Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

     Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, et discussion générale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (n° 1844) (M. Rémy Rebeyrotte, rapporteur)                            2

 

 

 

 

 


Mardi
11 juin 2019

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 83

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


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La réunion débute à 16 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, et discussion générale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace (n° 1844) (M. Rémy Rebeyrotte, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour procéder à l’audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, et à la discussion générale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace dont le rapporteur est M. Rémy Rebeyrotte.

C’est un texte important et particulier que nous allons examiner, un texte qui touche à notre organisation territoriale et qui traduit l’engagement du Gouvernement de répondre concrètement aux besoins que font remonter les territoires.

Répondant à la demande formulée conjointement par les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le Gouvernement a décidé par un décret du 27 février 2019 que ces deux départements seraient regroupés à partir du 1er janvier 2021 en un nouveau département prenant le nom de « Collectivité européenne d’Alsace ». En outre, les présidents des deux conseils départementaux ont trouvé un accord avec le Gouvernement pour que la nouvelle collectivité alsacienne se voie attribuer, en plus des compétences départementales, des compétences particulières justifiées par des spécificités locales.

Déposé sur le bureau du Sénat le 27 février dernier, le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace constitue l’aboutissement de cette démarche. Il a été adopté par le Sénat le 4 avril 2019.

Madame la ministre, je vous remercie d’être parmi nous cet après-midi pour une audition qui vaudra discussion générale. Nous vous retrouverons mardi prochain pour aborder l’examen des articles au projet de loi.

Je remercie également le rapporteur, avec lequel nous nous rendrons à Strasbourg dès jeudi afin de rencontrer des élus locaux, visite qui nous permettra d’appréhender de manière très concrète les spécificités de cette nouvelle collectivité.

Après votre intervention, madame la ministre, et celle du rapporteur, nous passerons aux questions des orateurs des groupes, qui disposent chacun de cinq minutes, puis aux questions des autres membres de notre commission.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je suis heureuse de vous présenter le projet de loi relatif à la Collectivité européenne d’Alsace.

Il présente deux caractéristiques majeures.

Premièrement, il répond à une attente des départements alsaciens. Il est le résultat d’un processus de co-élaboration avec l’ensemble des parties prenantes : les départements, la région, les communes, les intercommunalités, sans oublier les présidents de conseils départementaux des autres départements de la région Grand Est. Nous venons donc accompagner une initiative locale.

Deuxièmement, ce texte vise à trouver des réponses institutionnelles adaptées aux besoins spécifiques des territoires. Nous anticipons ainsi le droit à la différenciation qui est au cœur du projet de réforme constitutionnelle mais à droit constant, comme l’a confirmé le Conseil d’État.

Depuis l’échec du référendum de 2013 relatifs à la création d’une collectivité territoriale unique issue du regroupement du conseil régional d’Alsace et des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et la création de la région Grand Est, l’Alsace n’a eu de cesse de revendiquer une évolution institutionnelle permettant de donner une incarnation à ses territoires.

Une mission a d’abord été confiée en janvier 2018 au préfet de région, M. Jean‑Luc Marx, afin de mener une concertation sur la question institutionnelle alsacienne, sous deux réserves : premièrement, que la région Grand Est conserve son intégrité ; deuxièmement, que les équilibres actuels régissant les répartitions de compétences entre les collectivités soient respectés.

Le préfet a proposé d’opérer un rapprochement des deux départements dans un nouveau département, lequel se verrait confier dans le cadre du droit à la différenciation prévue par la réforme constitutionnelle des compétences complémentaires essentielles tenant compte de son caractère transfrontalier très marqué.

J’ai ensuite été missionnée pour faire aboutir la création de cette nouvelle collectivité. À de nombreuses reprises, je me suis rendue sur le terrain et ai travaillé en lien étroit avec mes collègues du Gouvernement, plus particulièrement Élisabeth Borne et Jean‑Michel Blanquer, que je remercie vivement.

Une déclaration commune engageant le Gouvernement, les deux conseils départementaux ainsi que la région Grand Est a été signée le 29 octobre 2018 par le Premier ministre et les exécutifs des collectivités. Elle prévoit une réponse appropriée pour l’Alsace et trouve une part de sa traduction dans le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.

Plusieurs étapes permettront de concrétiser ce projet de Collectivité européenne d’Alsace.

Tout d’abord, il y a aura une fusion des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin en un seul département. Les deux conseils départementaux ont délibéré en sa faveur – à l’unanimité dans le Haut-Rhin et avec six voix contre dans le Bas-Rhin – le 4 février dernier et le Gouvernement a pris un décret le 27 février dernier pour constituer la Collectivité européenne d’Alsace au 1er janvier 2021.

Ensuite, le projet de loi que je vous présente aujourd’hui procède à l’ajout de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, de tourisme et de transports.

Enfin, le développement des politiques culturelles, économiques ou sportives dont les orientations étaient fixées dans la déclaration commune fait l’objet d’un travail approfondi avec les services déconcentrés de l’État et les autres niveaux de collectivités concernées. Ces politiques seront détaillées dans des actes réglementaires.

Le projet de loi que le Sénat a examiné s’attache à ajouter des compétences suffisamment justifiées par des spécificités alsaciennes pour que le cadre constitutionnel actuel permette de les attribuer de façon pérenne et circonscrite à ce territoire. Ainsi, au 1er janvier 2021, la Collectivité européenne d’Alsace exercera le socle classique des compétences départementales auquel s’ajouteront plusieurs types de compétences.

Il s’agit tout d’abord de compétences en matière transfrontalière : la Collectivité européenne d’Alsace devient chef de file en la matière mais exclusivement sur son périmètre – comme le prévoient l’article 1er du projet de loi. Ainsi aura-t-elle la capacité d’organiser une action collective sans restreindre la capacité d’intervention des autres collectivités intéressées.

A ce titre, elle sera chargée d’établir un schéma alsacien de coopération transfrontalière, non prescriptif, élaboré en association avec l’ensemble des collectivités et des acteurs concernés. Elle aura la capacité, en parfaite cohérence avec la stratégie régionale, de décliner un volet opérationnel sur les projets structurants en matière, par exemple, de santé, de mobilité, et de formation professionnelle. Elle pourra ainsi se voir déléguer par la région, par l’État, ou des établissements de coopération intercommunale (EPCI), des compétences pour la mise en œuvre des projets mentionnés dans le schéma. Ce système de délégations ad hoc est valable pour toutes les collectivités situées sur son territoire.

Il s’agit, deuxièmement, de compétences en matière de bilinguisme pour renforcer ce vecteur culturel et ce facteur de mobilité professionnelle que constitue la langue allemande. Les échanges que nous avons conduits en lien avec Jean-Michel Blanquer m’ont permis d’identifier deux volets particuliers du développement de l’enseignement de l’allemand : l’amélioration de l’attractivité des conditions d’embauche des enseignants d’allemand recrutés par le ministère de l’Éducation nationale ; la possibilité de recruter des intervenants offerte à la Collectivité européenne d’Alsace, en cohérence avec le cadre de recrutement de l’éducation nationale, afin que la langue puisse être enseignée au-delà des heures réglementaires, en complémentarité avec les programmes nationaux. La collectivité contribuera ainsi à la mobilisation d’un vivier qui permettra à l’éducation nationale d’accélérer les recrutements. Celle-ci lèvera les freins qui ont été identifiés. L’État et la collectivité sont fermement engagés à obtenir ensemble des progrès à hauteur des besoins.

Il s’agit, troisièmement, des compétences en matière touristique. Sur son territoire, la Collectivité européenne d’Alsace pourra animer et coordonner l’action des collectivités et des autres acteurs concernés, en cohérence avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs.

Il s’agit, quatrièmement, des compétences en matière d’infrastructures routières. Le projet de loi acte le transfert, la gestion et l’exploitation des routes nationales et des autoroutes non concédées situées en Alsace sur lesquelles, si elle le souhaite, la Collectivité européenne d’Alsace pourra lever des ressources spécifiques contribuant à maîtriser le trafic routier de marchandises. L’enjeu est de régler un problème qui préoccupe les Alsaciens à juste titre et depuis longtemps.

L’ensemble des composantes que je viens de présenter permettra de donner à la Collectivité européenne d’Alsace une véritable substance institutionnelle tout en préservant le nécessaire équilibre avec les autres collectivités locales.

Enfin, je préciserai ce que je retiens de l’examen du projet de loi au Sénat et ce que j’envisage comme perspectives à l’Assemblée nationale.

Les sénateurs ont examiné le texte en première lecture en avril. Ils ont légitimement exercé leur droit d’amendement et le Gouvernement se montrera favorable au maintien de certaines des évolutions qu’ils ont retenues. Cependant, je serai partisane d’un retour au texte initial dès lors que les modifications viennent rompre l’équilibre obtenu. Sans être exhaustive, je citerai plusieurs exemples.

