Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Examen, ouvert à la presse, et vote sur les projets de lois suivants :

– projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine relatif à la remise de personnes poursuivies ou condamnées (n° 1419) (M. Jean-Michel Clément, rapporteur) ;

– projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre (n° 1825) (M. Jacques Maire, rapporteur).

– projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse portant modification de l'annexe 1 à la convention du 13 septembre 1965 relative à l'extension en territoire français du domaine de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (n° 1630) (M. Bruno Fuchs, rapporteur)


Mercredi
22 mai 2019

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 63

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de Mme Marielle de Sarnez,
Présidente

 


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Examen, ouvert à la presse, et vote sur trois  projets de loi.

La séance est ouverte à 17 heures 05.

Examen et vote sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine relatif à la remise de personnes poursuivies ou condamnées (n° 1419) (M. Jean-Michel Clément, rapporteur)

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Nous sommes saisis d’un accord de remise de personnes poursuivies ou condamnées, autrement dit un accord d’extradition, avec la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong. Notre commission est habituée à ce type d’accord bilatéral, qui comprend toujours certaines clauses-types. La France est partie à plus d’une soixantaine d’accords bilatéraux en matière d’extradition. En Asie, notre pays est déjà lié à la Chine et à la Corée du Sud.

Quel est l’intérêt de ce type d’accord ? Le droit français, et plus précisément le code de procédure pénale, définit le cadre applicable par défaut en matière d’extradition. Un accord bilatéral n’est donc pas nécessaire pour permettre la remise de personnes vers ou depuis un autre État. Mais lors d’une extradition sans accord bilatéral, l’application du droit français se trouve confrontée à un autre droit national, ce qui peut générer des conflits de législation et compliquer in fine l’extradition.

Un accord bilatéral a pour objectif de faciliter la procédure d’extradition. En contrepartie, un tel accord doit être protecteur des droits et libertés de nos concitoyens et des étrangers. Ce type d’accord fixe donc le cadre juridique de l’extradition en combinant ces deux exigences. Sur le fond, il conduit les parties à se mettre d’accord sur des règles et des garanties communes, notamment les motifs de refus d’extrader qui sont au cœur de la négociation. Sur la forme, il détermine les modes et les modalités de communication entre les parties ce qui permet de fluidifier les échanges.

Quelles sont les spécificités de cet accord avec Hong Kong ? Contrairement à la plupart des accords bilatéraux, cette convention a été conclue avec un territoire qui n’est pas un État souverain. Depuis la rétrocession en 1997, Hong Kong a le statut de RAS de la République populaire de Chine (RPC).

Pour autant, en vertu du principe « un pays, deux systèmes », Hong Kong est une entité qui jouit d’une grande autonomie par rapport à la RPC. Ce haut degré d’autonomie est garanti par la Loi fondamentale – la Basic Law –, qui sert de constitution à l’ancienne colonie britannique. Parce qu’il s’agit d’un État de droit, Hong Kong reste une place forte de l’économie asiatique, notamment pour les entreprises françaises. Elle est encore aujourd’hui la troisième place financière au monde. Cette autonomie, à laquelle sont profondément attachés les habitants de Hong Kong, se retrouve, d’une part, dans sa capacité à conclure des accords bilatéraux avec des États tiers, et notamment des conventions d’entraide judiciaire, et d’autre part, dans l’organisation de son système judiciaire, pénal et carcéral.

Grâce à cette autonomie, la France et Hong Kong coopèrent déjà dans le domaine de la justice pénale. La France est notamment liée à Hong Kong par un accord sur le transfèrement de prisonniers. Jusqu’à récemment, cette coopération incluait la remise de personnes poursuivies ou condamnées. Toutefois, lors de deux arrêts rendus en 2012, la Cour de cassation a estimé que Hong Kong n’avait pas le statut d’État souverain qui, en vertu du code de procédure pénale, autorise à pratiquer des extraditions. La nouvelle convention a donc pour objet principal de combler un « vide juridique » afin de permettre la reprise des extraditions avec Hong Kong. Dans les faits, le nombre d’individus susceptibles d’être concernés est très marginal, ce qui ne remet pas en cause l’utilité de la convention à long terme.

Cette convention est l’occasion d’attirer l’attention de notre commission sur une situation préoccupante : la reprise en main de Hong Kong – de sa vie politique, sa presse, ses universités – par la RPC. Ce durcissement n’est pas nouveau. En 2014, lors du « mouvement des parapluies », des centaines de milliers de Hongkongais manifestaient pour s’opposer au projet du gouvernement chinois de limiter le suffrage universel pour l’élection du chef de l’exécutif. Ce mouvement n’a jamais complètement disparu de la vie politique hongkongaise.

J’ai pu le constater lors d’un déplacement sur place à l’occasion duquel les personnes rencontrées m’ont fait part de leurs craintes. Pour qui connaît un peu la Chine, il est évident que notre conception de la démocratie se heurte à une autre réalité. En Chine, comme me l’expliquait un dignitaire chinois, les droits économiques priment sur tous les autres. 

L’ingérence de la Chine au sein du système judiciaire est particulièrement inquiétante. Dans sa forme la plus brutale, cette pression se traduit par des enlèvements sur le territoire autonome. Dans sa forme plus douce, elle est visible au travers des avis donnés par l’Assemblée nationale populaire pour orienter l’issue des instances en cours à Hong Kong. Depuis quelque temps, un projet de loi qui vise à permettre l’extradition de personnes vers la Chine est en cours de discussion à Hong Kong. Il a entraîné les manifestations les plus importantes dans la région autonome depuis 2014. Nous devons y être vigilants.

Je souhaite toutefois rassurer notre commission sur un point : les risques que la pression chinoise fait peser sur les relations entre la France et Hong Kong en matière d’extradition sont maîtrisés. L’accord d’extradition avec Hong Kong, comme celui qui nous lie déjà à la Chine, comprend les garde-fous classiques dans ce type d’accord pour se prémunir contre la menace d’arbitraire ou d’ingérence. Il prévoit l’exclusion des infractions politiques, l’interdiction d’extrader une personne qui risque la peine de mort ou encore l’interdiction de poursuivre ou punir une personne pour des infractions distinctes de celles qui ont motivé sa remise. Dans le cadre de chaque demande d’extradition, nos autorités diplomatiques et judiciaires évalueront les risques liés aux atteintes à l’autonomie judiciaire de Hong Kong.

Compte tenu de ces garanties, j’appelle la commission à autoriser la ratification de cette convention.

Mme Anne Genetet. La France doit avoir une relation particulière avec Hong Kong. Ce type de convention est nécessaire pour consolider notre relation avec ce territoire dont l’avenir est aujourd’hui incertain. Il s’agit, dans le cas présent, de renforcer la coopération judiciaire en matière d’extradition. Le groupe La République en marche ! approuvera la ratification de cette convention.

