Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

– Audition de Mme Anne Courrèges, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, M. Samuel Arrabal, responsable du pôle Recherche à la direction médicale et scientifique, M. Philippe Jonveaux, directeur de la direction de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines, M. Olivier Bastien, directeur de la direction du prélèvement et des greffes d’organes et de tissus, M. Thomas Van den Heuvel, adjoint à la directrice juridique, Mme Émilie Besegai, juriste à la direction juridique, M. Yves Pérel, directeur général adjoint chargé de la politique médicale et scientifique, et M. Hugo Gilardi, directeur général adjoint chargé des ressources              2

 Présences en réunion.......................................27

 


Mardi
3 septembre 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 18

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 3 septembre 2019

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

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La commission spéciale procède à l’audition de Mme Anne Courrèges, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, M. Samuel Arrabal, responsable du pôle Recherche à la direction médicale et scientifique, M. Philippe Jonveaux, directeur de la direction de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines, M. Olivier Bastien, directeur de la direction du prélèvement et des greffes d’organes et de tissus, M. Thomas Van den Heuvel, adjoint à la directrice juridique, Mme Émilie Besegai, juriste à la direction juridique, M. Yves Pérel, directeur général adjoint chargé de la politique médicale et scientifique, et M. Hugo Gilardi, directeur général adjoint chargé des ressources.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. La première audition de ce jour va nous permettre d’entendre les responsables d’un organisme placé au cœur du projet de loi que nous examinons : l’Agence de la biomédecine (ABM) qui est représentée par Mme Anne Courrèges, sa directrice générale, M. Samuel Arrabal, responsable du pôle recherche à la direction médicale et scientifique, M. Philippe Jonveaux, directeur de la direction de la procréation de l’embryologie et de la génétique humaine, M. Olivier Bastien, directeur de la direction du prélèvement et greffe d’organes et de tissus et M. Thomas Van Den Heuvel, adjoint à la directrice juridique. Je vous souhaite la bienvenue. L’Agence étant concernée par une bonne moitié des dispositions du projet, je vous donne la parole, Madame la directrice, pour un exposé qui a vocation à mettre en évidence les principales observations que vous pourrez nous faire sur ce texte. Je donnerai ensuite la parole aux rapporteurs puis à mes collègues députés qui vous poseront des questions.

Mme Anne Courrèges, directrice générale de l’Agence de la biomédecine. Comme vous l’avez dit, ce texte est d’importance pour l’Agence de la biomédecine. À vrai dire, il est d’importance pour l’ensemble de nos concitoyens. Les lois de bioéthique sont toujours un grand moment de la vie démocratique ; c’est l’occasion de prendre le pouls de la science et de la médecine et le pouls de la société. Dans la mesure où l’Agence de la biomédecine a été créée et régie par les lois de bioéthique et inscrit l’ensemble de son activité dans le cadre de ces lois, ce projet a nécessairement pour elle une résonnance particulière. De ce fait, nous sommes soucieux d’apporter notre expertise et notre éclairage, dans le cadre de notre positionnement et de notre rôle institutionnel, qui sont particuliers. Notre expertise se veut pluridisciplinaire puisqu’elle est à la fois médicale, scientifique, juridique et éthique, et par ailleurs nourrie de l’expérience du terrain puisque nous sommes aussi un opérateur. En tant qu’établissement public sous tutelle du ministère de la Santé, nous sommes tenus à un certain nombre de réserves qui nous conduisent à ne pas pouvoir prendre parti publiquement sur les questions de société et nous avons un objet spécialisé.

Nous intervenons uniquement dans les domaines dans lesquels nous avons une compétence légale, ce qui correspond, ainsi que vous l’avez dit, à une grande partie du champ de la loi bioéthique puisque cela recouvre :

-          le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus ;

-          le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques, issues de la moelle osseuse ;

-          l’assistance médicale à la procréation (AMP)  ;

-          la génétique constitutionnelle et les diagnostics ;

-          la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines.

Dans ce cadre, nous avons été amenés à participer aux travaux préparatoires à cette révision pour nourrir la réflexion collective avec de multiples auditions par les organismes qui ont rendu des avis, y compris parlementaires, et en dernier lieu dans le cadre des séminaires qui ont été organisés par les trois ministères compétents pour discuter, éclairer et échanger avec les parlementaires sur les sujets prioritaires de cette loi.

Nous avons rendu publics et mis en ligne sur notre site trois documents visant à éclairer l’ensemble de la collectivité nationale, dont deux sont des actualisations périodiques qui concernent des éléments de comparaison étrangers, l’état des législations dans d’autres États du monde, même si comparaison n’est pas raison. Par ailleurs, une actualisation de notre Rapport d’information au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques dans nos champs d’activité permet d’avoir un panorama des différentes avancées scientifiques. À chaque révision, nous publions un document très spécifique : un bilan d’application de la précédente loi de bioéthique qui permet, selon notre retour d’expérience et les échanges que nous avons, à la fois de faire un état des lieux de la législation, de la façon dont elle a été appliquée et des difficultés rencontrées, et qui esquisse des pistes de réflexion pour nourrir la discussion. De ce rapport il ressortait d’une part que les lois de bioéthique avaient globalement répondu aux attentes, mais qu’aujourd’hui, trois types de questionnement pouvaient émerger parmi lesquels les questions de société, qui sont très présentes dans le secteur de l’assistance médicale à la procréation. Vous en avez largement débattu et vous en débattrez largement. Je n’en dirai pas beaucoup plus à ce stade.

Des ajustements sont aussi rendus nécessaires à la fois parce que des dispositifs peuvent ne pas fonctionner ou ne pas fonctionner suffisamment bien – c’est le cas, par exemple, du don croisé d’organes – ou parce qu’une évolution des pratiques médicales conduit à requestionner certains sujets : dans le domaine des cellules souches hématopoïétiques, ce peut être le développement de ce qu’on appelle les greffes haplo-identiques. Des questionnements portent également sur l’évolution des techniques, des connaissances, de la science. Le cas le plus représentatif est évidemment le domaine de la génétique avec le développement de techniques telles que le séquençage à très haut débit (NGS pour next-generation sequencing). Ce peut être aussi l’édition du génome avec ce que l’on appelle la technique CRISPR-Cas 9. Ces trois types de questionnement ont ainsi émergé dans le cadre de cette révision. Nous les retrouvons à des degrés variables dans les différents thèmes qui seront abordés.

Si nous entrons dans les thèmes et dans le projet tel que celui-ci a été présenté par le gouvernement, retenons tout d’abord le thème le plus ancien et le plus établi : le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus. La France a été et reste pionnière dans ce domaine. La transplantation est un secteur de pointe où notre pays est particulièrement bien positionné. Le législateur est déjà intervenu à de nombreuses reprises puisque les principes fondateurs de la loi de bioéthique ont même été constitués autour de cette question du prélèvement et de la greffe d’organes et de tissus. De ce fait, bien évidemment, moins de sujets nouveaux sont amenés à être discutés et débattus. Le vrai sujet, pour nous, est que la loi de bioéthique qui sera votée par le Parlement est de nature à conforter l’engagement collectif actuellement à l’œuvre dans le cadre du troisième plan greffe du ministère de la Santé, qui fixe un objectif ambitieux de 7 800 greffes à l’horizon 2021, sachant que l’année dernière, 5 800 greffes ont été réalisées, ce qui permet de mesurer l’effort à accomplir.

Nous pouvons donc relever avec satisfaction que le projet de loi n’a pas pris le parti de revenir sur un sujet qui a été récemment débattu dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, à savoir le régime de consentement aux dons d’organes. Il commence à produire ses effets. Une certaine constance est nécessaire pour la communauté de la transplantation.

Nous notons aussi avec intérêt toutes les mesures qui ont été prises pour faciliter et promouvoir le prélèvement et la greffe d’organes, telles que les mesures qui visent à faciliter et à assouplir le fonctionnement des comités « donneur vivant ». Cela peut paraître très prosaïque et assez anecdotique, mais en pratique, c’est d’importance, tout comme les mesures prises pour encourager le don croisé d’organes. Cette mesure avait été introduite par la précédente révision de 2011 dans des conditions d’encadrement qui se comprenaient bien à l’époque. La mesure était vraiment nouvelle et la volonté était de l’acclimater. Toutefois, les conditions d’encadrement actuelles ne permettent pas à ce programme de se poursuivre. Il était donc nécessaire d’y apporter des éléments d’assouplissement, soit dans des conditions temporelles de réalisation en renonçant à la simultanéité absolue, soit dans le nombre de paires qui peuvent être impliquées dans le don croisé, tout en maintenant des encadrements, notamment pour éviter les risques de rupture de chaîne, qui conduiraient des personnes qui se seraient engagées dans la chaîne à ne pas pouvoir bénéficier d’une greffe in fine.

La loi de 2011 avait traité en profondeur le sujet du prélèvement de cellules souches hématopoïétiques dans la moelle osseuse. Des avancées significatives ont été constatées, et il nous fallait en tenir compte. L’évolution principale tenait au recours plus important aux greffes haplo-identiques, qui sont des greffes intrafamiliales et semi-compatibles, ce qui posait la question de la possibilité de prélever des mineurs, des enfants pour leurs parents, en définissant les encadrements nécessaires pour garantir les intérêts des enfants et le respect des enjeux éthiques, ce que le projet de loi s’efforce de faire.

L’assistance médicale à la procréation est le sujet qui occupe beaucoup l’attention des médias, des parlementaires et des différentes parties prenantes, et c’est naturel. L’Agence en a la charge depuis la loi de bioéthique de 2004 et ces dernières années ont été marquées par une actualisation des règles de bonnes pratiques qui encadrent cette activité et un engagement fort des pouvoirs publics, en particulier à la suite du rapport de l’Igas de 2011 sur le don d’ovocytes, qui s’est matérialisé en 2017 par un plan de procréation de biologie et génétique humaine arrêté par le ministère de la santé et qui vise entre autres l’autosuffisance en matière de gamètes – pour donner un objectif ambitieux.

Cette activité soulève de nombreuses questions de société sur lesquelles nous n’avons pas à prendre parti. Le projet de loi prend un certain nombre de positions dans lesquelles l’Agence a vocation à s’inscrire. La préoccupation de l’Agence et de ses partenaires visera à accompagner la mise en œuvre des options qui seront définitivement votées par le Parlement pour que les choses se fassent dans des délais rapprochés, de façon efficace et dans le respect des exigences éthiques. Un travail important sera nécessaire afin de communiquer vers le grand public, de réviser les règles de bonnes pratiques et l’encadrement réglementaire car un certain nombre de lignes sont susceptibles d’évoluer en profondeur. Par ailleurs, le projet de loi nous donne une nouvelle mission, qui d’ailleurs avait été demandée de longue date par les professionnels de santé du secteur : la tenue d’un registre des donneurs et des donneuses et des enfants nés d’AMP, notamment pour rendre effectif le nouveau droit reconnu par le projet de loi, d’accès aux origines pour les enfants nés de dons qui le souhaiteraient. La création de ce registre sera un énorme travail pour l’Agence de la biomédecine et ses partenaires. Pour le rendre opérationnel, il va falloir travailler avec l’ensemble des professionnels concernés et avec les associations afin d’identifier les bonnes catégories et de mettre en place un registre dont les premières requêtes sont susceptibles d’intervenir 18 ans après sa mise en place et avec des données qu’il faudra conserver au moins 80 ans. Ce registre se devra donc d’être exhaustif, robuste, solide et pérenne, ce qui demandera une grande sécurité au regard de la sensibilité des données. Nous commençons d’ores et déjà à y réfléchir pour avancer le plus vite possible une fois la loi votée.

