Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

–  Examen, en lecture définitive, du projet de loi de finances rectificative pour 2018 (M. Joël Giraud, rapporteur général) 2

  Audition de M. Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes, sur le rapport denquête réalisé par la Cour, en application du 2° de larticle 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur la dépense fiscale des entreprises relative au mécénat              2

–  Présences en réunion...........................21

 


Mercredi
28 novembre 2018

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence

 

de

 

Mme Marie-Christine Dalloz,

Secrétaire

 


  1 

La commission examine, en lecture définitive, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 (M. Joël Giraud, rapporteur général).

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Lors de sa séance du 27 novembre 2018, le Sénat, adoptant la question préalable, a rejeté, en nouvelle lecture, le projet de loi de finances rectificative pour 2018.

Conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution, l’Assemblée nationale est saisie, par lettre du Premier ministre du 27 novembre, d’une demande du Gouvernement tendant à ce qu’elle statue définitivement. La commission mixte paritaire, réunie le 20 novembre 2018, n’ayant pu parvenir à l’adoption d’un texte commun, l’Assemblée nationale doit se prononcer sur le texte qu’elle a adopté en nouvelle lecture.

Dans ces conditions et en application du troisième alinéa de l’article 114 du Règlement, la commission des finances, qui s’est réunie le 28 novembre 2018 matin, propose d’adopter définitivement le texte adopté par l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, le 26 novembre 2018.

Suivant lavis favorable de M. Joël Giraud, rapporteur général, la commission adopte le projet de loi de finances rectificative pour 2018.

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*           *

La commission entend ensuite M. Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes, sur le rapport denquête réalisé par la Cour, en application du 2° de larticle 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur la dépense fiscale des entreprises relative au mécénat.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Nous recevons M. Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes, qui va nous présenter une des communications que la Cour des comptes remet à notre commission suite à la demande adressée au Premier président le 11 décembre dernier, au nom de la commission, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Je vous rappelle que, parmi les cinq sujets retenus, la communication sur le bilan de la privatisation des aéroports a été présentée à notre commission le 13 novembre dernier.

La communication relative aux droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public nous a récemment été transmise. Elle nous sera présentée mercredi prochain et a déjà été adressée à l’ensemble des commissaires. En effet, le président Éric Woerth a estimé que restreindre plus longtemps la diffusion de ce document n’avait pas de sens, dès lors que la presse en a fait largement état et qu’il a même été cité à l’appui d’une question au Gouvernement. Dans le même esprit, il ne s’est pas opposé à ce que la Cour le publie par anticipation sur son site internet.

Les communications sur l’approche méthodologique du coût de la justice et sur l’externalisation du soutien des forces en opérations extérieures nous seront remises d’ici à la fin de l’année.

La cinquième et dernière enquête de cette série est celle qui nous est présentée aujourd’hui, relative au soutien public au mécénat des entreprises. Elle a, bien entendu, été communiquée à l’ensemble des commissaires la semaine dernière afin qu’ils puissent en prendre connaissance en temps utile.

Enfin, pour être tout à fait complète, je précise qu’ont été demandées le 19 juillet dernier, en vue du prochain printemps de l’évaluation, cinq autres enquêtes qui nous seront remises à partir de février prochain.

Monsieur le président, je vous laisse la parole pour présenter ce rapport fort intéressant, à l’origine demandé par M. Gilles Carrez en sa qualité de rapporteur spécial du programme Patrimoines de la mission Culture.

M. Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes. Je vous présente aujourd’hui le fruit du travail d’un peu moins d’une année de la Cour sur le soutien public au mécénat des entreprises. Vous nous avez demandé une appréciation d’ensemble sur le mécénat, les associations et les fondations bénéficiaires, sur le dispositif de soutien fiscal renforcé et la sécurisation du cadre d’intervention des entreprises dans leur action de mécénat, et ce depuis l’adoption de la loi du 1er août 2003.

Pour conduire cette enquête, nous avons constitué ce que nous appelons une formation interchambres. C’est ainsi que nous avons réuni des compétences des secteurs des finances publiques, du secteur culturel et du secteur social. J’ai ainsi auprès de moi non seulement le rapporteur général de la Cour, le président Roch-Olivier Maistre, mais également le rapporteur général de cette enquête, M. Philippe Dubosc, et le contre-rapporteur, M. Michel Clément.

L’enquête que vous nous avez demandée s’est intéressée à différents points. Je voudrais vous en présenter la synthèse, puisque le rapport vous a déjà été communiqué.

Le premier constat de la Cour porte sur la puissance du dispositif mis en place par la loi du 1er août 2003. Des dispositifs de soutien fiscal aux actions de mécénat des entreprises existaient déjà, mais celui mis en place par la loi du 1er août 2003 a véritablement changé la dimension de ce soutien public. D’abord, par l’importance de l’aide de l’État au mécénat des entreprises. Le dispositif mis en place se révèle, en effet, particulièrement avantageux par la nature du mécanisme fiscal. Depuis 2003, il s’agit d’une réduction directe des montants de l’impôt sur les sociétés (IS) à hauteur de 60 % des dépenses de mécénat consenties par les entreprises, alors que, jusque-là, les dépenses de mécénat des entreprises ne pouvaient être déduites que comme une charge, venant donc diminuer le bénéfice imposable. Un tel mécanisme fiscal de réduction directe de l’impôt sur les sociétés est une singularité française. Peu de pays l’ont adopté, la plupart des pays se contenteant d’une déduction de l’assiette fiscale.

Le deuxième levier fiscal du soutien public de l’État, qui donne sa puissance au dispositif, tient à l’importance du taux de déduction : 60 %. Ainsi, sur une dépense de mécénat de 100 euros, 60 euros sont pris en charge par l’État, sous forme d’une diminution des recettes publiques.

Le troisième levier réside dans la possibilité de reporter pendant cinq ans le bénéfice fiscal de la mesure si, d’aventure, la dépense de mécénat consentie ne peut s’amortir sur une seule année.

Enfin, ce dispositif fiscal particulièrement puissant s’applique à un champ diversifié. En France, le mécénat n’est possible que pour des causes d’intérêt général, mais ces causes d’intérêt général sont définies de manière extrêmement large, à la fois par leur objet et par la nature des organismes susceptibles de recevoir les apports de mécénat. Il serait sans doute excessif de dire que la France a mis en place une forme de mécénat universel dans la mesure où ces actions doivent recourir à une cause d’intérêt général et où il s’agit d’une action désintéressée, mais il n’en reste pas moins que le champ est particulièrement large.

Mis en place à partir du 1er août 2003, dans les faits à partir de janvier 2004, le dispositif a été très largement plus généreux à l’époque que celui qui existait partout ailleurs en Europe, et beaucoup plus que celui qui existe traditionnellement dans un pays comme les États-Unis.

Notre deuxième constat porte sur le caractère allégé des contrôles dont fait l’objet le dispositif. Le cadre d’intervention élargi des actions de mécénat, au bénéfice d’un système de fondations très diversifié, aboutit en effet à des contrôles de faible ampleur.

Ce dispositif puissant a produit les effets recherchés en comblant ce qui était ressenti comme un retard de la France par rapport à la situation d’un certain nombre de pays étrangers.

Il a permis, en premier lieu, la multiplication par plus de dix, en un peu moins de quinze ans, du nombre d’entreprises mécènes. En 2005, première année d’application complète du nouveau dispositif, 6 500 entreprises ont déclaré des actions de mécénat déductibles fiscalement. En 2017, ce sont environ 68 500 entreprises qui ont bénéficié d’une déduction fiscale à ce titre, le nombre d’entreprises mécènes ayant connu une multiplication légèrement supérieure à un décuplement. Cette action s’est également accompagnée d’un décuplement de la dépense fiscale correspondante. La première année, la dépense fiscale était de l’ordre de 90 millions d’euros ; pour 2017, derniers chiffres que nous connaissons et non encore définitifs, la dépense fiscale s’élève à 902 millions d’euros. Multipliée par dix en quinze ans, elle figure parmi les vingt-cinq dépenses fiscales les plus importantes.

De ce point de vue, la loi du 1er août 2003 a rempli ses objectifs, elle est devenue un instrument puissant de soutien à des causes d’intérêt général, en complément – parfois en substitution – des crédits publics qui peuvent leur être affectés.

