Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

     Audition de Mme Dominique Kimmerlin, présidente de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)   2

     Compte rendu du déroulement de la Conférence interparlementaire sur les questions de lasile et de limmigration (Helsinki, 8  9 septembre 2019, Mme Élodie Jacquier-Laforge)                            17

     Information relative à la Commission ................... 20

 

 


Mercredi
25 septembre 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 104

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


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La réunion débute à 9 heures 40.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission entend Mme Dominique Kimmerlin, présidente de la Cour nationale du droit dasile (CNDA).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La commission des Lois poursuit aujourd’hui ses travaux préparatoires au débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe qui aura lieu prochainement dans l’hémicycle. Après un déplacement dans les Hauts-de-Seine, où un certain nombre d’entre vous étaient présents, le directeur général de Frontex nous permettra ce matin d’avoir un regard sur les frontières extérieures de l’Europe. Avant cela, la présidente de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), Mme Dominique Kimmerlin, nous fait le plaisir d’être avec nous ce matin. Mme Kimmerlin va nous présenter l’activité de la Cour dans un propos liminaire avant de répondre à nos questions.

Mme Dominique Kimmerlin, présidente de la CNDA. Vous avez souhaité m’entendre dans le cadre de la préparation du prochain débat national sur la politique migratoire. La CNDA, en tant que juridiction, n’est pas un acteur de la politique migratoire. Son rôle est de dire le droit, sous le contrôle de son juge de cassation – le Conseil d’État – en s’inscrivant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des cours européennes, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Sa mission est de juger, et, le cas échéant, de protéger toutes les personnes qui en ont besoin, et seulement celles-là. Il appartient ensuite aux pouvoirs publics de prendre les décisions qu’ils estiment nécessaires pour les demandeurs dont la Cour juge qu’ils n’ont pas droit à une protection.

La Cour est heureuse de pouvoir contribuer, à sa mesure, à l’information de la Commission avant le débat national voulu par le Président de la République.

Avant de répondre à vos questions, je souhaite vous présenter brièvement la mission de la Cour, son activité et ses enjeux dans le contexte actuel. C’est dans la loi du 25 juillet 1952, qui crée l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qu’apparaît pour la première fois la commission des réfugiés. Après plusieurs changements de dénomination, elle deviendra la CNDA en vertu de l’article 27 de la loi du 20 novembre 2007. Elle quitte alors le périmètre de l’OFPRA et du ministère de l’Intérieur. Elle relève, depuis le 1er janvier 2009, de la gestion administrative et budgétaire du Conseil d’État, au même titre que les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel.

Installée à Montreuil, la Cour est la juridiction administrative nationale spécialisée chargée d’examiner tous les recours présentés par les demandeurs d’asile s’étant vus refuser l’octroi d’une protection par l’OFPRA ou pour lesquels il a été mis fin le cas échéant à une protection précédemment accordée. Statuant en premier et dernier ressort sous le contrôle de son juge de cassation, le rôle de la Cour est essentiel mais circonscrit. Il consiste à contrôler le bien-fondé des décisions prises par l’OFPRA sur les demandes d’asile qui lui sont adressées, au regard du droit international. Celui-ci est constitué de la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 et de deux directives de l’Union européenne : la directive dite qualification et la directive dite procédures. Elles ont été transposées par la loi du 29 juillet 2015 dans le droit public français. Elles ont notamment permis de créer un second fondement de protection internationale : la protection subsidiaire.

Juge de plein contentieux, la Cour peut donc annuler la décision de l’OFPRA et accorder la protection demandée, sa décision se substituant alors à celle de l’OFPRA. Trois fondements peuvent motiver une décision d’octroi de protection. La Cour peut accorder l’asile constitutionnel à tout étranger en raison de son action en faveur de la liberté. Elle peut également reconnaître la qualité de réfugié en application de la convention de Genève à toute personne craignant d’être persécutée du fait de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social, ou en raison de ses opinions politiques. Enfin, elle peut également accorder une protection subsidiaire – prévue par la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011, dite qualification – à toute personne qui ne peut être considérée comme réfugiée au sens de la convention de Genève, mais qui court un risque réel d’atteinte grave dans son pays d’origine. Ce sont des atteintes du type risque de peine de mort, exécution, torture, traitements inhumains ou dégradants, ou une exposition dans ce pays d’origine aux mêmes risques en raison d’une situation de violence aveugle généralisée.

Que signifie juger et protéger ? Pour la Cour, il s’agit tout d’abord de protéger les libertés. Je vais faire référence à quelques décisions de la Cour rendues ces dernières années, notamment en 2018 et 2019. Elle peut protéger les libertés en reconnaissant, par exemple, la qualité de réfugié à un ancien esclave qui est parvenu à fuir ses bourreaux et son pays d’origine. Elle protège aussi les femmes soumises à des mutilations sexuelles ou exposées à des mariages précoces et forcés dans certaines régions d’Afrique ou d’Asie. Elle protège également des personnes dont les craintes, dans leur pays d’origine, sont liées à leur orientation sexuelle. Il s’agit aussi de sauvegarder l’ordre public en France en application des 1° et 2° de l’article L. 711-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) en refusant ou en mettant fin au statut lorsque des agissements sont contraires aux buts et principes des Nations Unies. La Cour a ainsi récemment confirmé la fin de la protection d’une personne, précédemment protégée, ayant participé à un système de traite des êtres humains dans une décision qui a été rendue en grande formation cette année. La Cour peut aussi retirer ou mettre fin à ce statut si la personne représente une menace grave pour la sûreté de l’État ou pour la société, en application des 1° et 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015.

Je voudrais insister sur la particularité de la CNDA. La Cour est unique à plus d’un titre. D’abord par la nature du contentieux dont elle est la seule à traiter en France. Il porte sur l’application de textes internationaux retranscrits dans la loi résultant des engagements de la France et fondant un droit constitutionnellement protégé. Elle est également unique par les requérants qu’elle accueille, de plus de 126 pays et en 146 langues. Cela implique pour la Cour de disposer d’une connaissance étendue et actualisée des situations géopolitiques dans les pays d’origine. Cette mission est assurée par le centre de recherche et de documentation de la Cour. Il assure la veille et le recensement des sources documentaires sur les pays d’origine qui peuvent être consultées par les formations de jugement et par les rapporteurs pour apprécier ce que nous appelons un risque pays. Ce centre publie ses propres analyses à travers des notes, des dossiers pour chaque pays et des conférences d’actualité.

La CNDA est par ailleurs unique par la place qu’elle occupe dans le réseau des cours européennes et mondiales, où elle est un acteur écouté dans le dialogue des juges et la coopération juridictionnelle. En effet, elle entretient des contacts institutionnels avec le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), la CJUE, la CEDH et le réseau des juges de l’asile européens et mondiaux à travers sa participation institutionnelle au conseil d’administration de l’Association internationale des juges de l’asile (IARMJ), qui réunit l’ensemble des juges de l’asile dans le monde. Dans le cadre de cette activité internationale, la Cour contribue à la rédaction de guides didactiques sur les aspects juridiques du droit de la protection internationale à destination des juges de l’asile.

La Cour est aussi unique par son organisation. Elle emploie 22 présidents permanents depuis le 1er janvier 2019. Les premiers magistrats y ont été affectés en 2009. Elle emploie également plus de 620 agents. Son organisation juridictionnelle repose sur 22 chambres réparties en six sections qui font appel à des juges vacataires. Ce sont des professionnels pour les présidents de séance et des non professionnels pour les juges assesseurs. Ces juges vacataires sont, à ce jour, au nombre de 396. Cette communauté de travail rassemble aujourd’hui plus de 1 000 personnes. 1 700 avocats viennent y plaider. La Cour fonctionne toute l’année à l’exception d’une interruption d’une semaine à Noël et de deux semaines au mois d’août.

Enfin, la Cour est unique par son activité. Il s’agit de la juridiction administrative spécialisée qui rend le plus grand nombre de décisions. En 2018, nous avons jugé 47 314 affaires, et, en 2019, nous approcherons probablement les 67 000 affaires jugées.