Le secteur de la génétique est toujours à la frontière entre la recherche et la médecine et nourrit beaucoup de fantasmes, d’espoirs, parfois d’inquiétudes qu’il faut entendre. Les données génétiques sont non seulement sensibles, mais particulières parce qu’elles sont définitives, parce qu’elles disent beaucoup de vous, mais aussi de vos proches. Elles invitent également à une certaine modestie : plus on apprend en génétique, plus on apprend aussi les limites de l’interprétation et ce qui reste encore à apprendre. Ce domaine a connu des évolutions majeures : on peut avoir des études du génome de plus en plus poussées, de plus en plus étendues, de plus en plus rapides, et pour des coûts de plus en plus faibles.

De ce fait, un grand nombre de questions ont émergé. S’agissant des articles du projet de loi qui nous concernent directement, la principale préoccupation est de créer des passerelles entre les différentes disciplines : par exemple, si l’on entre dans ce sujet par la recherche, par l’oncologie, il faut bénéficier des garanties propres aux examens des caractéristiques génétiques. Par ailleurs, que faire des découvertes incidentes ? Le projet de loi apporte un certain nombre de réponses qui éclaireront d’ailleurs les travaux en cours entre l’Agence, les professionnels et les associations pour établir des règles de bonnes pratiques à cet égard.

La recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires avait beaucoup occupé le législateur lors de la précédente révision, ce qui ne l’avait pas empêché de revenir sur le sujet en 2013 après sur la base d’une proposition de loi qui avait permis de basculer vers un régime d’autorisation. Ces dernières années ont vu un regain d’intérêt des chercheurs pour la recherche sur l’embryon. La recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines arrive au stade des essais cliniques. Un premier essai clinique sur le traitement de l’insuffisance cardiaque sévère a été réalisé par le Pr Menasché entre 2014 et 2017. Un essai clinique a été autorisé pour le Généthon sur la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). De mémoire, 26 essais cliniques sont réalisés dans le monde. La France est bien positionnée dans ce domaine. Nos équipes font une recherche de qualité qui est reconnue comme telle avec des publications dans des revues prestigieuses. Le projet de loi prend le parti de soutenir cette recherche tout en maintenant un encadrement éthique compte tenu de la sensibilité de ce sujet et en proportionnant cet encadrement à la nature des questions éthiques soulevées.

C’est ce qui conduit à différencier la recherche sur l’embryon de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et, parallèlement, à introduire un nouvel encadrement, par exemple pour la recherche sur les cellules souches pluripotentes induites (IPS pour induced pluripotent stem) – ces cellules adultes qui sont « reprogrammées » pour les faire revenir au stade pluripotent – quand elle porte sur un sujet sensible comme la création de gamètes. Il reviendra à l’Agence de la biomédecine de mettre en place les nouveaux régimes déclaratifs prévus par le projet.

L’évolution des connaissances et des techniques a fait émerger des questions nouvelles imposant de fait des clarifications, auxquelles procède le projet de loi. Je donnerai deux exemples : la durée de culture des embryons a été pendant longtemps limitée à 7 jours pour des raisons techniques ; aujourd’hui, il est possible d’aller au-delà de 13 jours. Le projet de loi fixe la durée maximale de culture des embryons à 14 jours. En matière d’édition du génome, une demande de clarification était à souligner, y compris par le Conseil d’État dans sa récente étude. Là aussi, le projet de loi prend le parti d’une clarification en distinguant la problématique de la recherche scientifique fondamentale sans gestation de la problématique d’une recherche à visée gestationnelle dont les caractéristiques pourraient être transmises à la descendance.

Les choix faits dans le projet de loi sont de nature à sécuriser les travaux de l’Agence dans un contexte où de nombreuses questions se posaient à elle. Nous pouvons noter avec satisfaction l’intervention du législateur sur ces domaines sensibles et majeurs pour l’avenir.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Quels sont les liens entre l’Agence de la biomédecine et les centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) ? Y a‑t-il un contrôle des pratiques des CECOS pour réduire les disparités régionales – nous nous sommes rendu compte que les pratiques étaient différentes d’un département à un autre – et pour prévenir d’éventuels risques de discrimination ?

Des campagnes sont-elles prévues pour promouvoir les dons de spermatozoïdes et d’ovocytes ? Beaucoup nous ont dit que la plupart des pays européens ont des campagnes plus dynamiques. On nous a rapporté que seulement un homme sur 7 en âge de donner était informé de la possibilité du don. Non seulement la majorité n’a pas été sollicitée, mais elle n’est même pas informée qu’elle peut donner des spermatozoïdes. Qu’est-il prévu à cet égard ? Avez-vous reçu des moyens pour de telles campagnes ?

Pensez-vous qu’il soit utile de formaliser l’interdiction du recours aux banques étrangères de gamètes dans la loi, au moins pour les banques commerciales ? Qu’il y ait des échanges de gamètes entre des banques qui fonctionnent selon les mêmes critères n’est pas choquant, comme pour les échanges d’organes. Par contre, nous savons tous que certains pays ont des gamètes soit vendus, soit orientés dans le choix de l’enfant à naître, ce qui n’est pas conforme à la bioéthique à la française.

Que pensez-vous du don dirigé – d’ovocytes ou de spermatozoïdes – de la part de quelqu’un qui connaît le demandeur ? Ce peut être un don pour la personne qui souhaite faire une procréation médicalement assistée (PMA), ce peut aussi être un don à la banque sans que ces gamètes-là soient utilisés pour la personne. On peut organiser ce don de façon anonyme. Je schématise puisque la pratique est courante, semble-t-il, pour les ovocytes depuis plusieurs années en France : des femmes viennent solliciter des dons d’ovocytes, on leur dit qu’il n’y en a pas de disponibles, à moins de venir avec quelqu’un qui fait un don, auquel cas elles pourraient alors bénéficier d’ovocytes qui sont dans la banque mais pas forcément du donneur lui-même.

J’évoquerai le système de la Ropa (réception d’ovocytes de la partenaire) : quand un couple de femmes fait une PMA, l’une fournit les ovocytes, l’autre propose l’utérus pour héberger l’enfant. Ce système a-t-il été analysé par le conseil de surveillance de l’Agence ? Y a-t-il des recommandations pour répondre à cette demande de plus en plus fréquente et qui est formulée par les couples de femmes homosexuelles qui veulent vraiment partager la maternité ?

Que pensez-vous de l’extension de l’AMP aux centres privés ?

Quelles sont les possibilités de suivi – des donneurs, des enfants et des parents – et quels sont les moyens dont vous pouvez disposer à cette fin ?

Concernant les donneurs d’organes, trouvez-vous que l’extension proposée est suffisante ou seriez-vous demandeuse d’une chaîne, comme cela se fait dans de nombreux endroits, qui ne serait pas limitée à 4, mais sans limitation, en incluant toutes les familles qui apportent en même temps un receveur et un donneur ?

Dans le projet de loi, un suivi des donneurs vivants d’organes est prévu. Avez-vous des observations à ce sujet ? Il est important d’avoir une évaluation précise de l’avenir de ces personnes, de même que pour le suivi des personnes dans le cadre de la PMA.

Qu’envisagez-vous pour améliorer les prélèvements d’organes à partir des donneurs décédés, que ce soient des sujets en état de mort cérébrale ou des sujets appartenant à la catégorie Maastricht III, pour essayer de réduire une pénurie croissante puisque chaque année, le nombre de candidats à une greffe est plus important que le nombre de greffés ?

Vous avez ensuite évoqué les lignées de cellules souches embryonnaires. Est-ce que ce que le projet de loi permet une amélioration des pratiques et une diminution des contestations auxquelles vous avez été soumis très régulièrement pendant les années écoulées qui vous ont fait perdre du temps et de l’argent ainsi qu’aux laboratoires concernés ?

La recherche sur l’embryon, vous le savez, permettrait d’augmenter le taux de succès des fécondations in vitro. Ce taux est assez bas dans notre pays : moins d’un quart de succès à chaque tentative. Êtes-vous favorable à ce que des recherches soient entreprises pour améliorer ce taux de succès ? Dans la même veine, seriez-vous ouverts à étendre le champ des diagnostics préimplantatoires pour les aneuploïdies (DPIA), c’est-à-dire des anomalies chromosomiques, puisque cela permet d’écarter des embryons qui ne se développeront pas ? Nous sommes donc tout à fait hors du champ d’un quelconque d’eugénisme. Le développement de tels tests diminuerait le taux d’échec et la pénibilité pour la femme sans signifier de sélection des embryons.

Mme Anne Courrèges. En ce qui concerne les liens entre l’Agence de la biomédecine et les CECOS, je pense qu’il faut apporter une clarification : les CECOS sont une association de professionnels qui historiquement participent à l’activité de don de spermatozoïdes et, dans un certain nombre de cas, de dons d’ovocytes. En réalité, l’activité de don est exercée dans les centres clinico-biologiques d’AMP. L’activité de don des centres clinico-biologiques d’assistance médicale à la procréation est autorisée. Il faut distinguer l’organisation professionnelle et l’activité elle-même. Celle-ci est autorisée par les agences régionales de santé (ARS) après avis de l’Agence de la biomédecine. À partir du moment où un système d’autorisation existe, il y a bien évidemment un système d’inspection, mis en œuvre par les ARS, après avis de l’Agence de la biomédecine. L’organisation est donc identique à celles des activités de prélèvements et de greffe d’organes : les ARS ont la main et sont l’autorité d’autorisation et d’inspection, l’Agence de la biomédecine leur apporte son concours.

La loi précise par ailleurs que les règles de bonnes pratiques couvrent l’activité de don. L’encadrement réglementaire est donc très proche de ce que nous connaissons dans les autres activités dont l’Agence de la biomédecine a la charge. Ces règles de bonnes pratiques sont proposées par l’Agence de la biomédecine, travaillées avec les professionnels et les associations et arrêtées par le ministère de la Santé. À côté, des outils de suivi et de travail collectif sont plus informels. Comme toutes les activités dont nous avons la charge, nous sommes amenés à en rendre compte, c’est à cela que sert le rapport d’activité médicale et scientifique, document très dense, très riche, en raison de l’obligation faite aux centres de remonter leurs données. Des bases de données existent à cette fin. Ce suivi informel permet d’identifier les questions qui se posent et de chercher des réponses communes ou de proposer des ajustements réglementaires tels qu’une actualisation des bonnes pratiques lorsque cela est nécessaire.

Cet ensemble d’outils formels et informels permet ainsi de graduer la réponse suivant le niveau de contraintes ou de réglementations qui devient nécessaire et d’avoir un suivi de cette activité.

