Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

– Audition de lAgence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) – M. Dominique Martin, directeur général, et Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires               2

 Présences en réunion...................................14

 

 


Jeudi
29 août 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE DEXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 29 août 2019

Laudition débute à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

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La commission spéciale procède à laudition de lAgence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) – M. Dominique Martin, directeur général, et Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires.

Mme la présidente Agnès Firmin-Le Bodo. Nous commençons cette journée chargée avec l’audition de l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) représentée par son directeur général, M. Dominique Martin, accompagné de Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires. Je vous souhaite la bienvenue dans cette enceinte.

L’ANSM est principalement concernée par deux articles du projet de loi : l’article 26, visant à sécuriser l’utilisation du microbiote fécal, et l’article 27, visant à permettre la réalisation de médicaments de thérapeutique innovante préparés ponctuellement, dans le cadre d’une seule intervention médicale, sous la responsabilité d’un établissement ou organisme autorisé au titre de l’article L 4211-9-1 du code de la santé publique.

En tout état de cause, nous serons à l’écoute de toutes les observations et suggestions que vous voudrez bien nous exposer. Vous avez transmis au préalable une contribution écrite et je vous en remercie. Je vous donne maintenant la parole pour un exposé d’environ cinq minutes. Mes collègues ne manqueront pas de vous poser toutes les questions qu’ils souhaitent.

M. Dominique Martin, directeur général de lAgence nationale du médicament et des produits de santé. Ce sont effectivement deux articles, les articles 26 et 27, qui concernent l’ANSM dans ce projet de loi. Dans les deux cas, il s’agit d’encadrer des pratiques innovantes, des pratiques en développement. J’insiste sur ce point : il s’agit avant tout à la fois d’assurer l’accès à des thérapeutiques nouvelles et de les encadrer, afin de garantir la sécurité des pratiques. Il s’agit bien d’accompagner ces thérapeutiques innovantes et pas du tout de les freiner.

Pour ce qui est de l’encadrement de la collecte des selles utilisées à des fins thérapeutiques, ce que l’on appelle les transplantations du microbiote fécal, le microbiote est la colonie de micro-organismes que nous abritons dans les intestins. Elle est d’ailleurs assez spécifique à chaque personne et des travaux de recherche ont montré qu’il y avait des liens très étroits entre ce microbiote et le fonctionnement du corps, y compris du système nerveux central. Des recherches sont en cours sur ce terrain.

Depuis 2014, l’ANSM accompagne les chercheurs et les professionnels de santé dans le développement de ces transplantations de microbiote fécal, dans un premier temps pour traiter des pathologies infectieuses, notamment résistantes à certains antibiotiques, dont le clostridium difficile qui est difficile à traiter, mais également pour des indications plus larges comme des maladies des intestins d’origine immunologique de type inflammatoire (MICI), telle la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique. Au-delà, des perspectives sont ouvertes sur d’autres thérapeutiques, qui restent à ce jour du domaine de la recherche.

Après un travail important conduit avec les experts depuis 2014, il est apparu opportun d’encadrer ces pratiques, notamment le prélèvement de ce microbiote chez une personne saine en vue de transplantation chez une personne ayant une pathologie. Aujourd’hui, nous sommes dans le domaine des essais cliniques et les premiers résultats montrent que cela peut être utile dans certaines pathologies et changer le devenir de la pathologie de manière parfois très efficace.

Évidemment, l’encadrement porte principalement sur le prélèvement. Il s’agit de travailler sur la base d’une déclaration des centres dans lesquels ces prélèvements pourront être réalisés et d’un encadrement par des bonnes pratiques, notamment sur la sélection des donneurs, de façon à s’assurer que le microbiote qui sera prélevé ne présente pas de risque pour le receveur. Vous avez sans doute vu qu’assez récemment, il y a eu un accident aux États-Unis. L’idée est bien entendu de réduire autant que possible les risques par une sélection à la fois clinique et biologique des donneurs et un encadrement portant également sur le transport, la conservation et la traçabilité du microbiote. C’est très important.

Le deuxième article porte sur les médicaments de thérapie innovante (MTI), que l’on appelle MTI-PP, avec des préparations spécifiques. Il s’agit de prélever des cellules ou des tissus, de les transformer et de les utiliser comme médicaments. Cela peut se faire soit de manière industrielle, soit de manière individualisée, dans des situations spécifiques. Ces pratiques existent et aujourd’hui, elles sont déjà encadrées par les textes, dans des centres autorisés par l’ANSM travaillant sur la base de bonnes pratiques de préparation. L’article 27 permet d’étendre cette pratique au lit du malade. Les cliniciens nous disent que dans certaines situations, en particulier en orthopédie, il peut y avoir intérêt à pratiquer à la fois le prélèvement et l’administration sur le patient, quasiment au même moment, et de le faire dans le cadre d’une seule intervention médicale. La question se pose de savoir comment encadrer ce type de pratique qui intervient dans des blocs chirurgicaux des établissements de santé.

Il est proposé que ces blocs puissent réaliser ce type d’intervention : prélèvement, transformation et réimplantation sur le même patient, à savoir une implantation autologue, et que cela puisse se faire sous la responsabilité d’un centre autorisé qui passera convention avec l’établissement de santé et fera l’objet d’un contrôle. C’est le centre d’ores et déjà autorisé qui fera l’objet d’un contrôle par l’ANSM, y compris dans sa pratique de « sous-traitance » auprès d’établissements de santé dans ces situations spécifiques.

