Compte rendu

Commission d’enquête
sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables,
sur la transparence des financements
et sur l’acceptabilité sociale
des politiques de transition énergétique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Grandidier, fondateur et président du Groupe Valorem et de Mme Marie Bové, responsable des relations publiques                2

 


Mardi
7 mai 2019

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 23

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de M. Julien Aubert,
Président

 


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L’audition débute à dix-huit heures quarante.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Grandidier, c’est en 1994 que vous avez créé le bureau d’études en énergies vertes Valorem, qui s’est spécialisé en 2001 dans le développement des parcs éoliens. En 2007-2008, Valorem a élargi ses compétences à la méthanisation, à l’énergie des vagues et au photovoltaïque, et est devenu producteur d’énergies vertes. Il s’est doté de deux filiales à 100 % : Valrea, spécialisée dans la construction d’unités de production d’énergies renouvelables, et Valemo, spécialisée dans la conduite et la maintenance de parcs pour tous types d’énergies vertes. Valorem exerce par ailleurs une activité internationale en matière de projets de parcs éoliens ; il intervient en Ukraine, en Roumanie et en Finlande.

Le groupe Valorem a l’ambition de « contribuer à un nouveau monde électrique à travers la remise en cause du rapport centralisé à l’énergie, la cohabitation entre la production d’énergies vertes et la biodiversité, ainsi que le recours aux entreprises locales ». Monsieur Grandidier, cette « remise en cause du rapport centralisé à l’énergie » implique-t-elle une offre excluant toute énergie d’origine nucléaire et 100 % renouvelable, éventuellement au travers de contrats d’approvisionnement offrant une garantie à long terme ? Par la « remise en cause du rapport centralisé à l’énergie », désignez-vous également la relation au réseau ? Quel est l’enjeu du renouvellement des parcs éoliens ? Le démantèlement d’une éolienne donne-t-il lieu au retrait complet de son socle en béton ? Est-il possible d’agrandir un mât ? Que pensez-vous de la proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) d’élaborer un appel d’offres particulier pour le renouvellement des parcs ? Comment envisagez-vous les éventuels conflits dans l’utilisation des sols, si les parcs éoliens ou les centrales solaires devaient se développer pour aboutir à une énergie 100 % renouvelable ? La conversion des friches industrielles, militaires ou agricoles résout-elle la question ? Que faire des vieilles serres dotées de panneaux photovoltaïques, sous lesquelles il n’est plus possible de pratiquer l’agriculture ? De quoi est-il concrètement question lorsque Valorem fait état de la volonté « d’améliorer la cohabitation entre production d’énergies vertes et biodiversité pour une recolonisation des milieux naturels par les espèces » ? Est-ce à dire que les parcs éoliens sont favorables pour la biodiversité ?

Avant de répondre à ces nombreuses questions, monsieur Grandidier et madame Bové, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demanderai de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Bové et M. Grandidier prêtent serment.)

M. Jean-Yves Grandidier, fondateur et président du groupe Valorem. Je vous remercie de nous avoir invités à présenter le bureau d’études Valorem et notre vision de la transition écologique et énergétique.

J’ai fondé l’entreprise Valorem en 1994. Il s’agissait initialement d’un bureau d’études spécialisé dans les énergies renouvelables et la maîtrise de l’énergie. Lorsqu’un cadre réglementaire attractif a été instauré en la matière, notre modèle d’affaires s’est rapidement concentré sur le développement de projets éoliens, c’est-à-dire sur la conduite d’études nécessaires à l’obtention d’autorisations de construire et d’exploiter ces installations.

L’entreprise ayant à l’époque un capital familial, nous ne pouvions assurer le développement concomitant de nombreux projets sur des durées longues. Nous réalisions donc les premières phases des développements et trouvions des investisseurs capables de financer les suivantes. Nous percevions une prime de succès lorsque nous obtenions l’ensemble des autorisations leur permettant de construire et d’exploiter une installation. Tel fut notre fonctionnement jusqu’en 2007.

Nous avons ensuite changé de modèle d’affaires, pour devenir un producteur d’électricité. À cet effet, nous avons réalisé une première levée de fonds en 2007, suivie d’une deuxième en 2008 auprès du Crédit Agricole et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), lesquels ont mis à notre disposition 23 millions d’euros. Cette somme représentait les fonds propres requis par les banques pour financer des projets éoliens à hauteur de 100 mégawatts (MW), pour un coût total de 150 millions d’euros. À partir de cette époque, le groupe s’est développé dans les métiers de la construction via sa filiale Valrea ainsi que dans les métiers d’opération et de maintenance via sa filiale Valemo. Aujourd’hui, Valorem est un opérateur totalement intégré sur la chaîne de valeur de la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, depuis le développement de projets jusqu’à l’exploitation et la maintenance d’installations. En parallèle, nous avons diversifié les activités du groupe dans d’autres filières que l’éolien, en particulier le photovoltaïque et l’hydraulique.

En 2016, le fonds du Crédit Agricole a cédé la place à l’investisseur anglais 3i Infrastructure à hauteur de 25 % de notre capital. 3i Infrastructure a apporté des fonds sous forme obligataire, avec l’objectif de développer 500 mégawatts (MW) d’énergies renouvelables en exploitation à l’horizon de 2020 et de diversifier notre mix de production. Malgré le caractère hautement capitalistique des énergies renouvelables, les actionnaires historiques – dont je suis le principal – gardent le contrôle du groupe Valorem et ont la volonté de le conserver aussi longtemps que possible, de manière indépendante. Il fut néanmoins très difficile d’organiser la sortie du fonds du Crédit Agricole tout en conservant cette indépendance.

Aujourd’hui, Valorem compte 220 salariés. Nous avons prévu d’embaucher une quarantaine de collaborateurs en 2019, soit un accroissement de l’effectif de 20 %. Fin 2018, notre parc installé ou en construction représentait environ 400 MW. Les installations que nous possédons en totalité ou partiellement produisent quelque 650 gigawattheures (GWh) par an, soit l’équivalent de la consommation électrique de 300 000 habitants.

En 2018, notre chiffre d’affaires consolidé s’est établi à 65 millions d’euros, dont 44 millions d’euros proviennent de la production d’électricité. Notre total de bilan se monte à 500 millions d’euros. Les retombées de nos activités sur le territoire représentent plus de 10 % du chiffre d’affaires que nous réalisons dans l’électricité, soit 4,5 millions d’euros : loyers et indemnités versés aux agriculteurs, taxes locales, etc. Une petite trentaine d’établissements publics de coopération intercommunale en bénéficient. En cela, les énergies renouvelables participent à la vitalité des zones rurales. Les agriculteurs disent récolter le vent comme ils le font du blé ! Ces installations constituent une source de richesse pour les territoires et contribuent au maintien de services publics. Grâce à ces retombées, nous voyons des communes périurbaines, où s’installent des jeunes n’ayant pas les moyens de vivre en centre-ville, s’équiper de crèches ou maintenir leur école et leur bureau de poste.

À l’horizon de 2024, nous visons 2 300 MW installés, que nous posséderons à 60 %, dont 25 % en solaire et 30 % à l’international. Nous venons de finaliser une belle opération, aux côtés d’un investisseur anglais, pour la construction d’un parc finlandais de plus de 70 MW. Il atteindra pas moins de 4 000 heures équivalent pleine puissance (HEPP), avec des coûts de production très faibles. Il comportera des machines de 150 mètres de diamètre, sur des mâts de 135 et 155 mètres de hauteur. La hauteur en bout de pale pourra donc atteindre 230 mètres. Nous produirons ainsi des quantités d’énergie extrêmement importantes, avec des facteurs de charge très élevés et pour un coût réduit.