Si cette convention est également ratifiée par les autorités de Hong Kong, celle-ci deviendra la troisième convention en matière d’extradition qui lie la France à des pays d’Asie, après la Corée et la Chine. Cette convention prend acte de l’importance des liens humains qui existent entre la France et Hong Kong. Au total, ce sont 20 000 Français qui résident à Hong Kong, ce qui en fait la deuxième communauté française de la région après Singapour. Cette communauté française est, elle aussi, inquiète pour son avenir. Les liens sont aussi économiques : 800 entreprises françaises sont présentes à Hong Kong et 450 entreprises locales sont dirigées par des Français.

La France et Hong Kong sont liés par des conventions d’entraide judiciaire en matière pénale depuis 1997 et, depuis 2006, par un accord spécifique sur le transfert des personnes condamnées. Le système judiciaire hongkongais est fort et indépendant. Contrairement au reste de la Chine, la peine de mort n’y est plus appliquée depuis 1993.

Bien que légitime, ce texte aura une portée modeste. Seul un faible nombre de personnes ont été remises dans un sens ou dans l’autre par le passé.

Il aura fallu douze ans pour aboutir à la signature de cet accord en 2017. Compte tenu du contexte politique qui était celui de Hong Kong, on peut penser que ce n’était pas la priorité. À ce jour, Hong Kong n’a pas encore ratifié l’accord, ni fait connaître les délais dans lesquels la ratification pourrait intervenir. Avez-vous pu en discuter avec la partie hongkongaise et, si oui, à quelle échéance devrait intervenir la ratification de l’autre côté ?

M. Michel Fanget. Nous ne pouvons que nous réjouir de la conclusion d’un tel accord entre la France et la RAS de Hong Kong. Cet accord met en place un dispositif bilatéral de remise des personnes recherchées ou condamnées qui sont en fuite sur le territoire de l’autre partie. Il vient ainsi compléter d’autres accords déjà passés dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale.

En renforçant les liens avec Hong Kong, la France montre son attachement aux valeurs démocratiques et à la coopération internationale. D’une part, cet accord écarte tant le déni de justice que le règne de l’arbitraire. À titre d’exemple, il assure que les personnes extradées vers Hong Kong ne soient pas passibles de la peine de mort. D’autre part, la France s’inscrit dans une tradition de coopération judiciaire permettant une interaction positive entre États pour juger les citoyens conformément à leur droit national. Le groupe Modem salue cette initiative et votera ce projet de loi.

M. Christian Hutin. Malgré la qualité du travail du rapporteur, le groupe Socialiste s’abstiendra sur ce texte.  

Jusqu’en 2012, la France et Hong Kong ont procédé à des extraditions sur la base d’une certaine courtoisie diplomatique fondée sur la réciprocité. En jugeant que Hong Kong n’avait pas la qualité d’un État souverain, la Cour de cassation a mis fin à la pratique des extraditions entre les deux parties. La convention qui nous est soumise vise à surmonter cette difficulté.

Toutefois, un projet de loi en cours de discussion à Hong Kong devrait bientôt permettre l’extradition de personnes vers la Chine continentale. Inattendu, ce projet de loi fait peser de lourdes hypothèques quant au respect effectif des droits des personnes que la France pourrait être amenée à extrader vers Hong Kong.  

En effet, un individu extradé par la France vers Hong Kong pourrait, une fois ce projet de loi adopté, être ré-extradé par Hong Kong vers la Chine, pays dans lequel la peine de mort est régulièrement appliquée. Même si nos autorités diplomatiques et judiciaires sont en mesure d’atténuer les risques, nous devons être prudents sur ce sujet. Le projet de loi en cours de discussion à Hong Kong peut remettre en cause l’opportunité de cette convention.

M. Bruno Fuchs. En effet, il y a aujourd’hui de fortes inquiétudes qui pèsent sur la capacité de Hong Kong à maintenir son autonomie. Compte tenu de ce contexte, il n’est pas certain que les garanties contenues dans cet accord suffisent complètement. Par exemple, l’article 4 de l’accord prévoit qu’il est interdit d’extrader une personne qui risque la peine de mort sur le territoire de la partie requérante, sauf si cette dernière donne des assurances jugées satisfaisantes pour la partie requise que cette peine ne sera pas prononcée. Dans le cadre actuel, nous savons que cette peine ne sera pas appliquée. Toutefois, en cas d’ingérence de la Chine, on ne peut pas s’assurer du fait qu’une personne ré-extradée vers la Chine ne sera pas soumise à la peine capitale.

M. Christophe Di Pompeo. Cet accord m’interroge également. Nous avons déjà signé des accords d’extradition avec des pays qui ne partagent pas notre conception des droits de l’Homme, comme l’Arabie Saoudite qui pratique la charia, la torture et la peine de mort. Nous avions alors pris des précautions puisque l’Arabie Saoudite s’était engagée à ne pas appliquer ces peines en cas d’extradition. La question se pose différemment s’agissant de cet accord avec Hong Kong eu égard à la forte influence qu’exerce la Chine sur ce territoire. Je souhaite mieux comprendre les implications du statut de Hong Kong, en tant que RAS de la RPC, du point de vue de cet accord. La Chine doit-elle donner son aval à la conclusion de cet accord ? Quelles sont les obligations qui découlent de cet accord, signé avec une partie de la Chine, pour la Chine elle-même ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Au début de l’examen de cet accord, j’étais moi-même sur mes gardes. On s’inquiète nécessairement lorsqu’on est saisi d’une convention d’extradition vers la Chine, même s’il s’agit d’une partie de la Chine qui jouit d’un haut degré d’autonomie. Chacun connaît la situation extrêmement préoccupante qui prévaut en Chine du point de vue du respect des droits de l’homme, notamment de l’application de la peine de mort et du traitement des minorités.  

Pour répondre à ma collègue Anne Genetet, nous ne savons pas dans quel délai Hong Kong accomplira les procédures internes nécessaires à la ratification de cet accord.

Monsieur Hutin, tous nos accords d’extradition, y compris celui-ci, comprennent des garde-fous afin de lutter contre l’arbitraire. Ces principes traditionnels sont l’exclusion des infractions politiques, l’interdiction d’extrader une personne qui risque la peine de mort ou encore l’interdiction pour la partie requérante de poursuivre une personne pour des infractions distinctes de celles qui ont motivé sa remise. La France a déjà invoqué ces motifs pour refuser des demandes d’extradition dont elle était saisie. Les garde-fous face à l’arbitraire existent bien et c’est l’honneur de la France que de les faire respecter en toutes circonstances.