Il s’agit de situations très spécifiques, nécessitant qu’il n’y ait pas de modification substantielle des éléments prélevés qui nécessiterait des technologies non disponibles dans les blocs opératoires. Là encore, il s’agit de faciliter la pratique dans le cadre de certaines interventions, en particulier en orthopédie, tout en assurant leur encadrement et donc leur sécurité.

J’insiste sur ce point : il s’agit vraiment d’accompagner des évolutions thérapeutiques importantes et très particulières.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je suis rapporteur de ces articles inclus dans le titre V. Je salue la nécessité d’encadrer ces pratiques et l’ANSM a évidemment toute sa place dans cet encadrement et le travail d’harmonisation des pratiques. Il s’agit en effet de médicaments ou quasiment et il est hors de question de faire n’importe quoi sur les patients.

J’ai quelques soucis sue l’article 26, qui sont principalement liés au caractère encore expérimental de ce type de pratique. Vous avez dit qu’il y a eu des accidents aux États-Unis, mais il y a également eu des accidents en France. Ces pratiques sont actuellement encadrées par un cadre juridique et réglementaire qui correspond aux études biocliniques. Compte tenu de l’avancée de ce type de travaux et des résultats obtenus, je me suis posé la question de savoir s’il n’était pas prématuré de légiférer sur le sujet.

Deuxièmement, il s’agit effectivement d’une thérapeutique innovante, mais je ne suis pas sûr que son régime juridique relève d’une loi de bioéthique. Un peu comme le Conseil d’État, je me pose la question de la présence de cet article dans une loi de bioéthique et j’aurais voulu avoir vos réflexions là-dessus.

Pour entrer dans les détails, il est dit dans l’étude d’impact qu’il y aura un contrôle du statut clinique et du statut microbiologique du donneur. Il n’est d’ailleurs pas précisé que le donneur est un donneur sain et je ne sais pas comment analyser le caractère sain d’un donneur au regard de ses selles, puisque c’est extrêmement dépendant de l’alimentation, de l’environnement, de la saison, du soleil, de l’état d’hydratation ou de déshydratation de cette personne saine. Il y a une très grande variabilité du microbiote, beaucoup plus importante, par exemple, que celles des prises de sang. Lorsque nous faisons des études cliniques et administrons des médicaments, nous sommes toujours obligés de regarder le ratio bénéfices-risques ; ici le risque est infectieux. Lorsque nous transplantons les selles d’un donneur à un patient, nous pouvons nous demander si le statut microbiologique de ce que nous transplantons est réellement vérifié, non seulement au niveau bactérien, mais également au niveau viral. Je ne suis pas certain que l’exploration biologique du donneur fera le tour de l’ensemble des virus potentiellement pathogènes.

Le deuxième article est évidemment très différent. La question porte ici sur cette notion d’une seule intervention médicale. En pratique, nous avons un patient, nous prélevons des cellules et manipulons ces cellules – vous l’avez précisé, la manipulation ne doit pas être substantielle – puis nous réinjectons ces cellules au même patient. La situation autologue doit donc absolument être précisée et je ne suis pas sûr qu’elle soit bien précisée dans le texte. Je voudrais avoir votre avis là-dessus.

Sur la notion d’intervention médicale unique, en pratique, lorsque vous prélevez des cellules, cela peut se faire au bloc opératoire et la manipulation ex vivo de ces cellules prend du temps. Il n’est pas indispensable que le patient reste au bloc opératoire pendant cette manipulation de ces cellules ex vivo avant la réinjection. La notion d’intervention médicale unique sur laquelle est basée l’architecture de l’article pose un problème en termes de durée. Il faudrait peut-être changer la caractérisation d’une telle intervention et je voudrais avoir votre avis là-dessus.

La deuxième partie de l’article 27 concerne la sous-traitance. Il est écrit qu’il y aura un contrat entre les parties. Il faudrait préciser ce qu’est ce contrat et quelle forme il prendra. Il peut également y avoir une responsabilité médicale du sous-traitant qui ne dépend pas forcément de la structure que l’ANSM a accréditée.

M. Dominique Martin. Vos remarques sur l’article 27 et les MTI-PP font partie des éléments de réflexion. Sur la notion d’une seule intervention médicale, le périmètre n’est pas complètement bordé, mais l’idée consiste à éviter d’avoir recours à un centre éloigné. La situation la meilleure est que cela puisse se faire in situ, au sein du bloc opératoire, dans les délais les plus rapides possibles. On peut concevoir des délais un peu plus longs, mais dans tous les cas, il doit bien s’agir de la même intervention médicale, de la même prise en charge du patient. L’idée est d’éviter que le produit soit préparé ailleurs, dans un centre éloigné et qu’il y ait deux interventions chirurgicales et deux anesthésies. Cela peut parfois être le cas, si nous devons faire le prélèvement puis l’envoyer dans un centre pour une préparation. Vous l’avez rappelé, le cas qui nous occupe concerne une préparation simple, sans les modifications substantielles qui justifieront toujours l’intervention d’un centre spécialisé.

