Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.

 

 

 

 


Mercredi
13 février 2019

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 043

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de Mme Marielle de Sarnez,
Présidente

 


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Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.

La séance est ouverte à 17 heures 05.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Comme chaque mois, nous avons le plaisir de recevoir M. Jean-Yves Le Drian, que je remercie d’accepter que son audition soit publique : c’est en effet très important pour l’appropriation par nos concitoyens des grands enjeux de politique étrangère. L’actualité internationale est très chargée et la commission, monsieur le ministre, aura de nombreuses questions et analyses à vous soumettre.

Au Moyen-Orient, tout d’abord, notre principale préoccupation concerne l’avenir de la Syrie. La décision de retrait annoncée par Donald Trump suscite de nombreuses inquiétudes quant au maintien de notre capacité à lutter contre Daech et à la stabilité future de la région. Cette décision semble sous-estimer l’état de la menace terroriste sur le terrain et la nécessité de continuer à combattre et à détruire les cellules dormantes. Nous savons par ailleurs que la France étudie toutes les hypothèses pour éviter la dispersion des djihadistes actuellement détenus dans la région.

L’éventualité d’une nouvelle offensive turque dans le nord-est syrien afin d’éradiquer les forces kurdes ne peut être totalement exclue, même si la communauté internationale, consciente du danger, négocie actuellement des arrangements sécuritaires localisés. Où en sont les négociations relatives à la safe zone prévue à la frontière turque ? Vous nous direz aussi comment la France compte minimiser à court terme les conséquences de la décision américaine de retrait et préserver la coalition contre Daech tout en continuant à soutenir nos partenaires qui nous assistent dans la lutte antiterroriste. J’ai récemment reçu la maire de Raqqa ainsi que la présidente du comité exécutif du conseil démocratique de Syrie : toutes deux ont souligné l’importance de l’action de la France dans la région. S’agissant plus généralement de l’avenir de la Syrie, peut-on espérer un déroulement satisfaisant du processus politique avant les prochaines élections présidentielles prévues à ce stade en 2021 ?

Il y a quelques semaines, monsieur le ministre, nous nous sommes rendus ensemble en Irak où nous avons constaté que l’aide de la France est très attendue pour la reconstruction du pays. En janvier, notre commission a consacré une table ronde exceptionnelle à l’Irak, plus particulièrement au génocide subi par les Yézidis et à la nécessité de contribuer à la « reconstruction » des esprits par le renforcement de notre coopération culturelle, notamment universitaire. À moyen terme, c’est aussi la méthode la plus efficace pour lutter contre toute résurgence de Daech. Pourriez-vous nous préciser les engagements de la France en faveur de la stabilisation de l’Irak ?

Au Liban, nous nous réjouissons du fait que les partis viennent enfin de se mettre d’accord sur la composition d’un nouveau gouvernement. Cet accord ouvre la voie à l’application des accords CEDRE qui conditionnent l’aide internationale à la mise en œuvre de réformes économiques. Nous souhaitons naturellement tous que ce nouveau gouvernement soit en mesure de respecter les engagements souscrits ; vous reviendrez peut-être sur ce point.

En ce qui concerne l’Iran, l’Europe a mis en place un mécanisme qui devrait permettre de commercer avec ce pays malgré les sanctions américaines. Baptisé INSTEX –Instrument in Support of Trade Exchanges, c’est-à-dire instrument favorisant les échanges commerciaux –, ce mécanisme de troc vous paraît-il efficace et à la hauteur des enjeux ? Est-il susceptible de sauver le plan d’action global commun – Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) ?

S’agissant du Yémen, où en est l’application de l’accord relatif à Hodeïda conclu à Stockholm ? Les discussions politiques en cours sous l’égide des Nations Unies progressent-elles ? Nous pensons qu’il faut tirer parti de ce moment favorable pour faire pression sur tous les acteurs concernés et les inciter à aller plus avant dans le processus politique.

Les nouvelles d’Afrique sont contrastées. Du 3 au 6 février, les forces armées françaises sont intervenues dans le nord-est du Tchad contre une colonne de rebelles venus de Libye. Le Gouvernement en a informé le Parlement par une lettre datée du 6 février, conformément à l’article 35 de la Constitution. Nous souhaiterions disposer de précisions sur le cadre juridique dans lequel s’est inscrite cette intervention de notre armée de l’air. Cette colonne de pick-ups constituait-elle bien une menace suffisante pour justifier une intervention aérienne ?

Au Sahel, l’attaque du 20 janvier perpétrée au Mali contre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) témoigne des capacités opérationnelles que conservent les groupes terroristes présents dans la région, bien qu’elles soient diminuées grâce à l’action de la force Barkhane et des armées africaines. Quel bilan faites-vous de la situation actuelle ? Comment comptez-vous continuer de peser sur l’ensemble des acteurs ?

En République centrafricaine, un accord de paix a été signé le 6 février dernier entre le Gouvernement et les groupes armés ; vous nous direz ce qu’il faut en attendre.

Je ne saurais conclure sans vous interroger sur la situation au Venezuela, qui devient de plus en plus préoccupante sur le plan politique, économique et social. L’entrée de l’aide humanitaire dans le pays constitue désormais un véritable enjeu de pouvoir. Ne faudrait-il pas s’orienter vers une solution humanitaire onusienne pour apaiser les esprits ? Les autorités américaines répètent à l’envi qu’elles examinent toutes les options pour résoudre la crise vénézuélienne. La France a reconnu Juan Guaidó comme président en exercice chargé de mettre en œuvre un processus électoral mais la transition semble s’enliser. Comment envisagez-vous l’évolution de la situation, et selon quel calendrier ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Conformément à l’engagement que j’ai pris, j’ai le plaisir de revenir chaque mois devant votre commission ; la date de notre prochaine rencontre est d’ailleurs déjà prévue. Je me contenterai aujourd’hui d’aborder quelques-unes des questions complexes que vous avez évoquées, madame la présidente : le Moyen-Orient et l’Afrique, et j’ajouterai quelques mots sur les actions que nous menons en faveur de l’État de droit et de la démocratie, ainsi que sur les priorités de la présidence française du G7.

Commençons par un point sur la situation au Levant, qui se caractérise par une nouvelle donne : Daech s’écroule définitivement sur le plan territorial. Après avoir repris Hadjine à la fin décembre, les Forces démocratiques syriennes (FDS) mènent désormais une attaque qui devrait bientôt s’achever pour éliminer le dernier réduit djihadiste à Baghouz. Lorsqu’il sera repris, l’emprise territoriale de Daech aura été complètement éradiquée. Autrement dit, c’est la fin de ce que l’on a appelé le « califat » et la victoire territoriale complète de la coalition internationale contre Daech. Je précise que cette victoire territoriale, dont il faut prendre acte, est fragile et réversible. Elle ne signifie pas la fin de l’organisation, qui continuera de menacer notre territoire et nos intérêts puisque Daech prend désormais une forme différente, plus clandestine, et conserve une réelle capacité de résilience et de nuisance, comme en atteste la perte récente d’éléments américains à Manbij alors que cette zone était réputée stabilisée. Encore une fois, sur le plan territorial, la lutte sera achevée dans les jours et peut-être les heures qui viennent, mais l’action clandestine de cette mouvance reste prégnante tout à la fois en Syrie et en Irak ; il nous faudra en outre faire preuve de vigilance quant à ses capacités à se trouver dans d’autres zones sensibles – je pense en particulier à l’Afghanistan, voire à la Libye.

Les 79 pays qui participent à la coalition réunie pour la première fois en 2014 se sont retrouvés la semaine dernière à Washington pour constater la fin des combats dans l’emprise territoriale de Daech, mais aussi la volonté de l’ensemble des membres de poursuivre leur action collective afin de maintenir la pression et d’éviter tout retour éventuel du terrorisme sous des formes diverses. 

La situation de l’Irak, qui fut partiellement occupé par Daech, s’améliore relativement. Les élections ont permis de désigner un président de la République, Barham Salih, et un premier ministre, Adel Abdel-Mehdi, que nous avons rencontré lors d’un déplacement dans le pays avec vous-même, madame la présidente, et votre homologue du Sénat, M. Cambon. Ce pays connaît clairement une amélioration sensible. Surtout, ce qui le frappe est une forme d’affirmation nationale, car nous ne l’observions plus depuis la guerre de 1991 ou presque. C’est une évolution significative qu’il faut conforter. Quoi qu’il en soit, les autorités irakiennes affichent leur volonté de reconstruire l’État de manière inclusive et autonome par rapport à l’environnement régional.

Nous avons constaté une nette amélioration des relations avec les Kurdes, puisque la présidente et moi-même avons rencontré les autorités du Kurdistan ainsi que les responsables politiques et historiques de cette région pour rétablir un lien. Les relations entre les uns et les autres s’améliorent sensiblement et devraient pouvoir aboutir dans les semaines qui viennent. Le président historique de la région, Massoud Barzani, qui était à l’origine d’une proposition de référendum sur l’indépendance il y a quelques mois, est revenu à une logique de participation et de concertation avec les autorités de Bagdad dans un état d’esprit que nous avons tous trouvé positif.

Cette volonté inclusive se manifeste également à l’égard du monde chiite. Nous nous sommes rendus à Nadjaf, capitale religieuse du chiisme en général et du chiisme irakien en particulier, où nous nous sommes entretenus avec le grand ayatollah al-Hakim. Il s’agissait de la première visite à Nadjaf et du premier entretien avec ces autorités d’un ministre des affaires étrangères européen – a fortiori français – depuis très longtemps.

Nous devons accompagner cette volonté d’affirmer la concorde nationale sur le plan politique mais aussi économique. C’est pourquoi nous avons souhaité que l’Agence française de développement (AFD) retrouve sa place dans ce pays. Nous accompagnons en outre un certain nombre d’organisations non gouvernementales et d’entreprises pour contribuer à l’indispensable reconstruction de l’Irak. Le temps presse et la marge de manœuvre est restreinte : si l’Irak ne parvient pas à créer les conditions de son développement dans les mois qui viennent, il pourrait se produire des retours d’insatisfaction qui, dans le passé, ont contribué au développement de Daech et des complicités en sa faveur dans la région. L’enjeu est donc important.

