Compte rendu

Commission
des affaires sociales

  – Audition de M. Jean-François Delfraissy, dont le renouvellement en qualité de président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) est envisagé par le Président de la République, et vote sur cette nomination en application de l’article 13 de la Constitution              2

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Mardi
15 janvier 2019

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 33

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
Présidente,

 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 15 janvier 2019

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)

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  La commission procède à l’audition de M. Jean-François Delfraissy, dont le renouvellement en qualité de président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) est envisagé par le Président de la République, et vote sur cette nomination en application de l’article 13 de la Constitution.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes meilleurs vœux pour cette année 2019. Je souhaite qu’elle soit apaisée et que les travaux de notre commission demeurent d’une excellente qualité, comme ce fut le cas l’année passée.

Notre ordre du jour appelle l’audition de M. Jean-François Delfraissy, dont le renouvellement en qualité de président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) est envisagé par le Président de la République, et le vote sur cette nomination.

Cette audition intervient dans le cadre de l’article 13 de la Constitution et nous devrons, à son issue, rendre un avis sur la proposition de nomination. Je vous rappelle que, conformément au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

L’audition est publique, mais le scrutin – auquel nous procéderons juste après – est secret, et doit avoir lieu en dehors de la présence de la personne auditionnée. Le Sénat procédant à l’audition de M. Delfraissy et au vote sur sa candidature demain matin, le dépouillement du scrutin sera effectué demain, simultanément dans les deux assemblées, conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous présente à mon tour mes meilleurs vœux pour l’année 2019, en mon nom et en celui du CCNE.

Si vous m’avez déjà auditionné à plusieurs reprises, peut-être certains d’entre vous ne me connaissent-ils pas encore, aussi vais-je commencer par me présenter brièvement. Je suis professeur de médecine, spécialiste en immunologie et en maladies infectieuses, et mes travaux ont porté notamment sur le VIH – j’ai dirigé l’agence France Recherche Nord & Sud Sida-HIV Hépatites (ANRS) de 2005 à 2017. J’ai également beaucoup travaillé sur les maladies émergentes, en exerçant notamment la fonction de délégué interministériel aux opérations nationales et internationales de réponse à l’épidémie d’Ebola.

J’ai été nommé président du CCNE début janvier 2017 pour une période de deux ans et, ce mandat étant arrivé à expiration, j’ai exprimé le souhait de le renouveler. J’en profite pour vous dire qu’à mon sens, il serait sans doute opportun d’aligner la durée du mandat du président du CCNE sur celle de ses membres, à savoir quatre ans – certes, l’organisation actuelle peut permettre de faire face à certaines situations, mais un mandat de deux ans me paraît vraiment trop court.

Comme vous le savez, les années 2017 et 2018 ont été très riches pour le CCNE. Premièrement, il a rendu en 2017 toute une série d’avis portant sur les thèmes « Santé et environnement », « Santé des migrants », « Prise en charge des personnes âgées, un nouveau regard », ainsi qu’un avis portant sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), publié en juin 2017.

Deuxièmement, en 2018, le CCNE est très largement intervenu dans le processus de révision de la loi de bioéthique – non pas au stade de l’élaboration de la loi, mais à celui des États généraux, qu’il a pilotés.

Le CCNE est un organe de réflexion composé de quarante membres, dont environ un tiers de médecins et de chercheurs, de nombreux juristes, des philosophes, une économiste de la santé, ainsi qu’une toute petite représentation de la société civile – que je souhaite voir s’étoffer à l’avenir.

Le terme « bioéthique » recouvre des sujets extrêmement complexes, soit qu’ils touchent des thèmes sociétaux clivants, soit qu’ils présentent un caractère scientifique très ardu – la nouvelle génomique, le numérique et la santé. En la matière, la vision du CCNE et de son président correspond à un équilibre difficile à trouver entre, d’une part, les avancées de la science et de la technologie – on assiste en la matière à un renouvellement de 50 % des connaissances tous les cinq ans, mais il faut préciser qu’une avancée scientifique ne constitue pas forcément un progrès médical ni un progrès pour l’homme, même si c’est souvent le cas – et, d’autre part, les modifications sociétales ayant profondément modifié notre vision de la société et des individus qui la composent au cours des trente dernières années. Nous analysons donc ces deux évolutions qui s’opèrent de façon parallèle et constante, mais pas au même rythme, afin de déterminer où se situe le point d’équilibre entre les deux.

D’aucuns m’ont fait dire que je ne savais pas ce que sont le bien et le mal, ce qui me semble malvenu si l’on considère mon âge – je suis grand-père – et mon implication de longue date auprès des populations les plus fragiles, notamment celles du Sud… En réalité, ils ont mal interprété certains de mes propos, par lesquels j’affirmais que le CCNE n’a pas à dire ce que sont le bien et le mal : pour moi, le rôle de notre comité est de définir et d’exposer les questions que suscite tel ou tel grand sujet, d’écouter attentivement les différents arguments allant dans un sens ou dans l’autre et, pour finir, de prendre ou de ne pas prendre position – en d’autres termes, il s’agit d’apporter à nos concitoyens, ainsi qu’au législateur, un éclairage sur les grands problèmes qui se posent à la société. C’est dans ce contexte et dans cet état d’esprit que nous avons abordé les États généraux de la bioéthique.

Si certains aspects de la réflexion du CCNE peuvent paraître un peu abstraits, ils n’en sont pas moins importants. Comme vous le savez peut-être, c’est le procès des Médecins, dit aussi « second procès de Nuremberg », et portant sur les effroyables expériences effectuées par des médecins nazis sur des Juifs détenus dans les camps d’extermination, en particulier à Auschwitz, qui a constitué le socle de la bioéthique moderne. Il y a deux ans, lorsque je me suis plongé dans l’étude de ce procès, j’ai découvert que les médecins qui s’étaient livrés à ces actes n’étaient pas n’importe qui : il s’agissait souvent des plus grands médecins de Berlin, de Munich et de Stuttgart qui, obsédés par la volonté d’aller toujours plus loin dans la compréhension des phénomènes et aveuglés par l’idéologie nazie, avaient fini par perdre les pédales… Si je me permets d’insister sur ce point, c’est pour être sûr que vous m’entendiez, vous qui êtes pour la plupart beaucoup plus jeunes que moi, et que vous gardiez à l’esprit qu’il existera toujours des formes d’extrémisme et que nous ne serons jamais complètement à l’abri de nouvelles dérives, y compris de la part de la communauté médicale.

Pour en revenir aux États généraux de la bioéthique, je rappelle que la loi de bioéthique de 2011 prévoyait une révision de la loi tous les sept ans – un modèle français que vous connaissez bien, et qui présente à la fois des avantages et des inconvénients – et que, par cette loi, le législateur avait confié au CCNE le soin d’organiser, en tant qu’instance indépendante, les États généraux de la bioéthique. Tout un processus était ainsi prévu : d’abord les États généraux, puis des rapports rendus par le CCNE et d’autres organismes – le Conseil d’État, mais aussi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) –, enfin un temps politique correspondant à l’élaboration de la nouvelle loi de bioéthique.

Il y a un an, en janvier 2018, nous en étions au début des États généraux, avec toutes les incertitudes et les difficultés qui se posent au moment de se lancer dans la fabrication d’un nouvel outil, que l’on espère toujours le plus performant et le plus à l’écoute possible des préoccupations de nos concitoyens – c’est exactement la même chose aujourd’hui avec le grand débat national proposé par le Président de la République.