Les praticiens nous disent que notamment dans le domaine de l’orthopédie, cela peut se faire assez fréquemment dans des délais assez courts permettant de réimplanter les cellules au cours de la même intervention. Les praticiens et les chirurgiens nous disent que c’est un besoin qu’ils ont dans le cadre de leurs pratiques. Ce ne sont pas nécessairement les situations les plus fréquentes, mais il arrive qu’ils en aient besoin. Il est clair que nous sommes bien dans des situations autologues. S’il y a besoin de précisions, il faudra effectivement les apporter, mais c’est bien une situation autologue de prélèvement et implantation chez le même patient.

Vous avez évoqué les conditions du contrat entre le centre spécialisé et l’établissement de santé. Ces conditions seront fixées par décret : il ne s’agira évidemment pas de contrats libres. Le contrôle sera double, puisqu’il y a un contrôle de l’ANSM sur le centre lui-même, qui fait déjà partie des textes, et un contrôle de l’agence régionale de santé (ARS) sur l’établissement de santé, qui reste évidemment de droit. Les conditions dans lesquelles le contrat sera rédigé et appliqué feront l’objet de contrôles, par exemple à travers des inspections sur les centres. S’il y a des déviations, des anomalies, des mesures seront prises, y compris la suspension du contrat et donc la suspension de la possibilité de fabriquer et utiliser ces MTI-PP. L’intérêt de l’encadrement est bien là. Nous avons souhaité éviter que de nombreux établissements de santé deviennent des centres MTI-PP de fait, parce que cela aurait été incontrôlable. Celui qui peut le mieux contrôler est bien le centre autorisé par l’ANSM, puisqu’il a toutes les compétences nécessaires, d’où ce système qui nous paraît être le plus le plus performant.

Sur l’article 26, vous avez évoqué plusieurs points. Le premier consiste à se demander s’il n’est pas prématuré, compte tenu du fait que nous sommes encore dans la recherche. Effectivement, nous sommes bien dans le domaine des essais cliniques. Environ 300 patients ont été inclus dans les essais cliniques en France et il y a d’autres essais, dans d’autres pays, notamment européens. En France, l’ANSM accompagne ces pratiques depuis 2014, avec un comité d’experts qui s’est réuni à plusieurs reprises. À notre sens, légiférer ne nous paraît pas prématuré. Au contraire, c’est maintenant qu’il faut encadrer et cet encadrement a été largement débattu avec les praticiens et est parfaitement accepté par eux. La pratique permet l’accès à une thérapeutique qui donne des résultats dans certaines situations et nous avons également des prospectives qui sont davantage du domaine de la recherche. Sur le système nerveux central, par exemple, nous sommes vraiment dans la recherche de moyen ou long terme, en particulier pour des pathologies infectieuses, des problématiques liées à une antibiothérapie prolongée ou même des maladies inflammatoires du côlon, et les résultats sont prometteurs.

Vous l’avez signalé, l’important est de garantir la sécurité et pour garantir la sécurité microbiologique, nous utilisons trois niveaux de contrôle. Le premier niveau repose sur des questionnaires. A priori, c’est le même questionnaire que celui utilisé pour le sang, enrichi de questions spécifiques sur les problématiques de type intestinal : pathologies de type diarrhée, séjours en zone intertropicale, etc. Il y a également un examen clinique. Il faut évidemment écarter les gens qui ont eux-mêmes des pathologies intestinales et des examens microbiologiques sont réalisés à la fois sur le sang et dans les selles, à la recherche de micro‑organismes. C’est donc un système très protecteur. Nous sommes dans une politique de réduction du risque. Comme pour la pratique médicale en général, celle-ci s’inscrit dans une approche « bénéfice/risque ». Nous ne pouvons jamais dire que tout risque est complètement écarté, mais l’encadrement mis en place permet de le réduire de manière très significative. Aujourd’hui, dans le cadre des essais cliniques et au vu des résultats observés, l’équilibre bénéfice-risque qui est au cœur de la pratique médicale nous paraît tout à fait intéressant. Il nous semble que c’est le bon moment pour accompagner la pratique correspondante.

L’article 26 a-t-il sa place dans une loi bioéthique ? Je ne sais pas si c’est nous qui avons la réponse. La question a été posée de savoir pourquoi le microbiote fécal n’était pas considéré comme un produit issu du corps humain. C’est en ce sens que nous ne sommes pas très éloignés de la bioéthique. Nous sommes dans une situation assez originale, intermédiaire entre un produit issu du corps humain et une matière première, avec des niveaux de contrôle radicalement différents. Le microbiote fécal n’est pas un produit issu du corps humain au sens strict, puisque ce sont des résidus, des cellules mortes, avec des micro-organismes, mais nous n’en sommes pas très éloignés. Les règles que nous proposons sont très proches de celles applicables aux produits issus du corps humain, avec le consentement, l’encadrement et le besoin de déclaration de ces centres.

Mme Carole Le Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires. Monsieur le rapporteur et M. Dominique Martin l’ont dit, il est vrai qu’au niveau européen et international, cette thérapeutique se développe. Nous voyons même des sociétés se spécialiser dans l’achat et la vente de microbiote. C’est la raison pour laquelle il nous paraît absolument important d’encadrer le prélèvement, afin de le soumettre à des règles de sélection clinique et biologique des donneurs.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Mes deux questions suivantes portent sur l’article 27. Le régime juridique qu’il instaure étant spécifique, comment classez-vous les CAR-T cells (pour « lymphocytes T porteurs d’un récepteur chimérique ») ? Il s’agit de prélever des lymphocytes T, d’en manipuler un gène et de les réinjecter sur le même patient.