Cette dépense importante s’est inscrite, malgré tout, dans un cadre qui a beaucoup évolué depuis quinze ans.

D’abord, les caractéristiques de l’intervention du mécénat sont, du point de vue sectoriel, assez différentes de celles qui prévalaient voilà quinze ans. Traditionnellement, depuis l’époque romaine, depuis l’empereur Auguste et Gaius Cilnius Maecenas, prince des poètes, ami d’Auguste, de Virgile, d’Horace et de quelques autres poètes, le mécénat était traditionnellement consacré à des causes culturelles. Depuis quinze ans, nous assistons à une diversification des causes auxquelles le mécénat apporte une contribution forte. À ce jour, selon les données dont nous disposons, le mécénat concerne d’abord le secteur social et, seulement en deuxième lieu, le secteur culturel. Viennent ensuite, plus détachés, les domaines du sport, de l’environnement, de la santé et de la recherche.

Au cours des dernières années, parmi les causes soutenues par le mécénat, nous avons assisté à la montée du secteur social. Que ce soit au moment où ont été ressenties les conséquences de la crise économique de 2007-2008 n’est sans doute pas indifférent. Dans le même temps, le secteur culturel reculait légèrement.

Le deuxième changement dans les modes d’intervention des entreprises tient à leur forme de plus en plus directe. Traditionnellement, les entreprises faisaient bénéficier de leur mécénat des institutions, associations ou fondations qui intervenaient directement ou qui redistribuaient les sommes qui leur étaient allouées. La part des institutions créées à l’initiative des entreprises elles-mêmes a progressé, et ce sous plusieurs formes. Premièrement, les fondations d’entreprise se sont considérablement développées au cours de la période, leur nombre étant multiplié par cinq ou six. En second lieu, le nombre des fondations dites « abritées », c’est-à-dire créées sans grande contrainte au sein de fondations reconnues d’utilité publique, a été multiplié par dix environ. Aujourd’hui, le quart des entreprises mécènes interviennent, sinon exclusivement, du moins principalement par le biais d’institutions qu’elles ont elles-mêmes créées, de telle façon que le lien entre le mécénat et l’action de l’entreprise est à la fois plus visible et plus direct.

A contribué incontestablement à ce mouvement une disposition de la loi de finances pour 2000, qui a permis aux fondations d’entreprise de comporter le nom de l’entreprise mécène. Le croisement de la générosité du dispositif fiscal et de cette disposition explique évidemment pour une large part la dynamique de ces modes d’intervention plus directs.

La dépense de mécénat des entreprises se révèle ainsi une dépense particulièrement dynamique, dont les modes d’intervention se sont diversifiés.

Première caractéristique de ces modes d’intervention, les entreprises mécènes se sont professionnalisées dans leur politique de mécénat. Elles ciblent davantage de causes, et intègrent davantage leurs actions de mécénat dans une stratégie globale d’entreprise, qui couvre deux volets : d’une part, la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), ce qui pose la question d’un certain flou entre la notion de mécénat et celle de RSE ; d’autre part, l’image, la communication et les retombées médiatiques.

Dans le cadre de l’enquête que vous lui avez demandée, la Cour a contrôlé plus spécifiquement la Fondation Louis-Vuitton. Elle a pu constater, à cet égard, l’importance non seulement des dépenses de mécénat consenties pour la construction du bâtiment de Frank Gehry, mais également des dépenses de fonctionnement de ce lieu prestigieux. Elle a aussi observé la manière dont une fondation de ce type peut conjuguer la triple dimension de l’art, du luxe et de la mode, de façon à optimiser les retombées médiatiques.

Bien sûr, d’autres formes d’intervention existent. La Cour les a examinées, en s’attachant au contrôle spécifique de deux fondations : la Fondation du Patrimoine, soumise par la loi au contrôle de la Cour des comptes et qui fait appel, pour sa part, à un mécénat discret, essentiellement de proximité, par le biais de clubs territoriaux de mécènes qui viennent compléter des appels à souscription auprès des particuliers. Cette fondation est un exemple tout à fait intéressant d’un mécénat de petites et moyennes entreprises (PME), inscrites dans un territoire et soutenant dans la durée des projets d’importance locale.

La Cour a également contrôlé la Fondation Agir contre l’exclusion, reconnue d’utilité publique et créée à l’initiative d’entreprises. Elle a constaté l’importance du mécénat des entreprises, mais également le fait que ce mécénat des entreprises trouvait à s’exercer dans un cadre qui n’était pas sans interroger quant à la fragilité du fonctionnement de cette fondation. En particulier, la Cour a relevé que la Fondation Agir contre l’exclusion avait eu tendance à démultiplier les fondations abritées, ou fondations sous égide, afin de permettre à davantage de mécènes de la rejoindre, sans avoir véritablement structuré ni rendu suffisamment solide son cadre juridique, ce qui s’est avéré source de difficultés.

Le cadre d’intervention des entreprises s’est ainsi professionnalisé et diversifié. Il amène évidemment à s’interroger sur l’efficience de la dépense. Tel est en effet le troisième constat de la Cour : cette dépense dynamique, importante, est en réalité très mal connue, peu évaluée et quasiment jamais contrôlée. L’administration fiscale enregistre avec une certaine passivité, année après année, le montant des réductions consenties à ce titre, sans s’interroger, en particulier, sur les ressauts qui marquent la progression de la dépense.

La progression de la dépense, qui s’est traduite par un décuplement, n’est en effet pas linéaire, mais se fait par paliers. Le premier palier, d’environ 300 millions d’euros, a été atteint entre 2004 et 2008-2009 ; le deuxième, d’environ 600 millions d’euros, l’a été entre 2010-2011 et 2015. À compter de 2016, nous avons connu un nouveau palier, d’environ 900 millions d’euros, qui s’est confirmé en 2017. Cette progression en escalier n’a pas encore fait l’objet d’une analyse rétrospective. Il n’existe pas d’éléments clairs d’explication : seules quelques corrélations avec tel ou tel événement extérieur peuvent être faites.

Le ressaut de 2010-2011 peut s’expliquer par la sortie de crise et par l’importance donnée alors à l’action dans le secteur social. Quant au ressaut de 2016, il est possible qu’il soit lié, pour une part, aux nouvelles possibilités de dons alimentaires au bénéfice d’un certain nombre d’associations par des structures commerciales de dimension relativement plus faible qu’auparavant. Mais ce sont là des suppositions, étant donné que la dépense n’a pas été analysée rétrospectivement et n’a pas non plus été anticipée. D’abord parce que les estimations de la dépense fiscale figurant dans les documents budgétaires ont été le plus souvent démenties par les faits, ce qui démontre leur manque de fiabilité. Ensuite, parce que les changements de contexte et les changements fiscaux ne font pas l’objet d’analyses prospectives. En particulier, la trajectoire annoncée de baisse du taux de l’IS, qui doit être ramené de 33,33 % à 25 %, ne fait l’objet, au regard de cette dépense fiscale, d’absolument aucune analyse prospective, alors même qu’elle aura des conséquences sur la dépense. Il n’y a pas, en particulier, de tests de sensibilité de la dépense au taux de l’IS. Enfin, cette dépense est particulièrement mal analysée au regard de la structuration des entreprises mécènes, faute de suivi continu de la population des entreprises. Or, on note des évolutions contrastées entre grandes entreprises, PME et très petites entreprises (TPE).

Nous avons pu, et c’est l’un des apports de l’étude que nous vous livrons, demander des analyses ponctuelles à la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui montrent en particulier l’extrême concentration du mécénat, puisque les vingt-quatre plus grandes entreprises mécènes représentent à elles seules 44 % de la dépense de mécénat, et que l’ajout des douze suivantes ne fait monter ce pourcentage que jusqu’à 48 %. Il est d’autant plus regrettable qu’il n’existe pas de suivi d’une année sur l’autre de l’évolution de la population des entreprises mécènes.

Par ailleurs, l’administration n’a aucune connaissance des apports de ce mécénat aux différentes politiques publiques susceptibles d’être soutenues. Il n’est pas possible aujourd’hui, par exemple, d’apprécier l’apport du mécénat à la lutte contre l’exclusion ni à tel ou tel champ des activités culturelles, tout simplement parce que l’administration fiscale est aveugle. Elle connaît la dépense fiscale qui lui est présentée, mais elle ne connaît pas la destination ni l’objet de cette dépense fiscale, ni sectoriellement ni territorialement.

