Compte rendu

Mission d’information de la
Conférence des présidents
sur la révision de la
loi relative à la bioéthique

– Table ronde de personnalités qualifiées européennes :

• Pr. Petra De Sutter, gynécologue obstétricienne, cheffe du service médecine reproductive de l’hôpital universitaire de Gand, sénatrice belge et membre de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

• Pr. Dr. Claudia Wiesemann, vice-présidente du Conseil national d’éthique allemand, professeur d’éthique de la médicine à l’université de Goettingen

• Mme Anne Cambon-Thomsen, immunogénéticienne, directrice de recherche au CNRS et membre du Groupe Européen d'Ethique

• Mme Paula Martinho Da Silva, membre du Comité international de bioéthique (UNESCO) 2

– Présences en réunion..............................15

 


Mardi
6 novembre 2018

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 57

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
M. Xavier BRETON,
président


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 6 novembre 2018

(Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission)

La Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à une table ronde personnalités qualifiées européennes : Pr. Petra De Sutter, gynécologue obstétricienne, cheffe du service médecine reproductive de l’hôpital universitaire de Gand, sénatrice belge et membre de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ; Pr. Dr. Claudia Wiesemann, vice-présidente du Conseil national d’éthique allemand, professeur d’éthique de la médicine à l’université de Goettingen ;Mme Anne Cambon-Thomsen, immunogénéticienne, directrice de recherche au CNRS et membre du Groupe Européen d'Ethique ; Mme Paula Martinho Da Silva, membre du Comité international de bioéthique (UNESCO).

L’audition débute à seize heures quinze.

M. le président Xavier Breton. Je remercie nos invitées, venues de plusieurs pays d’Europe impliqués dans le domaine de la bioéthique, d’avoir bien voulu répondre à notre invitation. Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, il est important pour nous d’élargir nos perspectives aux pratiques européennes et internationales. En effet, les cadres juridiques d’autres pays peuvent avoir une influence, directe ou indirecte, sur la société française, notamment en matière de dons de gamètes, d’assistance médicale à la procréation (AMP) ou de diagnostic génétique.

Mme Petra De Sutter, gynécologue obstétricienne, cheffe de service « Médecine reproductive » de l’hôpital universitaire de Gand, membre du Sénat de Belgique et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Je limiterai mon propos à la reproduction, mon domaine de spécialité. En Belgique, et en particulier à l’université de Gand où j’exerce, l’extension de l’AMP aux couples de femmes a eu lieu il y a vingt-cinq ans, et aux femmes célibataires il y a vingt ans. Le débat qui est le vôtre en ce moment a eu lieu, à l’époque, au sein de l’hôpital : aucune loi n’empêchait de traiter ces femmes, mais était-il éthique de procéder de la sorte ? Un enfant n’a-t-il pas besoin d’un père ? Est-il acceptable de traiter des couples de femmes ou des femmes célibataires ?

Cela m’amène à parler de la définition de la stérilité, médicale ou « sociale ». Pour tout dire, le terme « stérilité sociale » ne me plaît pas davantage que celui de congélation « sociale » des ovocytes – comme si c’était un luxe qui n’a rien de nécessaire. Quand on parle avec les femmes concernées, on se rend compte que ce n’est pas cela du tout. L’orientation sexuelle est une évidence qui s’impose aux êtres, ce n’est pas un choix, non plus que d’être célibataire : seule une très faible proportion de femmes choisit de ne pas avoir de partenaire.

Doit-on parler d’indication médicale ou d’indication prétendument sociale quand une femme dont la réserve d’ovocytes est très faible décide de les congeler à 30 ans pour éviter, cinq ou dix ans plus tard, de devoir demander un don d’ovocytes ? Pour moi, c’est bien une décision médicale. Autant dire qu’il faut déterminer avec grand soin ce qu’on doit entendre par stérilité « sociale ».

Bien entendu, il y a aussi l’aspect théorique, et certains continuent de dire qu’une famille est composée d’un homme et d’une femme, qu’un enfant a droit à un père et à une mère et qu’autoriser l’AMP aux couples de même sexe ne peut pas être bon pour le développement de l’enfant. Or, toute la recherche montre que ce n’est pas le cas. En étendant l’AMP aux couples de femmes il y a vingt-cinq ans, nous avons pris un risque : nous ne savions pas vraiment ce qu’il en résulterait puisque nous ne disposions que de quelques études conduites à Bruxelles, où certains avaient commencé avant nous. Depuis, la littérature scientifique a montré que le développement psychosexuel des enfants élevés par des couples de lesbiennes est comparable à celui des enfants élevés par des couples hétérosexuels et que le problème, c’est la discrimination par l’environnement. Pour ce qui nous concerne, nous avons tranché en décidant que nous n’opposerions pas un refus à ces femmes pour des raisons qui n’avaient pas trait à l’intérêt de l’enfant mais parce que l’environnement allait réagir négativement, et que mieux valait peut-être essayer de faire changer la société – ce qui s’est fait : désormais, dans chaque classe de Belgique, un enfant au moins a deux pères ou deux mères.

Nous traitons à Gand pas mal de couples de lesbiennes venant du Nord de la France, et vous savez mieux que moi les problèmes juridiques auxquels elles se heurtent quand la partenaire de celle qui a accouché veut adopter l’enfant. En Belgique, la loi du 5 mai 2014 portant établissement de la filiation confère automatiquement à la « coparente » – meemoeder en néerlandais, Mitmutter en allemand – les mêmes droits qu’au père dans un couple hétérosexuel.

Les traitements par sperme de donneur concernent pour 84 % des femmes célibataires et des lesbiennes et pour 16 % des couples hétérosexuels traités pour une stérilité masculine. Voilà ce qui explique les préoccupations des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), qui s’inquiètent du volume de sperme dont on aurait besoin en France si l’AMP était ouverte aux femmes seules ou en couple. Mais ce sont là des problèmes pratiques qui peuvent se résoudre de différentes manières, dont on pourra discuter par la suite.