Par ailleurs, pour la notion d’ intervention unique – j’insiste là-dessus –, il faut peut-être modifier le terme.

Je précise ma question relative aux CAR-T cells : les classez-vous comme des MTI‑PP ? Est-ce de la thérapie cellulaire ? Est-ce que ce sont des MTI tout court ?

Mme Carole Le Saulnier. Dans l’usage des CAR-T cells, il y a une modification substantielle, ce qui n’est pas la situation visée par l’article 27. C’est la raison pour laquelle c’est un régime particulier.

M. Thibault Bazin. Nous sommes déjà presque dans la rédaction du décret d’application. Deux alinéas me font m’interroger sur cette volonté d’encadrer, notamment dans l’article 26. L’alinéa 6 prévoit un régime de déclaration. Ma première question est : pourquoi un régime de déclaration, plutôt qu’un régime d’autorisation ? L’alinéa 9 précise qu’en cas de risque, il y aura un débat contradictoire. Au regard des propos du rapporteur Jean‑François Eliaou qui a évoqué les accidents, les risques, et le fait que c’était peut-être un peu prématuré, ne faudrait-il pas prévoir une suspension temporaire plutôt qu’un débat contradictoire lorsqu’il y a un risque, même non imminent ?

Nous savons comment peut se passer l’élaboration de la loi : certains textes sont anticipés par la rédaction des décrets d’application qui « suscitent » les articles du projet de loi. Connaissez-vous les modalités d’ores et déjà imaginées dans le projet de décret ? Pouvez‑vous nous rassurer sur ces modalités ?

M. Dominique Martin. L’engagement d’un débat contradictoire est un point important et une règle générale. Quand l’ASNM est amenée à prendre une mesure de police sanitaire, nos principes juridiques généraux posent un droit au contradictoire, mais ce droit doit être mis en balance avec l’urgence de la décision. Si le danger est imminent, le contradictoire n’est pas mis en œuvre. Nous pouvons être amenés à prendre une décision immédiate de suspension, si nous estimons que le danger est imminent. Nous pouvons également ajuster la durée du contradictoire : si le danger est significatif, le contradictoire peut être très court, de quelques jours.

M. Thibault Bazin. Comment distinguez-vous risque imminent et risque non imminent, quand vous transférez du microbiote fécal ?

M. Dominique Martin. Si la question du contradictoire se pose, c’est dans le cadre d’une mesure de police sanitaire. C’est que nous avons détecté un problème, soit à travers un signalement, soit parce qu’une inspection a montré un défaut. Cela déclenche le projet de mesure de police sanitaire. Ensuite, c’est l’Agence qui analyse la nature du danger et estime s’il est imminent ou s’il peut laisser le temps au contradictoire. Le Conseil d’État est très strict sur ce plan : lorsqu’il peut y avoir du contradictoire, il doit y avoir du contradictoire. Cela fait partie du fonctionnement normal, mais c’est l’Agence seule qui apprécie la nécessité et la durée du contradictoire : ce n’est pas quelque chose de négocié. Nous sommes en effet dans une situation exceptionnelle où nous envisageons de prendre une décision d’interdiction. Une mesure de police sanitaire est une mesure d’interdiction. Nous nous posons la question de savoir si nous devons le faire immédiatement, ou si compte tenu de la situation, nous pouvons avoir un contradictoire de quelques jours ou un peu plus. C’est vraiment la clé et nous rencontrons cela dans de nombreuses autres situations.

Sur l’arbitrage entre autorisation et déclaration, le régime de déclaration est effectivement plus léger que le régime d’autorisation. Pour autant, il engage le centre, qui est soumis à un double système de contrôle : la déclaration et l’obligation de faire référence à des bonnes pratiques encadrées et fixées par voie réglementaire. C’est l’ensemble qui est pris en compte. Ce n’est pas parce qu’un centre a déclaré vouloir mettre en œuvre ce type de pratique que cela suffit pour qu’il ait la capacité de le faire. Il doit appliquer les bonnes pratiques et cela fait l’objet d’un contrôle de la part de l’ANSM.

Mme Carole Le Saulnier. Le décret n’est pas encore rédigé, bien évidemment. Pour autant, comme l’a dit M. Dominique Martin, l’agence a réuni un comité d’experts en 2014 qui a émis des recommandations en 2016, qui se trouvent sur le site de l’ANSM. Ces recommandations ne sont applicables aujourd’hui que dans le cadre des essais cliniques qui feront l’objet de certaines dispositions du décret et de bonnes pratiques qui seront traduites dans une décision du directeur général pour tout ce qui concerne la sélection clinique et biologique des donneurs. S’agissant du reste, tout sera évidemment dans le décret et encore une fois, ce sera une reprise des recommandations de 2016.

Mme Anne-France Brunet. Les compétences de l’ANSM s’appliquent également aux produits biologiques, comme les tissus, les cellules, les organes utilisés à des fins thérapeutiques. L’ANSM délivre à ce titre des autorisations d’essais cliniques et encadre les innovations médicales avant qu’elles n’apparaissent sur le marché. À l’aune du déploiement massif des tests génétiques en libre-service, n’y aurait-il pas lieu de mieux contrôler cette pratique, afin de prévenir le risque de surinterprétation des résultats ? Par ailleurs, le caractère sensible des données génétiques ne devrait-il pas justifier un encadrement particulier pour ces tests aujourd’hui accessibles sur Internet ?