J’observe enfin que les nouvelles autorités irakiennes parlent à tout le monde, qu’il s’agisse de la Jordanie, de l’Égypte, de l’Iran, de la Russie et d’autres. Cette posture nouvelle est positive. C’est un motif de satisfaction, même si l’évolution du pays exige notre grande vigilance.

Vous m’avez également interrogé sur l’évolution de la situation en Syrie. La région du nord-est – improprement appelée Rojava, qui s’étend grosso modo au nord de l’Euphrate – est désormais dirigée par des représentants que vous avez rencontrés et contrôlée par les Forces démocratiques syriennes, que nous soutenons. Sur le plan militaire et sécuritaire, elle est stabilisée. C’est d’elle que les États-Unis ont annoncé leur départ de manière impromptue, puisque nous l’avons appris par les médias alors que nous sommes le deuxième contributeur à l’action de la coalition. Nous avons transmis nos observations à qui de droit, mais il semble bien que cette décision soit irréversible, même s’il nous a été dit, à la réunion de Washington et lors d’entretiens que j’ai eus en tête-à-tête avec le secrétaire d’État Pompeo, que ce retrait s’effectuerait de manière coordonnée.

Il n’en demeure pas moins qu’il se pose des questions majeures : qu’adviendra-t-il sur place une fois que les États-Unis se seront retirés ? Le risque est double. Le premier risque est celui d’une pénétration de la Turquie dans la zone actuellement tenue par les Forces démocratiques syriennes, sur la rive gauche de l’Euphrate. Les préoccupations sécuritaires turques se comprennent aisément – chaque pays est en droit de veiller à la sécurité de ses frontières – mais il existe un risque de pénétration de la Turquie en raison des relations complexes qu’elle entretient dans cette zone avec le PYD – le parti de l’union démocratique kurde – et les YPG, les unités de protection du peuple.

Seconde inquiétude : les Forces démocratiques syriennes sont celles qui ont contribué à la libération de ce territoire, notamment Raqqa. Or c’est de Raqqa que sont venus les terroristes qui ont frappé le sol français lors de plusieurs attentats, et nous étions particulièrement attentifs à ce que Daech soit bouté hors de la ville, ne serait-ce qu’en termes symboliques. Il serait donc inadmissible, moralement comme politiquement, de laisser tomber les Forces démocratiques syriennes.

Face à cette situation, les États-Unis ont évoqué l’idée d’une zone-tampon qui permettrait d’éviter des confrontations entre la Turquie et les FDS. Nous nous interrogeons sur cette proposition : qui en assurerait la surveillance ? Qui en seraient les garants ? Quels en seraient les contours ? Quelles garanties offrirait-elle aux Forces démocratiques syriennes et aux populations kurdes ? Sur ce sujet, nous avons entamé une discussion avec les États-Unis mais elle vient tout juste de commencer. La situation du nord-est syrien suscite donc de profondes interrogations.

Autre interrogation profonde : la région d’Idlib, dont je vous ai déjà parlé plusieurs fois et qui est de mon point de vue une préoccupation majeure depuis plus d’un an. La Turquie et la Russie ont conclu un accord pour identifier cette zone où vivent quelque trois millions d’habitants, dont plus de la moitié sont des réfugiés, et où se trouvent également plusieurs milliers de combattants terroristes, les uns liés à Al-Qaida et les autres à Daech, outre des groupes contrôlés de près ou de loin par les Turcs. L’accord russo-turc prévoit un cessez-le-feu, qui est plus ou moins bien respecté – plutôt moins bien, ces derniers temps. Il prévoit également que les Turcs, en s’appuyant sur les groupes qui leur sont proches, rétablissent la sécurité dans la zone ; ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, ce sont les groupes proches d’Al-Qaida qui y ont pris le dessus sur le plan militaire. Combien de temps cette situation perdurera-t-elle en l’état ? Je l’ignore. La question sera certainement abordée par les présidents russe, iranien et turc qui se réuniront demain à Sotchi.

En clair, deux régions posent question : le nord-est et la zone d’Idlib. Ajoutons que le processus politique n’est pas encore vraiment engagé. Les principes de son déroulement sont pourtant définis par la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a recueilli un avis unanime puisqu’elle n’a fait l’objet d’aucun veto. C’est ce texte qui doit servir de socle à la résolution du problème politique. Cela suppose une réforme constitutionnelle, un processus électoral neutre et indépendant et la participation de l’ensemble de la population syrienne, y compris les réfugiés et les déplacés, sachant qu’il y a environ cinq millions de réfugiés, qu’ils sont syriens et qu’ils doivent pouvoir voter.

Ce processus est actuellement bloqué aux toutes premières étapes : avant de réviser la Constitution, il faut constituer un comité constitutionnel dont la composition est en débat depuis un an. Voilà où nous en sommes. Le Secrétaire général des Nations unies a dépêché un nouvel envoyé spécial, le Norvégien Geir Pedersen, pour succéder à Staffan de Mistura. M. Pedersen désire vivement que ce processus reprenne un cours positif et souhaite comme nous que le groupe d’Astana – c’est-à-dire la Turquie, l’Iran et la Russie – d’une part et, de l’autre, le Small Group – créé à notre initiative et composé des États-Unis, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, de la Jordanie et de la France – travaillent ensemble. Ce n’est pas encore le cas : la France et la Russie assurent pour l’instant le lien entre ces deux groupes dans le cadre de relations directes. Il serait souhaitable que ce lien soit officialisé sous l’égide des Nations unies ; ce serait la première étape d’un processus vertueux et d’une évolution politique positive que nous attendons depuis longtemps. Nous pourrions aussi progresser en matière humanitaire, la situation de la région étant dramatique de ce point de vue.

J’ajoute un mot sur les combattants étrangers, sur lesquels on tient toutes sortes de propos abondants. Rappelons les faits : les combattants étrangers sont de toutes origines – certains sont français, d’autres allemands, belges, britanniques ou encore tunisiens – et, notamment dans les derniers temps comme à Baghouz, Daech les envoyait en nombre important au combat en première ligne. Le principe de base que nous avons toujours prôné est le suivant : ces combattants sont français, mais ennemis de la France, et doivent être jugés là où ils ont commis leurs crimes. S’ils ont commis leurs crimes en Irak, c’est là qu’ils doivent être jugés par les instances compétentes, comme c’est d’ailleurs le cas puisque les autorités judiciaires irakiennes ont déjà prononcé des condamnations. Dans ces situations, les personnes concernées bénéficient de l’accompagnement consulaire classique, mais elles sont jugées sur les lieux de leurs crimes.

La difficulté survient dans les théâtres de guerre, comme en Syrie, où il n’existe aucune autorité judiciaire reconnue. Certains combattants sont alors faits prisonniers, en l’occurrence par les Forces démocratiques syriennes, et d’autres continuent de combattre. Il se trouve par exemple des Français dans la zone d’Idlib et dans celle de Baghouz. De ce point de vue, l’annonce du retrait américain nous oblige à nous interroger sur la manière dont nous allons gérer cette situation. À ce stade, nous n’avons pas encore apporté de réponse, contrairement à ce que certains pensent. Nous examinons toutes les options possibles à l’aune d’un seul et unique principe : assurer notre propre sécurité. Cette question ne se pose d’ailleurs pas qu’à nous mais aussi à certains de nos voisins. Encore une fois, nous sommes ouverts à toutes les hypothèses compte tenu de l’accélération des procédures, afin de pouvoir agir ou réagir à tel ou tel moment ; en attendant, aucune option n’est encore privilégiée, étant rappelé que le principe essentiel consiste à ce que les combattants étrangers soient jugés là où ils ont commis leurs crimes – car il s’agit bel et bien de crimes.

Vous m’avez interrogé sur le Yémen. Un espace de paix est aujourd’hui possible puisque les pourparlers qui se sont tenus au mois de décembre dernier en Suède avec le nouvel envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Griffiths, ont, pour la première fois, permis un cessez-le-feu dans le port de Hodeida, l’ouverture de corridors humanitaires vers la ville de Taëz et des échanges de prisonniers, mesures endossées par le Conseil de sécurité. C’est là une ouverture très significative, qui doit être encouragée. De nouvelles réunions se tiendront dans le cadre du processus de Stockholm, en particulier pour faire en sorte que l’aide humanitaire puisse parvenir à tout le monde et ne soit pas « kidnappée » par certains avant d’être mise à la disposition des populations. Nous souhaitons que cette dynamique puisse se poursuivre et nous encourageons l’ensemble des acteurs à avancer, à la fois dans nos contacts avec les pays de la coalition arabe et dans nos contacts avec les autorités iraniennes parce que, sur ce sujet, nous parlons à tout le monde. J’ai moi-même évoqué cette question avec mon homologue iranien Mohammed Javad Zarif. Nos exigences sont que le cessez-le-feu en vigueur à Hodeida soit étendu à l’ensemble du Yémen, que l’accès de l’aide humanitaire à l’ensemble du territoire soit rétabli et que s’engage alors un processus politique qui permette à ce pays de sortir de cette sale guerre, parce que c’est une guerre épouvantable – la pire crise humanitaire aujourd’hui, dans le monde.

Quant à la Libye, nous sommes vraiment, aujourd’hui, à la croisée des chemins. À Tripoli, où le cessez-le-feu reste fragile, il s’agit d’organiser la transition des milices vers des forces de sécurité régulières. En même temps, dans le sud, une série d’opérations menées par l’Armée nationale libyenne (ANL) ont permis d’éliminer des sites terroristes importants ; l’activité des bandes armées et des trafiquants d’êtres humains, qui sévissent dans la région et débordent sur les pays voisins, pourrait s’en trouver durablement entravée. À la suite de ces opérations, nous avons vu une cohorte de pick-up se diriger vers le Tchad, mais il n’empêche qu’il n’y aura pas de contrôle durable du territoire et des frontières tant que ces forces armées ne seront pas placées sous l’autorité du pouvoir civil. Il faut donc accompagner l’effort d’unification des forces armées en Libye. En même temps, il faut que le processus que nous avons acté lors de la conférence de Paris du mois de mai dernier, conforté par la réunion de Palerme au mois de novembre dernier, qui définit à la fois le rôle du représentant des Nations unies, M. Salamé, et le processus permettant des élections avant l’été, aboutisse – il doit pouvoir aboutir. Il sera précédé d’une conférence nationale que M. Salamé prévoit d’organiser dans les prochaines semaines.