Le rayonnement des énergéticiens français à l’étranger est réel, qu’il s’agisse des plus grands comme EDF, Engie, Total ou Eren, ou des entreprises de taille intermédiaire (ETI) comme Valorem, Quadran ou Akuo. Ces acteurs sont très présents à l’international, où ils mettent à profit la tradition française d’ingénierie dans les grands projets. C’est un atout pour la balance commerciale et la balance des paiements de notre pays. Nous souffrons pour autant d’un handicap, en particulier par rapport à l’Allemagne où les conditions financières accordées aux opérateurs sont sans commune mesure avec les nôtres. Avec la Kreditanstalt für Wiederaufbau, l’Allemagne a mis en place une véritable « machine de guerre » pour offrir à ses entreprises des conditions qui les rendent imbattables dans les appels d’offres.

En matière de recherche et développement, nous avons développé, il y a longtemps déjà, des solutions alternatives au renforcement du réseau en milieu rural afin d’y diminuer le coût de l’électrification. Une ligne de crédit avait été créée à cet effet en 1994. Nous avons conclu avec EDF des contrats d’équipementier puis des tarifs afin d’installer ce type de produits sur les réseaux à basse tension.

En 2018, nous avons implanté les premières éoliennes cycloniques dans les outre-mer, à Sainte-Rose en Guadeloupe. Ces éoliennes ne se rabattent pas quand arrivent des cyclones, mais résistent peu ou prou.

Nous proposons également de l’éolien pilotable. En effet, le cahier des charges que nous impose EDF exclut l’intermittence : nous devons établir et respecter un programme de production heure par heure, du jour pour le lendemain. Nous y procédons au moyen de batteries. Nous faisons donc de l’éolien et du photovoltaïque des énergies pilotables. Le CEA Tech, direction de la recherche technologique du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, nous accompagne dans la mise au point d’un système de management de l’énergie.

J’ajoute que nous développons des projets de production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables, en particulier pour des applications de transport.

Enfin, nous travaillons actuellement sur l’innovation Cryosolar consistant à produire du froid à partir d’énergie solaire. Son principe est de stocker les excédents d’énergie solaire produits en journée dans une batterie de froid, qui n’est autre que de la glace. Les frigories sont ensuite restituées pour compenser les pertes de la chambre froide pendant la nuit. Ce produit pourrait connaître des développements majeurs en France et dans le monde, en particulier pour permettre aux pêcheries et à l’agro-industrie de frigorifier leurs denrées à très faible coût. Il en est en effet bien moins onéreux de stocker de l’énergie dans de la glace que dans des batteries d’accumulateurs.

Mme Marie Bové, responsable des relations publiques du groupe Valorem. Valorem fête cette année ses vingt-cinq ans. Nos 220 salariés sont mobilisés dans différentes agences en France – notamment à Nantes, Carcassonne, Dijon, Amiens, en Guadeloupe et bientôt à Aix-en-Provence – mais aussi en Colombie, au Maroc, en Finlande ou encore en Grèce. Notre personnel est présent au quotidien sur les territoires, au plus près des parcs que nous créons et exploitons. Ceci m’invite à vous livrer une réflexion sur la façon dont nous conduisons nos projets avec les acteurs des territoires. Lorsque nous sommes en confrontation avec les élus locaux, les paysans et les professionnels des services, nous sommes obligés de nous interroger sur les modalités de développement des énergies renouvelables et sur la manière dont les citoyens, les élus et les collectivités peuvent y participer et en retirer un intérêt. Ce bénéfice tient certes aux atouts que présentent les énergies vertes pour le climat et l’environnement. Toutefois, il ne suffit pas de produire différemment de l’énergie pour répondre à la question climatique et environnementale, et encore moins à celle de la biodiversité. Il faut également réfléchir à la façon de construire les parcs, aux précautions à prendre ou encore à la capacité d’une installation à lutter contre l’imperméabilisation des sols.

J’illustrerai cette réflexion sur la protection de la biodiversité par l’exemple de nos centrales photovoltaïques implantées dans le Médoc. En 1999 et 2009, des tempêtes ont détruit la forêt landaise, plus grande forêt industrielle d’Europe, dont l’exploitation participait aux revenus communaux. Pour compenser cette perte de ressources, les communes ont réfléchi à des solutions alternatives. Elles ont eu l’idée d’accueillir une centrale photovoltaïque avec un bail temporaire. Dans le même temps, la forêt serait replantée sur le double ou le triple de sa surface initiale, avec des essences résistant davantage aux tempêtes. Les parcs photovoltaïques contribueraient même à régénérer cette zone humide. À condition d’être suffisamment espacés les uns des autres, les panneaux pourraient suivre la courbe du soleil et assurer une photosynthèse permanente pendant les quatre saisons. Les plantes emblématiques de cette forêt, et notamment les espèces protégées, pourraient ainsi reconquérir ce milieu. Cette solution était inédite. Pour la mettre en œuvre, nous avons été accompagnés par les services de l’État et par des bureaux d’études qui ont répertorié les espèces en présence. Il s’est avéré qu’un papillon qui était en voie de disparition est revenu y faire son habitat.

Les projets d’énergies renouvelables ne sont donc pas nécessairement synonymes de consommation d’espace et d’artificialisation des sols. Nous savons discuter avec les acteurs des territoires et les élus locaux pour faire un bon usage de l’espace, favorable à l’écologie, à la production d’énergie et à l’emploi.

Dans la commune de Sainte-Hélène, toujours dans le Médoc, Valorem a décidé de faire bénéficier très largement les entreprises et les fournisseurs locaux de l’investissement de 30 millions d’euros qu’il réalisait. À 60 %, cet investissement est revenu entre les mains de fournisseurs de panneaux photovoltaïques du Lot-et-Garonne, de fournisseurs de supports de Gironde, ainsi que de l’ensemble des entreprises locales de voirie et réseaux divers. Nous ajoutons aujourd’hui une pièce à cet édifice avec une clause d’insertion. Ainsi, la maîtrise d’ouvrage Valorem oblige sa filiale de construction Valrea et l’ensemble des sous-traitants à réserver au moins 7 % des heures de travail à des personnes sans emploi vivant à proximité du chantier.

M. le président Julien Aubert. Monsieur Grandidier, combien d’éoliennes le groupe Valorem gère-t-il aujourd’hui ?

M. Jean-Yves Grandidier. En tant que propriétaire ou copropriétaire, nous avons environ 400 MW d’énergies renouvelables en exploitation et en construction. Une petite partie de ce parc est photovoltaïque. Pour le reste, nous comptons 150 à 170 mâts en France. Nous construirons et mettrons en service 17 mâts en Finlande en 2020. En parallèle, Valemo exploite des installations pour des tiers.

M. le président Julien Aubert. Pour le moment, Valemo est donc essentiellement présent en France pour ce qui est de l’éolien.

M. Jean-Yves Grandidier. En effet.

M. le président Julien Aubert. Vous ne gérez pas de parc éolien en Grèce ou en Finlande, par exemple.

M. Jean-Yves Grandidier. Pas encore. Notre activité d’exploitation et de production d’électricité éolienne s’effectue pour le moment en France. La Finlande s’y ajoutera dans un peu plus d’un an via une centrale éolienne dans laquelle nous investissons. Valrea en réalise la construction et Valemo en assurera l’exploitation.