M. Dominique Martin. Nous sommes dans le domaine des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro qui font l’objet d’un encadrement par la réglementation européenne, dont vous savez qu’elle va être renforcée dans les mois qui viennent. Il n’y a pas de disposition particulière au niveau français et c’est dans cet environnement-là qu’il y a un contrôle sur ces types de tests. En revanche, nous avons les pouvoirs de police sanitaire s’il y a non-respect des éléments substantiels. Vous savez que les dispositifs médicaux doivent être soumis à un organisme notifié. Quand l’organisme notifié se prononce, il y a ensuite le marquage CE. En revanche, une surveillance du marché est exercée dans chaque État par l’agence nationale compétente. En France, c’est l’ANSM qui organise la surveillance du marché. Nous faisons des analyses de marché, des prélèvements, des tests, des surveillances. Nous travaillons également à partir des signalements qui peuvent être faits par exemple par des professionnels de santé. À partir de là, s’il y a des anomalies, nous prenons des mesures.

Vous avez évoqué les tests diffusés sur Internet, ce qui est toujours un peu plus compliqué. Il peut y avoir des produits qui seraient en théorie hors marché CE, puisqu’Internet permet des accès sans limites géographiques. C’est un problème général, que nous retrouvons dans tous les environnements, que ce soient les dispositifs médicaux ou les médicaments.

Mme Anne-France Brunet. Avez-vous des propositions particulières, afin de faire en sorte que ces tests soient réalisés sur le territoire national plutôt qu’à l’étranger, pour que ces données sensibles restent sur le territoire ?

M. Dominique Martin. Cela relève plutôt de l’organisation des soins au sens large, car nous ne sommes pas dans le domaine des produits en tant que tels. C’est donc un champ de compétences qui n’est pas celui de l’ANSM. En revanche, je comprends parfaitement votre préoccupation, compte tenu de la sensibilité de ces données. C’est un domaine qui n’est pas sans danger et nous sommes tout à fait conscients de cela. Notre compétence porte sur des non-conformités des dispositifs à la réglementation. L’utilisation des dispositifs dans un environnement qui peut présenter des risques pose des questions d’une autre nature.

M. Philippe Berta, rapporteur. L’utilisation du microbiote est une pratique thérapeutique innovante. Nous sommes effectivement dans les prémices, à la recherche de ce qui n’existe peut-être pas, c’est-à-dire le microbiote idéal. J’entends bien que nous sommes soumis au seul critère qui compte, à savoir le ratio bénéfices-risques et je rejoins mon collègue Eliaou : le risque d’un pathogène ne sera jamais écarté. Dans les pratiques actuelles de sélection des microbiotes, sommes-nous déjà à la recherche du microbiote idéal ?

La transplantation cellulaire autologue est en train de connaître un développement considérable. Ce n’est pas uniquement vrai pour l’oncologie : c’est déjà vrai pour beaucoup de maladies génétiques et ce le sera pour beaucoup d’autres. Selon le cas, ces pratiques intègrent ou n’intègrent pas la thérapie génique, la thérapie cellulaire ou la thérapie cellulaire directe. Elles nécessitent un endroit pour le prélèvement, un endroit pour la culture et la modification éventuelle des cellules ou tissus par transfert viral et correction, puis éventuellement un lieu supplémentaire qui sera le lieu de la bioproduction. Je nous vois mal équiper notre pays de lieux de bioproduction dans toutes les villes : ils seront certainement concentrés en quelques lieux précis pour une bioproduction qui sera plus industrialisée, moins artisanale qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est ensuite un retour des cellules modifiées vers le patient, puis leur réinjection. Cela fait une multiplicité de lieux. Le développement de ces thérapies est aujourd’hui bloqué par leur coût et les autorités de santé le savent bien, parce qu’elles sont un peu paniquées par le prix de ces médicaments. Nous irons forcément vers une baisse du prix qui passera par deux voies : des systèmes de bioproduction plus centralisés, mais surtout la capacité de sortir de l’administration autologue, pour aller vers l’allogénique. C’est l’administration allogénique qui permettra à terme la baisse du prix. Des recherches sont en cours, mais nous sommes très loin du but. Pourquoi ne pas avoir introduit ce qualificatif dans votre article dès maintenant, pour anticiper ?

M. Dominique Martin. L’article 27 porte précisément sur la situation autologue qui aujourd’hui n’est pas couverte. Il n’a pas d’autre ambition que d’encadrer les pratiques autologues au lit du malade. En l’état, il n’a pas vocation à accompagner les transformations que vous évoquez. Celles-ci soulèvent plusieurs problématiques médico-économiques, notamment la façon dont nous organisons sur le territoire national un tissu qui soit à la fois performant en termes d’accessibilité, équilibré du point de vue économique et capable de faire face à ce à quoi nous sommes confrontés. Ce qui est en jeu est notre capacité économique à traiter cet environnement. Ce n’est pas l’objet de cet article. La préoccupation, nous l’entendons et la partageons dans beaucoup de réunions que nous pouvons avoir avec nos collègues des différentes agences et du ministère, mais l’article 27 ne porte que sur la pratique autologue.