Il faut maintenant que les Libyens prennent leur part de responsabilité. Beaucoup d’efforts ont été faits et la situation économique commence à s’améliorer, en particulier avec une réunification de l’ensemble de la production et de la vente de pétrole autour de la National Oil Company. Tout cela devrait permettre des développements positifs. Pour la première fois depuis des années, un chemin de sortie de crise se dessine. La stabilisation de ce pays est un enjeu majeur pour notre sécurité, mais aussi pour celle des voisins, comme nous avons pu nous en rendre compte ces derniers jours au Tchad.

Au Liban, le Premier ministre Hariri a réussi, le président Aoun étant consulté, à former un gouvernement après huit mois de négociations – les élections ayant eu lieu il y a huit mois. Il était temps. Je pense que la pression internationale a contribué à cette issue ; vous savez combien la France est attachée à ce pays. La situation économique était devenue dramatique et la nécessité de s’unir est enfin apparue à l’ensemble des acteurs libanais.

Cela nous permettra de mettre en œuvre les trois processus à l’engagement desquels nous avions aidé. La conférence de Rome avait permis d’aboutir à un renforcement du soutien de l’armée libanaise et des forces de sécurité intérieure. La conférence de Bruxelles visait à aider les nombreux réfugiés syriens au Liban avant qu’ils ne retournent éventuellement en Syrie – il est compliqué de déterminer leur nombre exact mais ils sont un peu plus d’un million ; c’est beaucoup, dans un pays de 4,5 millions d’habitants. Nous avions organisé une conférence à Paris pour aider le Liban à condition qu’il fasse les réformes nécessaires : la conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (CEDRE). L’action de financement, mobilisant 11 milliards de dollars d’engagements, ce qui est quand même énorme, ne pouvait être mise en œuvre que si le Liban se dotait d’abord d’un gouvernement – c’est la moindre des choses – et s’engageait ensuite dans un processus de réforme que le Premier ministre Hariri a eu l’occasion d’évoquer et de développer lors de cette conférence.

Le Liban est un modèle de pluralisme et de coexistence sans équivalent au Moyen-Orient. Il est essentiel de le préserver. Il importe dès lors que ce pays continue de se dissocier des conflits du voisinage et garde son autonomie et sa capacité de décision. C’est ce que nous souhaitons, et j’espère que tout cela pourra suivre un chemin plus positif qu’auparavant. Il était en tout cas nécessaire qu’un gouvernement soit formé ; c’est aujourd’hui fait. J’aurai l’occasion de me rendre prochainement au Liban pour entamer avec les autorités des conversations utiles.

Vous m’avez interrogé sur l’Iran. Mes homologues britannique et allemand et moi-même avons annoncé, le 31 janvier dernier, à Bucarest, la création d’un outil financier permettant la poursuite des échanges commerciaux entre l’Iran et les pays européens, singulièrement ces trois fondateurs mais pas uniquement, le dispositif étant ouvert à ceux qui veulent bien y participer. Nous pourrons donc poursuivre un commerce licite avec l’Iran grâce à cette forme de chambre de compensation qui permet dans des secteurs qui ne sont pas l’objet de sanctions, en particulier l’agroalimentaire et la santé, de répondre aux besoins de première nécessité de la population iranienne. Il faut maintenant que l’Iran, qui célèbre aujourd’hui le quarantième anniversaire de la révolution islamique, constitue un dispositif miroir du nôtre, mais nous sommes au rendez-vous des engagements que nous avons pris à l’égard de l’Iran. Cela suppose aussi que l’Iran respecte totalement le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) ; c’est effectivement le cas. Les dernières visites effectuées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont permis de constater que l’Iran respectait bien les engagements pris dans le cadre de l’accord de Vienne de 2015. Cela n’empêche pas d’avoir de fortes exigences en ce qui concerne les questions liées aux missiles et à la stabilité régionale. Nous sommes très vigilants quant au risque que des actions soient entreprises via des milices qui interviennent sur d’autres territoires que le territoire iranien. De même, nous avons protesté vigoureusement contre les tentatives d’attentats en région parisienne, qui nous avaient amenés à suspendre la nomination de notre ambassadeur à Téhéran – l’Iran a pris une mesure symétrique, mais cette situation sera bientôt réglée, sous réserve, bien sûr, que l’accord de 2015 continue d’être respecté.

Plusieurs développements significatifs sont intervenus en Afrique depuis notre dernière rencontre, à commencer par des élections. Certaines se sont bien passées.

Je soulignerai en particulier le caractère exemplaire de la transition à Madagascar, qui marque la fin de cette longue crise politique dans laquelle le pays se trouvait plongé. Andry Rajoelina a remporté le second tour de l’élection présidentielle devant Marc Ravalomanana, qui avait lui-même dirigé le pays entre 2002 et 2009. Le nouveau président a été investi pour cinq ans, le 19 janvier dernier – le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne représentait la France à la cérémonie d’investiture.

Ce scrutin était exemplaire à plus d’un titre. D’abord, il s’est déroulé dans le calme. Ensuite, les observateurs nationaux et internationaux présents ont unanimement reconnu que cette élection était l’une des plus libres et les plus régulières qu’ait connues Madagascar. Par ailleurs, M. Ravalomanana a dignement accepté le résultat. La sérénité prévaut donc, à l’heure où les enjeux sont importants pour ce pays dont les capacités de développement sont importantes : lutte contre la pauvreté, lutte contre la corruption, sécurité. L’apparition d’une zone de sérénité en Afrique est suffisamment rare pour qu’on la souligne. Je me rendrai moi-même à Madagascar avant l’été, et je recevrai demain mon nouvel homologue malgache pour que nous ayons avec ce pays une phase de collaboration montante.

En République démocratique du Congo, les résultats des élections du 30 décembre dernier sont toujours contestés par Martin Fayulu. Ces élections ont fait l’objet de commentaires – j’assume complètement les miens – mais, aujourd’hui, des éléments positifs nous incitent à regarder l’avenir avec confiance. Tout d’abord, il y a effectivement eu une alternance : ce n’est pas le candidat issu du camp présidentiel qui l’a emporté, c’est un opposant, Félix Tshisekedi, qui a prêté serment il y a peu de temps. Tout cela s’est déroulé dans le calme, et une forme de consensus spécifique en République démocratique du Congo, reconnu par l’Union africaine, permet aujourd’hui une stabilité que nous respectons. Dès lors que l’ensemble des acteurs a décidé d’agir ainsi, nous pensons qu’il faut respecter ces choix et ces accords et faire en sorte que ce pays, premier pays francophone au monde, puisse retrouver un chemin de sérénité, et nous voulons resserrer les liens, en particulier en ce qui concerne les priorités que constituent la formation professionnelle et l’éducation. Je rappelle à cet égard une spécificité sanitaire de ce pays : une épidémie d’Ebola est en train de se manifester dans le nord-est du territoire, qui requiert une extrême vigilance.

J’en viens aux crises.

Au Sahel, nous restons particulièrement attentifs à l’évolution de la situation. La situation sécuritaire est toujours très fragile, en particulier au Burkina Faso, où les djihadistes lancent des attaques répétées au nord, avec le groupe Ansarul Islam, ou dans l’est. Le Burkina Faso fait aujourd’hui face, avec courage, à une menace réelle ; nous l’y aidons, tant par des actions de coopération que par l’appui opérationnel que nous lui avons apporté à plusieurs reprises, mais c’est quand même une zone de grande fragilité.

La situation est également fragile au Mali, comme l’a montrée l’attaque djihadiste qui a visé, le 20 janvier dernier, une position de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et entraîné la mort de dix casques bleus tchadiens.

Nous restons vigilants sur la mise en œuvre de l’accord d’Alger. Les progrès sont lents mais réels, en particulier grâce à l’action du nouveau Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Le processus que l’on appelle « désarmement, démobilisation réintégration » a été lancé au mois de novembre dernier et ce sont déjà 1 423 combattants qui, dans ce cadre, ont fait l’objet d’une première formation et d’une intégration. Le Premier ministre s’y rendra la semaine prochaine, j’aurai l’occasion de l’accompagner et d’évoquer aussi l’ensemble de la situation avec des autorités, notamment le président Ibrahim Boubacar Keïta.

En ce qui concerne la situation sécuritaire au Sahel, je voudrais tout d’abord insister sur le fait que le Conseil de sécurité, après la réélection du président Ibrahim Boubacar Keïta, a redonné mandat à la MINUSMA jusqu’au mois de mars, en demandant aux autorités maliennes de faire en sorte que le processus dit « d’Alger » puisse connaître des avancées significatives avant cette date. Se tiendra donc, sous ma présidence – ce sera le mois de la présidence française – une réunion du Conseil de sécurité en présence des autorités maliennes pour faire un point sur l’évolution de la situation. Cette mise en demeure d’accélérer le processus d’Alger me paraît un aiguillon pour les autorités maliennes et le Premier ministre essaie vraiment d’avancer dans cette direction, non seulement « désarmement, démobilisation et réintégration » mais aussi régionalisation du pays, présence de l’État du territoire… Bref, toute une série d’actions, sur lesquelles nous serons amenés à faire des constats à la fin du mois de mars.

On vous parle souvent de la force conjointe. Une question m’a d’ailleurs été posée hier dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à ce sujet. Certes, sa mise en œuvre se fait avec lenteur et difficulté mais il faut voir ce que cela signifie : cinq pays neufs décident de mettre ensemble leurs propres forces pour assurer leur propre sécurité et la sécurité de leurs propres frontières, malgré les différences d’ethnie et celles qui résultent de l’histoire et de la géographie ! Nous avons peu connu cela, même en Europe, et c’est une marche vers l’affirmation d’une sécurité des Africains assurée par les Africains eux-mêmes. Il importe que nous les soutenions. Ils commencent à mener des opérations même si cela ne va pas aussi vite qu’on le souhaitait. Ils sont soutenus par la communauté internationale et par l’Union européenne, y compris techniquement et financièrement. La naissance de cette force, soutenue par l’Union africaine, est, je crois, un élément très important.