Le Sénat a ouvert la possibilité à tout département métropolitain ou d’outre-mer qui en ferait la demande de se voir attribuer les compétences supplémentaires dont bénéficiera de la Collectivité européenne d’Alsace. Nous considérons que le projet de loi n’a pas vocation à préempter le débat sur le futur droit à la différenciation qu’il vient seulement préfigurer. En outre, il serait de mauvais augures que l’extension à tous d’un modèle conçu pour être adapté à un territoire spécifique soit conçue comme une bonne façon de faire de la différenciation dans l’exercice des compétences. Le projet de loi invite, en revanche, les autres départements qui le souhaitent à suivre un chemin similaire pour élaborer un projet commun à leur échelle afin de répondre aux enjeux qui leur sont propres. La différenciation leur offrira bien sûr un cadre pour ce faire.

Le deuxième exemple concerne le renforcement des dispositions relatives au bilinguisme. La mention dans le texte de la formation par la Collectivité européenne d’Alsace des enseignants, de l’ouverture de classes bilingues et d’immersion ainsi que l’évaluation de la mise en œuvre de l’enseignement en langue et culture régionales vont très au-delà du contenu de l’accord de Matignon et comporte même un risque constitutionnel en ce qui concerne l’enseignement immersif qui n’est aujourd’hui possible qu’à titre expérimental.

Par ailleurs, la délégation à titre expérimental et pour cinq ans de l’octroi de tout ou partie des aides économiques de la région – possibilité étendue à tout autre département au niveau national – constitue clairement une ligne rouge, compte tenu du partage aujourd’hui établi entre les compétences de la région et du département.

Citons encore l’inscription dans la loi de solutions techniques pour les modalités de financement de la voirie. Le Sénat rend ainsi possible, à titre expérimental, une écotaxe sur les poids lourds de plus de 3,5 tonnes en Alsace, Moselle, Meurthe-et-Moselle et Vosges et a donné la capacité aux communes et aux EPCI de prévoir une exonération de cotisation foncière pour les entreprises à titre compensatoire. La complexité du sujet oblige à revenir à l’habilitation par ordonnance, comme le prévoyait le texte initial, afin de trouver les bonnes solutions techniques dans un échange approfondi avec les deux départements. En outre, l’effet du report du trafic sur l’A31 via Metz du fait de l’instauration d’une taxe sur l’A35 s’avère, après analyses du ministère des Transports, extrêmement faible – 12 poids lourds par jour – et ne justifie donc pas une extension de la contribution spécifique à d’autres départements. Je préciserai une fois encore qu’il s’agit d’un texte qui concerne l’Alsace.

Enfin, un amendement adopté au Sénat prévoit que le montant du contrat de plan État-région (CPER) est pris en compte dans le droit à compensation de la collectivité. Lors des précédents mouvements de décentralisation de routes, il n’a jamais été prévu d’intégrer les crédits des CPER aux compensations car ils correspondent à des dépenses ponctuelles. En outre, nous avons déjà connu par le passé des cas de routes départementales soutenues par le CPER. Rien n’empêche donc que ce soit à nouveau le cas à l’avenir.

En revanche, nous estimons que certaines modifications adoptées au Sénat méritent d’être maintenues.

Il s’agit tout d’abord des modalités de désignation des membres du collège électoral des sénateurs du Haut-Rhin et du Bas-Rhin selon lesquelles le conseil régional Grand Est procède, au sein de la section départementale correspondant à la future collectivité, à la répartition de ses membres élus entre les collèges chargés de l’élection des sénateurs du Haut-Rhin et celui du Bas-Rhin. Cette rédaction a fait l’objet d’échanges entre la rapporteure du Sénat et les services de l’État.

La création d’un conseil de développement ne nous paraît pas poser de difficultés particulières. Elle vient doter la Collectivité européenne d’Alsace d’une instance renforçant son appropriation par les acteurs locaux et nous n’y voyons pas d’inconvénients.

Les dispositions applicables aux transferts de personnel qui consistent à retenir comme date de prise en compte du transfert 2018 au lieu de 2019 nous semblent intéressantes. Cet ajustement permet de garantir à la collectivité que l’évaluation des effectifs à transférer n’aura pas à souffrir d’éventuels non-renouvellements de personnels préalables au transfert.

D’autres ajouts ne nous paraissent pas acceptables en l’état mais il est possible de parvenir à une rédaction qui convienne, notamment en matière de coopération sanitaire transfrontalière.

Vous le voyez, si mon point de repère reste le respect de l’accord de Matignon, je ne suis pas fermée à ce que le projet de loi soit encore amélioré par le travail que vous mènerez au sein de la Commission puis lors de l’examen en séance tant que les modifications apportées s’inscrivent dans l’équilibre qui a fait consensus au niveau local.

Je sais pouvoir compter sur la commission des Lois pour travailler en ce sens et me réjouis à cet égard que vous ayez prévu d’aller à la rencontre des acteurs locaux.

Mesdames, messieurs les députés, ce projet de loi constitue un point d’équilibre concret, pragmatique d’un processus d’élaboration avec les principaux intéressés. Je souhaite donc poursuivre le débat parlementaire en gardant une fidélité constante au processus politique qui a permis d’aboutir à ce résultat, dans le respect des uns et des autres. Nous avons évité écueils et difficultés et nous sommes parvenus à un texte cohérent qui permet de répondre favorablement à une volonté et une ambition pour l’Alsace au sein du Grand Est.

Continuons sur cette voie.

M. Rémy Rebeyrotte, rapporteur. Comme vous l’avez rappelé, Madame la ministre, tout a commencé par la volonté des élus de toutes tendances de deux départements, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, de voir correspondre la réalité institutionnelle et la réalité historique et géographique de leur territoire, car le projet de loi que nous examinons est né du terrain. Ce souhait a été relayé par un gouvernement qui a ouvert sa porte et a accepté de confier l’étude de cas au préfet de région, M. Jean-Luc Marx. En tant que garant de l’intérêt général et de l’intégrité du territoire, il a fixé un cadre. Tout d’abord, la région Grand Est, créée sous la législature précédente, est pleinement associée au processus. Le cadre, c’est aussi la fusion des deux conseils départementaux et non l’instauration d’une collectivité à statut particulier – comme l’a rappelé le Premier ministre, cela n’enlèvera rien à personne, notamment aux autres collectivités du Grand Est. Le cadre, ce sont enfin les transferts complémentaires de compétences qui permettront de répondre à des problématiques récurrentes parfaitement identifiées au niveau locall, qu’il s’agisse du bilinguisme, de la coopération transfrontalière, de la promotion touristique spécifique à l’Alsace ou de l’axe autoroutier gratuit non concédé et des problèmes aigus nés de la fréquentation croissante de poids lourds.

Le cadre est consigné dans l’accord de Matignon, pour reprendre une formule qui vous est chère, madame la ministre. Il ne saurait être amendé qu’à la marge tant il tient l’équilibre. C’est toutefois notre travail de le parfaire, de le rendre possible et de donner un signe à d’autres territoires qui, sur des bases comparables, dans le cadre de la différenciation territoriale qui sera au cœur de la révision constitutionnelle, souhaiteraient saisir l’occasion d’élaborer un nouveau projet territorial.

Le message est clair. Ils devront d’abord trouver en eux-mêmes la force et la volonté commune de se lancer et savoir que l’accord de l’État sera exigeant parce que le projet nouveau doit apporter un plus par rapport à l’existant : mieux servir l’intérêt général et celui de la population concernée.

C’est dans cet état d’esprit que nous avons procédé à de nombreuses auditions et que nous avons rencontré beaucoup d’acteurs de l’Alsace, qu’il s’agisse des élus ou des personnes du milieu consulaire. Le 13 juin, nous serons à Strasbourg et je vous remercie, madame la présidente, d’avoir rendu possible ce déplacement.

J’en viens à mes trois questions, madame la ministre.

La première concerne le bilinguisme et la nécessité de promouvoir l’apprentissage de l’allemand pour maintenir des échanges vivaces avec notre voisin européen. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les spécificités de l’enseignement de cette langue en Alsace et nous préciser le contenu de la convention conclue entre l’État et les départements alsaciens à ce sujet ?

Ma deuxième question, qui concerne aussi la politique transfrontalière, touche à la voirie, plus exactement à la gestion du trafic autoroutier. Depuis la mise en place d’une taxe sur les routes fédérales allemandes, le nombre de poids lourds transitant sur le réseau alsacien a fortement augmenté. Quelles mesures pourraient-elles être prises dans le cadre de l’habilitation que vous sollicitez afin de répondre concrètement à l’attente forte de régulation du trafic qui s’exprime localement ?

Ma troisième question renvoie à la place du futur département doté de compétences complémentaires au sein de la région Grand Est. Si vous avez pris soin de procéder à une concertation avec l’ensemble des parties prenantes, tant au niveau de la région que des autres départements, quelles assurances peuvent être apportées sur le fait que l’Alsace continuera à participer pleinement et activement aux politiques régionales comme elle l’a fait jusqu’à présent ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à Mme Kamowski pour le groupe LaREM.