M. le président Julien Aubert. Monsieur le président, vous avez indiqué que votre chiffre d’affaires consolidé se montait à 65 millions d’euros, dont 44 millions d’euros liés à l’activité électrique. Que recouvrent les 21 millions d’euros restants ?

M. Jean-Yves Grandidier. Les règles comptables sont ainsi faites que notre chiffre d’affaires consolidé illustre assez imparfaitement la réalité de notre exploitation. Les 21 millions d’euros de chiffre d’affaires qui ne sont pas liés à la production d’électricité recouvrent des services réalisés pour des tiers. Il s’agit par exemple de l’exploitation et de la maintenance assurées par Valemo pour d’autres fabricants d’éoliennes, investisseurs ou producteurs d’énergie. Il en est de même lorsque Valrea construit tout ou partie d’une installation pour autrui. En Guadeloupe par exemple, nous partageons notre parc éolien avec la Caisse des dépôts et consignations et avec une société d’économie mixte (SEM) d’énergie locale. Toujours au titre des services, nous réalisons des développements pour des tiers. Toutes ces activités entrent dans le chiffre d’affaires consolidé.

M. le président Julien Aubert. Quelle fraction du chiffre d’affaires de Valorem est réalisée à l’international ?

M. Jean-Yves Grandidier. Jusqu’à récemment, nous avons surtout procédé à des développements à l’international. Ce poste induisait donc des coûts plutôt que des revenus. En 2018, notre chiffre d’affaires était principalement réalisé en France. En 2019 toutefois, 25 % à 30 % de notre chiffre d’affaires seront réalisés à l’international, grâce à une opération que nous venons de finaliser.

M. le président Julien Aubert. Sur votre chiffre d’affaires de 44 millions d’euros lié à l’électricité, quelle est la part du solaire ?

M. Jean-Yves Grandidier. Elle est de l’ordre de 1,5 à 2 millions d’euros. Fin 2018, sur les 250 MW nets que nous exploitions, 17 à 18 MW concernaient le solaire, soit moins de 10 %. Notez que le solaire a une productivité plus faible que l’éolien. Il se situe à 1 400 EHPP, contre 2 400 à 2 500 EHPP pour les parcs éoliens.

M. le président Julien Aubert. De fait, l’éolien est-il plus rentable ?

M. Jean-Yves Grandidier. Le solaire demande des investissements moindres par rapport à l’éolien, et ses coûts d’opération sont plus faibles. Pour autant, au prix auquel nous vendons l’électricité, la rentabilité du solaire est inférieure à celle de l’éolien.

M. le président Julien Aubert. Lors des auditions que nous avons menées, le solaire nous a pourtant été présenté comme la panacée, ses coûts ayant considérablement baissé. Je note que moins de 10 % du parc de Valorem concerne le solaire, et que cette activité représente moins de 5 % de son chiffre d’affaires. Nous aurions pu nous attendre à ce que cette part soit plutôt de l’ordre de 15 % du chiffre d’affaires.

Quel résultat dégagez-vous sur votre chiffre d’affaires issu de l’éolien ?

M. Jean-Yves Grandidier. En 2018, le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA) atteignait 36 millions d’euros pour l’ensemble de nos activités, y compris les services. Le résultat après impôts du groupe s’établit à 10 millions d’euros. L’EBITDA issu de l’activité électrique est de l’ordre de 27 millions d’euros.

M. le président Julien Aubert. Monsieur le président, avez-vous calculé le résultat de vos autres activités de production ? L’objet de ma question est de comprendre l’équilibre économique d’un acteur comme Valorem qui opère dans l’éolien et le solaire. Vous avez expliqué que l’éolien était un peu plus rentable que le solaire. Quelle part de votre résultat est liée à l’activité éolienne ?

M. Jean-Yves Grandidier. Elle est d’environ 5 millions d’euros pour nos 250 MW nets, à raison de 20 000 euros par MW. Je vous communiquerai ces chiffres exacts.

M. le président Julien Aubert. Dans l’éolien, vous réalisez donc 5 millions d’euros de résultat pour 43 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cette rentabilité vous paraît-elle satisfaisante ? Vous avez souligné que vous souhaitiez accroître la part de l’activité solaire. Au contraire, nous pourrions nous attendre à ce que vous vous concentriez sur l’éolien, au motif qu’il est plus rentable. Quelle appréciation portez-vous sur la rentabilité de l’éolien, et notamment sur les contraintes législatives ou réglementaires susceptibles de la minimiser ? Est-ce parce que vous êtes insatisfait de cette rentabilité que vous faites le choix économique de vous rééquilibrer sur le solaire ?

M. Jean-Yves Grandidier. Nous avons la volonté de rester un acteur indépendant de production d’électricité. Pour y parvenir et devenir une belle ETI dans la production d’énergie électrique à partir de sources renouvelables en France et ailleurs, il est indispensable que nous agrandissions notre portefeuille d’installations en production, pour atteindre une masse critique suffisante. Nous devons aussi diversifier nos filières pour jouer sur la complémentarité et le foisonnement des énergies au gré des saisons. C’est ainsi que nous pourrons lisser le chiffre d’affaires et limiter les écarts, qui représentent un coût pour l’entreprise. Nous devons en outre flexibiliser notre parc de façon à pouvoir ralentir ou accélérer la production, sans être pénalisés lors de la vente sur le marché. Tels sont nos trois grands enjeux : le volume, la diversification du mix et la flexibilisation du parc électrique.

M. le président Julien Aubert. Combien de parcs de moins de 6 mâts avez-vous ? Je crois savoir que certaines règles diffèrent selon la taille des parcs.

M. Jean-Yves Grandidier. Nous ne sommes pas soumis à cette différenciation, si vous faites référence à la loi de programmation du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi « Grenelle 1 ». Nos 25 installations comptent six éoliennes en moyenne, soit 10 à 12 MW. L’un des parcs où nous opérons – que nous ne possédons pas en totalité – atteint 45 MW. Nous construisons actuellement un parc de 10 machines de 3,6 MW chacune dans la Somme, soit 36 MW au total. Enfin, quatre ou cinq de nos parcs ont trois machines de 2 MW.

M. le président Julien Aubert. Vous avez donc plutôt des petits parcs.

M. Jean-Yves Grandidier. En effet. Avant l’entrée en vigueur de la loi Grenelle, la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité nous limitait à 12 MW pour l’éolien. Les parcs que nous avons développés dans les années 2000 et mis en service à partir de 2010 relèvent de ce cadre.

M. le président Julien Aubert. Selon vous, monsieur Grandidier, la disparition du tarif garanti de rachat, venant en aide à l’éolien terrestre notamment, serait-elle de nature à fragiliser votre modèle économique ? Au contraire, les filières éolienne et solaire sont-elles arrivées à un stade de maturité – auquel cas votre enjeu est surtout de trouver des investisseurs capitalistiques suffisamment robustes ?

M. Jean-Yves Grandidier. C’est une question fondamentale. Je suis un ardent défenseur des mécanismes de prix garanti. J’emploie ici le terme utilisé par Jean-Bernard Lévy, président-directeur d’EDF, pour désigner le contrat signé entre cette entreprise et le gouvernement anglais pour la construction de centrales nucléaires. Comme le secteur nucléaire, nous avons besoin de visibilité, car nos activités demandent d’importants investissements capitalistiques. Nous avons besoin d’une stabilité de nos revenus pendant la durée d’amortissement de nos installations, c’est-à-dire vingt ou vingt-cinq ans. Il est essentiel que nous puissions sécuriser nos revenus afin que les banques nous accordent des prêts dans de bonnes conditions. Je défends ardemment ce système.