Je reviens sur les événements qui se sont produits récemment au Tchad. Une colonne d’une cinquantaine de pick-up est venue de Libye pour prendre le pouvoir à N’Djamena par la force. Nous sommes intervenus à la demande des autorités tchadiennes, dans le respect du droit international, puisque le président Idriss Déby a écrit au Président de la République pour lui demander une intervention qui empêche ce coup de force venu de Libye. L’action de l’Armée nationale libyenne, si elle a permis de reprendre en partie le contrôle la situation au sud, a entraîné un certain nombre de mouvements des différents groupes – pas tous terroristes, mais les différents groupes qui vivent de différents trafics dans cette région. Une déstabilisation du Tchad était donc engagée et nous avons empêché cette cinquantaine de pick-up armés de l’Union des forces de la résistance (UFR) d’atteindre N’Djamena. Cela ne nous empêche pas de demander au président Déby de mettre en œuvre les réformes nécessaires sur le plan politique et sur le plan économique, en particulier de préparer les élections législatives au Tchad qui devraient avoir lieu avant l’été prochain.

Vous avez fait référence à la République centrafricaine. Petite note positive, ce qu’on a appelé l’initiative africaine de paix a permis de réunir, à Khartoum, l’ensemble des acteurs, c’est-à-dire les quatorze groupes armés qui agissent en République centrafricaine et avaient d’abord été consultés, un par un, par les responsables de l’initiative africaine de paix. Un accord a été conclu à Khartoum, validé ensuite lors d’une réunion à Bangui – validé aussi par le président Touadéra. C’est là une bonne nouvelle, que nous accueillons avec beaucoup d’intérêt. Il faut faire en sorte que le processus puisse aboutir convenablement. Il suppose à la fois l’intégration des groupes armés dans des brigades mixtes groupes armés-forces centrafricaines dans un délai de soixante jours et une commission « Vérité, justice et réconciliation » pour permettre non pas l’amnistie mais une forme de réconciliation qui donnerait à ce pays un peu plus de sérénité et permettrait de restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire. Pour l’instant, avec quatorze groupes armés, l’autorité du président Touadéra est assez limitée – limitée à la capitale, et peut-être même pas à toute la capitale. Je tenais à souligner ces développements positifs et à dire combien la France souhaite que cet accord, dont l’initiative est due à l’Union africaine, puisse être mis en œuvre concrètement.

Je terminerai par l’action en faveur de l’État de droit et de la démocratie. Je dirai donc quelques mots de la situation au Vénézuela. J’ai déjà eu l’occasion de dire à l’Assemblée nationale pourquoi nous sommes particulièrement attentifs à son évolution. Ce pays est en proie à une crise majeure depuis trois ans : une crise politique, puisque la réélection du président Maduro au mois de mai dernier n’a pas offert les garanties minimales d’un exercice démocratique et se trouve donc contestée ; une crise économique, le pays étant exsangue et l’inflation supérieure à 1 000 000 % ; une crise sociale, la population n’ayant plus accès aux biens de première nécessité ; une crise humanitaire, avec l’exode de déjà trois millions de réfugiés dans des pays voisins, singulièrement la Colombie. Permettez-moi de rappeler aussi que le régime nie la réalité de la crise humanitaire et entrave le travail des organisations non gouvernementales (ONG).

La France et l’Union européenne ont décidé d’agir, d’abord en reconnaissant M. Guaidó comme le président en charge du Venezuela, avec l’objectif d’organiser une véritable élection présidentielle, parce qu’on ne sortira de la crise politique qu’avec une nouvelle élection présidentielle. Comme le président Maduro n’a pas souhaité l’organiser, nous avons estimé que la mission de M. Guaidó était d’organiser la nouvelle élection présidentielle – les pays européens s’accordent unanimement sur la nécessité de procéder à cette élection présidentielle. Vingt-trois pays européens ont d’ailleurs fait savoir qu’ils soutenaient l’idée d’une transition politique crédible et le mandat donné à M. Guaidó pour assurer la préparation de l’élection.

Par ailleurs, l’Union européenne a mis en place un groupe de contact international, qui s’est réuni pour la première fois à Montevideo jeudi dernier. Nous y participons avec sept pays européens et quatre pays d’Amérique latine, sous la présidence du président de l’Uruguay. Ce groupe a pour objectif, à la fois, d’aider à la mise en œuvre du processus électoral, de faire en sorte que l’aide humanitaire puisse être acheminée dans les meilleurs délais et de faire en sorte qu’un échange d’informations et de points de vue, un dialogue permette aux autorités d’organiser un processus électoral qui se tienne sans violence.

Je m’arrête là, mais je crois, madame la présidente, avoir répondu à toutes les questions que vous avez posées.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. En effet, monsieur le ministre.

Chers collègues, vous avez la parole.

Mme Annie Chapelier. Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour votre tour d’horizon.

Je souhaite vous interroger au sujet du trente-deuxième sommet de l’Union africaine qui s’est tenu à Addis-Abeba le 10 février dernier. Le Secrétaire général de l’ONU António Guterres a fait le déplacement pour encourager le vent d’espoir que représentent les récents accords de paix signés dans la Corne de l’Afrique. Car les leaders de l’Union africaine ne supportent plus d’être dépossédés des initiatives de paix en Afrique.

Le Tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, et l’Algérien Smaïl Chergui, commissaire de l’Union africaine pour la paix et la sécurité, le disent sans ambages, par exemple à propos de la Libye : il faut que le représentant de l’ONU coopère davantage avec eux, il n’est pas question de laisser l’ONU et les États-Unis en première ligne. Ils illustrent leur volonté de casser l’image d’une organisation africaine impuissante face au conflit par deux exemples : le compromis signé au Soudan du Sud au mois de septembre dernier entre les deux frères ennemis Salva Kiir et Riek Machar, qui, pour le moment, « tient », même si c’est cahin-caha ; l’accord de paix signé ce mois-ci en Centrafrique après dix jours de négociations menées tambour battant par Smaïl Chergui. On ne peut que souligner aussi les accords entre l’Érythrée, qui s’ouvre enfin au reste du monde, et l’Éthiopie.

Autre exemple de ce vent d’espoir, les dernières élections, que vous avez évoquées, en République démocratique du Congo, à Madagascar ou au Mali. Même s’il y a eu des divergences, les perdants, se gardant de toute violence, se sont comportés de manière positive et ont respecté les structures institutionnelles. On a pu cependant lire que ce bilan était mitigé, mais Paul Kagamé, qui avait été mandaté par ses pairs au mois de juillet 2016 pour proposer un ambitieux plan de réforme de l’Union africaine a vu, par sa désignation à la présidence tournante effective en janvier 2018, entérinée l’idée que l’organisation de l’Union africaine était enfin ouverte au changement. Son plan de réforme comptait plusieurs mesures emblématiques et il a obtenu des résultats inégaux. L’une de ses priorités était d’assurer l’indépendance financière de l’Union africaine en levant auprès des pays membres une taxe de 0,2 % sur les importations, mais la mesure n’a été acceptée que par 22 pays. Autre mesure emblématique, la création d’un fonds pour la paix est en bonne voie : sur les 400 millions de dollars jugés nécessaires pour l’abonder, 80 millions ont déjà été récoltés auprès des États membres : l’Union africaine pourra désormais financer elle-même des missions de médiation, des envoyés spéciaux, des initiatives en faveur de la paix.

Deux autres mesures étaient au cœur de la réforme institutionnelle. Le flambeau est désormais passé dans les mains du maréchal égyptien al-Sissi, qui a d’ores et déjà présenté ses priorités, parmi lesquelles le renforcement de l’intégration économique africaine. Mais, a priori, il n’y aura pas de nouvelles réformes engagées et celles qui le sont risquent de progresser désormais beaucoup plus lentement.

Néanmoins, lors de ce sommet, l’Union africaine a démontré, si besoin il y avait, que l’Afrique est désormais engagée dans une voie d’autonomie et qu’il faudra compter désormais avec elle sur l’échiquier politique international. Le voyage organisé par l’Élysée dans la Corne de l’Afrique, du 12 au 15 mars sera, l’occasion, pour le président Emmanuel Macron, de tenter de renforcer la présence de la France dans plusieurs secteurs économiques stratégiques, en cette zone où la France est historiquement peu présente, en dehors de Djibouti.

Monsieur le ministre, quel message politique peut-on attendre de ce déplacement dans une Afrique qui a réussi à démontrer, grâce à l’Union africaine, qu’elle peut fédérer des pays jusqu’alors isolés ou ennemis, face à une Europe en pleine incertitude préélectorale ?

M. Didier Quentin. Je vous remercie, monsieur le ministre, de respecter votre engagement de venir chaque mois devant notre commission.

Permettez-moi d’abord une question sur les combattants étrangers en Syrie. À leur sujet, vous avez dit, à juste titre, que c’étaient des Français ennemis de la France. Vous avez été clair sur la manière dont ils devaient être jugés. Mais est-ce que vous pouvez chiffrer le nombre de ces combattants, notamment dans la région d’Idlib ?

Deuxièmement, à plusieurs reprises, il a été question du Conseil de sécurité des Nations unies. Je rappelle que de nombreuses fausses nouvelles ont circulé sur l’avenir de notre siège de membre permanent au sein de ce conseil, avant la signature du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle. Son article 8 stipule seulement : « Dans le cadre de la Charte des Nations unies, les deux États coopéreront étroitement au sein de tous les organes de l’Organisation des Nations unies. Ils coordonneront étroitement leurs positions, dans le cadre d’un effort plus large de concertation entre les États membres de l’Union européenne siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies. »

Vous avez dit vous-même que, en mars, c’est la France qui va présider le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Allemagne lui succédant en avril. Jusqu’à quel niveau souhaitez-vous arriver pour entretenir cette coopération, et peut-être aller jusqu’à une codécision ?

