Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

 Audition du Centre de ressources biologiques de lhôpital Necker (CRB-ADN) – Pr Corinne Antignac, responsable scientifique du CRB-ADN Necker, Dr Marie-Alexandra Alyanakian, coordinatrice de la plateforme de ressources biologiques Necker, et M. Matthieu Le Tourneur du Breuil, juriste et délégué à la protection des données de lInstitut Imagine               2

 Présences en réunion.......................................11

 


Jeudi
29 août 2019

Séance de 19 heures

Compte rendu n° 15

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


  1 

COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE DEXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 29 août 2019

Laudition débute à dix-neuf heures quinze.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

————

La commission spéciale procède à laudition du Centre de ressources biologiques de lhôpital Necker (CRB-ADN) – Pr Corinne Antignac, responsable scientifique du CRB-ADN Necker, Dr Marie-Alexandra Alyanakian, coordinatrice de la plateforme de ressources biologiques Necker, et M. Matthieu Le Tourneur du Breuil, juriste et délégué à la protection des données de lInstitut Imagine.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous allons terminer cette journée d’auditions avec celle du Centre de ressources biologiques de l’hôpital Necker. Créé en 1992 dans le département de génétique de l’hôpital Necker, le centre a pour vocation de conserver des échantillons biologiques sanguins issus de patients atteints de maladies génétiques rares, soit à visée de sauvegarde et requalifiés ultérieurement pour des projets de recherche, soit entrant directement dans le cadre de collections biologiques. Le centre aide les chercheurs dans la constitution de leur collection et participe aux projets nationaux relevant de l’infrastructure nationale en biologie et santé, comme Biobanque ou Cohorte maladies rares. Vous êtes donc directement concernés par plusieurs dispositions du projet de loi, et nous allons écouter avec beaucoup d’intérêt vos commentaires et éventuelles propositions.

Pr Corinne Antignac, responsable scientifique du Centre de ressources biologiques de lhôpital Necker (CRB-ADN). Je suis ici en tant que responsable scientifique du Centre de ressources biologiques, mais je suis surtout à la fois médecin et chercheur. Je suis néphrologue de formation et je m’intéresse aux maladies rares de l’enfant. Je dirige une équipe de recherche dans l’Institut Imagine, l’institut des maladies génétiques. Nous sommes d’abord très honorés et un peu aussi impressionnés de participer à cette audition par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. L’audition porte – c’est ce qu’on nous a demandé – sur l’article 18, qui a pour objet de faciliter la recherche nécessitant des examens de génétique sur des collections d’échantillons biologiques conservés à l’issue de soins médicaux ou de recherche. Il est certain qu’en tant que chercheurs, nous ne pouvons que nous réjouir de la volonté facilitatrice, simplificatrice, de cet article. Nous avons analysé l’article 18, et le fruit de cette analyse a été rapporté dans la note de synthèse que nous vous avons fait parvenir. Globalement, le principe de l’article est de permettre l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins de recherche, à partir d’éléments prélevés à d’autres fins lorsque cette personne, dûment informée du programme de recherche, n’a pas exprimé son opposition. C’est effectivement un point crucial pour permettre l’utilisation des échantillons biologiques qui sont conservés dans les centres de ressources biologiques dont nous nous occupons, et qui sont en quelque sorte le fruit du travail de médecins, de chercheurs et des hôpitaux depuis de nombreuses années. En effet, il se pose toujours la question de l’utilisation maximale des échantillons, parce que ce sont un travail et des coûts énormes qui permettent de constituer toutes ces banques, et il est vraiment important de pouvoir les utiliser au maximum.

Nous voudrions soulever quatre points. Tout d’abord la distinction entre « programme de recherche », qui est introduit ici, et « projet de recherche », qui était utilisé précédemment. On voit bien la différence entre les deux termes, le programme de recherche étant beaucoup plus large. On ne peut que se réjouir de ne devoir présenter que le programme global et non pas des projets extrêmement précis. On se demande quand même comment vraiment définir les programmes de recherche pour qu’ils ne soient pas en contradiction avec la réglementation sur la protection des données où, au contraire, il est demandé que la finalité soit précisément déterminée, explicite et légitime.