L’optique du CCNE était double. D’abord, il tenait absolument à éviter que ces États généraux ne se limitent à un débat d’experts – en l’occurrence, de médecins –, et à faire en sorte que la société civile puisse s’exprimer. Ensuite, il souhaitait que le débat soit cadré, c’est-à-dire initialement limité à un certain nombre de grands sujets – ce qui n’a pas empêché que des sujets non prévus au départ s’invitent dans le débat, ce qui n’est pas une mauvaise chose – et se tienne en recourant à différents outils. Sur ce dernier point, nous voulions en effet éviter qu’il ne soit fait appel qu’aux outils numériques, dont la mise en œuvre peut receler des pièges, alors que certains outils traditionnels sont non seulement utiles, mais essentiels – je pense notamment aux débats en région.

Nous avons établi un rapport de synthèse de ces États généraux, et mis en place un site web ayant comptabilisé 180 000 visites uniques et recueilli 65 000 propositions – deux ou trois sujets, portant notamment sur la procréation et sur la fin de vie, ont cependant monopolisé les contributions. Le site permettait également de prendre connaissance de la synthèse des quelque 180 auditions réalisées par le CCNE – des ONG, des associations, des sociétés savantes, de grandes instances – selon un modèle particulier.

Les débats en région s’appuyaient sur les espaces de réflexion éthique régionaux (ERER) car, si nous ne voulions pas d’un débat d’experts, nous ne voulions pas non plus d’un débat limité au 7e arrondissement de Paris : nous étions donc déterminés à nous rendre au sein des régions, là où bat le cœur de la France, y compris en outre-mer. Plus de 280 débats en région ont ainsi été organisés, et l’on peut considérer qu’ils se sont bien passés dans leur immense majorité – seuls quelques-uns ont été accaparés par les extrêmes, à chaque fois sur le thème de la procréation.

Un comité citoyen formé de vingt-deux personnes sélectionnées par des organismes de sondages pour représenter des profils très variés – des hommes et des femmes, des Parisiens et des personnes habitant en province, des intellectuels et des manœuvres… – s’est réuni plusieurs fois au cours des États généraux, et nous avons eu la satisfaction de constater que ce groupe fonctionnait très bien – il est d’ailleurs volontaire pour participer à d’autres travaux, et sera associé au fonctionnement même du CCNE à compter de la mi-2019, sous la forme d’un comité citoyen permanent externe. Enfin, un médiateur a été nommé en la personne de Louis Schweitzer, ancien président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).

Si on ne peut placer sur le même plan le grand débat national à venir et les États généraux de la bioéthique, force est de reconnaître qu’avec ces États généraux, nous avons mis en place un modèle de concertation ayant vocation à être réemployé en d’autres occasions. Chacun des outils mis en œuvre doit être envisagé avec une grande modestie, mais je pense que l’idée consistant à recourir à une instance administrative autonome avant de passer à la séquence de prise de décision par le pouvoir politique est une bonne idée. Je considère même que, dans notre société démocratique, le principe d’une dissociation entre la conduite du débat et la prise de décision représente un enjeu essentiel en termes de démocratie participative : il ne s’agit absolument pas de remettre en cause le modèle de la démocratie représentative que vous incarnez, mais simplement d’être plus à l’écoute des citoyens grâce à l’introduction d’une petite dose de fonctionnement participatif.

Une fois que le débat avait eu lieu, encore fallait-il récupérer tout ce qui en était ressorti afin d’en faire une synthèse, et ce fut là une tâche beaucoup plus complexe ! Le CCNE, qui est une toute petite structure, a pour cela recruté des étudiants de haut niveau, notamment des normaliens et des étudiants de Sciences Po, qui ont suivi l’ensemble de nos travaux, ce qui a donné lieu à un passionnant dialogue intergénérationnel. Ces étudiants ont été chargés de mettre à disposition du public, sur un site web, le contenu de tous les débats ainsi que les documents s’y rapportant, ce qui est essentiel pour que les historiens de la bioéthique puissent y accéder facilement lors des prochaines révisions de la loi. Je profite d’avoir en face de moi l’un des membres du CCNE – M. Marc Delatte, en l’occurrence – pour remercier à nouveau toutes les personnes constituant le comité, qui ont été massivement mises à contribution durant plusieurs mois afin de pouvoir aboutir au rapport de synthèse que nous avons publié fin juin 2018.

S’il était initialement prévu d’aborder neuf sujets, correspondant aux thèmes classiquement évoqués à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique, dans le cadre des États généraux, deux sujets très importants se sont imposés lors des débats. Le premier, qui ne faisait pas partie des sujets présélectionnés, était la place du citoyen dans le système de santé actuel : en d’autres termes, il s’agissait de s’interroger sur la situation du citoyen confronté à une évolution rapide de la médecine due aux progrès de la génomique, des applications du numérique en matière de santé et en particulier des nouvelles plateformes, mais aussi de déterminer comment son consentement peut s’exprimer dans ce contexte, et selon quelles modalités s’exerce la gouvernance des CHU les plus importants. Dès le printemps 2018, il est clairement apparu que la capacité de prendre des décisions ne pouvait être confiée uniquement aux autorités administratives et aux médecins et que les citoyens devaient y prendre leur part, comme ils en manifestaient la volonté.

Le deuxième sujet ayant pris une place prépondérante dans le cadre des États généraux, et qui constitue l’enjeu majeur de la loi de bioéthique que j’espère voir adoptée en 2019, a été celui de l’équilibre très difficile entre, d’une part, les désirs individuels – ce qui correspond à la vision de l’autonomie en éthique – et, d’autre part, une vision plus collective et sociétale. On entend parfois dire que la France est entrée dans une ère d’égoïsme, dont serait bannie toute vision sociétale. C’est évidemment faux : en réalité, chacun d’entre nous peut avoir à certains moments une vision des choses centrée sur sa propre personne et, à d’autres, penser et agir dans une vision plus collective. Tout l’enjeu de ce deuxième sujet réside dans l’équilibre à trouver entre, d’un côté, les besoins et les désirs individuels, de l’autre, une vision collective de la société. Cela rejoint une certaine conception de la bioéthique à la française basée sur un certain nombre de grands principes partagés – les États‑Unis ont, eux, une vision très individualiste qu’ils assument pleinement, où l’autonomie de l’individu revêt une importance essentielle.

Si le CCNE était resté très neutre dans le rapport de synthèse que j’ai évoqué, les choses ont changé avec la publication, fin septembre 2018, de son avis n° 129. Au sein même du comité, les avis divergeaient : certains membres considéraient qu’il ne nous appartenait pas d’exprimer une position allant dans un sens plutôt que dans l’autre, tandis que d’autres, dont j’étais, estimaient nécessaire de fournir au législateur des éléments d’aide à la décision constituant une sorte de boussole. C’est cette seconde orientation qui l’a emporté, ce qui nous a conduits à prendre position sur un certain nombre de sujets – mais pas sur tous.

Cet avis comporte quatre parties. La première s’attache à décrire le contexte et ce qui a changé depuis la précédente loi de 2011 ; la deuxième est consacrée à des éléments relevant de la réflexion éthique ; la troisième expose l’avis du CCNE sur les thématiques des États généraux ; la quatrième, enfin, évoque les futures lois de bioéthique. Je ne détaillerai pas l’ensemble de nos propositions et me bornerai à dire, à ce sujet, que j’ai été heureux de constater que la mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique avait repris, dans son rapport, une série de propositions que nous avions formulées – ce que le bon sens me paraît justifier.