Enfin, s’agissant de la situation au Venezuela, la France a été très prompte, par la voix du président Macron, à reconnaître Juan Guaidó comme président en charge, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, après l’expiration, le 3 février, de l’ultimatum à Nicolas Maduro, celui-ci ayant refusé de convoquer une nouvelle élection présidentielle. Mais n’est-on pas allé un peu vite en besogne ? N’aurait-on pas dû, dans un premier temps, apporter notre soutien au groupe de Lima ? Vous avez vous-même fait allusion au fait qu’il y avait ce groupe de contact avec l’Uruguay : quelle est l’articulation entre ce groupe de contact de l’Uruguay et le groupe de Lima ?

Pour terminer, puisque vous avez rappelé que la République démocratique du Congo était le premier pays francophone au monde en dehors de la France, qu’est ce que vous entendez faire pour défendre la langue française dans les instances internationales, et notamment en Europe ?

M. Bruno Joncour. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ce point d’actualité sur la situation internationale.

Lors de votre récent déplacement au Qatar, vous avez abordé de nombreux sujets, y compris le football, avec les autorités du pays. Il a été évidemment question de la situation régionale et des relations complexes et compliqués entre les pays du Golfe – je pense notamment à l’Arabie Saoudite. Avez-vous, sur ce point, des éléments d’information actualisés susceptibles de nous éclairer sur les perspectives d’évolution des relations entre ces pays ?

Sur un sujet plus précis, quelle est, à votre avis, la perception, dans ces pays du Golfe, de la question palestinienne et de la situation des territoires palestiniens ? Car nous avons vu une évolution d’un certain nombre d’entre eux à l’égard d’Israël.

M. Pascal Brindeau. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre tour d’horizon complet des différentes affaires du monde. Je n’ai que deux questions.

Concernant la situation des djihadistes français dans le Nord-Est et le Nord de la Syrie, vous avez réaffirmé que la position de la France était que ces djihadistes soient jugés dans le pays où ils auraient commis les crimes dont ils sont accusés. Pour autant, le ministre de l’intérieur, répondant à des questions au Gouvernement ces dernières semaines, avait, semble-t-il, ouvert la voie au retour d’un certain nombre d’entre eux en France, pour qu’ils y soient jugés. Pour votre part, vous avez parlé d’« options ouvertes », au pluriel. S’agissant de la situation de ces djihadistes, est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus s’agissant de l’option du retour ? Je m’associe également à la question concernant le nombre de ceux-ci, car on n’arrive pas à avoir d’éléments très précis – on parle parfois de 130 djihadistes, d’un peu moins, d’un peu plus…

Ma deuxième question concerne l’État du Qatar, qui subit un blocus de la part des pays limitrophes du Golfe et, en particulier, de l’Arabie Saoudite, qui a complètement fermé sa frontière aux échanges commerciaux, mais aussi aux échanges de population avec cet État. Un certain nombre d’habitants du Qatar ont pourtant de la famille de part et d’autre de cette frontière. Le président Macron était allé au Qatar et dans un certain nombre de pays du Golfe en décembre 2017, avec l’intention de contribuer au règlement de la situation. Or, cette crise perdure aujourd’hui depuis plus d’un an et demi. Qu’en est-il de la position de la France et des éléments d’information dont vous pouvez disposer sur ce point ?

M. Alain David. Ma première question porte sur le Yémen, et en particulier sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite qui est engagée dans le conflit sur place. Avez-vous vu plus d’informations sur la nature et l’utilisation de ces armes ? Est-on vraiment sûr qu’elles ne servent pas dans ce conflit ?

Ma deuxième question porte sur la situation au Cameroun. Depuis les dernières élections présidentielles, le pays est la proie de graves difficultés et, en particulier, d’une véritable guerre civile : ses deux régions anglophones limitrophes du Nigeria sont actuellement à feu et à sang. On parle de 400 000 déplacés et de 40 000 réfugiés au Nigeria. Des populations civiles sont attaquées par l’armée régulière, des villages détruits… Si telle est bien la réalité, la situation est vraiment catastrophique et alarmante.

Or on sait que, actuellement, nous avons un certain nombre de coopérants militaires et de policiers présents dans le pays. Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer le nombre de ces militaires qui sont actuellement au Cameroun, ainsi que l’utilisation qui en est faite ? On se souvient bien de ce qui s’était passé au Rwanda. Méfions-nous ! Car on est vite engagé dans des difficultés majeures quand un pays est en situation de guerre civile.

Mme Clémentine Autain. Je vous remercie, monsieur le ministre.

Je souhaite vous poser une question sur l’intervention française et les frappes françaises au Tchad. Comme vous le savez, le président de notre groupe, Jean-Luc Mélenchon, a demandé à ce que nous ayons un débat à l’Assemblée nationale sur cette question, car ce n’est pas une petite intervention, mais une intervention importante qui implique la France et sa stratégie.

Comme vous le savez, le Tchad est le pays d’Afrique qui a connu le plus d’interventions militaires depuis son indépendance. Ce n’est effectivement pas la première fois qu’Idriss Déby, qui a pris le pouvoir par les armes en 1990 – avec le soutien de la France s’il faut le rappeler – fait face à une rébellion. Mais ce qui est aujourd’hui spécifique dans votre choix, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un soutien à ceux qui bombardent : non, c’est la France qui décide elle-même d’intervenir militairement et de bombarder ! Ce n’est donc pas tout à fait anodin. L’argument autrefois employé, à savoir que c’était pour la stabilité de la région, fait place aujourd’hui aux références à la lutte contre le terrorisme. Mais quelle est la cohérence stratégique d’ensemble de cette intervention et quel est, d’abord, son impact réel sur la lutte contre le terrorisme ? Cette dernière apparaît ici comme un prétexte pour mieux soutenir le régime d’Idriss Deby.

Je ne peux que relever la dissonance par rapport à d’autres choix qui ont été les vôtres vis-à-vis des Kurdes, alliés pourtant absolument incontournables dans la lutte contre Daech, qu’ils ont combattu très concrètement, pied à pied. Eh bien, vous avez fait là le choix de ne pas froisser la Turquie, donc de ne pas clairement soutenir les Kurdes !

Je m’étonne d’autant plus de votre soutien quasi inconditionnel à Idriss Déby, coûte que coûte, alors que vous passez sous silence ses pratiques pour le moins autoritaires et la violation récurrente des droits humains par le régime en place. Je voudrais aussi vous demander combien de personnes vous estimez avoir été victimes de ces bombardements de la France.

Il y a vraiment deux poids, deux mesures. C’est absolument édifiant : alors que vous venez en aide à Idriss Déby, qui serait potentiellement victime d’un coup d’État, vous soutenez, de l’autre côté, un coup d’État au Vénézuela contre Maduro ! Nous sommes parfaitement lucides sur l’état du régime de Maduro, mais il ne s’agit pas de soutenir ce régime : il s’agit de conserver une cohérence d’intervention, et non de mener une politique d’ingérence au mépris des droits et au mépris de tout ce qui permet de stabiliser les régions en cause.

Je ne crois pas qu’à chaque fois qu’un Président de la République n’agit pas comme on aimerait qu’il agisse, ce type de soutien devienne automatiquement légitime. Idriss Déby a carrément tué 40 militaires parce qu’ils n’avaient pas voté « correctement » aux dernières élections et il a mené des arrestations en masse, sur fond de corruption inégalée ! La France aurait tout de même intérêt à se souvenir de son passé colonial en Afrique, pour éviter de le répéter.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le ministre, qu’en est-il de Laurent Fortin, innocent assigné à résidence en Chine pendant que les coupables ont la belle vie ?

Je voudrais savoir aussi ce qu’il en est de Mohamed Kadami, président du Front pour la restauration de l’unité démocratique de Djibouti. Il est actuellement en France ; il semblerait que l’on soit prêt à l’échanger contre une personne qui serait liée au scandale Kadhafi-Sarkozy. Est-ce une réalité ?

J’ai aussi reçu l’information que, pour la deuxième fois, un concert qui devait avoir lieu à l’Institut du monde arabe, le 10 mars, avec une chanteuse sahraouie, a été déprogrammé, sur les instances, semble-t-il, du Maroc. Or une œuvre d’art sahraoui a déjà été retirée du Centre Georges-Pompidou, là encore pour la deuxième fois. Votre ministère semble décidément sensible à cette question, puisque la subvention qui permettait à une association française de faire de la francophonie dans les camps de réfugiés sahraouis, en finançant des des instituteurs qui apprenaient le français dans ces camps de réfugiés, a été supprimée par l’ambassade de France. Ces trois faits concourent à accréditer l’idée qu’il y a peut-être une offensive concertée sur cette question.

M. Jean-Michel Clément. Je vous remercie, monsieur le ministre.

Hier, le « procès de la honte » s’est ouvert à Madrid : je veux bien sûr parler de celui des douze responsables indépendantistes catalans, notamment associatifs, qui risquent de sept à vingt-cinq ans de prison pour avoir rempli, ou simplement soutenu, le mandat qui leur a été confié de manière démocratique par le peuple, à savoir celui d’organiser un référendum d’indépendance. Ils sont jugés par l’État espagnol pour rébellion, sédition, détournement de fonds publics. Ces accusations ont été créées de toutes pièces pour justifier lesdites charges et ont été écartées par les juridictions belges, écossaises, allemandes, ainsi que par le gouvernement suisse, lorsque ces instances ont refusé d’extrader vers l’Espagne l’ex-président Puigdemont, ainsi que ses ministres en exil, sur le seul fondement de la rébellion et de la sédition, en raison de l’absence totale de violence des accusés.

Par ailleurs, rappelons que le parquet, composé de magistrats nommés sur proposition du gouvernement espagnol, fait ressembler ce procès à un procès politique, le premier de cette ampleur jamais organisé dans l’Union européenne. Que l’on soit pour ou contre l’indépendance de la Catalogne, là n’est pas la question. Il s’agit avant tout du respect des standards démocratiques d’un pays appartenant à l’Union européenne. Or force est de constater que l’Espagne les viole allègrement et que l’Union européenne détourne le regard, au rebours de ce qu’elle fait dans certains autres pays comme la Pologne ou la Hongrie.

