Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

– Audition du Pr Nathalie Rives, présidente de la Fédération des Centres d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme (CECOS), responsable du CECOS Rouen Normandie, cheffe du service du laboratoire de biologie de la reproduction – CECOS, CHU RouenNormandie, Dr Florence Eustache (CECOS Jean Verdier, Paris), Dr Véronique Drouineaud (CECOS Paris Cochin) et Mme Valérie Benoit, psychologue (CECOS Nice), Pr Michaël Grynberg, chef du service Médecine de la reproduction et préservation de la fertilité, Hôpital Antoine-Béclère, Pr Thomas Freour, chef du service Médecine et Biologie du développement et de la reproduction, CHU de Nantes, et Pr Rachel Lévy, vice-présidente de la fédération Biologistes des Laboratoires d’Étude de la Fécondation et de la Conservation de l’œuf (BLEFCO)               2

 Présences en réunion....................................3

 


Mardi
3 septembre 2019

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 19

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 3 septembre 2019

L’audition débute à onze heures cinquante-cinq.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

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La commission spéciale procède à l’audition du Pr Nathalie Rives, présidente de la Fédération des Centres d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme (CECOS), responsable du CECOS Rouen Normandie, cheffe du service du laboratoire de biologie de la reproduction – CECOS, CHU RouenNormandie, Dr Florence Eustache (CECOS Jean Verdier, Paris), Dr Véronique Drouineaud (CECOS Paris Cochin) et Mme Valérie Benoit, psychologue (CECOS Nice), Pr Michaël Grynberg, chef du service Médecine de la reproduction et préservation de la fertilité, Hôpital Antoine-Béclère, Pr Thomas Freour, chef du service Médecine et Biologie du développement et de la reproduction, CHU de Nantes, et Pr Rachel Lévy, vice-présidente de la fédération Biologistes des Laboratoires d’Étude de la Fécondation et de la Conservation de l’œuf (BLEFCO).

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. La seconde audition de la matinée va nous permettre d’appréhender certaines dispositions du projet de loi dans la perspective des praticiens. Vous êtes bien sûr concernés par les dispositions du titre premier, mais pas seulement. La commission pourra profiter des observations que vous pourrez formuler pour deux autres articles tels que l’article 16 posant une limite de conservation des embryons proposés à la recherche, ou les articles 20 et 21 qui concernent les interruptions de grossesse.

Pr Nathalie Rives, présidente de la Fédération française des CECOS, responsable du CECOS Rouen Normandie, cheffe du service du laboratoire de biologie de la reproduction – CECOS CHU Rouen-Normandie. Dans un premier temps, nous souhaitons indiquer que le projet de loi relatif à la bioéthique offre de nouvelles perspectives qui concernent l’assistance médicale à la procréation (AMP) auxquelles la majorité des professionnels est tout à fait favorable. Il s’agit des possibilités d’extension de l’AMP avec tiers donneur aux couples de femmes et aux femmes seules. Après de longues années d’attente cela permettra d’offrir à ces femmes des possibilités de prise en charge comparables à celles des couples infertiles. Le projet autorise, sans l’encourager, la possibilité de conservation ovocytaire hors indication médicale. Un certain nombre de critères seront définis par décret ultérieurement. Il pose aussi les principes d’une limite à l’âge de procréer, à définir plus précisément, et ceci aura un impact pour la conservation des gamètes et des embryons. Il prévoit également d'ouvrir l’utilisation des tissus germinaux pour une restauration de la fonction hormonale, en dehors du procédé de greffe pour restaurer la fertilité

Par ailleurs, le projet maintient de grands principes fondamentaux relatifs à l’AMP avec tiers donneur, notamment le principe de gratuité et de non-marchandisation, déclinaison de la non-marchandisation des éléments et produits du corps humain. Le projet de loi apporte un certain nombre de modifications relatives à l’AMP avec tiers donneur et au principe de filiation sur lesquelles l’ensemble des professionnels émet un avis favorable, défavorable ou réservé. Nous sommes favorables à la transmission de données non identifiantes au jeune majeur conçu par don. Nous avons un avis beaucoup plus réservé sur la transmission de l’identité du donneur. Nous sommes favorables – nous l’avions d’ailleurs proposé – à la constitution d’un registre national des donneurs qui permettra de gérer l’ensemble de ces éléments et qui, sur le long terme, aura certainement d’autres missions. Nous sommes également favorables à la constitution d’une commission pour la transmission des données non identifiantes et de l’identité du donneur, qui ne serait pas une extension du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP). Le projet de loi propose par ailleurs un mode de filiation réservé aux couples de femmes, mais qui, dans le cadre du projet discuté au Conseil d’État, l’envisageait pour les couples infertiles et les femmes seules : une déclaration anticipée de volonté avec inscription en marge de l’acte intégral de naissance, à laquelle nous sommes complètement opposés puisque cela ne respecte pas les grands principes de notre République que sont l’égalité, la fraternité et la liberté et aussi le principe de non discrimination selon la naissance, voire l’origine ainsi indiquée quelle qu’elle soit.

Il définit également l’ensemble des propositions uniquement dans l’intérêt suprême de l’enfant, que nous défendons. Malheureusement, dans ce projet de loi, il y a de grands oubliés que sont l’intérêt du donneur et l’intérêt des parents ou du parent, ce qui mériterait très certainement des ajustements sans forcément bouleverser tout le projet.

Celui-ci n’a malheureusement pas mis l’accent sur un certain nombre d’éléments auxquels nous sommes particulièrement attachés ; il n’y a rien sur l’infertilité : la notion d’infertilité de couple a complètement disparu. Nous sommes favorables à l’extension aux couples de femmes et aux femmes seules, mais je pense que la mention « d’infertilité » mériterait d’être mentionnée à nouveau, parce que nous avons des craintes pour la prévention et la recherche dans les domaines de l’infertilité et de l’embryologie, voire de l’assistance médicale à la procréation. Ce point peut bien sûr ne pas faire partie du texte de loi lui-même, mais un certain nombre d’actions doivent être prévues dans l’application de la loi.

Le projet ne mentionne pas non plus la nécessité de la formation qui doit être associée à la conservation ovocytaire et spermatique, hors indication médicale, sur la baisse de la fertilité liée à l’âge, mais aussi sur l’âge auquel on souhaite accéder à la parentalité.

Bien sûr, le projet combine un ensemble de propositions qui émanent de réflexions éthiques, scientifiques, de décisions politiques, mais il faut anticiper les conditions de leur mise en œuvre pratique. Ce sont des moyens humains et matériels, mais pas uniquement parce qu’un certain nombre de dispositions nécessitent des accompagnements juridiques.

Pour l’AMP avec tiers donneur, la disponibilité des gamètes devra être prise en considération pour éviter d’entendre en permanence le risque de pénurie. Notez qu’à l’heure actuelle, on ne peut pas parler de pénurie de spermatozoïdes ; nous sommes plutôt en flux tendu ou en crainte de pénurie éventuelle. La situation est plus difficile pour le don d’ovocytes, voire l’accueil d’embryons. Il convient d’éviter qu’une pénurie n’apparaisse et que cette loi n’offre pas ce qu’elle prétend offrir aux couples de femmes et aux femmes seules.

Pr Michaël Grynberg, chef du service de Médecine de la reproduction et préservation de la fertilité à l’hôpital Antoine-Béclère. Ce projet de loi et les avancées qu’on peut en attendre sont un enjeu crucial pour nous, en médecine de la reproduction. Il faut tout de même replacer les choses dans leur contexte : aujourd’hui, l’assistance médicale à la procréation est une médecine qui ne marche pas bien, notamment en France, avec des taux de succès qui sont relativement faibles. En matière de recherche, nous ne sommes pas très brillants. Si nous avons plutôt été pionniers dans l’AMP, nous ne le sommes plus du tout aujourd’hui pour diverses raisons, y compris législatives. Ce projet doit nous permettre d’avancer à plusieurs niveaux, certes pour ouvrir à des problématiques sociétales et à des demandes tout à fait légitimes, mais également pour permettre un accès plus aisé à l’innovation, qui est particulièrement compliqué aujourd’hui.

Nous devons absolument autoriser un accès égalitaire à l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes célibataires, en couple ou couples hétérosexuels, qu’il n’y ait aucune discrimination. Nous sommes tous d’accord sur ce point. Je relève toutefois dans le projet de loi que des consultations psychologiques doivent être réalisées pour les femmes célibataires ou les femmes homosexuelles, ce qui n’est pas le cas pour les couples hétérosexuels – cela doit donc être fait différemment. En tout cas, la demande doit être réfléchie avec l’équipe médicale, qui sera à même de juger si oui ou non, il est nécessaire de proposer cette consultation psychologique.

Il est tout à fait normal d’ouvrir l’autoconservation ovocytaire aux femmes qui n’ont pas de problème médical : nous n’avons pas d’autres moyens de lutter contre l’infertilité liée à l’âge, qui est un véritable problème. La seule avancée technique est la vitrification ovocytaire.

