Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

– Audition du Conseil national de lOrdre des médecins (CNOM) – Pr Serge Uzan, vice-président, et Dr Anne-Marie Trarieux, présidente de la section Éthique et déontologie               2

 Présences en réunion...................................14

 

 


Jeudi
29 août 2019

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 12

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


  1 

COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE DEXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 29 août 2019

L’audition débute à douze heures trente.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

————

La commission spéciale procède à laudition du Conseil national de lOrdre des médecins (CNOM) – Pr Serge Uzan, vice-président, et Dr Anne-Marie Trarieux, présidente de la section Éthique et déontologie.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous continuons la matinée avec l’audition du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM). Je souhaite la bienvenue au Pr Serge Uzan, vice-président du Conseil et au Dr Anne-Marie Trarieux, présidente de la section Éthique et déontologie. C’est une lourde tâche qui vous attend aujourd’hui, puisque nombre d’articles du projet de loi concernent de près ou de loin le corps médical. Au-delà des évolutions du cadre juridique qui détermine ce qui sera désormais requis, recommandé, permis ou interdit, les médecins seront confrontés à des exigences nouvelles, en particulier au regard de l’extension prévue de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et de son corollaire, la suppression du critère d’infertilité pathologique qui pourrait faire évoluer le rôle du médecin dans le parcours d’AMP.

Je précise que nous serons amenés à revoir le Pr Uzan lors d’une audition consacrée à l’intelligence artificielle et que les analyses du Conseil sur ce sujet pourront utilement être exposées dans ce cadre. Je vous remercie enfin d’avoir adressé à la commission une note préalable qui balaie plusieurs champs du projet de loi.

Mme Anne-Marie Trarieux, présidente de la section Éthique et déontologie. Je préside aujourd’hui la section Éthique et déontologie du CNOM. Je suis psychiatre, j’ai exercé à l’hôpital, j’ai été présidente du conseil départemental de l’ordre de la Haute-Vienne, mon département. Nous vous remercions de ce temps de parole accordé à l’Ordre dans le cadre de votre commission de l’examen de ce projet de loi. Comme nous y sommes invités, nous allons vous présenter des observations, après une analyse de ce projet de loi déposé le 24 juillet, ce qui fait qu’aujourd’hui, nos commentaires portent sur les réflexions et l’ensemble des travaux menés par le CNOM depuis des années, sur ces thèmes de bioéthique, plus particulièrement dans le cadre des états généraux de la bioéthique.

M. Serge Uzan, vice-président du Conseil national de lOrdre des médecins. Le président Patrick Bouet regrette de n’avoir pu être là lui-même et vous avez donc le vice‑président de l’Ordre. Outre mes fonctions à l’Ordre, je suis conseiller du président de Sorbonne Université, où j’ai été pendant vingt ans doyen de la faculté de médecine et vice‑président « santé » de cette université. Je conduis la stratégie de l’Institut universitaire de cancérologie et pendant trente ans, à l’Assistance publique, j’ai dirigé un service de gynécologie, obstétrique et médecine de la reproduction à l’hôpital Tenon.

Je vais aborder quelques points généraux. Pour rappel, l’Ordre examine les projets de loi, non seulement à l’aune du code de déontologie, mais de l’ensemble des textes qui régissent la vie en France. L’Ordre n’a aucune velléité moralisatrice. Son objectif est de privilégier l’équité dans l’accès aux soins et aux avancées de la recherche. Il veille scrupuleusement à identifier et prévenir tout ce qui peut directement ou indirectement ressembler de près ou de loin à de la discrimination. Concernant l’exercice médical, deux points sont essentiels : d’une part, le respect de toutes les formes d’exercice, qu’il s’agisse de l’exercice libéral ou public, et, d’autre part, lorsque cela paraît légitime et compatible avec la continuité des soins et d’accès aux soins, le respect de la liberté du médecin.

Nous avons reçu le projet le 24 juillet. À ce jour, nous l’avons examiné essentiellement au niveau de la gouvernance et avons revu les textes du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), de l’Agence de la biomédecine (ABM), de l’Académie, etc. Nos réflexions, dont celles que nous allons avoir avec vous aujourd’hui, vont alimenter un document que nous présenterons en session et qui seulement après avoir été validé en session représentera les 270 000 médecins inscrits au tableau de l’Ordre. Enfin, l’Ordre se réserve le droit d’intervenir dans le futur débat, en suscitant des amendements, et après le vote du projet de loi, lors de l’élaboration de décrets d’application.

Sur la note de synthèse que nous vous avons adressée, Mme Trarieux va vous donner de façon synthétique les éléments qui nous ont paru importants dans le projet.

Mme Anne-Marie Trarieux. Nous rappelons tout d’abord que ce projet de loi relatif à la bioéthique reprend des propositions et des demandes qui ont été présentées à la fois par le CCNE, l’ABM et l’Académie de médecine. Compte tenu du temps dont nous disposons dans le cadre de cette audition, ma présentation se limitera à certaines dispositions du projet de loi concernant directement ou indirectement l’Ordre des médecins et qui après une première analyse semblent nécessiter des précisions, des clarifications, voire des modifications. Cette liste n’est aujourd’hui pas exhaustive et le Conseil national pourrait être amené à formuler d’autres demandes, au fur et à mesure des consultations qu’il entend mener.