Dans le cadre de notre projet en Finlande, nous vendrons l’énergie sur le marché. Nous connaissons donc cette problématique et l’expérimentons. Nous signons actuellement des contrats d’achat d’électricité avec des industriels, mais c’est un pis-aller. Nous nous y prêtons car la Finlande ne possède pas de mécanisme de prix garanti, à la différence de la France, de l’Allemagne ou de la Grèce. Notez que le mécanisme de prix garanti est également employé pour la centrale nucléaire de Hinkley Point en Grande-Bretagne. C’est le dispositif optimal. Il permet de tirer parti d’un foisonnement de la production sur un espace géographique large, à l’échelle d’un pays.

Lorsque je signe un contrat d’achat d’électricité avec un industriel, je fais savoir aux banquiers auprès desquels je sollicite un financement que je revendrai l’électricité à un prix donné pendant dix ou quinze ans. Admettons que je vende l’électricité à 0,40 euro le MWh à mon client. Je dois aussi supporter des frais de profilage, c’est-à-dire d’adaptation de la production à la demande. Ils me coûtent 3 à 4 euros par MWh. Au contraire, lorsqu’un mécanisme de prix garanti est appliqué à l’échelle d’un pays, le foisonnement entre en jeu. C’est alors l’équilibre entre la production et la consommation qui détermine le prix.

M. le président Julien Aubert. Maintenant que votre parc est amorti, pourrions-nous considérer que vous n’avez plus besoin d’aides ? Désormais, vous n’êtes plus soumis à la même contrainte capitalistique pour le prolongement ou le renouvellement de vos parcs.

Par ailleurs, monsieur le président, pourquoi développez-vous un projet en Finlande où s’exerce la loi de la compétition, et non en Allemagne où les prix sont garantis ? Je crois d’ailleurs que vous n’avez pas de bureau en Allemagne.

M. Jean-Yves Grandidier. Nous nous sommes implantés en Finlande à une époque où ce pays appliquait un système de tarif garanti, dans la limite de 2 000 MW. Cet objectif a été atteint, après quoi le nouveau gouvernement a annoncé un changement de système. Pour autant, nous sommes restés en Finlande car nous avons estimé que ce pays présentait des conditions favorables au développement de l’énergie éolienne grâce à ses grands espaces, ses vents puissants hautement productifs et la possibilité d’y produire de l’électricité à des coûts faibles.

Je prônerai un système de prix garanti tant que le mécanisme de marché de l’électricité n’aura pas été modifié. Jusqu’à la fin des années 1990, le marché n’était pas libéralisé. Il n’existait pas de bourse de l’électricité. Des opérateurs historiques vendaient l’électricité de manière régulée. La libéralisation a été l’occasion d’instaurer un mécanisme de marché, mais sur la base d’installations déjà amorties et ne subissant que des coûts marginaux de production : achat de combustible pour les énergies fossiles, entretien et maintenance. Aujourd’hui, les acteurs sont sélectionnés sur l’ordre de mérite à l’aune de leur coût marginal de production. Dans la mesure où l’éolien et le solaire n’emploient pas de combustible, leurs coûts marginaux de production sont très faibles, proches de zéro. Nous avons donc tendance à faire baisser le prix spot moyen sur l’année. C’est ce qu’on appelle « l’effet d’ordre de mérite ».

En revanche, nous sommes confrontés à des difficultés si nous avons besoin d’amortir nos installations. À cet égard, nous assistons en Europe à un phénomène de « cannibalisation » : plus il y a d’éolien dans le Nord et plus il y aura de solaire dans le Sud, plus le prix de l’électricité de marché baissera. En conséquence, le prix de capture ne cessera de diminuer par rapport au prix du marché. C’est une double peine. Il est fait en sorte que les prix de l’électricité baissent sur le marché, et le prix de capture est plus bas encore que ce prix spot.

Pour quitter valablement le mécanisme de prix garanti, il faudra mettre en place un autre mécanisme de marché, dès que les énergies renouvelables de flux, comme le solaire et l’éolien, prendront une part importante dans le mix électrique.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Grandidier, Valorem affiche la volonté de construire ses projets en concertation avec les territoires. À ce titre, vous mettez en place des financements participatifs. Vous inspirez-vous de modèles de cette nature existant dans d’autres pays ? Cette démarche induit-elle une meilleure acceptabilité de vos projets ? Avez-vous des préconisations à faire sur la bonne manière de rendre vos installations acceptables ?

M. Jean-Yves Grandidier. Valorem est un pionnier du financement participatif. Dès 2010, j’ai dédié un ingénieur à ces questions. Cela nous a conduits à étudier plusieurs modèles. Nous avons également participé à la mise en place des mécanismes de bonus que comportent aujourd’hui les appels d’offres, dans l’éolien et surtout dans le solaire.

En 2018, nous avons réalisé 15 % des levées de fonds participatives totales dans les énergies renouvelables. Nous étions leader en la matière. Depuis 2010, nous avons levé plus de 10 millions d’euros dans ce cadre. L’idée nous en est venue lors de réunions publiques où les habitants revendiquaient une électricité gratuite en contrepartie de la présence d’éoliennes. Cette solution n’était pas envisageable à l’époque, car nous vendions toute notre électricité à EDF à un tarif d’obligation d’achat. Nous avons donc imaginé une autre solution grâce à laquelle nos projets profiteraient directement aux habitants. Désormais, ils peuvent faire des placements dans ce type d’installation presque sans risque, à des rendements bien supérieurs à ceux que propose la Caisse d’épargne.

(Mme Laure de La Raudière, vice-présidente de la commission d’enquête, remplace M. Julien Aubert à la présidence.)

Pour développer nos projets, nous organisons des ateliers techniques de concertation avec les acteurs des territoires afin de trouver les meilleures solutions d’implantation des parcs éoliens et d’améliorer leur acceptabilité.

Nous veillons de surcroît à ce que nos parcs éoliens n’aient pas un impact négatif sur la biodiversité. En Charente-Maritime par exemple se présentent d’importants enjeux ornithologiques. L’agriculture intensive a décimé les populations d’outardes canes peutières, qui nichaient dans les blés et étaient broyées par les moissonneuses-batteuses. Nous avons prévu un budget d’accompagnement et de compensation de 1,4 million d’euros pour développer sur 100 hectares, via des contrats d’agriculture durable, des zones favorables à cette espèce menacée.

J’ai récemment signé une convention avec CDC Biodiversité (groupe Caisse des dépôts) pour mettre en place des mesures compensatoires relatives à des oiseaux endémiques de la forêt landaise. Parallèlement aux parcs photovoltaïques, la Caisse des dépôts créera des zones favorables à la fauvette pitchou et à d’autres espèces.