Vous avez raison, nous devons prendre en compte la relation « triangulaire » entre la France, la Chine et la RAS de Hong Kong pour assurer la protection des droits fondamentaux des personnes remises. Il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences que pourrait avoir l’évolution de la relation entre la RAS de Hong Kong et la Chine, à la suite notamment de ce projet de loi actuellement en débat à Hong Kong, sur l’application de l’accord d’extradition dont nous devons autoriser la ratification.

Toutefois, nous avons suffisamment de raisons de penser que les ingérences chinoises seront sans incidence sur l’application de cette convention. D’abord, la Loi fondamentale, qui régit les relations entre la RAS et la Chine, est une limite importante à la pression de la Chine, qui ne peut complètement s’émanciper du droit. Surtout, la France est déjà partie à un accord bilatéral en matière d’extradition avec la Chine qui peut, de ce fait, solliciter directement la remise de personnes poursuivies ou condamnées auprès de la France. L’accord dont nous débattons aujourd’hui comprend les mêmes garanties que celui qui nous lie à la Chine. 

Mme Bérengère Poletti. J’ai pour ma part trois questions. D’abord, existe-t-il des dispositions dans la convention qui permettraient un « retour en arrière » dans le cas où certaines évolutions politiques viendraient compromettre l’application de l’accord ? Par ailleurs, comment expliquez-vous que Hong Kong tarde à ratifier cet accord ? Enfin, les autres pays européens ont-ils conclu des accords d’extradition avec Hong Kong ?

Mme Anne Genetet. En Chine, un certain nombre d’entrepreneurs étrangers, qu’ils soient français ou non, sont actuellement dans les mailles du système judiciaire chinois. Certains sont incarcérés, d’autres sont en attente de jugement depuis longtemps. La Chine pourrait être tentée de considérer que la convention d’extradition qui la lie à la France a vocation à s’appliquer sur l’ensemble de son territoire, y compris à Hong Kong. Or, la convention dont nous discutons aujourd’hui présente l’intérêt de protéger, sur la base des nombreuses garanties qu’elle contient, nos ressortissants en difficulté qui se trouvent sur le territoire hongkongais. La Chine pourrait faire pression pour éviter son entrée en vigueur, ce qui explique mes interrogations sur l’état de la ratification du côté hongkongais. 

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Mme Genetet, je partage votre analyse. L’accord doit protéger nos ressortissants, mais il faut noter qu’il est également dans l’intérêt de Hong Kong de ratifier cette convention. Sans doute le temps qui passe ne joue-t-il pas en notre faveur, ni en la faveur de la RAS de Hong Kong.

Pour répondre aux questions de Mme Poletti, tout d’abord, il n’y a pas de dispositions prévoyant un possible « retour en arrière ». Toutefois, je l’ai souligné, la convention contient l’ensemble des garanties qui figurent dans tous nos accords d’extradition. Ensuite, s’agissant des délais de ratification, la ratification peut prendre du temps côté hongkongais car, comme chez nous, il s’agit d’une procédure très lente. Enfin, par rapport à la dernière question, les États européens ont signé entre eux une convention européenne d’extradition.

M. Christian Hutin. Je souhaite que le rapporteur nous donne des informations complémentaires en amont du vote sur cette convention.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. La communauté française à Hong Kong est très importante, car Hong Kong est un lieu d’implantation pour les entreprises qui commercent avec la Chine. Le territoire autonome est aussi un véritable « hub » en Asie, et donc un lieu de passage important pour nos ressortissants. Il est essentiel de protéger nos ressortissants français eu égard à la relation compliquée qu’entretient la Chine avec Hong Kong.

Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, la convention avec Hong Kong contient tous les garde-fous juridiques nécessaires. De fait, l’extradition reste l’exception à la règle. Nos autorités ont l’obligation de mettre en œuvre ces garde-fous. Puisque la convention contient les garanties nécessaires, je pense qu’il serait malvenu d’en retarder la ratification.

M. Christian Hutin. Pour l’instant, la position du groupe Socialistes reste l’abstention. J’aimerais obtenir des éléments complémentaires afin de me permettre de voter en faveur de la ratification de cette convention.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. M. Hutin, nos autorités n’extradent jamais lorsqu’elles ont le moindre doute sur le sort d’une personne dont la remise est demandée. J’ai échangé avec l’ambassadeur de France en Chine, qui m’a assuré que le Quai d’Orsay faisait preuve de la plus grande prudence dans la politique d’extradition.

Mme Anne Genetet. Hong Kong est une RAS au sein de laquelle il y a une opposition interne au Parlement, même si sa place tend à se réduire du fait des élections qui sont de moins en moins libres. Les parlementaires hongkongais attendent ce type d’accord qui constitue une forme de reconnaissance politique au niveau international. Ces élus aimeraient que le « A » soit synonyme de « autonome » et non pas de « administratif ».

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Si la France retarde la ratification de cet accord, les ingérences chinoises qui pèsent sur le Conseil législatif de Hong Kong risquent de finir par entraver l’entrée en vigueur de cet accord d’extradition du côté hongkongais. 

M. Bruno Fuchs. Au-delà du cadre réglementaire, qui garantit l’autonomie de Hong Kong, on voit bien qu’il est important de prendre en compte le jeu d’influences implicites entre la Chine et Hong Kong. 

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Près d’un tiers de mon intervention liminaire a été consacré aux risques d’ingérence chinoise. Je pense qu’on peut faire confiance à nos autorités pour mettre en œuvre les garanties que contient cet accord et qui me paraissent suffisantes.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 1419.

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Examen et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre (n° 1825) (M. Jacques Maire, rapporteur).

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je précise que cet accord sera inscrit dès demain à l’ordre du jour de la séance publique.

M. Jacques Maire, rapporteur. Il me revient de vous présenter l’accord conclu entre la France et la Belgique sur la coopération dans le domaine de la mobilité terrestre. C’est un moment assez solennel pour moi car c’est la première fois que je présente un rapport devant cette commission depuis que je suis élu. Pardonnez mon inexpérience, je vais essayer de faire au mieux.

C’est un moment exceptionnel pour la commission, car c’est probablement l’une des premières fois sous la Vème République que nous examinons un accord d’armement. Ces derniers n’entrent pas, en principe, dans le champ de l’article 53 de la Constitution. Ce texte a été signé par nos deux pays le 7 novembre 2018 et approuvé par le Sénat le 28 mars dernier. Vous voyez que la procédure de ratification est cette fois plutôt rapide, d’autant que, comme l’a dit la Présidente, cet accord doit être mis au vote dans l’hémicycle dès demain matin.