Le premier sujet est celui de l’accès à l’AMP. L’Ordre des médecins a déjà indiqué que l’extension de l’AMP, telle qu’elle est aujourd’hui proposée, ne soulève pas d’obstacle majeur au regard des règles fondamentales de l’éthique médicale en général et des quatre principes d’autonomie de la personne, de bienfaisance, d’absence de malfaisance et de justice. Si la société et la loi décident d’une AMP élargie aux couples de femmes et aux femmes seules, l’Ordre ne peut s’y opposer, sous réserve que soient respectés les principes de non-discrimination et de liberté du médecin.

Le projet de loi exclut la possibilité de continuer le projet parental en cas de décès de l’un des membres du couple. Maintenir cette interdiction dans une situation qui, rappelons-le, est exceptionnelle pose question, dès lors que le projet de loi ouvre l’accès de l’AMP aux femmes seules. Comme l’indiquent le Conseil d’État et le CCNE, pouvons-nous légitimement nous opposer à la mise en œuvre de l’AMP, dès lors que cet acte prolonge sans la moindre ambiguïté le consentement et le projet parental ? Toutefois, un encadrement dans le temps de cette possibilité serait à définir. Si l’exclusion était levée, cette question fondamentale devrait être abordée de façon anticipée avec le couple, lors de l’élaboration du projet parental, et la loi devrait prévoir et d’apporter toutes les garanties nécessaires.

Un point d’attention concerne l’introduction d’une limite d’âge pour l’accès à l’AMP : l’Ordre des médecins sera attentif au contenu du décret qui préciserait les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une AMP. Il devra être très clair sur l’information des patientes quant aux risques encourus du fait d’une grossesse tardive.

La mise en œuvre de l’AMP par l’équipe clinico-biologique est un autre point sur lequel nous sommes amenés à poser une question. Dans le cadre des entretiens menés pour la mise en œuvre de l’AMP, le projet de loi introduit une procédure d’évaluation médicale et psychologique des deux membres du couple ou de la femme non mariée. Quel sera l’impact de cette évaluation médicale et psychologique sur la mise en œuvre de l’AMP ? Pourrait-elle justifier un refus de la part du médecin, et si oui, sans que ce dernier ait à le motiver ? Qu’en est-il de la motivation de ce refus ?

Le projet de loi indique également que l’AMP ne pourra être mise en œuvre par un médecin ayant participé aux entretiens, lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions légales. Cela suppose-t-il qu’un autre médecin pourra alors mettre en œuvre l’AMP, lorsque les demandeurs ne remplissent pas les conditions prévues par la loi ? Le projet de loi ne le précise pas et cela pourrait conduire à des difficultés d’interprétation.

Ces dispositions méritent donc d’être clarifiées, afin d’éviter tout risque de contentieux.

Nous rappelons que l’ouverture de l’autoconservation des gamètes à toute personne qui en fait la demande impose une information parfaite des personnes, en particulier sur le rapport bénéfices-risques de cette démarche. Nous nous interrogeons sur la pertinence d’avoir écarté les établissements privés de santé.

Concernant le nouveau droit d’accès aux informations concernant le tiers donneur, nous comprenons que le refus de donner son consentement exprès à la communication de ces données non identifiantes et de son identité semble constituer un obstacle au don. Si ce principe est retenu, il conviendrait que le texte l’énonce clairement.

Une question nous paraît essentielle : les données non identifiantes recueillies auprès du tiers donneur auront-elles uniquement pour vocation de renseigner l’enfant devenu adulte issu du don ou pourront-elles également être utilisés par l’équipe clinico-biologique pour l’appariement et si oui, comment ?

Il n’appartient pas aux médecins d’intervenir dans la procédure de filiation, hormis pour la délivrance aux seuls patients des attestations, certificats ou autres documents prévus par un texte et nécessaires pour faire valoir leurs droits.

En ce qui concerne les dons croisés d’organes, dans le contexte d’un manque d’organes nécessaires aux greffes, il nous paraît pertinent d’élargir le nombre de donneurs dans le cadre du don croisé, y compris lorsqu’un donneur est décédé.

Le CNOM avait été consulté sur les dispositions de l’avant-projet relatives à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté ou décédée et à l’information des membres de la famille potentiellement concernés (dérogation au secret médical). Nos remarques ont été prises en compte et le projet actuel nous paraît donc satisfaisant.

Compte tenu de l’évolution rapide des connaissances en génétique, il ne paraît pas opportun de restreindre le devoir d’information aux seules anomalies génétiques pouvant être responsables d’une affection grave justifiant de mesures de prévention, y compris de conseils génétiques ou de soins. Il nous semble préférable de revenir au terme « susceptible » qui ménage la possibilité d’évolution de la science.