Quant au microbiote idéal, peut-être existera-t-il un jour. Aujourd’hui, nous sommes encore dans le domaine des essais cliniques, nous ne le contestons pas. Nous sommes bien dans le domaine de l’innovation thérapeutique, de la recherche. Je ne peux qu’être d’accord avec vous quand vous dites que nous n’écarterons jamais complètement le risque, mais l’objectif de cet encadrement est bien de réduire le risque autant que possible. D’ailleurs, en médecine, nous sommes tout le temps confrontés à cela, nous n’arrivons jamais à annuler un risque. Tous les produits de santé présentent des risques. C’est pour cela que la notion de ratio bénéfice/risque (B/R) est très importante. Aujourd’hui, nous arrivons de mieux en mieux à cerner le bénéfice de ce type de thérapeutique : à travers les résultats des essais cliniques, il y a une amélioration du « B » assez intéressante. L’intérêt de l’encadrement est de s’assurer de réduire autant que possible le « R ».

La France est assez active dans ce domaine, il faut en être fier. Nous sommes très fiers d’avoir pu accompagner ce mouvement avec les professionnels, dans des comités multidisciplinaires. Le rôle de l’ANSM est de réduire le risque le plus possible et la mécanique qui est mise en place nous paraît assez efficace, à travers des questionnaires, du contrôle clinique et du contrôle microbiologique. Nous n’éliminerons pas complètement un risque, mais nous le réduisons de manière extrêmement importante. Dans le cadre qui est aujourd’hui celui des essais cliniques et qui sera demain celui d’une généralisation de cette pratique, il me semble très clairement que nous sommes dans un ratio bénéfice-risque favorable.

La pratique va se développer, avec les ambitions à moyen et long termes évoquées tout à l’heure, sur des pathologies plus larges. Nous sommes là dans la prospective. Sur les pathologies que j’ai évoquées, nous avons des résultats très positifs, à replacer dans la problématique de l’antibiorésistance, qui ouvrent une alternative. C’est plutôt une bonne chose dans le contexte actuel, où la problématique de l’antibiorésistance est devenue extrêmement importante.

Nous ne sommes pas dans le tout ou rien. Nous sommes dans du progrès, que nous accompagnons, à la fois en termes d’accessibilité, à travers les autorisations d’essais cliniques que nous délivrons, et en termes de sécurité, à travers l’encadrement, réalisé aujourd’hui dans le cadre des essais, que nous proposons d’élargir et de rendre de droit commun, pour préparer l’élargissement de l’usage de ces produits.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Ce que vous venez de dire fait surgir une nouvelle question. Nous sommes toujours sur le microbiote. C’est un médicament – nous sommes d’accord – ou cela devrait le devenir. Comme les autres médicaments ayant une autorisation de mise sur le marché ou, juste avant, une autorisation transitoire, y aura-t-il des indications déterminées ou une indication principale ? L’indication actuelle du microbiote est le clostridium difficile. Si des cliniciens, des investigateurs cliniques veulent utiliser le microbiote pour traiter la maladie de Crohn, l’obésité, etc. que va-t-il se passer au plan pratique et au plan juridique ? Autrement dit, y aura-t-il une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) ? Ne pourra-t-on pas l’utiliser, parce que l’indication principale est le Clostridium et pas autre chose ? J’aurais aimé avoir des éclaircissements. Actuellement, puisque l’usage est placé sous le régime des études cliniques et de la recherche clinique, l’objectif principal de traitement est soumis à votre sagacité, et à un certain nombre d’autres choses. Il s’agit de dire : « Oui, ces études cliniques sont valables, étant donné leur objectif principal » ou « Elles ne sont pas valables. » Mais il s’agit d’un médicament, comment se passeront les choses, de façon très pratique ?

M. Dominique Martin. Elles se passeront comme elles se passent toujours : ce sera aux investigateurs de faire la preuve de l’efficacité du produit à travers des essais cliniques. Les essais cliniques servent justement à élargir les indications : ils doivent faire la preuve de l’efficacité du produit, et donc de son bénéfice, dans des indications autres que l’indication princeps, sur laquelle il a déjà fait la preuve de son efficacité. Par exemple, sont évoquées les MICI, la maladie de Crohn, les rectocolites. Ce sont clairement des objets de recherche actuellement. C’est probablement l’étape qui vient maintenant. D’ailleurs, il y doit déjà y avoir des essais cliniques sur ces pathologies en France, mais pas seulement – en tout cas, il y en aura. Comme toujours, nous allons regarder leurs résultats. Au niveau européen, il y a beaucoup d’échanges sur le sujet. L’évolution se fera dans cet esprit, à travers les mécaniques que vous avez évoquées de type ATU, permettant d’assurer les transitions.