Le deuxième point concerne la différence de traitement vis-à-vis des caractéristiques génétiques en fonction des situations. En effet, l’étude génétique peut être conduite à partir de prélèvements faits dans une optique de génétique, ou à partir de la réutilisation de prélèvements qui avaient été faits avecaz une autre finalité. Dans ce cas, on ne dispose plus du consentement éclairé, signé par la personne. Cela peut poser un certain nombre de problèmes, en particulier au regard des données fortuites évoquées dans l’article 10.

Le troisième point touche au droit d’opposition. Le projet de loi prévoit qu’il peut être exprimé sans forme, tant qu’il n’y a pas eu d’intervention sur le prélèvement concerné. Nous nous posons la question de savoir ce qu’est une « intervention ». Si l’intervention couvre les actes nécessaires à la conservation, dont on ne peut se passer, il n’y a alors presque plus de possibilités d’exprimer une opposition avant le début de l’intervention. En fait, cette disposition, au lieu de faciliter les choses, risque de priver la personne de son droit d’opposition et, du coup, de l’inciter à dire immédiatement : « Je ne suis pas d’accord pour ce projet de recherche si ultérieurement je ne peux plus intervenir sur mon échantillon ».

La dernière chose, qui est pour les banques de ressources un point crucial, concerne le retour vers la personne, notamment les critères qui permettent de déterminer que la personne ne peut pas être retrouvée, et surtout les moyens qu’il faut mettre en œuvre en vue de la retrouver. Le fait que la personne n’habite plus à l’adresse indiquée peut-il être tenu comme suffisant ? Ou faut-il aller beaucoup plus loin dans la recherche ? Il faut savoir que cette appréciation dépend beaucoup des comités de protection des personnes (CPP). Les chercheurs souhaiteraient que soient unifiés les critères permettant de conclure que l’on ne peut pas retrouver la personne.

Une dernière chose : il faut se rappeler que, contrairement à ce qui est écrit dans le projet – c’est du moins ce que l’on a compris –, c’est seulement le médecin du patient qui peut contacter celui-ci, et non le responsable du programme de recherche, parce que ce dernier n’a pas accès aux noms des personnes. Il a simplement accès à un code. Par conséquent, le « retour vers le patient » fait reposer beaucoup de responsabilités et de travail sur le médecin qui a initialement permis l’obtention de l’échantillon, et qui d’ailleurs, si c’est plusieurs années après, peut être parti à la retraite.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je précise que je ne suis pas rapporteur sur cet article, mais sur les articles qui suivent, c’est-à-dire de 19 à 28. Certains traitent de l’information qui est donnée au patient dans le cadre des prélèvements et des analyses génétiques. Je pense que l’article 18 est fait pour faciliter la recherche. Nous parlons bien ici de prélèvements qui sont conservés dans des centres de ressources biologiques (CRB) à visée de recherche. En effet, un prélèvement qui est conservé dans un CRB à visée diagnostique n’a pas le même cadre juridique qu’un prélèvement qui est conservé dans des CRB à visée de recherche. C’est vrai que, pour les chercheurs, pour les investigateurs, il était parfois compliqué – je ne dis pas difficile mais compliqué – de pouvoir réutiliser des prélèvements conservés dans un CRB « recherche » sur la base des résultats espérés en amont d’un projet de recherche ou des résultats de la littérature. Il fallait donc se poser la question de savoir comment on pouvait faciliter l’utilisation des prélèvements déjà faits – j’insiste là-dessus – avec un patient qui avait donné son accord pour qu’une partie de ses prélèvements soient conservés à des fins de recherche dans des CRB « recherche ». C’est pour cela que le mot « projet » a été remplacé par « programme ». À l’exemple d’un programme de recherches d’épigénétique, c’est une notion extrêmement large, alors qu’un projet de recherche reste focalisé sur un objectif principal et des objectifs secondaires. J’entends vos préoccupations, mais je pense que si l’on clarifie d’emblée le fait qu’il y a, pour un patient donné, des prélèvements qui seront conservés dans un cadre et sous un régime particulier pour la recherche, cela facilite peut-être la compréhension.