Dans le projet de loi, j’ai relevé des paramètres d’âge, avec un remboursement possible entre 32 ans et 37 ans, ce qui n’est pas du tout entendable. On a l’impression que cette décision est prise sur des perspectives de taux de succès éventuels et, surtout, en fonction de problématiques de remboursement. Il nous faut dissocier le remboursement et l’autorisation. D’ailleurs, après 43 ans, l’AMP n’est pas interdite, mais elle n’est plus prise en charge. De quelle manière pourrions-nous dire qu’on interdit l’autoconservation à partir de 37 ans ? Cela n’a pas de sens, d’autant qu’à des femmes qui ont des cancers, ce sera autorisé éventuellement jusqu’à 40 ans, voire au-delà. Nous ne pouvons pas nous permettre d’agir ainsi, d’autant que les femmes qui présentent une pathologie ont peut-être une qualité ovocytaire altérée et ont peut-être même moins de chances d’enfanter que les femmes qui le feraient pour raison sociétale.

Je laisserai Thomas Fréour s’exprimer sur les problématiques plus biologiques, mais je voudrais vous faire part de quelques réflexions sur l’innovation. Notez que l’innovation en France est particulièrement compliquée. Dès lors que des nouveautés apparaissent dans le domaine de la médecine de la reproduction, en France, nous sommes trop limités pour y avoir accès. C’est une perte de chances pour nos patients. Nous avons l’impression que le screening génétique des aneuploïdies n’est pas envisagé dans ce projet de loi. C’est pourtant une vraie avancée pour les couples, pour éviter de leur faire perdre du temps, pour arriver plus vite au succès ou les orienter plus rapidement vers d’autres alternatives, et enfin pour la recherche. Quand on évalue des taux de succès pour les grossesses, on est confronté un biais car on ne sait pas si on a mis des embryons bons génétiquement ou non. Nous biaisons toutes nos recherches et sommes limités par rapport aux pays voisins.

Pr Thomas Freour, chef du service de Médecine et biologie du développement et de la reproduction au CHU de Nantes. Je n’ai pas grand-chose à ajouter par rapport à ce que vient de déclarer Michaël Grynberg. Je représente la partie biologique du binôme médical qui s’occupe de la prise en charge dans l’assistance médicale à la procréation. Je suis heureux de partager avec vous mon expérience de terrain de praticien d’AMP en France et ma modeste expérience en Espagne. À tous les éléments listés par Michaël Grynberg, auxquels j’adhère absolument, j’ajoute que de mon point de vue, il apparaît essentiel dans ce projet de loi de repenser la politique générale du don de gamètes en France. Au-delà des aspects juridiques qui sont évidemment extrêmement importants, son organisation au sein des territoires et des centres impose à mon avis une réflexion approfondie. Si l’organisation actuelle répond à des demandes, il me semble qu’elle atteint un certain nombre de limites et mériterait d’être perfectionnée. Pour cela, des moyens sont certes nécessaires mais ces moyens ne sont pas forcément à même de répondre à eux seuls à cette demande.

Je serai également heureux d’échanger avec vous sur les conditions de la transition entre le régime d’anonymat et le régime de levée d’anonymat, auquel j’adhère complètement, pour les donneurs de sperme. Cette transition est extrêmement importante et peut cristalliser des craintes des professionnels et du public.

Enfin, je rebondis sur les propos de Michaël Grynberg : il me paraît important de faciliter le fonctionnement des centres d’AMP et de responsabiliser les professionnels – qui le sont déjà évidemment. Je pense que le rôle de l’Agence de la biomédecine pourrait être repensé et optimisé pour assurer un soutien et un support aux professionnels plutôt que parfois apparaître malencontreusement comme un cadre contraignant, ce qui n’est évidemment pas sa vocation.

Pr Rachel Levy, vice-présidente de la Fédération des biologistes des laboratoires d’études de la fécondation et de la conservation de l’œuf (BLEFCO). Le BLEFCO est la société savante qui regroupe tous les biologistes du public et du privé. Nous comptons 270 membres adhérents actifs et représentons l’ensemble des centres d’AMP français. Nous saluons, ici, le projet de révision de la loi de bioéthique, et en particulier l’accès à l’AMP aux femmes en couple ou célibataires et la possibilité d’autoconservation des ovocytes en dehors d’une pathologie. Nous souhaitons aborder trois points au cours de cette audition. Le premier concerne un plan national Fertilité AMP avec trois volets :

-          un volet prévention, pédagogie, éducation dont l’objectif sera l’information des adolescents, des jeunes adultes, des adultes femmes et hommes sur la physiologie de la reproduction et les effets de l’âge, mais aussi des modes de vie sur la fertilité ;

-          un volet recherche portant entre autres sur l’étude des causes de l’infertilité, dans les suites du groupe de travail Inserm/Agence de la biomédecine de 2011, et sur l’amélioration de nos pratiques. Ce rapport mérite d’être actualisé et ses conclusions présentées aux professionnels de santé et aux jeunes adultes ;

-          au-delà, nous plaidons pour un soutien clair et fort à la recherche fondamentale et clinique dans le domaine de la reproduction, par exemple par le biais d’appels d’offres dédiés et surtout une réflexion médico-économique sur la situation actuelle des activités biologiques d’AMP en France et l’impact des modifications prévues par la loi de bioéthique.

Nous rappelons ici trois spécificités de notre activité : notre discipline relève d’une biologie hautement spécialisée, interventionnelle ; il n’est pas possible de déplacer des gamètes et de travailler sur un seul site ; il n’est pas possible d’automatiser notre activité ni de travailler en série. De ce fait, aucune stratégie de réduction de coûts par économies d’échelle n’est envisageable en AMP. Du fait des évolutions technologiques rapides, le coût des équipements, des milieux spécifiques et des consommables ne fait que croître. S’y ajoutent les contraintes réglementaires, coûteuses et chronophages.

Nous avons dû subir une diminution récente de la cotation de l’acte de micro-injection, l’ICSI (micro-injection intracytoplasmique) de B 2006 à B 2005, mais nous saluons la mise à jour avec la cotation en B des activités de vitrification ovocytaire et embryonnaire. Nous restons bien sûr vigilants sur les négociations 2020 et 2022 en cours.

Pour que la loi de bioéthique soit applicable dans des conditions satisfaisantes et continue à garantir une offre de soin de qualité à l’ensemble des patients dans des délais acceptables, il est indispensable que soit réalisée une cartographie précise, par région, de l’adéquation entre l’offre de soin actuelle et les futures demandes, et que chaque centre d’AMP, public et privé, puisse disposer des moyens adéquats en temps médical, paramédical et autre. Nous souhaitons également qu’un représentant de notre société savante soit associé à l’évaluation des surcoûts inhérents aux modifications de la loi.

Le deuxième point est celui de l’AMP post mortem. Aujourd’hui, en cas de décès d’un membre du couple, le projet de la loi prévoit de consulter le membre survivant sur le devenir des embryons obtenus par AMP et conservés avec, comme seul choix, l’arrêt de leur conservation, leur accueil ou leur utilisation à des fins de recherches. Ainsi, en cas de décès de son conjoint, la partenaire d’un couple disposant d’embryons conservés se verrait contrainte de choisir entre la destruction, la recherche ou l’accueil par un couple ou par une femme célibataire devenue veuve. Elle pourrait solliciter pour elle-même un accueil d’embryon provenant d’un autre couple, mais n’aurait pas la possibilité de disposer des embryons conçus dans le cadre de son projet parental. De même, en cas de décès du conjoint ayant autoconservé ses spermatozoïdes, elle serait autorisée à requérir un don de spermatozoïdes, mais ne pourrait avoir accès aux gamètes autoconservés de son conjoint que la loi nous contraint à détruire par ailleurs. Dans les deux cas, c’est une double peine : perte du conjoint et impossibilité d’avoir accès ni aux gamètes conservés ni aux embryons conçus dans le contexte d’un projet parental.

L’ouverture de l’AMP aux femmes célibataires rend inique le maintien de l’interdiction post mortem et nous demandons que le couple puisse exprimer son accord à l’utilisation des embryons en cas de décès du conjoint. De même, l’utilisation post mortem de gamètes conservés nous paraît légitime lorsque le conjoint y a consenti de son vivant dans le contexte d’un désir d’enfant. Dans les deux cas, il sera évidemment indispensable d’accompagner, d’être vigilants et de nous assurer du bien-être de l’enfant.