Mme Catherine Kamowski. En premier lieu, je veux saluer l’attitude du Gouvernement qui a accompagné les acteurs locaux dans leur projet ainsi que la méthode déployée qui a permis d’aboutir à ce texte. Je ne doute pas qu’elle fasse école et que d’autres territoires bénéficieront dans le cadre de la République de ce droit à la différenciation que nous voulons introduire dans notre constitution.

Une collectivité territoriale constitutionnellement reconnue, le département, va recevoir des compétences adaptées aux circonstances locales. Je souligne que nous ne créons pas une nouvelle catégorie de collectivités territoriales. Nous permettons à un département d’exercer des compétences particulières qui lui sont nécessaires.

Nous avons là un texte de confiance et de responsabilité. Nous allons faire confiance aux acteurs alsaciens en leur donnant des responsabilités différenciées. Ce projet, parce qu’il traite de l’Alsace et uniquement de l’Alsace, constitue un double signal : signal que notre République fait de la place aux acteurs locaux en leur donnant les moyens de répondre de manière spécifique aux besoins exprimés à raison des caractéristiques locales ; signal que c’est la méthode du dialogue ouvert et de la concertation loyale qui est retenue. Il ne s’agit pas de déséquilibrer ou de démembrer l’architecture institutionnelle de notre pays, encore moins de créer les conditions d’une concurrence entre les territoires. Tout au contraire, en faisant appel à l’intelligence territoriale, il s’agit de permettre une évolution institutionnelle propre à répondre aux enjeux actuels sans déconstruire le cadre républicain de la décentralisation.

Le groupe La République en Marche considère le projet que vous nous présentez, madame la ministre, comme nécessaire et bienvenu. Nous le soutiendrons bien volontiers.

J’aurai toutefois une remarque et deux questions.

Tout d’abord, je précise que nous ne soutiendrons pas les modifications adoptées par le Sénat ni les amendements déposés par certains collègues, visant à expérimenter pour la Collectivité européenne d’Alsace l’exercice de la compétence économique.

M. Raphaël Schellenberger. Comment pouvez-vous parler de nos amendements alors que nous ne les avons pas encore déposés !

Mme Catherine Kamowski. L’accord auquel nous allons donner force de loi ne le prévoit pas. Même si nous entendons les envies, qui s’expriment çà ou là, nous estimons qu’il n’y a pas matière à reconnaître une spécificité alsacienne qui n’existe pas dans les faits. Cela reviendrait à déstabiliser non seulement la région Grand Est, mais également l’ensemble des régions en France si d’autres départements en faisaient la demande. La région reste la responsable et le chef de file du développement économique dans son périmètre, quoi que l’on pense de ce dernier. De plus, dans le cadre du dialogue nécessaire entre région et départements, une délégation de compétences peut d’ores et déjà être envisagée.

Le texte soulève, à notre sens, deux questions, relatives au bilinguisme et aux routes. S’agissant du bilinguisme, qui est l’une des spécificités de l’Alsace, le problème crucial me semble celui du manque d’enseignants qualifiés, alors même que ce bilinguisme constitue un avantage certain tant pour l’emploi que pour l’identité culturelle. Il serait intéressant d’obtenir les chiffres en matière de besoins et de ressources humaines et d’établir un plan pluriannuel de formation et de recrutement, bien que cela dépasse le cadre de la loi.

Pour ce qui est des routes, le Sénat a imaginé un dispositif de taxe kilométrique, qui se rapproche d’une sorte d’écotaxe. Cette solution nous semble poser davantage de questions qu’elle ne règle de problèmes. En agissant seul, le législateur viendrait contraindre les territoires. Je crois davantage à la concertation et au dialogue avec les acteurs locaux que vous avez déjà lancés. À ce titre, le recours aux ordonnances me paraît pleinement justifié, parce qu’il donne du temps pour construire une solution pertinente et acceptée par tous.

Il n’en reste pas moins que, quelle que soit la méthode – ordonnance ou loi –, certains collègues s’inquiètent d’un report de trafic sur le réseau routier mosellan, en cas de création d’une taxe en Alsace. Madame la ministre, disposez‑vous d’éléments propres à les rassurer et pouvez‑vous d’ores et déjà nous donner des précisions sur les discussions en cours à ce sujet ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à M. Raphaël Schellenberger pour le groupe Les Républicains.

M. Raphaël Schellenberger. Le sujet est particulièrement sensible : le découpage effectué à la va-vite en 2015, qui a créé la région Grand Est, a meurtri les Alsaciens. Voir un président de la République se vanter, dans ses écrits, de l’avoir fait avec un crayon et une gomme sur le coin d’un bureau à l’Élysée n’a fait que raviver cette blessure. Les Alsaciens sont particulièrement attachés à leur territoire et fiers d’appartenir à la France après une histoire douloureuse. Leur engagement citoyen est particulièrement fort et a été favorisé par la géographie et la proximité avec l’Allemagne, qui est le partenaire naturel de l’Alsace. La première frontière de l’Alsace étant le Rhin, qui est beaucoup plus simple à franchir que les Vosges, des relations économiques se sont spontanément nouées avec l’Est.

Ce projet de loi est le fruit de l’échec de la réforme territoriale de François Hollande, menée avec le plus grand mépris pour les territoires, ainsi que de celui de la construction des grandes régions, réalisée dans un esprit jusqu’au‑boutiste, qui a conduit à un rejet de la grande région par la population. Selon les sondages réalisés en Alsace, 85 % des Alsaciens souhaitent la sortie de la région Grand Est. Le texte n’est pas une réponse à la demande des Alsaciens, mais un compromis. Les Alsaciens désirent, quant à eux, retrouver rapidement une collectivité qui s’émancipe du Grand Est, région qui pose de vrais problèmes en matière de démocratie et d’acceptabilité des politiques. De fait, quand on ne s’identifie pas à une collectivité territoriale, on ne participe plus aux élections, on ne s’intéresse plus aux politiques qui y sont menées, et l’on s’en éloigne progressivement. Cela conduit à des votes de rejet et à un désintérêt de la collectivité, ce qui ne sert ni la citoyenneté, ni la démocratie.

Avec les collectivités territoriales concernées, vous avez élaboré la déclaration de Matignon que vous considérez comme un point d’équilibre. Nous considérons, pour notre part, que ce prétendu équilibre est faussé par les contraintes imposées par le Président de la République et le Premier ministre : pas de sortie du Grand Est, ni de collectivité territoriale à statut particulier, alors que cela aurait été le meilleur moyen de répondre aux besoins de l’Alsace et à une vision moderne de la construction de nos territoires et des collectivités territoriales au XXIe siècle.

L’Alsace a toujours été en avance. Elle a toujours voulu être la figure de proue de la construction régionale, en innovant dans les politiques que la région a menées, sous l’impulsion notamment du regretté Adrien Zeller, que ce soit en matière ferroviaire, de rénovation des lycées ou d’apprentissage. Nombre de politiques qui ont été élaborées en Alsace font aujourd’hui des émules partout en France. En 2013, un projet de fusion des trois collectivités alsaciennes a été rejeté par référendum. Mais 57 % des Alsaciens s’étaient prononcés en faveur d’une collectivité unique, regroupant les deux départements et la région Alsace.

Madame la ministre, plusieurs points ne nous semblent pas satisfaits. La collectivité à statut particulier est une option ouverte dont nous souhaitons discuter. Pour ce qui est des routes, nous souhaitons obtenir davantage de garanties sur l’instauration d’une redevance pour les poids lourds empruntant les axes Nord-Sud. Nous voulons également aller plus loin sur la question du bilinguisme, à l’instar des amendements défendus par le Sénat. La collectivité alsacienne doit pouvoir exercer des compétences en matière d’économie de proximité et les fédérations culturelles, sportives et professionnelles doivent disposer d’une organisation à l’échelle alsacienne qui satisfasse le besoin de proximité inhérent à nos territoires.

Je ne souhaiterais pas que le droit à la différenciation, tel que vous le concevez, serve finalement à réduire la capacité d’innovation des territoires et à centraliser la décentralisation, en restreignant le nombre des cas susceptibles d’en bénéficier, quand nous souhaitons les multiplier. C’est pourquoi nous demandons avant tout une collectivité à statut particulier.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à M. Sylvain Waserman pour le groupe MODEM.

M. Sylvain Waserman. Madame la ministre, le groupe MODEM considère ce texte comme une avancée majeure pour répondre au désir d’Alsace et aux besoins légitimes des citoyens qui souhaitaient retrouver une Alsace institutionnelle. Mais c’est aussi une avancée pragmatique et concrète, probablement la meilleure pour sortir d’une situation dans laquelle, je crois, beaucoup s’embourbaient. Nous aimerions vous féliciter d’avoir permis la signature d’un accord entre les exécutifs régionaux et départementaux. On ne peut pas faire confiance aux élus et nier le fait que, lorsqu’ils signent un accord, il est important de l’appliquer, lui seul, entièrement. La position du groupe MODEM est donc un message de confiance adressé au président de la région Grand Est, à la présidente du département du Haut-Rhin et au président du département du Bas-Rhin, lesquels ont signé cet accord. Leur faire confiance, c’est traduire dans la loi leur volonté librement exprimée.