À titre d’information, nous avons des essais sur la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, notamment sur des problématiques de bactéries ultrarésistantes. Nous sommes dans le schéma classique du développement de la recherche, qu’il faut accompagner. Ce sujet du microbiote fécal est assez intéressant, parce que c’est à la fois quelque chose de très ancien, connu depuis très longtemps, et de très nouveau quant au possible traitement de divers désordres neuropsychiatriques : on parle parfois du « deuxième cerveau » – je ne sais pas si c’est au-delà du raisonnable, mais certains phénomènes peuvent relever d’une pensée d’une autre nature. En tout cas, nous voyons bien qu’une démarche progressive est réalisée par les investigateurs qui sont partis de là où les preuves étaient les plus évidentes et s’étendent, à travers un raisonnement que nous comprenons assez bien, à des pathologies proprement intestinales. Par exemple, vous évoquiez l’obésité et je ne sais pas s’il y a aujourd’hui des essais cliniques sur la lutte contre l’obésité par microbiote fécal, mais cela fait partie des sujets sur lesquels il peut y avoir un besoin de développement, sachant que l’obésité n’est pas une pathologie facile à traiter. C’est l’une des plus difficiles à traiter et elle présente des risques très importants pour la santé. S’il y a des possibilités, pourquoi ne pas essayer ? C’est la méthode de la « preuve de concept » et il faut que les preuves soient apportées par les essais cliniques.

M. Philippe Berta, rapporteur. Cela reste tout de même éminemment complexe, parce que – vous l’avez dit en introduction – nous avons tous un microbiote qui nous est propre. Nous sommes tous identifiés par notre microbiote, et c’est même aujourd’hui une technique utilisée par la police et la gendarmerie scientifique dans certaines situations. Je me mets dans la situation d’une transplantation fécale pour une maladie de Crohn. L’indication est la maladie de Crohn mais, comme vous l’avez dit, le microbiote transféré, par sa composante microbienne, va également inférer sur nos humeurs, notre état dépressif. Nous savons par exemple que telle ou telle bactérie va secréter de la sérotonine. Comment allez-vous intégrer cela dans la stratégie thérapeutique ? La pathologie est la maladie de Crohn et vous allez éventuellement modifier le comportement du patient. Cela me paraît extrêmement complexe.

M. Dominique Martin. Je dirai tout, sauf le fait que ce n’est pas complexe. Il est clair que nous sommes dans un domaine très innovant, y compris du point de vue des mécanismes mis en œuvre. Nous ne sommes pas dans la chimie classique. Pour autant, il y a quand même des similitudes : un médicament a une indication, mais a également des effets secondaires. Tout est affaire de dosage, de bonne utilisation, de respect des bonnes pratiques, etc. De ce point de vue, nous ne sommes pas dans un environnement radicalement différent de ce que nous trouvons ailleurs, avec cette particularité que nous partons d’une matière vivante. Nous sommes dans un environnement un peu intermédiaire, entre produits issus du corps humain et médicaments au sens classique, d’où cet encadrement particulier. Conceptuellement, pourtant nous sommes dans le cadre classique du développement des produits dans le domaine de la santé. Il n’y a quasiment pas de produit ayant une seule action, sur un seul récepteur. Il y a toujours multiplicité d’actions. Par exemple, les anticancéreux ont des effets secondaires très importants. De ce point de vue, il n’y a pas fondamentalement de réelle différence conceptuelle.

Cependant, comme vous l’avez dit, la particularité est que chaque fois, la situation peut être un peu différente. La dimension clinique est essentielle dans la pratique, d’où l’importance de ces essais cliniques permettant de voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et dans quelles conditions. Notre microbiote fécal est propre à chacun d’entre nous et fait en quelque sorte partie de notre identité ; mais il existe tout de même une différence entre le fait d’avoir un système intestinal équilibré et un environnement plus pathologique. Il est désormais établi que, lorsqu’on transplante dans un environnement pathologique un microbiote équilibré du point de vue des centaines et milliers de micro-organismes qui le composent, on observe des effets ayant un intérêt thérapeutique. Aujourd’hui, après de nombreux essais cliniques, nous sommes capables de comprendre les mécanismes, et il faut maintenant encadrer la pratique.

M. Philippe Berta, rapporteur. Vous en conviendrez, la particularité est que dans le cas présent, chaque médicament issu du microbiote fécal sera par définition unique puisqu’aucun microbiote ne ressemble à un autre. C’est donc très compliqué.

M. Dominique Martin. Je ne nie pas le fait que ce soit compliqué, mais cette complexité est prise en compte dans le cadre des essais cliniques. Je ne suis pas spécialiste du développement de ce type de produit, mais la démarche des scientifiques repose justement sur l’idée de standardiser le plus possible ce type de produits, avec les limites évidentes. Ce sont peut-être des niches, mais c’est quand même très important : nous sommes tous d’accord pour mesurer le fait que l’antibiorésistance est probablement l’un des phénomènes les plus inquiétants auxquels nous sommes confrontés. Nous avons là une alternative qui est plutôt bienvenue.

M. Brahim Hammouche. Je voudrais revenir sur l’article 26. Est-ce que toute innovation médicamenteuse nécessite d’être intégrée au sein de la révision des lois de bioéthique ? En l’occurrence, vous avez défendu ce point de vue. L’antibiorésistance n’est pas uniquement liée à la flore intestinale, mais est également multifactorielle. Vous avez rappelé la complexité. Si l’article 26 n’était pas inclus dans le projet de loi, cela modifierait-il quelque chose quant à l’innovation et aux perspectives de ce cadre thérapeutique ? Si je vous pose la question, c’est que je suis assez sceptique. En tous les cas, je pose la question : si cet article 26 n’existait pas, faudrait-il l’inventer ?