Enfin, nous introduisons des clauses d’insertion dans nos projets. C’est notamment le cas pour notre parc photovoltaïque implanté dans une ancienne base militaire américaine près de Troyes. Lorsque les maires des communes proches voient des chômeurs de longue durée retrouver du travail grâce à nous, ils s’ouvrent au dialogue. C’est un sésame. Ayant été administrateur d’un plan local d’insertion pour l’emploi à Bègles, j’avais eu connaissance de telles clauses dans les marchés publics. Il m’a paru intéressant de les transposer au photovoltaïque. Le montage de panneaux solaires peut en effet être proposé à des travailleurs peu qualifiés. Marie Bové a mis en place ce dispositif dès 2016-2017 dans nos parcs du Médoc. Il améliore grandement l’acceptabilité de nos réalisations. Les structures d’insertion et les communes se réjouissent de ces débouchés professionnels offerts à des personnes ayant subi des difficultés de la vie et s’étant éloignées de l’emploi. La démarche est fort appréciée localement.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Grandidier, pourriez-vous présenter plus en détail les innovations que vous développez en matière de stockage et de pilotage de l’intermittence des énergies ? Où en sont ces technologies, et quelles perspectives d’évolution identifiez-vous ? Qu’en est-il de votre projet d’hydrogène ? Enfin, comment fonctionne votre solution Cryosolar ?

M. Jean-Yves Grandidier. Nous nous dirigeons vers une électrification de la société. L’électricité représente aujourd’hui 25 % de la consommation finale. À en croire l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, cette part pourrait atteindre 50 % en 2050. Ce phénomène d’électrification des consommations, doublé d’une rénovation thermique des bâtiments anciens, permettra de réduire drastiquement nos émissions de CO2. Nous pouvons supposer que le système européen de production d’électricité sera largement décarboné en 2050.

À cette même échéance, l’éolien et le solaire pourraient représenter 70 % à 80 % de notre mix électrique. En France, ces deux énergies pourraient à terme remplacer le nucléaire. Je les associe volontairement car elles sont complémentaires au fil des heures et des saisons.

Il ne sera pas besoin, pour autant, de recouvrir notre pays de panneaux solaires et d’éoliennes. Quelque 18 000 éoliennes terrestres seront nécessaires pour que cette énergie atteigne 30 % du mix électrique. L’éolien maritime connaîtra pour sa part un fort développement. Quant au solaire, outre les toitures et les zones déjà occupées par l’homme, nous aurons besoin d’équiper 0,3 % de la surface nationale, soit 160 000 hectares, pour atteindre 80 GW à des coûts de production imbattables.

L’éolien et le solaire présentent un potentiel de développement considérable, sans affecter véritablement le territoire. Il faut mettre en regard la cible de 18 000 éoliennes terrestres avec les 35 000 châteaux d’eau qui existent en France. Ces deux énergies sont aussi celles qui offrent le prix de revient le plus faible.

Pour tirer le meilleur parti de ces avantages, nous devrons adapter nos modes de consommation. Ainsi, 70 % à 80 % de nos consommations d’électricité peuvent être décalées ou stockées dans les usages.

L’éclairage et les appareils électroménagers représentent une part infime de notre consommation. Celle-ci est principalement mobilisée par la production de froid et de chaleur. La meilleure solution, pour profiter des nouvelles électricités à bas coût, est d’effectuer un stockage dans l’usage. C’est le principe du ballon d’eau chaude électrique. Il a été conçu, à l’époque, pour écouler les surplus de production nucléaire la nuit. Stocker de l’électricité sous forme d’usage – en l’occurrence, sous forme d’eau chaude – ne coûte que 30 euros le MWh, quand le stockage d’électricité dans une batterie coûte 200 euros le MWh. Ce prix chutera certes à mesure que progresseront les batteries, mais le différentiel avec le stockage dans l’usage restera prégnant. Ce dernier permet en outre de s’affranchir de l’enjeu environnemental du recyclage des batteries.

Ce qui vaut pour le stockage d’eau chaude vaut aussi pour le froid. Notre solution Cryosolar reproduit somme toute le principe de la glacière, en tirant parti de la frigorie latente. Demain, nos réfrigérateurs individuels ou industriels seront équipés de systèmes à froid latent. Ils fonctionneront au plus fort de l’ensoleillement, entre 11 heures et 17 heures, absorberont les excédents de production d’énergie solaire et les stockeront dans les usages. Nous n’aurons alors que faiblement besoin d’utiliser l’électricité pendant la nuit. Ces solutions sont peu coûteuses.

L’enjeu fondamental est de permettre à nos concitoyens, en même temps qu’ils isolent leur logement, de s’équiper de moyens de stockage dans les usages – de chauffe-eau thermodynamiques, par exemple. Ils pourront ainsi profiter pleinement d’énergies renouvelables peu onéreuses. Si nous ambitionnons une transition énergétique à bas coût, il sera impératif de développer le stockage dans les usages. Les politiques publiques doivent absolument favoriser cette solution. Peut-être y a-t-il d’ailleurs des emplois industriels à la clé.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. Monsieur Grandidier, vous paraît-il plus compliqué de développer des projets en France ou à l’étranger ? La localisation d’un projet en France entraîne-t-elle de facto un surcoût ?

M. Jean-Yves Grandidier. La France est le pays au monde où il est le plus compliqué de développer des projets. En Finlande, en Roumanie ou en Ukraine, l’exercice est plus facile.

Prenons l’exemple de la Finlande. Après y avoir noué un partenariat en 2014, nous y construirons une installation dès 2020. Six ans à peine auront été nécessaires entre le début du développement et sa mise en œuvre. La Finlande ne possède que deux degrés de juridiction, tandis qu’en France, le contentieux des éoliennes faisait l’objet de trois degrés de juridiction jusqu’au décret du 29 novembre 2018. Depuis lors, ce contentieux est jugé en premier ressort par les cours administratives d’appel, ce qui devrait accélérer le processus. En l’état, un recours en France met deux ans en moyenne à être traité par une juridiction. En Finlande, cette durée est moitié moindre. L’Allemagne a spécialisé la cour de Brême dans ces sujets. Peut-être la France devrait-elle faire en sorte que des magistrats des cours administratives d’appel se spécialisent dans les questions éoliennes. Cela ne pourrait qu’accélérer la mise en œuvre des projets. Le bilan économique en serait positif.

La France est un pays idéal pour produire des énergies renouvelables : ses façades l’exposent au vent, ses régimes atlantique et méditerranéen se complètent et offrent un très bon foisonnement. Réseau de transport d’électricité (RTE) estime la capacité de substitution de notre pays à 3 000 MW pour 10 000 MW d’éolien installé. Nos voisins européens ne disposent pas d’un tel atout. Nous pouvons en outre produire une énergie hydraulique grâce à nos montagnes, mais aussi solaire dans le Sud. Étant le plus grand pays de l’Europe de l’Ouest, nous disposons d’espaces où la densité est raisonnable. Nous avons aussi des forêts et des déchets agricoles.

Autre avantage non négligeable, nous sommes situés au cœur de la plaque électrique européenne. Nous pouvons par conséquent exporter nos excédents en Europe. L’Allemagne est obligée d’installer une ligne à très haute tension, de plus de 400 000 volts, pour rapatrier l’excédent de production de ses éoliennes du nord du pays vers Stuttgart et les centres industriels du sud. L’Espagne produira de l’énergie solaire très peu chère en Andalousie, mais comment celle-ci franchira-t-elle les Pyrénées ? La France, pour sa part, est le pays d’Europe le plus interconnecté avec ses voisins. Notre capacité d’interconnexion se monte à 18 GW. C’est un atout considérable qui fait de nous un exportateur potentiel d’énergies renouvelables.