En ce qui concerne le sujet du traitement algorithmique de données massives, il semble que certaines recommandations de la CNIL n’aient pas été prises en compte par le projet de loi. Ses dispositions sont trop générales et incluent des obligations que le médecin pourrait ne pas être en mesure de remplir s’il n’a pas connaissance suffisante de l’algorithme utilisé. Des points sont à préciser, notamment l’interprétation du traitement algorithmique et son utilisation dans le cadre du machine learning. C’est toute la différence entre le traitement algorithmique dit « figé » de données massives et le traitement algorithmique dit « évolutif » de données massives qui au fur et à mesure va s’enrichir de données récoltées auprès des patients. Il apparaît donc nécessaire que ces informations soient données aux patients avant l’utilisation du traitement algorithmique et non au moment du compte rendu du résultat. S’agissant de l’adaptation des paramètres d’un traitement algorithmique de données massives, le champ de compétences du professionnel de santé doit être en adéquation avec l’acte pour lequel le traitement est utilisé. Compte tenu de tout ce qui précède, il serait également opportun de prévoir le renvoi à un décret d’application, au regard des imprécisions importantes qui affectent cet article.

En supprimant l’interdiction générale de créer des embryons chimériques et en limitant cette interdiction à la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces, il semble admis qu’à l’inverse, la modification d’un embryon animal par adjonction de cellules humaines ne serait pas interdite et donc implicitement autorisée. Si tel était le cas, cela devrait être très clairement énoncé et encadré.

Il semble important de prendre en considération les remarques formulées par la CNIL sur l’article relatif à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins de recherche scientifique, notamment celle concernant l’utilisation des données issues de ces recherches et l’exercice des droits des personnes concernées, en application du Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Sur l’interruption de grossesse pour motif médical, la position du Conseil d’État selon laquelle la loi devrait maintenir l’obligation de proposer, hors les cas d’urgence, un délai de réflexion, sans nécessairement fixer de durée minimale, paraît légitime.

Enfin, si l’Ordre des médecins n’est pas opposé à un droit de prescription des conseillers en génétique, il examinera soigneusement le décret qui encadrera spécifiquement cette proposition.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. D’abord, vous méritez des félicitations, parce que ce travail est très complet, très documenté, très précis, très utile pour nous et nous incitera à suggérer quelques précisions. Je note que certains sujets peuvent relever du domaine réglementaire, plutôt que du texte de la loi lui-même.

Vous évoquez votre souci constant de lutter contre toute discrimination. Quelles propositions pourriez-vous formuler afin d’éviter deux des inégalités encore présentes dans le texte, qu’il nous faudra probablement corriger avant qu’il soit définitif. Je pense d’abord à l’inégalité entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels au regard du mode d’établissement de la filiation de leurs enfants. Je pense aussi à l’inégalité entre les enfants nés d’un don, puisque certains auront systématiquement accès à leurs origines, à savoir les enfants des couples homosexuels ou des femmes, et seuls 20% des autres y auront accès qu’au, puisque nous savons qu’aujourd’hui, environ 80 % des couples hétérosexuels ne disent pas à leurs enfants qu’ils ont bénéficié d’un don. La majorité d’entre eux n’y aura donc pas cet accès. Qu’imagineriez-vous pour supprimer ou réduire de telles inégalités, puisque cela fait partie de votre ADN ?

Une autre question avait été évoquée, lorsque vous avez été auditionnés par la mission d’information. Elle concernait les intersexes. À l’époque, vous aviez dit l’importance de suggérer aux médecins de ne pas se précipiter vers des décisions définitives, alors même que l’avis de l’enfant ne peut pas encore être entendu, notamment quand il s’agit d’un enfant en très bas âge. Je ne parle évidemment pas des situations d’urgence médicale. Vous aviez formulé un souhait, que la mission d’information avait repris dans ses propositions, mais il ne l’est pas dans le texte du gouvernement. Vous encouragez nous à  l’y ajouter ?

Vous évoquez le sujet peu fréquent, mais important symboliquement, de la fécondation post mortem. Son ouverture avait également été recommandée par la mission d’information. Le projet de loi ne la reprend pas. Vous dites – comme le Comité consultatif national d’éthique et tous les autres comités qui se sont penchés dessus – qu’à partir du moment où nous ouvrons l’AMP aux femmes seules, il n’y a plus de raison d’interdire l’utilisation des embryons congelés qui avaient été l’objet d’un projet parental, lorsque le père décède. Là encore, vous encouragez-nous à poursuivre dans cette voie, qui recueille un large assentiment ?

J’aborde maintenant un sujet très sensible et je vais essayer de ne pas utiliser de terme inapproprié. Lorsque le médecin procède à l’évaluation d’une demande d’AMP, est-il en droit, voire en devoir, de récuser l’AMP lorsque la demande est trop curieuse, lorsqu’elle s’inscrit dans un contexte psychologique spécial, etc. ? Il me semble qu’accéder à une demande engage, non pas la responsabilité, mais la personne du praticien. Si, en son âme et conscience, il considère que la demande n’est pas appropriée, il pourrait demander conseil à plusieurs confrères. Si tous récusent la demande, je crois qu’effectivement, il ne faudrait pas y accéder. Qu’une femme seule puisse enfanter dans des conditions naturelles, même si toutes les chances ne sont pas réunies pour que l’éducation de l’enfant soit satisfaisante, c’est une chose à laquelle personne ne s’opposera. En revanche, que l’on utilise les services de santé pour satisfaire cette demande, c’est très problématique si le contexte est défavorable. Pour autant, nous voyons très bien qu’il ne faut pas basculer dans une utilisation excessive de la clause de conscience. La voie est assez étroite, mais à partir du moment où il accède à une demande, le praticien s’engage tout de même.