Je prépare en ce moment, au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), un rapport qui traite de l’anonymat des donneurs de gamètes. La question est largement débattue en Belgique où les dons d’ovocytes dits directs ou dirigés sont possibles entre deux sœurs ou deux amies proches et où l’état du droit relatif à l’accès à ses origines pour l’enfant né d’un don de sperme est très critiqué. Du point de vue de l’intérêt de l’enfant, de ses droits et des droits de l’Homme en général, la seule conclusion à laquelle je peux arriver est que l’anonymat du donneur devrait être aboli. Je sais que l’on redoute la chute subséquente du nombre de donneurs, mais de nombreux pays ont résolu ce problème et une question pratique ne peut interférer dans la réflexion éthique.

En Belgique, pays compliqué, la législation fédérale préconise toujours l’anonymat des donneurs de gamètes, mais dans la région flamande, le ministre a décidé la création d’une banque d’ADN volontaire : les enfants issus d’un don peuvent ainsi rechercher si leur empreinte génétique coïncide avec celle d’un donneur. Sans aucun doute, la loi devra changer à ce sujet. Je pense que c’est imminent.

Je n’ai pas le temps nécessaire pour aborder la question du dépistage génétique et de l’outil de modification du génome CRISPR-Cas 9, mais nous y reviendrons peut-être.

Enfin, la recherche sur les cellules souches doit faire s’attendre à des changements intéressants : les gamètes artificiels viendront bousculer la reproduction et son éthique. Un moment viendra où la fécondation in vitro n’existera plus : pourquoi procéder à des stimulations ovariennes pour produire dix ovocytes quand on pourra en faire des centaines en laboratoire à partir de cellules souches ? Cela ouvrira, dans cinq à dix ans, la porte à la procréation génétique homosexuelle – dont nous pourrons reparler.

Mme Claudia Wiesemann, vice-présidente du Conseil national d’éthique allemand, professeur d’éthique de la médecine à l’Université de Göttingen. Spécialiste de l’éthique de la reproduction, je partage sans réserve le point de vue exprimé par Mme De Sutter. Les États généraux de la bioéthique organisés cette année en France par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ont été un événement extraordinaire. À ma connaissance, c’est une première que de demander à tout un peuple de donner son opinion sur ces questions et d’en débattre, et le rapport de synthèse que le CCNE a publié au terme de ces travaux m’a paru refléter exactement toutes les opinions qui se sont exprimées au sein de la population française. Bien des arguments fondant les propositions ensuite formulées dans l’avis du CCNE se retrouvent dans les discussions internationales relatives aux enjeux de la bioéthique. Il est intéressant de constater que les mêmes problèmes sont discutés dans toute l’Europe et que des solutions très similaires sont proposées. Si des tentatives de convergence visent à trouver des réponses semblables, c’est qu’il y a une bonne raison à cela : le tourisme médical, problématique pour les pays de destination et pour les personnes qui le pratiquent.

Mme Anne Cambon-Thomsen, immunogénéticienne, directrice de recherche au CNRS et membre du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne. Je parlerai de l’éthique concernant les tests génétiques dans le domaine médical et m’exprimerai aussi en ma qualité de co-pilote du groupe de travail sur les aspects éthiques, réglementaires et sociétaux du plan « France Médecine génomique 2025 ».

Un mot, pour commencer, du rapprochement, ou en tout cas de la porosité entre recherche et clinique en ce qui concerne la génétique. Cela tient à l’utilisation, depuis assez longtemps, d’études larges du génome : les chercheurs s’interrogent sur les buts de la recherche et sur le fait de savoir si les données produites apportent des informations utiles au plan clinique aux personnes qui participent à ces recherches. La question s’est toujours posée dans la recherche mais elle devient ici cruciale parce que l’on sait qu’en étudiant tout un génome on obtiendra une masse d’informations potentiellement utiles. Les chercheurs se posent donc des questions de cliniciens ; quant aux cliniciens, ils génèrent par les examens génétiques qu’ils prescrivent des données qui peuvent être utiles à la recherche, car on a encore une connaissance très partielle de l’interprétation de données de séquence sur un ensemble de génomes.

Il existe en France une réglementation de la recherche et une réglementation de la clinique, la seconde dépendant de la loi de bioéthique. En l’état, la réglementation de la recherche établit que si une recherche révèle un élément permettant de diagnostiquer une pathologie grave pour laquelle il existe une conduite à tenir, l’équipe de chercheurs doit communiquer cette information au patient, à condition qu’il ait consenti à cette éventuelle communication. En revanche, la pratique clinique est ainsi réglée que l’on doit seulement donner au patient le résultat concernant ce qui a motivé l’examen génétique. Ainsi, alors que clinique et recherche s’interpénètrent, on se trouve pour les tests génétiques avec un ensemble législatif qui n’est plus cohérent sur le plan éthique. Il faudra en tenir compte lors de la révision de la loi de bioéthique.

Le CCNE, dans son avis n° 129, mentionne le fait que lorsque des analyses génétiques sont prescrites en clinique pour éclairer le diagnostic, on se doit d’informer le patient que les données collectées peuvent être utiles en recherche. Le consentement doit comprendre ce volet. La question doit être posée systématiquement, puisque les banques de données, en génétique, sont la source de l’information nouvelle qui permet d’en apprendre davantage sur le rôle des variants génétiques dépistés. Il faut prendre acte de cette interpénétration et respecter systématiquement la liberté des personnes de participer ou non à la recherche.

Cela influence le consentement, qui a toujours été un pilier de la génétique et qui doit le rester, mais qui doit avoir une signification réelle. Avec ces examens à large échelle, comment expliquer l’ensemble des données que l’on va générer ? Que va-t-on aller regarder ? Á qui incombe la responsabilité de définir ce qui sera regardé et ce qui ne le sera pas ? Comment cela doit-il se faire dans le temps, sachant que les urgences sont rares en génétique ? Il faut rendre service sur le plan médical à un patient préoccupé par une symptomatologie particulière, mais lui donner brutalement, en une fois, toutes les informations sur ce que représentent ces données génétiques, est presque inhumain. Par ailleurs, la préoccupation suscitée par un diagnostic donné peut obérer la capacité du patient à se poser d’autres questions. Il est donc important de parler de « consentement élargi » en prenant le temps – et le temps des médecins coûtant cher, cela demande de l’argent ; or ce qui est dit dans la loi doit trouver à s’appliquer. Le consentement doit désormais être un processus au long cours, sur lequel on peut revenir, et non plus un acte unique. Ainsi permettra-t-on aux personnes de se saisir d’un ensemble de données qu’il est très difficile d’appréhender en une seule fois.