Enfin, je reviens sur l’évolution technologique. L’ensemble des sociétés savantes de la reproduction s’était prononcé pour le diagnostic préimplantatoire pour aneuploïdies (DPIA) : la possibilité, dans certaines indications, de rechercher sur des embryons préimplantatoires des anomalies chromosomiques incompatibles avec la viabilité d’une grossesse. Cette demande n’a pas été suivie. Or le DPIA est entré dans le soin courant dans la très grande majorité des pays européens. Cette pratique facilite le transfert d’un unique embryon à fort potentiel évolutif et évite la survenue de grossesses multiples. Pour mener des recherches biomédicales en France sur ce sujet, nous demandons l’amendement suivant : « les recherches ayant pour objet l’amélioration de la qualité des soins dans le cadre de l’AMP peuvent être réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon, avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre du couple ou la femme non mariée y consent. Ces recherches n’entravent pas le développement de l’embryon, elles peuvent comporter un prélèvement cellulaire ou liquidien de l’embryon et donner lieu à des analyses biologiques. Ces recherches sont conduites dans les conditions fixées au titre 2 du livre premier de la première partie. »

Enfin, considérant que tous les enfants sont égaux, qu’ils aient été conçus par AMP sans ou avec tiers donneur, le principe même de déclaration anticipée de volonté nous apparaît stigmatisant et discriminant.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vais commencer par les articles 3 et 4 du projet concernant l’accès aux origines, la levée partielle de l’anonymat et la filiation. Je vous remercie pour les notes très intéressantes que vous nous avez transmises concernant l’article 3, l’accès aux origines ; nous avons entendu beaucoup d’éléments la semaine précédente entre les témoignages –  à huis clos – d’enfants et de parents ayant eu recours à des techniques d’AMP et les manques que cette loi vient parfois combler partiellement. Nous avons également entendu des associations, des praticiens, des juristes. Je vous soumets des réflexions qui ont été amenées par ces auditions. Il nous a été demandé d’envisager de graduer la levée partielle de l’anonymat vis-à-vis de l’enfant selon qu’il s’agisse des données non identifiantes ou des données identifiantes, par exemple en laissant à la volonté de l’enfant la transmission des données identifiantes, à la majorité, mais en systématisant la communication plus tôt des données non identifiantes, notamment médicales – cette communication pouvant se faire vers un médecin référent. Pour vous, praticiens, est-ce trop intrusif ou vous semble-t-il opportun de prévoir une telle gradation ?

Une autre question est revenue de façon assez récurrente : le projet de loi prévoit d’instaurer une levée de l’anonymat pour l’avenir, mais qu’en est-il des enfants qui ont été conçus par PMA avec tiers donneur antérieurement et pour qui les donneurs ont donné de façon anonyme ? Dans l’article 3 figure un dispositif qui permet à la personne ayant donné sous le régime de l’anonymat de prendre contact avec la commission ad hoc de sa propre initiative pour faire savoir qu’il donne son consentement à la levée de l’anonymat. Il nous a toutefois été demandé d’être plus proactifs et de prendre l’initiative de contacter l’ensemble des anciens donneurs pour les sensibiliser à cette question de la levée de l’anonymat et savoir s’ils accepteraient une telle levée – comme cela a été fait au Portugal, en Espagne ou dans d’autres pays. Qu’en pensez-vous ? Est-ce d’ailleurs matériellement possible ? Avez-vous tous les contacts nécessaires ?

Une autre question est très sensible : en conséquence de la levée de l’anonymat partielle pour l’enfant, faut-il conserver les pratiques d’appariement qui sont liées, semble-t-il, à cette culture du secret dont nous souhaitons sortir ?

Concernant l’article 4 traitant de la filiation, j’ai lu vos communications : vous êtes fermement opposés à la déclaration anticipée de volonté telle que prévue par le texte – et qui avait été soumise au Conseil d’État. Vous êtes contre ce nouveau mode d’établissement de filiation. Êtes-vous plutôt favorable au rattachement de la filiation des enfants issus de ces PMA homoparentales au droit de la filiation des enfants issus de PMA hétéroparentales ?

Dr Véronique Drouineaud, CECOS Paris Cochin. Nous avons réalisé une enquête au sein de la Fédération des CECOS pour recueillir l’avis des donneurs et donneuses de gamètes, mais également des couples receveurs, des enfants issus du don et des professionnels de santé au sujet de la transmission des données non identifiante. Cette enquête a été réalisée auprès de 70 donneurs de gamètes, 190 couples receveurs, 11 adultes conçus par don – c’est peu, et les questionnaires n’ont pas été analysés – et auprès de 247 membres des CECOS qui comprennent à la fois des psychologues, des psychiatres, des médecins, etc.

Concernant la transmission des données non identifiantes du donneur ou de la donneuse au couple receveur, seulement 47 % des couples receveurs y sont favorables et 37 % y sont défavorables. Les professionnels des CECOS sont plus ouverts.

En revanche, quand on leur a posé la question de savoir s’ils considéraient qu’un simple accès à des données non identifiables était suffisant, 75 % des couples receveurs et des professionnels des CECOS pensaient que c’était le cas et ne souhaitaient pas une transmission de l’identité du donneur. Leur attitude est donc plutôt réservée.

Pour leur part, tous les donneurs étaient d’accord pour que leurs données non identifiantes soient transmises aux couples et une majorité d’entre eux était également d’accord pour les transmettre aux enfants. Ils présentent donc une attitude plutôt ouverte à ce propos.

Nous avons interrogé les receveurs pour savoir s’ils avaient envie de connaître les données non identifiantes : plus de 75 % des couples receveurs pensaient qu’il était important que les données non identifiantes du donneur ou de la donneuse leur soient transmises.

Nous avons demandé quelles données non identifiantes pourraient être transmises au couple. Trois types de données non identifiantes ont été cités :

-          les antécédents médicaux dans 95 % des cas ;

-          le groupe sanguin dans 88 % des cas ;

-          l’origine géographique du donneur ou de la donneuse dans 71 % des cas.

Ces éléments se comprennent aisément, les couples receveurs ayant la responsabilité de l’enfant.

De toute façon, actuellement, les couples receveurs demandent très souvent à connaître les antécédents médicaux, ce qu’on ne peut pas faire sauf en cas de nécessité thérapeutique. Le groupe sanguin apparaissait comme le critère prioritaire sur l’ensemble des trois groupes à étudier, autant pour les couples receveurs que pour les donneurs et les professionnels de santé. Les professionnels ont un profil d’expression et d’avis similaire à celui des couples receveurs. En revanche, certaines données non identifiantes sont très rarement choisies par les couples receveurs et les professionnels : le statut de père et mère du donneur ou de la donneuse, la profession, les loisirs – nous avions proposé une liste. Ils sont en revanche intéressés par les caractéristiques physiques phénotypiques.

Nous leur avons posé des questions concernant les conséquences possibles dans le cas où les couples auraient accès aux données non identifiantes. Les trois groupes étudiés pensent que cela faciliterait la démarche du couple pour informer l’enfant de son mode de conception, car ils disposeraient d’éléments concernant le donneur. Plus d’un tiers des couples receveurs pensaient que cela n’aurait pas de conséquence sur leur relation avec leur enfant. Très peu de personnes pensaient que les relations du couple avec l’enfant se compliqueraient.

Concernant la transmission des données non identifiantes aux enfants, les couples receveurs expriment une réserve plus importante encore puisque seulement 38 % d’entre eux y sont favorables, tandis que plus de 60 % des donneurs et des professionnels y sont favorables.

Par ailleurs, 92 % des couples receveurs pensent que l’accès de l’enfant aux données non identifiantes est suffisant. Ils ne souhaitent donc pas que l’identité du donneur ou de la donneuse soit transmise à l’enfant. En outre, 45 % des donneurs pensent que l’accès de l’enfant à ces données est suffisant et 25 % d’entre eux pensent que l’enfant devrait avoir accès à l’identité du donneur. Pour leur part, 75 % des professionnels pensent que l’accès de l’enfant aux données non identifiantes est suffisant.

Lorsque nous avons interrogé les différents groupes pour savoir à quel âge l’enfant pourrait accéder aux données non identifiantes, nous avions proposé plusieurs items : le critère le plus souvent choisi est la majorité de l’enfant. Les couples, les professionnels ou les donneurs pensent en effet que la transmission de ces données non identifiantes devrait se faire à la majorité. La tranche 15 ans/16 ans arrive en deuxième position et le critère « à tout âge » arrive en troisième position.

Nous avions posé la question de savoir de quelle manière les données non identifiantes devaient être transmises à l’enfant. Une majorité de couples receveurs, 55 %, pensent que les données non identifiantes doivent être transmises seulement aux parents, ce qui traduit certainement une nécessité de contrôler l’information. Ils ont certainement envie de décider de transmettre eux-mêmes ou non ces informations. Seulement 31 % des donneurs et 24 % des professionnels des CECOS pensent que ces données non identifiantes devraient être uniquement transmises aux parents.

Trois types de données non identifiantes à transmettre aux enfants ressortent pour les couples receveurs : les antécédents médicaux, le groupe sanguin, et l’origine géographique.

Ces critères sont également choisis préférentiellement par les professionnels des CECOS.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Pourriez-vous nous transmettre ces données ?

Dr Véronique Drouineaud. Bien sûr.