Je termine avec les donneurs d’organes. Nous avons une pénurie grave de dons d’organes dans notre pays, tant de sujets vivants que de dons d’organes de sujets décédés. C’est tellement grave qu’aujourd’hui, quand nous inscrivons un malade sur une liste d’attente, nous lui mentons, parce que nous lui disons qu’il va être greffé. Aujourd’hui, il n’a plus de chance d’être greffé. 25 000 sujets sont en attente, pour 4 000 reins par an, par exemple. Avant d’être greffé, le patient sera probablement décédé. Le projet de loi entre-ouvre la porte, en étendant les dons croisés de deux à quatre paires, mais ce n’est pas suffisant et vous le dites vous-même. Nous allons proposer des amendements, nous verrons comment ils sont reçus, afin d’établir cette chaîne de donneurs qui existe dans beaucoup d’autres pays et qui n’est pas du tout insatisfaisante. Son seul risque est que sur la durée, quelques donneurs se récusent de temps en temps, mais vous le suggérez vous-même, cela peut être compensé par une priorisation vis-à-vis de la réception d’un organe sur l’ensemble de cette chaîne ou à partir d’un donneur décédé. Quoi qu’il en soit, chaque année, nous inscrivons beaucoup plus de malades sur les listes d’attente que nous n’en greffons, et le problème deviendra bientôt totalement insoluble. Vous avez raison d’attirer notre attention là-dessus : il faut que nous allions un peu plus loin et que nous soyons moins frileux.

M. Serge Uzan. Le projet évoque une commission d’évaluation dont on ne dit pas que l’avis pourrait faire l’objet d’un appel, et prévoit qu’un autre médecin pourrait prendre en charge le demandeur qui a essuyé un refus. J’aurais préféré que la question  du refus soit traitée par un mécanisme d’appel. Dans le droit français, il y a toujours une possibilité d’appel. Peut-être que deux commissions, l’une statuant en première instance et l’autre en appel, pourraient dire clairement que la demande n’est pas recevable, fermant ainsi l’accès à la PMA.

La procréation  post mortem est écartée. Nous pensons qu’il faut peut-être se reposer la question, comme le Conseil d’État, le CCNE, etc., en distinguant deux situations : la poursuite automatique de la procédure initiale malgré le décès de l’un des conjoints et une procédure différente qui consisterait à exécuter post mortem le projet du couple. Il serait intéressant que puisse être à nouveau  demandé l’avis de la femme qui se retrouve in fine dans la situation d’une femme seule demandant une assistance médicale à la procréation. Il faudrait bien distinguer ces deux situations. C’est mon expérience de terrain qui parle, même si je n’étais pas directement impliqué, car  il y avait des décisions pour lesquelles on me demandait mon avis, en tant que chef de service. Des femmes changeront probablement d’avis au décès du conjoint, changeront de projet, d’autres voudront poursuivre une AMP et d’autres se feront forcer la main au nom de l’enfant à naître qui pourrait être une compensation, y compris pour la famille du défunt, etc. Je crois qu’il faut bien distinguer ces points.

Mme Anne-Marie Trarieux. Vous posez la question de l’inégalité entre couples homosexuels et hétérosexuels face à l’accès à l’AMP. Dans les constructions qu’il a proposées, le Conseil d’État semblait ne pas retenir ce critère. Je ne suis pas sûre que l’Ordre ait à se positionner sur ce sujet. Nous avons mis l’accent sur le fait que nous étions depuis des années confrontés à une demande sociétale. L’Ordre s’est positionné sur cette demande mais les questions perdurent et il n’y a pas de consensus. Certains vont considérer qu’il y a inégalité d’accès, et d’autres vont considérer que ce critère n’est pas opérant.

La construction proposée par le projet permet aux couples hétérosexuels de ne pas révéler à leurs enfants leur mode de conception. Lors des échanges que j’ai pu avoir, j’ai attiré l’attention sur le fait qu’un certain nombre de nos conceptions classiques est bousculé et que les procédures mises en œuvre dans le cadre des AMP vont intégrer une finalité non thérapeutique. L’ouverture d’un droit nouveau va retentir sur le droit des personnes, des couples qui aujourd’hui ont recours à un tiers donneur en raison d’une pathologie. Ce serait les bousculer davantage que leur  dire : « Vous devez dire la vérité à vos enfants. En raison de l’AMP, l’accès aux origines doit être possible et nous nous en donnons les moyens et les conditions. » Il semble que nous ayons peu de données au plan international ; en particulier la proportion d’enfants qui connaissent leurs origines dans ce cadre est inconnue.

Les interrogations que nous pouvons nourrir s’étendent à la révélation des  informations de nature génétique selon un mécanisme très bien codifié et prévu pour préserver l’anonymat. Il peut arriver que l’enfant parvenu à l’âge adulte qui ignore qu’il a été conçu par don soit informé d’un risque de maladie génétique. Même si ces cas seront très exceptionnels, il aurait alors, ces deux informations qui arriveraient de façon simultanée. J’ai des questions, mais pas de réponse.