Pourquoi le Gouvernement accorde-t-il une telle priorité à cet accord avec la Belgique ? Un élément de réponse est que derrière cet accord intergouvernemental, il y a un contrat d’armement d’une valeur économique et politique considérable, contrat qui porte sur l’acquisition par la Belgique d’une première capacité motorisée – d’où son nom : CaMo – auprès des industriels français de l’armement que sont Nexter, Arquus (anciennement Renault Trucks Defense) et Thales. Au total, la Belgique prévoit d’acheter 442 véhicules blindés et leur environnement, pour un montant d’environ 1,5 milliard d’euros, avec des commandes qui s’échelonneront entre 2020 et 2030.

Vous vous demanderez peut-être pourquoi le Parlement est soudainement appelé à se prononcer sur un contrat d’armement, si important soit-il, alors que tant d’autres lui échappent. En réalité, nous ne devons pas voter sur un contrat d’armement, mais sur un véhicule juridique bien plus large ; il s’agit d’un accord de partenariat stratégique conclu entre la France et la Belgique à l’occasion de cette vente d’armes. Pour résumer, l’achat par la Belgique des équipements français doit ouvrir, grâce à cet accord, des champs de coopération – je dirais même d’intégration – très vastes entre les armées de terre française et belge, mais aussi en matière d’armement terrestre.

La France a déjà conclu des accords de ce type pour répondre à la demande croissante de soutien étatique de la part des États qui achètent nos armes. Nous avons par exemple signé un accord intergouvernemental avec l’Inde sur la vente des Rafale, mais cet accord a été classifié à la demande de notre partenaire ; nous ne pouvons donc pas savoir s’il entrait potentiellement dans le champ de l’article 53 de la Constitution.

L’accord que nous examinons aujourd’hui n’est donc pas sans précédent, mais il est tout de même, de mon point de vue, extrêmement novateur et prometteur, et je vais vous expliquer pourquoi. À l’origine de ce texte, il y a une analyse stratégique faite par la Belgique, dans la foulée des attentats terroristes de 2015. Dans sa Vision stratégique publiée en 2016, le Gouvernement belge fait un constat similaire à celui de la Revue stratégique française de 2017 : alors que leur environnement proche est affecté par de nombreuses crises qui menacent leur sécurité collective, il appartient aux Européens de prendre en charge leur sécurité et de renforcer leurs capacités militaires pour acquérir une autonomie stratégique, notamment vis-à-vis des États-Unis. Le Belgique compte assumer sa part de responsabilité et assurer la remontée en puissance de ses capacités militaires, qui ont été fortement affectées par des années de restriction budgétaire.

Le constat posé par la Belgique est néanmoins lucide : elle ne pourra pas développer seule toutes les capacités nécessaires et doit rechercher une intégration plus poussée avec certains pays d’Europe, des partenaires stratégiques, de préférence proches géographiquement, de façon à mutualiser le soutien sur ces capacités, c’est-à-dire la formation, la maintenance, l’entraînement, la doctrine d’emploi, etc. D’emblée, les Belges ont identifié la France comme le partenaire idéal dans le domaine terrestre, pour plusieurs raisons.

Premièrement, la France et la Belgique ont une culture stratégique assez proche : ce sont des États qui n’hésitent pas à s’engager au front, dans les zones les plus risquées, et à faire usage de la force si nécessaire. Au Sahel et en République centrafricaine, les Belges ont été parmi les Européens les plus impliqués, et ils le sont encore. Au Levant, leurs chasseurs F‑16 étaient, jusqu’à très récemment, aux côtés de nos Rafale en Jordanie. On peut donc dire que l’armée belge est très engagée en opération en proportion de sa petite taille – 25 000 militaires en 2030.

Deuxième raison pour laquelle le choix des Belges s’est porté sur la France : notre armée de terre va être équipée, à partir de cette année, du système de combat Scorpion, un système extrêmement innovant et avancé, qui révolutionne le combat terrestre selon une approche collaborative : c’est la bulle Scorpion. Ce système a été développé par la DGA en réponse aux besoins opérationnels de nos militaires : il s’agit, pour une armée de taille relativement restreinte et fréquemment engagée en opération, de valoriser au mieux l’élément humain, en permettant une remontée et un partage d’information dès les plus bas échelons, et en renforçant la protection physique et tactique des militaires. Ce caractère opérationnel emporte aussi le choix de véhicules blindés médians, alors que la plupart de nos alliés de l’OTAN sont équipés de blindés lourds, peu adaptés aux théâtres d’opération, à l’image des Léopard allemands.

Dans ce contexte, la Belgique a fait un choix très fort, et qui mérite d’être salué : elle a décidé qu’elle allait acquérir exactement le même système de combat que celui de l’armée française. Cela n’allait pas forcément de soi, car l’industrie terrestre belge est très tournée vers l’Allemagne. J’insiste sur ce point, car nous avons entendu beaucoup de critiques sur l’attitude belge lorsqu’elle a choisi le F35 plutôt que le Rafale pour renouveler son armée de l’air. On a moins entendu qu’elle avait fait le choix intégral de l’offre française dans le domaine terrestre. Et ce n’est pas tout : pour renouveler ses chasseurs de mines, dans le cadre d’un appel d’offres conjoint avec les Pays-Bas, la Belgique a choisi Naval Group, pour une commande d’un montant total de 3 milliards d’euros. Je crois donc qu’il faut vraiment reconnaître et louer l’engagement européen des Belges.

Ces derniers ont donc choisi d’acheter des équipements identiques à ceux de notre armée de terre. Ils n’ont pas fait ce choix uniquement parce que l’offre Scorpion est d’une qualité exceptionnelle et met en œuvre un concept encore très peu développé sur les marchés. De manière explicite et assumée, la Belgique a choisi le système français parce qu’elle veut développer une interopérabilité totale entre les armées de terre française et belge. Personnellement, je ne vois pas d’incarnation plus concrète et plus forte de l’Europe de la défense.

Et il faut souligner que la mobilisation du gouvernement et de l’armée française a été à la hauteur des enjeux. Pour répondre à la demande belge de soutien étatique, il fallait mettre au point un dispositif qui limite l’exposition juridique et financière de l’État français. Les différents ministères concernés s’y sont attelés dans un temps rapide : entre juillet 2017 et juillet 2018, ils ont mis au point une formule de « contrat de partenariat gouvernemental » (CPG), adaptation française des Foreign military sales (FMS), qui permettent aux Américains de vendre des dizaines de milliards de dollars d’équipements partout dans le monde.

Le dispositif retenu est assez original : la Belgique donne mandat à la France pour négocier et conduire, en son nom et pour son compte, un contrat d’acquisition d’armements avec les industriels français, en particulier Nexter, désigné comme maître d’œuvre. En revanche, la Belgique rémunère directement les industriels sans implication ni garantie financière de la France, qui n’est à aucun moment propriétaire des équipements acquis. Au total, les risques sont donc parfaitement circonscrits et très limités pour la France.