Pr Nathalie Rives. En ce qui concerne la possibilité de recontacter les donneurs qui ont donné sous le régime actuel, leur recrutement a commencé en 1973 pour le plus ancien des CECOS. La création des CECOS s’est étendue jusque dans les années quatre-vingt, voire en 2015 ou 2016 pour les centres peu actifs. Durant cette période, différents régimes de fonctionnement ont été observés : avant la loi de bioéthique de 1994, à partir de la loi de 1994, la révision de 2004 et la révision de 2011.

Il est vrai que les consentements signés indiquaient bien au donneur que le seul motif qui justifierait de le recontacter, et encore plus après la loi de bioéthique, serait le besoin de transmettre des informations d’ordre médical, par exemple une pathologie découverte chez un enfant issu du don pour lequel on suspecterait une origine génétique qui n’aurait pas été identifiée chez le donneur au moment de la prise en charge, et inversement. En aucun cas, nous n’avons indiqué que nous recontacterions les donneurs pour remettre en question le consentement signé et les conditions du consentement. Par ailleurs, sur une durée de plus de 45 ans, les coordonnées du donneur ont certainement beaucoup évolué. L’identité du donneur est bien entendu conservée avec les données d’adresse. Avant la loi de 1994, nous avons peut-être conservé des identités puisqu’il n’y avait pas de règle de fonctionnement uniforme, mais à partir de 1994, cette règle a été partout appliquée. La loi pouvait prêter à confusion puisqu’on nous demandait d’anonymiser les dossiers (seule la dernière révision a demandé de les conserver pendant plus de 40 ans).

Mme Coralie Dubost. Depuis 1994, vous détenez donc tous les noms des donneurs quand bien même l’anonymat demeure. Êtes-vous également en mesure d’associer les identités des donneurs aux enfants qui en sont issus, ou est-ce décorrélé ? N’existe-t-il aucune donnée antérieure à 1994 ou bien tout dépend-il des CECOS ?

Pr Nathalie Rives. Il est important de garder à l’esprit que les personnes qui travaillent actuellement dans les CECOS n’ont plus rien à voir avec celles qui y travaillaient à leurs débuts. Vous nous interrogez sur des modes de fonctionnement historiques pour lesquels nous n’avons pas forcément tous les éléments de réponse. Avant 1994, les fonctionnements étaient peut-être différents, l’identité du donneur pouvait être recueillie ou pas. Pour chaque donneur, même anonymisé, nous avons les indications sur le nombre de naissances, mais nous ne pouvons pas forcément « associer » des enfants précis à un donneur précis si dans le centre concerné, l’anonymisation était complète avant 1994 et que ni l’identité du donneur ni ses données n’étaient conservées, ce que nous ne pouvons pas écarter. Il n’existait à l’époque aucun cadre législatif.

J’insiste sur le fait qu’une loi rétroactive remettrait en question un consentement signé dans un cadre donné. Recontacter un donneur revient à remettre en question le consentement signé. Nous lui demanderions s’il est d’accord de transmettre son identité, mais nous ne pourrions pas lui indiquer le nombre d’enfants conçus à partir de son don puisque la loi ne le permettait pas. La loi ne pourra être rétroactive sur tous ces points. Nous l’interrogerons donc, mais il n’aura aucune possibilité d’avoir des informations en dehors d’éléments médicaux particuliers. Par ailleurs, nous ne pouvons pas accéder à des adresses qui ne correspondraient plus à celles qui sont indiquées dans nos dossiers. Il ne faut pas laisser supposer que c’est faisable, ce qui donnerait de faux espoirs.

Les pratiques actuelles d’appariement sont relativement anodines ; nous entendons des propos très variés à ce sujet. Ces pratiques ont pour but de maintenir le secret. Je reviens donc sur la notion de maintien du secret. Au début de l’assistance médicale à la procréation, la société était très différente, notamment dans sa façon d’appréhender l’infertilité – masculine plus que féminine – et dans le regard qu’elle posait sur l’homme infertile. Je vous rappelle que chaque praticien a la responsabilité de gérer, en toute autonomie, la prise en charge médicale selon le code de déontologie médicale. Nous ne pouvons donc pas donner de réponse pour l’ensemble des praticiens. J’exerce ma profession depuis la promulgation de la première loi de bioéthique en 1994 et je n’avais aucun élément d’information spécifique autour du don à ce moment-là. Les travaux et les échanges que nous avons au sein de la Fédération des CECOS, sans parti pris, ont toujours été dans le sens de l’information de l’enfant sur son mode de conception. Depuis 1994, nous incitons les parents à informer l’enfant sur son mode de conception, mais nous ne pouvons le faire nous-mêmes ni le vérifier.

Une étude achevée en juin dernier portant sur les pays tels que la Suède qui ont été les premiers à lever l’anonymat montre que l’on ne peut connaître le pourcentage d’enfants réellement informés, car personne n’a convoqué les enfants en leur demandant si oui ou non ils avaient été informés d’avoir été conçus par don. Ce n’est pas possible. Des études déjà menées ou en cours, analysent l'intention des parents d’informer, mais en aucun cas ne traitent de l’information effective de l’enfant.

L’appariement se basera sur un principe d’origine géographique – pour éviter de dire « ethnique ». Un donneur est de type européen, né sur le territoire français, a des parents de type européen, etc. Un donneur de ce type sera attribué à un couple qui est lui-même dans cette situation. Si des spécificités d’origine géographique apparaissaient – un couple d’origine d’Afrique noire, un couple d’origine du Maghreb ou un couple d’origine asiatique – nous essaierions d’attribuer un donneur de cette origine sachant que nous avons de grandes difficultés à répondre à ces situations particulières parce que nous avons peu de candidats au don et de donneurs qui acceptent.

Concernant les autres critères, quand dans un couple, l’homme a les yeux marron, les cheveux châtain et la peau claire, nous essayons d’attribuer un donneur avec les cheveux châtain, les yeux marron et la peau claire ; on peut sélectionner 100 personnes avec ces simples éléments, toutes seront certainement très différentes.

Mme Coralie Dubost. Il existe donc un appariement sur la couleur des cheveux et des yeux ?

Pr Nathalie Rives. Pas forcément. Un couple peut très bien avoir les cheveux marron, les yeux marron et avoir des enfants blonds aux yeux bleus. Ce critère est donc un critère accessoire. Nous pouvons toutefois être amenés à choisir un groupe rhésus parce que la femme est de groupe rhésus négatif ; nous essayons alors d’attribuer un donneur de rhésus négatif. Parfois, les combinations de groupes sanguins font que cela n’a aucune espèce d’importance.

En ce qui concerne la déclaration anticipée de volonté, nous avons clairement dit que nous sommes opposés à ce principe, pas uniquement parce que nous sommes dans le cadre du don, mais pour satisfaire au principe général selon lequel aucun citoyen français ne doit être identifié ou discriminé au vu de ses conditions de naissance, qu’il s’agisse de son mode de conception, de son origine sociale ou de son origine géographique.

Pr Thomas Freour. Je remercie les CECOS d’avoir pris la parole sur tous ces sujets. Je rappelle aussi que si la Fédération des CECOS a ouvert et a brillamment promu et développé le don de gamètes en France, il n’est pas obligatoire de faire partie des CECOS pour pratiquer le don de gamètes en France. C’est un label, une fédération de professionnels, très en avance dans ce domaine depuis longtemps et qui représente la très grande majorité de l’activité de don de gamètes en France, même si elle n’est pas la seule à l’exercer. L’étude présentée est extrêmement intéressante mais elle ne porte que sur 70 donneurs, c’est-à-dire 15 % à 20 % de l’activité d’une année. Je m’interroge donc sur la représentativité des conclusions qui ont pu être portées à votre connaissance.

Mme Romeiro Dias. Je vais partir des souhaits exprimés par la Fédération des CECOS lors des États généraux et en l’espèce :

-          mettre en place un registre national des donneurs de gamètes et d’embryons géré par un organisme d’État indépendant des centres mettant le don en œuvre ;

-          assurer le respect des dispositions réglementaires concernant la limitation du nombre de naissances par donneur, le nombre de dons par donneuse, le suivi des donneuses au travers de ce registre ;

-          ne plus faire reposer la gestion de l’anonymat des donneurs sur la seule responsabilité des professionnels des CECOS.

Par effet miroir, je m’interroge sur la partie du texte que je rapporte, qui inclut l’évolution des missions de l’Agence de la biomédecine. Ce que les professionnels ont exprimé à travers ces souhaits, de même que les retours d’usagers que nous avons pu avoir dans les témoignages, notamment sur les disparités de pratiques territoriales qui peuvent exister, sont comme un appel direct à faire évoluer le rôle de l’Agence. Le projet de loi fait évoluer certaines de ses missions. Cela vous paraît-il suffisant ? Que jugeriez-vous nécessaire de faire évoluer davantage ? J’ai fait tout à l’heure un parallèle avec le rôle de l’Agence en matière de don d’organes. Ce type de mission vous paraît-il adéquat en matière de procréation ?