Les campagnes de dons gamètes constituent un sujet majeur. Nous consacrons tous les ans environ 790 000 euros aux campagnes pour la promotion des dons de gamètes. Le don d’ovocytes fait l’objet d’une attention particulière car nous sommes en situation de pénurie, à l’inverse du don de spermatozoïdes. Les dons ont somme toute progressé ces dernières années, tout particulièrement grâce à l’ouverture faite en 2016 aux couples qui n’ont pas pu procréer. Pour le don de spermatozoïdes, en 2017, nous relevions 404 donneurs là où en 2015, nous en relevions 250. Pour le don d’ovocytes, nous étions à 740 donneuses en 2017 là où nous étions à 540 en 2015. Une vraie progression est constatée dans ce domaine, ce qui ne veut pas dire qu’il faut réduire les efforts. Au contraire, il faut les poursuivre et les amplifier compte tenu du fait que les évolutions législatives peuvent conduire – ce qui est difficile à anticiper – à avoir des besoins, et ne serait-ce parce qu’un important besoin d’information et de pédagogie existe sur les évolutions législatives en cours et les nouvelles règles posées. Nous sommes d’ores et déjà en discussion avec le ministère. Le cadre budgétaire étant annuel, nous n’avons pas aujourd’hui les moyens puisque la loi n’est pas votée, mais nous avons un engagement des pouvoirs publics et du ministère de la Santé d’avoir des moyens significatifs pour mener des campagnes dans ce domaine. Quand je dis « nous », je parle de l’Agence de la biomédecine pour les campagnes nationales qui utilisent tous les vecteurs tels que la radio, ou le cinéma – il nous est arrivé de faire des campagnes de cinéma – ou des campagnes numériques. Pour toucher un public jeune, les campagnes numériques sont essentielles. Mais la communication passe aussi par des actions de terrain. Il est important que les centres d’AMP disposent également de moyens pour participer à l’activité de communication au plus près de nos concitoyens.

Il y a un précédent récent : quand la loi de modernisation de notre système de santé a modifié le régime du consentement présumé, l’Agence de la biomédecine, a conduit, en plus de sa campagne annuelle, une deuxième campagne exceptionnelle à l’automne pour faire la pédagogie des nouvelles dispositions qui entreraient en vigueur. Ces campagnes ont été particulièrement efficaces. Inspirés de ce précédent, nous commençons d’ores et déjà à réfléchir aux campagnes qui pourraient être menées – sous réserve de ce qui sera voté définitivement par le législateur.

Je rappelle par ailleurs que le régime de l’importation des gamètes est assez encadré : les importations de gamètes sont autorisées par l’Agence de la biomédecine et ne sont prévues que dans deux hypothèses : la poursuite d’un projet parental – le couple fait alors venir ses propres gamètes – ou l’hypothèse de la préservation de la fertilité. En dehors de ces hypothèses, l’importation de gamètes est interdite, notamment car la France a fait le choix d’un régime de don éthique particulièrement encadré. Les hypothèses d’importation aujourd’hui prévues par le code sont celles-là.

Il est nécessaire de clarifier les notions de don dirigé et de don relationnel. Dans le don relationnel, un de vos proches ému par votre situation personnelle, sensibilisé en tout cas, se dit qu’il souhaite donner ses gamètes. S’il vient avec vous, il peut arriver que certains centres offrent au demandeur une priorité d’accès à des gamètes anonymes. Le donneur qui vient avec vous ne donne pas pour vous, mais pour la collectivité. Le don dirigé va bien plus loin puisque le donneur donne pour vous et qu’il n’y a donc plus d’anonymat. Ce n’est pas de même nature que le don d’organes du vivant, ne serait-ce que parce que le rapport bénéfice/risque n’est pas le même, notamment si on se place du point de vue du receveur pour le don d’organes. Par ailleurs, dans le don de gamètes, il y a toujours au minimum un troisième acteur qui est l’enfant à naître. La finalité de l’AMP est de faire naître un enfant.

Le don dirigé fait partie des questions de société sur lesquelles nous n’avons pas à prendre parti. Nous pouvons indiquer que ce point soulève des questions éthiques qu’il ne faut pas négliger, parce que c’est là où les risques de pression sont potentiellement les plus forts, que ce soit des pressions familiales ou amicales ou que ce soit les pressions monétaires. Il convient de vérifier en effet que le don reste altruiste. On ne peut pas exclure des risques de transaction. Il faut également tenir compte de l’enfant à naître, de la façon dont il se positionne par rapport à ce donneur qui n’est plus anonyme.

La méthode de réception des ovocytes de la partenaire (ROPA) n’est pas autorisée en France, puisque les couples de femmes n’ont pas accès à l’assistance médicale à la procréation en France. Si je comprends bien, l’une des femmes donne son ovocyte et la grossesse est menée par l’autre femme, ce qui permet aux deux femmes d’être associées à la grossesse. Dans le couple de femmes, on passe par l’acte le plus simple, la solution la plus évidente : l’insémination. La ROPA, si j’ai bien compris, suppose tout de même l’intervention d’une stimulation et d’une ponction ovocytaire. Il faut peser les aspects éthiques et les bénéfices/risques compte tenu de cet acte supplémentaire. Je rappelle que cette pratique n’est pas autorisée en France, et je ne vous cache pas que nous n’avons pas eu d’études de suivi. Nous essaierons de nous renseigner dans les semaines à venir pour avoir un avis plus éclairé.

Les centres privés d’AMP sont un sujet complexe et nous avions posé la question dans notre bilan d’application, sans apporter d’éléments de réponse décisifs. Il va falloir que vous pesiez les arguments pour et les arguments contre. D’une part, l’intervention de plus de centres impliquera potentiellement plus d’offres parce que nous arriverons à avoir un maillage du territoire plus dense. C’est un peu l’idée que sous-tendent ceux qui promeuvent cette hypothèse. Dans le sens inverse, des risques d’encadrement ou de marchandisation ressortent. Le besoin de garde-fou est incontournable, y compris pour fixer les conditions de fonctionnement et d’autorisation, de recrutement des nouveaux donneurs, de tarification – notamment le fait que les tarifs soient bien opposables, sans dépassement d’honoraires. De nombreuses questions sont ainsi soulevées. Je constate que cette question divise la communauté professionnelle.

Le suivi des donneurs, des enfants et des parents est une mission légale de l’Agence de la biomédecine. Le suivi est anonyme, son objet étant de savoir dans quelle mesure le recours à l’AMP a des conséquences pour l’état de santé du donneur, de la femme qui portera l’enfant et bien évidemment des enfants nés d’AMP. Dans ce dernier cas, le suivi peut nous amener très loin dans le temps. Ce suivi se met progressivement en place sous la forme d’études et suppose des croisements de bases de données. Une étape décisive a récemment été franchie dans ce domaine : nous pouvons maintenant croiser nos données à la fois avec les bases du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), les bases hospitalières, et les bases de l’assurance maladie. Les premières études donnent des résultats assez convergents avec ce que donnaient les études internationales. Aucune spécificité française ne ressort. Nous investirons beaucoup dans les années à venir sur ce sujet, qui est une priorité, afin de réaliser à un suivi rétrospectif, longitudinal, pour toutes les populations concernées et obtenir des éléments d’analyse qui permettront également d’orienter les pratiques de suivi.

Nous saurons ainsi si les pratiques de suivi de donneurs d’organes méritent d’être importées sachant que les cohortes grossissent beaucoup. Un suivi annuel des donneurs d’organes est prévu par la loi, qu’il convient d’organiser. Il est également nécessaire de convaincre le donneur, qui est en bonne santé, de s’y soumettre. Souvent, le donneur passe à autre chose. Nous sommes en train de travailler avec l’ensemble des professionnels et des associations pour faire évoluer ce suivi, pour voir dans quelles mesures il est possible d’introduire de la télémédecine, d’impliquer la médecine de ville, etc. Certains donneurs ont peut-être besoin d’un suivi rapproché, d’autres vont très bien et peuvent être suivis en médecine de ville.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Ma première question porte sur le don d’organes et l’élargissement du cercle des bénéficiaires du don aux parents de mineurs, s’agissant des cellules souches hématopoïétiques. Si l’on ne fixe pas un âge minimum du donneur mineur, l’étude d’impact nous indique que le nombre de prélèvements, et donc de greffes susceptibles d’être effectuées, pourrait être estimé à 50 par an. Si on introduit un seuil – celui qui revient le plus souvent est 15 ans – le nombre de prélèvements serait d’environ 15 par an. Faut-il un seuil ou non ? Quelles sont les règles dans d’autres pays, notamment européens ?

Ma deuxième question concerne les majeurs protégés pour lesquels désormais, dans le cas d’un don, il y aura désignation d’un administrateur ad hoc. Lorsque la personne chargée de la mesure de protection n’est pas un parent, ne sort-on pas du cercle familial et affectif ? N’est-on pas dans un élargissement du cercle des bénéficiaires ?

Ma troisième question concerne le chaînage des dons que vous avez évoqué. Deux réserves sont souvent exprimées pour ne pas aller au-delà de ce qui est prévu, quatre paires avec un chaînage ouvert qui peut faire intervenir un donneur décédé, au motif qu’au‑delà de quatre paires, on augmente le risque de rupture et on est confronté à des obstacles organisationnels et pratiques. Savons-nous répondre à ces objections ?

Mme Anne Courrèges. Les nouvelles pratiques médicales, et notamment le développement des greffes haplo-identiques, semi-identiques et dans un cadre familial, nous ont confrontés concrètement à la question du prélèvement des cellules souches hématopoïétiques traitée par le projet de loi. Quand ces possibilités techniques ont été ouvertes, il y a eu des situations où le seul donneur compatible intrafamilial était un enfant mineur au bénéfice de ses parents, ce qui n’est pas possible dans le cadre législatif actuel. Notre expérience montre qu’il est possible d’envisager ce type de prélèvement en apportant toutes les garanties nécessaires, notamment procédurales. Je pense au comité donneur vivant qui peut entendre l’enfant éventuellement avec la présence d’un pédiatre et d’un psychologue. Cette discussion utile permet de voir s’il perçoit la situation, comment il se projette dans cette situation.

En cas de prélèvement sur un mineur, le détenteur de l’autorité parentale donne l’autorisation. Or, les parents parce qu’ils peuvent être les bénéficiaires de ce prélèvement, se retrouvent dans une situation dans laquelle ils peuvent être juges et parties. C’est pour cela que dans cette hypothèse est introduite un administrateur ad hoc, ce qui est également le cas pour le majeur protégé dont le parent serait le bénéficiaire. Un tiers sera ainsi l’avocat de l’enfant, le garant de son intérêt, en n’ayant pas d’intérêt direct dans la situation puisqu’il ne sera pas bénéficiaire de la greffe. Cette garantie procédurale prévue par le projet de loi est très importante.