Enfin, et c’est peut-être plus grave encore, elle ne s’est pas donné les moyens de mesurer l’écart qui semble exister entre le nombre d’entreprises qui déclarent une réduction d’impôt sur les sociétés au titre du mécénat et celui des entreprises qui ont une activité de mécénat effective. La dépense fiscale de mécénat, de l’ordre de 900 millions d’euros, correspond en effet à une dépense des entreprises d’un milliard et demi d’euros, le « ticket modérateur » étant de 40 %, tandis que, selon certaines études effectuées notamment par l’association Admical ou la Fondation de France, la dépense réelle de mécénat dans notre pays se situerait entre 2,5 milliards et 3 milliards d’euros, c’est-à-dire le double de la dépense fiscalement constatée.

Cette dépense est donc mal connue, recouverte par un voile d’ignorance que nous avons cherché à lever, sans y parvenir totalement car les données dont nous disposions étaient d’une granularité insuffisante. Elle est, d’autre part, mal évaluée dans son efficience, et elle est, enfin, très peu contrôlée. Nous nous sommes penchés sur l’action de la DGFiP en matière de contrôle des dépenses de mécénat. Elle se résume, en l’absence de contrôles systématiques, à des contrôles connexes à d’autres contrôles. Les redressements sont donc extrêmement limités, mais ils existent et l’on a pu constater malgré tout, en 2016-2017, un léger progrès, mais il est vrai que le point de départ était peu consistant.

Ces différents éléments conduisent la Cour à considérer que le dispositif ne doit certainement pas être révolutionné mais être mieux encadré, et à continuer de faire siens les vers de Boileau dans les Satires, adressés à Louis XIV : « On doit tout espérer dun monarque si juste,/ Mais sans un Mécénas à quoi sert un Auguste ? »

Telle est bien, en effet, la position de la Cour : le mécénat a sa légitimité, il induit un changement de vision important, en ce sens que l’État n’a plus le monopole de l’intérêt général ni du choix de la cause d’intérêt général. Le contribuable en retire une liberté de choix, celle de soutenir telle ou telle cause, mais ce cadre extrêmement libéral mérite sans doute d’être mieux piloté car, aujourd’hui, le mécénat est une sorte de boîte noire. D’un côté, l’administration fiscale, passive, enregistre une sorte de dépense de guichet ; de l’autre, on trouve des administrations, en particulier le ministère de la culture, dont la mission « mécénat » est active et qui nous ont paru faire un travail sérieux et précieux, mais d’autres ministères, pourtant importants, ne suivent absolument pas ces dossiers. Par exemple, le ministère de l’environnement a supprimé la mission « mécénat » qu’il avait créée. Le ministère des affaires sociales ne suit pas particulièrement cette dimension non plus.

Aujourd’hui, la dépense fiscale de mécénat est rattachée au programme 163 Jeunesse et vie associative, qui procède de la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse. Cette direction n’a pas les moyens nécessaires et peine à piloter ne serait-ce qu’une réflexion sur cette dépense.

La Cour considère qu’il est nécessaire pour la puissance publique de se doter d’un pilotage interministériel. Elle évoque plusieurs solutions. L’une d’entre elles serait de retenir le Haut-Commissariat à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale, qui a été récemment mis en place en tant que structure interministérielle.

Le deuxième élément de réflexion de la Cour porte sur l’évolution de la dépense dans un cadre marqué, d’un côté, par la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, et, de l’autre, par l’affirmation, dans le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE), de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises. Il nous semble que cette double évolution peut légitimement amener à réfléchir sur ce que pourrait être l’ajustement des paramètres du dispositif fiscal.

La Cour a étudié plusieurs scénarios, qu’elle développe : le retour à la situation d’avant 2003 sous la forme d’une simple exonération de l’assiette fiscale, qui paraît difficile ; la modulation du taux de réduction entre 60 %, 50 %, 40 %, qui peut avoir certains effets. Elle a également étudié le plafonnement de l’avantage fiscal avec, de ce point de vue, deux outils possibles. Le premier est l’outil existant, à savoir le plafonnement du don, actuellement très large puisqu’il s’élève à cinq pour mille du chiffre d’affaires hors taxes. On peut envisager un plafonnement en valeur, qui serait modulé en fonction chiffre d’affaires hors taxes ; pour les petites entreprises, il pourrait y avoir une sorte de franchise, fixée par exemple à 5 000 ou 10 000 euros, sur la dépense de mécénat. Le deuxième outil serait un dispositif où il ne s’agirait pas de plafonner la dépense de mécénat elle-même, qui demeurerait de la responsabilité de l’entreprise, mais l’avantage qu’elle en tire : au-delà d’un certain montant à définir, le taux de déduction serait moins important.

La Cour a également réfléchi à une différenciation du taux de déduction fiscale selon la nature des organismes bénéficiaires. C’était le dispositif qui préexistait à la loi du 1er août 2003 : les fondations et les associations reconnues d’utilité publique, ainsi que les musées de France, bénéficiaient de possibilités de mécénat élargies par rapport à d’autres bénéficiaires.

Nous avons exploré le plus complètement possible ces différents scénarios, dont vous trouverez dans le rapport un tableau récapitulatif, mesurant les incidences des éventuels ajustements.

La recommandation à laquelle la Cour est la plus attachée est la nécessité d’une particulière vigilance quant au principe de confiance et au principe de désintéressement, qui sont tous deux au fondement de l’intervention en mécénat. Intervenir en mécénat, c’est intervenir pour une cause désintéressée : on n’intervient pas pour son intérêt direct, mais pour une cause d’intérêt général, donc extérieure à l’entreprise. Le principe de confiance est tout aussi fondamental : les institutions bénéficiaires doivent être elles-mêmes transparentes, désintéressées et soumises à un cadre d’intervention contrôlable et vérifiable.

Les constats que nous avons dressés amènent à considérer que la prolifération des modes d’intervention et des structures, ainsi que la souplesse de plus en plus grande des modes de création de ces structures, peuvent engendrer certains risques au regard du principe de désintéressement, dont le rapport donne quelques exemples.

Ce qui, en l’espace de quinze ans, a changé dans le mécénat, ce n’est pas tant les déductions que la délimitation et la clarification des contreparties directes. Le fait que les contreparties puissent atteindre jusqu’à 25 % de l’apport repose sur de simples instructions fiscales, voire sur des lettres ministérielles. Le plafond est rarement atteint, mais lorsqu’il l’est, la contribution réelle de l’entreprise devient très réduite : avec 60 % de déduction au titre de l’IS et 25 % de contreparties directes, il reste à la charge de l’entreprise une quote-part de 15 % seulement. On se rapproche du système des trésors nationaux, pour lesquels la quote‑part de l’entreprise est ramenée à 10 %. Le dispositif étant très généreux, les contreparties directes doivent être, selon nous, d’autant mieux précisées et encadrées, ce qui relève sans doute davantage de la loi que d’une simple lettre ministérielle.

Il nous semble également que la question des retombées indirectes, notamment médiatiques, doit susciter la vigilance, car elle amène à estomper la distinction entre mécénat et parrainage. Nous ne nous sommes pas introduits, car nous n’en avons pas la possibilité, dans la vie des entreprises pour déterminer comment s’opère le choix entre une action de mécénat et une action de parrainage. Il semble cependant que, dans un certain nombre de cas, ce choix puisse exister. La différence de fiscalité n’est pas telle qu’elle interdise une action de parrainage plutôt qu’une action de mécénat qui permette d’optimiser encore les retombées.

Cette question des retombées est d’autant plus essentielle que l’on peut se demander si le cadre nouveau promis à la RSE ne risque pas de remettre en cause, à terme, la légitimité du dispositif fiscal dérogatoire en faveur du mécénat. Le fait que les frontières tendent à devenir floues, que l’intérêt de l’entreprise se distingue moins nettement de la cause d’intérêt général, amène à suggérer une clarification des distinctions entre mécénat, RSE et parrainage.