Cette formule de contrat de partenariat gouvernemental me semble particulièrement intéressante, et je pense que nous pourrions chercher à en multiplier les applications avec d’autres pays auxquels nous vendons des armes, pourquoi pas à des fins de meilleur contrôle sur leur utilisation. En effet, ce contrat crée une forme de dépendance dans le long terme qui renforce l’influence française auprès du pays client. Mais j’aurai l’occasion d’y revenir dans le cadre des travaux de la mission que je conduis avec Michèle Tabarot.

Au-delà du Gouvernement, il faut aussi souligner l’implication de l’armée de terre française dans ce partenariat avec la Belgique. Comme les Belges ne commenceront à recevoir leurs équipements qu’en 2025, la formation des militaires belges sera intégralement assurée en France, sur les camps de formation de l’armée française. Cela lui demande un effort, qu’elle fournit volontiers, en considérant d’une part, que les Belges sont d’excellents militaires, et d’autre part, que cette coopération est à somme positive.

Vous l’aurez compris, l’accord qui nous est soumis aujourd’hui est un bon accord, c’est même un texte presque enthousiasmant du point de vue des objectifs et ambitions que porte la défense française. Premièrement, c’est un accord qui bénéficie directement à notre industrie de défense, et qui ouvre des perspectives pour l’avenir, pour des futures commandes d’équipements, mais aussi pour des coopérations industrielles, voire des rapprochements. De ce point de vue, il contribue à l’autonomie stratégique de la France. Deuxièmement, c’est un accord qui porte et incarne une vraie ambition européenne, manifestée par une attitude proactive en France comme en Belgique. Sa mise en œuvre doit permettre de déployer, au Sahel par exemple, un détachement belge entièrement intégré au sein d’un groupement tactique interarmes français : c’est du jamais vu, cela fait changer d’échelle la coopération entre Européens en opération. Troisièmement, c’est un accord qui ébauche une solution juridique pour préserver l’espace concurrentiel de l’industrie d’armement française tout en assurant la cohérence entre nos ventes d’armes et nos objectifs politiques. Enfin, c’est un accord, je l’ai déjà dit, qui ne comporte quasiment aucun risque pour l’État français : je l’ai entendu de la bouche même des représentants de la direction du budget. Voilà donc, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles je pense que vous devez voter à l’unanimité en faveur de l’approbation de cet accord.

M. Michel Fanget. On ne peut que se féliciter de cet accord, qui vise à renforcer la coopération militaire entre la France et la Belgique, des pays qui partagent déjà tant. Cet accord est également une étape dans la construction européenne : il permet la modernisation des armées de nos deux pays en étroite coopération, pour développer une interopérabilité maximale. Ces mesures ambitieuses et sans équivalent sont la preuve d’une évolution positive des partenariats en matière de défense en Europe. Quels seront les moyens mis en œuvre dans le cadre de la coopération opérationnelle entre les armées ? Pouvez-vous aussi me dire quelles mesures ont été prises par les deux gouvernements en matière de partage d’informations ?

M. Christian Hutin. Notre groupe votera en faveur de cet accord demain. La Belgique a aussi un système intégré concernant sa marine, avec les Pays-Bas. Pouvons-nous aller plus loin avec les Belges et les Néerlandais, entre militaires qui s’entendent, qui savent se battre, qui sont présents au Sahel ? Il n’y en a pas beaucoup en Europe.

Mme Laetitia Saint-Paul. Est-ce que la coopération conduite entre la France et la Belgique dans le cadre du programme CaMo bénéficiera du Fond européen de défense nouvellement créé ?

Mme Bérengère Poletti. Il y a un réel intérêt à approuver cet accord : intérêt pour la défense et l’armée de terre françaises, intérêt industriel et économique évidemment, mais aussi intérêt politique, car par cet accord, nous faisons la démonstration de la valeur ajoutée qu’il peut y avoir lorsque deux Européens s’entendent. Cela peut être une préfiguration de la défense européenne que nous appelons de nos vœux. Vous avez souligné la proximité entre la France et la Belgique, en réalité surtout entre la France et la Wallonie, sachant que la Flandre est plus proche des Pays-Bas, et les Pays-Bas de l’Allemagne. À ce sujet, je me demandais si le contrat CaMo ne pourrait pas servir de trait d’union entre la France et les Pays-Bas et peser en faveur de Naval Group dans le cadre de l’appel d’offres lancé par les Néerlandais pour l’acquisition de sous-marins, face à l’offre allemande. Ce n’est pas la qualité du matériel qui fera la différence, sinon Naval Group l’emporterait sans difficulté.

Mme Samantha Cazebonne. Pourquoi dites-vous que Scorpion est un programme innovant ? Quelle est l’utilité d’investir dans une nouvelle génération de matériels, en allant plus loin que le simple renouvellement ?

Mme Valérie Thomas. Nous avons tous conscience que les bouleversements mondiaux – je pense notamment à l’attitude américaine – imposent à l’Europe de constituer une défense commune. Cet accord est une pierre apportée à cet édifice. Pouvez-vous nous préciser l’articulation de cet accord avec les engagements de la France et de la Belgique dans le cadre de l’OTAN, qui demeure le cœur de notre défense commune ?

M. Bruno Fuchs. Cet accord est évidemment très positif. Vous évoquiez ses applications notamment pour la maintenance des équipements : pouvez-vous nous donner une estimation chiffrée des montants que cela représente pour les dix à vingt ans qui viennent ? Cet accord aura aussi des applications pour les munitions. J’avais dans ma circonscription un fleuron de l’industrie des munitions qui a malheureusement été racheté par les Émiratis. Si la France avait pu le garder dans son giron, cette entreprise aurait probablement bénéficié des retombées de l’accord CaMo, et ma circonscription également. Pensez-vous que cet accord préfigure l’amorce d’un commandement militaire coordonné qui pourrait être une alternative au commandement américain de l’OTAN, souvent utilisé pour faire acheter des équipements américains ?

Mme Anne Genetet. Je souhaite reprendre un paragraphe de votre rapport qui m’a particulièrement marquée : « Cet accord concrétise la volonté du Président de la République de faire émerger une culture stratégique européenne commune, en permettant aux différentes forces armées de mieux se comprendre, pour agir ensemble et efficacement, de développer des habitudes de dialogue, des concepts d’emploi, de doctrine et de planification communs. Cet accord est donc une nouvelle pierre apportée à l’édifice de l’Europe de la défense, qui se construit au travers de partenariats, où les Européens conjuguent leurs forces au service de la sécurité des citoyens européens. » Je pense que ce paragraphe est le cœur du sujet, à l’heure où l’on essaie de construire l’Europe, et que certains cherchent à la détruire. Nos citoyens ne le voient pas tous les jours, mais l’Europe a une importance centrale sur notre place dans le monde. En quoi ce type de contrat d’État à État pourrait permettre un meilleur contrôle des ventes d’armes de la France ? Quel contrôle avons-nous de l’utilisation que pourra faire la Belgique de ses armements ?