Pour ce qui est de l’avenir, il me semble qu’une révision périodique de la loi relative à la bioéthique – à effectuer peut-être tous les cinq ans plutôt que tous les sept ans – est nécessaire. Cette révision constitue en effet un temps de rencontre entre les sachants, les citoyens et les décideurs politiques, qui permet à ces derniers de pratiquer une nécessaire immersion dans un sujet vaste et complexe. À défaut, nous pourrions envisager que les lois de bioéthique soient prises en les répartissant par grands sujets – la génomique, le thème « numérique et santé », etc. –, comme le font par exemple les Britanniques. Une telle manière de procéder présente cependant un inconvénient, à savoir qu’elle ne tient pas compte du fait que ce ne sont pas tant les sujets eux-mêmes qui importent que leurs interconnexions.

Ainsi, le fait d’évoquer simultanément la question des nouveaux outils de la génomique – notamment le séquençage à haut débit et la possibilité de séquencer tous les individus – et celle de la constitution de bases contenant des données sociétales, qui permettraient de repérer les individus en fonction de la proximité de leurs séquences génomiques respectives, soulève immanquablement une troisième question, celle des possibilités offertes par les avancées de la science en matière d’accès aux origines – de même, les neurosciences vont se trouver bouleversées par l’arrivée de la génomique. Cela montre bien qu’il est préférable, lorsqu’on légifère sur des sujets aussi complexes que ceux relatifs à la bioéthique, de disposer d’une vision d’ensemble plutôt que de tout cloisonner en fonction des thématiques concernées, et c’est ce qui justifie que le CCNE considère qu’il vaut mieux s’en tenir au modèle français de la loi de bioéthique, en dépit de la lourdeur du processus de révision globale périodique.

Nous nous sommes également demandé si le fait de procéder régulièrement à une révision précédée d’un débat était suffisant. Les citoyens ayant participé aux derniers États généraux ont exprimé le souhait d’aller plus loin, afin de faire en sorte que la population soit informée de façon plus complète et plus continue. Pour cela, le CCNE propose, une fois la prochaine loi votée, d’organiser avec les espaces éthiques régionaux – et sans doute également les grandes mutuelles – un débat éthique en vue de la construction de la loi suivante. La tenue de ce débat permettra d’activer une alerte sur les nouveaux sujets scientifiques, mais aussi d’informer tous les citoyens qui le souhaiteront.

On est frappé de constater, quand on interroge les bases des grands organismes de recherche français, que celles-ci contiennent très peu d’études portant sur les sujets sociétaux majeurs que sont, par exemple, le devenir des enfants issus d’une procréation médicalement assistée (PMA) ou la fin de vie. Il est urgent que cela change et sans doute faudrait-il pour cela améliorer la formation des chercheurs français aux grands principes de la bioéthique, qui paraît très insuffisante par rapport à celle dont bénéficient les chercheurs dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou aux États-Unis.

Pour conclure, je veux vous faire partager quelques états d’âmes. Nous avons fait figurer, à la fois dans l’agenda des États généraux de la bioéthique et dans notre avis n° 129, notre position sur deux sujets a priori un peu marginaux mais pourtant essentiels, sur les thèmes « Santé et environnement » – ce qui englobe les conséquences des modifications climatiques – et « Numérique et santé » – une thématique sur laquelle le CCNE a demandé aux spécialistes du numérique qui l’ont récemment rejoint de rédiger un rapport qui, publié en novembre dernier, a eu un certain retentissement, tout comme le rapport Villani consacré à l’intelligence artificielle. La situation de la France est très particulière car, comme les États-Unis, elle possède sur cette question de la santé et du numérique des bases de données très importantes – ce qui n’est pas le cas de tous les pays européens : ainsi, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne sont pas dotés d’une telle base.

La communauté du numérique se rend bien compte qu’il faut aller vers une vision plus éthique de la construction du numérique, quelle que soit la thématique à laquelle il se trouve associé – numérique et santé, mais aussi numérique et transports, numérique et finance, etc. Toute la question est de savoir s’il faut pour cela créer un comité d’éthique du numérique, et le cas échéant de quelle manière.

Le CCNE, qui a l’expérience de l’organisation d’États généraux, de la vision citoyenne, de la multidisciplinarité, de la nécessité de savoir écouter tous les points de vue, pourrait sans doute la mettre à profit pour contribuer à la création de ce comité. Cependant, si le comité d’éthique du numérique est conçu comme l’une des composantes du CCNE, cela va nous conduire à examiner des sujets situés hors de notre champ de compétence actuel, à savoir la santé. Nous avons pour le moment opté pour un compromis aux termes duquel le CCNE va aider à la construction d’un comité d’éthique du numérique, qu’il va abriter pendant un certain temps, avant que nous n’avisions.

La même question peut toutefois se poser au sujet de l’éthique de l’environnement et de nombreux autres thèmes… Je vous avoue ne pas savoir pour le moment quelle position il convient d’adopter. La réflexion doit en tout état de cause se poursuivre, afin de déterminer si nous devons envisager la création d’une série de comités d’éthique sectorisés, conçus à l’image de ce qu’est le CCNE en matière de biologie et de santé, ou plutôt d’une structure unique où seraient abordées les différentes thématiques. Confrontés à des arguments plaidant en faveur et en défaveur de chacune des deux solutions, les membres du CCNE sont très partagés, la principale réticence étant inspirée par le fait qu’en l’état actuel des choses, toutes les thématiques dont nous avons à connaître ont trait à l’humain et à la protection des populations les plus fragiles – des questions qui ne sont pas situées au premier plan lorsqu’on évoque les sujets liés au numérique.

Pour ce qui est de la vision internationale portée sur la France en matière de bioéthique, je dirai que nous pourrions mieux faire. L’organisation des États généraux de la bioéthique a suscité beaucoup d’intérêt en dehors de nos frontières, et nous avons été très sollicités pour venir témoigner de cette aventure – il est d’ailleurs à noter que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment créé une structure dédiée à la démocratie sanitaire s’inscrivant dans une démarche similaire à la nôtre.

En tant que président du CCNE, je ne peux qu’espérer que la prochaine loi de bioéthique sera adoptée avant la fin de l’année 2019. Tout en étant conscient en tant que citoyen du fait qu’il peut y avoir d’autres priorités, j’appelle votre attention sur le fait qu’il ne faudrait pas que cela tarde trop. Dans son avis n° 129, le CCNE a souhaité qu’il s’agisse d’une loi fondée sur le principe de la confiance accordée à l’individu, et que l’humain soit constamment au cœur des débats. Ce climat de confiance sera d’autant mieux préservé que la loi de bioéthique sera adoptée dans un délai raisonnable.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La parole est aux orateurs des groupes, pour une première série de questions.

M. Marc Delatte. Monsieur le professeur, je vous remercie pour ces propos très éclairants. Depuis la révision de la loi de bioéthique de 2011, les évolutions scientifiques et technologiques ont considérablement accéléré, ce qui nécessite d’adapter la loi, tout en ayant à l’esprit qu’elle ne peut embrasser la variété infinie des situations humaines. Dans son avis n° 105, rendu en 2008, le CCNE affirmait que « toutes les applications possibles de la recherche scientifique ne sauraient être nécessairement et systématiquement autorisées ». C’est l’écart entre ce qui est techniquement possible et ce qui est éthiquement souhaitable qui nourrit la réflexion éthique. Il convient de repenser la notion de progrès dans une optique de partage et de codéveloppement, et de ne pas ignorer les phénomènes de tension entre le collectif et l’intime, parfois à forte charge symbolique. Comme vous l’avez relevé, l’éthique est mise au défi de la dimension internationale et de la mondialisation des pratiques.