Elle est également la juridiction administrative qui juge le plus rapidement, puisque le délai moyen de jugement constaté au 1er janvier 2019 s’établit à six mois et quinze jours, toutes procédures confondues.

L’activité juridictionnelle dépend exclusivement de deux facteurs sur lesquels la juridiction n’a aucune prise. En premier lieu, la dynamique de la demande d’asile résulte des flux d’entrée sur le territoire français. En deuxième lieu, les décisions rendues par l’OFPRA font l’objet d’un recours dans plus de 85 % des cas devant la Cour. De même, la structure des entrées à la Cour dépend du classement des affaires soit en procédure normale – débouchant sur une formation collégiale de jugement à la Cour – soit en procédure accélérée – notamment pour les ressortissants de pays d’origine sûr, relevant alors d’un jugement en formation de juge unique.

Quelques chiffres permettent de mieux situer l’activité de la Cour et de percevoir ses enjeux. Entre 1953 et 1976, le nombre de recours était inférieur à 400 par an. Il dépassait les 2 000 à la fin des années soixante-dix, puis les 10 000 au milieu des années quatre-vingt, jusqu’à atteindre le nombre de 53 615 en 1991.

La Cour a connu ensuite deux baisses historiques au milieu des années quatre‑vingt‑dix, jusqu’en 1998, puis entre 2004 et 2008. Depuis 2008, la tendance est à l’augmentation régulière des recours, avec une accélération de plus de 34 % en 2017, et de 9,5 % en 2018 – année record où ont été enregistrés 58 671 recours. Le nombre d’affaires jugées entre 2008 et 2018 a presque doublé, passant de 25 027 à 47 314 au 31 décembre 2018. Au cours de la même période, et malgré l’augmentation continue des recours, le délai moyen constaté de jugement a été réduit de moitié, pour passer de 12 mois et 27 jours à 6 mois et 15 jours au 31 décembre 2018.

Cette évolution s’inscrit dans une tendance durable. Afin de répondre à la demande, elle mobilise fortement les formations de jugement et les agents. Cependant, cette mobilisation est indispensable et a permis une diminution du stock des affaires en instance qui est passé de plus de 36 000 affaires au 31 décembre 2018 à 34 000 au 31 août 2019. Je voudrais saluer la mobilisation des personnels de la Cour et l’effort qu’ils fournissent dans ce cadre tout en soulignant le défi que représentent le recrutement, la formation et l’intégration de plus de 300 nouveaux agents accueillis depuis janvier 2017. L’année 2019 s’annonce dans la même tendance. Le nombre de recours s’élève à 40 067 affaires nouvelles pour les huit premiers mois de l’année, bien qu’en légère baisse par rapport à la même période l’année précédente. Le nombre d’affaires jugées s’élève à 42 617 sur cette même période, ce qui représente une hausse de 55,2 % par rapport à 2018. Les délais moyens constatés évolueront de la même manière dans le courant de l’année, bien qu’il soit impossible de les évaluer à ce stade puisque le délai est constaté à la fin de l’année.

À ce jour, les principaux pays de provenance des demandeurs d’asile devant la Cour sont l’Albanie, la Géorgie, la Guinée, le Bangladesh, l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, la République Démocratique du Congo, le Mali et Haïti. Ces dix pays représentent à eux seuls 55 % des affaires enregistrées depuis le début de l’année.

Quels sont les enjeux de la Cour dans le contexte actuel ? Le principal réside dans la poursuite de la mise en œuvre de la loi du 29 juillet 2015, qui a instauré – cas unique en France – deux délais de jugement, selon la nature de la procédure, qui s’appliquent à l’ensemble des affaires que la Cour doit juger. Ces délais sont des délais moyens constatés. Le premier, de cinq mois, concerne les recours portant sur des demandes placées en procédure normale. Elles seront jugées par une formation collégiale composée de trois juges. Le second est de cinq semaines. Il s’applique aux recours placés en procédure accélérée et jugés par un juge unique. La distinction entre ces deux procédures depuis la loi de 2015 a conduit la Cour à se réorganiser en profondeur pour travailler dans des délais contraints et être en capacité d’orienter les recours selon deux circuits d’audiencement distincts et des formations de jugement différentes. Elle a nécessité la mobilisation de tous les juges et agents, mais aussi des avocats qui n’étaient pas d’emblée favorables à cette réforme. Le dossier doit être orienté dès son enregistrement par le greffe, selon la procédure dont il relève. Un enrôlement des recours selon deux calendriers différents doit être mis en œuvre : convocation à un mois pour les formations collégiales, ou à quinze jours pour les formations à juge unique.

Par ailleurs, la Cour, qui gère de manière autonome l’examen des demandes d’aide juridictionnelle, a dû accélérer l’examen de celles-ci pour permettre d’adapter le délai d’instruction au traitement et aux délais fixés par le législateur. Ces demandes d’aide juridictionnelle s’élevaient en 2018 à 45 000 euros. Elles sont intégralement traitées par la Cour dans un délai moyen de onze jours. Ce délai aboutit à la désignation d’un avocat.

Dans un contexte de progression continue et régulière du nombre de recours et afin de réduire les délais, la Cour a misé sur la dématérialisation et l’automatisation des procédures compte tenu des volumes d’affaires à traiter. Par exemple, le dossier du demandeur d’asile détenu par l’OFPRA est automatiquement actualisé, transmis et intégré dans le dossier du recours devant la Cour, grâce à un processus de communication avec l’OFPRA. Par ailleurs, la totalité des courriers envoyés par la Cour à destination des avocats ont été dématérialisés afin de réduire les délais de transmission et de faciliter la fluidité des échanges. À cet égard, la Cour a ouvert, hier, la possibilité pour ces professionnels de lui adresser – de manière dématérialisée – l’ensemble de leurs écritures, recours, mémoires complémentaires, pièces, ainsi que toute correspondance. Nous avons aussi développé un outil d’aide à l’enrôlement capable de proposer des paniers de dossiers en état d’être enrôlés afin d’assurer le respect des délais de convocation et la soutenabilité des audiences, ce qui suppose l’examen de treize affaires dans une journée. Enfin, la dématérialisation complète de l’instruction des dossiers par les rapporteurs et les juges à l’audience est devenue effective. Ces derniers travaillent sur des dossiers dématérialisés, y compris dans les salles d’audience. Ils peuvent ainsi prendre connaissance en salle d’audience de l’entièreté du dossier et de la note du rapporteur de manière dématérialisée. C’est le premier enjeu qui résulte de la loi de 2015.

Le deuxième réside dans la mise en œuvre de la réforme du droit d’asile, en application de la loi du 10 septembre 2018. Elle implique l’organisation d’audiences en visioconférence sur le territoire métropolitain pour les demandeurs domiciliés ailleurs qu’en Île-de-France, soit environ 60 % des cas. La loi du 10 septembre 2018 a prévu la possibilité d’organiser des vidéoaudiences sans le consentement du demandeur, principale évolution apportée à la loi de 2015. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 septembre 2018, a déclaré cette disposition conforme à la Constitution et compatible avec le principe du droit à un procès équitable. Il a également fourni le mode d’emploi de son application. La Cour a donc mis en œuvre cette procédure en respectant scrupuleusement les points soulevés par le Conseil constitutionnel : déroulement de l’audience dans des locaux de justice, confidentialité et fiabilité de la communication audiovisuelle et présence de l’avocat et de l’interprète aux côtés du demandeur.

L’objectif n’est pas tant de gagner en délai de jugement – quoique l’on puisse espérer que cette réforme permette aux demandeurs de se rendre plus aisément à l’audience qui se déroule désormais à côté de leur domicile, et d’éviter des renvois pour ce motif – que de faciliter l’accompagnement des demandeurs qui peuvent être pris en charge, tant par leur avocat – qui est à leurs côtés dès le début du dépôt du recours – que par les travailleurs sociaux qui les accompagnent généralement depuis leur installation sur le territoire. Se rendre à Montreuil pour des personnes qui ont parfois du mal à financer un voyage en train, se perdre à Paris, vivre le stress d’arriver en retard à l’audience, ne pas avoir le temps de voir son avocat – qui bien souvent est parisien – avant l’audience, cela ne constitue pas des conditions d’accueil dignes. D’ailleurs, la question de la dignité dans l’accueil des demandeurs d’asile a été soulevée par le Conseil constitutionnel pour valider la disposition supprimant le consentement du demandeur aux vidéoaudiences.

