner de l’expérience intitulée « végétalisons Metz » que nous conduisons depuis ce printemps. Nous proposons aux citoyens de nous proposer des zones à végétaliser à proximité de leur domicile : pieds de murs, pieds d’arbres, en signant une petite charte par laquelle ils s’engagent à entretenir régulièrement leurs espaces verts sans utiliser de pesticides. C’est pour nous une sorte de porte d’entrée pour communiquer sur l’intérêt des arbres et des espaces vert dans la ville. L’expérience a été lancée vers le 15 mars et nous avons déjà une trentaine de projets qui seront labellisés. Ce sont souvent des zones très minérales qui sont concernées, et ce label devrait permettre d’amplifier la mesure.

M. Hugues Varachaud. Un élément de réponse à la question sur la démarche participative. Depuis dix ans, nous misons sur la formation. Quand nous lançons un projet, nous nous plaçons, non pas en tant que porteurs de projet, mais en tant qu’accompagnateurs. Pour nos jardins partagés, par exemple, nous avons un groupe des pédagogues, d’autres qui travaillent sur l’inclusion, sur les aspects juridiques ou sur le land art. Chaque participant vient chercher ce dont il a besoin et apporte ses compétences aux autres.

Mais cela ne suffit pas toujours. Pour aller plus loin, je recommande souvent d’aller au pied des immeubles. Il faut toucher les publics qui ont le plus de chemin à faire. Par ailleurs, je constate que même dans le monde de l’éducation populaire, bien des conseillers ont besoin d’être formés.

Mme Marylin Molinet. En tant que déléguée pour la biodiversité de la ville de Metz, j’ai souhaité faire découvrir au plus grand nombre la biodiversité qui se trouvait sur notre territoire. En partant d’un superbe ouvrage de photos, nous en avons présenté des agrandissements commentés dans un parc de la ville, non loin de Metz Plage, qui attire quelque 100 000 visiteurs en été. Nous avons aussi organisé, il y a deux ans, des conférences sur la nature qui ont remporté un grand succès.

M. Jean-Yves Macé. Dans notre cas, les partenariats ne vont pas de soi : il s’agit en partie de travailler avec des concurrents. Il appartient donc à la sphère publique de jouer son rôle fédérateur et de les encourager. Elle a, de plus, des moyens d’accompagnement par de l’ingénierie sociale et financière.

Sur la participation du public à notre capital, dès le lancement de notre projet, nous avons tout de suite senti un engouement. 280 actionnaires ont investi, certes des sommes modestes, mais cet actionnariat populaire est une façon d’associer des habitants du quartier et d’avoir un effet d’entraînement pour nos projets. Quant à les enrichir par un accompagnement éducatif, c’est une charge supplémentaire, mais que nous devons consentir comme investissement.

Mme Stéphanie Kerbarh. Je suis impressionnée par le projet SESAME, tel qu’il est présenté dans le dossier. C’est la première fois que j’entends parler d’une telle initiative, qui n’a pas dû être facile à faire accepter. Je voudrais savoir si vous avez l’intention de pousser plus loin la démarche, en aménageant, comme au Japon, des zones plantées d’arbres permettant des « bains de forêt », ou shirin-yoku. Avec un but thérapeutique ou de relaxation, ils permettent par exemple de traiter des enfants agités ou des personnes stressées.

M. Pierre Vatin. Merci pour vos exposés. Concernant la ferme de Borny, je voudrais savoir si lors de son lancement, l’effort de la ville s’est traduit par une subvention ou par un prêt.

M. Bruno Millienne. Vos expériences sont d’autant plus intéressantes pour nous que vous disposez d’un peu de recul. Je voudrais savoir si vous avez réussi à essaimer et à convaincre des personnes réfractaires au départ à changer leurs habitudes. Par ailleurs, vous qui vous situez au sein de Metz Métropole, avez-vous réussi à établir des « ponts » avec la ruralité, car ce qui paraît évident en ville ne l’est pas forcément à la campagne ?

M. Michel Koenig. Sur le dernier point, qui nous intéresse beaucoup, nous avons réussi à passer très rapidement à zéro pesticide, entre 2008 et 2009, avec le soutien de nos élus. Le paysage urbain a changé très vite. Nous l’avons expliqué aux parents d’élèves, et nous avons reçu très peu de critiques. Par ailleurs, il reste quelques fermes sur le territoire de la métropole. Ce sont de grandes cultures qui traitent énormément, alors que la ville ne traite plus. Comme nous avons des promenades communales qui traversent des zones de culture, nous tentons d’encourager ces exploitants à modifier leurs pratiques.