Pr Thomas Freour. Merci beaucoup de votre remarque concernant le rôle central de l’Agence de la biomédecine et ses éventuelles évolutions. À mon sens, l’Agence pourrait commencer par réaliser un audit territorial de l’offre de soins dans le domaine du don de gamètes. Je ne suis pas sûr que les candidats au don de gamètes qui habitent au bout du Pays basque soient prêts à prendre le train ou leur voiture à plusieurs reprises pour aller à Bordeaux ou à Toulouse. Nous pourrions multiplier les exemples. Il existe deux centres d’AMP privés dans le Pays basque. L’Agence de la biomédecine s’honorerait à s’assurer que l’ensemble des centres pratiquant le don de gamètes, CECOS ou non, publics ou privés dans le futur – ce que je souhaite – respectent une charte de fonctionnement général. On imagine mal que nos collègues du secteur privé – et je ne parle pas en leur nom, mais à titre personnel – qui assurent déjà plus de la moitié de l’activité d’AMP en France – le don de gamètes étant de l’AMP au sens de la loi – ne seraient pas capables de participer à cette activité, en tout cas pour ceux qui le souhaitent.

L’Agence de la biomédecine publie les niveaux d’activité et les résultats de chaque centre en ce qui concerne l’activité autologue. Il paraît impensable que les centres qui font du don de gamètes ne publient pas également le nombre de donneurs recrutés et acceptés et le résultat de l’utilisation de ces gamètes.

Même si les compétences sont là, la profession au sens large souffre d’un déficit de communication intercentres et d’interactivité pour de simples contraintes d’informatique et de sécurité des données – ce qui déplace un peu le rôle de l’Agence de la biomédecine. Je ne critique pas les éditeurs de logiciels existants. Néanmoins, l’Agence pourrait là aussi prendre la main et imposer un certain nombre de cadres informatiques qui permettraient d’optimiser l’échange des données. Le sujet du big data sera abordé ; en France, nous sommes extrêmement loin des standards de qualité du big data pour l’analyse des données d’AMP.

Pr Nathalie Rives. Un certain nombre de propositions ont été avancées préalablement à la révision de la bioéthique. Il est certain que la constitution du registre national des donneurs ouvre la possibilité d’un système évolutif permettant de répondre aux modifications ultérieures qui seront envisagées dans la loi pour les prochaines années très certainement.

Je partage l’avis de mon collègue quant à l’évaluation de l’offre de soins à l’échelle nationale, mais celle-ci devrait aussi s’étendre à l’utilisation des moyens que nous n’avons pas encore utilisés, en vue d’optimiser le fonctionnement des centres actuels avant d’envisager d’étendre le périmètre des centres autorisés.

Vous savez que les centres de don sont financés par des dotations « mission d’intérêt général » (MIG), que ces dotations arrivent bien dans les établissements hôtes, mais que leur « descente » vers les centres eux-mêmes n’est pas à la hauteur des espérances. Certains n’ont pas de moyens pour optimiser le don et faire de la communication pour recruter les donneurs.

Seule l’Agence de la biomédecine peut conduire des campagnes annuelles ou bisannuelles d’information qui ont prouvé leurs effets. Ce n’est cependant pas suffisant. Nous souhaiterions donc que certaines prérogatives de l’Agence soient redéfinies sur les territoires avec une communication adaptée à chaque territoire et à sa population.

Je partage également un certain nombre d’avis sur l’interprétation et l’utilisation des données que l’on transmet à l’Agence de la biomédecine – dont la plupart sont recueillies dans le cadre d’AMP intraconjugales. Il faut effectivement développer des outils pour interpréter les résultats et améliorer le taux de succès des techniques d’AMP.

Pr Thomas Freour. Je tiens à préciser que la communication sur le don de gamètes n’est pas la prérogative de l’Agence de la biomédecine. Si elle est la seule à avoir les moyens de le faire à l’échelle nationale, toutes les actions de communication sont possibles sur le plan local et nous en sommes la preuve au CHU de Nantes.

Pr Nathalie Rives. Nous faisons de la communication, mais sous l’ombrelle de l’Agence de la biomédecine et avec les moyens qui vont avec.

Pr Michaël Grynberg. La problématique des moyens consacrés au don a été soulevée. Il en est exactement de même pour l’autoconservation. Je vous donnerai mon propre exemple. J’ai été recruté à Clamart en vue de développer l’autoconservation ovocytaire. Au bout de deux mois, on m’a dit de mettre fin au projet médical pour lequel j’avais été recruté parce qu’on n’avait pas les moyens : si je voulais développer l’autoconservation ovocytaire pour motif médical, il faudrait faire moins d’AMP ou de DPI : il faut faire des choix. Dans le système public actuel, il faut être clair : les moyens manquent, et ceci va dans le sens de l’ouverture de l’AMP aux centres privés, y compris ceux à but lucratif, qui ne vont pas faire moins bien que les autres, qui seront soumis aux mêmes contraintes que nous et qui auront peut-être même plus de moyens de développer l’AMP que ce que nous pouvons avoir. Il en va de même pour le don. Aujourd’hui, il faut nous rendre à l’évidence, nous n’avons pas les moyens de développer l’AMP dans le secteur public.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Que pensez-vous d’une centralisation des informations concernant les dons de gamètes en vue d’une harmonisation sur le territoire national et d’un meilleur pilotage de l’offre de soins – d’autant que nous pouvons nous attendre à une pénurie compte tenu de ce qui va survenir avec le projet de loi et les mesures transitoires ?

S’il est créé un registre géré par l’Agence, serait-il important d’assurer un suivi médical des donneurs de gamètes et des receveurs de gamètes, qui pourrait se concentrer sur les pathologies de type génétique ou héréditaire ? Il conviendrait d’agir dans les deux sens, depuis le donneur jusqu’au receveur et du receveur jusqu’au donneur.

Pr Rachel Levy. Ce sont deux questions extrêmement importantes. Nous avons demandé la centralisation des informations et avons souhaité une harmonisation et une homogénéisation. L’Agence de la biomédecine paraît être l’interlocuteur naturel pour effectuer cette nouvelle mission. Nous espérons que cette institution aura les moyens de mener à bien cette nouvelle activité. Nous, les centres d’AMP, serons prêts à y participer.

La question du suivi médical concerne les donneurs de gamètes et les couples receveurs mais aussi les enfants, qui peuvent présenter des pathologies génétiques, mais pas uniquement. Il est indispensable qu’il y ait une médiation entre les couples donneurs, les receveurs et l’enfant, une possibilité de transmission d’informations, en particulier médicales. Nous trouverons des solutions pour que cette transmission d’informations se fasse dans un cadre régulé. Les liens qui seront établis entre l’Agence de la biomédecine et la commission qui devrait être créée pour être l’élément médiateur entre ces différents partenaires seront cruciaux.

Pr Thomas Freour. Si j’ai bien compris votre question, vous parliez non seulement de centraliser des informations, mais également de centraliser la gestion des gamètes sans qu’ils voyagent. Il paraît techniquement faisable de les faire voyager, mais avec une lourdeur infinie. Cela dit, à tire d’anecdote, l’Italie est un pays où le don de gamètes fonctionne encore moins bien qu’en France. Une solution extrêmement étonnante a été trouvée qui consiste à faire prendre l’avion aux spermatozoïdes prélevés en Italie pour aller en Espagne où ils fécondent un ovocyte d’une donneuse ; l’embryon obtenu fait le chemin inverse pour être implanté dans l’utérus d’une patiente italienne. Ce n’est pas vraiment optimal, y compris au regard du bilan carbone.

Pr Nathalie Rives. La centralisation évoquée m’a semblé se rapprocher de celle de l’organisation du don d’organes. Le registre pourra peut-être ouvrir la voie à cette possibilité dans un second temps.

M. Philippe Berta, rapporteur. Quelle est l’évolution de la proportion de couples infertiles ces dernières décennies ?

Vous avez mentionné nos résultats plutôt médiocres en matière de fécondation in vitro. Nous avons coutume de dire le taux de succès est 15 % à 20 %, là où ailleurs ce serait plutôt 30 % ou 40 %, peut-être mieux. À quoi attribuez-vous ces résultats ? N’aurions-nous pas trop de centres de fécondations in vitro ? Ne faudrait-il pas en réduire le nombre et y consacrer de vrais moyens ?

Faut-il continuer la recherche ? Bien sûr, probablement. Vous avez également mentionné le DPIA. Attribuez-vous notre faible taux de succès aux carences en matière de DPIA ? De quel DPIA parlons-nous ? S’agit-il d’un DPIA qui serait limité aux autosomes ? D’un DPIA uniquement lorsqu’il y a déjà prescription de DPI ou d’un DPIA ouvert à toute fécondation in vitro ?