S’agissant des enfants intersexes, je rappelle que nous ne pouvons pas vous donner aujourd’hui l’avis autorisé de l’Ordre. Cette question est en train d’être travaillée. Nous avons bien entendu les demandes des associations et leur portons une attention toute particulière.

Le dernier point concerne les donneurs d’organes. Nous savons bien que cette situation est complexe. L’ABM met tout en œuvre pour que les besoins puissent être couverts. Il est vrai que la chaîne de donneurs est utilisée dans d’autres pays. La réflexion du Conseil de l’ordre va se poursuivre.

M. Serge Uzan Je crois que nous ne résoudrons pas tous les problèmes par le biais du don d’organes. Dans la loi, il y a des ouvertures. Vous avez remarqué qu’on y  fait allusion à des embryons animaux éventuellement modifiés, afin d’aboutir à la création de cellules compétentes, etc. Il est bien que cette loi ouvre l’ensemble des possibilités. Sur le don croisé, il faut peut-être aller plus loin que quatre paires, pourquoi pas, mais il faut développer l’ensemble. Il faut bien expliquer qu’il n’y aura pas une solution à chaque fois et que de toute façon, il est probable que nous ignorions aujourd’hui les solutions qui seront mises en œuvre dans dix ans.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je rapporte sur les articles 3 et 4. Je répondrai bien volontiers à vos questions, mais j’ai envie de vous les retourner, notamment celle portant sur l’utilisation des données non identifiantes. Serait-il utile que le corps médical puisse se saisir de ces informations avant la majorité de l’enfant ? Aujourd’hui, une option est ouverte via la commission, par l’alinéa 22 de l’article 3. Dans des auditions précédentes, il a été suggéré que les données non identifiantes soient dans le dossier médical partagé (DMP) et accessibles au médecin. Qu’est-ce que cela pourrait induire, par exemple pour une jeune personne qui, une fois atteinte la majorité sexuelle, voudrait recourir à la contraception sans en parler à ses parents et pourrait se rendre chez un médecin sans savoir d’où vient son patrimoine génétique ?

Je ne développerai pas la question de la filiation, qui a sa complexité propre, si ce n’est pour dire que j’entends le besoin d’égalité de traitement entre tous les enfants.

Mme Laëtitia Romeira Dias, rapporteure. Je vais revenir sur la question des enfants intersexes. J’entends que le Conseil de l’ordre a commencé à aborder la question et n’a pas encore abouti. Néanmoins, notre calendrier législatif sur la loi de bioéthique est actuel et j’aimerais donc que nous puissions revenir dessus. Je suis consciente de la complexité des situations que cela concerne.

L’article 16-3 du code civil prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne et que le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, en dehors du cas où son état rend nécessaire une intervention à laquelle il n’est pas à même de consentir. Dans le code de déontologie médicale, cela se traduit par des dispositions de l’article 41 prévoyant qu’aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé ou sans son consentement. Pensez-vous que l’assignation sexuée chez le jeune enfant est toujours une nécessité médicale ou une urgence ? Auriez-vous des recommandations, afin que le consentement de l’enfant soit pris en compte avant une potentielle opération d’assignation sexuée, en dehors de toute impérieuse nécessité médicale ? Partagez-vous la position du Conseil d’État exprimée dans son rapport de 2018, lorsqu’il affirme qu’en définitive, l’acte médical, puisqu’il a pour seule finalité de conformer l’apparence des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin, afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant, ne devrait pas pouvoir être effectué tant que l’intéressé n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté et de participer à la prise de décision. Dans ce sens, comment permettre que seules des interventions médicales strictement nécessaires soient pratiquées par les médecins ? Que recommanderiez-vous pour limiter ces mutilations non consenties d’enfants, tout en prenant en compte la diversité des cas de variation du développement sexuel ?

M. Serge Uzan. Je vais commencer par le plus simple. Votre question sur les données non identifiantes est très compliquée – bien qu’elle ne concerne pas des « données non identifiées », manifestement. Vous avez raison, parce que des données non identifiantes seront nécessaires à l’enfant avant l’âge adulte. Vous avez évoqué une possibilité, mais il en existe beaucoup d’autres. Nous ne pouvons pas toujours répondre de façon simple à des questions complexes. D’autre part, comme disent certaines traditions, la réponse ne doit pas tuer la question. Là, en l’occurrence, il est vrai que nous avons l’impression que nous tuons la question, en disant que l’accès à l’information intervient à l’âge adulte et que jusque-là, l’enfant n’a pas besoin de savoir. Certaines données méritent peut-être d’être connues et transmises, inscrites dans le dossier médical, si elles sont nécessaires avant l’âge adulte.

Pendant que vous parliez, j’en venais à me poser la question d’une éventuelle stratification des données non identifiantes, entre ce qui supposerait un décret d’application pour distinguer entre les données qui peuvent être nécessaires toute la vie de l’enfant, de l’individu, et celles qui pourraient n’être connues que plus tard.

Mme Anne-Marie Trarieux. Nous entre-ouvrons une porte et d’autres questions surgissent, d’autres portes s’ouvrent. Effectivement, cela nous interpelle vraiment très largement et nous pourrions revenir sur tous les sujets abordés dans ce texte qui nous questionnent fortement.