D’autres questions se posent : à qui revient la responsabilité de conserver, protéger, mettre à jour et annoter les données ? Pour l’instant, une recherche se fait dans le cadre d’un projet déterminé et nul ne se sent vraiment responsable des données autres que celles dont il se sert. Á l’hôpital, les médecins ne sont pas payés pour « curer » des banques de données, mais pour assurer un service ponctuel aux patients. Ce n’est donc le travail de personne. Or, la génétique future sera fondée sur la valeur des données collectées, annotées et enrichies. Il serait donc important de mentionner, au nombre des missions de l’hôpital, celle de prendre soin des banques de données constituées à l’occasion des tests génétiques et de les faire servir, par le biais du consentement, à des fins de recherche. En génétique, le transfert des connaissances nouvelles vers l’utilisation clinique est très rapide : elle se fait par l’exploration de la banque de données et elle est applicable immédiatement à d’autres patients sans passer par les protocoles de recherche classiques.

J’en viens pour finir aux découvertes incidentes et secondaires. L’exploration d’un génome ayant été prescrite pour une indication clinique précise, lorsque d’autres données potentiellement utiles au patient seront générées, on voudra explorer les facteurs découverts incidemment ou secondairement. Actuellement, on ne peut faire cela dans le cadre clinique. Il faut revoir cette interdiction. Entre dire : « On ne peut donner pour informations que ce pour quoi l’analyse génétique a été prescrite ; pour le reste, on n’a pas le droit » et dire : « On va tout explorer », il est possible de trouver un juste milieu. L’information génétique étant générée de toute façon, on peut prendre le temps d’en discuter avec le patient, pas nécessairement le premier jour mais une fois le diagnostic posé. Alors une deuxième version du consentement pourra être donnée, ou non, par un patient mieux informé et plus en état de décider. Il serait important d’harmoniser le cadre et de donner aux gens la possibilité de s’exprimer. Cela aura des conséquences sur l’organisation des analyses génétiques, car cela demande des compétences spécifiques. C’est pourquoi le CCNE souhaite la création d’un statut des conseillers en génétique, auxquels il suggère de donner la possibilité de prescrire des examens génétiques, et dont il suggère d’augmenter le nombre puisque la possibilité d’obtenir des informations sur le génome fera se développer une activité que l’on pourrait ainsi, sans danger pour le patient, ne pas restreindre aux médecins.

Enfin, la génétique pénétrant bien des pans de la médecine, les pouvoirs publics, par le biais des agences concernées, ont un grand rôle à jouer dans la diffusion de ces connaissances, tant dans la formation des médecins que dans l’information sur la génétique à l’école et dans le public, qui doit être encouragée.

Mme Paula Martinho da Silva, membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO. Je suis heureuse et honorée d’être invitée à l’Assemblée nationale. Pour moi, Portugaise, la France est un phare en matière de bioéthique ; je me souviens avoir assisté aux Journées annuelles de bioéthique instaurées par le professeur Jean Bernard et avoir appris beaucoup du rapport Aux frontières de la vie : une éthique biomédicale à la française remis à M. Michel Rocard, alors Premier ministre, par Mme Noëlle Lenoir. Quant aux récents États généraux de la bioéthique, ils sont une preuve de l’exercice réel de la citoyenneté et nous nous efforçons, au Portugal, de suivre ces débats qui nous importent également. Pour convaincre le citoyen, le législateur se doit d’élaborer des lois justes, et l’avocate que je suis considère que les principes juridiques doivent aussi être des principes éthiques.

Le Comité international de bioéthique de l’UNESCO, dont je suis membre, regroupe des spécialistes indépendants qui siègent à titre personnel ; je ne représente donc pas le Comité en tant que tel. Je peux toutefois rappeler sur quels textes il appuie ses réflexions, ses rapports et ses avis : la Déclaration universelle de 1997 sur le génome humain et les droits de l’homme ; la Déclaration internationale de 2003 sur les données génétiques humaines ; la Déclaration universelle de 2005 sur la bioéthique et les droits de l’homme.

En 2015, le Comité a publié un rapport sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’Homme. On y trouve exprimées des préoccupations que vous partagez, qu’il s’agisse de la disponibilité des tests génétiques ou du respect du principe de non-discrimination. Le Comité appelait particulièrement les États et les gouvernements à « se mettre d’accord sur un moratoire portant sur l’ingénierie du génome de la lignée germinale chez l’homme, aussi longtemps que la sécurité et l’efficacité des procédures ne soient pas établies comme moyen de traitement », ainsi qu’à « renoncer à la possibilité d’agir seul en ce qui concerne l’ingénierie du génome et accepter de coopérer à l’établissement d’une norme globale et partagée dans ce domaine ». C’était en quelque sorte un appel à décourager le tourisme médical par l’adoption de lois à vocation universelle, quand cela est possible.

Pour l’heure, le Comité élabore un rapport sur la parentalité moderne, « en tenant compte des interactions entre les développements sociétaux et technologiques, y compris l’impact sur les pratiques transfrontalières et la justice reproductive ». Le Comité examine en particulier si la procréation ressortit du désir ou du droit individuel – c’est la question du « droit à l’enfant ». La publication de ce rapport, assorti de recommandations, est prévue en juillet 2019.

Au Portugal, la législation relative à l’AMP a changé. Elle est désormais autorisée aux femmes seules et aux couples de femmes ; le don de gamètes reste essentiellement anonyme et la gestation pour autrui (GPA) est possible. Mais, par un arrêt rendu en 2017, le Tribunal constitutionnel a établi le droit, pour les personnes conçues à l’issue d’un don, de connaître leur identité génétique et le donneur des gamètes ; le Tribunal a aussi jugé inconstitutionnelles certaines dispositions relatives à la GPA.