La Cour, dans son rapport, suggère un certain nombre d’orientations et formule sept propositions afin d’avancer sur un chemin de crête, auquel elle a cherché à se tenir, à savoir reconnaître l’intérêt du mécénat et l’apport de la loi du 1er août 2003, tout en restant vigilants pour que les évolutions ne conduisent pas à remettre en cause ces acquis.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Merci, monsieur le président Durrleman. Si d’aucuns avaient encore des doutes quant à l’intérêt du 2° de l’article 58 de la LOLF, ils doivent être convaincus ! Établir un diagnostic sur les dispositifs en faveur du mécénat quinze ans après le vote de la loi revêt tout son sens.

M. Joël Giraud, rapporteur général. Monsieur le président, je vous remercie infiniment de cette présentation en réponse à la demande formulée à l’initiative de notre collègue Gilles Carrez, avec qui je partage un certain nombre de convergences fortes sur des sujets comme celui-ci et quelques autres, qui lui sont connexes. En tout cas, votre exposé illustre parfaitement l’intérêt d’une collaboration entre le Parlement et la Cour des comptes, ainsi que l’a fait observer Mme la présidente.

Si je résume votre analyse, il est urgent de faire la lumière sur cette niche fiscale. Lorsqu’une réduction d’impôt atteint 60 % des dons, on peut, en effet, considérer que l’État a non seulement le droit, mais aussi le devoir d’étudier ce que deviennent les sommes en cause.

Vous avez employé des termes qui, en dépit de votre diplomatie légendaire, restent très forts et semblent choisis à dessein : « voile d’ignorance », « boîte noire »...

Sans vouloir conclure prématurément, je dirai que cela plaide en faveur du travail que nous devrons engager à la suite de votre rapport : ses conclusions présentent un caractère opérationnel dont nous devons nous saisir en vue de la préparation du projet de loi de finances pour 2020. Nous pourrions constituer à cette fin un groupe de travail œcuménique et transpartisan, condition indispensable pour remettre les choses en ordre dans une matière aussi complexe, où les frontières, comme vous l’avez souligné, monsieur le président, sont parfois ténues.

Votre exposé suscite de ma part cinq points d’attention.

Je vous remercie de nous avoir reçus préalablement, Gilles Carrez et moi-même, pour débattre de ce qui allait devenir votre rapport afin d’ancrer un certain nombre de mesures dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019.

Sur votre suggestion et à mon initiative, nous avons voté une obligation de déclaration des sommes reçues par les structures bénéficiaires. Des voix se sont élevées pour dire que la déclaration des dons en nature, notamment alimentaires, était trop compliquée. Des abus de droit pouvant néanmoins intervenir, j’aimerais avoir votre opinion sur ce point.

Je souhaiterais également savoir quelles sont, selon vous, les autres mesures qui permettraient d’améliorer la transparence. Les entreprises fournissent-elles suffisamment d’informations sur les sommes versées ? Lors de votre mission, avez-vous rencontré des difficultés pratiques pour accéder à ces données ?

Deuxièmement, dans le PLF 2019, nous avons renoncé à fixer un plafond par entreprise, et ce pour plusieurs raisons. Les grandes entreprises peuvent, de toute façon, contourner la mesure en imputant une partie des dons à des filiales. Parallèlement, un plafond trop bas pourrait, par exemple, avoir pour effet de brider l’action de grands musées publics. À quel niveau se situerait, selon vous, un plafond qui soit à la fois efficace et acceptable ?

Troisièmement, vous proposez que le taux de réduction d’impôt soit modulé en fonction des structures ou des politiques. Quelles sont, selon vous, les politiques qui devraient être considérées comme prioritaires ? Je parle de politiques non en termes de contenu, mais en termes d’efficience de la défense publique.

Quatrièmement, j’ai du mal à faire la distinction entre ce qui relève de la politique de mécénat des entreprises et ce qui relève de ce qu’on appelle la politique de RSE. Vous avez ébauché nombre de possibilités, mais il faudrait, sur ce point particulier, que nous envisagions la façon de pousser la réflexion plus loin.

Enfin, nous avons constaté que l’évaluation des niches fiscales que constituent le mécénat, mais aussi l’ensemble des crédits d’impôt en faveur du cinéma, de l’audiovisuel et de la culture, ne figurait plus, cette année, dans les documents de présentation du PLF, alors que c’était le cas depuis très longtemps, ce qui a provoqué chez moi une certaine colère dont j’ai d’ailleurs fait part à la presse. Avez-vous recueilli auprès de Bercy des éléments sur cet abandon ? Vous avez été très clair dans vos propos : la dépense est mal analysée, la progression par ressauts ne fait l’objet d’aucune étude rétrospective ni prospective. Aussi aimerais-je savoir si Bercy vous a fourni des explications sur l’abandon, contraire à vos préconisations, de cette évaluation.

Vous avez fait référence, au début de votre propos, à Mécène. À la fin de sa vie, dans ses Lettres, Sénèque se moquait beaucoup de Mécène. Je ne sais pas si vous êtes le nouveau Sénèque, mais il faut au moins, face aux abus de droit et aux abus de niche, que nous coupions ce lien incestueux entre la générosité publique et les entreprises. N’est-ce pas, après tout, ce à quoi s’est employé Sénèque s’agissant de Néron et d’Agrippine ?

M. Gilles Carrez, rapporteur spécial (Patrimoines). Je remercie la Cour des comptes pour la qualité de son travail, qui va nous être très utile.

Pour avoir vécu l’élaboration de la « loi Aillagon », je peux vous dire que cette loi a dépassé les espérances de ses auteurs.

Si nous reconnaissons la nécessité d’encourager le mécénat d’entreprise, qui est indispensable, nous sommes toutefois confrontés à la question qui doit en permanence animer notre commission : comment dépenser mieux en dépensant moins ? Tous les ingrédients sont réunis pour que la dépense fiscale liée au mécénat continue de progresser, pour dépasser bientôt le milliard d’euros, sans aucun contrôle et en dehors de tout cadre de politique publique assumée – ce qui, à mes yeux, est encore plus grave.

En 2003, une dépense fiscale a été mise en place par une loi spécifique, et non par la loi de finances, pour éviter, précisément, le passage en commission des finances, et ce sans aucune étude d’impact. Le coût annoncé à l’époque était de 20 ou 30 millions d’euros, mais a atteint, dès 2004, 80 ou 90 millions d’euros.

Nous avions mauvaise conscience, ce qui nous avait conduits, ainsi quil arrive souvent dans notre beau pays, à passer dun extrême à lautre. Ce nest quen 1987 que la France a reconnu le mécénat et favorisé les fondations. Auparavant, la France était à la traîne des autres pays. Nous nous sommes donc rattrapés et, en 2003, nous avons donc mis en place dun seul coup, sans étude dimpact, le système le plus avantageux dEurope, à savoir une réduction dimpôts de 60 % à laquelle sajoutent des possibilités de contreparties pouvant atteindre 25 %. Ainsi, sur une somme versée de 100 000 euros, le donateur peut récupérer 85 000 euros : 60 000 euros sous forme de réduction dimpôt et 25 000 euros sous forme de locations ou de billets gratuits, indépendamment des retombées commerciales pour lentreprise.

Depuis 2003, une suite d’évolutions a rendu ce dispositif fiscal encore plus avantageux, ce qui a conduit à la multiplication des fondations d’entreprise. En 2000, sous une précédente majorité, nous avons permis aux fondations d’entreprise de porter le nom de l’entreprise elle-même. Vous imaginez ce qui s’est passé : il s’en est créé par centaines, sinon par milliers.

De plus, aux termes de l’arrêt Persche rendu en 2009 par la Cour de justice de l’Union européenne, un Français qui a une action de mécénat, par exemple, au Portugal ou aux Pays-Bas peut la déduire de ses impôts. Les groupes multinationaux peuvent donc bénéficier de ce dispositif extrêmement favorable pour l’ensemble de l’Union européenne.

Depuis, on a progressivement abaissé le taux de l’impôt sur les sociétés, action qui se poursuivra dans les prochaines années et qui est une bonne chose. Mais il faut se rendre compte que plus le taux de l’impôt sur les sociétés est faible, plus l’avantage comparatif d’une réduction d’impôt de 60 % est fort.