Pr Rachel Levy. Concernant le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies embryonnaires, je précise que le BLEFCO était à l’origine d’un rapport qui a ensuite été porté par l’ensemble des sociétés savantes pour que certains couples français, mais pas tous, puissent bénéficier de ces techniques. Il ne s’agit pas du diagnostic préimplantatoire des mutations génétiques mais du diagnostic des anomalies chromosomiques portées par les embryons préimplantatoires et dont on sait qu’elles vont avoir un impact délétère sur le développement embryonnaire, voire l’empêcher, et donc nuire à l’établissement d’une grossesse viable. Il ne s’agit en aucun cas d’eugénisme. Les indications seront validées par les connaissances internationales et par les données de la littérature, suffisamment robustes aujourd’hui. Au sein de nos sociétés savantes, nous avons par ailleurs soumis un projet de recherche qui permettrait de valider l’efficacité de ces procédures dans les conditions d’exercice de l’AMP en France. Il s’agit d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) commun de certains centres français, porté par le Pr Catherine Patrat de l’hôpital Cochin et auquel nous sommes associés, avec le Pr Frydman. Nous tenons à rappeler que les données de la littérature sont très favorables à l’évolution des techniques de cette nouvelle offre de soins.

Pr Michaël Grynberg. Je m’étonne qu’on ait encore besoin de demander un PHRC alors que des données de littérature très abondantes vont dans le sens de l’intérêt de cette technique. C’est précisément ce que je soulignais tout à l’heure : dans le système français, il faut revalider sans cesse une innovation. Vous savez comme moi que pour mettre en place un PHRC, pour récupérer les financements, cinq ans seront nécessaires avant que l’étude puisse sortir. Nous faisons perdre cinq années à nos couples, ce qui est éthiquement très discutable là où une littérature très abondante met en avant l’intérêt de ces techniques. Cependant, je ne dis pas que toutes les FIV doivent donner lieu à un DPIA : il faut encadrer son usage.

Vous posiez une question sur le nombre de couples infertiles et l’évolution de l’infertilité. Nous avons de plus en plus de consultations, c’est un fait. Malheureusement, l’infertilité est particulièrement compliquée à diagnostiquer puisque pour prendre en charge un couple hétérosexuel, on pose comme critère un an sans grossesse en dépit de rapports. Nous sommes dans une société de consommation dans laquelle on ne tolère plus forcément la frustration de ce qui ne vient pas : il faut que les choses viennent vite. Les personnes consultent donc de plus en plus tôt, parce que c’est le monde moderne. Ils nous expliquent ce qu’ils veulent et affirment que cela fait un an, ou deux ans, nous ne sommes pas là pour aller vérifier. L’augmentation continuera donc. Parallèlement, d’autres éléments entrent en ligne de compte : les pesticides ou l’environnement qui contribueront à aggraver l’infertilité. Au reste, nous constatons moins d’infections sexuellement transmissibles, d’autres causes d’infertilité diminuent donc. Toutefois, 10 % à 15 % des cas sont d’origine non étiquetée.

Prouver l’infertilité alors que nous n’avons pas de marqueur de l’infertilité, que ce soit pour l’homme ou pour la femme, est particulièrement complexe. Un spermogramme relativement dégradé peut être trouvé chez un homme qui a trois ou quatre enfants. Des marqueurs dits de réserve ovarienne existent chez la femme, mais sont strictement quantitatifs et absolument pas qualitatifs. Or, c’est bien la qualité qui permettra de donner la grossesse.

Nul doute que la demande d’AMP continuera donc de croître. Les échecs sont malheureusement attribués à des éléments multifactoriels. Ils sont liés pour partie à l’absence de screening génétique pour les patientes les plus âgées qui permettrait de sortir du circuit des patientes pour lesquelles on ne peut pas espérer avoir réellement de succès. Du reste, les conditions matérielles sont sûrement moins performantes que dans d’autres pays : un système privé peut éventuellement générer des profits pour avoir accès à des outils bien plus performants que ce que nous pouvons avoir pour les laboratoires. C’est une somme de petits éléments qui aboutit à des résultats bien moins satisfaisants que dans d’autres pays.

Pr Rachel Levy. Le PHRC peut être raccourci si nous obtenons les autorisations des différentes instances assez rapidement. Je crois que l’ensemble des professionnels qui contribue à ce PHRC mettra tout en œuvre pour obtenir des résultats le plus vite possible.

Pour revenir aux propos du Pr Grynberg, nous avons tous plaidé ici pour que soit mis en place un plan « Fertilité AMP » avec les différentes étapes, indispensables, qui sont le rappel de la physiologie de la reproduction et le rappel de l’influence de l’âge et des modes de vie. Des publications de plus en plus importantes sur ce sujet sont diffusées, ainsi que sur le rôle de la prévention et celui de la recherche. En outre, les conditions de culture embryonnaire sont indéniablement un élément important des chances de succès en assistance médicale à la procréation.

M. Guillaume Chiche. Je voulais vous interroger sur l’autoconservation des gamètes, qui est refusée dans la plupart des cas aux personnes transgenres dans les CECOS quand bien même elles vont entreprendre un traitement stérilisant, au motif qu’elles ne pourraient les utiliser en l’état actuel de la législation. Ce traitement résulte d’un choix évidemment personnel. Pensez-vous que les dispositions contenues dans le présent projet de loi seraient de nature à autoriser cette autoconservation ?

M. Thibault Bazin. Professeur Rives, vous avez souligné et regretté la suppression de la mention « d’infertilité de couple » dans le projet de loi, ce qui peut laisser présager que les personnes atteintes de cette pathologie ne seront plus aussi bien prises en charge, les ressources étant limitées. Si on le corrige, dans quelle mesure la loi ne pourrait-elle pas donner une priorité effective à la recherche sur l’infertilité ? L’autoconservation ovocytaire, ainsi incitée par le projet de loi, ne va-t-elle pas produire des effets opposés à l’objectif de prévention de la perte de fertilité liée à l’âge ?

M. Philippe Vigier. Vous avez prononcé des mots très forts : vous avez déclaré « l’AMP marche mal », « la recherche est faible », « l’innovation est entravée » et on sent que les relations avec la tutelle, notamment avec l’Agence de la biomédecine, sont compliquées. Pourriez-vous formuler une proposition que nous devrions insérer dans la loi parce que la lutte contre l’infertilité est absente de ce texte, ce qui a été souligné à plusieurs reprises ? Je pense qu’il ne faut pas causer de double déception pour ceux à qui nous ouvrirons l’AMP demain.

M. Raphaël Gérard. Pourriez-vous nous éclairer sur l’éventuel changement de profil de donneurs qui aurait pu être constaté dans les pays étrangers au moment où certains on fait le choix de lever l’anonymat du donneur ? Il semblerait effectivement que dans un premier temps, on ait une baisse du nombre de dons liée à cette levée de l’anonymat, puis que l’on observe un changement sensible du profil des donneurs.

Pr Nathalie Rives. Je vais répondre aux questions traitant des patients transgenres et du profil des donneurs. Il a été indiqué que nous refusions la prise en charge en autoconservation des patients transgenres au sein des CECOS. Il y a un certain nombre d’années, une position un peu réservée était de mise quant à la possibilité de conservation des gamètes puisque le contexte de leur utilisation future n'était pas clair. En outre, différents rapports rédigés par l’Agence de la biomédecine et par l’Académie nationale de médecine n’étaient pas favorables à cette possibilité. Un avis du Défenseur des droits indiquait que tenant compte du contexte et des risques éventuels d’infertilité induits par les traitements, et surtout lorsque le traitement vise à retirer les gonades, on ne pouvait pas s’opposer à cette prise en charge. À l’heure actuelle, je signale que les CECOS ne refusent plus d’accueillir ces patients et de les informer sur la conservation des gamètes, avec les limites d’utilisation qu’impliquent les différents parcours de transition male to female ou female to male et en fonction de la vie de ces patients, du couple auquel ils souhaiteraient appartenir ou pas. Ces conservations ont largement débuté. Nous avons identifié les centres qui avaient la possibilité de mettre en œuvre toutes les approches. Cette cartographie sera prochainement disponible et sera évolutive.

Dr Florence Eustache, responsable CECOS Jean-Verdier. Certains CECOS ont mis en place un parcours de soins avec les pédopsychiatres, les psychiatres et les endocrinologues. De plus, à l’Assistance publique, un groupe de réflexion a été monté sur la prise en charge des personnes transgenres comprenant la question de la préservation de la fertilité.

Pr Rachel Levy. Le projet de loi actuel répond-il aux questions ? Pas tout à fait à mon sens. J’aimerais que nous soyons rassurés sur les possibilités futures d’utilisation de ces gamètes qui sont aujourd’hui autoconservés. Nos patients pourront-ils utiliser ces gamètes lorsque le désir d’enfant sera présent ? Je vous repose la question, car je n’ai pas été rassurée par les dispositions actuelles du projet.