Pour les enfants intersexes, je ne peux encore pas vous donner la position du Conseil national. Très schématiquement, notre réflexion prendra pour référence le code de déontologie, avec les éléments que vous avez cités, c’est-à-dire l’information et le consentement de la personne. Quel que soit le cadre, nous souhaitons que l’enfant soit associé aux décisions qui le concernent. Mais lorsque des besoins médicaux ont vraiment besoin d’être pris en charge médicalement de façon rapide, comment faisons-nous ? Il faut tout de même que nous tenions compte de l’âge de l’enfant. Les professionnels qui s’occupent de ces enfants ont mis en place des procédures de réflexion poussée, d’échanges pluridisciplinaires, afin d’associer les parents. Aujourd’hui, comme cela l’a été pour l’accès aux origines, de jeunes adultes nous interrogent sur les interventions qui ont pu être effectuées sur eux et les considèrent comme mutilantes. La plus grande attention doit être y apportée, mais comment faisons-nous au regard de l’âge de l’enfant ? Aujourd’hui, je ne l’imagine pas que le corps médical agisse autrement que par cette évaluation et cette réflexion conjointe.

M. Raphaël Gérard. J’avais également l’intention de vous interroger sur les personnes intersexes. Vous avez évoqué un travail et une réflexion en cours au niveau de l’Ordre. Pourriez-vous nous donner une petite idée du calendrier, du moment où vous allez faire part de l’état de vos réflexions ou des conclusions de l’Ordre sur ce sujet ?

En ce qui concerne l’autoconservation des gamètes des personnes transgenres, nous constatons aujourd’hui des pratiques assez disparates dans les CECOS (centres de conservation des œufs et du sperme) : certains refusent l’autoconservation des gamètes avant un début de transition et de traitement hormonal, au prétexte que la stérilité induite par les traitements est une stérilité volontaire, avec tous les guillemets qui s’imposent. De fait, ils refusent cette autoconservation. Dans un contexte où le projet loi propose de dépathologiser l’autoconservation des gamètes, de la démédicaliser et de ne plus faire de l’infertilité une condition nécessaire à l’autoconservation, j’aimerais connaître votre position sur ce sujet. Allons-nous enfin pouvoir donner aux personnes trans accès à l’autoconservation de leurs gamètes ?

La question qui vient derrière est : quelle réutilisation de ces gamètes ? Un couple constitué d’une femme cis et d’un homme trans à l’état civil est bien un couple constitué d’un homme et d’une femme. Aujourd’hui, en théorie et dans le droit tel qu’il est, ce couple a accès à l’assistance médicale à la procréation. Demain, un couple constitué de deux femmes, une femme cis et une femme trans qui aurait fait l’autoconservation de ses gamètes, donc de ses spermatozoïdes, pourra avoir accès à la procréation médicalement assistée (PMA), avec un tiers donneur, alors qu’au sein même du couple, on a conservé des gamètes qui sont ceux de la deuxième femme, même si c’est du matériel génétique masculin. Nous voyons bien que nous ouvrons ici un sujet extrêmement complexe qui se trouve en fait déjà exister aujourd’hui dans notre pays : il y a déjà des enfants qui naissent dans des couples dont l’un au moins des deux  membres est une personne trans. J’aimerais connaître votre avis sur ce sujet.

M. Thibault Bazin. Monsieur le vice-président, madame la présidente de section, merci pour la contribution que vous avez bien voulu nous transmettre. Vous posez vraiment de bonnes questions. Permettez-moi de revenir sur trois d’entre elles.

Si après une évaluation médicale et psychologique, un médecin juge que les conditions ne sont pas remplies pour le recours à l’AMP, quelles clarifications devraient être apportées, afin d’éviter tout risque de contentieux ?

Vous nous alertez également sur le traitement algorithmique de données massives, car un médecin n’a pas toujours la connaissance suffisante pour bien l’utiliser ou le paramétrer. Estimez-vous les dispositions actuelles du projet de loi trop générales ? Quelles précisions recommandez-vous s’agissant de l’interprétation du traitement algorithmique et de son utilisation dans le cadre du machine learning ?

Enfin, quelles préconisations faites-vous quant à la possibilité d’utiliser pour l’appariement des gamètes les données  non identifiantes concernant le tiers donneur ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je rappelle que M. Uzan reviendra sur la partie algorithmique et intelligence artificielle dans une autre audition.

M. Serge Uzan. Je répondrai tout de même en partie, parce que des choses sont directement liées à l’AMP, mais je ne vais pas répondre sur tout.

Sur le sujet que M. Gérard a abordé, il est clair que j’avais parfois l’impression qu’il fallait un traitement algorithmique des situations que vous évoquiez, qui devenaient assez recombinantes, si j’ose dire. D’abord, vous avez prononcé un mot. Vous avez dit : « À partir du moment où l’on a démédicalisé le prélèvement de gamètes à visée d’autoconservation pour souhait personnel. » Il faut faire attention. Cela restera médicalisé, ne serait-ce que par le nombre de contentieux susceptible d’être soulevés en cas de problèmes médicaux. Je rappelle que faire une ponction d’ovaire pour prélever un ovocyte peut se terminer par des situations pour le moins difficiles, que j’ai eu à connaître en tant que chef de service. C’était le fameux : « Pouvez descendre tout de suite ? Il y a un problème au bloc. »

M. Raphaël Gérard. L’expression était mal choisie, je le concède. L’idée était de dire que nous supprimons le motif pathologique.