Bien évidemment, tous les mineurs ne sont pas concernés. Nous avons commencé à réfléchir aux critères qui pourraient être prévus. Aucun consensus médical n’existe, ni en France ni à l’étranger, sur des règles ou des critères, notamment d’âge, qui seraient absolus. Ce sera du cas par cas en pondérant plusieurs critères : l’âge en serait un, mais le poids ou la morphologie seraient également à prendre en compte, ou des critères tenant à l’état de santé de l’enfant ou à son degré de maturité. Les garanties procédurales ont donc leur importance parce qu’elles nourrissent aussi les critères qui pourront être retenus.

Un ensemble de critères aura donc vocation à être pris en compte. Les professionnels précisent qu’il ne faut pas nécessairement fixer dès à présent dans la loi des critères qui seraient indépassables, absolus, qui se heurteraient à la pratique : un enfant qui aurait 14 ans et 9 mois, dont le poids serait conséquent, dans un excellent état de santé, et qui serait le seul donneur compatible. Or, sans prélèvement, son père ou sa mère mourrait dans les trois mois. Il faudra être pragmatique, avec le souci prioritaire de la protection du donneur. Je rappelle que le don éthique est le don qui apporte autant de considération au donneur qu’au receveur. C’est pour cela que de nombreuses garanties ont été mises en place et que des critères seront mis en œuvre. La question de l’âge sera bien évidemment intégrée. Toutefois, il ne serait pas pertinent d’inscrire ces critères dans la loi.

Pour les majeurs protégés, nous restons dans l’hypothèse du don familial. Il n’est pas possible de faire de prélèvement sur un mineur hors cercle familial, hors apparenté. Il est possible de faire un prélèvement sur un mineur ou un majeur protégé lorsqu’il s’agit de donner pour son frère, sa sœur, son neveu, sa nièce, son oncle ou sa tante. Le projet de loi étend ces possibilités à ses parents, en introduisant l’administrateur ad hoc pour la raison que j’indiquais : la personne qui a en charge la protection du majeur protégé est parfois le parent qui pourrait être bénéficiaire du prélèvement. Un tiers neutre doit représenter les intérêts du majeur protégé dans situation.

Je rappelle que le don croisé permettra de résoudre des problèmes d’impasse immunologique. Un certain nombre de personnes sont en attente de greffe et, pour des raisons immunologiques, ont des difficultés à y accéder selon les modalités de droit commun. Il se trouve qu’elles auraient potentiellement un donneur vivant, une personne de leur famille ou un proche, qui serait disposé à donner un rein – nous sommes dans l’hypothèse du don de rein du vivant – mais qui n’est pas compatible. Une autre personne en attente peut se retrouver dans la même situation : elle a un donneur vivant de rein, mais qui n’est pas un donneur compatible. Le don croisé repose sur le fait que le donneur de l’un est compatible avec la personne en attente de greffe de l’autre côté. Nous allons donc croiser. En 2011, cette possibilité était nouvelle et nous n’avions pas beaucoup de recul et de documentation. Le choix a été de faire une simultanéité absolue : les prélèvements ont lieu en même temps, quasiment au chronomètre, et on essaie de greffer en même temps. Cette possibilité est limitée à deux paires.

Entre 2014 et 2016, dans ce schéma, il n’y a eu que 10 greffes. Il n’y en a eu aucune depuis 2016. Aujourd’hui, le programme est à l’arrêt parce que l’exigence de la simultanéité et le fait de fonctionner avec seulement deux paires pour trouver le croisement parfait constituent des contraintes bien trop lourdes pour les équipes. Elles vont s’orienter vers des alternatives plus invasives, notamment pour le receveur, telles que des greffes ABO incompatibles ou des greffes HLA incompatibles, qui vont supposer des désensibilisations. Les équipes et les associations – il y a bien unanimité – nous ont fait remonter le besoin de trouver le moyen d’assouplir le régime existant pour donner une chance à ce programme destiné à des patients en impasse immunologique, tout en maintenant un encadrement afin d’essayer de trouver le bon équilibre entre les intérêts en présence.

Pour cela, nous avons regardé ce qui se passait à l’étranger. Nous avons la chance de participer à un groupe européen qui étudie cette question en lien avec les États-Unis. Nous avons travaillé avec les équipes mathématiques de l’École normale supérieure (ENS) et de l’École de mathématiques de Paris. Des modélisations montrent qu’il faut absolument assouplir la condition de simultanéité, que le don croisé ne peut marcher qu’en cas de « temps rapproché », pour éviter les ruptures de chaîne, donc en sortant de la simultanéité absolue, et qu’au moins trois paires sont nécessaires. Les contraintes que vous évoquiez sont à la fois des risques de ruptures de chaîne – plus la chaîne est grande, plus les risques de rupture sont importants – et des contraintes organisationnelles et logistiques. Celles-ci sont toujours présentes dans le domaine du prélèvement et de la greffe d’organes. Les modèles suggèrent qu’avec quatre paires, ce programme devrait pouvoir retrouver la place que nous souhaitons lui donner.

Une évaluation est prévue et s’il apparaissait que le modèle méritait d’être ajusté, il aurait vocation à l’être. Il est important de garder cette souplesse. Un modèle dans lequel tous les prélèvements peuvent être faits sur quatre paires en l’espace de 24 heures permettrait de donner une chance au programme tout en respectant les couples en présence et en évitant que des personnes se retrouvent sans greffe in fine.

M. Philippe Berta, rapporteur. Les recherches sur l’embryon resteraient soumises à autorisation de votre part, et les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne nécessiterait qu’une simple déclaration. À la lecture de l’article 14, je me demande pourquoi il est prévu de maintenir la conservation de ces mêmes cellules souches sous un régime d’autorisation. Je comprends très bien la dichotomie qui a été faite. Puisque nous sommes loin de l’embryon, pourquoi la conservation n’entrerait-elle pas dans ce régime déclaratif ?

Je voudrais avoir votre avis sur l’élargissement du DPI aux aneuploïdies et, plus précisément, les aneuploïdies de type autosomique pour laisser les chromosomes sexuels non concernés.

La collecte du sang de cordon est une vieille pratique. Le stockage de ces cellules de cordon avait commencé il y a très longtemps à l’hôpital Saint-Louis, puisque les cellules souches y demeurent. Ce stockage continue-t-il ?

Réfléchissez-vous à ce que vont être ou ce que sont déjà les recherches en épigenèse, puisqu’un certain nombre de traitements anticancéreux ont vocation à modifier cette épigenèse ?

Mme Anne Courrèges. Comme vous le dites, une des mesures importantes du projet de loi est la distinction, introduite au regard des enjeux éthiques, entre le régime d’autorisation, maintenu pour la recherche sur l’embryon (qui a pour conséquence la destruction d’un embryon), et un régime de déclaration, introduit pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. Ceci conduit à la fois à un assouplissement des conditions de fond et à des règles procédurales allégées, tout en maintenant un droit de regard de l’Agence de la biomédecine : elle disposera d’un pouvoir d’opposition quand elle considérera que les conditions ne sont pas réunies, y compris les conditions éthiques. Je rappelle que les cellules souches embryonnaires humaines ne peuvent pas redonner un organisme viable et que l’embryon a été détruit au moment de la dérivation des lignées de cellules. Cette distinction des régimes avait été fortement demandée par les équipes de recherche et cette préoccupation avait été évoquée dans le bilan d’application de la loi fait par l’Agence. Le sujet de la conservation n’a pas été traité parce qu’il n’était pas prioritaire, à la différence des protocoles de recherche, y compris parce que ces protocoles font l’objet des contentieux évoqués.

Le sujet des DPI, du DPIA, est complexe parce qu’il convient de définir à quelle hypothèse on souhaite appliquer le DPIA. Êtes-vous dans l’hypothèse où des couples sont déjà dans un parcours de DPI et on rajoute le DPIA ? Sommes-nous dans l’hypothèse où l’on permettrait le DPIA à tous les couples en procédure d’AMP ? Si l’on considère qu’il y a une vraie valeur ajoutée, le proposerait-on à tous les couples qui entreraient dans une procédure de procréation et qui répondraient à des caractéristiques d’âge ou autres, ou qui auraient des fausses couches ?

J’ai pu assister à de nombreux débats dans les congrès médicaux. Au-delà des questions de périmètre et d’efficacité, tout cela n’est pas neutre et a un coût : c’est un défi organisationnel. Le proposer à large échelle suppose de disposer de professionnels en mesure de l’offrir. De nombreuses questions sont ainsi soulevées. Les équipes de recherche souhaitent définir un protocole de recherche. Il me semble que la lettre d’intention du PHRC (programme hospitalier de recherche clinique) a été acceptée justement pour faire à la fois une recherche d’efficacité et une recherche médico-économique dans un contexte français – nous avons des études à l’international, pas toujours randomisées d’ailleurs. Nous avons tous besoin de ces données en contexte français pour éclairer les questions que nous nous posons tous et qui sont légitimes.

Le sang de cordon et le sang placentaire récupéré au moment de l’accouchement avaient beaucoup occupé les débats à une époque, et avaient pu nourrir beaucoup d’espoir. Une politique très active de collecte de sang de cordon avait été menée. En dehors de la greffe de sang placentaire dans l’hypothèse de maladies graves du sang, notamment en matière pédiatrique, les espoirs ne se sont pas nécessairement confirmés même si un regain d’intérêt ressort pour ces cellules actuellement. Dans le domaine de la recherche, il n’y a pas eu beaucoup d’applications autres que la greffe de cellules souches hématopoïétiques, essentiellement dans le domaine pédiatrique. Il est toutefois possible de l’envisager pour l’adulte, ce qui est vécu comme une greffe alternative : on cherche d’abord un donneur familial, puis un donneur le plus compatible possible en dehors du périmètre familial. Le sang de cordon intervient quand on n’a pas de donneur compatible. L’activité ne s’amplifie pas parce que par définition, nous n’avons pas beaucoup d’autres hypothèses d’emploi et aujourd’hui, plus de 36 000 lots de sang de cordon sont conservés. L’objectif fixé par le plan greffe sur les cellules souches hématopoïétiques est de conserver environ 1 000 lots de sang de cordon par an. Néanmoins, même dans le domaine des cellules souches hématopoïétiques, il y a un vrai questionnement sur la bonne stratégie thérapeutique, au regard du développement de la greffe haplo-identique qui, dans un certain nombre de cas, peut entrer en concurrence directement avec les greffes alternatives, dont le sang de cordon, et qui a un intérêt par rapport au sang de cordon : on reste dans le cadre familial. D’un point de vue organisationnel, le donneur et le receveur sont présents, les choses sont plus faciles à organiser.

Des études ont été autorisées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), menées avec le soutien de leur société savante, la SFGM-TC, et de l’Agence de la biomédecine qui notamment fournit des données, afin de définir l’intérêt du sang de cordon par rapport aux autres stratégiques thérapeutiques visant à soigner les maladies graves du sang. Les professionnels nous disent que le sang de cordon occupera une place probablement moins importante que celle qu’il a pu avoir dans le passé. Il faut savoir quelle sera cette place résiduelle, pour quelles indications, sachant que d’autres innovations thérapeutiques existent dans ce domaine très dynamique. Aujourd’hui, à titre conservatoire, on maintient l’activité, car nous savons que si on l’arrêtait, elle ne repartirait pas. Elle répond aux besoins exprimés mais nous verrons dans les deux ou trois années à venir quelle sera la place du sang de cordon dans la stratégie thérapeutique.