C’est dans la continuité de cette réflexion éthique que nous pourrons mener un débat responsable sur les demandes médicales de recours à l’AMP, le don ovocytaire – non assimilable à une marchandisation –, l’anonymat du don, l’accès aux origines, la filiation
– objet de l’intention et de la reconnaissance juridique –, l’autoconservation des ovocytes, les dons de gamètes et l’AMP post mortem. Nous aborderons également les questions liées aux diagnostics génétiques prénatal – non invasif notamment – et post-natal. Enfin, nous nous intéresserons aux questions ayant trait à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires : il convient de différencier les régimes juridiques encadrant la recherche sur l’embryon et la recherche sur les cellules souches pluripotentes et de réaffirmer, notamment, l’interdiction de créer des embryons chimériques.

La complexité de ces questions et leur nouveauté, induite par la rapidité de l’avancée des connaissances et l’évolution de notre société, nécessitent de concilier réflexion éthique et décisions législatives. Nous le ferons dans le respect des principes de justice et d’égalité, avec pour socle commun la dignité dans notre humanité.

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le président, nous sommes heureux de vous entendre, en vue du renouvellement éventuel de votre mandat, et surtout dans le contexte de la révision de la loi relative à la bioéthique. Nous nous sommes croisés à plusieurs reprises lorsque vous présidiez l’Agence publique française de recherches sur le sida et les hépatites virales ANRS –, en particulier lors de la grippe A (H1N1) et de l’épidémie d’Ebola. Vous avez été nommé à la tête du CCNE par le Président de la République en décembre 2016, pour un mandat de deux ans renouvelable. Cela constitue, je vous l’accorde, un hiatus avec le mandat des autres membres, nommés pour quatre ans.

Certes, la composition du comité a été largement renouvelée ces dernières années ; je m’interroge toutefois sur les différences qui existent entre les avis. Après onze réunions du comité plénier entre juin et septembre, le CCNE a rendu le 25 septembre l’avis n° 129, en contribution à la révision de la loi de bioéthique. Si cet avis ne correspond pas à la position des citoyens – c’est votre droit – il n’est pas non plus le fruit d’un consensus général, les membres ayant adopté des positions divergentes selon les sujets. S’agissant de l’AMP, le CCNE a rendu un avis n° 126 en 2017, avant la consultation des états généraux ; quant à l’avis n° 129, il paraît contraire aux positions exprimées lors des états généraux. Enfin, en 2005, le CCNE a exprimé un avis défavorable à l’ouverture de l’AMP aux couples d’homosexuelles, estimant que « l’AMP a toujours été destinée à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ou à un choix de vie sexuelle ». Comment justifier ces revirements du CCNE ?

Vous l’avez dit fort justement, vous ne connaissez ni le bien ni le mal. Mais comment établir l’équilibre entre les évolutions de la société et celles de la science ? Enfin, vous avez évoqué dernièrement dans la presse une « GPA éthique ». Je souhaiterais un éclairage sur cette expression, qui m’interpelle.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Monsieur le président, effectivement, le monde bouge, tout va très vite et votre rôle est difficile : la réflexion humaine peut-elle être aussi rapide que l’évolution des sciences ? L’éclairage que peut apporter le CCNE sur les pratiques actuelles est précieux et sa vision globale, dont vous vous faites le défenseur, est intéressante dans le contexte international. Par ailleurs, votre travail s’inscrit dans la continuité, et non pas dans l’échéance que constitue la révision de la loi de bioéthique, tous les cinq ans. Enfin, vous avez parlé des études. Sur le plan pratique, qui doit les conduire, et comment ?

M. Jean-Hugues Ratenon. Dans son avis n° 128 sur les enjeux éthiques du vieillissement, le CCNE a dressé un bilan inquiétant de la perte d’autonomie et des conditions de vie des personnes âgées en France. Cette question me tient particulièrement à cœur, car mon département, La Réunion, connaîtra bientôt un « papy boom », suite au pic de natalité des années 1950 et 1960. Vous pointez de nombreux problèmes, notamment celui du suicide des personnes âgées. La France a le triste privilège de présenter le taux le plus élevé d’Europe de suicide des plus de 75 ans. Ces suicides représentent le tiers du nombre total de suicides, sans que cela n’émeuve les pouvoirs publics. Je suis inquiet et triste de constater que mon pays, troisième puissance économique d’Europe, détienne ce record et reste pourtant inactif.

Pourriez-vous rappeler brièvement les préconisations du CCNE ? Si vous êtes reconduit à la tête de cette institution, ce dont je ne doute pas, ferez-vous en sorte que le comité s’empare à nouveau de ce sujet ? Si tel était le cas, serait-il envisageable d’intégrer à votre réflexion les territoires ultramarins ? 

M. Pierre Dharréville. Je vous remercie pour cette présentation et souhaite souligner encore une fois l’importance que nous accordons au travail effectué par le CCNE, qui s’attache à des questions de fond, à des questions de sens, liées à la crise anthropologique que nous traversons. Nous sommes face à des enjeux fondamentaux, au moment où les forces de l’argent et de la finance dominent de plus en plus un certain nombre de choix. La marchandisation de la santé, celle des corps s’immiscent dans nos sociétés. Qui dit marchandisation dit chosification, ce qui peut attenter à notre conception de l’humain.

Votre travail est précieux, dans la mesure où le regard que vous posez sur les techniques émergentes nous permet d’en évaluer les conséquences, de réagir et de prendre les décisions qui permettent de mieux nous orienter dans l’avenir. De ce point de vue, il faut peut-être faire en sorte que votre travail ait un écho différent de celui qu’il a aujourd’hui, ce qui pose la question de sa médiation. Comment vos avis, et sans doute aussi vos questionnements, peuvent-ils avoir une plus grande résonance dans notre société ?

Mme Jeanine Dubié. Pour commencer, je souhaite adresser à tous, au nom du groupe Libertés et Territoires, nos meilleurs vœux. Monsieur le président, j’ai été sensible à votre conclusion, soulignant la place de l’humain au cœur de ces sujets de bioéthique ; aussi ma question portera-t-elle sur la fin de vie. Dans son avis n° 129, le CCNE a préconisé de ne pas modifier la loi existante, mais d’améliorer l’information afin que ce texte soit mieux respecté. Vous avez insisté sur la nécessité de financer un nouveau plan gouvernemental de développement des soins palliatifs afin de réduire les inégalités territoriales et de favoriser le maintien à domicile, en facilitant l’organisation des soins de proximité. On ne peut être que d’accord avec vous : le développement des soins palliatifs doit s’accentuer en France, et de façon beaucoup plus équitable entre les territoires.

Vous constatez qu’il n’existe pas de consensus sociétal sur la question du suicide assisté et de l’euthanasie. Dans le rapport de synthèse des états généraux, vous relevez une ferme opposition de la part des professionnels de santé et des sociétés savantes qui ont été consultés. Parallèlement, le comité citoyen – dont les membres ont été choisis de manière à représenter la société dans sa diversité – s’est emparé du sujet, pour l’approfondir. Pourriez-vous nous dire si sa position est similaire à celle des professionnels de santé, ou s’il existe, le sujet touchant à la part intime de chacun, une divergence d’appréciation ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur Delfraissy, je vous invite à répondre aux questions des députés.