M. Serge Uzan. Il n’y a donc plus de pathologie qui induit ces actes.

Le second point est que beaucoup disent qu’il n’y a pas de pathologie à la source de ces des situations difficiles. C’est un peu délicat, mais, nous allons avoir à nous poser ces questions très honnêtement. Je ne crois pas qu’il appartienne à l’Ordre de répondre à ces questions sociétales. Ce n’est pas pour me défausser, mais les questions et les situations que vous avez évoquées sont des questions de société ne relevant pas vraiment de notre champ de compétences. En plus, vous imaginez que l’avis de plus de 200 000 médecins sur la question ne va pas être facile à recueillir de façon cohérente.

J’ai évoqué l’idée de stratifier les données non identifiantes et cela pourrait être une solution. Nous avons été gênés que l’on dise qu’un médecin serait capable de donner une information cohérente à un patient sur un algorithme, avant de lui demander le consentement de l’utiliser. La plupart des algorithmes sont totalement inaccessibles aux médecins, pour deux raisons : soit par leur complexité constitutionnelle, soit par le fait que l’algorithme a fait l’objet d’un brevet et qu’il est protégé. C’est pour cela que nous utilisons parfois le terme de « boîte noire ». Il est d’ailleurs étonnant que nous utilisions le même terme de « boîte noire » pour, d’une part, expliquer que nous ne comprenons rien à l’algorithme et, d’autre part, comprendre ce qui s’est passé dans un accident d’avion. Il y a une petite incohérence qui montre bien que parfois, nous n’utilisons pas les bons termes. Un médecin ne comprend d’ailleurs pas forcément comment fonctionne le médicament qu’il donne. Il faudra donc l’équivalent d’une labellisation ou d’une certification des algorithmes. C’est un domaine que je connais bien : j’utilise assez couramment des algorithmes, mais je ne peux pas savoir comment et à quel moment cela va fonctionner.

J’appartiens à un groupe qui réfléchit sur ce que l’on appelle les biais algorithmiques.  Ils sont extrêmement fréquents. Parfois, nous n’avons aucune explication. Une société anglaise basée à Cambridge nous a produit un algorithme de calcul de risque de cancer. Il y avait un biais, selon que nous rentrions les données du côté père ou du côté mère, alors que c’était la même famille. C’était clairement un problème de biais algorithmique mécanique, à l’intérieur de l’algorithme, de la même façon qu’il peut y avoir une panne dans un système électronique. Il y a même des sociétés qui ont proposé que l’on qualifie les algorithmes de personnalités électroniques. Nous en reparlerons peut-être.

Souvent, le médecin ne sait pas ce qu’il y a dans l’algorithme et il ne sait pas l’expliquer ; il faut d’emblée proposer une procédure qui nous rassure sur l’utilisation ou non d’un algorithme. Par exemple, la Food and Drug Administration (FDA) vient de labelliser un algorithme d’analyse automatique de la rétinopathie chez les diabétiques. Le médecin qui va l’utiliser le fera comme il utilise un médicament.

Mme Anne-Marie Trarieux. Monsieur Gérard a évoqué la situation des personnes transsexuelles qui seront confrontées à ce problème de stérilité. Bien sûr, c’est une question que nous nous étions déjà posée. Nous avions cette conviction que c’était de l’ordre du sociétal et nous nous demandions si nous avions à aller plus loin au niveau de l’Ordre. À ce moment-là, notre conviction était que ce n’était pas opportun, que nous étions dans le domaine du sociétal et que la réflexion devait être menée au niveau de la société. La réponse à ces interpellations s’appuyant sur le principe d’égalité ne nous paraît pas appartenir à l’ordre.

M. Serge Uzan. S’agissant de l’appariement, il faut effectivement se demander si les CECOS vont se servir de données médicales – et, soyons francs, de données non médicales – pour mieux cibler le don de gamètes. Il ne m’appartient pas de répondre à leur place. Il est clair que nous entrons dans un domaine extrêmement sensible, en particulier en France, où certaines données ne peuvent être recueillies et utilisées. J’y reviendrai quand nous parlerons d’intelligence artificielle. Il est clair qu’aujourd’hui, nous construisons des algorithmes avec des données manquantes alors que c’est un facteur de biais majeur faisant que nous risquons de proposer à des populations des algorithmes qui ne leur conviennent pas, parce que nous n’avons pas entré les données sensibles qui auraient pu conduire à mieux les identifier.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Lesquelles, par exemple, pour une néophyte comme moi ?

M. Serge Uzan. Des données « d’origine » – en France, on dit : « le pays de naissance ». Nous avons bien compris que si j’étais né lors d’un voyage de mes parents à Uppsala, cela pourrait conduire à un mésusage de mes données personnelles.