Admettons qu’à terme, la France exporte 100 térawattheures grâce aux énergies renouvelables – éolien, solaire et hydraulique – à raison de 50 euros le MWh. Cela représentera 5 milliards d’euros d’excédents dans la balance commerciale. Aujourd’hui, nous gâchons nos atouts. Nous sommes pusillanimes en matière d’éolien. Voyons grand ! Dans l’éolien, la réussite passe nécessairement par des projets d’ampleur. Si Valorem arrive à produire de l’électricité éolienne à 40 euros par MWh en Finlande, c’est parce que nous pouvons y installer de très hauts mâts et des machines fortement toilées. En France, nous sommes soumis à des limitations de hauteur. Il faut mettre fin à cette attitude circonspecte vis-à-vis de l’éolien. Plus nous pourrons recourir à des grandes turbines, moins nous aurons besoin d’en implanter. Or l’impact visuel des turbines tient à leur nombre et non à leur hauteur. Je vous mets au défi de différencier des éoliennes de 100, 130 ou 140 mètres !

De nombreux territoires français sont propices à l’éolien, à commencer par les grandes plaines qui entourent la capitale. La ceinture de Paris est la zone qui compte le plus d’installations éoliennes terrestres en France. Il n’est pas même nécessaire de développer du réseau pour en tirer profit. L’Allemagne consacre 30 milliards d’euros à la création de réseau pour accompagner la transition énergétique. Sur l’ensemble de son territoire, la France aura besoin d’un budget cinq ou dix fois moindre. Nous gâchons nos atouts, ce qui nous conduit à produire une énergie électrique trop chère. Avec des éoliennes de 2 MW de puissance et 80 mètres de hauteur, je dois vendre l’électricité à 70 euros le MWh sur vingt ans pour qu’un projet soit viable, alors que je la propose à 40 euros le MWh en Finlande. Je le répète, si la France revoyait ses contraintes de puissance des machines, nous aurions besoin d’implanter moins d’éoliennes, l’impact de celles-ci serait atténué, et les coûts de production seraient plus faibles.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert, rapporteure. J’en reviens à ma question initiale, monsieur Grandidier. Lorsque vous soumettez le même projet en France et à l’étranger, anticipez-vous un surcoût dans notre pays, lié aux lenteurs d’élaboration et de traitement des dossiers ?

M. Jean-Yves Grandidier. Oui. Cela tient en partie au fait que les projets français sont plus petits. Or le coût de développement n’est pas proportionnel au nombre de MW qui seront produits. Le surcoût français s’explique aussi par la durée de développement des projets, notamment s’il faut faire face à des recours. La France impose en outre des exigences plus marquées qu’ailleurs. En matière acoustique en particulier, elles sont les plus fortes au monde. Il nous arrive de devoir ralentir ou arrêter nos turbines pour les respecter. Pourtant, une fois les éoliennes installées, les riverains ne s’en plaignent généralement plus. Notez que nous sommes soumis au régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

M. Nicolas Turquois. Monsieur Grandidier, je vous invite à revoir la biologie de l’outarde. En tant qu’agriculteur, je peux vous assurer que cet oiseau n’est pas décimé lors de la moisson des blés, comme vous l’affirmez. L’outarde apprécie les légumineuses, tout particulièrement les luzernes qui ont largement disparu de notre territoire. C’est plutôt le recul de ces cultures qui induit le déclin de cette espèce.

Je suis intervenu lors d’une réunion publique consacrée à un projet de Valorem dans le nord de la Vienne, non pour défendre spécifiquement cette installation, mais pour expliquer pourquoi les énergies éoliennes étaient soutenues par les gouvernements successifs. Je suis a priori plutôt favorable à l’éolien, mais j’entends aussi certains arguments de ses détracteurs.

Les territoires que je connais où sont implantées des éoliennes ont souvent une population très modeste. Certains habitants concourent aux projets de financement participatif, mais d’autres n’en ont pas les moyens. Ils estiment subir le désagrément visuel, voire sonore, d’éoliennes qui satisfont des consommations non pas locales, mais urbaines. Le financement participatif me semble plutôt relever d’un achat des bonnes consciences. Tous nos concitoyens ne peuvent pas en bénéficier. Vous avez évoqué, monsieur Grandidier, la revendication d’une électricité gratuite en contrepartie de la présence d’éoliennes. Ne faudrait-il pas prévoir au moins des financements pour aider les riverains de vos installations à isoler leur logement, par exemple à poser des doubles vitrages pour se protéger des nuisances sonores des éoliennes ?

J’en viens à la question des socles en béton des éoliennes. Je crois savoir qu’en cas de démantèlement d’une installation, la réglementation impose de retirer le béton sur un ou deux mètres de profondeur, pas davantage. Or un sol reconstitué sur une surface de béton ne fonctionne pas correctement d’un point de vue agronomique.

Je m’interroge enfin sur la garantie financière liée au démantèlement des éoliennes. Si les exploitants font défaut, le risque est que des propriétaires bailleurs se retrouvent, quinze ou vingt ans plus tard, avec des éoliennes inemployées dans leurs champs.

M. Jean-Yves Grandidier. Je reconnais, monsieur Turquois, que certaines de nos opérations de financement participatif ont plutôt mobilisé des habitants de la région parisienne. Nous avons pris l’habitude de les réserver, assez rapidement après leur ouverture, aux riverains de nos projets. Dans les appels d’offres, solaires en particulier, le financement participatif est désormais réservé au département qui accueille l’installation et aux départements limitrophes.

Prenons l’exemple du parc photovoltaïque que nous construisons aux environs de Troyes. La SEM Énergie de Troyes a investi dans le projet. En parallèle, nous avons recherché 700 000 euros d’investissement participatif. Ce ne fut pas sans difficulté, car nous n’avions plus affaire à des technophiles parisiens prompts à investir dans ces sujets. Cependant, nos clauses d’insertion et la communication que nous avons menée sur le projet ont incité les habitants et les agriculteurs à contribuer au financement participatif. Les incitations à ce type de financement qui existent actuellement pour l’éolien, et plus encore pour le solaire, élargissent le spectre des participants, au-delà des grandes métropoles.

M. Nicolas Turquois. Monsieur Grandidier, ma question faisait référence aux voisins directs des éoliennes, qui en subissent l’impact visuel. En contrepartie, quel retour tirent-ils de ces installations ? Peut-être leur collectivité y trouve-t-elle un bénéfice, mais ce n’est pas même assuré. Il arrive en effet que les projets soient situés en bordure d’une commune voisine. Cette dernière en subit les inconvénients, sans profiter de leurs éventuelles retombées.

M. Jean-Yves Grandidier. Notre projet éolien de La Luzette, à la frontière entre le Cantal et le Lot, illustre votre préoccupation, monsieur Turquois. Nous avons vendu 35 % du parc à la coopérative des Fermes de Figeac. Celle-ci a réparti l’investissement participatif sur le territoire entourant le parc. Elle était déjà impliquée dans les énergies renouvelables, certains de ses adhérents s’étant équipés de toits photovoltaïques. Elle a souhaité investir dans notre parc. Trois cents personnes ont répondu à l’appel, pour près de 3 millions d’euros. Malheureusement, cette coopérative a surtout organisé des réunions publiques dans la région de Figeac, oubliant une partie des personnes susceptibles d’être intéressées. Quoi qu’il en soit, cet exemple révèle l’attrait de nos concitoyens pour ce type de financement participatif. Outre les particuliers, des industriels comme Andros, implanté dans le Lot, ont investi dans ce parc.

Mme Marie Bové. Nous souhaitions que ce projet de financement participatif inclue des jeunes agriculteurs, bien qu’ils n’aient pas encore une épargne suffisante pour y contribuer. La coopérative des Fermes de Figeac a négocié un prêt à leur intention auprès des banques. De fait, leur investissement leur rapporte davantage que les mensualités qu’ils doivent verser. Des dynamiques se mettent en place dans le monde rural pour accueillir le maximum de personnes dans ces projets. Ainsi, 110 paysans et plus de 200 habitants des deux communes concernées ont pris part au projet de La Luzette. Des solutions existent pour élargir la participation. Je rencontre même dans le Lot des paysans qui regrettent de ne pas s’être engagés dans l’aventure.