On apprend aujourd’hui que les indépendantistes catalans qui font tenir la majorité de Pedro Sánchez au Congrès des députés viennent de voter contre le budget, car ce dernier ne veut pas dialoguer avec eux. On semble ainsi se diriger vers de nouvelles élections en Espagne, avec un super-dimanche ou superdomingo qui verrait se tenir le même jour des scrutins municipaux, régionaux et européens. L’Espagne n’en a donc pas fini avec l’instabilité liée à cette question.

Seul un processus politique que le gouvernement espagnol se refuse à envisager pourrait permettre de sortir de cette situation. La réponse est pourtant à portée de main, puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’accéder à la demande de près de 80 % des Catalans, à savoir procéder à un référendum d’autodétermination. Il s’agit d’un processus légitime. Depuis une dizaine d’années, les élections ont toujours porté des majorités indépendantistes à la tête de la Catalogne. L’autodétermination n’est pas un crime, mais un droit universel reconnu par le droit international, et au premier chef par l’ONU.

Monsieur le ministre, j’aimerais savoir si la France compte rappeler à l’Espagne la nécessité de respecter les standards démocratiques européens en matière de droits et libertés fondamentales, et si elle compte appeler à une solution politique sans laquelle nous pouvons craindre que notre voisin espagnol ne s’enfonce durablement dans l’instabilité.

M. Jacques Maire. Ma première question porte sur la République démocratique du Congo. Monsieur le Ministre, vous avez tenu des déclarations assez inhabituelles, en vous étonnant que les résultats proclamés en RDC ne soient pas tout à fait conformes aux résultats qu’on a pu constater ici ou là. Vous avez effectivement laissé penser que l’alternance incarnée par M. Tshisekedi n’était pas forcément l’alternance dont on avait rêvé, puisqu’il y a eu une espèce de manœuvre avant le premier tour qui a conduit à un ralliement de fait au candidat officiel. Je comprends ce que vous avez dit sur les parties prenantes régionales, mais peut-on vraiment parler d’alternance suite à l’élection de M. Tshisekedi ?

Ma deuxième question concerne le Sahel. Monsieur le ministre, vous savez, grâce à l’appui de vos services, que nous avons eu un sommet interparlementaire G5 Sahel en présence de l’ensemble des présidents de parlements, des bailleurs de fonds et des chefs d’état-major. Cette réunion constitutive du comité interparlementaire G5 Sahel s’est tenue à Lyon à la fin du mois de mars. Nous avons vraiment besoin de savoir si vous pouvez faire en sorte qu’il y ait une mobilisation des bailleurs de fonds, ainsi qu’au niveau politique, pour que ces parlementaires sahéliens, qui souhaitent aller dans le sens que vous avez appelé de vos vœux, soient en situation de le faire, grâce à un soutien fort de la part des exécutifs, et en particulier de vous-même et de l’AFD ?

M. Hugues Renson. Monsieur le ministre, j’aimerais vous interroger aujourd’hui sur un sujet dont je sais qu’il vous est cher, puisque vous nous en aviez parlé à l’occasion du 70è anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Il s’agit de la question des droits de l’homme en Égypte.

Comme on le sait, beaucoup d’ONG ne cessent de dénoncer la dégradation des droits de l’homme en Égypte depuis l’arrivée au pouvoir du président Al-Sissi. L’opposition y est muselée ; le pouvoir ne tolère aucune dissidence, en avançant notamment le motif de la lutte contre le terrorisme. On parle beaucoup de disparitions forcées, voire de torture. Le 28 janvier dernier, le Président de la République a eu un entretien avec le président Al-Sissi, à l’occasion de laquelle il a justement exprimé sa préoccupation. Au lendemain de cette rencontre, des défenseurs égyptiens des droits de l’homme ont été poursuivis pour « atteinte à la sécurité nationale » et « diffusion de fausses informations ».

Monsieur le ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous apporter des informations sur la situation des droits de l’homme en Égypte ? Quel accueil le président Al-Sissi a-t-il fait aux propos tenus durant l’entretien par le président Macron ? Pouvez-vous nous dire comment la France compte intégrer ce sujet, si essentiel, dans le cadre du partenariat stratégique que nous avons avec cet allié incontournable qu’est l’Égypte ?

M. Michel Herbillon. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour le point que vous avez fait. Je vous poserai trois questions rapides.

Premièrement, comment voyez-vous la sortie de crise, sur le plan international, de la situation au Vénézuéla ?

Deuxièmement, il y a une grande inquiétude de nos compatriotes, comme vous le savez, concernant la question des djihadistes et leur éventuel retour dans notre pays. Ils ont le sentiment qu’il y a eu beaucoup de propos différents, un certain nombre d’atermoiements… Vous avez été très clair dans votre propos, mais je voudrais que vous reprécisiez devant notre commission la position de la France, aujourd’hui et demain, sur cette question.

Troisièmement, je me souviens de vos paroles, tenues ici même, à la suite d’une interpellation de ma part, sur le fait qu’il fallait arrêter, je vous cite, de « vendre les bijoux de famille ». Or j’ai eu vent d’une intention de vendre notre ambassade à Budapest. Est-ce une rumeur ou est-ce une réalité ? Je pense que ce n’est pas une bonne chose que de vendre nos ambassades au profit de locations dans des bureaux anonymes qui sont, d’ailleurs, souvent la propriété de Chinois.

Mme Liliana Tanguy. Monsieur le ministre, je souhaitais vous interroger sur la signature, lundi dernier, d’un accord stratégique entre la France et le Qatar, à l’occasion de votre visite à Doha. Cet accord est axé sur la sécurité régionale et vient conforter une relation bilatérale forte entre la France et le Qatar, notamment dans le domaine de l’industrie de la défense, où le Qatar est notre troisième client.

Monsieur le ministre, de quelle manière la mise en œuvre de l’accord stratégique permettra-t-elle, concrètement, de renforcer la sécurité régionale, notamment à l’égard des populations ? Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur les conséquences de l’embargo sur le Qatar, ainsi que sur la manière dont la France soutient et soutiendra une résolution rapide de cette crise ?

Mme Mireille Clapot. Ma première question portera sur les cyber attaques, risque particulièrement perçu dans le secteur des télécommunications, du fait du futur déploiement de la 5G. Plusieurs États ont exclu l’an dernier le premier équipementer mondial, Huawei, de la construction d’infrastructures nécessaires au déploiement de la 5G : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et les États-Unis. Dans cette optique, le 25 janvier dernier, le Gouvernement a présenté au Sénat un amendement au projet de loi pour la croissance ee la transformation des entreprises (PACTE), qui prévoit la délivrance d’une autorisation préalable à toute entreprise voulant exploiter des équipements de réseaux radioélectriques. Pouvez-vous nous en dire plus sur le lien perçu entre certains équipementiers et les intérêts de la sécurité et de la défense nationale ?

Ma deuxième question porte sur l’Algérie : Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, très affaibli physiquement, sera candidat à un cinquième mandat. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Mme Nicole Trisse. Ma question concerne le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, à Istanbul. Le Sénat américain avait laissé entendre, à de nombreuses reprises, qu’il disposait de preuves et d’éléments tangibles corroborant les affirmations des autorités turques sur les responsabilités imputables aux responsables saoudiens. Quelle lecture faites-vous des dernières révélations sur cet assassinat ? Quelles conséquences comptez-vous en tirer, le cas échéant ?

Mme Valérie Thomas. Monsieur le ministre, l’ouverture diplomatique et économique de l’Érythrée aiguise les appétits, naturellement ceux de la Chine, mais également ceux des pays du Golfe. Les Émirats arabes unis disposent déjà d’une base militaire à Assab. Par ailleurs, c’est en Arabie Saoudite que l’accord de réconciliation entre l’Érythrée et l’Éthiopie a été signé. Face à ces influences grandissantes dans la Corne de l’Afrique, quelle est la réponse de la France et de l’Union européenne ? Quelle forme peut prendre le retour de la diplomatie française en Érythrée ?

Mme Marion Lenne. Monsieur le ministre, permettez-moi de revenir sur l’hétérogénéité des situations politiques en Afrique. Dans certains pays, nous assistons à une véritable respiration démocratique : l’élection y a encore du sens et l’alternance politique est possible ; dans d’autres, c’est loin d’être le cas. Pourtant, l’implication de la société civile, des entrepreneurs et de la jeunesse est forte et l’envie de transition démocratique est de plus en plus présente.

Souvent réprimé, l’engagement citoyen pour promouvoir l’alternance politique est réel. Mais, en même temps, que faire face à des présidents en place qui tentent de modifier les constitutions, afin de prolonger leur mandat, par exemple ? Sur ce sujet, j’organise le jeudi 21 février une conférence consacrée au rôle de la société civile dans les processus démocratiques en Afrique de l’Ouest. Je vous réitère mon invitation à y participer, comme je la réitère à mes très chers collègues ici présents.

Monsieur le ministre, dans le combat mondial pour le débat d’idées que nous avons évoqué ce matin avec M. Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IFRI), comment la France se positionne-t-elle ?

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Monsieur le ministre, dans quelques jours, le 18 février prochain, se tiendra une nouvelle réunion du Conseil « Affaires générales », regroupant les ministres des affaires étrangères. J’aurais aimé vous entendre sur le fonctionnement de ce conseil, parce que, depuis quelques mois maintenant, on voit que l’unanimité est parfois de plus en plus difficile à obtenir en son sein.

Je voudrais prendre pour exemple le cas de ce qui s’est passé pour le Vénézuéla : un État, en l’occurrence l’Italie, a empêché que l’unanimité se fasse sur le sujet, de sorte qu’une vingtaine de pays ont reconnu formellement Juan Guaidó comme président par intérim, sans que l’Union européenne en fasse autant. On se retrouve ainsi dans une situation où la Haute Représentante, membre d’un groupe de contact avec l’Amérique latine – dont vous faites également partie – et qui doit organiser des élections, y représente une Union européenne qui n’a pas reconnu le président par intérim. De même, il y a peu de temps, la Hongrie a bloqué un communiqué sur la Ligue arabe.