Dans ce cadre, nous aimerions appeler votre attention sur deux points. Concernant l’enseignement des langues, il est indiqué dans le texte que nous parlons de l’enseignement des « langue et culture régionales ». Dans mon esprit, comme dans celui des promoteurs de cette idée, il s’agit de l’enseignement de l’allemand. On m’oppose souvent le fait que c’est la même chose, au prétexte qu’il existe des conventions entre les départements et l’éducation nationale qui le disent. Mais nous en sommes en train d’écrire la loi, laquelle relève d’un niveau de norme supérieur aux conventions. L’intention du législateur est bien de promouvoir l’enseignement de la langue du voisin et, partant, de l’allemand, au sein de la Collectivité européenne d’Alsace. Le traité d’Aix‑la‑­Chapelle précise que l’enjeu pour les territoires transfrontaliers est la maîtrise de la langue du voisin, exprimant clairement la même intention.

Par ailleurs, je pense que le texte, dans sa version issue du Sénat, comporte une incohérence sur les schémas, puisqu’on y lit que le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation s’impose au schéma transfrontalier de la Collectivité européenne d’Alsace, lequel s’impose au schéma transfrontalier de l’eurométropole. Or le schéma de l’eurométropole n’a pas à être compatible avec le schéma régional. Il nous semble que parler de cohérence serait plus pertinent que d’invoquer la compatibilité entre les schémas, qui pose un problème juridique très éloigné de l’intention du texte initial.

Moyennant ces deux points qui feront l’objet d’amendements ou d’échanges, nous souhaitions réaffirmer le fait que ce texte représente une avancée majeure que le groupe MODEM s’emploiera à défendre avec vous.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à M. Olivier Becht pour le groupe UDI et Indépendants.

M. Olivier Becht. Pour commencer, je voudrais rappeler que l’intégration de l’Alsace dans la région Grand Est a été vécue comme un traumatisme par les Alsaciens, à divers titres, mais principalement parce que l’Alsace a toujours représenté une réalité géographique – entre trois chaînes de montagne et avec un fleuve pour frontière –, économique, historique et culturelle. Le Président de la République a donné, à Strasbourg, son accord pour que l’Alsace puisse retrouver un statut de collectivité territoriale, tout en expliquant qu’il ne souhaitait pas revoir la carte des régions. Les priorités du Gouvernement étant nombreuses, il serait compliqué de mener une réforme qui serait un nouveau big-bang territorial. Nous l’avons compris, même si certains Alsaciens auraient préféré que l’on sorte de la région Grand Est.

M. Patrick Hetzel. Certains ? 85 % !

M. Olivier Becht. Je voudrais remercier le Gouvernement et vous, particulièrement, madame la ministre, d’avoir pris en considération ce besoin pour l’Alsace de retrouver son statut de collectivité territoriale. Évidemment, je soutiendrai le projet de loi, qui me semble équilibré et auquel nous pourrons apporter quelques améliorations, notamment pour ce qui est du nom retenu.

Nous avons choisi le nom de « Collectivité européenne d’Alsace », qui me semble un beau nom. Le problème se pose autour de l’assimilation de la Collectivité européenne d’Alsace à un département. Nous sommes d’accord pour qu’elle ait l’organisation d’un département. J’ai plaidé pour une collectivité à statut particulier, avant de comprendre que ce n’était pas le souhait du Gouvernement, ce que je respecte. Je pense néanmoins que le Gouvernement et notre commission doivent entendre que les Alsaciens ne souhaitent pas non plus que cette collectivité se résume à la fusion des départements du Haut-Rhin et du Bas‑Rhin. Nous gagnerions à sécuriser le nom de la collectivité, par le biais d’un amendement visant à montrer que, même s’il ne s’agit pas une collectivité à statut particulier et que son organisation est celle d’un département, ce n’est pas un simple département. Je pense que la deuxième phrase de l’article 72 de la Constitution nous offre la possibilité de sécuriser ce nom.

Nous devons également appeler l’attention de nos collègues sur la sécurisation des mécanismes de la taxation des poids lourds sur l’A35. C’est un sujet épineux pour notre pays, qui a déjà essayé d’introduire une telle taxation à plusieurs reprises. Il est indispensable que le mécanisme soit opérationnel très rapidement, parce que les Alsaciens sont engagés tous les jours sur cette autoroute qui est très dangereuse. Il est impératif que, dès la création de la Collectivité européenne d’Alsace, ce système marche, en plus de celui concernant les compétences sur les coopérations transfrontalières et l’enseignement linguistique.

Pour conclure, je pense que doivent s’appliquer les accords de Matignon, rien que les accords de Matignon, mais tous les accords de Matignon. Je vous fais entièrement confiance, madame la ministre, pour prospérer ensemble dans cette voie, en améliorant le texte là où c’est possible et en montrant à nos collègues qu’il ne s’agit pas d’une loi à destination de la seule Alsace, mais qu’elle préfigure ce que nous souhaitons faire à titre expérimental dans le  cadre de la différenciation, demain, pour d’autres régions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à M. Hervé Saulignac pour le groupe Socialistes et apparentés.

M. Hervé Saulignac. Madame la ministre, « Collectivité européenne d’Alsace » : c’est beau, cela sonne bien, c’est prometteur ! On imagine une collectivité nouvelle appelée à jouer un rôle majeur en Europe, ce qui est déjà le cas pour l’Alsace, une collectivité à laquelle on redonne son identité écornée à la suite de la création de la région Grand Est. C’est surtout une idée assez ancienne, partagée par les deux départements, qui voit le jour. Le plus important, c’est que cela représente un beau défi politique : faire progresser l’esprit décentralisateur ; mieux organiser les relations transfrontalières ; ancrer plus encore l’Alsace dans l’axe rhénan stratégique. Force est de constater que la déclaration commune signée à Matignon, en octobre 2018, a probablement fait vibrer le cœur des Alsaciens, en répondant à leur « désir d’Alsace ». Mais, comme chacun le sait, mieux vaut satisfaire le désir, au risque de faire naître quelques frustrations… Or ce texte nous paraît bien insuffisant.

Pour créer une collectivité à statut particulier, la région doit accepter d’abandonner quelques compétences et l’État doit également faire quelques concessions. Or ni l’une ni l’autre ne font les efforts nécessaires. Le texte démontre, d’une certaine façon, que si l’on parle beaucoup du droit à la différenciation, de l’expérimentation ou de l’évolution de la décentralisation, qui sont souhaités localement, en réalité, l’État en a peur et continue à se recroqueviller sur des pratiques de plus en plus centralisatrices. Cela conduit à une sorte de manipulation institutionnelle : on nous explique qu’on va créer une collectivité nouvelle, alors qu’en réalité il s’agit d’une simple fusion de départements, dont les dispositions ne sont pas inintéressantes, mais qui auraient pu être prises sans passer par la loi. On ne peut pas raisonnablement considérer qu’élaborer un schéma de coopération transfrontalière dans des conditions extrêmement contraintes, en raison d’autres schémas, constitue une avancée majeure, pas plus que de transférer les routes nationales à ce futur département, de créer des chaînes de télévision locale ou de renforcer le bilinguisme, malgré l’intérêt qu’il peut y avoir à le faire.

Sans remettre en cause l’esprit de la loi qui répond à une attente locale, nous craignons que vous ne parveniez pas à satisfaire avec ce texte ceux qui veulent s’émanciper de la région Grand Est, pas plus que ceux qui attendaient un statut particulier au sein du Grand Est. Les frustrations surgiront tous azimuts. Le texte ne peut que laisser un goût d’inachevé sur des questions qui auraient pourtant pu être traitées, en matière de santé, de formation, d’éducation, d’économie et d’emploi, mais qui resteront aux mains de l’État et de la région, alors que la Collectivité européenne d’Alsace aurait pu jouer un rôle important et mettre en place des services de proximité dans ces domaines.

Nous ne nous opposons pas frontalement à votre texte, mais nous sommes convaincus qu’il ne changera pas la vie des Alsaciens. Ses inspirateurs devront assumer ce que ce texte n’est pas. Nous ne manquerons d’ailleurs pas de dire ce qu’il aurait pu être, non seulement pour l’Alsace, mais aussi pour d’autres de nos territoires transfrontaliers qui attendent beaucoup de notre discussion.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à M. Paul Molac pour le groupe Libertés et Territoires.