M. Jean-Yves Grandidier. Dans le cadre du projet de La Luzette, nous avons mis en place un investissement dont le rendement est sécurisé pour les agriculteurs. Ils sont assurés d’une rentabilité à un horizon de quinze ans. À cette échéance, une option d’achat nous oblige à acquérir leur participation à un prix qui leur garantit une certaine rentabilité.

Par ailleurs, nous travaillons avec Enercoop sur la possibilité de vendre l’électricité à des prix préférentiels aux habitants situés autour de nos parcs. Nous ne pouvions pas y procéder tant que nous étions soumis à des tarifs d’obligation d’achat. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de transition énergétique pour la croissance verte, nous vendons l’électricité au marché et percevons un complément de rémunération. Nous pouvons donc envisager que via une marque blanche, une ferme éolienne fasse bénéficier ses riverains de prix préférentiels, en recourant à un opérateur et à un fournisseur d’énergie électrique comme Enercoop.

J’en arrive au socle en béton des éoliennes. Il est possible de retirer intégralement ces fondations. Nous y avons procédé pour une machine. L’opération est certes plus coûteuse qu’un retrait partiel. Cela étant, le démantèlement d’un parc éolien coûte 50 000 à 75 000 euros par MW, soit 3 % à 5 % du coût de construction. Ce prix reste donc relativement faible, sans commune mesure avec celui du démantèlement des installations nucléaires.

Les préfets sont chargés de vérifier tous les ans que nous présentons bien des garanties de démantèlement. Si nous faisons défaut, ils ont le pouvoir de retirer nos autorisations. Ceci vaut jusqu’à la fin de vie des parcs. Même si l’opérateur initial n’est plus présent lorsqu’un parc doit être démantelé, la garantie et le système assurantiel persistent.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Cette garantie ne se monte qu’à 50 000 euros.

M. Jean-Yves Grandidier. Elle est basée sur une valeur de 50 000 euros par éolienne. Peut-être cette valeur devrait-elle être rehaussée, à hauteur de 100 000 euros pour une éolienne de 2 MW et de 150 000 euros pour une éolienne de 3 MW.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Nous avons connaissance de devis de démantèlement d’éoliennes largement supérieurs à 50 000 euros par MW.

M. François-Michel Lambert. Je m’étonne des éléments de calcul que vous avancez sur le démantèlement des éoliennes, monsieur Grandidier. En effet, ils sont loin de prendre en compte la globalité des impacts de ces installations et les perspectives d’innovation qui s’offrent à nous. Qui sait si, dans dix ou vingt ans, le béton n’aura pas une nouvelle valeur ? Si les matériaux de construction viennent à manquer, les socles d’éoliennes pourraient être réemployés dans la fabrication de ponts ou d’immeubles. Ces installations seraient donc valorisées plutôt qu’elles ne coûteraient.

Monsieur Grandidier, vous n’avez pas évoqué le gaz. De grands transporteurs comme GRTgaz anticipent qu’en 2050, le gaz pourrait ne plus émettre de CO2. Vous y intéressez-vous ? Qu’en est-il de l’hydrogène ?

Par ailleurs, quelle est votre perception de la décentralisation des politiques publiques en matière énergétique ? Comment, selon vous, investir pleinement les territoires et les décideurs locaux de sujets de développement des énergies renouvelables ?

J’en viens aux innovations. La technologie de la chaîne de blocs est-elle susceptible de créer une rupture et d’instaurer un tout autre modèle économique dans le domaine énergétique, au-delà de la seule production d’énergie ? Ceci nous renvoie à l’économie de la fonctionnalité et aux possibles changements de paradigme que pourrait connaître ce secteur : partage d’énergies d’hyperproximité, autoconsommation, etc. Comment intégrez-vous ces points de rupture dans vos stratégies, monsieur le président ? Qu’attendez-vous des élus et du législateur ? Faut-il faire évoluer le financement participatif en conséquence ? Celui-ci pourrait-il être intégré aux appels d’offres de marchés publics, de telle sorte que les collectivités puissent y recourir pour développer des projets de production d’énergie décentralisée ?

À vous écouter enfin, monsieur Grandidier, il semble que votre frein principal réside dans notre modèle de comptabilité. Vous êtes sans cesse renvoyé à des comparaisons typiques d’une comptabilité incapable de valoriser l’apport positif de votre production énergétique. Cette comptabilité se focalise sur les flux financiers et néglige les impacts extra-financiers, qu’ils soient sociaux ou environnementaux. Il existe certes quelques indicateurs de responsabilité sociale et environnementale. Au-delà, et à l’instar d’une expérimentation menée en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, n’est-il pas nécessaire de faire émerger une nouvelle forme de comptabilité intégrée qui traduise, dans un bilan unique, l’ensemble des facteurs en jeu, monétaires et non monétaires ? Vos actions de préservation des espaces naturels et d’insertion professionnelle viendraient ainsi renforcer le bilan de votre structure. Cette approche démontrerait qu’au-delà de la production d’électricité, vous apportez un bénéfice aux territoires. Les financeurs publics ou privés pourraient s’en trouver rassurés.

M. Jean-Yves Grandidier. Valorem a élaboré un cahier d’acteur en 2018 dans le cadre du débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). À l’horizon de 2035, nous nous sommes positionnés sur un scénario dit « watt renforcé par les énergies renouvelables ». Il vise le développement des énergies renouvelables, de flux en particulier. Un accent serait mis sur le solaire ainsi que sur l’éolien marin. Pour ce dernier, nous tablons sur un accroissement de 1,5 GW par an, contre les 0,6 GW prévus dans l’actuel projet de PPE.

Nous avons conservé, dans notre modèle, les 6 GW de gaz que nous produisons actuellement. En effet, le nouveau monde électrique imposera de changer de vision. Nous ne raisonnerons plus en production de base, de semi-base et de pointe, mais en énergies renouvelables de flux – éolien et solaire principalement, hydraulique dans une moindre mesure – et en besoins d’appoint. Le gaz fournira précisément un appoint. Cette énergie sera probablement davantage renouvelable en 2035 qu’aujourd’hui.

Durant une large partie de l’année, nous aurons des surplus de production d’électricité éolienne et solaire. Nous pourrons en profiter pour fabriquer de l’hydrogène. À ce jour, l’essentiel du million de tonnes d’hydrogène utilisées pour des usages industriels en France provient du reformage du méthane. Cette opération produit 10 millions de tonnes de gaz à effet de serre. Grâce à nos surplus d’énergie non carbonée – nucléaire aujourd’hui, renouvelable demain – nous pouvons produire un hydrogène peu émetteur de gaz à effet de serre, via l’électrolyse de l’eau. Ce gaz pourra être utilisé dans l’industrie. Nous pourrions ensuite envisager qu’une partie de cet hydrogène soit injectée dans les transports.