Pr Corinne Antignac. Ce n’est pas si simple, parce qu’il faut d’abord savoir où se situe la limite : cela fait longtemps que je me demande si je fais de la recherche ou du diagnostic. En fonction de l’année, de la période, ce qui était de la recherche il y a cinq ans est devenu du diagnostic. C’est extrêmement compliqué. Le dispositif me semble d’ailleurs conçu pour tous les prélèvements, qu’ils aient été faits à visée de soins ou à visée de recherche. C’est d’ailleurs un peu comme cela que fonctionne le CRB de l’hôpital Necker, où des prélèvements sont gardés pour le diagnostic, pour le soin, et, si on ne trouve rien, peuvent passer sur des programmes de recherche.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Prenons un exemple : celui d’un prélèvement qui est fait sur un patient en anatomopathologie. Une partie de cette biopsie est faite pour le diagnostic et est conservée par le service d’anatomopathologie au titre de sa collection parce qu’il peut décider une relecture : il peut l’envoyer à des collègues pour confirmer ou infirmer le diagnostic. Ça, c’est le diagnostic. Puis il y a, ou non, sur consentement du patient, un petit bout de cette biopsie qui peut aller dans ce même laboratoire d’anatomopathologie, mais dans le frigo, si je puis dire, ou dans le congélateur, avec marqué dessus « recherche ». Le consentement est exprimé par le patient pour qu’il y ait effectivement une petite partie du prélèvement qui serve à la recherche, comme on donne son corps à la recherche. Dans ce cadre-là, me semble-t-il, l’article 18 propose une facilitation: à condition qu’on ait indiqué au patient la possibilité d’utiliser cette biopsie dans un programme, et non plus un projet de recherche, on peut avoir accès à ce matériel. Un point me semble extrêmement important : tous les ans, les CRB « recherche » sont obligés de faire une déclaration de l’état de leur collection. C’était à mon sens l’objet de la création de ces CRB.

Pr Corinne Antignac. Justement, le deuxième point que nous avons souligné est illustré précisément par l’exemple que vous avez pris : une biopsie a été effectuée dans un but diagnostique et n’a rien donné, et on vient nous dire : « Il faudrait regarder si ça ne peut pas être une maladie génétique ». Là, on a juste à contacter le patient et à lui dire : « Nous allons regarder si c’est une maladie génétique ». C’est complètement différent de ce que l’on fait dans le cadre d’un examen génétique primaire, où l’on va expliquer le risque encouru si on trouve quelque chose, la transmission à la descendance, les problèmes, la possibilité de découverte fortuite, etc. Un cadre très précis, et effectivement extrêmement lourd, est mis en œuvre dans ce cas, et pas dans l’autre. Pour nous, c’est bien, le travail est beaucoup plus facile, mais nous ne pouvons plus garantir au patient une bonne information. Ce sont deux régimes différents. Si l’on pousse le bouchon un peu plus loin, on pourrait imaginer que, si les programmes de recherche en plus sont extrêmement larges, on puisse faire des études génétiques sur des prélèvements appartenant à des personnes qui ne le souhaiteraient peut-être pas. C’ést notre inquiétude sur le fait que les articles du projet sont peut-être un peu trop vagues. Cela va dépendre aussi des décrets d’application, mais à ce moment-là, ce n’est plus dans vos mains.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je partage votre analyse sémantique entre programme et projet, qui effectivement ne recouvrent pas la même chose, et il faudra apporter des précisions pour bien définir ce qui relève de l’un ou de l’autre. Je voudrais vous poser des questions sur des sujets un peu plus généraux que ceux que vous avez abordés, mais d’importance pour nous. En France, seules quatre ou cinq maladies sont l’objet d’un diagnostic néonatal systématique, quand ce sont 22 maladies en Allemagne, 24 en Suède, encore beaucoup plus en Israël, et je ne parle pas de certains États américains. Ceci a pour conséquence que des maladies importantes pour lesquelles il y a un bénéfice réel à une prise en charge précoce, qu’elle soit thérapeutique, ou par régime, ou par toute autre intervention, soient diagnostiquées trop tard. La correction de ce retard serait opportune. Ne croyez-vous pas que nous pourrions non pas fixer un nombre – puisqu’évidemment c’est quelque chose qui évolue dans le temps et de nouvelles perspectives thérapeutiques peuvent apparaître pour des maladies qui, pour l’instant, n’ont guère de sanction – mais définir quelque chose de plus précis, de plus incitatif, pour que l’on ouvre davantage le diagnostic néonatal ?