Pr Michaël Grynberg. Je répondrai à la question sur le caractère éventuellement contre-productif de l’autoconservation sur les politiques de prévention : je n’y crois pas du tout. En l’occurrence, elles sont parfaitement complémentaires. Aujourd’hui, l’autoconservation est le seul moyen de tenter de pallier le vieillissement ovarien, même s’il n’est pas parfait. Des AMP sont réalisées et remboursées à tout-va alors que nous savons que nous allons dans le mur, sous prétexte que les femmes « ont droit » à quatre tentatives remboursées. Dans de nombreux cas, nous savons parfaitement que ça ne fonctionnera pas et nous les faisons quand même. Nous ne pouvons plus fonctionner de la sorte. L’autoconservation nous permettra d’éviter des tentatives de PMA trop tardives, avec des chances de succès plus importantes. Ce plan doit toutefois se développer dans un cadre plus général de prévention pour essayer non pas de favoriser l’autoconservation, mais de faire en sorte que les personnes aient conscience que la technique ne fait pas tout et que l’autoconservation ne fonctionnera pas à chaque fois. Le meilleur moyen est d’essayer naturellement quand on est jeune. Ce sont les meilleures chances d’enfanter. Il faut que ce soit dit et entendu. On n’empêchera pas certaines femmes d’être encore célibataire à 30 ans. Je ne vois pas en quoi il serait problématique de leur ouvrir les portes de l’autoconservation et en quoi cela irait à contre-courant de politiques de prévention.

Pr Nathalie Rives. Sur la question du changement du profil des donneurs lorsque la législation instaure la levée de l’anonymat, je précise que la première expérience est suédoise et que la plus proche est celle du Royaume-Uni, avec un recul suffisant et surtout avec des données auxquelles vous pouvez directement accéder sur le site de l’HFEA (Human Fertilization and Embryology Authority). Cette expérience met en évidence ce que vous avez indiqué : le changement de cadre législatif entraîne dans un premier temps une chute des dons pendant une durée qui peut aller d’un an à trois années. Ensuite, on observe une augmentation du nombre de donneurs avec un profil qui peut être différent – au Royaume-Uni, le don est indemnisé. Le bilan publié tout récemment met en évidence le fait que les donneurs de spermatozoïdes sont plus nombreux que sous le régime de l’anonymat ; on ne dispose pas d’éléments plus précis sur le don d’ovocytes. Il est cependant constaté que plus de 40 % des dons proviennent d’importations de gamètes, de banques américaines en premier lieu et en deuxième lieu de la banque danoise Cryos. Les Anglais sont très transparents, interprètent et fournissent les informations des centres indiquant que le recrutement national des donneurs est très compliqué et qu’ils préfèrent recourir aux importations et achats de gamètes plutôt qu’effectuer leurs propres recrutements. Le bilan précédent faisait état de 20 % de donneurs « importés » contre 40 % à ce jour, ce qui est une augmentation majeure.

Pr Thomas Freour. Il est extrêmement difficile de répondre à votre sollicitation d’une proposition. Je crois que le maître mot est de responsabiliser les centres d’AMP ; en d’autres termes multiplier les obligations réglementaires, les impératifs qualité, tout ce qui peut contraindre l’activité me paraît à même de freiner les innovations et les démarches des professionnels. J’en veux pour preuve la communication qui a déjà été évoquée. Il me semble que la prévention doit être menée à l’échelle nationale. Bien évidemment, c’est nous qui sommes au contact des patients. Que nous soyons public ou privé, cela fait partie de notre rôle.

Enfin, s’agissant du diagnostic préimplantatoire (DPI), la France n’est pas un pays où les professionnels ont envie de jouer aux apprentis sorciers et de faire n’importe quoi. Dès lors que l’on respecte le cadre réglementaire, j’ai du mal à comprendre pour quelles raisons il est nécessaire de réinventer l’eau chaude et de refaire une étude sur ce qui a été publié dans d’autres pays, sur de plus grandes séries, avec plus de moyens. À titre personnel, je revendique plus de responsabilisation des centres d’AMP. Nous avons évoqué les financements et les moyens ; la chance de la France fait peut-être un peu son malheur parfois. La prise en charge par la sécurité sociale et le remboursement intégral de ces actes sont une chance et sont uniques au monde, mais ils contraignent forcément les possibilités de lever des fonds pour innover et pour améliorer les pratiques.

Mme Martine Wonner. L’élargissement de la PMA nécessite d’accéder à un stock de gamètes plus important. Mon arrière-pensée n’est pas du tout celle de la pénurie, mais bien celle de la réactivité des CECOS. J’ai lu que vous souhaitiez une période transitoire de cinq ans pour les CECOS. C’est tout le fonctionnement des CECOS qu’il convient de bousculer, mais dans un délai beaucoup plus court. Êtes-vous prêts ?

M. Patrick Hetzel. J’adresse ma question au professeur Grynberg. Je voudrais revenir sur un débat que vous avez eu avec Mme Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, notamment sur un certain nombre de propositions ayant trait aux tests génétiques. Mme Vidal vous a opposé un argument consistant à dire que certaines de vos propositions étaient de l’eugénisme. Quels sont les arguments contraires ?

M. Brahim Hammouche. Vous avez indiqué donné des informations sur l’évolution des dons de sperme et indiqué et que la situation était compliquée pour les dons d’ovocytes. Vous avez cité une étude britannique. Or les tempéraments, les représentations et parfois les psychologies outre-Manche sont différents. Disposez-vous d’une étude sur la « psychologie du donneur français »  ? La crainte de pénurie a aussi été évoquée. Est-elle fondée ? Les délais de prise en charge s’allongeront-ils ?

Mme Bénédicte Petelle. J’ai bien entendu que les CECOS essayaient de pousser les parents à informer les enfants sur leur mode de conception et j’ai bien compris que vous étiez formellement opposés à toute discrimination fondée sur le mode de conception. Pourriez-vous préciser si l’État aurait la possibilité de s’immiscer – j’ignore si le terme est très heureux – dans la vie personnelle et familiale en organisant l’information des enfants sur leur mode de procréation à leur majorité ?

Pr Michaël Grynberg. Je tiens à préciser que je n’ai jamais eu de débat direct avec Mme Vidal. J’ai répondu à une affirmation qu’une journaliste m’avait rapportée concernant le fait que la recherche d’aneuploïdies pourrait être de l’eugénisme. J’ai l’impression que cette question est largement incomprise. Aujourd’hui, nous savons que nous concevons en fécondation in vitro, en fonction de l’âge de la patiente, entre 60 % et 90 % d’embryons qui sont déséquilibrés au regard du nombre de chromosomes. Ce déséquilibre conduit le plus souvent soit à des absences d’accroche (l’embryon ne s’implante pas), soit à une grossesse qui n’évolue pas, donc à des fausses couches qui peuvent éventuellement se compliquer. Une seule anomalie, relativement fréquente, est viable : la trisomie 21. Les trisomies 13 et 18 ne sont pas viables, ce sont celles qui sont recherchées en général avec la trisomie 21 pour essayer d’éviter de placer des embryons qui seraient à l’origine d’échecs ou de fausses couches, donc d’échecs pour les couples et de perte de temps.

À partir du moment où nous nous limitons à ces indications, sur ce qui va générer des échecs, nous ne sommes absolument pas dans une démarche eugéniste, qui consisterait à « choisir » un embryon sur la base d’un critère donné, par exemple des yeux bleus. Nous sommes là pour améliorer les prises en charge et réduire le temps nécessaire à l’obtention d’une grossesse, notamment pour les femmes les plus âgées, dont nous savons que nombre d’entre elles ne sont pas de bonnes candidates au succès. Si l’on considère que c’est de l’eugénisme, alors nous faisons de l’eugénisme au quotidien puisque nous cherchons tous les jours la trisomie 21 pour permettre aux couples d’interrompre la grossesse s’ils le désirent dès le premier trimestre. Ce n’est pas de l’eugénisme, c’est validé partout en France. Nous aspirons à agir de même pour les candidats à une fécondation in vitro. Si cette trisomie 21 peut être évitée sans avoir à faire subir une interruption médicale de grossesse, tant mieux. Nous ne sommes pas du tout dans de l’eugénisme, mais nous voulons étendre tôt pour ces couples candidats à une FIV ce que nous faisons aujourd’hui à un terme un peu plus tardif.

Je précise que nous réalisons du DPI pour des maladies d’une gravité extrême, ce qui est autorisé dans cinq centres en France. Des DPI sont réalisés pour rechercher une maladie catastrophique et nous n’avons pas le droit de rechercher si parallèlement, les embryons conçus sont porteurs de ces anomalies qui vont générer des échecs d’implantation ou de grossesse. Ces techniques coûtent chaque année des millions d’euros à la France. Aujourd’hui, nous implantons un nombre incalculable d’embryons dont on sait qu’ils n’auront malheureusement aucun avenir. Nous aurons simplement fait en sorte qu’ils soient indemnes de la maladie génétique recherchée par le DPI. Pour autant, nous refusons de nous donner la possibilité de nous assurer qu’ils auront une bonne chance de s’implanter. Nous sommes complètement discordants. De nouveau, je signale que ce n’est pas de l’eugénisme.

Pr Rachel Levy. Ce que dit le Pr Grynberg est très clair. Pour vous rassurer, il ne sera absolument pas possible de sélectionner un embryon qui donnerait un enfant porteur d’yeux bleus ou d’un quotient intellectuel élevé. La démarche ne concernerait que la physiologie de développement de l’embryon. C’est la seule information que nous pourrons avoir : sélectionner et transférer en priorité des embryons à forte capacité de développement évolutif.