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. L’accord intergouvernemental est en effet une procédure intéressante, novatrice, qui nous permet d’éviter la procédure de l’appel d’offres tout en restant dans le cadre du droit européen. Il permet aussi d’approfondir notre coopération. Concrètement, cela permettra d’avoir une coopération entre unités belges et françaises, alors qu’actuellement nous coopérons au niveau de la brigade, ce qui correspond au standard OTAN. Cela nous permettra de faire beaucoup de choses ensemble, par exemple d’aller au Mali. Cet accord est donc extrêmement intéressant, par ce qu’il permet en termes d’opérations et de développement.

M. Jacques Maire. Nous avons avec cet outil une capacité de coopération réelle. Comme l’a dit mon collègue Jean-Charles Larsonneur, cela permet d’intégrer des unités sur le terrain. À partir du moment où les unités françaises et belges auront le même système de communication, elles feront partie de la même bulle tactique, et auront une appréhension de la situation tactique alimentée par les capteurs de chacun. Ce système permet donc une communication très importante, y compris horizontale, pas uniquement par le biais hiérarchique, entre les différentes unités. De cette manière, nous ne faisons pas que remplacer des blindés, nous anticipons ce à quoi devra ressembler un combat à 2030, horizon auquel nos armées de terre seront entièrement équipées de ce système.

Le contrat de partenariat gouvernemental que constitue le présent accord est un modèle qui pourra resservir. Cependant, il faudra que plusieurs conditions très précises soient réunies. Premièrement, il faudra que les équipements concernés soient ceux en dotation dans l’armée française. L’idée est donc d’allonger une série, pour permettre une intégration optimale. Deuxièmement, il faut que le montant de la commande soit suffisamment important. Nous allons en effet mobiliser des moyens importants : 13 équivalents temps plein pour la DGA entre 2020 et 2030 pour le contrat CaMo, et 15 % des capacités de l’armée de terre, notamment dans les instituts de formation. On ne peut donc pas étendre à l’infini ce type de partenariats, pour des raisons logistiques. Il faut enfin que le client soit un partenaire stratégique.

Dans le domaine de la marine, la Belgique a émis un appel d’offres classique pour l’achat de chasseurs de mines, car la situation n’est pas celle de l’armement terrestre, où l’offre Scorpion sortait clairement du lot. C’est Naval Group qui l’a remporté, mais cela n’implique pas du tout le même engagement de la part de l’État. L’intégration dans ce domaine est réalisée entre les marines belge et néerlandaise. Concernant l’appel d’offres néerlandais pour des sous-marins, je ne le commenterai pas car il s’agit d’un prospect en cours pour Naval Group. La valeur de son offre est la même que pour l’armement terrestre : elle est « battle proven » : avec les États-Unis, la France compte parmi les seuls pays à exporter des équipements de pointe qui sont éprouvés en condition opérationnelle. Le choix néerlandais est donc entre une défense côtière et une marine opérationnelle, qui contribue à l’effort de sécurisation du monde. Dans ce dernier cas, le choix français s’impose évidemment.

J’en arrive aux enjeux de défense européenne. Nous avons assisté à trois grands progrès dans ce domaine au cours des dernières années. Premièrement, l’initiative européenne d’intervention (IEI), qui vise à développer une culture stratégique européenne commune propice à la conduite conjointe d’opérations. Deuxièmement, le Fonds européen de défense, qui vise à financer en commun la recherche et le développement de capacités de défense. Nous avons déjà identifié quels développements futurs du programme caMo pourraient éventuellement être financés par ce Fonds : le missile de moyenne portée (projet BELOS), la communication par satellite, etc. Troisième champ de progrès, il s’agit de la coopération structurée permanente, qui a pour objectif d’augmenter les capacités de défense de l’Europe et leur interopérabilité, pour partir en opération ensemble.

CaMo n’est évidemment pas une alternative à l’OTAN, c’est une contribution forte. Il n’y a pas du tout l’idée d’un commandement militaire intégré en substitution. En revanche, on pourra plus facilement intégrer des éléments franco-belges dans un commandement militaire OTAN.

Nous n’avons pas évoqué l’effort que représente CaMo pour l’industrie belge. En faisant le choix de Scorpion, la Belgique a renoncé à solliciter l’industrie belge, qui était évidemment mécontente. Aujourd’hui, le droit européen n’autorise plus les offsets dans le cadre des contrats d’armement, c’est-à-dire les contreparties locales. Mais on a prévu des retours sociétaux, qui sont négociés directement entre l’industrie française et l’industrie belge ; officiellement la puissance publique n’y est pas associée. Cela doit permettre à l’industrie belge de bénéficier économiquement de ce contrat. Au nombre des retours sociétaux consentis, je pense à la customisation des véhicules, une fois leur assemblage réalisé en France ; à la fabrication des tourelleaux, qui se fera en Belgique ; et aux munitions, qui leur seront pour une bonne part concédées. Au total, environ 90 % des 1,5 milliard d’euros du contrat reviendront tout de même à l’industrie française.

Je précise par ailleurs que l’implication de l’État français pour le suivi du contrat CaMo fera l’objet d’une rémunération : 40 millions d’euros sont prévus comme montant initial, auxquels s’ajoutera une provision pour aléas et évolutions de 3 %. Avec cette rémunération et la bénédiction de la direction du budget que j’évoquais tout à l’heure, je crois que nous pouvons considérer que le risque financier pour l’État et bien circonscrit.  

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 1825.

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Examen et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse portant modification de l'annexe 1 à la convention du 13 septembre 1965 relative à l'extension en territoire français du domaine de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (n° 1630) (M. Bruno Fuchs, rapporteur)

M. Bruno Fuchs, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, il s’agit de mon troisième rapport sur les relations transfrontalières avec la Suisse ; je vous remercie de me permettre de me spécialiser dans ce domaine.

Le projet de loi dont notre commission est saisie, et qu’il me revient de vous présenter est une simple formalité et relève avant tout du bon sens. Ce projet de loi autorise l’approbation d’un accord portant sur le cadre juridique de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire. Il s’agit du cadre d’intervention de la police et de la protection civile. En effet, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, qu’on connaît mieux sous l’acronyme « CERN », est implantée à la fois sur le territoire suisse et sur le territoire français, essentiellement sur les communes de Saint-Genis-Pouilly et de Prévessin-Moëns dans l’Ain. Du fait de cette implantation transfrontalière, l’organisation bénéficie d’un cadre juridique adapté, qui repose principalement sur une convention franco-suisse conclue le 13 septembre 1965.