Par ailleurs, la notion dintérêt général est, dans notre pays, plus quextensive. Par curiosité, je me suis procuré le formulaire CERFA 11580 sur les reçus au titre des dons à certains organismes dintérêt général. La liste est sans fin, on peut donner à qui lon veut. Singularité française, un organisme bénéficiaire peut déclencher la dépense publique sans même avoir besoin dattestation ni dagrément fiscal. Par ailleurs, de par lextension de la RSE, notamment dans le cadre de la loi PACTE, la frontière entre lintérêt commercial de lentreprise et le mécénat sera de plus en ténu. Les entreprises qui avaient la taille suffisante se sont structurées en créant des directions du mécénat, souvent liées à leur direction commerciale même si elles en sont apparemment indépendantes, et ont construit de véritables politiques de mécénat dentreprise. Près de la moitié de la dépense fiscale, estimée à 900 millions deuros, est concentrée sur vingt-cinq entreprises. LVMH représente 8 % de la dépense fiscale depuis 2004. Je vous invite à visiter le musée construit par Frank Gehry, cest superbe ! La première annonce concernant le musée, en 2006, faisait état dun montant de 100 millions deuros. À la fin, la facture sélevait à un peu plus de 900 millions, soit une augmentation des coûts supérieure à celles du Grand Paris Express ou de la Philharmonie de Paris, à cette différence que, sur ces 900 millions deuros, 60 % bénéficient de réductions dimpôts. Le musée a donc été financé pour plus de 500 millions deuros par des crédits publics, sans que personne, à aucun moment, ait été au courant de lévolution progressive de lenveloppe !

Il n’y a en effet aucun suivi de l’administration : Bercy a renoncé. Il faut être très clair : tous les arbitrages depuis quinze ans sur ces sujets sont systématiquement perdus par Bercy. La dépense est rattachée à la DJEPVA, dont l’enveloppe budgétaire doit avoisiner les 200 millions d’euros. Comment demander à ces malheureux qui ne sont dotés que de 200 millions de crédits budgétaires de critiquer une mesure qui leur rapporte des centaines de millions par la voie de la dépense fiscale ?

Le système en lui-même ne permet aucun dispositif de contrôle. Pour l’avoir vécu depuis quinze ans, je suis persuadé qu’aucun gouvernement n’y parviendra. Dès lors, il appartient à la commission des finances d’agir, en créant un groupe de travail qui produira un travail étayé, réfléchi, transpartisan, d’où l’intérêt extrême du rapport de la Cour, et fera des propositions en vue de la loi de finances pour 2020. Nous nous y sommes déjà un peu essayés pour le PLF 2019, et je salue les efforts du rapporteur général, même s’il s’est rendu compte assez rapidement qu’il fallait faire retraite, étant donné la difficulté d’obtenir ne serait-ce que la mise en place d’une déclaration par les organismes bénéficiaires au-delà de 153 000 euros de dons...

Mais nous aboutirons. Il faut que nous fassions un travail transpartisan et incontestable, car si le mécénat est nécessaire et doit être préservé, on ne peut laisser les choses en l’état, sans quoi cette enveloppe non contrôlée continuera d’exploser. Dépensons moins en dépensant mieux ! S’agissant du mécénat, c’est tout à fait possible.

Merci à la Cour des comptes, et merci au rapporteur général !

M. Daniel Labaronne. Un certain nombre de travaux académiques ont démontré que l’engagement des entreprises en matière de RSE était pour elles un facteur d’efficacité et de performance. Il est possible de considérer que le mécénat est aussi une façon de créer des liens autour de projets d’intérêt général qui rassemblent et engagent les salariés.

La responsabilité sociétale des organisations est un facteur d’efficacité, mais également d’attractivité de notre territoire pour des entreprises étrangères. L’efficacité et l’attractivité recèlent de la croissance économique, de l’investissement, de l’emploi, des recettes fiscales. Aussi ne faut-il pas négliger cet aspect des choses.

Des laboratoires de recherche étudient l’impact de la responsabilité sociale sur l’efficacité des entreprises et sur l’attractivité du territoire. Ne serait-il pas nécessaire de les associer à nos travaux ?

M. Patrick Hetzel. À mon tour de remercier les membres de la Cour et vous-même, monsieur le président Durrleman, pour le travail qui a été réalisé. Non seulement il est extrêmement clair, mais il pointe aussi les enjeux. Les paliers que vous évoquiez d’un point de vue financier donnent, il faut bien le dire, un peu le tournis ! Que cette dépense fiscale fasse partie des vingt-cinq dépenses fiscales les plus importantes doit nous interpeller.

Pour ne pas revenir sur les sujets déjà abordés, je me limiterai à deux questions. La première concerne les différents statuts juridiques. Je sais que votre angle d’analyse était davantage financier, mais vous évoquez dans votre rapport, aux pages 123 à 125, huit statuts juridiques. Vous précisez fort judicieusement que, l’année dernière, un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) prévoyait une simplification du dispositif, notamment en supprimant les quatre statuts sectoriels. Vous faites également référence à une proposition plus radicale encore de la Fondation de France, qui propose de passer de huit à deux statuts. Cependant, vous ne précisez pas la position de la Cour. Il appartient certes au législateur de trancher à un moment donné, mais au vu de l’expertise que vous avez développée sur cette question, nous aimerions savoir s’il faut plutôt, selon vous, aller dans la direction préconisée par l’IGF ou dans celle préconisée par la Fondation de France, et entendre les arguments pour et contre chacune des deux solutions.

J’en viens à ma seconde question. Disposez-vous de données chiffrées sur les fondations universitaires, mises en place dans le prolongement de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités ? Il serait intéressant de savoir ce qu’il en est, la question du financement de l’enseignement supérieur étant un enjeu majeur.

M. Jean-Paul Mattei. Le rapport est passionnant. Nous pouvons nous féliciter de l’initiative qui a été prise, de la qualité de vos explications et de la synthèse que vous venez de porter à notre connaissance. En fait, vous soufflez le chaud et le froid, et l’on sent bien qu’il faut maintenir le mécénat tout en le régulant comme l’a démontré brillamment M. Gilles Carrez.

Vous évoquez dans votre rapport le financement public indirect des grands centres d’art contemporain porté par le mécénat d’entreprise. Avez-vous étudié les performances de ces centres en termes de programmation, d’attractivité et de rayonnement de notre pays ? Dans le contexte de diminution des crédits alloués au ministère de la culture, ne s’agit-il pas là d’une façon originale de maintenir le budget ?

J’en viens à vos propositions. Quelles réactions suscite la proposition de diminuer de 10 ou 20 points le taux actuel de la réduction d’impôt ? Avez-vous eu des retours des grands musées qui bénéficient du mécénat des entreprises ? Envisagez-vous l’encadrement des modalités de création, de fonctionnement et de contrôle des fondations dites « abritées » ? Quel serait l’impact de telles modifications sur les fondations actuellement en activité ? Des simulations ont-elles été produites sur ce sujet ?

Enfin, s’agissant des dispositions du projet de loi PACTE relatives à l’élargissement de l’objet social des entreprises, pensez-vous que le glissement se fera à périmètre constant, ou que les entreprises consacreront un budget supplémentaire à ces nouvelles actions de mécénat ?

Mme Christine Pires Beaune. J’exprimerai d’abord le regret que l’engagement pris de communiquer les rapports avant les auditions n’a pas été tenu ; je ne l’ai en effet pas reçu.

Je remercie les magistrats de la Cour des comptes pour leur travail et Gilles Carrez d’avoir choisi ce thème, car on s’aperçoit qu’il y a matière à agir : une dépense fiscale de 900 millions d’euros est tout sauf neutre et les parlementaires sont en droit de vérifier l’efficience de cette dépense.

La proposition de constituer un groupe de travail transpartisan me convient. Cela nous permettra d’avoir un peu de temps devant nous, dans la perspective du PLF 2020, même si je pense, peut-être à tort, que certaines mesures pourraient être prises dès maintenant puisque le PLF 2019 est en première lecture au Sénat.

Je reviens sur trois points. Sur l’intérêt général, vous avez indiqué qu’il serait défini de manière large, voire trop large. Avez-vous des exemples de définition abusive de l’intérêt général ?

Vous avez évoqué le nombre élevé d’entreprises qui créent leur propre fondation et la multiplication de ces fondations. Selon vous, ce phénomène est-il compatible avec la notion de désintéressement sur laquelle vous avez insisté ?