Deuxième point : quel est votre point de vue sur le diagnostic préconceptionnel ?

Troisième et dernière question : le Plan national des maladies rares fait l’objet de jugements variés. Quel est votre point de vue ? A-t-il été bien suivi ? Les résultats sont-ils satisfaisants ? Y a-t-il des choses à corriger ? On parle de maladies rares, mais pour ceux d’entre nous qui ne sont pas très versés là-dedans, leur nombre est tel qu’au total, ce n’est pas rare du tout. C’est quelque chose de fréquent qui touche un nombre considérable de nos concitoyens. Il y a une volonté forte d’améliorer la prise en charge, mais est-ce que nos résultats sont à la hauteur ?

Un dernier point sur le nombre de conseillers en génétique, qui pour l’instant, semble-t-il, est inférieur à 500 pour toute la France. Pouvez-vous imaginer une petite incitation à ce que l’on corrige cette faiblesse ?

Pr Corinne Antignac. Ces questions s’éloignent de l’article 18, mais sont pourtant mon cœur de métier. Il est vrai que l’on manque cruellement de conseillers en génétique. Cela a pourtant changé notre vie car ils aident beaucoup les médecins et, surtout, cela permet de mieux présenter les résultats aux patients, de faire des enquêtes génétiques, etc. Demandez à un médecin néphrologue de faire un arbre généalogique et voyez ce qui sort… Il est évident que c’est absolument indispensable et que l’on a vraiment du retard.

Jai eu la chance de faire toute ma carrière en ne travaillant que sur des maladies rares et de voir se développer les choses. Le plan a permis des avancées formidables, mais, si vous connaissez quelquun qui va vous dire quil a assez de moyens… En tout cas, il y a des efforts considérables. Outre le plan France médecine génomique avec létude du génome entier pour maintenant 13 prédications, beaucoup de choses se mettent en place. Cependant, mettre en œuvre toutes ces procédures crée dénormes besoins daides et dinfrastructures. Il est vrai que jai vu aussi en 20 ou 30 ans salourdir – évidemment pour des raisons importantes – les procédures, à la fois au niveau du diagnostic et au niveau de la recherche. Dans dautres pays, une infrastructure aide à la mise en place de toute cette administration. Il est certain que si le plan Maladies rares pouvait avoir plus de moyens, nous serions tout à fait ravis.

Le diagnostic préconceptionnel est un autre débat, compliqué. Actuellement, on peut proposer un diagnostic prénatal dans les cas où il y a déjà un enfant atteint, parfois dans une fratrie, mais parfois aussi dans une famille. On voit ce qui est fait en diagnostic néonatal – je prends l’exemple de la mucoviscidose, qui est une maladie autosomique récessive, ce qui veut dire que chaque parent a une mutation dans le gène de la mucoviscidose : quand on détecte un enfant qui a une mucoviscidose, on va tester les parents, mais on peut tester aussi – et maintenant c’est ce que l’on fait – les frères et sœurs. Nous pouvons, de cette façon-là, arriver à détecter plusieurs personnes dans la famille qui ont un risque de transmettre la maladie. Ces gens demandent souvent, quand ils ont un conjoint, à savoir si le conjoint peut aussi avoir l’une des mutations les plus fréquentes du gène de la mucoviscidose. C’est quelque chose sur quoi on avance progressivement. Effectivement, au moins sur certaines maladies très précises, il faudrait pouvoir développer le plus rapidement possible des possibilités de diagnostic préconceptionnel.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Et le diagnostic néonatal ?