Par ailleurs, la Cour dispose d’une véritable expérience en matière de vidéoaudience, depuis cinq ans, avec l’ensemble des territoires et départements d’outre-mer. Elle siège en vidéoaudience avec Mayotte, Cayenne, Fort-de-France et Basse-Terre, sans que cela n’ait jamais suscité la moindre difficulté.

En revanche, le déploiement de ce système sur le territoire métropolitain a suscité une opposition très forte de la part des avocats qui ont enclenché un mouvement de protestation au cours de l’hiver dernier. Ce mouvement a conduit la CNDA à ouvrir une négociation qui n’a pas abouti à ce stade, mais qui a permis l’engagement d’une médiation sous l’égide d’une personne tierce. Cette médiation nous a permis de renouer le dialogue et d’avancer sur des points de rapprochement. Elle devrait nous permettre de trouver, à un terme très rapproché, un terrain d’entente avec les avocats.

Le troisième et dernier enjeu pour la Cour réside dans la recherche de l’efficience afin que l’objectif de réduction des délais de jugement n’obère en rien la qualité des décisions rendues et conforte la place de la Cour au sein du système de l’asile européen. Compte tenu de la taille de la juridiction et de la diversité des populations qui la composent, l’amélioration de l’efficacité passe notamment par l’harmonisation des pratiques procédurales – nous avons constitué un groupe de travail à cet effet qui vient de rendre son rapport –, l’harmonisation des décisions jurisprudentielles qui sont rendues par des centaines de formations de jugement et la formation initiale et continue des juges et des agents à l’audience.

L’année judiciaire écoulée a vu l’aboutissement de réformes structurelles destinées à rendre les décisions de la Cour plus compréhensibles pour les justiciables. L’année en cours verra l’achèvement de deux chantiers majeurs pour la juridiction : l’automatisation complète de l’enrôlement des quelques 6 400 audiences annuelles, et l’automatisation de leur rendement qui, de notre point de vue, sera un gage de qualité accru des rôles, et donc de prévention des renvois d’affaires à l’audience. Un autre chantier se terminera en 2019 : le développement d’une consultation facilitée de la base documentaire dont dispose la Cour, destinée à faciliter le travail des rapporteurs mais aussi des juges à l’audience. Enfin, cette année sera aussi l’occasion de dresser le bilan d’une expérimentation qui est en cours dans la juridiction, portant sur la spécialisation géographique des formations de jugement, elle aussi porteuse d’une meilleure efficacité.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie pour ces précisions très intéressantes sur l’organisation de votre juridiction. La Cour poursuit son effort pour améliorer son fonctionnement et la qualité des décisions qu’elle rend.

M. Thomas Rudigoz. Madame la présidente de la CNDA, ma question concerne la vidéoaudience. Je rappellerai que la loi du 10 septembre 2018 a généralisé le recours à la vidéoaudience prévue à l’article L.733-1 du CESEDA. L’extension de ce recours, qui existe déjà depuis cinq ans dans nos départements d’outre-mer, a été vivement critiquée par de nombreux opposants dans notre hémicycle, mais aussi par la profession des avocats. Pourtant, la vidéoaudience a été strictement encadrée par le législateur. L’intéressé, assisté d’un conseil, a bien évidemment la possibilité que ce dernier soit physiquement présent auprès de lui.

Selon le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, le législateur a contribué, avec cette mesure, à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics en évitant l’allongement des délais d’audience, le déplacement des demandeurs et des transferts sous escorte. Elle a réduit ainsi les coûts pour l’administration. Aujourd’hui, il me semble que six salles de vidéoaudience ont été équipées : quatre à Montreuil, une à Lyon et une à Nancy. La vidéoaudience pour les demandeurs d’asile est ainsi expérimentée dans les cours administratives d’appel de Lyon et de Nancy depuis le 1er janvier.

À ce titre, un an après le vote de la loi du 10 septembre 2018 et après neuf mois de fonctionnement, pouvez-vous, en l’état, nous dresser un bilan de cette mesure et nous préciser le nombre d’affaires jugées par vidéoaudience sur la métropole ?

M. Arnaud Viala. Ma première question porte sur l’évolution du volume d’affaires que vous avez à traiter depuis un certain nombre d’années. Comment se caractérise cette évolution depuis la mise en œuvre de la loi du 10 septembre 2018 ? Constatez-vous une modification du nombre de dossiers ou est-il trop tôt encore pour évaluer les changements éventuels ? Ensuite – même si vous avez dit d’emblée que le suivi de la mise en œuvre des décisions de votre Cour relève des autorités compétentes –, quel regard portez-vous sur la mise en application de ses décisions ? Par ailleurs, publiez-vous, ou est-il possible d’accéder annuellement à un rapport d’activité de votre Cour, indépendamment de l’audition à laquelle nous participons ce matin ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je voudrais également vous demander une précision à propos des procédures normales et des procédures accélérées. Pouvez-vous nous communiquer la répartition du nombre de dossiers et de jugements selon ces deux procédures ?

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Madame la présidente de la CNDA, vous nous avez parlé de la nature unique de votre juridiction. Je souhaitais avoir votre point de vue, puisqu’il y a beaucoup de réflexions à l’heure actuelle au niveau européen, sur la convergence du traitement de la demande d’asile. Par rapport à nos voisins et pays amis européens, allons-nous pouvoir harmoniser cette spécificité française, ou en tout cas engager ce travail ? Certaines souhaiteraient même jusqu’à pouvoir reconnaître des décisions qui viendraient d’autres pays européens.

Par ailleurs, pouvez-vous nous communiquer le taux de réforme des jugements de l’OFPRA ? Aussi, est-il possible de disposer des chiffres de leur évolution dans le temps et éventuellement par pays ? Ils nous permettraient d’évaluer les différences d’appréciation que vous pourriez avoir avec l’OFPRA.

Enfin, on parle beaucoup de réfugiés climatiques. Vous avez décrit les critères qui peuvent être retenus dans les conventions que vous avez mentionnées. La menace climatique, me semble-t-il, n’y est pas mentionnée. Des évolutions en ce sens pourraient-elles être envisagées ?

Mme Emmanuelle Ménard. Ma première question concerne quelques chiffres. Comment expliquez-vous qu’au premier semestre 2019, les demandes d’asile aient augmenté de 7 % en France, alors qu’elles diminuaient de 10 % en Allemagne et de 43 % en Italie ? Il en va de même pour les nationalités : comment expliquez-vous les différences de pays d’origine ? Pour le reste de l’Union européenne, les pays d’origine des demandeurs d’asile sont majoritairement la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak. Vous avez expliqué et détaillé les pays d’origine des demandeurs d’asile en France, qui sont plutôt – à part l’Afghanistan – la Géorgie, l’Albanie, la Guinée, la Côte d’Ivoire. Comment expliquez-vous, par exemple, que la France accorde une protection à 83 % des Afghans, contre moins de 40 % pour l’Allemagne ?

Ma deuxième question est plus générale. Pensez-vous, comme le chef de l’État, que le droit d’asile est aujourd’hui détourné de sa finalité en France ?

Mme Dominique Kimmerlin. S’agissant de la vidéoaudience, il n’est évidemment pas encore possible de dresser un bilan dès lors que la tenue des audiences a été très fortement perturbée dès l’ouverture du dispositif. En pratique, nous avons assisté à un blocage complet de l’activité, ce qui fait que nous n’avons pu tenir qu’une vingtaine d’audiences entre Nancy et Lyon. La Cour a examiné seulement une centaine d’affaires, dans des conditions très compliquées qui m’ont conduites à engager, assez rapidement, des négociations avec les avocats. Elles ont débouché à la fin du printemps sur l’engagement d’une médiation, afin de trouver un terrain d’accord, qui est en cours de discussion. Je suis plutôt optimiste aujourd’hui. À ce stade, le bilan ne peut donc pas être dressé très clairement.