M. Dominique Martin. La réponse à cette dernière question est : oui. La question de son positionnement dans une loi bioéthique ou dans une autre loi est parfaitement légitime. Nous ne pouvons pas laisser se développer ces évolutions, ces innovations sans encadrement. D’ailleurs, il y va de l’intérêt du développement. Il ne s’agit pas de freiner le développement, mais de l’accompagner, de nous assurer que nous ayons bien le bon équilibre entre le développement d’une innovation et la sécurité à laquelle chacun a droit.

Vous vous êtes interrogé sur le fait que toute innovation pourrait prendre place dans une loi de bioéthique. Je n’ai jamais dit cela. Un très grand nombre d’innovations sont développées et toutes ne prennent pas place dans la loi de bioéthique. Nous sommes ici dans un environnement assez particulier, pour lequel il n’y a pas de référence : c’est un environnement intermédiaire, qui n’est pas sans lien avec celui des produits issus du corps humain, même s’ils sont différents sur le plan scientifique.

Lorsque j’évoquais l’antibiorésistance, je ne parlais pas spécialement de la flore intestinale, mais de l’utilisation des antibiotiques. L’idée est de dire que dans certaines situations, nous pouvons avoir une alternative à l’utilisation d’antibiotiques. La lutte contre l’antibiorésistance passe d’abord par la réduction de l’antibiothérapie. Il faut bien sûr développer de nouveaux antibiotiques, mais la première mesure à prendre consiste à limiter l’usage des antibiotiques. Nous en utilisons beaucoup trop en France par rapport à d’autres pays. Cela relève d’abord de la pratique médicale, mais sur le plan clinique, s’il y a des situations dans lesquelles, à la place d’un antibiotique, nous pouvons utiliser une transplantation du microbiote, nous avons tout intérêt à le faire, parce que cela participe à la lutte contre l’antibiorésistance.

Mme Carole Le Saulnier. Je voudrais compléter sur le premier point que vous évoquiez, c’est-à-dire : s’il n’y avait pas cet article, faudrait-il l’inventer ? Comme l’a dit M. Dominique Martin, la réponse est : oui. L’encadrement des recherches cliniques est très strict et nous avons par exemple pu imposer qu’au stade des essais cliniques, des tests soient faits au niveau du prélèvement. Nous avons imposé ce dont nous avions discuté au sein du comité, par exemple le consentement des donneurs. Si l’article 26 n’est pas voté, le microbiote fécal sera considéré comme une matière première à usage pharmaceutique et le consentement des donneurs ne sera donc pas exigé – c’est le cas pour certains tests de dépistage, de sélection clinique ou biologique dans les matières premières à usage pharmaceutique. C’est un élément qui nous paraît important. Le consentement est un élément des lois de bioéthique.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. La précision que vous venez d’apporter quant au consentement des donneurs est importante, dans la mesure où ce n’est pas forcément très explicite dans le texte proposé. C’est un élément tout à fait fondamental. La transplantation suppose évidemment l’acceptation du receveur, mais également l’acceptation du donneur et sa protection. Par exemple, l’analyse de son microbiote pourra révéler des données incidentes. Que faisons-nous de ces données incidentes chez le donneur qui était apparemment ou réputé être une personne saine ?

Ce que vous dites m’étonne quand même un peu. Lorsque des recherches cliniques impliquent un tiers donneur, il est obligatoire d’expliquer au donneur la raison pour laquelle il est sollicité et pour laquelle ses produits sont utilisés. Deuxièmement, il est également obligatoire de recueillir le consentement éclairé, non seulement du receveur mais également du donneur, qui est simplement le tiers qui apporte la solution thérapeutique. Ce que vous dites m’étonne donc et il faudrait peut-être préciser vos propos.

Mme Carole Le Saulnier. Au stade des essais cliniques, il y a effectivement un consentement. Nous sommes actuellement dans des essais de phase 2, nous allons sortir du stade des études cliniques. Alors, il n’y aura plus de consentement obligatoire, contrairement aux essais cliniques. C’est pourquoi nous souhaitons encadrer l’utilisation du microbiote même lorsqu’elle se fera en routine, afin qu’il y ait toujours un consentement du donneur.

M. Dominique Martin. Au-delà du stade des essais cliniques, il n’y aura plus de comité de protection des personnes, plus de consentement, plus d’information, etc. Nous proposons justement de perpétuer un régime très protecteur, compte tenu de la nature particulière de la thérapeutique utilisée. En ce sens, nous sommes vraiment dans une démarche de protection des personnes, donc dans l’environnement bioéthique.

Mme la présidente Agnès Firmin-Le Bodo. Merci pour vos réponses. Ce sujet passionnant et intéressant nous a permis de démarrer cette journée tambour battant.

 

L’audition s’achève à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du jeudi 29 août à 9 heures 30

Présents.  M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Anne-France Brunet, M. Guillaume Chiche, M. Francis Chouat, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Nathalie Elimas, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Bruno Fuchs, M. Raphaël Gérard, M. Brahim Hammouche, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Marie Lebec, M. Jacques Marilossian, M. Didier Martin, M. Maxime Minot, Mme Danièle Obono, Mme Bénédicte Pételle, M. Jean-Pierre Pont, Mme Florence Provendier, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Michèle de Vaucouleurs

Excusés. - Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Gosselin

Assistaient également à la réunion. - M. Guillaume Larrivé, Mme Laetitia Saint-Paul