M. Paul Molac. Je m’étais élevé, à l’époque, contre la loi sur le découpage régional. On nous avait vendu des super régions qui allaient faire des économies et être plus puissantes. Mais je ne croyais guère à ces régions sans âme, très difficiles à administrer, qui resteraient des nains politiques. Ce qui comptait, c’était bien, d’une part, ce qu’on leur donnait comme ressources, alors qu’elles disposent d’un budget dix fois inférieur à celui de leurs voisines européennes, et d’autre part leur capacité d'adapter la réglementation nationale et de faire des lois de pays. Dès lors, je voyais mal comment les régions pourraient être fortes sans les moyens permettant de l’être. J’ai voté contre cette loi, qui, si elle a réglé le problème de la Normandie, n’a pas réglé celui de la Bretagne et de sa réunification administrative avec la Loire-Atlantique, et a entériné la disparition de l’Alsace. Il était visible que la République continuait à nier les peuples qui la composent. Elle s’est bien gardée de demander l’avis des populations, puisqu’il n’y a évidemment eu aucun référendum sur la question.

Le Gouvernement accède-t-il à une requête des Alsaciens ? Le texte prouve qu’il a au moins entendu qu’ils souhaitaient une collectivité locale. Le Gouvernement nous avait plutôt habitués à recentraliser et à confondre la déconcentration, qui donne des pouvoirs au préfet, sous les ordres directs du gouvernement, et la décentralisation, qui donne des pouvoirs aux élus, ce qui n’est quand même pas tout à fait la même chose. J’ai un peu souri, en découvrant dans ce projet de loi la mention d’une identité française et européenne. On pourrait peut-être ajouter « germanique », évidente pour quiconque est déjà allé en Alsace. Je ne vais pas vous parler du retable d’Issenheim, qui est en Alsace et qui représente pour les Allemands le point de départ de la peinture allemande…

Pour faire suite à vos interrogations, monsieur Waserman, dès lors que le schéma de cette nouvelle collectivité doit être conforme à celui de la région, cela signifie que la région définit son schéma et que la collectivité est obligée de faire avec ce que la région lui donne. La compatibilité suppose que chacun élabore son schéma, avant de les faire fusionner, ce qui implique une certaine égalité. Les dispositions du Sénat me semblent plus intéressantes que ce qui avait été initialement prévu.

Sur le bilinguisme, d’une manière générale, je ne suis pas loin d’être d’accord avec Catherine Kamowski : il faudrait se poser la question du recrutement des enseignants et de leur formation, avant de généraliser la proposition d’enseignement bilingue en Alsace. L’allemand n’est pas une langue normée comme le français. Les Allemands parlent de façon diverse, mais écrivent de la même façon, comme c’est le cas pour l’italien ou le breton. Entre le nord et le sud de l’Alsace, l’allemand n’est pas tout à fait le même. Disons, pour simplifier, que l’allemand est une langue régionale de France.

Pour ce qui est des aides aux entreprises, la situation montrera que cette collectivité n’est pas véritablement une collectivité particulière. En revanche, il est intéressant de lui confier les routes et de faire une écotaxe régionale, comme nous l’avions proposé, lors du débat sur l’écotaxe. En effet, certaines régions sont des espaces de transit, contrairement à d’autres. Par exemple, en Bretagne, il n’y a pas de transit : soit les camions emportent nos produits ailleurs, soit ils viennent nous en apporter. C’est pourquoi l’écotaxe posait plusieurs problèmes. En Alsace, c’est totalement différent.

Finalement, Madame la ministre, comme on dit chez nous : « Blaz ar re nebeut. » Ce n’est pas assez ! Il y a un goût de trop peu. Nous voudrions que l’Alsace soit une région à part entière. Il semblerait que 85 % des Alsaciens souhaiteraient un référendum pour poser la question d’une sortie du Grand Est. Ils veulent bien une collectivité unique qui rassemble les pouvoirs de la région et ceux du département, comme la Corse, voire quelques pouvoirs supplémentaires. Nous aimerions aller vers le modèle des collectivités régies par l’article 72, voire 73  ou 74 de la Constitution.

Pour conclure, nous veillerons avec la plus grande attention à ce que cette Collectivité européenne d’Alsace soit une véritable collectivité, non pas un ersatz de collectivité, ni un trompe-l’œil. Soyez disruptifs !

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Je vous remercie beaucoup de votre participation à ce débat et de vos questions.

En ce qui concerne d’abord le bilinguisme, monsieur le rapporteur – je répondrai en même temps à Sylvain Waserman et à plusieurs autres intervenants –, les conventions successives entre l’État et les collectivités territoriales explicitent l’acception de la langue régionale en Alsace : il s’agit de la langue allemande, dans sa forme standard et dans ses variantes dialectales, à savoir l’alémanique et le francique. L’enjeu linguistique soulevé par le projet de loi n’est pas seulement identitaire, comme c’est parfois le cas dans d’autres régions : il y va également de l’insertion de l’Alsace dans le monde rhénan et dans le contexte européen. À cet égard, les enjeux de développement économique et social sont absolument considérables. Chaque fois que je suis allée sur le terrain, on m’a expliqué l’importance des spécificités de l’apprentissage en Alsace.

La voie bilingue, avec enseignement précoce dès la maternelle, concerne 17 % des élèves dans le premier degré. Le phénomène est en développement : les effectifs des élèves concernés ont doublé en dix ans. Une école sur trois est bilingue ; pour les autres, l’allemand est renforcé, à raison de trois heures par semaine. Dans le second degré, un collège sur trois propose des classes bilingues. Tous les collèges proposent des classes bilangues – c’est-à-dire avec l’enseignement de deux langues, par exemple l’allemand et l’anglais – dès la sixième, et 80 % des élèves étudient l’allemand. J’ai eu l’occasion de visiter un certain nombre de ces établissements.

La convention quadripartite prévoit une coopération opérationnelle entre l’État et les collectivités territoriales. Elle est conclue pour la période 2018-2022. Elle porte sur le développement de la pratique de la langue allemande. Ses cinq axes principaux sont les suivants : les ressources humaines, avec en particulier la création, à Colmar, d’un centre de formation bilingue dédié ; les mobilités transfrontalières, avec l’objectif d’accroître le nombre d’élèves concernés par ces dernières ; la qualité des enseignements et ressources pédagogiques, pour développer les supports pédagogiques et les ressources numériques ; les cursus d’enseignement et le soutien à l’emploi transfrontalier, l’objectif étant notamment de développer le cursus bilingue au collège ; les dialectes et la culture régionale – il s’agit par exemple, à ce titre, de développer les projets, notamment dans les activités périscolaires, en liaison avec les communes. La convention est assortie de 3,4 millions d’euros, dont 1,5 million sont consacrés aux ressources humaines – attractivité, bourses – et 1,5 million aux dispositifs destinés aux élèves – mobilité, ressources pédagogiques, etc.

Le projet de loi vient donc renforcer – j’y insiste – un dispositif déjà très ambitieux, comme j’ai pu le constater en me rendant en Alsace pour visiter des établissements disposant d’enseignements bilingues. En autorisant les collectivités alsaciennes à embaucher des locuteurs, le projet de loi renforcera le vivier et développera l’enseignement de la langue allemande hors temps scolaire.

Je voudrais préciser par ailleurs à Mme Catherine Kamowski que le manque de professeurs d’allemand est effectivement un problème, et ce sur tout le territoire national. L’an dernier, aux concours du CAPES et de l’agrégation, seuls 155 postes sur les 250 qui étaient ouverts ont été pourvus, du fait d’un faible nombre de candidats mais aussi, parfois, d’un niveau insuffisant. On voit bien qu’il y a là un enjeu important. Le ministère de l’Éducation nationale a mis en place une politique globale de renforcement de l’attractivité du métier d’enseignant, notamment d’enseignant de langues, et en particulier d’enseignant de langue allemande. Une nouvelle initiative est à venir en la matière. Plusieurs aspects doivent être renforcés s’agissant de l’attractivité de l’enseignement de l’allemand. Le Gouvernement a relancé, depuis la rentrée 2017, sur tout le territoire national, les classes bilangues dès la sixième, qui permettent la pratique de deux langues étrangères – allemand et anglais, par exemple. En Alsace, bien sûr, le projet de loi permettra à la collectivité de constituer un vivier de germanophones, qui pourront être recrutés par l’éducation nationale ou par la collectivité, selon qu’on est dans le cadre de l’enseignement classique, intégré à l’emploi du temps, ou de l’enseignement complémentaire, optionnel. C’est effectivement une question très importante.

Monsieur le rapporteur, vous m’avez interrogée également sur le trafic routier et la mise en place d’une taxe, comme c’est le cas, de l’autre côté du Rhin, avec la LKW Maut. Le projet de loi, dans sa version initiale – à laquelle nous souhaitons revenir – prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance, afin que nous définissions les meilleures solutions techniques, en liaison étroite avec les deux départements concernés, pour mettre en place, sur le réseau transféré, une contribution spécifique. Comme l’a dit tout à l’heure Mme Kamowski, dès lors que nous travaillons dans la confiance, cette habilitation nous permettra de mettre en place les outils les plus adaptés pour dissuader les poids lourds de privilégier le réseau français plutôt que le réseau allemand. La forme que cela prendra – redevance, taxe ou encore système de péage – n’est pas encore définie ; d’où la nécessité de procéder par ordonnance et de mener un travail conjoint avec les élus. Un certain nombre d’Alsaciens, je le sais, imaginent même que la solution sera trouvée en collaboration avec l’Allemagne, pour réguler l’ensemble de cette circulation routière. De fait, il n’est pas question de ne pas discuter : le problème est clairement transfrontalier.