J’aurais donc aimé savoir, à quelques mois des élections européennes, votre point de vue sur le fonctionnement de ce Conseil. En fin de compte, une majorité suffisamment robuste n’y aurait-elle pas plus de sens, parfois, qu’une illusoire prise de décisions à l’unanimité ?

M. Hubert Julien-Laferrière. Monsieur le ministre, y aura-t-il, conformément à l’alinéa 2 de l’article 35, un débat au Parlement sur l’intervention au Tchad ?

Par ailleurs, depuis que l’Alliance Sahel a été créée il y a deux ans, quels projets concrets ont été mis en œuvre ?

M. Jean François Mbaye. Monsieur le ministre, ma question porte sur l’allocation des crédits au secteur prioritaire de l’aide publique au développement. La loi de finances pour 2019 prévoit une augmentation des autorisations d’engagement de plus de 1 milliard d’euros pour la mission « Aide publique au développement » (APD) qui constitue le cœur de l’aide internationale qu’apporte la France.

Le 3 septembre dernier, devant l’Agence française de développement, vous indiquiez que sur cette enveloppe supplémentaire, 500 millions d’euros devraient être consacrés à l’éducation, à la jeunesse, à l’égalité entre femmes et hommes, à la santé et à la nutrition, en conformité avec les priorités sectorielles de l’APD.

Il convient de relever que ces secteurs pourtant essentiels demeurent aujourd’hui sous-financés. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié de la population mondiale n’a toujours pas accès aux services de santé essentiels tandis que plus de 800 millions de personnes restent sous-alimentées dans le monde.

Notre assemblée doit examiner cette année la prochaine loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Pourriez-vous, afin de permettre à la représentation nationale de contrôler la bonne utilisation de la hausse des crédits, nous donner davantage de précisions chiffrées sur la ventilation sectorielle de ces nouveaux crédits ?

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je précise que M. le ministre reviendra très prochainement devant notre commission pour une audition portant spécifiquement sur l’aide publique au développement.

M. Claude Goasguen. Je n’ai pas très compris les nouvelles déclarations au sujet de l’Iran. Je rappelle que ce pays est accusé de tentative d’attentat sur notre territoire à Villepinte et je trouve que nous nous montrons un peu trop ouverts. J’ai des doutes sur la nouvelle structure censée contourner l’embargo américain. Il y aura bien des dollars quelque part. Je ne vois pas comment les Américains pourront laisser faire. Mais vous allez nous donner des précisions…

M. Pierre-Henri Dumont. À un mois du Brexit, quel est selon vous, monsieur le ministre, le pourcentage de chances pour qu’il y ait un accord ? S’il n’y en a pas, qu’en sera-t-il des négociations avec nos voisins britanniques sur les zones de pêche ? La question se pose car ce sera le grand enjeu qui nous occupera dès le 30 mars.

Hier, Mme la ministre des affaires européennes a affirmé devant notre commission que la position de la France sur la pêche électrique était parfaitement claire puisque notre pays était favorable à une interdiction totale. Comment se fait-il qu’il y ait un blocage au niveau du Conseil et du trilogue européen ?

Enfin, j’aimerais savoir pourquoi le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n’a toujours pas été nommé.

M. Pierre Cabaré. Je souhaite connaître la position de la France sur la préoccupante situation humanitaire au Venezuela. Le ministre des affaires étrangères de ce pays, M. Arreaza, a affirmé hier aux Nations unies qu’il n’y avait pas de crise humanitaire mais a fait part de la volonté de son gouvernement de renforcer sa coopération avec les Nations unies. L’ONU, par la voix de son Secrétaire général, a annoncé elle-même qu’elle serait prête à intensifier son aide humanitaire si l’actuel gouvernement donnait son accord. Manifestement, celui-ci n’interviendrait pas avant le 23 février.

Monsieur le ministre, avez-vous pu échanger sur cette situation avec vos homologues étrangers ? Dans quelle voie la France va-t-elle s’engager ?

M. Jean-Michel Jacques. En janvier dernier, dans le cadre d’une mission parlementaire, je me suis rendu auprès des armées du G5 Sahel et de la force Barkhane. Ce déplacement a conforté ma conviction qu’il ne pouvait y avoir de développement sans sécurité.

Ma question est toute simple : quelles mesures avez-vous mises en œuvre pour améliorer le continuum entre la sécurité, la défense et l’aide au développement dans le cadre du G5 Sahel ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Du fait de mes contraintes horaires, je dois vous préciser, mesdames, messieurs les députés, que j’aurai du mal à répondre à toutes vos questions. Je me consacrerai à celles qui concernent le développement lors de ma prochaine audition devant votre commission qui porte spécifiquement sur l’aide publique au développement. Sur le Brexit, je ne pourrai dire autre chose que ce que Mme Loiseau vous a déjà expliqué hier.

Madame Chapelier, vous avez parlé longuement de l’Union africaine, et je dois dire que je n’ai pas grand-chose à ajouter. Pour suivre ce dossier depuis plusieurs années, je constate avec une grande satisfaction qu’il y a un renforcement politique de cette organisation. Je ne sais pas si ce processus est à mettre au compte du tandem constitué par Paul Kagamé et Moussa Faki ou s’il remonte à plus loin. En tout cas, c’est une réalité, qu’il s’agisse des initiatives lancées pour remédier aux crises ou du fonctionnement de cette structure. J’aimerais ici rappeler qu’en avril dernier, j’ai signé à Addis-Abeba un accord pour mettre en place un dialogue stratégique entre la France et la commission de l’Union africaine. Ce dispositif spécifique de travail, qui est une première, est très important. Il nous sert beaucoup dans nos relations.

J’observe que, s’agissant du dispositif soutenant les initiatives africaines de paix, il y a des progrès significatifs, en particulier la mise en place du fonds pour la paix. Nous soutiendrons la démarche de l’Union africaine aux Nations unies.

Monsieur Quentin, je tiens à vous préciser qu’il n’a jamais été question d’un partage du siège que la France a au Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre permanent.

M. Didier Quentin. Je le sais bien. Je ne faisais que rapporter une fake news

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je le dis avec beaucoup de force. C’est notre place et nous la tenons. Nous souhaitons qu’il y ait un élargissement du nombre des membres permanents du Conseil de sécurité pour que d’autres pays puissent y siéger, dont l’Allemagne. Il ne s’agit bien sûr pas d’un remplacement.

L’Allemagne et la France présideront le Conseil de sécurité en mars puis en avril, mais à deux titres différents : l’Allemagne en tant que membre non permanent élu pour deux ans ; la France, en tant que membre permanent.

S’agissant des combattants étrangers en Syrie, nous suivons une ligne constante : nous considérons qu’ils doivent être jugés sur les lieux de leurs crimes. Pour ce qui est des enfants, nous étudions leur situation au cas par cas avec la Croix-Rouge internationale. La difficulté, c’est que la Syrie est une zone de guerre. Nous ne pouvons pas déterminer quelle y est l’autorité judiciaire. Certains combattants étrangers – des Français, des Belges, des Italiens, des Tunisiens, des Tchétchènes et d’autres nationalités –, sont prisonniers dans des camps du nord-est alors que d’autres continuent à combattre, toujours dans le même État, à Baghouz, Idlib, pour une partie aux côtés de Daech et pour une autre aux côtés Al-Qaïda. Nous nous préparons à toutes les hypothèses, y compris celle des expulsions. Aucune n’est privilégiée par rapport à une autre. Le critère de fond reste notre sécurité. Il n’y a rien d’autre à dire. Comme vous, j’ai lu le journal et je sais qu’il y a une proposition américaine mais ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres.

Je ne peux vous donner des chiffres précis. Nous savons que 1 200 Français ont quitté l’Europe pour aller combattre. Certains ont été tués, d’autres sont emprisonnés dans des camps au nord-est, d’autres encore continuent de combattre. Certains médias ont avancé le chiffre de 130 Français détenus dans un seul camp. C’est à peu près cela dans mais il est difficile de déterminer le nombre exact d’adultes car il y a une grande proportion d’enfants.

Notre seule préoccupation, c’est notre sécurité dans un État où la guerre n’est malheureusement pas près de finir.

Le général américain Joseph Votel, chef des opérations au Moyen-Orient, fait état de dizaines de milliers de combattants de Daech en Syrie et en Irak. Il n’y a plus de territoires tenus par les terroristes, mais il faut être extrêmement vigilant quant à leur dispersion.

Pour le Vénézuela, les choses sont extrêmement simples. Il y a eu en 2015 une élection législative, qui n’est contestée par personne. Il y a eu en mai 2018 une élection présidentielle, qui est contestée par la communauté internationale. Il y a eu ensuite l’aggravation de la crise. On peut toujours dire qu’il n’y a pas de crise humanitaire, mais quand plusieurs centaines de milliers de personnes quittent un pays, c’est qu’il est confronté à des difficultés. Il y a 3 millions de réfugiés vénézuéliens dans les pays voisins, principalement en Colombie – rappelons qu’il y a 1 million de réfugiés syriens au Liban. Il se passe quand même quelque chose.

À partir du moment où la crise politique s’est aggravée, nous avons estimé qu’il était indispensable de procéder à une élection présidentielle pour sortir de cette situation. Cette orientation, nous l’avons prise au titre du gouvernement français et de l’Union européenne qui a appelé unanimement, le 26 janvier dernier, à la tenue de telles élections sans pour autant désigner celui qui serait chargé de procéder à leur mise en œuvre. À la réunion de Bucarest, les États membres ne sont pas parvenus à un accord unanime. La France avec d’autres États a considéré que M. Maduro n’ayant pas fait part de sa volonté d’organiser de nouvelles élections dans le délai de huit jours qui lui était imparti, M. Guaidó était habilité à y procéder. Le groupe de contact que l’Union européenne a mis en place, qui émane de la réunion des vingt-huit ministres des affaires étrangères, s’est réuni avec des représentants des différentes sensibilités de l’Amérique latine. Nous visons trois résultats : une mise en œuvre des élections présidentielles dans les meilleures conditions possibles, un bon acheminement de l’aide humanitaire, une intervention armée évitée.