Quant à la recherche sur l’épigénétique, l’Agence ne peut être concernée que par la recherche purement fondamentale sur l’embryon, sans visée gestationnelle. Dès lors que nous passerons à des recherches plus « cliniques », des recherches biomédicales, c’est l’ANSM qui deviendra compétente. Nous lisons beaucoup de choses, avec beaucoup d’intérêt, ce qui peut d’ailleurs nous amener à soutenir diverses recherches dans nos programmes. La façon dont on peut aborder ce sujet est cependant assez circonscrite : nous sommes intéressés simplement parce que la recherche sur l’embryon aujourd’hui est très tournée vers des techniques d’AMP. Toutes ces problématiques ne sont pas sans lien.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Le DPI HLA ne semble plus pratiqué en France depuis trois ou quatre ans. Il pose à la fois un problème éthique de « bébé médicament », pour être un peu caricatural, et un problème technique en raison d’un article du code de la santé publique qui interdit aux couples concernés – ils cherchent à avoir un enfant à partir duquel ils pourront prélever des cellules souches hématopoïétiques du sang placentaire ou du sang de cordon, pour traiter un aîné malade – de faire une nouvelle tentative de FIV si aucun des embryons conçus dans la première n’est exempt de la tare génétique affectant son aîné et HLA compatible avec lui.

Quel est le devenir du DPI HLA dans un cadre de greffe haplo-identique ? Ce qui change un peu les choses, mais qui n’empêche pas qu’il faille faire un typage HLA pour l’embryon avant de l’implanter.

Ma deuxième question concerne le registre dont il est question dans le projet de loi pour les donneurs et les receveurs de gamètes. Ce registre pourrait-il être tenu par l’Agence de la biomédecine compte tenu de son expérience pour le registre des greffes d’organes et des greffes de cellules souches hématopoïétiques ? Vous avez très modestement rappelé que votre savoir-faire était internationalement reconnu comme étant l’un des modèles le mieux organisé, le plus juste et le plus éthique dans le don d’organes et de cellules souches hématopoïétiques. J’insiste là-dessus comme ancien usager de l’Agence de la biomédecine. Étant donné votre savoir-faire, ne serait-il pas logique de créer un registre sur le modèle de ceux des greffes d’organes et des cellules souches hématopoïétiques, prenant en compte la base de données des donneurs et receveurs, mais également l’interaction avec les donneurs et les receveurs ainsi que leur suivi médical, avec un regard de l’Agence sur les centres d’AMP en matière de bonnes pratiques, comme elle le fait sur les centres de greffes d’organes ou les centres de greffes de cellules souches hématopoïétiques ?

Si à l’occasion d’un DPN (diagnostic prénatal), dans le cadre de l’AMP avec tiers donneur, on découvre de façon incidente une maladie importante ou génétique chez l’enfant, faudra-t-il informer le donneur ? On pourrait le faire justement par l’intermédiaire de ce registre.

Dans la chaîne de don croisé que le projet propose, comment est-il prévu de gérer le retrait intempestif d’un donneur ? Comment sauvegarder en urgence les intérêts du receveur ? Sera-t-il possible de le mettre en premier sur la liste des receveurs ? Est-ce que ce sera suffisant pour passer outre la frustration d’avoir participé à cette chaîne de don croisé interrompue ?

L’Agence de la biomédecine a réalisé en 2007 une étude sur l’application du DPN qui s’est traduite par des améliorations pratiques. Serait-il opportun, 12 ans après, de réitérer l’exercice pour le DPN et le DPI ?

Mme Anne Courrèges. Je rappelle le principe du DPI HLA, qu’on appelle parfois « bébé médicament » ou « bébé du double espoir ». Un enfant est atteint d’une maladie. Une greffe de sang de cordon compatible venant d’un autre enfant de la fratrie permettrait éventuellement de le soigner. Une grossesse est engagée et vous espérez que l’enfant qui va naître dans le cadre de cette grossesse sera compatible. Pourquoi passer par la procédure de DPI ? Pour s’assurer que l’enfant qui va naître sera indemne de la maladie puisqu’on sait d’ores et déjà que cette maladie existe dans la famille. L’espoir derrière est qu’en plus, il soit compatible avec le frère malade et que la greffe soit possible.

Depuis 2016, le DPI HLA n’est plus proposé en France. Le dernier centre qui le proposait a préféré renoncer. Nous avons donc réuni les professionnels pour comprendre les raisons pour lesquelles ils avaient renoncé. Cette activité était réalisée par très peu de centres car elle est très spécialisée. Le DPI HLA est très difficile, très lourd, pour des chances modestes : la probabilité de donner naissance à un enfant indemne de la maladie et HLA compatible est de 1 sur 16. Très peu de naissances permettent donc d’aboutir à une greffe. Lorsque l’on met en regard la difficulté, la lourdeur de la pratique et les enjeux éthiques forts associés à la pratique du DPI HLA avec les chances de succès, les équipes médicales sont amenées à réfléchir. Un verrou législatif est parfois invoqué pour expliquer pourquoi certains couples se rendent en Belgique : si des embryons ont été conçus par FIV, mais qu’aucun ne répond à la double condition d’être indemne de la maladie et d’être compatible, il n’est pas possible de faire une nouvelle stimulation pour avoir d’autres embryons. Le couple est obligé d’utiliser la première cohorte d’embryons. Et c’est uniquement quand cette cohorte n’est plus utilisable qu’ils peuvent s’engager dans un nouveau cycle de FIV, ce qui peut à ne pas aller jusqu’au bout de la procédure.

D’un point de vue médical, le DPI HLA reste une indication pertinente, par exemple pour les drépanocytoses. Mais il n’est plus pratiqué en France compte tenu de ces éléments. Les couples ne sont pas sans issue cependant. En Belgique notamment, le DPI HLA est pratiqué avec une prise en charge par l’assurance maladie française, l’acte n’étant pas proposé en France, mais toujours légal.

Mettre en place le registre tel que celui-ci est conçu, avec les exigences posées en matière d’opérationnalité et de pérennité, sera un défi majeur. Le suivi anonyme permet de réaliser beaucoup d’études. Si nous voulons aller plus loin, en croisant des données et en valorisant les données du Health Data Hub, nous pouvons espérer que les programmes de recherche se démultiplieront à l’avenir. Nous aurons la possibilité d’aller jusqu’à un suivi individuel. Pour maintenir l’effectivité du suivi en matière de don d’organes, il faut penser tout le parcours très en amont, du début à la fin. Nous ne sommes pas en train de penser à un parcours sur un an ou deux ans, mais sur 70 ans ou 80 ans. Ce sujet qui ne se résume pas à la question du registre est d’une grande complexité, y compris opérationnelle et organisationnelle.

Le sujet des découvertes incidentes se pose non seulement dans le cadre du diagnostic prénatal mais aussi lors de l’examen des caractéristiques génétiques et même dans le cadre de la recherche. L’intérêt du projet de loi est de faire les passerelles : vous passez, par exemple, un examen de caractéristiques dans le cadre somatique parce que vous avez un cancer. Parce que vous faites un test compagnon, vous aurez des informations de caractéristiques constitutionnelles. Il faut pouvoir à nouveau rentrer dans le circuit. Des hypothèses dans lesquelles ces informations vous concerneront peuvent survenir, ou concerner vos proches. Des situations peuvent être un peu particulières, comme celle du tiers donneur en assistance médicale à la procréation. De ce point de vue, une évolution est à souligner dans le projet de loi : actuellement, quand on découvre une pathologie, génétique notamment, le système de circulation de l’information est organisé dans un sens, du donneur vers l’enfant. Aujourd’hui, on l’organise dans l’autre sens. On organise un système complet pour limiter au maximum les pertes de chances et remonter l’information en cas de découverte d’une anomalie génétique soit chez l’enfant né d’AMP, soit chez le donneur.

Nous sommes donc en train de travailler à des règles de bonnes pratiques avec les professionnels et les associations pour encadrer la gestion des découvertes incidentes, la question du consentement, et la restitution de l’information. Ces questions sont délicates, les professionnels qui œuvrent dans le secteur savent qu’une information génétique conduit à une fragilité, une vulnérabilité. Le projet de loi affirme le caractère fondamental du conseil génétique, qu’il faut renforcer parce qu’il aura un rôle majeur dans les années à venir.

Pour revenir sur le don croisé, le calibrage du nombre de paires et les garanties apportées font du don croisé d’organes un système extrêmement encadré depuis plusieurs années. Les étapes et les examens médicaux sont nombreux, le processus est relativement long et toutes les personnes impliquées ont quand même le temps de se poser des questions. Le passage devant le comité « donneur vivant » en présence d’un psychologue est une étape très importante permettant d’apprécier les motivations, la bonne compréhension et le degré d’engagement de la personne qui fait cette démarche. Un passage devant le tribunal de grande instance ajoute une étape supplémentaire. Du point de vue du receveur, la question n’est pas de savoir si le greffon existe dans la chaîne, mais bien d’avoir un greffon. On a tendance à penser que les différentes garanties apportées font qu’un défaut serait une hypothèse d’école. Nous sommes là cependant pour envisager toutes les hypothèses, y compris les hypothèses d’école : c’est ce que nous devons aux personnes qui s’engagent dans la procédure. L’intérêt de l’introduction du donneur décédé est aussi une façon de limiter les risques. Bien évidemment, si cela devait se produire, nous saurions gérer les systèmes d’urgence avec des collèges d’experts qui permettent de reprioriser les circonstances. Nous en avons l’expérience en effet dans d’autres domaines. Rappelons que les patients sont dans une impasse immunologique où c’est l’accès même à la greffe qui est l’enjeu.

En 2007, avec les professionnels, nous avons mené une vaste étude du système du diagnostic prénatal. La compétence venait de nous être confiée, un état des lieux était donc nécessaire. Cette étude a été précieuse pour structurer le secteur du diagnostic prénatal, et nous continuons de suivre cette activité, comme le montrent nos rapports médicaux et scientifiques. Nous suivons avec une attention particulière le dépistage de la trisomie 21. Tous les ans, nous analysons les données et pouvons faire évoluer cette activité en fonction des besoins. Si nous éprouvions le besoin de le faire pour le diagnostic préimplantatoire, il n’y aurait pas d’obstacles de principe – mais ce travail est considérable.

Mme Romeiro Dias, rapporteure. Je me concentrerai sur la partie dont j’ai la charge dans le projet de loi, sur deux points essentiels qui concernent l’Agence de la biomédecine : la composition de l’Agence et ses missions.

Il est prévu d’intégrer au conseil d’administration et au conseil d’orientation des représentants d’associations de donneurs d’organes, ce qui me paraît être tout à fait en phase avec les réflexions que nous menons depuis plusieurs mois sur la place du patient dans le système de soins. Je n’ai pas de question à ce propos. En revanche, j’aurais voulu savoir ce qu’il en était actuellement des représentants d’associations de donneurs de gamètes, des représentants de bénéficiaires d’une AMP et des enfants qui en sont issus. Sont-ils présents dans les instances de l’Agence ?