S’agissant des relations de la collectivité avec la région Grand Est, je vous rappelle que la mission chargée du travail de préfiguration portait le nom « Alsace Grand Est ». Le préfet Jean-Luc Marx – comme moi-même, d’ailleurs – a rencontré l’ensemble des présidents de conseils départementaux. Le projet est donc issu des échanges avec l’ensemble des représentants de la région Grand Est. Je vous rappelle également que l’accord de Matignon du 29 octobre dernier a, bien entendu, été signé par le président de la région. Aucun équilibre ne sera modifié au sein de la région Grand Est du fait de la constitution de la nouvelle collectivité alsacienne, y compris les dispositifs de péréquation mis en place par la région. Je veux rassurer tous les autres départements de la région Grand Est : on ne leur prend rien. Il s’agit simplement d’une organisation nouvelle de l’Alsace.

Je crois avoir déjà répondu en ce qui concerne le trafic : le scénario d’un délestage sur l’A31 n’entraînerait qu’un report de douze poids lourds par jour. Pour mémoire, ces dernières années, on a comptabilisé 104 000 véhicules par jour sur l’A31 au nord de Metz, dont 11 705 poids lourds, contre 34 000 véhicules sur l’A35 et 71 000 sur l’A5, au nord de Strasbourg, dont 12 000 poids lourds. Il apparaît que l’affirmation selon laquelle il y aurait un déport d’une partie importante du trafic sur l’A31 en cas de mise en place d’une taxe routière en Alsace n’est pas assise sur des éléments objectifs. C’est ce qui ressort précisément de l’étude réalisée par le ministère des Transports.

Monsieur Molac, en ce qui concerne la mise en place d’un rapport de compatibilité entre le schéma alsacien de coopération transfrontalière et les schémas régionaux et métropolitains qui lui sont liés, je n’ai pas très bien compris ce que vous avez voulu me dire : êtes-vous pour la compatibilité ou pour la cohérence ? Le texte initial prévoyait une cohérence entre les deux. Le Sénat l’a modifié pour instaurer une compatibilité. Nous demandons qu’on en revienne à la cohérence. Sylvain Waserman est favorable à cette solution.

M. Paul Molac. Je ne suis pas favorable à ce que le schéma de la collectivité Alsace soit conforme à celui de la région,…

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Nous sommes donc d’accord !

M. Paul Molac. …mais je souhaite qu’ils soient compatibles.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Monsieur Schellenberger, je sais très bien le choc qu’a été pour vous la création de la région Grand Est. Je me suis rendue trop souvent dans votre territoire pour ne pas en avoir pleinement conscience. En même temps, et je le dis pour beaucoup des personnes qui sont présentes ici, au fond, il y a une renaissance de l’Alsace – en tout cas, d’un territoire alsacien. Au fond – je n’ai pas l’intention de parler à sa place, mais je le connaissais suffisamment, je crois, pour pouvoir le dire ; j’ai échangé beaucoup de lettres avec lui, que j’ai d’ailleurs gardées –, Adrien Zeller aurait été content.

M. Éric Straumann. Il n’aurait pas laissé passer la loi NOTRe !

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Bien sûr. Quoi qu’il en soit, le présent projet de loi constitue une avancée notable. J’ai bien entendu, monsieur Schellenberger, les garanties que vous me demandez en matière de routes, ou encore de bilinguisme. En ce qui concerne les fédérations sportives, celles-ci peuvent d’ores et déjà organiser leur action à l’échelle interdépartementale – c’est-à-dire à l’échelle alsacienne. Il n’est donc pas impossible, dans le cadre réglementaire actuel, d’organiser la gouvernance des compétitions sportives à l’échelle de la future collectivité alsacienne. Dès lors, il n’est pas nécessaire de procéder à une modification législative. Cela dit, si vous le souhaitez, il est toujours possible, sur le plan réglementaire, d’apporter des précisions concernant ce sujet qui, je le sais, vous est cher. En vous écoutant, j’ai pensé à ce titre de Montherlant : La Vie en forme de proue. Il faut toujours prendre la vie ainsi – je ne doute pas que ce soit votre cas.

Monsieur Waserman, merci d’avoir dit que l’Alsace renaît – je viens de reprendre l’expression. Nous avons eu des moments d’échange extrêmement courtois, constructifs et positifs avec l’ensemble des représentants de l’Alsace. Puisque vous avez parlé du traité d’Aix-la-Chapelle, je précise que le projet de loi de ratification est passé en Conseil des ministres la semaine dernière. Le traité sera évidemment une avancée pour tout le bassin rhénan.

Merci à Olivier Becht également pour son soutien. Il s’est livré à une sorte de cours d’histoire et de géographie. Je suis bien d’accord avec lui : l’histoire et la géographie, cela compte. C’est très important, à la fois dans le développement des civilisations et dans celui des territoires et des collectivités. Je crois effectivement que le texte est équilibré. Comme vous l’avez dit, monsieur Becht, la nouvelle collectivité sera un département, mais pas seulement : la Collectivité européenne d’Alsace, résultant de la fusion des deux départements, aura bien sûr les compétences classiques d’un département, auxquelles s’ajouteront celles que nous avons évoquées.

Vous avez parlé aussi du nom « Collectivité européenne d’Alsace ». Je ne suis pas opposée à ce que la rédaction soit renforcée. J’ajoute quand même que le décret sur la fusion des deux départements utilise les termes « Collectivité européenne d’Alsace ». C’est donc une garantie.

Monsieur Saulignac, merci pour votre intervention. Vous avez dit que le Gouvernement n’était pas allé assez loin en matière de différenciation. Le Gouvernement avait, dès le départ, posé deux bornes, comme cela a été rappelé : pas de sortie de la région Grand Est et pas de collectivité à statut particulier. Cela dit, nous n’avons pas pu aller plus loin parce que nous voulions rester à droit constitutionnel constant. Ce que nous avons pu mettre dans le projet de loi était donc acceptable du point de vue constitutionnel. Les avancées obtenues – je pense au transfert de compétences allant au-delà de celles des départements – sont fondées sur le caractère spécifique et frontalier de l’Alsace.

Le texte peut ne pas vous sembler suffisant, mais l’Alsace renaît – c’est quelque chose d’important pour les Alsaciens. Ceux qui se sont engagés assument. Dans les semaines et les mois qui viennent, je compte sur vous et sur votre groupe, monsieur Saulignac, pour voter le droit à la différenciation : ce sera quelque chose de très important pour les territoires, comme un certain nombre d’intervenants l’ont fait remarquer.

M. Molac n’est plus parmi nous ; je voulais revenir sur la question de la déconcentration et de la décentralisation. Je ne comprends pas pourquoi, quand on parle de « déconcentration », cela énerve les décentralisateurs. M. Molac lui-même l’a dit : déconcentration et décentralisation, ce n’est pas la même chose. On peut donc très bien faire les deux en même temps.

L’État peut tout à fait mettre ses fonctionnaires au plus près des territoires et les responsabiliser à ce niveau – c’est d’ailleurs, d’une manière générale, ce que demandent les élus. Ces derniers n’aiment pas toujours Paris et le pouvoir central et jacobin – vous savez ce qui se dit à ce sujet. Toutefois, si vous avez l’intention de toucher au sous-préfet ou au préfet dont ils sont très contents, ils n’y sont pas du tout favorables : on constate toujours cette ambiguïté dans le rapport au pouvoir de l’État. Je crois que les Français sont très attachés à la déconcentration, c’est-à-dire à l’installation des services de l’État au plus près du territoire. Il n’est qu’à voir, pour s’en convaincre, la satisfaction qui est généralement celle des élus quand on transfère un pouvoir du préfet de région au préfet du département, parce que cela accroît la proximité.

La décentralisation, c’est autre chose : c’est transférer des compétences aux collectivités. Le sujet viendra d’ailleurs sur la table dans les mois qui viennent. Encore une fois, je ne vois pas pourquoi on oppose toujours les deux. Certes, on peut faire de la décentralisation sans faire de déconcentration – ou l’inverse –, mais les deux peuvent également être menées en parallèle.

J’ai bien entendu ce qu’a dit M. Molac concernant la Loire-Atlantique : vous le lui transmettrez.

M. Jean-François Eliaou. Ma question est d’ordre assez général. La loi va vraisemblablement permettre l’émergence d’une collectivité d’un nouveau type en Alsace ; cela constitue, de fait, un prélude au débat sur la différenciation. Croyez-vous qu’à terme cela puisse aboutir à une grande diversité de compétences des futures collectivités et pensez-vous nécessaire de prévoir un encadrement de la différenciation ?