À titre personnel, je considère que le législateur doit tenir compte du principe de subsidiarité, donc, en l’espèce, déterminer si les techniques d’AMP sont des méthodes subsidiaires ou alternatives à la procréation. Il lui faut aussi prendre en considération le principe d’équité – à savoir l’accès équitable aux soins de santé – et celui de la non-discrimination – ce qui signifie l’accès à ces techniques à toutes les femmes, même en l’absence d’infertilité. Il faut évaluer les conséquences de ce changement et mesurer s’il contredit les principes sous-jacents non seulement aux lois de bioéthique mais aussi aux lois relatives à la santé. Enfin, si l’on veut que les lois s’appliquent à tous et si l’on sait que certaines ressources sont rares, il faut déterminer comment seront fixées les priorités.

Pour juger inconstitutionnelles les dispositions relatives à l’anonymat des donneurs de gamètes et consacrer un droit d’accès aux origines génétiques, le Tribunal constitutionnel du Portugal a jugé que l’anonymat affectait le droit à l’identité personnelle et au développement de la personnalité tel que consacré par la Constitution portugaise, qui inclut le droit au nom et aussi le droit à l’histoire personnelle, entendu comme droit à la connaissance de l’identité de ses géniteurs biologiques et à l’établissement de la filiation. Savoir qui l’on est exige de savoir d’où l’on vient. Je suis absolument d’accord avec l’abandon du principe de l’anonymat des donneurs de gamètes. Il reste à définir ce qu’il faut entendre par « identité personnelle », et s’il faut avoir seulement accès à l’identité génétique ou à toute l’identité – et laquelle ? D’autre part, il nous faut trouver un régime de transition pour les dons qui ont eu lieu avant que le Tribunal constitutionnel rende son arrêt. À mon sens, le problème à régler n’est pas tant celui des dons de gamètes que celui des embryons congelés fertilisés avec des gamètes de donneurs anonymes.

Légiférer sur des sujets non consensuels suppose toujours d’essayer de trouver un équilibre prudent ; c’est bien à la prudence que doit s’astreindre le législateur. C’est ce que rappelle Mme Mireille Delmas-Marty dans Le Relatif et l’Universel : commentant le tableau La Voie de la sagesse de Maria Helena Vieira da Silva, elle observe que « si l’ordre juridique doit s’assembler un jour en un tableau, c’est à condition d’accepter qu’il se construise par petites touches, selon les termes mêmes de l’artiste, qui s’obstinait à peindre avec toutes les contradictions”. On pourrait y voir une invitation à observer le droit en voie de mondialisation tout comme on peut regarder ce tableau : par fragments. »

M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Madame De Sutter, considérez‑vous que l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules entraîne automatiquement la légalisation de la GPA ? Si oui, selon quels principes, et quelles peuvent en être, si elles existent, les modalités éthiques ? Madame Wiesemann, qu’advient-il des embryons surnuméraires en Allemagne, où il sont beaucoup moins nombreux qu’en France ? Madame Cambon-Thomsen, le processus de consentement au long cours que vous appelez de vos vœux existe-t-il déjà dans une législation étrangère ou est-il à inventer entièrement ? Madame Martinho da Silva, des initiatives européennes seraient-elles envisageables, tant pour ce qui est de la génomique médicale que pour l’interdiction de la GPA s’il apparaît qu’elle n’est pas éthique ?

Mme Petra De Sutter. En Belgique, la loi ne traite pas de la GPA. Celle-ci n’est pas interdite comme c’est le cas en France, mais elle est encadrée par la législation relative à la filiation : quand un enfant naît d’une GPA, il faut une adoption selon les procédures en vigueur. Toute GPA commerciale est impossible, car le ministère public l’assimile à la vente d’un enfant – il y a eu des poursuites de ce chef. Le législateur s’est trouvé confronté à une difficulté au moment d’adopter le principe de la co-maternité, qui introduisait une discrimination de fait à l’égard des couples d’hommes puisque, la GPA n’étant pas réglée par la loi, il n’y a pas de co-paternité dans la législation belge. Dans les faits, si l’on accepte que la co-paternité n’est pas réglée par la loi et que la co-maternité l’est, ouvrir l’AMP aux couples de femmes ne devrait pas mener automatiquement à la GPA.

En Belgique, la pratique de la GPA est très limitée et se fait depuis un quart de siècle dans des conditions éthiques : ce n’est pas un contrat commercial. La GPA a lieu entre deux sœurs ou deux amies de longue date, au terme d’un examen approfondi et avec un accompagnement psychologique. C’est ainsi que les choses se passent à l’hôpital, sans qu’il n’y ait jamais eu, à ce jour, ni conflit de filiation, ni mère porteuse qui ait changé d’idée, ni transaction financière. Il ne faut pas accepter que cela ait lieu en dehors des hôpitaux. Un seul centre spécialisé, à Bruxelles, accepte des patients étrangers ; les deux autres ne reçoivent que des parents d’intention et des mères porteuses résidents belges.

L’expérience de la Belgique ne montre pas que l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules ouvre automatiquement la porte à la GPA. C’est aussi qu’il y a un problème pratique : l’insémination par sperme de donneur se fait sans difficulté, mais pour une GPA il faut, par définition, une mère porteuse et une donneuse d’ovocytes car les centres qui pratiquent la GPA en Belgique n’acceptent jamais que la mère porteuse donne aussi un ovocyte, de sorte qu’il n’y a aucun lien génétique entre elle et l’embryon. Tout cela est très compliqué, si bien qu’il y a vraiment très peu de GPA. Nous sommes d’ailleurs critiqués par les couples homosexuels pour le très haut taux de refus – 80 % – que nous opposons aux demandes pour des raisons médico-sociologiques – parfois parce que nous ne sommes pas convaincus par la motivation de la candidate mère porteuse. À l’hôpital de Gand, il y a deux à trois GPA par an, pour 2 500 fécondations in vitro, et la proportion est la même dans les deux autres centres belges. C’est dire que nous sommes très prudents.