M. Jean-François Delfraissy. Monsieur Door, existe-t-il des contradictions dans la position du CCNE sur l’AMP ? Sans doute, mais peu (sourires). Nous partageons des valeurs fondamentales et de grands principes, qui ne sont pas soumis à la temporalité. Pour autant, 2005, c’est déjà loin – sans parler de l’avis précédent qu’avait rendu le CCNE, dont je rappelle qu’il a été créé sur les problèmes de procréation, avant de voir son champ élargi à d’autre sujets. Qu’en fonction des modifications survenues depuis 2005 dans les connaissances, et surtout dans la société, la position des membres du CCNE ait évolué ne me trouble pas, à condition qu’elle soit explicitée et confortée par une série d’arguments.

Après avoir observé une position très neutre sur les états généraux, nous avons choisi d’émettre une série d’opinions qui puissent servir de guide. Cet avis n° 129 s’est construit sur le passé du CCNE, auquel vous avez fait allusion, mais aussi sur ce que nous avons entendu. À partir du moment où l’on décide d’organiser des États généraux, il faut écouter nos concitoyens et se montrer sensible à leurs arguments – la question peut d’ailleurs se poser dans un autre cadre. Il m’apparaît donc normal que le comité puisse évoluer.

Notre position sur l’ouverture de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes n’a pas changé ; elle préexistait aux États généraux. En revanche, c’est après avoir auditionné des associations et les sociétés savantes que nous avons évolué sur un problème plus technique, celui de la cryoconservation des ovocytes, le collège des gynécologues et obstétriciens nous ayant convaincus que la procédure pouvait être moins lourde que ce que nous imaginions. Enfin, notre ligne est celle de la confiance : si les femmes souhaitent utiliser cette technique, alors qu’elles n’y sont pas du tout contraintes, il convient de leur ouvrir cette possibilité.

Vous dites que cet avis ne reflète pas celui des quarante personnalités. Il a été validé par l’ensemble des membres du CCNE, mais sur le sujet très précis de l’extension de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes, deux membres ont souhaité présenter une position divergente. Et c’est très bien ! Il ne faut pas toujours rechercher le consensus ; sur les sujets difficiles, les positions minoritaires doivent pouvoir s’exprimer, à condition qu’elles soient étayées et discutées. Nous ne pouvons pas à la fois inciter la société civile à discuter et à présenter ses arguments, si nous ne nous écoutons pas nous-mêmes au sein du CCNE.

Je ne crois pas avoir dit que j’étais pour la GPA éthique, car le CCNE, et moi le premier, sommes très clairs sur le sujet. Une fois de plus, ne confondons pas dans cette assemblée la question de l’ouverture de l’AMP et celle de la GPA. La GPA est un tout autre sujet, qui pose le problème de la marchandisation du corps. Le CCNE a exprimé très clairement sa position dans l’avis n° 126, avant les états généraux, et de nouveau dans l’avis n° 129.

Monsieur Issac-Sibille, vous m’avez interrogé sur les études qui doivent être conduites. La recherche doit être libre, et sa construction ne se fait pas du haut vers le bas. Néanmoins, sur certains grands sujets, l’enjeu sociétal est tel qu’il convient, pour avoir une vision précise, de disposer de données de recherche opérationnelles, à l’image de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons. Nous manquons en France de données solides sur la fin de vie – quelles procédures, quels médicaments sont utilisés ? – et les bases de données de la CNAM seraient utiles si des groupes de recherche, financés ad hoc, se consacraient à ce sujet. De même, une grande cohorte nationale des enfants issus des techniques d’AMP pourrait être mise en place en France, ce grand pays scientifique qui a montré sa capacité à être en pointe sur certains sujets. Globalement, les données anglo-saxonnes, qui ne portent que sur quelques centaines d’individus, sont rassurantes puisqu’elles montrent qu’il n’existe pas de profil psychologique type de ces enfants.

Monsieur Ratenon, le CCNE a choisi d’interpeller la société sur le vieillissement et sur la vision que nous avons de nos anciens. Plutôt que de critiquer en permanence l’action des gouvernements, chacun de nous doit s’interroger sur sa propre attitude. Je me souviens que dans le service que je dirigeais à l’hôpital Bicêtre, la question de la sortie d’une personne âgée d’origine asiatique ne se posait pas, car elle était systématiquement prise en charge par sa famille. C’est une question culturelle. L’avis du CCNE doit nous interpeller, et moi le premier, sur la vision que nous avons des personnes âgées. Le regard que portait la société française sur les personnes handicapées a changé, mais il a fallu du temps. La prise en charge des personnes âgées demeure encore un problème économique, et non humain. Nous ne nous interrogeons pas sur ce que les anciens ont apporté et sur ce que nous leur devons en retour. L’avis du CCNE porte essentiellement sur ce point, et sur un certain nombre de modalités pratiques. La réflexion sur le vieillissement, menée par Régis Aubry, un spécialiste, se poursuivra et sera encore approfondie.

Monsieur Dharréville, vous avez évoqué la marchandisation du corps, qui constitue pour nous une ligne rouge. Il convient de nous interroger sur ce qu’est le corpus de la bioéthique, en 2019. Tout le monde comprenait ce dont il retournait lorsque l’on parlait du don d’organes et de la position, très claire, de la France – je rappelle qu’en Chine, en dépit des recommandations internationales, les reins des condamnés à mort continuent d’être vendus au plus offrant ! Mais ce corpus a évolué : doit-on considérer, en 2019, qu’une séquence d’ADN fait partie du corps, qu’une donnée de santé, abritée dans une grande base, a trait au corps ? Qu’est-ce qui constitue, aujourd’hui, le nouveau corpus de la bioéthique ?

Madame Dubié, vous m’avez interrogé sur la fin de vie. Nous avons souhaité que cette question soit traitée par les États généraux, ce qui ne signifie pas qu’elle doive faire partie de la loi de bioéthique – il s’agit d’un questionnement éthique, non d’un problème de bioéthique. Bien que le sujet soit complexe, nous avons eu de très beaux débats, beaucoup moins houleux que sur les aspects de procréation. La fin de vie ne se passe pas dans de bonnes conditions en France, où le nombre de lits en soins palliatifs est insuffisant ; et si la loi Claeys-Leonetti a beaucoup fait avancer les choses, elle reste mal connue et n’est pas appliquée. Certes, on pourrait se lancer dans une nouvelle loi, à l’image de la Belgique et de la Suisse, qui ont traité de l’euthanasie. Mais ces pays ont commencé par résoudre des problèmes de base, comme le nombre de lits en soins palliatifs, dont le taux est bien plus élevé qu’en France.

Il est difficile de répondre à votre question judicieuse, et terriblement d’actualité, sur l’avis du comité citoyen. Le comité citoyen, constitué pour formuler un avis critique tout au long du processus des États généraux, a souhaité approfondir deux sujets : la génomique en population générale et la fin de vie. Sur ce dernier sujet, il a conclu à la nécessité d’avancer sur l’euthanasie et le suicide assisté, mais cette position a été décidée à une voix près. Dans ces grands débats, la place de la construction, via les comités citoyens, est fondamentale. Elle permet une attitude critique, au bon sens du terme, vis-à-vis des experts, du politique, des structures. Ces comités doivent être organisés, les citoyens formés. Quant à définir jusqu’à quel point on tient compte de leur avis, c’est une deuxième étape.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons à une deuxième série de questions.