La Cour est équipée de quatre salles. Nous avons réalisé un investissement en l’espace de quelques semaines avec l’équipement de trois salles supplémentaires. Une existait préalablement pour les audiences avec l’outre-mer. Deux salles ont été installées à la Cour administrative d’appel de Nancy – compte tenu du volume potentiel d’activité –, ainsi qu’une salle à Lyon.

En dehors de la suppression du consentement du demandeur pour être entendu en vidéo-audience, la loi du 10 septembre 2018 n’a pas eu d’impact sur les entrées de la Cour, ni sur leur structure, ni sur leur volume. Son seul impact concerne la nécessité pour le bureau d’aide juridictionnelle d’examiner très rapidement les demandes d’aide. En effet, le délai de recours d’un mois est suspendu le temps de cet examen. Il est donc important de permettre une désignation très rapide de l’avocat. À compter de cette date, le délai de recours recommence à courir pour présenter le recours devant la Cour. À mon sens, il n’y a pas d’autres conséquences directes liées à cette loi. La nature et la volumétrie des entrées à la Cour dépendent absolument de ce qui est fait à l’OFPRA.

Par ailleurs, la Cour n’a aucun regard sur la mise en application des décisions. Une juridiction rend des décisions qui sont revêtues de la force exécutoire. Il appartient ensuite aux pouvoirs publics d’en tirer les conséquences. Il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas de corrélation entre une décision éventuelle de refus de protection confirmée par la Cour en premier et dernier ressort et la situation personnelle du demandeur d’asile. Ce dernier peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement sur le territoire, mais, peut aussi demander un titre de séjour sur d’autres fondements juridiques que celui de l’asile. La demande d’asile n’est qu’une partie de la question, beaucoup plus large, de l’installation éventuelle en France de ressortissants étrangers. La Cour est seulement concernée par la question de l’asile et de l’application des textes internationaux. Elle n’a aucun regard sur la mise en œuvre des décisions qui peuvent être prises par les pouvoirs publics – en l’occurrence, les préfets – à la suite d’une décision de refus d’octroi de protection. Ce n’est pas son rôle.

Notre rapport d’activité, qui concerne pour l’instant l’année 2018, est en ligne sur le site Internet de la Cour. Vous pouvez vous y reporter sans difficulté. Vous y trouverez également le recueil de jurisprudence, sélection des grandes décisions rendues par la Cour au cours de l’année écoulée, ainsi que les précédents rapports d’activité et les précédents recueils de décisions rendues par la Cour au cours de chaque année.

Sur la répartition des entrées, une question porte sur la distinction entre procédure normale et procédure accélérée. Cette distinction résulte du placement et du classement de la demande par les préfectures – notamment les guichets d’accès – qui déterminent si elle relève d’une procédure normale ou d’une procédure accélérée. La procédure normale débouche, en cas de recours à la CNDA, sur un jugement rendu en formation collégiale par trois juges. La procédure accélérée concerne un certain nombre d’hypothèses complétées par la loi de 2018, notamment en matière d’atteinte à l’ordre public, mais aussi les demandeurs qui sont en provenance de pays dits d’origine sûre, parmi lesquels figurent l’Albanie et la Géorgie. Cette procédure suppose un traitement et une instruction accélérés à l’OFPRA, mais également un jugement dans un délai de cinq semaines par la Cour, cette fois‑ci en formation à juge unique. La répartition entre ces deux types de recours est de l’ordre de 60 % pour les procédures normales – et 40 % pour les procédures accélérées. Les chiffres sont globalement assez stables. Ils peuvent varier, mais l’ordre de grandeur reste 60-40 %. Le nombre d’affaires jugées par la Cour reproduit également à peu près cette proportion. Nous veillons à traiter les affaires selon des calendriers distincts et différenciés qui nous permettent de chercher à respecter les délais indicatifs prévus par la loi de 2015.

S’agissant de la réflexion en cours en Europe sur les possibilités de convergence, je ne suis que cheffe de juridiction et ne suis pas partie prenante aux discussions menées par la France. Nous suivons ces discussions, notamment celles qui concernent le paquet asile, c’est-à-dire la perspective de modification des directives qualification et procédure. Elles pourraient d’ailleurs changer de statut et être transformées en règlements. Auquel cas, nous aurions là des dispositions d’effet direct dans notre État de droit.

Plus particulièrement, deux aspects pourraient concerner la Cour mais ne posent pas de difficultés à ce stade. Il s’agit du délai de jugement dans lequel ce futur règlement prévoirait que les cours ou les juges de l’asile rendent leur décision. Actuellement, les délais discutés sont de deux mois pour les procédures accélérées et de six mois pour les procédures normales. La Cour s’intéresse à ces discussions au niveau européen, surtout si elles parviennent à converger sur cette question. Il y a un deuxième aspect qui est suivi, mais il s’agit plus d’une histoire de boutique si vous me permettez l’expression. Il concerne la question de la charge de la preuve devant les juges de l’asile dans le système européen et porte notamment sur la question des documents produits dans le cadre de l’instruction du dossier ou en séance. Ce sont des documents rédigés en langue étrangère. La discussion tourne autour de l’idée qu’il appartiendrait peut-être au juge, à l’avenir, de s’assurer de la traduction de ces documents et de la prendre en charge. Le souci est de garantir la qualité de la traduction et son authenticité, mais il ferait peser une charge budgétaire importante sur les juridictions. C’est un point que nous suivons et qui nous préoccupe un peu, même si tout cela relève des discussions entre États sur lesquelles la Cour n’a pas de prise et dans lesquelles elle n’est pas partie prenante en tant que telle.

Concernant le taux de recours contre les décisions rendues par l’OFPRA, il évolue légèrement à la hausse depuis quelques années. Il se situe en 2018 à 86,6 %. Il était de l’ordre de 83 à 84 % il y a environ cinq ans. Il y a une légère augmentation, mais le taux de recours reste autour de 85-86 %.

Une des questions posées portait sur les nationalités qui sont les plus souvent représentées devant la Cour. Dès lors que l’activité de la Cour dépend des décisions rendues, plus l’OFPRA va protéger certaines nationalités, moins la Cour sera saisie de ces nationalités, bien logiquement. C’est la raison pour laquelle ne se trouve pas, par exemple, la Syrie dans les premiers pays de recours, et certaines autres nationalités prises en charge, traitées et protégées par l’OFPRA. Certains cas font exception, notamment des dossiers syriens pour lesquels l’OFPRA accorde la protection subsidiaire en raison de la situation de violence généralisée dans la région d’origine du demandeur. Certains ressortissants viennent alors malgré tout devant la Cour demander une protection renforcée au titre de la convention de Genève. Hormis, ce type de situation particulière, la Cour reçoit effectivement des demandeurs dont la provenance n’est pas la même que l’OFPRA. Elle ne partage pas le même classement des dix premières nationalités que l’Office, même si certains éléments se recoupent. D’où l’importance des nationalités en provenance de pays d’origine sûre – comme l’Albanie ou la Géorgie – qui sont des nationalités faisant l’objet d’une faible protection devant l’OFPRA et donnent lieu à des recours et à des protections très faibles devant la Cour.

À propos des réfugiés climatiques, actuellement, ni la convention de Genève, ni les directives, ne prennent en compte ce fondement juridique. Je pense que – comme toujours – le droit est susceptible d’évoluer, et la question reste posée pour l’avenir immédiat.