L’accord qui nous occupe aujourd’hui, et qui a été pris sous forme de lettres échangées en mars et en mai 2017, vise à modifier l’annexe n°1 à cette convention. Cette annexe a été initialement conçue pour instaurer une dérogation au principe de souveraineté territoriale, en vertu duquel chaque État hôte est compétent sur la partie du domaine du CERN établie sur son territoire. Cette dérogation porte sur les interventions de police et prévoit qu’en cas d’urgence, l’action des forces de police d’une partie sur le territoire de l’autre partie est autorisée, dans le but de faire cesser une infraction et de contribuer à son traitement pénal.

La modification de l’annexe n°1, par l’ajout d’un article 3, vise à étendre ce principe dérogatoire aux interventions de secours et d’urgences médicales, afin d’adapter le cadre juridique en vigueur et de l’actualiser face à des enjeux croissants de sécurité civile. Les interventions de protection civile seraient ainsi facilitées, comme les interventions de police. À ce stade, aucune disposition n’encadre les interventions de secours effectuées sur le territoire de l’autre État lorsqu’elles ne sont pas conjointes.

Or le CERN, qui est le plus grand centre de recherche mondial dans le domaine de la physique des particules, s’est doté au fil des années d’équipements toujours plus complexes et sophistiqués, jusqu’au fameux « grand collisionneur de hadrons », plus puissant accélérateur de particules jamais construit et plus grand dispositif expérimental jamais créé en physique. Le développement du CERN a favorisé une prise de conscience des enjeux liés à la sécurité civile et aux risques technologiques, d’où un souhait partagé entre l’organisation et ses États hôtes de faire évoluer le cadre des interventions de secours. Cette évolution s’est faite aussi sur un plan plus opérationnel, via un accord tripartite conclu en décembre 2016 entre le CERN, la France et la Suisse, qui précise les modalités d’intervention concrètes des services de secours. L’accord franco-suisse permet aussi de préciser le régime applicable aux équipes de secours en cas d’infraction et de dommages causés par leurs agents.

En pratique, le nombre d’interventions de secours devrait rester très modeste. En effet le CERN dispose de son propre service de secours, qui continuera d’intervenir en priorité. À titre indicatif, le SDIS (service départemental d’incendie et de secours) de l’Ain est intervenu 4 fois sur le domaine du CERN en 2017 et 1 fois en 2018, essentiellement dans le domaine du renfort incendie, et le SIS (service d’incendie et de secours) de Genève est intervenu 3 fois. L’impact financier de ces dispositions sera dans ce contexte également très limité, d’autant qu’il est prévu que les nouvelles coopérations se fassent « sous contrainte de ressources des services concernés », comme le précise l’étude d’impact du projet de loi.

Pour autant, dans les cas où la mobilisation des services de secours de l’un des États sur le territoire de l’autre État partie sera nécessaire, l’évolution du cadre juridique permettra d’intervenir plus rapidement, et ainsi d’éviter qu’un incident localisé ne devienne une crise de plus grande ampleur aux conséquences plus lourdes sur les infrastructures du CERN et sur son environnement. L’accord prévoit que ces interventions pourront avoir lieu soit à la demande du directeur général du CERN, soit de la propre initiative des services de secours.

Au bénéfice de ces remarques, je vous recommande l’adoption de ce projet de loi par notre commission.

Je vous remercie.

Mme Olga Givernet. Avant de pouvoir intervenir sur le rapport vous me permettrez de faire une remarque. Nous sommes assez fréquemment confrontés à des décisions prises à Paris, sans prise en compte du contexte local sur nos territoires frontaliers. Effectivement, nos secteurs sont régis par des traités internationaux, et le processus de ratification nous dépossède de la possibilité de les amender. Pour autant, nous sommes confrontés à la réalité du quotidien, avec des habitants directement impactés, notamment par le CERN qui est en partie sur ma circonscription. Nous avons des impacts d’emprise de terrain, d’organisation des services publics. Il n’y a pas que la question du CERN, il y a l’aéroport de Genève, toutes les organisations internationales, et les fonctionnaires qui habitent en France voisine.

La question qui se pose alors est de savoir comment impliquer les députés en amont. Les Suisses, qui ont toute mon affection, savent s’adresser à notre bureaucratie centralisée mais s’amendent ainsi des intérêts de territoires environnants. Je ne diminuerai pas toute la qualité du rapport de notre collègue Bruno Fuchs, et nous sommes plusieurs experts sur la question du transfrontalier franco-suisse, mais vous comprendrez l’enthousiasme qui m’anime sur le sujet et le regret d’être contrainte dans le temps pour ce rapport.

Il est vrai que le texte que nous ratifions aujourd’hui tombe sous le coup du bon sens, la pratique étant déjà bien installée, et ce rapport vient lever un flou juridique. Il n’y a donc aucune raison de s’y opposer, le groupe La République en marche votera naturellement pour l’approbation de cet accord.

J’en profite pour parler du CERN et rappeler son importance en tant qu’organisation scientifique pour l’Europe et pour le bassin genevois sur lequel il est installé. Le CERN est un formidable outil de rayonnement scientifique pour notre continent, et M. Fuchs vous l’avez largement rappelé, il est l’exemple même d’une Europe qui fonctionne, une Europe à la pointe de la recherche fondamentale et qui est délibérément ouverte sur le monde puisque le CERN partage l’ensemble de ses découvertes avec les communautés scientifiques mondiales. Il n’est jamais question de business, le travail du CERN est uniquement basé sur un principe humaniste au service des hommes. Celles et ceux qui y travaillent et habitent à proximité savent les valeurs qui ont animé les fondateurs de l’organisation : la science au service du progrès et de la paix. La France doit être un rouage essentiel de cette machine. Nous le sommes déjà en accueillant la plus grande partie du CERN sous notre territoire. Je rappelle que ce sont 27 km de tunnels qui passent sous nos maisons pour le grand collisionneur et qu’il y a un projet de grand collisionneur de 100 km, qui passerait sous l’Ain et la Haute-Savoie. Il faut savoir que nous sommes en compétition avec la Chine, qui aurait souhaité avoir ce type d’implantation et je pense qu’il est important de rester vigilant et qu’il faut offrir cette opportunité au CERN.