Le projet de loi supprime certaines missions de l’Agence comme le suivi des activités liées aux nanobiotechnologies et l’information au Parlement et au gouvernement sur les neurosciences. Or ces activités auront rapidement un effet fondamental. L’étude d’impact affirme que cette suppression est motivée par « les difficultés de l’Agence de la biomédecine à s’entourer des compétences nécessaires au suivi de ces activités ». Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur la réalité de ces missions dans les activités de l’Agence ?

L’Agence a pour mission d’assurer l’enregistrement des patients en attente de greffe d’organe, d’assurer la gestion de ces inscriptions et du registre des associations entre donneurs et receveurs potentiels ainsi que d’élaborer les règles de répartition et d’attribution des greffons en tenant compte du caractère d’urgence. Qu’est-ce qui selon vous justifie qu’on n’ait pas le même niveau d’exigence pour les activités dans le domaine de la procréation ? Qu’est-ce qui justifie l’absence de compétences de l’Agence sur la gestion des données médicales recueillies postérieurement aux dons ? Pensez-vous qu’il y a une instance plus adéquate que l’Agence pour gérer ce type de données ?

Mme Anne Courrèges. Il est important de dire que l’Agence de la biomédecine ne peut bien fonctionner que si elle parle à l’ensemble de ses partenaires dans leur diversité. Ce sont naturellement les professionnels de santé ou les autres agences sanitaires ou ministères, mais ce sont aussi les associations, qui nous apportent un regard extrêmement précieux, une expertise, puisque les patients sont experts. Cette expertise s’est beaucoup diversifiée au fur et à mesure de l’enrichissement des missions de l’Agence de la biomédecine, mais aussi de la structuration des activités et du panorama associatif, qui a beaucoup changé ces dernières années. Nous avons vu apparaître des sujets qui ont fait émerger des associations pour en parler.

Traditionnellement, les associations sont représentées au conseil d’orientation de l’Agence. Notre conseil d’orientation est notre instance éthique, l’instance qui émet un avis éthique sur toutes les activités de l’Agence, un avis indépendant qui m’est remis. Cette exigence éthique qui est au cœur des missions de l’Agence s’incarne par la diversité des intérêts et des sensibilités qui peuvent être représentés, d’où la présence de parlementaires, de juristes, de professionnels de santé, mais aussi d’associations. Les textes prévoient que soient représentées les associations de patients, et même les associations de patients agréées – ce qui ajoute une contrainte car dans nos secteurs, toutes les associations ne sont pas agréées. La représentation peut aussi être ouverte à des associations d’enfants nés de PMA.

La loi de modernisation de notre système de santé a étendu la représentation des associations à notre conseil d’administration, et nous nous en sommes félicités. Il y avait quelque chose de paradoxal à ce que l’instance dirigeante de l’Agence n’intègre pas d’associations. Nous avons mis en œuvre cette extension autour de la notion d’association agréée d’usagers du système de santé ; cette définition est bien adaptée dans le cadre de l’hôpital, mais dans une agence particulière comme celle de la biomédecine, qui a une expertise pluridisciplinaire, qui intervient sur des champs en regardant à la fois du côté du donneur et du receveur, et pour des personnes qui, par ailleurs, ne sont pas nécessairement malades, cette définition était très réductrice et ne recouvrait pas tous les intérêts en présence.

Vous avez donné l’exemple des associations de promotion des dons. La plupart des personnes qui s’engagent dans ces associations ne sont pas des personnes qui ont été malades ; elles ont pu avoir d’autres personnes malades dans leur entourage qui les ont sensibilisées à la question. Ce ne sont donc pas des associations de patients. Ces personnes s’engagent dans une démarche qui se veut généreuse, altruiste pour essayer de la promouvoir.

Le critère de l’agrément était un obstacle pour les associations récentes et pour les petites associations, ou créées autour de thématiques nouvelles – certaines associations promeuvent la levée de l’anonymat au sein même de l’assistance médicale à la procréation, par exemple – ou avec des objets spécialisés. Si nous voulons avoir un panorama associatif le plus divers possible, le plus représentatif possible dans chacun de nos segments d’activité, nous avons besoin d’un assouplissement des contraintes législatives. Le projet de loi permet d’élargir l’accès à l’Agence à des associations qu’on ne peut actuellement par intégrer, sauf par une lecture un peu extensive des textes. Leur regard sera extrêmement utile et précieux au regard de la diversité de nos métiers.

Les lois de bioéthique sont toujours l’occasion de réviser les missions de l’Agence de la biomédecine, plus souvent pour nous en ajouter que pour nous en retirer, il faut bien l’admettre. Toutefois, il est prévu cette fois de nous retirer deux missions : les neurosciences et les nanobiotechnologies. Nous n’avons pas beaucoup investi ces missions. Concernant les neurosciences, nous avons organisé un groupe de travail qui rend un rapport tous les ans, voire tous les deux ans sur des thématiques particulières. Le rapport est rendu public. Notre contribution en matière de nanobiotechnologies se trouve essentiellement dans le rapport d’information au Parlement et au gouvernement sur l’état des sciences et des connaissances. Ces missions n’ont jamais été au cœur de l’Agence de la biomédecine : elles sont restées extrêmement périphériques. Il y a parfois des zones de recouvrement, mais cela dépasse largement les compétences dont dispose l’Agence. Il aurait donc fallu faire des recrutements massifs. Par ailleurs, les missions ont été conçues comme des missions d’information générale sur l’actualité des deux secteurs. Or l’Agence est une agence sanitaire, une autorité investie de pouvoirs de régulation ou d’inspection. Au contraire, les organismes de recherche font des publications de qualité. Nous avions le sentiment que l’Agence de la biomédecine n’était pas nécessairement la plus qualifiée pour apporter ce regard, comprendre et deviner les sujets qui pouvaient émerger, alors que nous aurions dû fournir un investissement de taille si nous avions voulu nous engager dans une démarche très structurée.

Le projet de loi fait le choix de concentrer plutôt l’Agence sur les missions pour lesquelles elle a vraiment des compétences, et de les enrichir compte tenu des évolutions législatives – par exemple le suivi des donneurs apparentés en matière de cellules souches hématopoïétiques compte tenu du développement des greffes haplo-identiques. Ce parti nous permettra d’accompagner efficacement leur mise en œuvre dans les années qui viennent.

Les missions de l’Agence résultent de structurations historiques. L’Agence a été créée pour assurer la transparence et l’équité de la liste d’attente en matière de don d’organes, parce qu’il y avait à l’époque quelques interrogations sur la gestion de la liste d’attente. Or, cette liste existait parce qu’il y avait un vrai besoin.

J’ai souligné que nous étions à l’équilibre concernant les spermatozoïdes. L’activité de recueil et de conservation ne s’est pas structurée de la même façon pour des raisons historiques que personne ne néglige, mais aussi parce que jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas de situation de pénurie structurelle et nous espérons que la situation perdurera – je mets de côté l’activité plus récente des dons d’ovocytes. Au contraire, en matière de dons d’organes, l’Agence est indispensable car les délais sont extrêmement courts. Il faut pouvoir faire les choses dans l’urgence. Nous assurons à la fois l’anonymat entre le donneur et le receveur et nous intégrons les contraintes opérationnelles des uns et des autres. Lorsqu’un organe est proposé à la greffe, nous appelons l’équipe de greffe qui est le receveur prioritaire et nous lui donnons 20 minutes pour nous répondre. Si dans les 20 minutes, elle ne nous a pas répondu pour signifier qu’elle prenait le greffon, nous appelons l’équipe suivante, etc. Notre rôle est donc assez particulier et vise à fluidifier le système dans des contraintes d’urgence et en assurant une transparence dans les critères de gestion et dans leur mise en œuvre compte tenu de ce qui avait pu se produire dans le passé.

M. Thibault Bazin. Vous n’avez pas parlé d’un sujet qui est pourtant de plus en plus présent dans la vie quotidienne et pose de plus en plus de questions à la médecine : l’intelligence artificielle. Cela pourrait être une compétence de l’Agence. Les articles 29 et 30 du projet de loi vous semblent-ils assez clairs à ce sujet ? Dans quelle mesure pourriez-vous certifier, labelliser, toute technique, tout procédé, tout acte qu’il soit à visée thérapeutique ou diagnostique, s’appuyant sur l’utilisation de données massives par algorithmes ou par réseaux neuronaux ? Cela pourrait rassurer non seulement les médecins, mais aussi les patients.

M. Pierre Dharréville. Avez-vous une estimation des moyens dont votre agence dispose pour faire face aux missions telles qu’elles vont évoluer à la suite de la loi ?

Comment concevez-vous les démarches d’accompagnement qui peuvent être nécessaires notamment pour faire vivre le registre et lui donner sa pleine efficacité et pour répondre aux demandes, en particulier la gestion de la remontée d’informations ?

Concernant l’article 11, la question qui se pose et celle de la propriété de la donnée. Les logiciels de traitement de données massives sont le plus souvent des logiciels propriétaires et les intelligences artificielles apprennent des analyses qu’elles pratiquent. À qui appartient alors la donnée ? Avez-vous une réflexion sur ce sujet ? Ne faut-il pas prendre un certain nombre de dispositions complémentaires ?

M. Philippe Vigier. Vous avez parlé d’harmoniser le fonctionnement des CECOS, ce qui sera un travail de grande ampleur. La situation est très hétérogène en France, et, avec de nouveaux droits qui s’ouvriront, la loi vise à permettre à des femmes de ne plus aller à l’étranger. Or la fuite risque de s’amplifier si nous n’apportons pas une réponse forte en matière de prise en charge, d’accompagnement et de moyens notamment.

Une question a été posée par Jean-Louis Touraine, mais je ne vous ai pas entendu y répondre. Nous voyons arriver sur internet des publicités à tout-va pour des banques de gamètes. Vous qui êtes garants de protocoles médicaux sécurisés, demanderez-vous qu’on ne laisse pas proliférer de la sorte ce genre d’initiatives totalement amorales, dans des conditions sanitaires exécrables, qui ne garantissent aucune sécurité pour les femmes ?

Sur la congélation d’ovocytes, compte tenu des garanties apportées par le texte et des dates limites, qu’en est-il des femmes qui auront souhaité effectuer des congélations d’ovocytes, n’en auront plus besoin et ne souhaitent pas en faire le don ? Ne faut-il pas être plus restrictif sur les conditions d’élimination de ces ovocytes, ou alors trouver une sortie vers la recherche médicale stricto sensu ?

Mme Anne Courrèges. Je vais peut-être vous répondre un peu crûment, mais mon silence sur l’intelligence artificielle est volontaire puisque comme je l’ai dit dès le début, l’Agence a un objet spécialisé qui n’inclut pas l’intelligence artificielle. L’Agence n’a donc pas d’expertise particulière, elle utilise les potentialités de l’intelligence artificielle comme tout un chacun, sans rôle spécifique. J’évoquais les domaines des neurosciences et des nanobiotechnologies : avec l’intelligence artificielle , nous nous en éloignons encore plus. L’Agence n’a pas cette compétence et n’aurait aucune valeur ajoutée ? Nous avions eu une discussion similaire lorsque la mission nous avait été confiée de labelliser les tests génétiques. Ce n’est pas le rôle de l’Agence de la biomédecine, elle n’a pas de fonction dans ce domaine de labellisation des dispositifs médicaux ou autres. Une autre autorité, l’ANSM, est plus compétente sur ces sujets. L’Agence n’a donc pas de réflexion particulière dans ces domaines. Serait-il opportun qu’elle l’ait ? C’est à vous de trancher cette question, que vous poserez sans doute au ministère. En tout cas, au vu de l’organisation et du fonctionnement de l’Agence par rapport à la cohérence de ses différentes missions, la question ne s’est pas posée.