Concernant les convergences de jurisprudence et les questions évoquées à propos des décisions, des solutions et de l’appréciation rendues par certains pays sur quelques nationalités, le cas de l’Afghanistan est souvent cité dans la presse. C’est une nationalité pour laquelle le juge allemand paraît plus sévère que le système français. Je rappelle qu’il ne s’agit pas seulement du juge. Il y a en premier lieu l’OFPRA qui examine ces demandes et peut être amené à octroyer des protections. Cela peut paraître paradoxal, mais il faut avoir à l’esprit que nous appliquons tous les mêmes textes. Nous appliquons la convention de Genève et la directive qualification. Nous n’arrivons pas forcément toujours aux mêmes solutions même si nous avons à cœur de chercher à nous rapprocher, entre juges européens d’asile, d’où l’importance du travail qui est fait à la Cour dans le cadre de sa collaboration avec l’EASO et l’IARMJ. Nous avons beaucoup d’occasions de nous rencontrer, d’échanger sur les décisions que nous rendons et sur les raisons qui motivent des écarts de jurisprudence. C’est dans un cadre d’échange que l’on peut comprendre et rapprocher ces points de vue pour arriver à une harmonisation, tout cela sous le contrôle de la CJUE. C’est la Cour qui va être en capacité d’harmoniser en premier lieu ces solutions. Il s’agit donc d’un travail que nous faisons et que nous avons à cœur de suivre. Dire le droit et rendre la justice, c’est apprécier une situation factuelle au cas par cas, au regard d’une règle que l’on va interpréter. Il est naturel que, selon les traditions judiciaires et culturelles, nous puissions avoir des appréciations différentes entre les pays européens.

Je citais le cas de l’Afghanistan et de l’appréciation de la situation de violence généralisée de haute intensité. Certains collègues européens peuvent avoir une approche différente de la nôtre sur la notion de haute intensité, même si nous partageons la ressource documentaire et même si nous travaillons sur les mêmes documents d’information qui nous permettent d’évaluer la gravité de la situation de violence. Il n’en reste pas moins que selon les uns et les autres et selon nos traditions, nous pouvons avoir une appréciation légèrement différente qui va conduire l’un à considérer que cette violence n’est pas de haute intensité à un certain endroit, alors qu’un autre va considérer qu’elle doit être retenue comme étant de haute intensité. Cette appréciation débouche sur l’octroi d’une protection subsidiaire qui ne relève pas de la convention de Genève et qui permet de protéger une personne dans l’attente de l’évolution de la situation. Une fois que la situation de violence disparaît, il est mis fin à la protection – en principe. Chaque cas s’apprécie individuellement, expliquant ces divergences qui nous conduisent aussi à travailler sur des rapprochements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons prendre une seconde série de questions.

Mme Marie Guévenoux. Vous nous avez dit que 10 pays représentaient 55 % des jugements. Pouvez-vous nous indiquer, pour ces pays, combien de décisions de la Cour ont annulé la décision de l’OFPRA ? Vous avez également évoqué le rôle de l’OFPRA pour retirer ou mettre fin au statut. Combien de retraits avez-vous prononcés et sur quels motifs principaux ?

M. Vincent Bru. Vous avez beaucoup parlé de la réduction des délais de jugement. Actuellement, ils sont de six mois et quinze jours. Vous n’êtes pas tout à fait à cinq mois. Devant l’OFPRA, le délai a été réduit d’un mois, me semble-t-il. Mais devant la CNDA, ces délais n’arrivent pas à être comprimés, et augmentent même peut-être légèrement. Pouvez-vous nous dire quelles en sont les raisons et quels sont les moyens mis en œuvre pour y remédier ? Ensuite, pouvez-vous nous donner le nombre et le taux des recours en cassation devant le Conseil d’État des décisions qui sont prises par la Cour ? Enfin, avez-vous rencontré des problèmes de traduction ? Je pense aux difficultés qu’ont les requérants à parler, notamment lorsqu’il y a des langues minoritaires. Êtes-vous confrontée à ce problème ?

Mme Caroline Abadie. Je souhaite poser une question sur vos ressources humaines. Vous êtes soumis à une croissance continue des recours qui résultent de l’augmentation du volume de demandes d’asile traitées par l’OFPRA, par ricochet. Malgré de nombreux recrutements, vous subissez aussi quelques départs. J’en ai noté 43, de mémoire, dans votre rapport d’activité. Cependant, vos effectifs continuent d’augmenter, puisqu’il me semble que vous indiquiez que vous aviez obtenu plus de 300 agents depuis 2017, afin de soutenir cette charge accrue et d’améliorer les délais dans lesquels les décisions sont rendues. Pour autant, j’ai noté que le nombre de décisions rendues est resté quasiment stable entre 2017 et 2018. Auriez-vous une explication à nous fournir ? Je crois que vous avez subi des grèves qui ont pu affecter vos services en début d’année. Par ailleurs, constatez-vous un taux de renouvellement particulier, au sein de vos équipes, qui constituerait un obstacle à améliorer encore le traitement des recours qui vous sont soumis ?

Mme Marie-France Lorho. Au début du mois de septembre, un garçon de 19 ans a été tué à Villeurbanne, victime d’une attaque à l’arme blanche commise par un Afghan de 33 ans. Cet homme était bénéficiaire depuis mai 2018 d’une mesure de protection subsidiaire, comme 497 autres demandeurs pour cette année-là. Des zones d’ombre demeurent sur ses conditions d’accueil. Celui-ci était toujours hébergé en centre pour demandeurs d’asile alors qu’il bénéficiait d’une carte de séjour. Par ailleurs, il était connu sous au moins deux identités et trois dates de naissance en France. Les recours devant la CNDA issus de personnes de nationalité afghane ont bondi de 59,4 % entre 2017 et 2018. Cette population constitue 4 % des entrées totales sur le sol français validées par la CNDA. Alors que cet individu n’a pas pu apporter la preuve d’une menace le visant personnellement dans son pays d’origine, comment se fait-il qu’il ait pu être protégé en France ? Comment un tel profil, au vu des dysfonctionnements relevés, a-t-il pu bénéficier d’une mesure de protection subsidiaire ?

M. Jean-François Eliaou. Je voudrais revenir sur le centre de recherche et de documentation qui me semble être une structure extrêmement intéressante pour actualiser les informations sur lesquelles se basent les jugements rendus. Comment fonctionnent vos relations avec ce centre, ainsi qu’avec les organisations internationales, le ministère des Affaires étrangères et l’OFPRA pour maintenir une certaine cohérence tout en garantissant une forme d’autonomie ? Y a-t-il une cohérence dans le résultat de cette veille documentaire avec les autres juridictions semblables en Europe ?

Mme Marietta Karamanli. J’aurais tout d’abord souhaité connaître l’impact et les effets de la loi du 10 septembre 2018 sur les décisions de la CNDA. Y a-t-il beaucoup de personnes réfugiées qui n’ont pas pu avoir recours à un avocat ? Peut-être avez-vous des statistiques à ce sujet ? Enfin, le rapport de l’OCDE réalisé pour le G20 affirme que les migrations humanitaires reculent, et ce contrairement aux migrations familiales et de travail qui augmentent. Avez-vous pu constater ce phénomène ces derniers mois et l’année précédente ?

M. Éric Ciotti. Les chiffres que vous nous avez fournis confirment la prise de conscience un peu nouvelle du Président de la République qui a légitimement souligné, qu’aujourd’hui, la procédure noble de l’asile, qui fait honneur à notre pays, est très largement dévoyée. Finalement – et c’est un propos que je tiens de façon récurrente depuis de nombreuses années ici –, l’asile est devenu la procédure légale pour l’immigration illégale et s’avère abondamment détourné par des passeurs qui font commerce de la vie humaine.