Enfin, vous avez dénoncé un écart entre le nombre d’entreprises qui déclarent une réduction d’impôt au titre du mécénat et le nombre d’entreprises mécènes. Je n’ai pas bien compris. Cet écart s’explique-t-il par des sources différentes ? Pouvez-vous préciser ce point ?

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Madame Pires Beaune, nous avons reçu le rapport par courriel, dont vous avez été destinataire, le 21 novembre.

M. Vincent Ledoux. Je veux d’abord saluer l’intuition de Gilles Carrez et la qualité du rapport.

Ma première question a trait au lien entre le mécénat et les communes. Gilles Carrez préconise de « dépenser mieux pour dépenser moins ». C’est aussi ce que se disent les maires. Lorsque le maire que j’ai été pendant plus de dix-sept ans peinait à financer les associations, il leur disait de se tourner vers le mécénat. Je soulève la difficulté que rencontrent parfois nos associations, puisque 4 % du financement associatif relève du mécénat, soit un pourcentage extrêmement faible. Souvent, d’ailleurs, elles confondent mécénat et sponsoring. Toujours est-il que c’est sur ce lien que je m’interroge : comment expliquer sa faiblesse ? Contrairement aux entreprises, qui créent des départements de mécénat, les communes en sont dépourvues. Le mécénat pourrait-il être l’avenir du financement associatif dans nos territoires ?

Ma seconde question porte sur le rôle des pôles territoriaux du mécénat. Certains sont en cours de création, d’autres en cours de redynamisation. À ma connaissance, celui des Pays de la Loire fonctionne bien. À l’initiative du ministre de la culture, il rassemble, autour des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), divers partenaires : chambres consulaires, ordres professionnels, collectivités locales, fondations. La formule vous paraît‑elle intéressante en termes d’animation du territoire ?

M. Éric Coquerel. Je me joins aux félicitations adressées à la Cour.

On voit pour le moins qu’un flou artistique entoure la question du mécénat d’entreprise. On en mesure par ailleurs le coût : 930 millions d’euros. C’est l’une des principales dépenses fiscales, alors même que l’on a du mal à en décrire les effets et à déterminer le type des entreprises bénéficiaires. Cela pose plusieurs problèmes. Mon collègue Ledoux a demandé si le mécénat n’était pas l’avenir du financement des associations. C’est précisément ce que je crains, car on voit bien les dérives que cela pourrait engendrer : par le biais des grandes entreprises, le privé déciderait de l’intérêt général. Nous aurions tout intérêt à revenir sur ce dispositif et à plafonner la réduction d’impôt, comme le proposait l’un de nos amendements.

Nous ne sommes pas d’accord sur la nécessité de baisser le taux de l’IS, mais je rejoins le propos de M. Carrez : dès lors que ce taux baisse, le crédit d’impôt lié au mécénat devient proportionnellement plus avantageux. C’est pourquoi notre groupe est favorable au plafonnement du dispositif.

Nos propositions sont autant d’interrogations que nous portons au débat. Il nous semble que l’État devrait être le seul garant des actions d’intérêt général, qu’il faut davantage de contrôles et d’évaluations de sa part, que le mécénat ne peut se résumer à une dépense de guichet ; or, c’est ce qui se passe pour l’heure.

Nous demandons également que soit établie une annexe au projet de loi de finances – un « jaune budgétaire » – sur les dépenses fiscales destinées au mécénat, afin que ce dispositif qui a littéralement explosé soit mieux encadré. C’est aussi, me semble-t-il, l’une des propositions de la Cour des comptes.

S’agissant d’art, j’ai cru entendre dire que Mme Pénicaud s’était permis un crédit d’impôt via une fondation pour exposer ses propres œuvres. Mais peut-être ne s’agissait-il pas du même dispositif. Toujours est-il que les frontières entre intérêt général et intérêt artistique sont poreuses...

M. Jean-Paul Dufrègne. Je ne veux pas être en reste et je me joins aux félicitations adressées aux auteurs du rapport pour la qualité de celui-ci. Il arrive que l’on s’ennuie un peu en lisant certains rapports. En l’occurrence, nous ne nous sommes pas ennuyés et nous avons reçu des informations très intéressantes, qui suscitent chez nous des interrogations.

Vous avez indiqué que la dépense a progressé par paliers. Inversement, la baisse des dotations aux collectivités a entraîné, au moins dans mon département, de fortes baisses des subventions aux associations organisant des événements importants. Cette baisse a-t-elle eu pour contrepartie une progression du mécénat des entreprises, que l’État a encouragé les porteurs de projets à solliciter ?

La suppression de la réserve parlementaire, fort mal compensée, a le même effet. Actuellement, le réflexe consiste à encourager les structures à se tourner vers le mécénat. Cela permet-il vraiment une augmentation des financements ? Vous avez parlé de 900 millions d’euros, mais il est vrai que, si l’on supprimait le mécénat, on ne gagnerait pas pour autant 900 millions, car il faudrait mettre en place de nouveaux dispositifs pour accompagner divers secteurs.

Le leitmotiv actuel est « dépenser mieux pour dépenser moins ». Mais ne peut-on dépenser mieux tout en dépensant autant en faveur des structures qui reçoivent l’argent ? Moi aussi, je suis pour un dispositif plus vertueux et moins flou, et le fait que la baisse de l’IS n’ait pas été accompagnée d’une étude d’impact sur ce point est une lacune que je veux souligner.

Mme Émilie Cariou. Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport qui nous éclaire quant aux limites de la politique fiscale menée depuis une quinzaine d’années, et qui consiste à relancer l’économie par un crédit d’impôt massif et puissant. On a franchi un cap en passant de la déduction d’une charge à la création d’un crédit d’impôt qui paraît aujourd’hui surcalibré lorsqu’on y ajoute la baisse de l’IS.

Cela étant, il existe différents types de mécénat. Êtes-vous favorables à l’application de taux variables en fonction de l’objectif visé : social, culturel, patrimonial ou autres ? Vous déplorez par ailleurs que la DGFiP ne maîtrise pas le phénomène, mais son rôle, à vrai dire, consiste à acter la réalité de certaines dépenses, non à fixer les politiques publiques.

Constituer un groupe de travail me paraît le moins que l’on puisse faire, car l’analyse du mécénat requiert un travail de dentelle, une étude approfondie des politiques publiques afin de réorienter les dépenses.

M. Julien Aubert. Il y a deux manières d’aborder le dispositif : soit prendre acte du fait qu’il coûte très cher sans savoir exactement comment il est dépensé ; soit s’organiser pour en rendre les objectifs plus efficaces.

L’État ne devrait-il pas décider, chaque année, de mettre l’accent sur tel ou tel objectif défini par lui ? Les entreprises qui feraient une action de mécénat dans un secteur déterminé bénéficieraient, par exemple, d’un taux de défiscalisation de 66 %, tandis que celles qui opteraient pour des objectifs autres que ceux fixés par le Gouvernement se verraient appliquer un taux réduit. L’État déterminant l’objet du mécénat, on obtiendrait un effet de masse. L’année où l’on décréterait, par exemple, la lutte contre le cancer pédiatrique grande cause nationale, peut-être connaîtrait-on un afflux de ressources.

Ne faudrait-il pas aussi inclure le critère d’aménagement du territoire ? Le problème réside dans l’accès à la fondation d’entreprise. Quand on recherche des fonds à Paris, il est sans doute plus facile de savoir qui finance et quelles sont les politiques à l’œuvre. Quand on cherche de l’argent pour aider l’abbaye de Sénanque dans le Vaucluse, comme c’est mon cas, c’est un peu plus compliqué. Ne devrait-on pas prendre en compte la manière dont cet argent est dépensé sur l’ensemble du territoire ?

M. Jean-René Cazeneuve. Tous les dons des entreprises ne passent pas par les fondations. Dispose-t-on des volumes comparés de ces dons ? Y a-t-il des écarts de fiscalité selon que l’on verse directement à des associations ou que l’on passe par des fondations ?

Ne faut-il pas sanctuariser les dons faits sous forme de produits alimentaires aux grandes associations comme les banques alimentaires ou les Restaurants du cœur ? Et pensez‑vous que les mesures de contrôle doivent couvrir ce type de don ?