Les moyens et les mesures d’accompagnement seront bien évidemment un sujet majeur pour nous comme pour tous les acteurs concernés. Nous pensons pouvoir compter sur le soutien du ministère de la Santé, qui nous en a d’ores et déjà assuré sur un certain nombre d’axes. J’évoquais les campagnes de communication pour lesquelles un soutien financier est déjà prévu ; de la même façon, il est évident que la mise en place du registre a un coût pour nous et pour les établissements qui seront amenés à saisir les données. Je rappelle que les personnes sont prises en charge dans des services de soins et non pas à l’Agence de la biomédecine, qui n’est ni un établissement de santé ni un service de santé. Les données sont donc d’abord recueillies dans les établissements de santé et remontent ensuite à l’Agence. Des études de coûts devront être menées, comme nous l’avons fait chaque fois que nous avons mis en œuvre un nouveau registre, ce qui suppose que le cadre législatif soit stabilisé. La nature des données qui seront recueillies, l’ampleur du registre, la durée de conservation des données auront des conséquences sur le paramétrage et donc le calibrage in fine des moyens nécessaires pour mettre en place le registre.

De plus, les mesures d’accompagnement seront essentielles. Ainsi que je l’indiquais lorsque j’évoquais l’assistance médicale à la procréation, l’ensemble des professionnels, les parties prenantes des associations et les agences régionales de santé devront réfléchir le plus en amont possible à toutes les mesures d’accompagnement nécessaires, qui parfois sont des adaptations réglementaires, parfois sont des mesures très pratiques et très concrètes. Nous commençons cette réflexion et elle se poursuivra pendant tout le temps de vos débats législatifs pour assurer une mise en œuvre efficace et rapide des dispositions qui seront votées. Je souligne que cette réflexion est menée sous l’égide du ministère de la Santé, qui a un rôle éminent dans ce domaine.

Je pensais avoir répondu aux banques de gamètes sur internet, peut-être n’ai-je pas été suffisamment précise. Le fait d’importer des gamètes issues de ces banques hors des deux cas de la poursuite du projet parental et de la préservation de la fertilité est bien évidemment illégal. Nous rencontrons le même problème pour les tests génétiques : des stratégies de contournement se sont mises en place. Je vous rejoins totalement : lorsqu’on fait appel à des gamètes en provenance de l’étranger, a fortiori dans un cadre commercial, on ne bénéficie pas de la garantie apportée par le système français en matière de sécurité, de qualité, mais aussi de traçabilité. Comment faire pour revenir vers les personnes intéressées ? Nous ne les connaissons pas puisqu’elles sont passées hors des circuits. La « banque commerciale » est supposée revenir vers ses clients, mais nous n’avons aucun moyen d’assurer l’effectivité de ce retour. Cette question est extrêmement importante. Vous me donnez d’ailleurs l’occasion d’alerter les personnes qui ont recours à ce type de possibilité non légale en soulignant qu’il existe de potentielles conséquences pour elles. Toute la garantie du système français n’existe plus avec ce système.

Les textes réglementaires seront amenés à préciser les conditions et les délais de l’autoconservation hors indication médicale. Il s’agit là de questions de société. Je suppose que vous pourrez poser cette question à la ministre de la Santé quand vous aurez l’occasion de la recevoir. Nous serons bien évidemment amenés à apporter de la documentation sur ces questions, nourrie à la fois de ce qui peut se passer à l’étranger et d’analyses médicales, y compris sur les conditions de baisse de fertilité et des risques associés en fonction de l’âge, que ce soit pour l’enfant à naître ou pour la mère. Une dimension sociologique est également à relever en l’occurrence.

Mme Annie Genevard. Certains se sont émus de la distinction prévue par le projet de loi entre l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Que leur répondez-vous ?

Mme Sereine Mauborgne. J’aimerais vous entendre sur les produits dérivés du sang. Je sais que certaines procédures sont en cours de rénovation, à la suite de l’analyse de la Cour des comptes et des anomalies techniques survenues sur des machines de prélèvement. Or rien n’est dit à ce sujet dans le projet de loi. C’est un tort, car c’est extrêmement attendu par les associations de donneurs de sang, qui sont des partenaires essentiels et qui, à terme, pourraient peut-être aussi être capables de nous apporter de l’aide, notamment en ce qui concerne les donneurs en général.

M. Bruno Fuchs. L’article 17 prévoit que le terme « humain » est ajouté dans l’expression « recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines ». Le code de la santé publique prévoit que « la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces reste interdite » mais l’inverse n’est pas encore proscrit pour l’instant. Quel est votre point de vue sur la production de chimères par adjonction de cellules humaines dans des organes animaux ?

Mme Anne Courrèges. Concernant la problématique embryon/cellules souches embryonnaires humaines, sans prendre parti sur le fond, je peux vous transmettre les éléments d’explication. Les enjeux éthiques n’ont pas été vus comme identiques et d’ailleurs, l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi l’explicite : la recherche sur l’embryon va conduire à la destruction de l’embryon, d’où un encadrement particulièrement fort et un régime d’autorisation explicite par l’Agence de la biomédecine avec l’avis de son conseil d’orientation – ses membres savent combien ces avis sont discutés, débattus et nourris de la réflexion collective. La plupart des cellules souches embryonnaires humaines ont été dérivées il y a une vingtaine d’années. C’est à ce moment-là que la destruction de l’embryon a eu lieu. Une question éthique s’est donc posée il y a vingt ans au moment de la destruction de l’embryon, et elle ne se pose pas de la même façon aujourd’hui car les cellules souches ne permettent pas de reconstituer un organisme viable.

Par rapport à l’atteinte à l’embryon qui nourrit le régime juridique qui a été mis en place par les différentes lois de bioéthique, une différence de nature a été relevée par le Conseil d’État et trouve sa traduction juridique dans le projet de loi avec la distinction entre deux régimes : un régime d’autorisation et un régime de déclaration. Dans le second, un pouvoir d’opposition reste reconnu à l’Agence de la biomédecine s’il apparaît que les protocoles de recherche déclarés à l’Agence posent des difficultés éthiques ou ne respectent pas les conditions de fond qui sont applicables à ces recherches. Notez que les recherches ne peuvent pas commencer tant que le délai d’opposition n’est pas expiré.

En ce qui concerne les produits dérivés du sang, je ferai une réponse identique à celle que j’ai apportée concernant l’intelligence artificielle. L’Agence de la biomédecine est compétente pour toutes les thérapeutiques qui font appel aux produits et éléments du corps humain à l’exception d’un : le sang. Nous n’avons aucune compétence légale dans ce domaine. Il ne m’appartient donc pas de répondre à cette question.

La question des chimères a été évoquée. Comme le Conseil d’État l’a relevé dans son avis, l’article inscrit dans le projet de loi est un article de clarification. L’interdiction des chimères était déjà circonscrite aux chimères portant sur l’embryon humain tout simplement parce que nous nous trouvons dans le code de la santé publique, au vu de dispositions régissant la situation de l’embryon humain. Le projet de loi ne fait qu’expliciter ce qui était l’état du droit. La problématique de la chimère animal/homme ne relève pas de la compétence de l’Agence de la biomédecine puisque nous sommes compétents pour l’embryon humain. Cette question concerne davantage le ministère de la Recherche, ce sujet relevant du droit de l’expérimentation animale encadré par le code rural et des directives communautaires d’une autre nature que celles qui régissent les activités dont l’Agence a la charge.

M. Jacques Marilossian. Je m’interroge sur les questions éthiques relatives aux tests génétiques, et notamment les tests sur l’embryon. Il me semble primordial d’encadrer ces tests génétiques afin qu’ils ne soient pas utilisés à des fins de sélection qui pourraient être l’expression d’une forme d’eugénisme. Cela semble préoccuper nombre de nos citoyens. Comment encadrer ces tests et permettre cependant une recherche à des fins médicales et scientifiques ? Cela concerne notamment l’extension du diagnostic préimplantatoire à la recherche d’anomalies chromosomiques, incompatibles avec la viabilité de la grossesse – le DPIA. Le code de la santé publique prévoit déjà des cas de DPI en cas d’IMG (interruption médicale de grossesse) et pour la détection d’une affection particulière. Avez-vous des recommandations à nous faire sur la formulation qui permettrait de limiter les risques d’eugénisme ? Faut-il autoriser le DPIA, interdire certains autres types de tests ou faut-il s’en remettre à un système d’autorisation qui serait délivré par la Haute autorité de santé (HAS) ?

M. Xavier Breton. La révision de la loi en 2011 a suscité d’importants débats à propos de la recherche sur l’embryon, avec une préoccupation forte quant à la limitation d’embryons surnuméraires, évoquée à l’article L. 2151 du code de la santé publique :
« La mise en œuvre de l’AMP privilégie les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés. L’Agence de la biomédecine rend compte dans son rapport annuel des méthodes utilisées et des résultats obtenus ».

À la lumière de ce qui a pu être fait au cours des dernières années, la limitation du nombre d’embryons surnuméraires est-elle toujours une priorité ? Avons-nous vraiment avancé de ce côté ?

Le développement de l’infertilité est très inquiétant. Un programme de recherche sur l’infertilité serait-il, d’après vos pratiques sur l’AMP, une priorité à inscrire dans la loi ?

M. Brahim Hammouche. Y a-t-il aujourd’hui un programme au sein de votre agence pour la promotion du don ? Comme dans le don du sang, tout receveur est un donneur universel potentiel. Pour les femmes qui bénéficient d’une insémination artificielle notamment, existe-t-il une promotion des dons d’ovocytes ?

Une réflexion économique et psychique est-elle menée pour les femmes qui perdent leur conjoint et qui souhaitent avoir une grossesse post mortem ?

M. Patrick Hetzel. Le projet de loi organise un nouveau régime du don de gamètes avec une levée de l’anonymat. La ministre de la Santé a indiqué que pour clarifier les circonstances, les stocks existants de spermatozoïdes seront détruits. Les juristes qui se sont penchés sur la question considèrent que la période intermédiaire entre le droit actuel et le droit futur crée un flou assez déstabilisant. Il serait intéressant d’avoir votre point de vue au titre de l’Agence de la biomédecine, mais aussi parce que vous êtes une juriste éminente : considérez‑vous que le projet de loi tel qu’il est actuellement rédigé permet de lever ces difficultés ou ne faudrait-il une rédaction différente pour éviter ces difficultés ?