Mme Claudia Wiesemann. Selon moi, il est essentiel, sur le plan éthique, qu’une mère porteuse ait toujours le droit de disposer de son corps jusqu’au moment où l’enfant est remis aux parents « sociaux ».

(Mme Wiesemann poursuit en anglais.) On estime à un millier le nombre d’embryons surnuméraires en Allemagne ; ils sont le produit de fécondations in vitro faites à la demande de parents qui ont ensuite abandonné leur projet. Il y a quelques années, un réseau de spécialistes de la reproduction s’est constitué et ils ont décidé de donner des embryons surnuméraires à des couples infertiles à des fins de reproduction. Cela continue de se faire, mais très rarement. Une dizaine de bébés seulement sont nés de la sorte, mais l’absence d’encadrement légal de ces dons pose un problème : le nom des donneurs n’est pas nécessairement enregistré alors que c’est une obligation en droit allemand, l’enfant issu d’un don devant avoir accès aux informations relatives à ses parents biologiques.

Quant à savoir si des embryons surnuméraires peuvent être donnés à la recherche, tout repose sur le consentement des parents biologiques. Á ce jour, la recherche sur l’embryon humain est interdite en Allemagne, ce qui a pour conséquence la destruction des embryons surnuméraires. Mais la majorité des membres du Comité national d’éthique allemand pensent que pour éditer les lignées germinales, on aurait besoin de faire de la recherche sur les embryons surnuméraires. Aussi est-il très probable que, l’année prochaine, le Comité national formule une recommandation en ce sens.

Mme Anne Cambon-Thomsen. Si nous sommes capables d’inscrire dans une loi qu’elle doit être révisée périodiquement, comment serions-nous incapables d’y inclure que le consentement doit être un processus évolutif ? J’ignore quelle est la législation sur ce plan ailleurs, mais je sais que, dans le cadre de recommandations de pratiques professionnelles, la notion de consentement dynamique existe dans plusieurs pays, tel le Royaume-Uni.

Il faut désormais garantir, aussi bien pour les soins que pour la recherche, que le consentement donné peut être retiré, sans explications et sans conséquences pour les personnes. Introduire la notion de consentement évolutif est plus subtil qu’aborder la question de manière binaire – « je consens » ou « je ne consens pas ». Cela aurait aussi l’avantage, quand il s’agit d’enfants, qu’ils pourraient se prononcer eux-mêmes au moment de leur majorité, et non plus leurs représentants légaux. S’agissant des tests génétiques, on peut généraliser la notion pour avoir des informations supplémentaires au fil du temps et permettre de moduler son consentement en fonction du type de recherche, sans devoir le donner en bloc. Je ne doute pas que l’on trouve le moyen de faire figurer dans l’acte de consentement le fait qu’il pourra évoluer dans le temps.

Mme Paula Martinho da Silva. Je ne saurais prévoir quelles futures déclarations et recommandations émaneront de l’UNESCO, mais en tout état de cause elles ne sont pas contraignantes. Les États membres sont signataires de déclarations de principe de portée universelle, mais ils ne sont pas obligés de les suivre et des évolutions sont possibles en raison du progrès scientifique. Ainsi, la Déclaration universelle de 1997 sur le génome humain et les droits de l’Homme décrit les interventions sur la lignée germinale comme « contraires à la dignité humaine ». Mais en 2015, comme je vous l’ai dit, le Comité international de bioéthique de l’Unesco a invité les États à « se mettre d’accord sur un moratoire portant sur l’ingénierie du génome de la lignée germinale chez l’homme » et à « accepter de coopérer à l’établissement d’une norme globale et partagée dans ce domaine ».

Dans le rapport que nous sommes en train de rédiger sur la parentalité au temps de l’AMP, nous établirons des interprétations relatives à la dignité humaine et à la non-discrimination et préciserons les principes. Je ne sais si le Comité international de bioéthique de l’UNESCO traitera de la GPA : c’est son Bureau qui décide des prochains sujets à l’ordre du jour des travaux du Comité et il faut attendre un peu pour en savoir davantage. Mais pour ce qui concerne l’AMP, je suis certaine qu’une évolution aura lieu prochainement.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Comment expliquez-vous, madame Martinho da Silva, la disparité si marquée des règles relatives à la bioéthique dans des pays européens aux cultures et à des valeurs communes ?

Le CCNE propose de donner un accès plus large aux informations recueillies dans le cadre du diagnostic pré-conceptionnel ; qu’en pensez-vous, madame Cambon-Thomsen ? Comment procéder, sur un plan pratique, si la demande des couples est forte ? Faut-il prévoir d’augmenter le nombre de généticiens aptes à donner des avis autorisés pour guider la décision des parents ?

Lorsque le terme « bioéthique » a été utilisé pour la première fois en Allemagne, au début du XXe siècle, il faisait référence à l’ensemble du monde vivant. Il est maintenant réduit aux seuls êtres humains ; ne pensez-vous pas, madame Wiesemann, que la réflexion devra, demain, être étendue à d’autres espèces animales ? D’autre part, l’Allemagne, jusqu’alors peu progressiste dans le domaine bioéthique, semble désormais moins frileuse ; les États généraux de la bioéthique qui ont eu lieu en France vous inciteront-ils à considérer qu’en ces matières il est important de tenir compte aussi de l’avis des citoyens, dont on sait d’expérience qu’ils sont en avance sur les experts et les professionnels dans leur désir de voir les choses évoluer ?

La France est en retard sur la Belgique et l’Espagne dans presque tous les champs de la bioéthique, ou plus précautionneuse. Cela nous donne l’avantage de pouvoir légiférer forts de l’expérience belge et en ayant pris connaissance de l’étude de Mme Susan Golombok, de l’université de Cambridge, et d’études américaines. Madame De Sutter, quelles autres études conduites sur le suivi des enfants élevés dans des familles homosexuelles au cours des deux dernières décennies ont confirmé que le problème tient à un environnement sociétal parfois discriminant et qu’il faut banaliser ce qui était marginal ? Dans le rapport que vous avez rédigé pour la commission des affaires sociales de l’APCE, vous évoquez l’équilibre à trouver entre les droits des parents, des donneurs et des enfants. Cet équilibre doit-il être parfait ou le droit des enfants, qui sont les plus vulnérables, doit-il primer – ce que nous avons considéré jusqu’à ce jour ?