Nous avons multiplié, notamment dans la loi de 2015, les procédures et les droits offerts aux demandeurs d’asile – y compris en matière de recours suspensif – devant la CNDA, entre autres pour les demandes formulées par des ressortissants émanant de pays sûrs. Or, nous savons qu’il s’agit de façon quasi systématique de démarches visant à contourner les procédures pour entrer de façon légale sur le territoire national. Comment estimez-vous les conséquences de la mise en œuvre du caractère suspensif des recours qui font obstacle à la délivrance d’obligations de quitter le territoire français et qui retardent, ou qui empêchent, l’éloignement – quasiment inexistant – des déboutés du droit d’asile ? Je crois qu’à peine 5 % des déboutés sont éloignés du territoire national. C’est un scandale absolu, parce qu’ils se trouvent dans la même situation que les réfugiés, et quelquefois de façon plus favorable, puisqu’ils se maintiennent dans des logements qui leur avaient été octroyés, alors que ce n’est plus le cas pour les réfugiés. Ensuite, quel regard portez-vous sur le traitement des dossiers des ressortissants émanant des pays sûrs, afin que cesse enfin ce dévoiement manifeste du droit d’asile ?

M. Jean Terlier. Vous nous avez indiqué que le taux de recours contre les décisions OFPRA en 2018 s’élevait à 86,6 %. Nous voyons que la loi de 2018 n’a pas encore produit ses effets. Pouvez-vous évoquer les perspectives pour 2019 ? Je souhaiterais savoir si nous nous orientons plutôt sur un chiffre en diminution ou si nous resterons sur les mêmes proportions ? Ensuite, pourriez-vous – sur ce chiffre de 86,6 % – nous indiquer le taux de confirmation des décisions formées contre celles de l’OFPRA et rendues par la CNDA ? Par ailleurs, j’ai la même question que mon collègue M. Bru sur le taux de recours des décisions de la CNDA devant le Conseil d’État. Enfin, pouvez-vous évaluer le nombre de recours qui pourraient être caractérisés de recours dilatoires devant la CNDA ? Disposez-vous d’agents chargés d’évaluer ce type de procédures qui risqueraient d’emboliser le système ?

Mme Valérie Boyer. Je voudrais souligner qu’il y a une certaine urgence en Europe, en particulier en France, qui est confrontée à une vague migratoire sans précédent – comme beaucoup de mes collègues l’ont dit. L’opinion publique ne conteste en rien le droit d’asile mais s’inquiète sur les capacités d’accueil, d’intégration et d’assimilation de la France vis-à-vis des réfugiés. D’ailleurs, le Président de la République lui-même l’aurait dit hier. Il est vrai que l’immigration de travail a été très importante pendant les 30 glorieuses. Mais aujourd’hui, nous sommes confrontés à un nouveau défi migratoire qui utilise souvent le vecteur du droit d’asile pour pouvoir entrer dans le pays par le biais d’une immigration légale pour devenir ensuite une immigration illégale. Mes questions portent sur les personnes qui sont déboutées du droit d’asile et qui restent en France.

Comme bon nombre de mes concitoyens, j’ai été très choquée d’apprendre dans la presse quotidienne régionale certains faits divers qui impliquent des personnes en procédure de demande d’asile, qui sont maintenues dans cette procédure, alors qu’elles sont connues des services de police pour des faits de violences conjugales notamment. Je pense à la personne qui a assassiné une jeune fille après l’avoir violée, dans le Sud-Ouest. Je sais qu’il y a un problème de quantum des peines aujourd’hui. Ne pourrait-on pas revenir sur cette question ?

Enfin, comment se fait-il aujourd’hui que le caractère suspensif des recours permette de maintenir les personnes dans des situations qui leur sont très favorables, alors que la plupart d’entre elles vont être déboutées ? Pourquoi ne pas harmoniser nos conditions d’asile avec les autres pays européens ? Nous subissons une immigration secondaire des autres pays européens qui fait exploser les demandes d’asile. Pourquoi cette harmonisation n’est-elle pas faite ?

Mme Dominique Kimmerlin. Je vais essayer de répondre sur les chiffres qui ont été demandés par plusieurs parlementaires. Je rappelle qu’il y a globalement 86,6 % de taux de recours contre les décisions de l’OFPRA, 18,6 % d’annulations de décisions et presque 82 % de rejets des recours présentés devant la Cour. Le taux de pourvois en cassation contre les décisions rendues par la Cour est de moins de 3 %. Cela représente à peu près 800 pourvois par an sur les quelque 50 000 affaires rendues. À l’issue de l’examen de ces pourvois, une quarantaine de décisions sont rendues. Sur les 800 affaires, 750 ne passent pas le filtre de l’admission du pourvoi en cassation et de la procédure d’admission.

Sur les motifs de fin de protection, ce sont des affaires qui commencent à se développer, depuis deux ou trois ans, parce que l’OFPRA lui-même fait un travail de réexamen de ces dossiers qui ont fait l’objet d’une protection préalable. Sur les quelque 58 000 entrées, cela représente une quarantaine d’affaires. Pour l’instant, il s’agit d’une activité assez limitée en termes de volume. En revanche, ces dossiers s’avèrent particulièrement sensibles. Ils sont en quelque sorte signalés et aiguillés dès l’entrée par la Cour pour qu’elle puisse statuer rapidement afin de confirmer ou non la décision de fin de protection prise par le directeur général de l’OFPRA. Les motifs sont généralement liés à des questions de sûreté de l’État ou de risque d’atteinte à l’ordre public, soit pour des raisons de criminalité de droit commun, soit pour des questions de financement du terrorisme. Cette activité, qui porte encore sur peu de dossiers, mais qui est extrêmement sensible, est suivie de manière particulière à la Cour pour éviter que les délais ne s’allongent.

Un parlementaire a évoqué l’allongement des délais. Je voudrais être très claire à ce sujet. En 10 ans, nous avons divisé par deux le délai moyen constaté. Il était de 6 mois et 15 jours à la fin 2018. À l’heure actuelle, il est de 6 mois et 22 jours. Effectivement, il y a une petite augmentation qui doit être corrélée à une forte augmentation de l’activité puisque nous allons rendre un nombre accru d’affaires à la fin de l’année : autour de 67 000 affaires, contre 48 000 l’année dernière. La Cour a bénéficié de renforts accordés par la représentation nationale. Elle se mobilise pour utiliser la totalité des moyens mis à sa disposition.

Il est vrai que, dans la gestion d’une juridiction, l’ancienneté des dossiers en stock des affaires pendantes est importante à contrôler. Cet indicateur d’activité, qui figure dans le projet annuel de performance, est contrôlé et surveillé par le Parlement. Il est important car il permet de maintenir un stock qui ne vieillit pas. Il est suivi de très près par la juridiction. La priorité qui est donnée à l’heure actuelle au traitement et au jugement des affaires les plus anciennes – de plus d’un an – contribue évidemment à dégrader de manière faciale et temporaire le délai moyen constaté. Cependant, j’ai bon espoir que ce travail débouche sur une amélioration du stock et de sa structure en termes de millésime et d’ancienneté, afin que ce dernier n’obère pas plus longtemps le délai moyen constaté à la Cour.

Cette politique est absolument incontournable car il n’est pas possible de laisser vieillir un stock d’affaires. Or, cela peut se produire, et très vite. En quelques mois, les structures de stocks peuvent devenir difficiles à gérer et compliquer le travail de tout le monde. Ensuite, il faut des années pour rattraper la situation. C’est la raison pour laquelle, sur ce sujet, nous sommes mobilisés et y veillons comme le lait sur le feu. Malgré la légère dégradation, je vous rappelle que sur les dix dernières années, la tendance est nette : nous avons divisé par deux le délai moyen constaté.

Sur la question du droit au recours et du droit à déposer une demande d’asile, je resterai dans ma fonction qui est de présider une juridiction. Je n’ai pas d’opinion sur cette appréciation. Je dirai simplement que le travail que fait un juge est un travail qu’il fait à partir d’un dossier. Il se prononce à partir des éléments qui lui sont fournis par les parties. Ce sont toutes les limites de son office. Il juge au regard des éléments de l’instruction et de la procédure écrite dont il dispose, mais aussi des éléments oraux qui peuvent être présentés à l’audience. C’est à la fois sa force et sa limite qui peuvent parfois expliquer des décisions qui, ex post, peuvent être considérées comme non justifiées.