M. Patrick Hetzel. Je ferai pour ma part deux remarques et poserai une question.

Première remarque : comme vous l’avez vous-même noté, madame la ministre, quatre sondages successifs ont souligné la volonté des Alsaciens – à plus de 80 % – de connaître une évolution institutionnelle forte. Or, force est de constater que l’évolution se fait a minima, puisque la véritable réponse eût été de créer une collectivité à statut particulier, au titre de l’article 72 de la Constitution, ce qui était tout à fait possible.

Deuxième remarque : il y a un véritable paradoxe dans la manière dont le Gouvernement argumente sur la question de la collectivité alsacienne. En effet, on s’aperçoit que l’écart entre, d’un côté, le préambule que constituait l’accord de Matignon et, de l’autre, le projet de loi, est extrêmement important.

Ma question porte sur ce que vous avez dit concernant le bilinguisme, notamment l’enseignement de la langue régionale. Vous semblez indiquer que le Gouvernement souhaite revenir sur l’une des dispositions introduites par le Sénat, en l’occurrence l’alinéa 19 de l’article 1er, qui permet d’aller plus loin dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire pourquoi ? Il semblait ressortir de votre intervention qu’il y aurait un problème de constitutionnalité. Je ne fais pas la même lecture. C’est une véritable avancée permise par le Sénat : pourquoi vouloir revenir en arrière sur ce point ? C’est d’autant plus surprenant que votre doctrine consiste à dire qu’il ne faut surtout rien prendre au Grand Est. C’est bien le cas en l’espèce : on ne prend strictement rien au Grand Est, il s’agit seulement de passer la vitesse supérieure pour permettre l’enseignement de la langue régionale.

M. Ludovic Mendes. Merci, madame la ministre, pour toutes les réponses que vous avez apportées, sachant qu’il y a pas mal de fantasmes autour de ce projet de loi. Étant mosellan, je connais le sujet : nous avons certaines problématiques communes, et d’autres qui ne le sont pas du tout. À propos du bilinguisme, pouvons-nous être certains, par exemple, que l’est de la Moselle, très concerné lui aussi par cet aspect – je pense à Bitche, Sarreguemines ou Forbach – sera protégé dans le cadre des démarches mises en œuvre par la région ? Je voudrais être sûr que le texte n’aura pas d’impact sur l’est de la Moselle.

Depuis tout à l’heure, il est question de langue régionale : je voudrais que vous me confirmiez qu’il s’agit bien de l’alsacien – lequel est un mélange d’alémanique et de francique – et non simplement de la langue allemande. La Moselle est en partie concernée elle aussi par cette question. La langue allemande fait l’objet d’un parcours de bilinguisme en Moselle – mais aussi dans le reste de la France : on peut être à Toulouse et faire de l’allemand. Par ailleurs, comme vous l’avez dit, nous avons besoin de professeurs d’allemand sur tout le territoire : nous sommes en grande difficulté à cet égard.

Vous avez parlé du trafic routier. Le ministère des Transports nous dit qu’il n’y aura pas de déport des flux, ou qu’il sera très limité. Toutefois, cette problématique est importante. La preuve en est que, sur le projet d’A31 bis, le préfet Jean-Luc Marx travaille avec le préfet du département et le ministère des Transports pour analyser la situation. C’est un enjeu important pour le territoire mosellan. Nous avons aussi un problème s’agissant des TER, d’ailleurs. Comment peut-on garantir la protection du territoire mosellan, qui voit passer entre 11 000 et 15 000 camions par jour, dont 55 % ne font que le traverser, sans s’arrêter ? Étant donné que les tracés des deux autoroutes sont parallèles, il faut éviter un déport sur le tronçon mosellan pour aller vers le sud de la France. Merci d’ouvrir le débat sur la question : en Moselle, nous aurons besoin de vous pour faire en sorte d’avoir un euro-département fort et répondant aux problématiques du territoire.

M. Bruno Fuchs. Je pense qu’il est important de rappeler que la création de la Collectivité européenne d’Alsace est quelque chose de très important pour les Alsaciens. J’entends des voix s’élever pour dire que ce n’est pas suffisant. Nous verrons ce qu’il adviendra ; en attendant, il faut se féliciter de cette première étape essentielle dans la renaissance de l’Alsace.

Je voudrais avoir des précisions sur plusieurs points d’ordre technique, madame la ministre. En ce qui concerne le bilinguisme, effectivement, les objectifs sont extrêmement ambitieux sur le papier, mais la réalité est très en deçà – pour ce qui est de l’apprentissage et de la capacité des Alsaciens à parler l’allemand et à s’intégrer dans les entreprises suisses ou allemandes. Seriez-vous d’accord pour inscrire dans le projet de loi la création d’un établissement public de promotion de la langue allemande ou de la culture bilingue, sur le modèle de ce qui existe au Pays basque, ou la création d’un pôle d’excellence du plurilinguisme, avec une coopération transfrontalière dans le domaine éducatif ?

S’agissant des questions de coopération transfrontalière, nous avons besoin également d’un accompagnement de proximité : il existe des inégalités importantes, puisque les salaires sont bien plus élevés en Suisse et en Allemagne. De plus, l’emploi est très rare sur le territoire national, ce qui fait que l’attractivité de la Suisse et de l’Allemagne est très forte.

Il faut également renforcer la capacité de gérer les fonds européens. Il y va d’une plus grande efficacité. Enfin, nous avons voté à l’Assemblée, il y a trois semaines, un traité de coopération sanitaire avec la Suisse et le Luxembourg. Aujourd’hui, la Haute-Savoie est en charge pour ce qui est notamment de la coopération transfrontalière avec la Suisse. Il serait important que la Collectivité européenne d’Alsace soit aussi chef de file pour la coopération transfrontalière en matière sanitaire. Le Sénat a d’ailleurs voté une disposition en ce sens : il importe de la conserver. Du reste, ce serait conforme à ce que l’Assemblée a récemment voté.

M. Éric Straumann. Je rejoins tout à fait Bruno Fuchs lorsqu’il dit que le projet de loi est une première étape : la suivante sera évidemment la sortie de la région Grand Est – nous verrons cela le moment venu.

Je voudrais dire un mot au sujet de l’écotaxe, car j’ai suivi de près le dossier à l’époque : au moment de son abandon, on a constitué une commission qui a réfléchi sur les conditions de la fin de l’écotaxe en France. Il ne faut surtout pas se tromper d’objectif : le seul modèle viable économiquement est celui qui prévaut en Allemagne, avec la société commerciale Toll Collect, gérée également par Cofiroute et par Vinci – autrement dit, il y a des sociétés françaises dans ce système. Il ne faut surtout pas créer une structure ad hoc pour les deux départements – ou trois si l’on inclut la Moselle –, avec des coûts fixes relativement importants. C’est en partie ce qui a tué l’écotaxe : on se retrouvait avec des redevances de 15 % à 20 % simplement pour faire fonctionner le système. Ce ne serait tout simplement pas viable. Il faut vraiment avoir pour objectif de travailler avec les Allemands.

Les flux routiers vont essentiellement du Nord au Sud. Ceux qui traversent l’Alsace ne se dirigent pas vers l’Espagne. Il s’agit de camions allant vers la Suisse, depuis Rotterdam, ou vers l’Italie. Ils se reportent vers l’Alsace pour échapper à la taxe instaurée en Allemagne. Par ailleurs, il ne faut pas tromper les Alsaciens : le résultat ne sera pas nécessairement spectaculaire – les routes allemandes sont relativement saturées aussi. Le report chez nous étant gratuit, nous perdons néanmoins des recettes potentielles.

Il n’y a jamais eu de loi imposant aux instances professionnelles de s’organiser à l’échelle des grandes régions. En pratique, cependant, l’État a donné des instructions : je me souviens que Manuel Valls l’a fait. Il en résulte de graves difficultés pratiques. Certains de mes interlocuteurs me disent qu’ils ne peuvent plus assister aux commissions disciplinaires parce qu’elles ont lieu trop loin. La Ligue du football perd 400 000 euros en raison des frais de déplacement. Est-il possible de revenir en arrière ?

Le référendum tendant à fusionner les deux départements a notamment échoué à cause de la question du futur siège. Lors de la création de la région Grand Est, j’ai déposé un amendement visant à ce que le chef-lieu de la collectivité soit Strasbourg. On m’a dit, dans un premier temps, que ce n’était pas constitutionnel, mais nous avons eu gain de cause en deuxième lecture, lorsque des collègues socialistes ont repris l’amendement. C’est la seule région française dont le chef-lieu a été fixé par la loi, à Strasbourg. Il s’agissait d’y garantir la présence de la préfecture. Le choix du siège de la collectivité relève de cette dernière mais le chef-lieu peut être fixé par la loi. Je réitère ma demande : le chef-lieu de la future collectivité ne pourrait-il pas être établi à Colmar ? Cela garantirait le maintien de la préfecture. N’oublions pas que le Haut-Rhin est un grand département, comptant plus de 770 000 habitants.