Pr Corinne Antignac. C’est la même chose : c’est plus un problème de moyens de développement. Par exemple, le diagnostic néonatal pour la mucoviscidose ne se fait pas par analyse génétique, parce que c’est extrêmement cher. On peut imaginer que dans quelques années, ce sera beaucoup plus simple. Je pense que c’est surtout pour des problèmes de coûts que le diagnostic néonatal n’a pas été élargi.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je voudrais revenir sur les conseillers en génétique. Il existe, semble-t-il, une seule structure de formation des conseillers en génétique existe, celle de l’université d’Aix-Marseille qui fait un master 2, avec plusieurs voies d’entrée, médicales ou non. Cet unique lieu de formation initiale vous semble-t-il suffisant ? Pourquoi d’autres universités ne se sont-elles pas lancées, compte tenu de l’intérêt de cette profession ?

Par ailleurs, je n’ai pas vu d’obligation de formation continue. Or, s’il est un domaine qui bouge énormément, c’est celui de la génétique et de la génomique. Il serait logique que, comme tout personnel du monde soignant, il y ait une obligation de formation continue, et si c’était le cas, a-t-on les moyens en France d’assurer la formation continue de ces personnes ?

Pr Corinne Antignac. C’est vrai qu’il n’y a qu’à Marseille que la formation initiale se fait. L’institut Imagine, en collaboration avec Marseille, est cependant en train de mettre en place un deuxième lieu de formation, mais il faut voir comment faire, puisque cela oblige justement un certain nombre de personnes à faire des allers-retours à Marseille. Au lieu de faire deux enseignements différents, peut-être pourrait-on avoir quelque chose de coordonné. En tout cas, il est évident qu’il y a besoin de plus d’enseignements. Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’établissements qui s’y sont mis ? Je n’en sais rien.

Dans le cadre des accréditations qui sont mises en place dans les services, il y a des obligations de formation – en tout cas dans le service de génétique – pour les biologistes. Finalement, les conseils en génétique y participent aussi puisque, par exemple, ils participent à tous nos staffs, vont aux Assises de génétique, etc. De facto, pour le moment, ils ont une formation continue. Ce n’est pas à moi de savoir s’il y a besoin d’une législation, mais il y a besoin d’une formation continue, c’est certain.

M. Thibault Bazin. Merci pour vos questionnements éthiques qui font l’honneur de vos travaux. Le fait que vous vous questionniez de manière permanente est rassurant, y compris sur l’effectivité du dispositif prévu. Pour mieux apprécier la marge de manœuvre qui vous serait donnée demain sur les recherches souhaitées, dans quelle mesure ne faudrait-il pas envisager une autorisation explicite du patient, plutôt qu’attendre une opposition, d’autant qu’il n’y a d’ailleurs pas de délais précisés ? Pouvez-vous également préciser la notion d’intervention autre que celle pour la conservation du prélèvement ? J’ai compris que l’inclure ferait sauter la possibilité de pouvoir s’opposer.

Pr Corinne Antignac. L’idée de l’article 18 est justement de ne pas être obligé de recueillir à nouveau le consentement de la personne, pour simplifier la procédure. Le questionnement portait sur la raison conduisant à introduire une différence de régime. On en revient toujours à la même chose : quel est le mode d’information de la personne ? Est-ce simplement envoyer un courrier sans s’assurer qu’il est bien arrivé, envoyer un mail on ne sait où, donner un coup de téléphone ? S’il faut revoir la personne pour lui expliquer ce que nous voulons faire, alors, ce n’est pas plus compliqué de lui demander de signer un consentement. Or il est difficile de faire revenir au centre un patient, notamment quelqu’un qui a une maladie très grave où l’on sait qu’il n’y aura pas de résultat rapide. On a toujours du mal à revenir vers les patients, à les déranger (entre guillemets), pour quelque chose qui n’est pas directement lié à eux dans l’immédiat. Par exemple, quand nous avons commencé les études génétiques, on testait différents gènes, de nombreux marqueurs, et on nous disait : « Il faut revenir au patient chaque fois que vous testez un marqueur ». Mais chaque fois que l’on appelle la personne, elle croit qu’on a trouvé quelque chose. Le retour à la personne est toujours extrêmement difficile, parce qu’on ne sait jamais ce qu’elle attend ; en tout cas elle attend plus un résultat qu’une nouvelle demande sur une recherche que l’on veut faire, et qui n’apporte pas forcément de résultat pour elle.