Mme Stéphanie Rist. Merci pour la clarté de votre exposé. Au mois d’octobre, le Gouvernement a annoncé la création d’un Health Data Hub, permettant une collecte et une exploitation plus efficaces des données de santé, avec l’élargissement du système national des données de santé actuel et l’homogénéisation des systèmes de collecte. L’accès à la donnée, enjeu central pour le futur de la médecine, est sollicité par les acteurs de la santé car il renforce la qualité de la prise en charge tout en favorisant les innovations.

Cette avancée et cette dynamique de partage des données posent des questions éthiques et techniques. D’un côté, la sécurité doit être absolue pour encadrer au mieux l’exploitation des données et éviter les dérives ; de l’autre, il convient de garantir l’accès aux données, considérées comme du patrimoine commun. Le cadre et les autorisations d’exploitation dépendent aujourd’hui de plusieurs comités consultatifs, ce qui introduit de la confusion, voire de l’opacité.

La construction du Health Data Hub doit interroger sa gouvernance et garantir la transparence de l’accès aux données, pour ne pas dépendre d’un contexte politique mais rester au service des scientifiques, des patients, des citoyens. Comment organiser un accès sécurisé mais pérenne à ces données ? Quelle gouvernance envisager pour encadrer la récolte et l’exploitation des données ?

M. Bernard Perrut. Alors que tous les yeux sont rivés sur l’AMP et la fin de vie, l’enjeu majeur que constitue la révolution de l’intelligence artificielle et du numérique est insuffisamment pris en compte. Le CCNE semble prôner une approche prudente de modération législative, afin d’éviter une sous-exploitation des potentialités offertes par son application. Quelle pourrait être la voie médiane d’un développement raisonné de l’intelligence artificielle, appliquée notamment au domaine de la santé ?

Le CCNE suggère d’adopter une position d’alerte sur des sujets de bioéthique sensibles qui soulèveraient des questions particulières entre deux lois. Comment cette mission peut-elle être amplifiée ?

Enfin, dans son rapport de synthèse des États généraux, le CCNE souligne que 69 % des contributions sur la plateforme participative en ligne se sont concentrées sur les thématiques « procréation et société » et « prise en charge de la fin de vie ». Il ressort aussi que les réunions ont porté avant tout sur ces sujets. Comment votre comité pourrait-il mieux sensibiliser les citoyens aux autres sujets relevant de la bioéthique ?

Mme Martine Wonner. Je vous remercie pour cette présentation, qui a permis de resituer le renouvellement de votre mandat, à l’aube de la révision de la loi de bioéthique. Dans la description de la tâche immense qui est la vôtre, j’ai apprécié votre vision de ce que doit être le CCNE face aux données numériques et à l’intelligence artificielle.

J’ai élaboré, avec l’aide des administrateurs de l’Assemblée, que je remercie, une proposition de loi sur l’accès aux origines. J’espère que cette question figurera en bonne place – la ministre l’a évoquée la semaine dernière et le rapport de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique en fait bien mention. Si l’accès à leurs origines pour les futurs adultes à naître est prévu, faut-il selon vous l’ouvrir aux personnes nées depuis la création des CECOS, en 1981 – elles sont 70 000 ? Pour avoir participé à de très nombreux débats citoyens, je sais que ces adultes, devenant parents à leur tour, expriment très clairement le fait qu’il leur manque quelque chose pour parler de leurs origines et raconter à leur descendance son histoire.

Mme Geneviève Levy. Les membres du CCNE sont des personnalités qualifiées, reconnues unanimement et sans polémique, pour leur expertise, leurs compétences et leur indépendance. Or l’obligation d’organiser des états généraux de la bioéthique ne nuit-elle pas à cette indépendance ? Cette organisation ne devrait-elle pas être prise en charge par une autre autorité, telle la Commission nationale du débat public – CNDP ? Votre comité pourrait ainsi se focaliser sur la réflexion.

Lors des derniers États généraux, ce rôle d’organisateur a nui aux débats. La consultation citoyenne s’est essentiellement focalisée sur l’AMP et l’euthanasie, et les personnes qui se sont mobilisées étaient majoritairement hostiles à une évolution sur ces sujets. Or le comité plénier, saisi par le Président de la République, a rendu un avis favorable à l’ouverture de l’AMP. Il s’agissait bien de deux procédures différenciées, mais cela a créé une polémique ; d’aucuns ont crié au déni de démocratie et la réputation du CCNE a été injustement ternie.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Monsieur le président, nous avons pu constater que la question des personnes intersexes n’avait pas été abordée par le CCNE lors de la remise de sa contribution à la révision de la loi bioéthique de septembre dernier. Le CCNE est pourtant l’organe de référence au niveau national. Or ce sujet relève bien de la bioéthique, et, à ce titre, fait l’objet de développements dans le rapport de la mission d’information relatif à la bioéthique de l’Assemblée nationale, ainsi que dans l’étude du Conseil d’État du 28 juin 2018 portant sur les mêmes sujets.

Le statut de personne intersexe ou individu présentant des variations du développement sexuel recouvre des situations diverses qui interrogent bien souvent la pratique médicale, notamment au sujet du respect de l’intégrité physique de chacun ; droits garantis par notre législation. Or on sait que les interventions réalisées auprès d’enfants très jeunes ne sont pas toujours justifiées par une nécessité médicale, et que l’intégrité du consentement et souvent contestable. Ce sujet entraîne par ailleurs des questionnements d’ordre plus général touchant à la dimension binaire de notre conception du genre qui mériteraient de faire l’objet d’un débat au Parlement. Pourtant, si les avis divergent largement en la matière, des améliorations du parcours des personnes dites intersexes semblent largement envisageables aujourd’hui. Ainsi souhaiterais-je savoir, monsieur le président, si le CCNE compte se saisir pleinement de ce sujet et quelles sont, selon vous, les raisons qui justifient son exclusion du débat sur la révision de la loi relatif à la bioéthique.

M. Jean-Louis Touraine. Ce matin même, dans cette salle, a été voté le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la bioéthique. Au terme de nombreuses auditions auxquelles vous avez participé, monsieur le président, et qui ont été toutes très apaisées, un texte a été produit qui formule soixante propositions, dont beaucoup ont d’ailleurs été inspirées des réflexions du CCNE – ce dont vous méritez d’être remercié, du fait des informations que vous nous avez fournies. On peut donc reconnaître les vertus de ce comité qui a su organiser de façon élargie les États généraux de la bioéthique, puis rédigé un rapport qui a apporté les éléments nécessaires à la réflexion des députés.

Bien entendu, mon souhait est que vous poursuiviez votre mission parce que beaucoup reste à faire. Comme vous l’avez évoqué au sujet du calendrier des travaux, il faut passer de cet état antérieur de l’alternance tous les sept ans d’une consultation – parfois quelque peu passionnelle et très intensive –, suivie de phases intermédiaires au cours de laquelle toute la population est démobilisée, à un état différent pour lequel nous souhaitons une délégation permanente de l’Assemblée nationale ainsi qu’une réflexion menée en continu.

Il est par ailleurs nécessaire de créer ce comité de bioéthique pour l’intelligence artificielle.