Mme Véronique Louwagie. Je m’associe aux remerciements qui vous sont adressés, monsieur le président Durrleman, pour votre travail.

Une remarque d’abord à destination de mes collègues : soyons vigilants quant au fait que l’ensemble des dispositions en question soient vues par la commission des finances.

Monsieur le président, disposez-vous des données sur le nombre et la nature des contrôles fiscaux opérés ? Par exemple, en matière de crédit d’impôt recherche, les entreprises sont assez bien contrôlées. Disposez-vous d’éléments en ce qui concerne le mécénat ?

M. Jean-Louis Bricout. Je remercie la Cour pour ses brillantes explications, qui nous étaient nécessaires.

Le niveau atteint par la dépense fiscale fait courir un risque de privatisation de l’action publique. Il est nécessaire de mieux maîtriser et de mieux évaluer cette dépense, et d’imposer les choix des pouvoirs publics en matière d’orientations générales, comme le disait notre collègue Aubert.

Ainsi que l’a souligné notre collègue Dufrègne, les besoins des associations sont considérables, notamment depuis la suppression de la réserve parlementaire. Or, on ne peut s’empêcher de penser que le mécénat est plus soucieux d’optimisation fiscale, de marketing, d’image que des besoins réels des associations. C’est pourquoi j’aurais souhaité une conception plus territorialisée du Fonds pour le développement de la vie associative, afin que les territoires qui en ont le plus besoin y aient davantage accès.

Enfin, vous avez évoqué, monsieur le président Durrleman, l’évolution par paliers de la dépense, liée sans doute, justement, aux préoccupations de défiscalisation et de marketing des entreprises. N’avez-vous pas le sentiment que cette évolution va contre le besoin de maintenir des politiques d’intérêt général qui servent d’amortisseur en période de crise économique ?

M. Michel Castellani. Concret et précis, le rapport a le vif intérêt de nous fait prendre conscience de l’importance du mécénat pour la vitalité de secteurs comme ceux de l’art, du patrimoine ou autres.

Le rapport préconise de limiter le dispositif ou, en tout cas, de mieux le contrôler et l’encadrer. J’analyserai la question d’une façon un peu différente, en posant la question suivante : comment développer ce dispositif auprès des petites et très petites entreprises dans les régions périphériques, afin de soutenir des opérations, certes moins importantes, mais mieux adaptées à une vie économique plus modeste ?

M. Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes. Plusieurs de vos questions s’intéressent aux dons alimentaires, et plus généralement aux dons en nature. Ces dons occupent une place non négligeable dans certains secteurs. Nous avons cité les banques alimentaires, nous pourrions citer d’autres institutions. C’est ce qui explique sans doute, pour une part, la montée de la grande distribution au palmarès des entreprises mécènes, en particulier depuis les modifications législatives de 2016-2017. La première entreprise pour le mécénat déclaré est un grand groupe de distribution. Parmi les cinq premières entreprises mécènes, on compte trois distributeurs. C’est important, pour certaines entreprises comme pour certains bénéficiaires. Selon le « baromètre du mécénat » de l’association Admical, les dons en nature ne représentent que 3 % de la dépense globale de mécénat ; le mécénat de compétences représente 11 %, le reste est constitué de dons financiers.

Lorsque l’on demande aux organismes bénéficiaires de déclarer les dons qu’ils reçoivent, on rencontre une certaine difficulté. Jusqu’à maintenant, ces organismes n’évaluent pas, et il ne leur est pas demandé de le faire, les denrées qu’ils reçoivent. Il faut donc qu’ils interrogent les grands groupes de distribution pour rendre compte de leurs recettes.

La seconde question, sous-jacente et d’un ordre un peu différent, est de savoir si un plafonnement trop strict, compte tenu de l’importance que représentent ces dons alimentaires, n’aurait pas un effet sur l’alimentation, sans jeu de mots, des banques alimentaires. C’est un point auquel il faut être sensible, car les dons alimentaires sont essentiels à un certain nombre de nos concitoyens. Je crois que les grands groupes de distribution ont profité, si vous me permettez l’expression, d’un effet d’aubaine qui leur a permis de déclarer ces dons alimentaires au titre du mécénat. Nous proposons donc de limiter, non pas le montant des dons, mais l’avantage fiscal lié au don : par exemple, au-delà d’un certain nombre de millions d’euros, le taux de déduction pour la tranche supérieure ne serait pas de 60 %, mais de 50 % ou de 40 %. La liberté du don serait ainsi maintenue, mais sans optimisation de l’avantage fiscal. La logique du dispositif veut qu’on laisse l’entreprise libre de donner le montant qu’elle veut. En revanche, la puissance publique serait légitime, au-delà d’un certain seuil, à limiter l’avantage fiscal qui en résulte. Plafonner l’avantage plutôt que la dépense nous semblerait une piste intéressante à explorer.

La modulation selon les structures est une piste. Elle existait pour l’impôt de solidarité sur la fortune, puisqu’il était possible d’affecter une part de cet impôt à des fondations reconnues d’utilité publique, à d’autres types de fondations et même à des associations reconnues d’utilité publique. Un tel dispositif nous paraît envisageable.

La modulation par secteur d’intervention est une question bien plus complexe, ne serait-ce qu’en raison de la nature du mécénat lui-même. Nous soulignons en effet la mixité du mécénat, qui est à la fois culturel, éducatif, social et environnemental. Dans le domaine culturel, à côté du dispositif général relevant de l’article 238 bis du code général des impôts, des dispositifs spécifiques ont visé à encourager de manière spécifique certains mécénats d’entreprise, par exemple pour les trésors nationaux. À cet égard, on peut donc dire qu’il existe déjà une forme de surmodulation au bénéfice de certains secteurs de l’activité culturelle.

Le dispositif est, par la force des choses, très mal étudié car il n’existe nulle part d’obligations déclaratives, ni de la part des bénéficiaires ni de celle des entreprises donatrices, qui déclarent sur une seule ligne leurs dépenses de mécénat. Le dispositif papier qui préexistait était un peu plus complet, mais il a été remplacé, dans le cadre de la simplification des obligations pesant sur les entreprises, par la télédéclaration du montant global.

Paradoxalement, aujourd’hui, les obligations qui pèsent sur les entreprises trouvent leurs sources ailleurs que dans le code général des impôts : on les trouve dans le code du travail et dans le code de commerce. Le code du travail prévoit ainsi la possibilité pour le comité d’entreprise de se voir soumettre la liste des actions de mécénat de l’entreprise ; cela renvoie à ce que nous avons dit sur l’importance de ce qu’on pourrait appeler l’affectio societatis des parties prenantes de l’entreprise. Le code de commerce, quant à lui, dispose que les actionnaires peuvent avoir communication des dépenses de mécénat de l’entreprise et de la liste nominative des actions et des bénéficiaires. Ces obligations sont peu respectées, mais elles ont le mérite d’avoir un ancrage législatif dans deux codes autres que le code général des impôts.

Le fait que le mécénat soit facteur d’efficacité interne et de cohésion pour les entreprises est très marqué et explique le grand changement qui s’est opéré ces dernières années. Très longtemps, le mécénat a été le fait du seul chef d’entreprise et les actions de mécénat très liées à lui. Aujourd’hui, pour beaucoup d’entreprises, c’est un mécénat décentralisé, territorialisé, qui s’intéresse à des projets dans le ressort géographique des sites où les entreprises ont des implantations. Beaucoup nous l’ont dit, mais le fait est difficile à objectiver, faute de savoir qui sont les bénéficiaires de ces actions de mécénat.

Sur les statuts juridiques et leur simplification, entre l’IGF et la Fondation de France, nous sommes « agnostiques » quant aux solutions. Je ne dis pas que nous soyons comme l’âne de Buridan... Mais les deux sont concevables. Quoi qu’il en soit, la prolifération, par une sorte de scissiparité, de toutes ces entités affaiblit le contrôle minimal qui doit s’exercer sur des institutions qui, malgré tout, bénéficient certes de l’argent du privé, mais aussi d’un soutien public tout sauf négligeable.