M. Frédéric Reiss. Ce projet de loi représente un premier pas vers une nouvelle collectivité alsacienne, qui est souhaitée par une très grande majorité d’habitants. La loi relative à la délimitation des régions de 2015 a artificiellement partagé la France en régions qui sont souvent incohérentes. Pour donner du sens et un avenir aux territoires naturels et historiques, ne faudrait-il pas accélérer la révision de ce texte ? Cela pourrait permettre d’importantes économies financières, de temps de trajet et d’énergie, qui amélioreraient fortement la politique des transports et la lutte en faveur du climat et de la transition écologique.

Le débat sur ce projet de loi portera, inévitablement, sur la sortie de la région Grand Est, dont Éric Straumann vient de parler, et sur la notion de collectivité à statut particulier. À titre personnel, je n’accepte pas du tout l’idée, évoquée par le Conseil d’État, d’un département d’Alsace – je le dis depuis qu’il est question de ce texte. La dénomination retenue par le décret, « Collectivité européenne d’Alsace » ne m’inspire guère, et le sigle CEA encore moins – mais vous avez déjà répondu à Olivier Becht sur ce point.

Ma question est relative à un volet du texte qui concerne directement ma circonscription – mais pas seulement : l’alinéa 8 de l’article 1er prévoit des coopérations transfrontalières en matière sanitaire. Qu’en pensez-vous, étant entendu que ce volet figure aussi dans le traité d’Aix-la-Chapelle.

M. Jacques Cattin. J’adhère tout à fait aux interventions de mes collègues alsaciens. Je vais anticiper, car j’entends déjà les intervenants qui nous diront dans l’hémicycle que c’est n’importe quoi, que l’on porte atteinte à la Constitution de 1958 : les mêmes, ou en tout cas leurs chefs de file de l’époque, avaient contesté cette Constitution. Le projet de loi constitue une avancée. Pour comprendre l’Alsace, il faut y être né, il faut y habiter. Ce ne sont quand même pas des itinérants du spectacle politique français qui vont nous donner des leçons. Je félicite la ministre, qui tient bon.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. M. Eliaou m’a interrogée sur la différenciation. Elle sera encadrée, en effet. Conformément à ce que prévoit actuellement la Constitution, la différenciation pourra signifier deux choses. Tout d’abord, un niveau de collectivité territoriale pourra exercer, avec l’accord des autres niveaux, des compétences qui ne sont pas les siennes à l’origine. Prenons l’exemple des départements et des régions : les uns construisent des collèges et les autres des lycées. On peut très bien imaginer qu’un collège et un lycée soient construits par un même niveau de collectivité, lorsque les sites sont identiques, par exemple. Autre possibilité de différenciation, une politique pourrait être appliquée différemment selon les territoires, en raison de leur diversité – d’une manière encadrée, naturellement. Je crois que c’est très important, car cela permettra de donner de la souplesse en matière de gestion mais aussi en termes de décentralisation.

La décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001 précise, Monsieur Hetzel, que « l’usage d’une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l’enseignement public ». Il y a eu un émoi considérable, en particulier du côté des Basques, lorsque je l’ai rappelé au Sénat, en séance publique, mais c’est ce que dit la décision du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, cela n’empêche pas un enseignement immersif – cela existe au Pays basque, en Bretagne et en Corse – dans le cadre d’une expérimentation. L’amendement adopté au Sénat en ce qui concerne l’enseignement immersif est trop imprécis et il comporte un risque constitutionnel. Les autres éléments ajoutés par le Sénat, notamment au sujet de la formation des enseignants ne sont pas prévus par l’accord de Matignon, et il n’y a donc pas lieu de les conserver. Par ailleurs, cela correspond à une compétence du ministère de l’Éducation nationale.

Je serai là, monsieur Mendes, pour les projets concernant d’autres territoires français, y compris ceux des transfrontaliers. On ne peut pas imaginer que d’autres départements ne soient pas concernés par la dimension transfrontalière – le traité d’Aix-la-Chapelle le prévoit d’ailleurs. La preuve est que nous avons déjà signé des accords avec le Luxembourg à propos des transports du quotidien. Nous serons présents s’il y a des projets – il ne suffit pas de coller une étiquette, si vous voyez ce que je veux dire.

Une action de la Collectivité européenne d’Alsace en matière de santé est prévue par l’accord de Matignon, monsieur Fuchs. Il n’est donc pas impossible d’envisager une disposition en la matière dans le projet de loi. Le Sénat a souhaité expliciter la compétence exercée dans le domaine sanitaire, mais ce qu’il a adopté est vraiment trop imprécis. Si une mention doit demeurer dans le texte, il faudra la réécrire. Je vous suggère de vous rapprocher de mes services afin d’aboutir à une rédaction qui tiendrait solidement la route.

Je rappelle aussi que nous avons décidé, avec le ministère de l’Éducation nationale, de créer un pôle d’excellence en matière de plurilinguisme. La décision a été prise par Jean-Michel Blanquer. Elle n’a pas vocation à figurer dans la loi, mais elle est tout à fait effective. Nous avons même obtenu que l’on revoie la grille de rémunération pour faciliter l’embauche de locuteurs parlant allemand et venant de l’autre côté de la frontière. Cela ne figure pas non plus dans le texte, car ce n’est pas de niveau législatif.

Les fonds européens sont désormais gérés par les régions, même s’il y a encore des choses à négocier au niveau du Gouvernement en ce qui concerne les fonds agricoles. Je sais, par ailleurs, que la Collectivité européenne d’Alsace discute actuellement de la possibilité de gérer à son niveau certains fonds, comme le Fonds social européen (FSE). Tout cela est en cours de négociation.

Pour ce qui est des organisations sportives et des fédérations professionnelles, qui vous tiennent particulièrement à cœur, Monsieur Straumann, je le sais, vous avez rappelé que M. Valls a favorisé une expérimentation  régionale. Ce qui a été fait dans un sens sur le plan réglementaire peut être refait dans l’autre sens : on peut demander aux fédérations de s’organiser autrement, si elles le veulent – on ne peut rien leur imposer.

En ce qui concerne le siège de la collectivité, je rappelle qu’il y aura toujours deux départements administratifs – c’est ce que les Alsaciens ont demandé –, comme en Corse. L’État s’y est engagé. Strasbourg est le chef-lieu du Bas-Rhin et Colmar celui du Haut-Rhin. La loi ne change rien sur ce point. La collectivité, quand elle existera, en 2021, pourra décider librement quel est son chef-lieu.

Merci, monsieur Cattin, pour votre intervention chaleureuse et amicale. (Sourires.) Vous m’avez dit qu’il faut être né et habiter en Alsace pour comprendre… Lorsque je me suis présentée pour la première fois aux élections dans ma commune, j’ai reçu des tracts affirmant que je ne serais jamais élue maire car je ne suis pas « née native » de La Chaussée-Saint-Victor – on dit ça chez moi. Mais je connais votre sens de l’hospitalité : vous m’accueillez toujours avec beaucoup de gentillesse, et je me sens donc presque alsacienne.

M. Ludovic Mendes. J’avais également posé une question sur les transports. C’est un vrai problème en Moselle. L’A31 passe par Thionville et Metz. Nous avons un des plus forts trafics. Il y a un projet soutenu par le Gouvernement et le préfet de région pour répondre à cette situation. Comment peut-on garantir qu’il n’y aura pas d’impact en Moselle en ce qui concerne les poids lourds ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. J’ai répondu à cette question. Je ne suis pas ingénieure des ponts et chaussées, mais le ministère des Transports a réalisé une étude objective : le report se limite à 12 poids lourds, je l’ai dit. Nous pourrons vous transmettre plus de précisions si vous le souhaitez.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci madame la ministre. Je rappelle qu’une délégation de notre Commission se rendra jeudi à Strasbourg. Nous examinerons les articles du projet de loi mardi prochain, à 16 heures 30 puis à 21 heures, la discussion générale ayant eu lieu cet après-midi, et le texte passera en séance publique le 24 juin. Nos collègues alsaciens seront naturellement les bienvenus en commission pour l’examen de ce texte.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales. Je ne pourrai malheureusement pas être avec vous la semaine prochaine.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous échangerons donc avec vous dans l’hémicycle.

 

La réunion s’achève à 18 heures 20.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Catherine Kamowski, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Louis Masson, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Paul Molac, M. Pierre Person, M. Jean-Pierre Pont, M. Robin Reda, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, Mme Maina Sage, M. Jean-Luc Warsmann

Assistaient également à la réunion. - M. Olivier Becht, M. Jacques Cattin, M. Pierre Cordier, M. Fabien Di Filippo, M. Bruno Fuchs, M. Laurent Furst, M. Patrick Hetzel, M. Frédéric Reiss, M. Éric Straumann, M. Vincent Thiébaut, M. Sylvain Waserman