Les affaires auxquelles il a été fait référence ne concernent pas la Cour. Je ne veux pas me défausser mais nous n’avons pas eu connaissance de ces dossiers puisque ce n’était pas la Cour qui a octroyé la protection à ces personnes. J’ai d’ailleurs fait publier un droit de réponse lorsque la Cour a été mise en cause, de manière assez insultante pour les agents et les juges qui y travaillent quotidiennement, par un organe de presse. Un journaliste nous a accusés d’avoir protégé une personne ayant commis un crime, celle dont il a été question tout à l’heure. J’ai demandé un droit de réponse qui a été publié puisque la Cour n’était pas concernée. L’information était erronée sur ce point, la Cour n’ayant pas accordé de protection à cette personne.

Les droits et les recours existent. Nous veillons évidemment à ce que l’instruction tienne compte de toutes les pièces du dossier. Nous avons des possibilités pour répondre à une partie de la demande, celle dont on peut penser qu’elle n’est pas forcément très sérieuse, notamment lorsqu’elles émanent de ressortissants venant de pays d’origine sûre. Je rappelle que la Cour traite un certain nombre d’affaires de manière rapide, avec la même qualité d’instruction – mais sans audience – ce qui donne lieu à des ordonnances nouvelles. En réalité, elles ne le sont plus puisqu’elles peuvent être prises depuis un certain nombre d’années et portent sur 30 % de nos entrées. 30 % des affaires enregistrées sont donc jugées par un rapporteur à l’ordonnance, et par un président permanent qui va prendre une ordonnance sur la demande. Elles ne donnent pas lieu à l’examen de l’affaire dans le cadre d’une audience. On y retrouve essentiellement des demandes présentées par des ressortissants de pays d’origine sûre.

S’agissant des taux d’annulation, il est clair que le chiffre de 18,6 % est un taux global. Il va être plus élevé sur certaines nationalités devant la Cour et beaucoup moins pour d’autres. Pour les ressortissants des pays d’origine sûre, comme l’Arménie, l’Albanie et la Géorgie, les taux de protection sont extrêmement résiduels, pour ne pas dire proches de zéro.

Concernant la question des déboutés, le rôle de la juridiction s’arrête au rendu de la décision qui est exécutoire. Nous n’interférons pas avec la problématique de l’exécution et de l’éloignement éventuelle.

Sur la question du recours suspensif et de leur caractère dilatoire, depuis la loi de 2018, un certain nombre d’entre eux sont désormais dépourvus de caractère suspensif devant la Cour. Par ailleurs, la loi a permis au demandeur de contester le caractère non suspensif du recours devant le juge administratif. Pour un certain nombre de recours, y compris ceux émanant de ressortissants en provenance de pays d’origine sûre, il y a quatre hypothèses mais ces recours devant la Cour ne sont plus suspensifs, sauf contestation devant le juge administratif.

Sur les aspects relatifs aux ressources humaines, nous sommes passés d’environ 300 agents il y a deux ans à plus de 650 à l’heure actuelle. Nous allons encore accueillir de nouveaux agents grâce au projet de loi de finances pour 2020, si les projections se réalisent et les autorisations nous sont données. C’est une croissance exponentielle que la Cour est obligée d’assumer avec le soutien du Conseil d’État, son autorité gestionnaire. Cela implique un important travail de recrutement, de formation, d’intégration, d’assimilation et d’harmonisation, qui occupe et mobilise le secrétariat général. Il faut trouver la place nécessaire pour installer ces personnes, même s’il ne s’agit pas forcément de la fonction essentielle et première d’une juridiction. Il se trouve que nous le faisons parce que nous devons mettre en œuvre les moyens qui nous sont accordés. C’est une importante exigence de la Cour qui nous mobilise au quotidien.

Ces politiques permettent l’intégration d’agents selon plusieurs modalités. Pour faire face à une augmentation rapide des demandes, le législateur a accordé à la Cour des moyens supplémentaires – surtout sous la forme de postes de contractuels – pour lui laisser une capacité de manœuvre dans l’hypothèse où les flux devraient s’inverser. Nous avons tout de même le souci de stabiliser l’emploi à la Cour, de le pérenniser et d’offrir aux agents qui sont recrutés des perspectives de carrière. Depuis un peu moins d’un an, nous avons entrepris une politique de stabilisation de l’emploi pour essayer de ramener le ratio contractuels/titulaires dans des proportions acceptables pour tout le monde qui permettent de mettre en œuvre de manière plus durable des politiques sociales intéressantes et utiles pour les agents.

De mon point de vue, le taux de renouvellement n’est pas si élevé. Il est de l’ordre de 14 % sur l’ensemble des agents, ce qui représente un taux assez classique dans les administrations, sauf erreur de ma part. Il peut s’expliquer surtout par le recrutement important de rapporteurs à l’audience. Ce sont les agents qui préparent le travail des formations de jugement et des juges. Nous recrutons essentiellement de jeunes diplômés en maîtrise de droit qui viennent souvent à la Cour acquérir une première expérience. Il est bien naturel que lorsque nous les recrutons sous forme de contrat, une fois leur première expérience acquise, ceux-ci veuillent la faire fructifier à l’extérieur. Ce phénomène reste extrêmement mesuré puisque les taux de remplacements ou de départs sont, à ma connaissance, assez conformes à ce qui existe dans les autres administrations. Je ne les connais pas pour les autres juridictions.

Le centre de recherche de la Cour est unique pour une juridiction administrative. La Cour est la seule à avoir développé une capacité de cette nature, avec une quinzaine de chargés d’études et de chargés juridiques permanents au centre. Ces derniers sont en relation directe avec le ministère des Affaires étrangères, l’EASO et les associations de juges internationaux. Ils travaillent en commun avec toutes ces instances sur la ressource documentaire et sur le partage d’informations, notamment à travers la rédaction de guides de procédures et de guides d’information sur les pays d’origine. Le rôle de la Cour est très actif. Cette ressource n’est pas partagée avec l’OFPRA qui a lui-même développé son propre centre de documentation.

En revanche, l’OFPRA et la Cour organisent des missions conjointes de recherche documentaire et de mise à jour de l’information sur les pays. La semaine dernière, le directeur général de l’OFPRA m’a proposé deux missions conjointes : l’une en Asie centrale et l’autre en Côte d’Ivoire. Lors de ces missions sur le terrain, l’OFPRA envoie un officier de protection, et la Cour un rapporteur. L’objectif est de mettre à jour et de compléter l’information sur le pays qui sera ensuite partagée avec l’OFPRA.

M. Alain Tourret. Combien y a-t-il de dossiers qui bénéficient de l’aide juridictionnelle ? Combien l’État verse-t-il à l’ordre des avocats au titre de cette aide ?

Mme Dominique Kimmerlin. En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, la Cour aussi est spéciale et unique. En application de la loi du 10 juillet 1991, il s’agit de la seule juridiction devant laquelle l’aide juridictionnelle est de droit lorsqu’elle est demandée. Lorsque cette aide est sollicitée, il n’y a pas d’examen des conditions de ressources. Elle est automatiquement accordée à son taux plein. Si l’aide juridictionnelle peut être totale ou partielle en fonction du niveau de ressources du demandeur, elle est en effet totale devant la Cour, c’est-à-dire qu’elle est prise en compte à 100 %. Si le traitement de la demande d’aide juridictionnelle – qui va de l’enregistrement de la demande à la désignation de l’avocat, qui ne passe plus par le bâtonnier, puisque c’est la Cour qui désigne à partir des listes communiquées par les bâtonniers à la Cour – a été intégré au niveau de la juridiction, la Cour ne gère pas le budget de l’aide juridictionnelle qui relève des caisses de règlements pécuniaires des avocats (CARPA) et du service de l’aide juridictionnelle de la Chancellerie. Je n’ai pas connaissance du montant effectif de l’aide qui a été versée en application des décisions puisque ce budget n'est pas géré par la Cour. Je ne dispose pas de délégation budgétaire sur cet aspect-là. Toutefois, l’aide juridictionnelle totale est actuellement de 632 euros bruts et la cotation des demandes à la Cour relève du 16UV, c’est-à-dire un dossier équivalent à une procédure de fond devant une juridiction habituelle.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci beaucoup, Madame la Présidente de la CNDA, d’avoir accepté notre invitation et d’avoir répondu de façon aussi complète à nos questions.