M. Michel Clément, conseiller maître, président de section à la Cour des comptes. S’agissant des fondations universitaires, l’enquête de la Cour n’est pas partie des différents types de structures, mais de la dépense fiscale. Nous ne disposons donc pas de chiffres cumulés relatifs aux différents types de fondations créées suite à la loi de programme de 2006 sur la recherche ou de la loi de 2007 sur l’université. Ce qui est certain, c’est que les financements sont assez différents de ceux des fondations bénéficiant du mécénat, en ce sens que les fondations universitaires gèrent une majorité de crédits publics, mais profitent de règles dérogatoires quant au fruit des placements. Nous ne connaissons pas le montant cumulé de ce qui a été levé auprès de ces différentes fondations – l’espoir du législateur étant, bien évidemment, de lever des fonds privés.

M. Gilles Carrez. Vous n’avez pas évoqué les fonds de dotation. Dans le rapport, pourtant, vous avez pointé certaines dérives de celui qui a été créé pour la Société du Grand Paris.

M. Antoine Durrleman, président de chambre à la Cour des comptes. Les fonds de dotation sont, pour l’instant, la limite ultime de la souplesse. C’est ce qui se crée le plus simplement et qui est le moins contrôlé. La dynamique de création est telle que même les services des préfectures sont totalement incapables de les suivre. La direction des affaires juridiques de Bercy avait créé un observatoire des fonds de dotation, qui n’a plus de vie réelle ni de fonctionnement. Il existe une véritable difficulté sur ce point. À la suite du rapport que vous avez demandé à la Cour, le ministère de l’intérieur a sollicité l’Inspection générale de l’administration afin qu’elle dresse un état complet des modalités de contrôle de ces structures. Vous disposerez donc dans quelque temps, sans doute, d’éléments un peu plus documentés.

La multiplication de ces structures, ajoutée à la définition très large des causes d’intérêt général, explique le peu de clarté des textes. L’article 238 bis du code général des impôts est, si vous me passez l’expression, clair comme la bouteille à l’encre, une sédimentation s’étant formée entre les causes et les organismes bénéficiaires. On agrémente en permanence cet article 238 bis de nouveaux organismes bénéficiaires, ce qui le rend illisible et participe de la perte de clarté du dispositif.

S’agissant des fondations abritées, le paradoxe est total. Elles ne peuvent être créées qu’au sein de fondations reconnues d’utilité publique, lesquelles sont créées selon une procédure très lourde. D’abord, elles doivent disposer de capitaux : une fondation n’est pas une association. Une association rassemble des personnes qui portent ensemble un projet ; une fondation est formée de fondateurs qui rassemblent des capitaux au bénéfice d’une cause afin d’assurer la pérennité de l’action. Une fondation requiert donc un minimum de capitaux, nécessite un passage devant le ministère de l’intérieur, puis devant la section de l’intérieur du Conseil d’État qui examine les statuts et le règlement intérieur. Un décret en Conseil d’État est ensuite nécessaire pour créer la fondation. La fondation abritée, quant à elle, se crée par décision du conseil d’administration de la fondation reconnue d’utilité publique, sans aucune condition ni formalités. Extrême rigueur d’un côté, extraordinaire souplesse de l’autre, d’où, selon nous, un mauvais équilibre entre les deux qui explique certaines dérives.

Nous ne disons pas de mal des fondations d’art contemporain en tant que telles : nous constatons simplement qu’elles drainent des fonds considérables et qu’elles concourent très puissamment à l’attractivité de la région parisienne. C’est ainsi qu’il existe une différence territoriale forte entre Paris et le reste du pays. Si ces fondations n’ont pas d’effet d’éviction sur la fréquentation des institutions publiques, la question reste ouverte de savoir si une entreprise qui a choisi de créer sa fondation d’art contemporain aurait aussi puissamment contribué à un mécénat en faveur d’autres institutions publiques. Ce n’est évidemment pas certain, même si l’on constate qu’aucune entreprise ne consacre 100 % de ses fonds de mécénat à sa seule action, mais qu’elles continuent de procéder à des apports en mécénat à des institutions publiques.

La question des frontières entre mécénat et RSE nous paraît se poser. L’élargissement de l’objet social de l’entreprise lui permettra d’intervenir en RSE selon les conditions de droit commun et risque progressivement d’évider la légitimité du dispositif fiscal dérogatoire. Lorsque nous avons entendu les représentants de l’association Admical et ceux de la Fondation de France, qui gère l’observatoire des fonds, des fondations et associations, nous avons été très frappés par l’acuité de leurs inquiétudes à cet égard. Selon eux, l’assimilation de la RSE au mécénat est extrêmement dangereux, et susceptible de remettre en cause les conditions favorables du soutien public au mécénat. Il nous semble que la question se pose aujourd’hui.

Les fondations d’entreprise se sont largement développées. C’est un outil qui est dans la main des fondateurs, le contrôle de l’État étant assez éloigné. Les fondations d’entreprise ont été d’un apport utile à des causes d’intérêt général mais, dans un certain nombre de cas, on relève l’importance de la dimension médiatique, ce qui est une grande nouveauté par rapport au moment de la création de ces fondations en 1990. En 2000, elles ont reçu la possibilité de se nommer du nom de l’entreprise mécène ; aujourd’hui, on constate que l’entreprise mécène recherche des bénéfices d’image. Elle peut aussi rechercher des bénéfices secondaires si l’on pense à une grande fondation parisienne que nous avons contrôlée. Le fait que le même groupe installe à proximité de sa fondation un ensemble consacré aux métiers d’art, non pas sous forme de fondation, mais sous forme de société commerciale, pose un certain nombre de questions. Le public qui visite la fondation aura tendance naturellement à se rendre sur l’autre site situé à proximité. Un flou peut ainsi se créer et s’instituer.

L’écart entre le nombre d’entreprises déclarant une réduction fiscale et le nombre d’entreprises qui sont effectivement mécènes ne résulte pas d’études très documentées, mais d’études construites et diligentées par des associations au moyen de sondages confiés à des institutions reconnues. Si l’on mesure imparfaitement cet écart, son existence et son importance posent évidemment question.

La dimension des pôles territoriaux est importante. Le pôle Pays de la Loire constitue un modèle pour beaucoup d’autres régions. Nous nous sommes rendus en Normandie et en Centre-Val de Loire, où nous avons pu mesurer la volonté collective de structurer des points d’appui, en particulier autour des DRAC.

Le mécénat local et territorial peut-il être un palliatif du désengagement des collectivités territoriales de l’aide aux associations ? Peut-être sur quelques sujets, sans doute pas d’une manière générale, car le mécénat local est le fait de petites structures, de PME et de TPE dont les moyens ne sont pas extensibles, et dont l’action est de toute façon bridée par les règles actuelles de plafonnement. On estime par exemple que 16 % des TPE sont bloquées par le plafond du chiffre d’affaires. Le déblocage évoqué de ce plafond, qui serait remplacé par une franchise de 10 000 euros, peut aider les projets du tissu associatif local.

S’agissant des contrôles fiscaux, vous trouverez toutes les informations dont nous disposons dans le rapport lui-même. Nous avons étudié les services qui contrôlent les grandes entreprises et celles qui contrôlent les PME, plus spécifiquement en Île-de-France. Les contrôles sont assez limités et ténus, et ce pour une raison assez simple : l’administration fiscale connaît très mal la réalité de la dépense de mécénat des entreprises. Elle reçoit une télédéclaration de cette dépense, mais ne sait pas vers quel secteur s’oriente ce mécénat, et n’en connaît pas non plus les destinataires. En un mot, elle ne dispose pas des éléments pour construire une politique de contrôle.

Voilà quelques éléments de réponse, sans doute trop rapides.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Monsieur le président Durrleman, au nom de la commission, je vous remercie, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, de votre contribution et des réponses apportées à toutes nos questions.

Je souhaite à toutes et à tous une intense réflexion après la présentation de ce rapport fort intéressant.


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

 

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 9 heures 30

Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, M. Michel Castellani, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. M’jid El Guerrab, M. Nicolas Forissier, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, M. Romain Grau, Mme Olivia Gregoire, M. Patrick Hetzel, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, Mme Valérie Lacroute, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie‑Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Sylvia Pinel, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Jacques Savatier, M. Benoit Simian, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Jean-Pierre Vigier, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Stanislas Guerini, M. Alexandre Holroyd, M. Olivier Serva, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion. - M. Bruno Bonnell, M. Raphaël Gérard, Mme Cathy Racon-Bouzon

 

 

 

 

 

 

 

 

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