Mme Anne-France Brunet. L’article 47 du code de déontologie médicale qui instaure le principe de la clause de conscience peut-il s’appliquer à l’AMP, notamment au cas où des médecins refuseraient de pratiquer une AMP sur des couples de femmes ? Dès lors, existe-t-il un risque qu’une discrimination apparaisse entre les couples hétérosexuels et homosexuels ? Enfin, en dehors des cas liés à la clause de conscience, devons-nous nous inquiéter d’une possible hiérarchisation des demandes d’accès à l’AMP, en fonction des demandeurs ?

M. Brahim Hammouche. L’article 6 et l’article 7 du projet de loi parlent des conditions de prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur des mineurs ou majeurs protégés, à des fins de greffe au bénéfice de leur père ou mère, en l’absence d’autre alternative. L’article 7 parle de personnes faisant l’objet d’une mesure de protection juridique, en permettant l’expression de leur consentement en matière de don d’organes, de tissus ou de cellules. Pourriez-vous apporter des précisions sur  cette notion de consentement et de don dans ces conditions ?

Mme Anne-Marie Trarieux. Vous posez une question centrale sur la mise en œuvre de l’article 47 du code de déontologie médicale. Aujourd’hui, les choses sont dans un certain contexte légal mais demain, quels seront exactement ce contexte et la loi qui sera adoptée ? Nous savons que certains médecins poussent à aller de l’avant et que d’autres sont dans un positionnement différent au regard de leurs convictions personnelles. Il est vrai que l’article 47 permet à un médecin de dire, pour des raisons personnelles ou professionnelles : « Je ne peux vous donner mes soins. » En quoi cela créera-t-il ou pas une discrimination ? Un médecin peut exciper de l’article 47 sachant qu’il devra faire en sorte que les demandeurs trouvent une réponse à leur demande en les adressant à un confrère. Nous savons que cette demande pourra être entendue par des médecins.

Nous envisagerons le risque de discrimination à la lumière du nouveau contexte légal et les médecins également. Vous n’êtes pas sans savoir que les CECOS ont mené des réflexions approfondies et se sont positionnés par rapport à cette technique. Nous serons vigilants quant à la liberté de chacun, à savoir la liberté de demander l’accès à l’AMP, l’autonomie des personnes, et la liberté de conscience pour les médecins.

Ensuite, vous posez très pertinemment la question de la hiérarchisation des demandes. Nous serons dans un contexte légal et celui-ci ne devrait pas permettre de hiérarchisation. Faut-il préciser plus avant ? Je vous laisse juges, mais il faut que les choses soient claires et il nous a semblé qu’elles l’étaient.

S’agissant des modifications prévues par le projet de loi en matière de greffe de cellules souches, il nous a semblé que dans les différentes possibilités concernant les majeurs protégés avec ou sans régime de représentation, tout est bien encadré. Nous n’avons pas de remarque particulière.

M. Bruno Fuchs. Je voudrais terminer avec une réflexion, que nous avons déjà eue à deux reprises dans nos auditions, sur les embryons chimériques. Je partage le point de vue que vous avez développé rapidement et exposé dans votre note préalable, sur l’idée de préciser leur régime. Au Japon, les autorités ont jusqu’à présent décidé de supprimer les embryons à quatorze semaines, mais récemment un programme de recherche projette d’aller au terme de la gestation d’un tel embryon. Quelles sont les précisions que vous pourriez suggérer d’apporter au texte actuel du projet de loi ?

M. Serge Uzan. Je crois qu’il faut distinguer cela de la recherche sur l’embryon humain, où le délai de quatorze jours nous paraît raisonnable. La plupart des grandes instances  s’accordent sur un tel délai, pour le travail de recherche sur les embryons humains.

En travaillant sur des embryons animaux modifiés avec des cellules humaines, les Japonais étudient la possibilité qu’un animal fabrique des cellules pancréatiques qui seraient finalement capables, en étant transformée en cellules compatibles avec l’humain dont on a utilisé les cellules pluripotentes, de traiter son diabète plus tard. Une telle possibilité n’est pas ouverte par le projet de loi. Il dit que c’est interdit dans le sens de l’adjonction de cellules animales dans un embryon humain, mais il ne dit pas que c’est autorisé dans l’autre sens. J’invite la représentation nationale à être claire là-dessus. J’ai dirigé une équipe de recherche et il est difficile de travailler dans le flou juridique. Nous n’avons pas les coudées franches et nous nous demandons toujours si c’est autorisé ou non. Je vous rappelle que la clause de conscience continue à exister pour les ingénieurs, techniciens, etc., et il est très bien que le texte le rappelle. Dire qu’une voie est interdite et ne pas parler de l’autre voie est un peu dommage : il vaudrait mieux dire que c’est autorisé quitte à ce qu’à ce moment-là, nous puissions plus clairement l’encadrer.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Merci beaucoup, madame et monsieur, pour les réponses aux  nombreuses questions qui vous  ont été posées.

 

L’audition s’achève à treize heures trente-cinq.

————


Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du jeudi 29 août à 12 heures 30

Présents.  M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Anne-France Brunet, M. Francis Chouat, Mme Bérangère Couillard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Bruno Fuchs, M. Raphaël Gérard, M. Brahim Hammouche, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Marie Lebec, M. Didier Martin, M. Jean-Pierre Pont, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Jean-Louis Touraine, Mme Michèle de Vaucouleurs

Excusés. - Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Gosselin