Mme Paula Martinho da Silva. Si les mêmes valeurs emportent des législations aussi différentes – comme on le voit, par exemple, pour ce qui concerne la fin de vie –, c’est que les peuples européens ont des cultures diverses et que joue, pour citer à nouveau Mme Delmas-Marty, la marge nationale d’appréciation. Quand tout a commencé en matière de procréation médicale assistée, il y a quarante ans, on parlait de « procréation artificielle » : même le lexique a changé. Les pays européens n’ont pas tous légiféré en même temps : la France et l’Espagne l’ont fait, mais le Portugal est resté vingt ans sans loi à ce sujet. On constate cependant une tendance à l’uniformisation des législations, notamment pour l’anonymat des donneurs de gamètes. Tous les pays européens, Suède exceptée, avaient initialement opté pour l’anonymat ; ils voient progressivement la question autrement. La conscience s’est faite aussi qu’il fallait réduire autant que faire se peut le tourisme médical. La marge nationale d’appréciation demeure, mais on veut parler de ces sujets en faisant état d’opinions parfois divergentes tout en tentant de leur donner un sens plus commun.

Mme Anne Cambon-Thomsen. La diversité des opinions en Europe est riche en capacité de dialogue – quand quelque chose est uniformisé, on n’en parle plus. Loin de considérer la diversité comme un obstacle ou comme une occasion de tourisme de santé entre pays, le fait que les conseils nationaux d’éthique français et allemand dialoguent sur fond d’un substrat commun et d’une histoire législative et sociale différente est une richesse. Le prochain avis du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne portera sur les modifications du génome sur le plan général ; mais ce travail, qui vient de démarrer, n’a pas encore de portée pratique.

S’agissant de la mise en œuvre pratique de l’extension des diagnostics génétiques pré-conceptionnels puis de son éventuelle généralisation à l’ensemble de la population, il faut procéder par étapes. C’est ce que propose le CCNE, qui souligne la nécessité d’une étude pilote destinée à évaluer les conséquences de cette extension ; il serait bon de mentionner dans un texte de loi que, dans certains domaines, une expérimentation encadrée est indispensable.

La profession de conseiller en génétique s’est installée. Il faut désormais un statut plus assis et un plus grand nombre de praticiens pour faire face à l’accroissement attendu de la demande. On ne peut augmenter indéfiniment le nombre de spécialistes, et la formation des professionnels de santé en génétique devrait être beaucoup plus approfondie qu’elle ne l’est, car on ne résoudra pas tout en augmentant le nombre des conseillers en génétique. Il faut en venir à une éducation à la génétique dans la société, dès l’école.

Mme Claudia Wiesemann. (Interprétation) La bioéthique devra en effet déborder la seule éthique de la condition humaine pour prendre en considération le monde vivant. La green gene technology permet déjà de modifier des gènes de moustiques. On peut ainsi modifier le vivant et il faut prendre garde aux conséquences que cela implique.

Si l’Allemagne a longtemps adopté une politique plutôt restrictive, singulièrement pour ce qui concerne la médecine de la reproduction, c’est en raison de sa terrible histoire, des abus terrifiants de l’autorité médicale qu’elle a connus. Mais à mesure que naissent de nouvelles générations qui n’ont pas connu la période totalitaire, la confiance en la civilisation se renforce. Je pense que cela va modifier le rôle des experts, ce qui est une mutation nécessaire. En matière de bioéthique, le citoyen est un expert de la vie quotidienne ; il peut dire en quoi les nouvelles technologies affectent sa vie, si elles créent des injustices, si les lois lui sont propices. Le législateur doit intégrer ces éléments dans ses décisions pour les améliorer.

Mme Petra De Sutter. La Belgique a toujours été pionnière en médecine de la reproduction, qu’il s’agisse de l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) en 1991, de la congélation des embryons, de la transplantation de tissu ovarien, du suivi des enfants, de la psychologie ou de l’éthique. Des études de suivi des enfants de femmes seules et de couples de femmes ont été réalisées par Mme Anne Brewaeys à Bruxelles en 1990 et jusqu’en l’an 2000, ainsi, bien sûr, que par Mme Susan Golombok. Plus récemment, un groupe d’éthiciens sous la direction de M. Guido Pennings a publié, en appuyant ses études sur les patients de notre service, une série d’articles comparant la parentalité génétique et la parentalité non génétique et ce que cela signifie pour les enfants. Je vous communiquerai ces documents si vous le souhaitez.

Plutôt que « banaliser le marginal », je dirais « normaliser l’exceptionnel ». Si l’on est sûr que l’intérêt de l’enfant n’est pas lésé, il revient au législateur, pour faire droit aux principes de justice, d’égalité et de non-discrimination, de créer un environnement où chacun a les mêmes droits, en l’espèce le droit à la parentalité – et ensuite, la société changera. Je vous l’ai dit, chaque classe, en Belgique, compte au moins un enfant qui a deux pères ou deux mères. Il y a vingt ans, on se moquait d’eux ; désormais, la situation est normalisée. La société change, et le législateur a une grande responsabilité dans cette évolution.

Sur l’équilibre à trouver entre les droits des parents, des donneurs et des enfants, je pense qu’en cas de conflit de droits, l’intérêt de l’enfant doit primer, pour des raisons éthiques et juridiques, que l’on envisage la PMA ou l’anonymat des donneurs de gamètes.

M. Jean-François Mbaye. De nombreux pays européens reconnaissent aux personnes nées d’un don de gamètes le droit d’accéder à leurs origines. En France, les rares opposants à la consécration de cette aspiration légitime arguent de l’éventuelle baisse des dons qui suivrait la levée de l’anonymat. Les chiffres relevés à l’étranger semblent pourtant les démentir : on constate que là où il a été mis fin à l’anonymat des donneurs, les dons n’ont pas fléchi mais augmenté, le profil des donneurs évoluant. Comment est organisé, en pratique, le droit d’accès aux origines en Belgique et en Allemagne ?