Enfin, il faut étendre le champ de la bioéthique à tous les aspects sociaux, environnementaux, y compris celui qui concerne les personnes âgées et la santé au sens de l’OMS – bien-être physique, mental et social. Nous souhaitons aboutir à une éthique élargie, une éthique du juste milieu qui se garde de cette frilosité qui, parfois, dans le passé, a ralenti certaines propositions ou, au contraire, d’une témérité qui pourrait engendrer des dangers commerciaux ou des dérapages « médico-scientifiques ». Mon groupe forme donc le vœu de voir le président ainsi que le comité national renouvelés.

Mme Delphine Bagarry. Monsieur le professeur, les révisions des lois de bioéthique ont fait prendre conscience à tous que l’intelligence artificielle et les robots avaient pris une place de plus en plus importante dans l’exercice de la médecine ; vous avez également évoqué le recours aux big data, le numérique.

Nous savons cependant que la dimension humaine reste primordiale. Elle a d’ailleurs constitué un des thèmes principaux des États généraux. On ne peut que se féliciter que jamais un robot ne pourra remplacer le colloque singulier cher aux questions médicales.

À cet égard, je souhaiterais recueillir votre avis sur la future réforme des professions de santé, notamment celle des médecins. Afin que la sélection ne soit plus seulement fondée sur les sciences, des étudiants formés, non pas uniquement en sciences dures, mais aussi en sciences humaines, en philosophie, par exemple, pourraient bénéficier d’un accès plus important et facilité aux études de médecine.

M. Sébastien Chenu. Monsieur le président, on assiste à une croissance soutenue des progrès dans le domaine des connaissances scientifiques et parallèlement au développement des problématiques de bioéthique. Toutefois, la révision des lois bioéthiques n’a lieu que tous les sept ou huit ans. Dans ce contexte, ne conviendrait-il pas de prévoir d’accélérer le rythme du travail législatif en réduisant le délai entre deux grandes révisions de ces lois ?

Ensuite, comment lutter efficacement contre l’absence de contrôle des données de santé et leur utilisation commerciale, puisqu’elles sont souvent dans les mains de sociétés internationales, américaines ou chinoises qui échappent à la réglementation nationale et européenne ?

M. Thomas Mesnier. Merci, monsieur le professeur, pour votre exposé ; nous connaissons une progression constante et très rapide du numérique dans le domaine de la santé. La télémédecine, l’intelligence artificielle ou encore la dématérialisation des données vont révolutionner le monde de la santé, tout en nous obligeant à réfléchir aux enjeux éthiques qui s’y attachent.

L’ensemble de l’organisation des soins sur le territoire, les pratiques des professionnels de santé ainsi que la recherche médicale en connaissent déjà les conséquences. Laisser la voie totalement libre à l’extension du numérique ferait courir le risque de pratiques médicales potentiellement non profitables à l’homme  ; à l’inverse, s’en protéger complètement et l’exclure de nos réflexions renforcerait le sentiment que toute technologie ne saurait qu’avoir des effets négatifs, et induirait des inégalités dans l’égal accès aux soins.

Le législateur apparaît alors comme un acteur central de la régulation. Le risque d’inégalités liées au numérique, de dérives dans l’utilisation des données, la crainte d’une perte de liberté dans le choix individuel évoquée dans les États généraux de juin 2018, nous obligent à repenser la façon dont nous intégrons tous les acteurs de ce champ. Dans ces conditions, quelle place le numérique doit-il tenir dans le domaine de la santé, et auprès des professionnels de santé ? Pour quelle finalité ?

M. Brahim Hammouche. Monsieur le président, je souhaiterais vous interroger sur les neurosciences et l’intelligence artificielle, plus particulièrement leur application dans le domaine de la santé, qui peut susciter des inquiétudes chez nos concitoyens. Nous savons en effet que les lois sont souvent en retard sur les avancées de la science.

Deux points majeurs ont été récemment évoqués : le consentement éclairé du patient qui demeure une des normes importantes de l’éthique, et la normalisation croissante imposée par les systèmes fondés sur ce qu’on appelle les big data, les statistiques établies à partir de larges de base de données portant sur les risques, ce qui pourrait conduire à minorer des situations singulières.

Quels garde-fous pourraient être envisagés dans ce contexte ?

M. Jean-François Delfraissy. Je suis frappé par le changement que j’observe dans vos questions. Il y a six ou huit mois, les thèmes portaient sur la procréation ou la PMA, qui soulèvent, bien sûr, un certain nombre d’interrogations : je constate qu’aujourd’hui, tous partis confondus, l’intelligence artificielle (IA) est au cœur de vos préoccupations. Je suis tenté de vous répondre ire que la balle est dans votre camp ! Jusqu’à présent, les mots « intelligence artificielle » ne figuraient pas dans la loi de bioéthique. Les notions de données numériques de santé n’apparaissaient pas dans la loi de bioéthique de 2011.

Nous avons souhaité inscrire au programme de nos travaux ce point ainsi que celui, essentiel, de la santé et de l’environnement, qui toutefois devra attendre un peu. Dans la loi actuelle, qui va finir de se construire dans un délai que nous pouvons expliquer, la place de l’IA n’est pas encore d’une clarté fantastique. C’est pourquoi, si vous pensez tous que le sujet est primordial, je vous encourage à vous en saisir. Je suis en effet totalement convaincu que l’enjeu est majeur sur tous les plans – éthique, organisationnel, avec notamment la formation des étudiants en médecine.

Le CCNE s’est néanmoins rendu compte qu’il manquait d’expertise en interne bien que trois de ses membres soient des spécialistes de ces questions. C’est pourquoi nous avons créé un groupe de travail qui a produit le rapport « Numérique et Santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ? », publié au mois de novembre dernier. Ce document nous a fourni les grandes directions sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour notre avis n° 129.

Ce sujet doit figurer dans la loi. J’ignore comment il faut procéder, mais la France doit se trouver au cœur du débat, et montrer qu’elle est pilote à l’échelle européenne, singulièrement si l’on observe ce qui s’est passé en Angleterre et en Allemagne où la réflexion éthique n’est pas au même niveau, alors qu’ils se posent les mêmes questions sur les grands opérateurs. Ces pays n’ont pas cette vision de la bioéthique en arrière-plan. C’est une opportunité fantastique pour la future loi, qui sera ainsi différente des autres : elle ne sera pas seulement dans la restriction, mais ouverte sur l’avenir avec ces nouveaux sujets.

Certaines questions gravitant autour de l’intelligence artificielle, telles notamment le data hub ou la gouvernance, relèvent certes de la réflexion sur la bioéthique et concernent le CCNE mais aussi de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés. En tant qu’opérateur et « agence » de réflexion sur la gouvernance et la construction des normes, il ne revient toutefois pas à cet organisme d’intervenir sur l’éthique. C’est pourquoi il faut poursuivre la réflexion sur la création d’un comité d’éthique du numérique.

S’agissant des études médicales, je veux faire passer un message. Alors que, contrairement aux infirmières et aux sages-femmes, les étudiants en médecine sont très peu formés en bioéthique, la future loi pourrait être l’occasion de donner une nouvelle orientation en la matière. Des modifications sont prévues pour le concours d’entrée et l’internat. Le nouveau champ du numérique et de la santé, permettra précisément à terme, de recruter des étudiants en médecine offrant un profil de sciences humaines et sociales, et pas seulement de mention « très bien » au bac S comme c’est le cas actuellement.