M. Matthieu Le Tourneur du Breuil, juriste et délégué à la protection des données de lInstitut Imagine. Cela nous a intéressés de comprendre ce qu’était une « intervention », puisque dans le domaine de la protection des données, un traitement de données est défini par le RGPD par une liste à la Prévert qui inclut quasiment toutes les utilisations possibles de ces données. Cela va de la consultation à la simple conservation. La notion d’intervention sur l’élément concerné mériterait une précision dans le projet. Par rapport à la protection des données, le droit d’opposition fonctionne de la même manière. Simplement, le délai d’un mois n’est pas un délai légal, mais a été donné par la CNIL. C’est vrai que cela rassure un peu les acteurs d’avoir une autorité qui nous donne une ligne de conduite pour savoir à quel moment on peut considérer que la personne ne s’oppose pas.

M. Jean-Louis Touraine a cité le nombre de maladies pour lesquelles les diagnostics néonataux peuvent être réalisés en Allemagne, aux États-Unis ou en Israël notamment. Vous connaissez le dicton : « Quand je me regarde, je me désole, mais quand je me compare, je me console ». Cette phrase a cela de pratique qu’on peut la prendre dans les deux sens, elle sera toujours aussi valable. Je crois que c’est l’honneur de la France d’avoir une voix qui est parfois discordante par rapport à ses voisins. Le diagnostic prénatal n’est pas un problème en soi : le problème apparaît – notamment quand on parle des délais – quand il est combiné avec la possibilité d’avoir recours à une interruption de grossesse. On voit ici planer le voile sombre de l’eugénisme, pas d’un eugénisme d’État positif comme nous avons pu en connaître au siècle dernier, mais un eugénisme négatif et privé. Négatif, parce qu’il consiste à sélectionner les personnes qui ne naîtront pas, et privé, puisque la décision revient aux parents, ou en tout cas à la femme.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. La question de notre collègue Jean-Louis Touraine portait sur le diagnostic néonatal.

M. Matthieu Le Tourneur du Breuil. Effectivement, il y avait les deux. Je parlais ici des diagnostics anténataux.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je vais dépasser un peu le champ de vos professions, mais de par les personnes que vous rencontrez, je pense que vous avez peut-être quand même des éléments de réponse. Par rapport aux diagnostics prénataux ou préimplantatoires, la question qui me semble devoir être approfondie est celle de l’annonce, mais aussi celle l’accompagnement par rapport à la décision que devront prendre les parents ou la personne concernée pour elle-même. Quelles sont vos observations par rapport à cela ? Qu’est-ce qui serait nécessaire de mieux appréhender ? On parle souvent des conseillers en génétique, dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils ne sont pas assez nombreux. Les retours que nous pouvons avoir du terrain font souvent part de difficultés pour les parents – notamment par manque d’accompagnement – qui de ce fait ne sont pas en mesure de prendre leur décision de façon la plus sereine – même si ce n’est jamais serein.