M. Guillaume Chiche. Bien que les études scientifiques menées depuis quarante ans sur la construction psychologique des enfants montrent qu’ils ne souffrent pas de la forme de la structure familiale dans laquelle ils sont élevés, certains les contestent toutes, mettant en cause la méthodologie suivie pour les balayer d’un revers de main. Comment favoriser la culture scientifique et technique, et surtout, comment redonner confiance en ces travaux de recherche ? C’est une richesse que des équipes de recherche internationales soient constituées, mais les différences dans les législations nationales des pays d’origine des chercheurs ne font-elles pas obstacle aux travaux, si la perspective d’appliquer leurs résultats fait défaut ? Le diagnostic pré-implantatoire a longtemps été interdit dans notre pays ; mais paradoxalement, quand il a été autorisé, on a permis à des professionnels de santé qui s’étaient formés à l’étranger de le pratiquer en France… Enfin, pensez-vous que des États généraux de la bioéthique puissent être organisés à l’échelle de plusieurs pays pour permettre la convergence des législations nationales ? On éviterait ainsi que celles des Françaises qui en ont les moyens se trouvent contraintes de se rendre à l’étranger pour une AMP qui leur est refusée en France en raison de leur orientation sexuelle ou de leur statut marital.

M. Patrick Hetzel. Il y a trois ans, Mme Annegret Raunigk, une Allemande âgée de 65 ans et déjà mère de treize enfants, a annoncé être enceinte de quadruplés à la suite d’une AMP. Cela a suscité de vifs débats en Allemagne et au-delà. Le Comité national d’éthique allemand a-t-il par la suite formulé un avis sur une potentielle limite d’âge ? A-t-il émis une opinion sur le fait que cette AMP précise, réalisée après treize grossesses naturelles, n’était manifestement pas due à une infertilité ? Un débat parlementaire a-t-il eu lieu dans le prolongement de cet épisode ?

M. Philippe Berta. Je remercie Mme Cambon-Thomsen d’appeler à l’éducation de la population à la génomique et à la génétique ; le président-fondateur de l’École de l’ADN que je suis, et qui se bat dans le désert depuis vingt ans à ce sujet, y est évidemment très sensible. Le plan « France Médecine génomique 2025 » a pour objectif le séquençage, chaque année, de 200 000 génomes. C’est une somme d’informations gigantesque et l’on comprend qu’il faille, comme l’a souhaité ici le professeur Jean-Louis Mandel, envisager autrement la formation des conseillers génétiques et penser aussi à nos étudiants en sciences, qui sont souvent bien mieux formés en génétique que ne le sont nos collègues médecins. Il faudra aussi réfléchir à la nécessité de développer la bio-informatique et le stockage des données, car là encore nous aurons quelques points de faiblesse.

Si, en réalisant un séquençage à haut débit concernant un patient atteint d’une maladie rare, on trouve des mutations actionnables pour des pathologies qu’initialement, il n’était pas prévu de chercher, que doit-on faire pour le patient concerné ? Pour sa parentèle ?

Mme Petra De Sutter. Toutes les études montrent en effet que la levée de l’anonymat du don de gamètes ne provoque pas, relativement, de diminution du nombre des donneurs mais que des donneurs d’un autre type se présentent : ce sont des hommes plus âgés, qui ont déjà une famille et non plus des étudiants. Je dis « relativement » car cela prend du temps, d’autant que la demande s’accroît. Il y a vingt-cinq ans, à l’hôpital universitaire de Gand, les traitements par sperme de donneur concernaient uniquement des couples hétérosexuels ; maintenant, je l’ai indiqué, 84 % concernent des couples de lesbiennes et des femmes célibataires. C’est dire que la demande de dons augmente indépendamment de la question de l’anonymat.

Sur le plan pratique, on importe en Belgique du sperme danois pour inséminer des Françaises… Ce n’est pas souhaitable et le gouvernement belge devrait faire un effort. En France, le système n’est pas parfait, certes, mais au moins est-ce l’Agence de la biomédecine qui organise ces choses. En Belgique, ce sont les centres de médecine de la reproduction qui recrutent les donneurs, et cela ne fonctionne pas très bien car nous n’avons pas le droit de faire de publicité ; c’est pourquoi, coincés, nous importons du Danemark. Ce n’est pas la solution de long terme si vous étendez l’accès à l’AMP.

Vous m’avez interrogée sur la défiance à l’égard de la recherche. Comment redonner confiance dans la recherche scientifique en général ? La réponse est extrêmement difficile quand les mêmes études sont parfois utilisées pour formuler des conclusions contradictoires. C’est que demeure toujours dans la science un élément d’incertitude : on approche la vérité. Mais on peut toujours manipuler, faire des méta-analyses en mettant des études de côté, et arriver à d’autres conclusions. On le voit en matière politique au niveau européen dans les études pharmacologiques, avec le glyphosate par exemple. On peut donc employer la science à différentes fins, si bien que le public constate que l’on peut parvenir à des résultats discordants sur la base des mêmes études et il ne le comprend pas. Il faut beaucoup plus d’éthique de la part des scientifiques et aussi de ceux qui utilisent des études pour mettre en avant leurs conclusions.

Membre du comité exécutif de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE), je peux témoigner qu’il est difficile de lancer des études au niveau européen : on ne peut qu’observer les différences, car la diversité des législations nationales fait effectivement obstacle aux études transnationales. Dans un monde idéal, les États européens s’accorderaient sur ce qui est permis, et des États généraux européens de la bioéthique permettraient la convergence des législations. Mais il ne faut pas rêver : de grandes différences idéologiques demeurent en Europe. Elles font que le mariage pour tous est un problème pour certains pays et pas pour d’autres, de même que l’extension de l’accès à l’AMP. Le principe de subsidiarité fait qu’il faudra encore beaucoup de temps pour parvenir à la convergence.