En effet, les bases de données qui seront mises à disposition favoriseront une acquisition des connaissances différentes laissant plus de temps à l’individu, au dialogue et à la discussion. Nous en avons besoin. Même les Américains, qui ne sont pas des tendres, l’ont compris  : leurs grandes universités reçoivent jusqu’à 13 % d’étudiants issus des sciences humaines et sociales ou de philosophie. On constate à quel point il est fondamental pour l’avenir de la médecine de revenir à l’enjeu véritable que constitue le dialogue entre le médecin et le patient. Le numérique et le big data nous fourniront les renseignements nécessaires. Pour les médecins de ma génération, tout était dans le cerveau, il fallait tout lire et tout savoir. Les nouvelles générations utiliseront ce nouvel outil et seront plus intelligentes et plus sensibles à d’autres domaines.

Sur les délais entre deux révisions des lois de bioéthique, ainsi que nous l’avons souligné dans notre avis et que cela est mentionné dans le rapport de la mission d’information, ces grands sujets ne peuvent pas faire seulement l’objet d’un débat de trois mois tous les sept ans. Le CCNE prévoit ainsi, à partir de la fin de l’année 2019, de mener une réflexion continue autour de l’éthique avec les espaces éthiques régionaux et les grandes mutuelles.

En ce qui concerne l’accès aux origines biologiques des personnes nées par PMA : faut-il s’orienter vers une démarche rétrospective ? C’est un vrai sujet que le CCNE a évidemment traité sans toutefois vous indiquer une voie à suivre, et en se limitant à un champ prospectif. Je n’ai pas la réponse. La question ne se posait pas il y a trois ans. Elle est entrée en force à l’occasion des États généraux, ce qui est très bien. Il me semble préférable de commencer à l’envisager dans une réflexion prospective. Imaginez ce qu’une démarche rétrospective soulèvera comme questions par rapport à un certain nombre de donneurs à qui cette perspective n’avait pas été donnée ! Je pense que les choses se feront ensuite naturellement. Peut-être même qu’une loi ne sera pas nécessaire. Il n’a pas fallu de loi pour inciter les familles à révéler à leurs enfants qu’ils étaient nés avec un don de gamètes qui ne provenaient pas du père ou de la mère. Auparavant, ils le taisaient, puis ils l’ont dit tardivement, et aujourd’hui plus de 60 % en parlent à l’adolescence des intéressés.

Il faut arrêter de toujours vouloir passer par la loi ! Laissons un degré de liberté dans un domaine qui relève de l’intime et contentons-nous de prévoir dans la loi le prospectif car il importe de marquer le territoire pour le futur. Je vous le dis comme je le pense, en voulant tout réglementer d’emblée, on risque d’aboutir à un blocage.

Le CCNE a-t-il perdu sa fonction d’instance autonome en organisant les États généraux de la bioéthique ? C’est le législateur qui lui a confié cette mission ; s’il souhaite la lui retirer, le CCNE se conformera à sa volonté.

Ce rôle doit-il revenir à la Commission nationale du débat public (CNDP) ? Ses représentants que j’ai rencontrés au début de nos travaux m’ont dit que le sujet était trop spécialisé pour eux. Le CCNE a donc élaboré les outils nécessaires. Pourrions-nous collaborer avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans le cadre de l’élaboration de la prochaine loi par exemple ? Pourquoi pas ? Cela n’est pas exclu.

Je pense toutefois que, sur des sujets de ce type, les quarante membres du CCNE disposent d’une importante capacité de mobilisation des réseaux intellectuels, de sachants, des réseaux provinciaux et d’espaces éthiques régionaux importants. Il y a là une sorte de modèle qu’une agence beaucoup plus grosse et pas autant au fait des questions de bioéthique ne saurait pas mobiliser.

En tout état de cause, l’essentiel est que le débat public se poursuive largement en amont de la loi. Sur les modalités, la question est ouverte.

La remarque de Mme Vanceunebrock-Mialon au sujet des personnes intersexes est très pertinente. Depuis le 1er décembre dernier, nous avons mis en place un groupe de travail au sein du CCNE consacré à cette question. Une série de réunions est prévue pour le mois de janvier au cours desquelles des associations et des spécialistes de la question seront entendus. Il s’agit indiscutablement d’un vrai sujet, mais il était impossible de tout traiter en très peu de temps. Le CCNE s’en est à présent emparé.

Je partage les remarques de Jean-Louis Touraine, et je le remercie de la confiance qu’il porte à moi-même et au CCNE pour la poursuite de nos travaux.

Je profite de l’occasion pour évoquer un enjeu qui n’a absolument pas été évoqué, mais qui est essentiel : nous sommes entrés dans une ère de « business et santé » comme je n’en ai jamais connu. Cela concerne à la fois l’accès à l’innovation, le coût des nouvelles molécules, l’accès aux dispositifs non médicaux, l’IA … Nous allons recevoir des coups de partout mais nous sommes là pour ça. En tout cas, nos administrations ne sont pas préparées pour dialoguer positivement et lutter avec les géants de l’industrie du business et santé, dont la seule vision est celle du gain et pas celle de la construction de la santé.

S’agissant des neurosciences, j’avoue que c’est l’un de nos échecs. En effet, elles n’ont fait l’objet que de très peu de débats, sauf avec quelques sociétés savantes. Elles devraient plutôt concerner la prochaine loi, car le plafond de verre va sauter et elles vont exploser. Les neurosciences interpellent principalement sur la question de l’imagerie très fine et fonctionnelle pour des visées qui ne seraient pas médicales, et sur lesquelles nous avons pris position, et sur celle de l’arrivée de nouveaux logiciels d’aide ou de stimulation cérébrale, particulièrement pour les enfants. Nous avons constitué un groupe de travail consacré à ce sujet. Il rendra sous peu un avis que nous confierons au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) dont nous savons qu’il l’attend.

Il s’agit là encore d’un enjeu majeur, auquel doivent être ajoutées les questions relatives au big data et à la génomique. On peut raisonnablement faire le pari que les big data vont faire exploser la classification psychiatrique dans les trois ans qui viennent. Or notre communauté psychiatrique n’y est pas prête.

Enfin, et même si je sais que ce n’est pas l’ambiance actuelle, je dois appeler votre attention sur les aspects financiers et pratiques. Nous formons une toute petite équipe – ce qui est une bonne chose, car nous ne devons pas devenir un gros « machin » –, mais si le CCNE doit poursuivre le débat sur la bioéthique et s’ouvrir à la question du numérique, nous aurons besoin de deux ou trois postes supplémentaires et d’un peu plus de crédits. Alors que nous avons été accompagnés pour les budgets 2018 et 2019, le budget 2020 menace d’être très serré. Je compte sur vous tous.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Merci, monsieur le président, pour le temps que vous avez bien voulu consacrer à répondre à l’ensemble de nos questions.

La séance est levée à dix-huit heures vingt.

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Présences en réunion

 

Réunion du mardi 15 janvier 2019 à 16 heures 15

Présents. – Mme Delphine Bagarry, M. Belkhir Belhaddad, Mme Brigitte Bourguignon, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, M. Brahim Hammouche, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, M. Thomas Mesnier, M. Bernard Perrut, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, M. Adrien Taquet, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner

Excusés. - Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, Mme Albane Gaillot, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Fadila Khattabi, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nicole Sanquer, M. Boris Vallaud