Pr Corinne Antignac. Effectivement, un certain nombre de maladies justifient la possibilité d’un diagnostic prénatal ou préimplantatoire. Dès que la grossesse a débuté, voire avant même le début de la grossesse, le couple sait qu’il doit faire un diagnostic prénatal. C’est complètement différent du cas où une maladie génétique est découverte soit chez un des parents, soit dans la famille, alors que la femme est enceinte, et qu’à ce moment-là, des décisions doivent être prises dans l’urgence. C’est extrêmement difficile. Avant toute chose, le couple doit savoir avant même la conception comment cela va se passer et avoir – c’est là où l’information est très importante – la possibilité de voir un médecin et un conseiller en génétique qui explique tout ce qui va se passer. Quand les gens savent comment cela va se passer et ce que risque d’être leur décision après l’annonce du résultat, cela aide énormément. Bien sûr, il faut bien voir que grâce à nos travaux, les demandes de diagnostic prénatal ont explosé. C’est normal. À quoi toute cette recherche sert-elle si, quand les couples demandent un diagnostic prénatal, ils ne peuvent pas l’avoir ? Dans le service de génétique de Necker, avec le diagnostic postnatal, avec le next generation sequencing (NGS), on a augmenté énormément notre activité. De l’autre côté, le diagnostic prénatal reste quelque chose d’extrêmement artisanal puisque cela dépend du moment de la grossesse et de beaucoup d’autres choses. C’est extrêmement coûteux en temps de personnel et c’est extrêmement difficile pour les personnes elles-mêmes. Il ne faut pas se tromper, c’est encore plus angoissant. Il est évident que pour le moment, il n’y a pas assez de moyens mis sur le diagnostic prénatal. Je vois de plus en plus de services qui refusent d’en faire ; c’est pour cela que nous sommes de plus en plus surchargés : parce que c’est beaucoup trop prenant et que c’est beaucoup moins coté en cotation hospitalière. En effet, la restitution du résultat ne doit jamais être faite par téléphone, mais toujours en encadrant – nous faisons toujours le rendu à deux avec un médecin, une conseillère en génétique. La plupart du temps, vous ne donnez pas de bonnes nouvelles, donc c’est extrêmement difficile. Je le dis à nouveau : mieux cela a été préparé, et mieux c’est accepté par le couple, avec des décisions qui sont parfois extrêmement difficiles. Mais ce n’est pas à nous de les prendre. De temps en temps, on nous dit : « Qu’est-ce que vous feriez ? » C’est à eux de prendre une décision, qui peut être parfois extrêmement douloureuse.

M. Bruno Fuchs. Je voulais vous interroger sur la recherche sur les embryons, non pas ceux qui n’ont pas de perspective d’être transférés en vue d’une grossesse, mais justement ceux dont le transfert est prévu. Aujourd’hui, les chances de succès sont faibles et le taux d’échec est très élevé. Ne serait-il pas nécessaire de mieux diagnostiquer la qualité des embryons afin d’identifier les embryons à haut potentiel à implantation, comme le disait hier le Pr René Frydman, et donc d’augmenter la recherche sur ces embryons ? Si la réponse est oui, quel type de diagnostic nouveau serait-il possible et acceptable de faire ? Faudrait-il le faire dans tous les cas de figure ? Ou le réserver à un certain nombre de situations ?

Pr Corinne Antignac. Je pense que vous entendrez dautres personnes sur le sujet. Ce qui est clair, cest que cela ne marche pas très bien. La chance dun couple de revenir avec un enfant à la maison, davoir une grossesse, est de 13 %, 14 %, peut-être maintenant 15 %, ce qui est peu. Et surtout, le processus s’étend sur une durée de plus de deux ans. Cette technique est extrêmement lourde, avec peu de réussites. Il est évident quil faut essayer daméliorer tout cela, mais ce n’est pas mon domaine d’expertise. Il est exact quil y a une demande de plus en plus importante de diagnostic préimplantatoire plutôt que de diagnostic prénatal. Le diagnostic prénatal est proposé à un couple à risque et on regarde donc si lembryon est atteint ou pas de la maladie recherchée. Si lembryon est atteint, on propose une interruption de grossesse ou un suivi particulier de la grossesse. Dans le diagnostic préimplantatoire, il y a eu fécondation in vitro, on détermine quels embryons ont la mutation et on n’implante que les embryons sains. On évite alors le risque davoir une interruption médicale de grossesse, qui est toujours extrêmement difficile pour la femme, et pour le couple.