Mme Marylin Molinet. Il convient de présenter plus en détail le projet SESAME. C’est une première en Europe. En 2015, j’ai été alertée sur la surmortalité précoce due aux particules fines et aux pollutions de l’air. Ayant eu des antécédents de maladie liée à la pollution, j’étais sensibilisée au problème. Une étude de 2008 trouvée sur internet tendait à montrer que certains arbres absorbaient les particules fines, d’autres les oxydes d’azote, d’autres l’ozone. On sait par ailleurs qu’il y a en ville des îlots de chaleur qui ne feront que s’aggraver avec le réchauffement climatique. D’où l’idée de rechercher les essences d’arbres permettant de répondre aux différentes pollutions. Il nous fallait aussi penser aux animaux et, pour cela, croiser les données. Je me suis donc rapprochée du CEREMA, qui a pris en charge une partie du coût de l’étude, à hauteur de 20 000 €, en raison de son caractère innovant.

Nous nous sommes intéressés aux espèces aptes à résister à une élévation des températures et au stress hydrique. Nous avons défini différents profils urbains et avons pris en compte la biodiversité – papillons, lichens –, et particulièrement l’impératif de protection des abeilles sauvages, menacées par la multiplication des ruches. Une législation protectrice serait indispensable pour protéger les 2 600 espèces d’abeilles sauvages. Des associations d’arbres, composées par strates, sont en préparation.

J’aimerais beaucoup que les métropoles se tournent vers l’agroforesterie. J’ai donc une autre demande à vous adresser en matière d’évolution de la législation : au-delà du bio, il conviendrait de promouvoir l’agroforesterie bio, qui engagerait un cercle réellement vertueux, prenant en compte les diverses dimensions de la biodiversité : insectes et auxiliaires de culture.

Mme Frédérique Tuffnell. Une remarque : comme on l’a dit tout à l’heure, en moyenne, un Français émet onze tonnes de CO2 par an, tandis qu’un arbre en stocke 35 kg par an. Il faudrait donc, toujours en moyenne, planter chaque année 360 arbres par personne, ce qui est absolument énorme. Les études montrent cependant qu’à côté des arbres, les zones humides, par exemple, participent au stockage du carbone. Il est donc important de penser aux différentes zones de captage du CO2 lorsqu’on conçoit l’urbanisme de nos villes.

Mme Marylin Molinet. J’ajoute que la ville de Metz est engagée dans un programme de plantation de 20 000 arbres sur dix ans. Dans le cadre de nos financements, l’étude a porté jusqu’ici sur 90 espèces d’arbres. Mais comme nous avons environ 500 espèces à Metz, nous recherchons des financements pour continuer l’étude en l’étendant à 300 espèces, ce qui sera plus pertinent. L’étude porterait également sur l’amélioration des sols et les inondations. Cette méthodologie transdisciplinaire est transposable à d’autres villes d’Europe ; bien sûr, des villes du sud pourraient ajouter la problématique incendies.

Je voudrais enfin signaler que le responsable de l’étude au CEREMA nous a alertés sur les risques qui seraient liés à une montée excessive des températures. Il y aurait alors une menace de dépérissement des forêts, même en Lorraine, faute de nutriments suffisants dans les sols.

M. Jean-Yves Macé. Pour répondre sur l’accompagnement financier de la ville à la Ferme de Borny, le choix de la forme de SCIC excluait le versement de subventions. Donc la ville a fourni des terrains et a apporté une part du capital, la part d’origine publique étant du reste plafonnée à la moitié du total dans le cas d’une SCIC. Notre capital actuel s’élève à 24 000 €, montant très insuffisant.

M. Hugues Varachaud. Un dernier mot, sur l’essaimage. Dans le milieu associatif, je parlerais plutôt de biodiversité des acteurs. L’important est l’humain, et la faiblesse tient au manque de formateurs qualifiés.

Mme la présidente Barbara Pompili. Je vous remercie au nom de toute la commission pour ces échanges qui nous ont vraiment conduits du global au local.

Il nous faut poursuivre notre programme de cette journée très dense.

Prochaines réunions : demain mardi 7 mai 2019 à 16 heures 30 et 21 heures 30 : examen en nouvelle lecture de la proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires.

 

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Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

 

Réunion du lundi 6 mai 2019 à 11 h

 

Présents. - Mme Bérangère Abba, M. Christophe Arend, M. Lionel Causse, M. Jean-Charles Colas-Roy, Mme Yolaine de Courson, Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Duvergé, Mme Stéphanie Kerbarh, M. François-Michel Lambert, Mme Sandrine Le Feur, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Sandra Marsaud, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Bruno Millienne, Mme Barbara Pompili, Mme Véronique Riotton, Mme Laurianne Rossi, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville, M. Vincent Thiébaut, Mme Frédérique Tuffnell, M. Pierre Vatin

 

Excusée. - Mme Sophie Auconie

 

Assistait également à la réunion. M. Belkhir Belhaddad