À cela s’ajoutent la conversation d’électricité en gaz – power to gas – et l’opération inverse – gas to power. L’hydrogène pourrait être introduit directement dans les réseaux de gaz. Cette solution présente certes des difficultés. À la campagne toutefois, elle pourrait être combinée avec du méthane ayant été séparé du biogaz, et qui serait réinjecté. L’électrolyse de l’eau offrirait alors la possibilité de faire du gas to power. Demain, ces installations de production de gaz renouvelable et d’injection de gaz pourront être équipées de centrales d’appoint qui fonctionneront quelques centaines d’heures par an, lors des pointes de consommation. Le gaz ainsi mobilisé sera de plus en plus renouvelable. Des systèmes de facturation nette pourront tracer cette caractéristique.

Selon notre scénario pour 2035, nous aurons besoin de 10 GW d’appoint. C’est pourquoi nous proposons, plutôt que de fermer les centrales à charbon, de les transformer en centrales fonctionnant avec des combustibles verts. EDF développe en ce sens une solution dite Ecocombust dans la centrale de Cordemais. Il espère faire fonctionner deux tranches de 600 MW durant 500 heures par an grâce à un combustible vert alternatif au charbon mais présentant exactement les mêmes caractéristiques. Cela lui permettra de maintenir une partie des emplois de la centrale de Cordemais tout au long de l’année, puisqu’il faudra fabriquer ce combustible vert. L’investissement est déjà réalisé, et les tranches ont été rénovées. J’y vois une façon intéressante de répondre aux besoins d’appoint. Une étude du Conseil économique et social environnemental régional des Pays-de-la-Loire montre que le coût marginal de cette production serait de 120 euros par MWh. Il est certes élevé, mais cette énergie viendrait uniquement combler les pointes 500 heures par an. Aujourd’hui, 500 heures par an, la France paie l’électricité à un prix supérieur.

J’en arrive à votre question sur la décentralisation, monsieur Lambert. Dans notre modèle, nous prévoyons que les centrales photovoltaïques soient pilotables. Elles écrêteraient une partie de leur production dans la journée pour ensuite participer à la pointe du soir, grâce à un stockage dans des batteries. Nous connaîtrons une volatilité des prix : une fois le soleil couché, l’électricité sera plus chère. Sachant que le prix des batteries baissera, il y aura une logique économique à stocker une partie de la production solaire – et ce, d’autant que nous économiserons sur des coûts de réseau. Dans le sud de la France, les capacités d’accueil de photovoltaïque sont saturées. Cette énergie mettra du temps à se développer dans cette zone. Ce développement serait très coûteux s’il visait un fonctionnement 1 400 heures par an. Des investissements raisonnables peuvent permettre d’atteindre un fonctionnement 2 500 heures par an.

La SEM Énergie de Troyes a investi il y a dix ans déjà dans un parc éolien. Depuis, elle a également investi dans notre parc photovoltaïque. Des acteurs de ce type nous accompagnent de longue date. Nous montons actuellement un partenariat avec la métropole de Bordeaux, qui a créé une SEM Energie. Elle ambitionne d’être un territoire à énergie positive en 2050. La métropole seule n’a pas les moyens d’atteindre cet objectif, pour des raisons de densité notamment. Elle recourra donc à la contribution des territoires voisins. Nous souhaitons que les potentiels éoliens et solaires de ceux-ci, des Landes notamment, soient mobilisés dans des partenariats associant une SEM locale de production d’énergie et la SEM Énergie de Bordeaux. Cela contribuera à une nouvelle solidarité entre les territoires urbains et ruraux, qui ont besoin les uns des autres.

Quant à la chaîne de blocs, monsieur Lambert, elle est essentiellement associée à l’autoconsommation. Cette dernière figure dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Je milite pour que nous allions plus loin et pour que la consommation en circuit court soit favorisée par la loi. Vous pouvez nous y aider. Nous peinons à faire admettre qu’un périmètre d’autoconsommation soit largement exonéré du tarif d’utilisation des réseaux publics l’électricité (TURPE).

L’autoconsommation constitue bel et bien un changement de paradigme. Demain, nos réfrigérateurs fonctionneront grâce à l’électricité solaire produite sur les toits de nos maisons à la mi-journée. Nous stockerons aussi l’énergie dans les usages. Bien qu’elle ne fonctionne que dans la journée, la production solaire satisfera une grande partie de nos besoins en électricité, en autoconsommation.

Mme Marie Bové. La comptabilité intégrée que vous évoquez, monsieur Lambert, pose la question des services rendus par la nature. Au-delà de la séquestration du CO2, ces services sont très nombreux : la biodiversité contribue à la pollinisation des cultures, la perméabilité des sols induit des coûts évités en termes d’inondation et d’incendie, sans compter la valeur récréative des espaces naturels. Certaines associations de protection de l’environnement s’efforcent de chiffrer ces services rendus par la nature. WWF France y a procédé pour le projet Fermes d’avenir dans l’Essonne, par exemple.

Dans l’énergie, cette approche n’en est qu’aux balbutiements. Nous ne disposons pas d’étalon auquel nous puissions nous référer. À ce jour, nous pouvons simplement valoriser le bénéfice social des clauses d’insertion de nos projets. Plus largement, un travail mériterait d’être mené pour prendre en compte l’apport global des énergies renouvelables à l’environnement et aux populations. Cette réflexion est entamée avec les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Nous aurons besoin du soutien des politiques pour trouver un accord sur les critères devant être retenus à ce titre. Il faudra notamment juger si une installation d’énergie renouvelable est un élément d’urbanisation et d’imperméabilisation des sols. Sachez qu’une centrale photovoltaïque, dès lors qu’elle est construite dans certaines conditions, ne contribue ni à l’artificialisation ni à l’imperméabilisation d’une terre. Au contraire, elle peut rendre des services. Ces arguments sont à construire avec les acteurs politiques et les associations, afin que les opérateurs sachent si leurs projets sont éligibles ou non aux appels d’offres, notamment à ceux de la CRE.

Mme Laure de La Raudière, présidente. Monsieur Grandidier, vous avez comparé les éoliennes aux châteaux d’eau. Je souligne que ces derniers ne sont hauts que de 25 mètres, qu’ils ne sont pas en rotation et ne clignotent pas la nuit. Ils ne présentent donc pas les mêmes nuisances que les éoliennes.

Par ailleurs, certains interlocuteurs que nous avons auditionnés ont expliqué qu’un développement trop marqué de l’autoconsommation et des circuits courts irait à l’encontre des principes de péréquation et de tarif unique. En effet, la part de péréquation qui existe aujourd’hui dans le tarif de l’électricité serait supportée par un plus faible nombre de personnes. Cela représenterait une injustice, notamment dans la couverture du TURPE.

M. Jean-Yves Grandidier. Nous aurons toujours besoin du réseau, que ce soit pour évacuer les surplus de production ou pour satisfaire les besoins de consommation. De mon point de vue – et je crois savoir que le président de RTE le partage –, la part fixe du TURPE augmentera certainement. En revanche, la part liée à l’énergie pourrait décroître. Les citoyens payeront la mise à disposition d’un service dont ils pourront s’emparer ou non. Un foyer souscrira un abonnement de 1 KW ; la majeure partie du temps, il n’a guère besoin de plus. Il aura facilement la possibilité d’appeler davantage de courant, par exemple entre 11 heures et 16 heures, quand des surplus d’énergie solaire pourront être autoconsommés localement, sans surcoût. Demain, le TURPE dépendra peut-être moins de l’énergie, et davantage de la puissance, de la capacité et des services mis à la disposition des usagers par le réseau.

L’audition s’achève à vingt heures vingt.

 

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

 

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 18 h 30

 

Présents. - M. Julien Aubert, M. François-Michel Lambert, Mme Laure de La Raudière, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois

 

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Véronique Louwagie