Mme Claudia Wiesemann. Il me semble que, pour ce qui est du don de gamètes, on a longtemps sous-estimé l’intérêt du donneur. On sait maintenant que bon nombre de donneurs de sperme veulent savoir ce qu’il est advenu de leur don car ils se sentent une certaine responsabilité. Un système plus ouvert, donnant aux enfants issus de dons un droit d’accéder à leurs origines permet aussi aux pères biologiques d’accéder à ces enfants. Si l’on instaure un système fondé sur la confiance et des relations familiales moins abstraites – même si elles ne sont pas très étroites –, d’autres hommes trouveront peut-être un intérêt à donner leur sperme.

La législation allemande rend obligatoire la tenue d’un registre national de tous les dons de gamètes. Les enfants issus de dons ont un droit d’accès à ce registre à partir de leur seizième anniversaire. Le processus administratif est très récent mais l’Allemagne étant réputée pour l’excellence de sa bureaucratie, je ne doute pas que cela fonctionnera !

Les États généraux de la bioéthique sont une bonne manière de donner confiance en la recherche car le peuple peut participer à la discussion scientifique, et ce qu’il dit est pris en compte et noté. D’autre part, le CCNE ayant préparé une grande somme de données sur plusieurs thèmes scientifiques, l’information a circulé dans les deux sens, ce qui est indispensable pour maintenir un certain niveau de confiance.

Le cas extrême de Mme Raunigk, qui est allée se faire inséminer en Ukraine, a provoqué un débat relatif à l’âge de la mère lors d’une AMP. Il a été observé que cette grossesse multiple chez une femme de 65 ans s’est déroulée sans complications dues à son âge : les seules difficultés ont été dues au nombre d’embryons implantés. Les femmes, au XXIe siècle, étant plus saines à 50 ans et à 60 ans qu’elles l’étaient au cours des siècles précédents, il n’est pas certain qu’il faille fixer une limite d’âge pour une AMP. Nous n’avons pas le recul nécessaire pour déterminer à partir de quel âge le niveau de risque devient excessif ; les données scientifiques dont nous disposons sont encore insuffisantes.

Mme Anne Cambon-Thomsen. La confiance dans la recherche est un problème général. Débattre et consulter la population sur des sujets donnés est concevable au sein de l’Union européenne. La Commission européenne recueille déjà des statistiques – ce sont les eurobaromètres. Ils sont imparfaits, mais ils traduisent les réponses apportées aux questions posées à un échantillon de la population dans tous les pays de l’Union, ce qui informe sur la perception de différents problèmes qu’ont les citoyens européens. On peut contester la méthodologie, mais on dispose déjà d’outils. Pourquoi, alors, ne pas consulter les citoyens après avoir retravaillé la méthodologie, de manière à rendre les comparaisons possibles dans des domaines variés ?

Le plan « France Médecine génomique 2025 » vise à installer une douzaine de plateformes de séquençage génomique à très haut débit, chacune devant réaliser quelque 18 000 séquençages par an, soit environ 200 000 en tout chaque année ; mais ce sera peut-être beaucoup plus dans les années à venir car les développements vont très vite. Nous avons besoin de conseillers en génétique mais aussi de bio-informaticiens interprètes de données génétiques cliniques. Il y a là de nouveaux métiers qui doivent être considérés dans un ensemble harmonieux et concerté : avoir de nombreux conseillers en génétique sans disposer ni de la compétence informatique nécessaire pour conserver et interpréter les données ni des logiciels indispensables créerait un déséquilibre global néfaste. Le plan prévoit par conséquent la formation des praticiens existants et la formation à des métiers naissant en santé génomique.

Il faut dire à qui l’on prescrit un séquençage ciblé du génome que des données secondaires actionnables peuvent être révélées à cette occasion. L’information approfondie du patient est nécessaire pour qu’il le sache – cela n’a rien d’évident – et qu’il soit en mesure de donner son consentement.

L’information ne jaillissant pas toute seule, qui doit décider de ce que l’on va aller regarder ? Le système ? La loi ? C’est le cas aux États-Unis, où les textes donnent des indications. Le professionnel ? Quel est le rôle de la personne ? Ce n’est pas stabilisé, et c’est pourquoi des études pilotes sont nécessaires. Mon avis personnel est qu’il faut pouvoir aborder la question avec le patient et pouvoir aller regarder ailleurs si tel est son souhait. Cela crée de grandes complications pour les praticiens : outre qu’il faut un bien plus grand nombre de conseillers en génétique, quel est le bon moment pour aborder la question ? Il faut des recommandations professionnelles et des essais pilotes, mais le principe devrait être que lorsque des informations sont découvertes, on en parle, tout en restant raisonnable : on ne va pas aller regarder tout ce que peut montrer un génome. Il faut avoir conscience que générer des données aussi vastes entraîne d’autres obligations que simplement faire le diagnostic pour lequel la consultation initiale a eu lieu.

Mme Paula Martinho da Silva. S’il est presque impossible de parvenir à une réflexion bioéthique partagée, les progrès scientifiques accomplis au cours des trente dernières années ont néanmoins conduit la communauté internationale à prendre des décisions communes assez vite, comme on l’a vu après la naissance de la brebis Dolly. Le premier mammifère cloné est né en 1996 ; dès 1997, la Déclaration de l’UNESCO sur le génome humain et les droits de l’homme réprouvait l’idée du clonage humain et, en 1998, le protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’Homme et la biomédecine posait explicitement le principe de l’interdiction de cette pratique. Pour les questions de société, c’est plus difficile. Par ailleurs, certains textes sont contraignants – ainsi de la Convention européenne des droits de l’homme – mais d’autres, adoptés dans d’autres enceintes internationales, dont l’UNESCO, ne le sont pas. Or, dans ses arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme cite bien entendu les dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme mais aussi des dispositions figurant dans des déclarations universelles non contraignantes. Par ce biais s’inscrivent jour après jour dans notre vie des principes de portée universelle.

M. le président Xavier Breton. Mesdames, je vous remercie.

 

L’audition s’achève à dix-huit heures vingt.


Membres présents ou excusés

Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

 

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 16h15

Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Emmanuelle Fontaine‑Domeizel, M. Patrick Hetzel, Mme Caroline Janvier, M. Jean François Mbaye, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Excusée. - Mme Bérengère Poletti