Mme Anne Courrèges. En France, l’encadrement des tests génétiques est assez élaboré. Je rappelle que les tests génétiques en ligne sont interdits et que pour accéder à un test génétique, il faut une prescription médicale et entrer dans un circuit médical spécialisé incluant éventuellement du conseil génétique. Ce n’est pas un système en « libre-service », au contraire. La spécificité et la sensibilité de la donnée génétique pour vous et pour autrui, vos proches en l’occurrence, ont conduit à un encadrement particulièrement élaboré. Le texte vise à étendre ces garanties à d’autres situations où nous pourrions avoir accès à des données génétiques : j’ai évoqué l’oncologie, mais c’est aussi valable dans la recherche où des collections permettent l’avancée des connaissances et peuvent révéler des données génétiques vous concernant pour lesquelles il peut être important d’entrer dans le circuit traditionnel de prise en charge des anomalies génétiques, avec toutes les incertitudes qui y sont associées. Il est nécessaire d’avoir une certaine modestie dans l’interprétation de la donnée génétique et dans les enseignements que nous pouvons en tirer. Dans ce domaine, la connaissance et la technique progressent tous les jours.

La limitation du nombre d’embryons surnuméraires reste une obligation particulièrement forte dans les techniques d’AMP. Cela doit reposer en premier lieu sur les techniques d’AMP. C’est généralement à ce niveau-là qu’il faut agir pour être efficace et c’est une préoccupation très forte des professionnels de l’AMP, ainsi que l’accompagnement des couples dans ce domaine.

L’infertilité est un sujet majeur dont l’Agence n’a pas la responsabilité mais qui est complémentaire de tout ce que nous faisons. Chaque fois que nous évoquons la promotion du don d’organes, notre ambition est de promouvoir les greffes afin de répondre aux besoins de la population en attente de greffe. Or sans politique de prévention pour limiter le diabète, l’hypertension artérielle ou ce genre de pathologie, nous continuerons à avoir de plus en plus de personnes qui seront en attente de greffe. Il est important de réfléchir à tous les leviers même si ce domaine ne relève pas directement des compétences de l’Agence.

La promotion du don est fondamentale. Dans ses missions légales, l’Agence a des fonctions opérationnelles et des fonctions de promotion des dons, ce qui est une particularité pour une agence sanitaire. Nous menons des campagnes du don d’organes, du don de gamètes, du don de cellules souches hématopoïétiques, ce qui se traduit le plus souvent par des campagnes nationales. Depuis 2015, nous utilisons la radio pour le don de gamètes, par exemple. En matière de promotion du don de gamète, il y a une forte dimension pédagogique. La radio est un média qui attire plus l’attention et qui permet d’avoir ce temps pédagogique. Des campagnes numériques sont également menées car le donneur de gamètes que nous recherchons a un profil généralement plus jeune que dans d’autres types de dons. Les réseaux sociaux et les campagnes numériques sont donc fondamentaux. S’agissant du don d’organes, nous effectuons des campagnes à la télévision parce qu’il s’agit bien de toucher tout le monde, il n’y a pas d’âge pour donner. Le travail engagé par les associations sur le terrain est complémentaire de nos actions, de même que ce que réalisent les professionnels de santé.

Il faut toujours réussir à faire du national, à la fois pour donner les informations et pour créer un climat de confiance. Il est essentiel de garder la confiance du grand public, car sans confiance, nous ne pouvons plus fonctionner. En outre, des actions de terrain sont lancées. Ces dispositifs sont complémentaires. Les professionnels de santé ont un rôle à jouer pour donner de l’information et éventuellement pour engager des actions de promotion. Nous sommes plusieurs à œuvrer dans ce domaine, c’est essentiel.

Concernant l’AMP post mortem, compte tenu de ce que j’ai souligné sur le devoir de réserve de l’Agence, je vous invite à poser cette question à la ministre de la Santé.

Le projet de loi ne prévoit pas de lever l’anonymat en matière de dons de gamètes. Il ouvre la possibilité pour l’enfant né de don devenu majeur de faire valoir un nouveau droit, celui d’accéder à l’identité de son donneur. Le don reste bien anonyme, altruiste, non dirigé. La difficulté consiste à passer d’un système où le donneur fait un don, non seulement anonyme, mais sans accès aux origines, à un système où le don reste anonyme mais est associé d’un droit d’accès aux origines qui serait actionné à partir de la majorité de l’enfant né du don. Le Conseil d’État a beaucoup aidé la réflexion collective pour la gestion de cette transition.

À partir du moment où il paraît difficile de faire coexister les deux régimes, il est nécessaire d’organiser la transition. Dans un premier temps, il conviendra de mettre en place le registre avant d’envisager un recrutement de donneurs « nouveau régime ». Si nous n’avons pas de moyens de les inscrire sur le registre, un élément manquera. Pendant la période transitoire, le stock existant de gamètes de donneurs anonymes sans accès aux origines sera utilisé. Rappelons que du temps est nécessaire pour que les spermatozoïdes puissent être proposés : un donneur doit en effet effectuer des examens médicaux, puis le prélèvement. Nous commencerons alors à constituer un stock de gamètes du nouveau régime qui aura vocation à être utilisé ultérieurement. Le moment venu, le stock résiduel d’anciens gamètes ne pourra plus être utilisé et nous utiliserons le nouveau stock. Ce système est complexe parce que la question juridique sous-jacente l’est également.

Lors du séminaire de bioéthique, j’avais bien insisté sur l’importance des dispositions transitoires, d’autant que les différences entre les deux régimes portent sur des points sensibles. Je ne doute pas de l’attention particulière qui sera portée par le législateur aux dispositions transitoires.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Concernant l’article 3 et l’accès aux origines, pensez-vous que le dispositif retenu est suffisant dans le sens où il s’adresse aux prochaines PMA et aux enfants issus de ces prochaines PMA ? Qu’en est-il de l’effectivité d’un droit à l’accès à ses origines pour les enfants conçus sous le régime actuel ? L’Agence de la biomédecine serait-elle en mesure, en rapport avec les autres centres et professionnels concernés, de contacter les anciens donneurs pour savoir s’ils donnent leur consentement à la levée de l’anonymat et donc à rendre effectif ce fameux droit à l’identité pour les précédentes générations ?

Pour les enfants qui relèveraient du régime précédent, ne faudrait-il pas s’interroger au cas par cas plutôt que de mettre en place un système de volontariat auprès des anciens donneurs pour accepter la levée de l’anonymat ?

Toujours dans le cadre de l’article 3, la création d’une commission ad hoc avec laquelle vous seriez en relation vous semble-t-elle pertinente ? Comment envisagez-vous la déclinaison complète de ces modalités ?

Vous avez déjà répondu partiellement sur le registre ; je suis cependant preneuse de vos observations sur la conservation et la gestion des données et informations et ce que cela peut éventuellement induire.

Disposez-vous de comparaisons dans les pays étrangers qui seraient en rapport avec votre structure et vos missions ? Comment sont-elles honorées et de quelle manière pourriez-vous envisager de vous projeter dans la façon d’agir à partir d’exemples étrangers ?

Mme Anne Courrèges. L’article 3 va beaucoup occuper les travaux parlementaires dans les semaines à venir. Concernant l’appel aux anciens donneurs, la question est bien de savoir si nous faisons un appel général à la population des anciens donneurs ou bien si nous menons une démarche proactive en essayant de contacter chacun. Or, au moment où le don avait été fait, nous avions garanti qu’il n’engageait à rien. La démarche elle-même mérite donc d’être réfléchie. Je ne peux pas vous répondre pour ce qui concerne les professionnels de santé des centres de donneurs.

En outre, l’Agence ne pourrait matériellement pas agir en ce sens pour une raison qui se déduit d’ailleurs du projet de loi : il n’existe pas de registre général des donneurs, nous ne disposons pas de ces données et nous n’avons pas le droit d’y accéder puisqu’elles sont couvertes par le secret médical et le secret de la vie privée. Le suivi des donneurs est effectué de façon anonyme par la gestion de bases de données anonymisées. Nous n’avons pas non plus le numéro de sécurité sociale de ces personnes. Au reste, nous n’avons pas à avoir ces données au regard de l’organisation antérieure. Demain avec le registre des donneurs, nous disposerons des données nominatives prévues par la loi. Des garanties seront apportées par la CNIL qui vérifiera que le recueil des données est proportionné et adapté.

La création de la commission ad hoc fait partie des mesures dont nous prenons acte. Elle s’inspirera de l’expérience du CNAOP (Conseil national d’accès aux origines personnelles), sachant que celui-ci gère une situation différente de celle des enfants nés d’AMP, pour lesquels les grossesses ont été désirées et menées à leur terme. Nous devrons travailler avec les centres de don et avec cette commission ad hoc en vue de fluidifier les transmissions de données et de savoir de quelles données les uns et les autres ont besoin. Je souligne que les premières demandes pourront intervenir 18 ans après la mise en place de ce dispositif. Nous ne sommes donc pas en mesure de répondre aujourd’hui à certaines de vos questions, mais des réponses très concrètes seront apportées. Nous avons bien entendu prévu de travailler étroitement avec cette commission ad hoc, la loi l’impose de toute façon.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Vous avez raison de dire que ce sera dans 18 ans. Avez-vous des observations sur les différences à faire entre les données identifiantes et les données non identifiantes, notamment médicales ?

Mme Anne Courrèges. Le projet de loi énumère de façon très générale un certain nombre de données et renvoie à un décret en Conseil d’État le soin d’en préciser le contenu. Il faut discuter de tout cela avec les professionnels et les enfants nés de dons pour savoir ce dont ils ont besoin. Nous connaissons cette situation dans d’autres champs d’activité de l’Agence : essayer de graduer le degré de précision pour que les données non identifiantes restent non identifiantes. Une demande ancienne existait visant à comprendre son histoire personnelle et à pouvoir s’inscrire dans une histoire familiale, je crois que les professionnels de santé s’y sont d’ailleurs ralliés. Certains enfants nés d’AMP se contenteront de ces données non identifiantes, d’autres auront besoin d’aller jusqu’à l’identité du donneur. C’est une histoire personnelle, un choix individuel. Il sera essentiel de bien calibrer ces éléments pour être capable de répondre aux attentes tout en restant dans le non identifiant, puisque cette question se résoudra par l’accès à l’identité si on veut aller plus loin.

 

L’audition s’achève à onze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du mardi 3 septembre à 9 heures 30

Présents.  Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thibault Bazin, Mme Valérie Beauvais, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, Mme Marine Brenier, M. Xavier Breton, Mme Anne‑France Brunet, M. Guillaume Chiche, M. Francis Chouat, Mme Bérangère Couillard, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré‑Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Nathalie Elimas, Mme Elsa Faucillon, M. Bruno Fuchs, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Brahim Hammouche, M. Patrick Hetzel, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Anne-Christine Lang, Mme Monique Limon, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Marilossian, M. Didier Martin, Mme Sereine Mauborgne, M. Maxime Minot, Mme George Pau-Langevin, Mme Bénédicte Pételle, Mme Sylvia Pinel, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, M. Alain Ramadier, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Laurianne Rossi, M. Hervé Saulignac, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Pierre Vatin, M. Olivier Véran, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet, Mme Martine Wonner

Assistait également à la réunion. - M. Erwan Balanant