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Puis la Commission entend un compte rendu, par Mme Elodie Jacquier-Laforge, du déroulement de la Conférence interparlementaire sur les questions de l’asile et de l’immigration, tenue à Helsinki les 8 et 9 septembre 2019.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons maintenant procéder à l’audition de notre collègue Élodie Jacquier-Laforge qui s’est rendue, au nom de la commission des Lois, à une conférence interparlementaire sur les questions de l’asile et de l’immigration, qui s’est tenue à Helsinki les 8 et 9 septembre derniers.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Le débat proposé par le Gouvernement porte sur la politique migratoire de la France, mais aussi sur celle de l’Europe. Il s’agit d’une excellente chose puisque l’immigration en France, notamment en matière d’asile – nous venons d’en parler avec la Présidente de la Cour nationale du droit d’asile –, est intimement liée à la politique européenne.

J’ai eu l’honneur de participer à la conférence interparlementaire sur les questions de l’asile et de l’immigration. Elle s’est tenue début septembre à Helsinki, dans le cadre de la présidence finlandaise du Conseil de l’Union européenne.

Après les accords qui avaient été signés à Tampere il y a vingt ans, la Finlande est de nouveau à l’initiative pour tenter de débloquer des négociations qui sont actuellement au point mort. Ces négociations portent sur ce que l’on appelle le « paquet asile » qui est composé de sept textes concernant la politique migratoire et l’asile européen.

Cette conférence a été extrêmement intéressante puisqu’elle a permis de prendre conscience, avec nos collègues parlementaires européens, de la difficulté et de la complexité auxquelles nous devons faire face aujourd’hui.

Si l’ensemble des parlementaires s’accorde pour dire que le statu quo actuel ne peut perdurer, les solutions à apporter ne sont en revanche pas encore communes. Dans ce cadre, j’ai pu faire part de l’inquiétude actuelle de la France concernant la pérennité de l’espace Schengen.

La crise migratoire que nous connaissons depuis 2015 a démontré que notre régime d’asile commun n’était pas assez solide. Les normes a minima qu’il fixe n’empêchent pas un traitement différencié des demandes selon les pays. Le taux de reconnaissance des réfugiés varie d’un État à l’autre, et parfois même suivant les années et les aléas politiques internes au sein d’un même État.

Ces divergences ne font qu’accentuer les mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui après un premier refus, s’adressent à un nouveau pays, notamment la France. Elles mettent en avant le fait qu’il existe des facteurs d’attractivité différents en fonction des pays.

 Cette réforme du régime d’asile européen commun, incluant nécessairement une refonte du règlement de Dublin, doit permettre une plus grande convergence de nos politiques en matière d’asile. Cette réforme, pour être consensuelle et acceptée par tous, doit tout d’abord réaffirmer une responsabilité effective, notamment dans la durée, des pays de première demande. Il s’agit d’une condition indispensable pour que la procédure Dublin puisse être appliquée de manière effective dans notre pays.

En contrepartie, la mise en place d’un véritable mécanisme de solidarité effectif et durable avec les autres pays doit permettre de soulager les pays de première demande. Il est important que cette solidarité prévale également en ce qui concerne la répartition des migrants. En effet, il est urgent de sortir du cas par cas actuel dont personne ne peut se satisfaire.

Enfin, il nous faut lutter plus sévèrement contre les abus et développer une politique d’éloignement plus efficace au niveau européen.

Les questions suscitées par cette conférence s’inscrivent dans la parfaite continuité de l’activité, de l’engagement et des travaux de notre commission et évidemment dans la perspective du débat que nous aurons prochainement à l’Assemblée nationale.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Est-ce que certains collègues ont des questions ou des idées de futurs travaux que nous pourrions avoir sur ces thématiques ?

M. Olivier Marleix. Je voudrais savoir si lors de cette conférence, le rôle de Frontex a été évoqué, ainsi que les objectifs assignés à cette agence. Depuis 2015, nous avons observé des mouvements différents avec d’abord une politique qui a semblé quelque peu ambitieuse, puis qui a abouti a certains renoncements, notamment pour faire assumer aux pays du Maghreb un rôle de premier accueil des réfugiés et de blocage des flux. Est-ce que cette question du rôle de Frontex a été évoquée lors de la conférence à laquelle vous avez assisté ?

Mme Emmanuelle Ménard. Vous avez évoqué des critères d’attractivité différents selon les pays, je voulais savoir s’il y avait des études objectives, concrètes et documentées qui ont été faites sur ces critères ?

Mme Valérie Boyer. En ce moment, je suis chargée par la commission des Affaires étrangères d’un rapport sur l’asile, l’immigration et l’intégration, qui porte notamment sur ce que vous décriviez à propos de l’immigration secondaire, c’est-à-dire celle qui arrive des pays européens, parce que les étrangers en situation régulière ou irrégulière sont déboutés et viennent en France.

Est-ce que, s’agissant des problèmes de santé, notre système de santé est-il considéré comme quelque chose de particulièrement attractif ? En effet, parmi les systèmes de santé généreux en Europe, le système français l’est particulièrement, notamment parce qu’il prend en charge, y compris pour des étrangers en situation irrégulière, les maladies chroniques. Ces maladies ne sont pas prises en charge par des pays comme l’Espagne ou l’Allemagne qui ne traitent que l’urgence. Je voudrais savoir si ces questions précises ont été évoquées.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. La particularité du débat qui a eu lieu fut celle d’une très grande liberté de ton et d’expression. Les échanges ont été extrêmement directs et francs. Si je ne pense pas que nous soyons bâillonnés, notre démocratie française s’exprime d’une façon qui est très différente de l’expression de nos collègues parlementaires européens. Il fut très intéressant d’être confrontée à cette liberté de ton que j’ai beaucoup appréciée.

Nous avons parlé du rôle de Frontex avec de fortes différences entre les pays de première demande et les pays plus éloignés, que l’on appelle notamment les pays de Visegrád, sur les critères d’attractivité. Cette question se pose car nous voyons que la demande d’asile diminue de façon globale en Europe, alors qu’elle augmente en France.

Aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y a pas d’études expliquant les raisons pour lesquelles notre demande d’asile continue à augmenter en France. Cela étant, les chiffres démontrent que par rapport aux autres pays européens, la demande en France continue à croître de plus de 22 % en 2018 alors que, sur cette année, nous nous dirigerions vers plus 130 000 demandes d’asile.

En ce qui concerne le système de santé attractif, à aucun moment ce point n’a été mis en avant dans notre discussion, même si certains éléments auraient besoin d’être analysés.

Aujourd’hui, mon sentiment est que nous avons besoin de nous doter d’une politique migratoire globale qui puisse inclure les dispositifs d’asile.

Nous venons de recevoir la présidente de la CNDA qui nous expliquait la situation de sa juridiction, soumise au droit international et au droit européen. La France respecte ses engagements internationaux.

Il n’en demeure pas moins que nous avons besoin de nous doter d’une véritable politique migratoire qui ne pourra se construire que dans un espace commun et en discussion avec nos partenaires européens.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’aimerais que nous puissions continuer nos travaux sur le long terme avec d’autres commissions des pays européens sur les questions d’asile, et que nous favorisions les échanges entre parlementaires sur ces questions.

La réunion sachève à 11 heures 10.

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Information relative à la Commission

 

La Commission a désigné Mme Valérie Boyer, rapporteure sur la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et des incidences de ces dernières sur les enfants (n° 2200).

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, Mme Valérie Boyer, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, M. Éric Ciotti, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Danièle Obono, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Alain Tourret, M. Arnaud Viala, M. Jean-Luc Warsmann

 

Excusés. - M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, M. Christophe Euzet, Mme Paula Forteza, M. Philippe Gosselin, M. Dimitri Houbron, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Michel Mis, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, Mme Maina Sage, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet

 

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, M. Mansour Kamardine