Venons-en au Qatar. J’ai eu des entretiens hier avec l’émir et plusieurs responsables politiques. Nous parlons avec tout le monde et nous souhaitons que les acteurs trouvent eux-mêmes la solution à la crise du conseil de coopération du Golfe. Nous ne nous sommes jamais mis en position d’être des facilitateurs de règlement de crise. Les différents responsables de ces pays sont suffisamment matures pour parler entre eux. Le Koweït a été mandaté pour favoriser une médiation qui n’a pas abouti. Je constate que les Qataris affirment progressivement leur autonomie à l’égard des autres pays du Golfe. Ils jouent leurs cartes, ce que je respecte. Cela ne nous empêche pas d’avoir des relations avec les Émirats arabes unis, avec le Koweït, avec l’Arabie Saoudite, avec le Bahreïn ou avec le sultanat d’Oman. Cette affirmation trouvera une traduction forte avec la Coupe du monde de football en 2022, que le Qatar doit organiser, et a en quelque sorte été anticipée par les résultats récents puisqu’il a remporté la finale de la Coupe de l’Asie qui se déroulait aux Émirats arabes unis. Il y a une dynamique sportive très positive à laquelle la France souhaite participer. Le Premier ministre se rendra à la fin du mois de mars à Doha pour assister à l’inauguration du musée national du Qatar.

La question palestinienne a été évoquée quand nous avons abordé les relations du Qatar avec la bande de Gaza. Elle n’est pas apparue comme une des préoccupations majeures de ce pays dans les discussions politiques que nous avons pu avoir.

Nous aurions peut-être intérêt à reparler du Proche-Orient et des relations entre Israël et les Territoires palestiniens après les élections israéliennes.

Madame Autain, j’aimerais préciser que l’article 35 prévoit, en cas d’intervention des forces armées à l'étranger, une information du Parlement qui n’est pas nécessairement suivie d’un débat. C’est seulement si l’intervention excède quatre mois que le débat devient obligatoire pour la prolonger.

Pour le recours à la force, le droit international fixe trois conditions : le consentement d’un État, l’autorisation du Conseil de sécurité prévue au chapitre VII de la Charte des Nations unies, la légitime défense selon l’article 51 de ladite Charte. Nous nous situons dans le cadre de la première condition. La France a reçu une demande écrite du chef de l’État tchadien, Idriss Déby, indiquant que son pays était menacé par des groupes armés venus de Libye pour faire un coup d’État. C’est la même démarche qu’avait entamée le président Traoré en janvier 2013 pour demander l’intervention de la France au Mali. Je précise qu’il n’y a pas eu de victimes civiles.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Permettez-moi de rappeler que l’organisation d’un tel débat au Parlement relève non pas de la volonté de l’exécutif mais de la décision de la Conférence des Présidents de notre assemblée.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. J’ai indiqué au sujet des Kurdes que nous étions très attachés à ce que les Forces démocratiques syriennes reçoivent à l’avenir des garanties de leurs droits et compétences sur le territoire où elles sont aujourd’hui installées. Elles ont beaucoup agi à nos côtés pour faire en sorte que Daech se retire d’une partie de la Syrie.

Monsieur Lecoq, le programme de l’Institut du monde arabe (IMA) ne se fait pas dans mon bureau. Je vous suggère d’adresser les observations que vous avez formulées aux autorités concernées.

Je vous sais très attaché, tout comme moi, au dossier des farines périmées. J’ai fait part à M. Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères, venu en visite à Paris il y a quelques jours, de nos interrogations sur le sort des personnes concernées. Le Président de la République a fait savoir qu’il en reparlerait au président Xi Jinping lorsqu’il viendrait lui-même à Paris. La procédure judiciaire s’est achevée et il serait tout à fait opportun, avons-nous dit aux autorités chinoises, que le cas soit tranché et que les intéressés puissent avoir connaissance des résultats de cette instance judiciaire.

S’agissant de M. Kadamy, je ne peux vous donner d’informations particulières car je dois respecter la procédure judiciaire en cours.

Le financement que vous évoquiez dans la zone du Sahara occidental n’a en effet pas été prolongé en 2018. Nous avons choisi de renforcer l’une des interventions du Programme alimentaire mondial en faveur de trente-sept écoles installées dans des camps, pour le bénéfice de 20 000 collégiens. Il est apparu que cette option était plus intéressante que celle dont vous parliez. Je suis prêt à faire des comparaisons.

J’aimerais maintenant dire deux mots sur le Yémen car je pense qu’on n’a pas toujours une juste appréhension de la situation. C’est une sale guerre, c’est vrai, mais il faut en connaître toute l’histoire. Cette histoire, on l’occulte souvent. En 2011, après le Printemps arabe, le gouvernement d’union nationale mis en place sous l’autorité du président Hadi a été victime d’un coup d’État de l’ancien président Saleh appuyé par les Houthis, qui étaient eux-mêmes soutenus par l’Iran. Ces mêmes forces ont ensuite attaqué militairement l’Arabie Saoudite par des tirs de missile. Le président Hadi, reconnu par la communauté internationale, a fait appel à la coalition arabe pour le soutenir. C’est à ce moment-là qu’a commencé cette guerre. Je le rappelle, à chaque fois. Cette guerre a été menée de manière horrible. Heureusement, aujourd’hui, un processus vertueux commence à s’installer.

Vous évoquiez, monsieur David, les ventes d’armes à la coalition, mais il faut aussi parler des ventes d’armes à destination des Houthis, dont il n’est curieusement jamais question. Comme j’ai eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises, la France se conforme au Traité sur le commerce des armes et respecte la procédure européenne de contrôle. Les ventes sont en outre vérifiées par une commission nationale ad hoc qui s’assure que les armes ne sont pas utilisées à autre chose qu’une action militaire. L’action de l’Arabie Saoudite s’effectue essentiellement par voie aérienne et nous ne fournissons rien à l’armée de l’air saoudienne. Il vaut mieux que les choses soient dites une fois pour toutes afin d’éviter de revenir à chaque fois sur ce sujet.

Nous sommes très préoccupés par la situation de l’État de droit et le risque de conflit civil au Cameroun. Nous sommes intervenus auprès du président Biya, que le Président de la République lui-même a appelé par téléphone pour l’inciter à ouvrir un dialogue politique inclusif, à mettre en œuvre des mesures de détente et à approfondir la décentralisation. Nous sommes d’autant plus préoccupés que 6 500 ressortissants français vivent dans ce pays et que s’ajoute à cette question complexe l’arrestation de Maurice Kamto. Je vous remercie de m’avoir posé cette question qui m’a permis d’évoquer un sujet trop rarement abordé.

J’en viens à l’Iran. Avant toute chose, disons ceci : nous respectons nos engagements, en lien avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. Nous avons mis sur pied un dispositif pour faire en sorte que nos importations paient nos exportations, et réciproquement en Iran. Il s’agit d’une forme de troc : les échanges se font dans le cadre d’une chambre de compensation et ne concernent que les produits autorisés – l’agro-alimentaire et les produits de santé et de pharmacie. Cet organisme a son siège en France et sa présidence est exercée par un Allemand. Il appartient désormais à l’Iran de créer une structure en miroir pour que nous puissions agir.

M. Claude Goasguen. Est-ce que cela peut fonctionner longtemps ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Oui, je le crois ; c’était le souhait des Iraniens. Les acteurs susceptibles d’être intéressés sont nombreux. Il se pose en outre une question à laquelle je n’ai pas de réponse mais qui est loin d’être secondaire : lors des premières décisions américaines, des autorisations d’importer du pétrole ont été accordées à plusieurs pays – la Chine, l’Inde et d’autres – pour une durée de six mois. Or, ces autorisations expirent bientôt et il n’est pas certain qu’elles soient renouvelées, ce qui risque de produire des incidences sur le cours du pétrole et sur la situation de l’Iran.

S’agissant des droits de l’homme en Égypte, monsieur Renson, nous ne pratiquons pas la diplomatie du mégaphone consistant à parler fort à l’extérieur et à se taire une fois sur place. Au contraire : nous en parlons sur place. Avec cent millions d’habitants et une population qui s’accroît de deux millions de personnes supplémentaires chaque année, l’Égypte est un pays tout à fait déterminant pour l’avenir de la région, et son développement est indispensable pour éviter qu’il ne connaisse une situation potentiellement dramatique. Pour la France, l’Égypte est un partenaire important, y compris – mais pas uniquement – dans le domaine militaire. Néanmoins, il importe que nous puissions nous dire les choses dans la relation de confiance que nous entretenons avec le président Sissi et les autorités égyptiennes. Et nous nous les disons publiquement. En ce qui concerne le respect des droits de l’homme dans ce pays, le président Macron a tenu des propos très clairs en présence du président Sissi, qui lui a répondu ; cela fait partie de la discussion. En outre, le président Macron a reçu des représentants d’ONG à la résidence de l’ambassadeur en en informant le président Sissi.

J’observe aussi – on ne le dit pas assez – que l’Égypte garantit la liberté de culte et le respect des religions, contrairement à d’autres pays. Cela prouve aux Égyptiens que cet état de fait pourrait se décliner dans d’autres domaines que la seule sphère religieuse, en particulier par la réforme du droit des ONG, un sujet sur lequel le Président de la République est intervenu fortement auprès du président Sissi.

La séance est levée à 19 heures 10.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

 

Réunion du mercredi 13 février 2019 à 17 h 05

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pascal Brindeau, M. Pierre Cabaré, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Michel Fanget, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, Mme Amélia Lakrafi, M. Pascal Lavergne, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye, Mme Delphine O, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Hugues Renson, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse

Excusés. - M. Lénaïck Adam, M. Moetai Brotherson, M. Bruno Fuchs, Mme Anne Genetet, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, Mme Sonia Krimi, Mme Nicole Le Peih, Mme Marine Le Pen, Mme Monica Michel, M. Adrien Quatennens, M. Sylvain Waserman

Assistaient également à la réunion. - Mme Clémentine Autain, M. Jean-Michel Jacques