M. Brahim Hammouche. Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit tout à l’heure à propos des frontières floues entre la recherche et le soin. A priori, la recherche a pour objectif d’améliorer les soins : c’est du soin potentiel ou réel. Le soin est aussi une forme de recherche puisque l’on sait que souvent, la clinique alimente les travaux de recherche. Attendez-vous de cette révision de la loi de bioéthique un cadre qui puisse justement vous libérer de cet entre-deux ? Cela veut-il dire y mettre le moins de choses possible et vous permettre de travailler, ou bien y mettre plus de « garde-fous », mais avec la contrainte de ne pas pouvoir en sortir ?

Pr Corinne Antignac. C’est une question assez délicate et à laquelle il est difficile de répondre. Si vous me disiez maintenant que l’on peut tout faire en évitant le formalisme administratif, quel soulagement ! Mais il ne faut pas se leurrer, l’important est l’information des personnes dont on utilise les prélèvements. Effectivement, je ne vois plus beaucoup de patients, mais j’en ai vu pendant longtemps. Je fais encore un peu de conseil génétique et quand il y a des programmes de recherche, je peux voir les gens et j’aime beaucoup leur expliquer ce que l’on fait. Je n’ai vu personne qui n’était pas « content » de ce que l’on faisait. Il est évident qu’il faut mettre des barrières, parce que tout le monde n’a pas forcément notre démarche. Il faut conserver des réglementations, bien sûr. Essayer de les simplifier, c’est certain. Il faut aussi informer, et que les gens donnent un consentement, mais il ne faut pas revenir vers eux sans arrêt pour leur redemander. J’ai envie de dire que c’est plutôt à vous de déterminer comment faire cette balance entre les deux. Ce qui a toujours été un peu choquant pour moi, mais pas pour d’autres personnes, c’est cette différence entre la recherche et le soin, parce que, comme vous le dites, c’est exactement ce que nous essayons de faire dans notre institut : partir de l’enfant et de son diagnostic, et étudier la maladie dont il est affecté – c’est bien beau d’avoir le diagnostic, mais après il faut comprendre la maladie, pour essayer, encore après, de mieux la traiter. C’est une sorte de cercle sur lequel les chercheurs se «  branchent » à différents endroits. Même ceux qui peuvent ne faire que de la recherche très fondamentale sont importants sur ce cercle. La distinction entre recherche et diagnostic ou soin, pour ceux qui sont cliniciens chercheurs, est extrêmement difficile. On fait les deux.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je voulais avoir votre avis sur une disposition de la loi actuelle qui n’est pas, à ma connaissance, remise en cause dans le projet de loi, à savoir le DPI-HLA. Le seul centre qui le faisait, Béclère, a arrêté. Que pensez-vous de la difficulté et de l’intérêt de cette technique et sur le plan bioéthique, comment voyez-vous les choses ?

Pr Corinne Antignac. Ce n’est pas du tout mon domaine, mais plutôt celui des immunologistes. Je ne peux en dire que ce que j’ai entendu de mes collègues. Ce diagnostic soulève des problèmes techniques, des problèmes bioéthiques et des problèmes médicaux simplement. En fait, avant d’en arriver à faire le « bébé-médicament », beaucoup d’autres solutions existent pour le traitement des enfants qui ont la maladie immunologique qui pourrait nécessiter l’utilisation d’une moelle HLA identique. Il y a beaucoup d’améliorations sur les greffes de moelle. Le problème éthique nécessite des réflexions extrêmement poussées d’éthiciens, et aussi des discussions avec les familles. Je pense que ce n’est vraiment pas à moi d’entrer dans ce débat.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mesdames, messieurs, merci de votre participation à cette audition. Merci de vos réponses à nos questions.

 

L’audition s’achève à vingt heures dix.

————


Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du jeudi 29 août à 19 heures

Présents.  - M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, Mme Coralie Dubost, M. Jean-François Eliaou, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Bruno Fuchs, M. Raphaël Gérard, M. Brahim Hammouche, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, M. Pierre Vatin

Excusés. - Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Gosselin