L’importance du CERN pour le bassin genevois n’est plus à démontrer : grâce au CERN, ma ville de Saint-Genis-Pouilly est passée de 650 habitants en 1954 à 12 000 aujourd’hui. Vous comprendrez les enjeux d’infrastructures et d’aménagements du territoire que cela implique. Le CERN demeure le premier employeur de ma circonscription, les habitants y vivent au quotidien, l’accord que nous approuvons aujourd’hui rappelle la collaboration étroite entre la France, la Suisse et le CERN et rappelle le dynamisme économique qu’une organisation internationale permet de donner à un territoire.

Par ce vote aujourd’hui, nous rappelons notre fierté d’avoir le CERN sur le sol français et nous lui renouvelons notre confiance et lui assurons notre protection, qu’il mérite qui est indispensable à la pérennité du travail scientifique. Je me permettrai de conclure en disant que nous devons aller plus loin en aidant les organisations internationales à s’implanter sur notre territoire. La France doit être partie prenante de la Genève internationale.

M. Michel Fanget. Merci Monsieur le rapporteur, c’est un excellent accord, qui permettra à nos concitoyens, de France et de Suisse, d’accéder à une meilleure sécurité et à une meilleure santé.

En étendant le domaine d’action des services de secours et des urgences médicales françaises et suisses de part et d’autre de la frontière franco-suisse, il assurera un accès aux soins pour les gens vivant près de la frontière, dans le canton de Genève et dans le département de l’Ain. Il s’inscrit donc dans une amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens d’Europe, et dans une amélioration du cadre juridique ainsi conféré à l’intervention des agents de santé et de sécurité, complétant l’accord tripartite entre le CERN, la Suisse et la France, en évitant toute complication juridique en cas de litige. La coopération frontalière dans ces domaines était en effet un sujet important pour les habitants. Elle permet d’éviter les risques en cas de danger pour ces personnes, et c’est une bonne chose de pouvoir leur apporter un grand nombre de solutions dans de telles situations.

La France doit poursuivre cette action, l’approfondir, et faciliter encore les interventions de service public des pays frontaliers sur son territoire et inversement. C’est un bon exemple de collaboration dont nous pouvons être capables. Notre groupe soutiendra donc ce projet.

M. Christian Hutin. Notre groupe soutiendra également cet accord et félicite le rapporteur pour la qualité de ses explications.

Olga, je ne suis pas trop inquiet pour la Chine, parce que la Chine a eu son grand timonier, donc elle n’a pas besoin de notre grand collisionneur. Par contre, nous eussions pu attacher ce texte au projet de loi sur la coopération sanitaire avec la Suisse. Le calendrier ne l’a pas permis, et c’est mon seul regret.

Sinon, bien entendu, au vu de la qualité de ce rapport, nous voterons en sa faveur demain, et je pense que beaucoup de circonscriptions adoreraient avoir le CERN chez eux. Bravo Olga de l’avoir si bien défendu.

Mme Marion Lenne. Effectivement, la coopération franco-suisse est à l’honneur cette semaine à l’Assemblée nationale.

Merci pour cette présentation, merci Olga pour cette présentation de notre bassin de vie commun, tu as mentionné le Grand Genève, il existe aussi d’autres bassins de vie communs, le Bâle-Mulhouse ou Lausanne agglomération, où nous vivons ensemble, nous partageons les territoires.

Le CERN, à cheval entre la France et la Suisse, témoigne de toutes les collaborations réelles et fructueuses entre nos deux pays. Je comprends que cet accord se focalise sur la situation particulière du CERN. Pour autant, est-il dans la même lignée que l’accord sur la coopération sanitaire franco-suisse, que nous examinerons demain ? Bruno, puisque tu es un expert en coopération transfrontalière, peux-tu nous dire quels autres accords sont à l’agenda parlementaire ?

M. Bruno Fuchs, rapporteur. Pour répondre immédiatement à Marion Lenne : à ma connaissance non, mais nous ne sommes pas à l’abri de surprises, de textes qui ont été écrits, signés, échangés, il y a un, deux, trois ans. Parce que nous examinons des textes qui datent un peu, donc je serai très prudent sur la réponse, mais à ma connaissance, non, pas pour l’instant.

Merci Olga pour la défense et l’exposé aussi brillant, clair et important sur ce que représente le CERN, pour ta circonscription, mais également pour le développement local et régional, et pour la France et l’Europe.

La question que vous posez, et l’impression que vous avez que localement, sentiment partagé dans beaucoup de territoires, nous sommes privés de certaines prérogatives par les interventions parisiennes n’est pas le cas dans cette convention, puisque l’intervention des forces de protection civile sera sur appel du CERN uniquement. On n’est pas dans la situation que vous décrivez.

Je partage bien évidemment l’avis de Michel Fanget, devenu assez familier de ces questions. Il existe, il est vrai, dans certains domaines, beaucoup trop de difficultés à pouvoir passer la frontière. On a eu à régler la question de la double affiliation des transfrontaliers français vers la Suisse, dossier épineux et lourd à régler. On voit qu’il est encore difficile, dans de nombreux domaines, de pouvoir favoriser les passages et coopération transfrontalières. Donc, quand on a des accords qui permettent de lever des barrières, et de faciliter la mobilité et les pratiques professionnelles mais aussi de loisirs, il faut le favoriser.

Sur la question de Christian Hutin, sur son regret de ne pas pouvoir intégrer les deux conventions : on aurait pu le faire, mais au prix d’efforts et d’articulations très douloureux. En effet, cet accord transfrontalier sanitaire ne concerne pas toute la chaîne d’intervention du ministère de l’Intérieur. Là, on est dans un accord sanitaire qui concerne le ministère de la Santé, seule la protection civile étant rattachée au ministère de l’Intérieur. C’était donc un peu compliqué. Mais ils se suivent, et je vous invite à participer demain en séance au débat sur l’accord de coopération sanitaire entre la France, la Suisse et le Luxembourg.

Je terminerai là-dessus et partagerai encore une fois la réflexion de Michel Fanget sur la nécessité absolue de la levée de barrières dans la coopération transfrontalière et de ne pas revenir, comme certains le souhaitent, à de nouvelles frontières et à de nouveaux contrôles.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 1630.

 

La séance est levée à 18 heures 40.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

 

Réunion du mercredi 22 mai 2019 à 17 h 05

Présents. - Mme Aude Amadou, Mme Samantha Cazebonne, M. Jean-Michel Clément, M. Christophe Di Pompeo, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, Mme Anne Genetet, Mme Olga Givernet, M. Christian Hutin, Mme Aina Kuric, Mme Marion Lenne, M. Jacques Maire, Mme Bérengère Poletti, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Valérie Thomas

Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Moetai Brotherson, Mme Laurence Dumont, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, Mme Sonia Krimi, Mme Amélia Lakrafi, M. Jérôme Lambert, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Hugues Renson, Mme Michèle Tabarot, Mme Nicole Trisse, M. Patrick Vignal

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Charles Larsonneur