Pr Nathalie Rives. Je ferai une réponse commune pour tout ce qui concerne la gestion de stock des gamètes au regard des évolutions de la loi. Plusieurs périodes interviendront, notamment la gestion des couples receveurs qui seront en cours de prise en charge ou à qui on aura fixé un délai d’attente et un recours à un donneur anonyme. Lorsque la loi changera, la prise en charge s’arrêtera-t-elle pour eux ? Sera-t-elle différée pour respecter les nouvelles conditions ? Pendant la période de transition, on aura simultanément affaire à des donneurs anonymes et des donneurs non anonymes. Au reste, le recrutement devra commencer très rapidement. Le projet indique que le recrutement pourra commencer le premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la loi, temps nécessaire pour obtenir tous les consentements, mettre en place le registre national, le système informatique, les décrets d’application, et l’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules. Soulignons que les données du Royaume-Uni font état de 42 % de couples infertiles, données à peu près équivalentes pour les couples de femmes et le reste pour les femmes seules. En régime permanent, nous pourrons donc imaginer avoir 2,5 fois de plus de demandes qu’actuellement.

En aucun cas, nous n’avons affirmé que nous pourrons commencer à appliquer les nouvelles dispositions cinq ans après la promulgation de la loi. Les seuls points que nous avons mis en avant concernent le recrutement des nouveaux donneurs et le décret qui fixera la durée pendant laquelle nous pourrons encore utiliser les paillettes issues des donneurs anonymes. Pour l’instant, cette durée n’est pas fixée, mais elle devra l’être pour permettre de répondre à nouveau à toutes les demandes sans créer de délais supplémentaires. Le délai moyen a été évalué de manière précise : une médiane de 12 mois sur l’ensemble des centres, variant entre six mois et 18 mois. Actuellement, les délais d’attente ne s’allongent pas, mais nous réfléchissons à la façon de les réduire pour limiter au maximum la non-utilisation des gamètes données sous le régime actuel – surtout dans le cadre du don de spermatozoïdes, la gestion étant différente dans le cadre du don d’ovocytes.

Dr Véronique Drouineaud. La Fédération considère comme intrusif le fait que l’État vienne s’immiscer dans cette affaire privée qu’est l’information de l’enfant sur son mode de conception. Le comité d’éthique de la Société américaine de médecine de la reproduction a émis un avis sur ce sujet en 2018 et considère qu’il convient de laisser le libre choix au couple. C’est là un avis que nous partageons.

M. Didier Martin. J’adresse ma question à la Fédération des CECOS. Nous sommes attachés au principe d’égal accès à la PMA de tous les couples et des femmes seules. La question de la priorisation de certains par rapport à d’autres est parfois posée, notamment au regard de l’idée de dons dirigés ou de dons relationnels.

Mme Anne-France Brunet. J’ai devant moi un questionnaire qui a été envoyé par la Fédération aux praticiens des CECOS. Certaines de ces questions me dérangent ; « Hiérarchisation des dons en fonction d’une infertilité établie ; liste d’attente différente entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes ou femmes seules ; priorité donnée aux couples hétérosexuels ». Vous demandez également si nous devons « retenir la notion de couple pour les couples de femmes homosexuelles ». Vous évoquez un droit de réserve du CECOS face à « ce type de prise en charge ».

Ces questions, madame Rives, semblent proches de l’homophobie. Les femmes seules et les couples de femmes peuvent-ils compter sur les praticiens des CECOS que vous représentez pour faire valoir leur droit à l’AMP si nous l’autorisons dans cette nouvelle loi de bioéthique ? Comment pouvez-vous nous assurer que ces femmes auront la même prise en charge que les couples hétérosexuels ?

Mme Marine Brenier. Vous avez indiqué que dans un premier temps, une baisse substantielle du nombre de donneurs de gamètes interviendrait. Si une augmentation substantielle du nombre d’AMP pratiquées était relevée, comment ferait-on face à ces difficultés ? Ne nous exposons-nous pas au risque d’avoir des gamètes qui proviennent de l’étranger et finalement de permettre une sorte de marchandisation, pourtant prohibée en France ?

Pr Nathalie Rives. Ainsi que je l’ai déclaré dans mon propos liminaire, je confirme que nous souhaitons un égal accès à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes seules, sans discrimination, sans hiérarchisation, sans priorisation. Les questions que vous avez citées font partie d’un travail que nous avons mené il y a plus de deux ans, avant les États généraux de la bioéthique, pour interroger l’ensemble des professionnels des CECOS quant à la prise en charge de ce type de demandes. À l’issue de nos échanges, je pourrai vous remettre la synthèse et les réponses qui confirment ce que je viens de vous indiquer.

Au sein des CECOS, nous sommes des professionnels de santé, mais nous sommes aussi des citoyens avec des avis qui peuvent être partagés sur ces questions, comme vous avez pu l’entendre au cours des différentes auditions et comme nous pouvons l’entendre dans la population générale. Il nous semblait important d’aborder l’ensemble de ces questions et d’avoir les réponses ; il ne s’agissait pas d’affirmations, mais d’interrogations. La notion de clause de conscience a été complètement écartée puisque le Conseil national de l’Ordre des médecins la considère ici comme une cause de discrimination. Faites-nous confiance et sachez que nous sommes favorables à la prise en charge des couples de femmes. Il n’y a aucune homophobie au sein des professionnels. Nous sommes également favorables à la prise en charge des femmes seules, mais avec plus de réserves, non pas que nous remettions en question la capacité d’une femme seule à pouvoir éduquer un enfant et à l’accompagner, mais que se passerait-il si au cours de la grossesse ou au moment de l’accouchement, la mère décédait et que l’enfant restait seul ? Existe-t-il un accompagnement par rapport au projet d’enfant ? Nous échangeons très fréquemment et sans aucune difficulté avec les associations de femmes seules sur ce sujet. Soyez donc rassurée.

S’agissant du don dirigé ou du don relationnel, tout le monde pose la question de la future pénurie qui n’existe pas encore et dont on ne sait même pas si elle va exister. Je suis plutôt pragmatique et optimiste : nous avons des moyens et nous pouvons faire des propositions pour éviter, autant que faire se peut, non pas véritablement une pénurie, mais une période pendant laquelle les délais risquent de s’allonger un peu.

Le don dirigé est un don particulier qui existe dans le cadre du don d’organes. Le don n’est pas anonyme dans ce contexte. Vous créez d’emblée deux systèmes : dans l’un, majoritaire, le don sera anonyme pour les donneurs et les parents et la révélation de l’identité du donneur pourra avoir lieu à partir de 18 ans. Dans l’autre, le don dirigé, le couple connaît l’identité de son donneur et l’enfant la connaîtra rapidement. Vous créez une différence. Je ne porte pas de jugement sur ce point, je dis simplement ce qui sera. En outre, le don relationnel peut être compliqué dans la gestion de l’échec. Tout comme dans le cadre du don d’organes, le donneur ou la donneuse peut se retrouver dans des situations qui ne sont pas simples à gérer. De plus, pour le don d’ovocytes comme pour le don de spermatozoïdes, les chances de succès ne sont pas 100 % pour chaque tentative. Si le don dirigé échoue, combien de fois la ponction d’ovocytes sera-t-elle réitérée chez la donneuse ? Le couple demandeur passera-t-il alors dans un autre système impliquant de nouveau une attente ? Dans le don de spermatozoïdes, nous avons l’habitude de ne pas attribuer le même donneur au couple pendant toute une prise en charge s’il n’y a pas de grossesse au bout de deux ou trois cycles d’insémination.

Ce sont là des situations purement médicales. Le don relationnel concerne un membre de la famille, un ami. À l’échelle internationale, nous avons connaissance de difficultés qui tiennent à la présence dans le cercle relationnel de la personne qui est à l’origine biologique des gamètes. Certaines situations sont parfois désastreuses. Le Pr Frydman a d’ailleurs indiqué que lorsque l’on proposait à un couple un don dirigé ou un don anonyme, celui-ci optait plutôt pour le don anonyme.

Il serait un peu long d’énumérer les solutions. Nous travaillons sur ce sujet cependant et mettrons les éléments à disposition très prochainement.

M. Thomas Freour. Je remercie madame Brunet d’avoir soulevé le fait que les formulations utilisées dans des questionnaires, dans nos interventions et nos échanges professionnels doivent être extrêmement prudentes.

En ce qui concerne la prétendue pénurie de dons, nous n’en sommes pas là. Si la situation est difficile, nous ne sommes pas à l’aube d’une catastrophe. La grande hétérogénéité entre les centres qui pratiquent le don de gamètes en France doit permettre tout du moins d’identifier les points forts et les points faibles de chaque organisation. Ainsi, avant même d’imaginer des révolutions d’organisation, soulignons que certains endroits fonctionnent déjà plus ou moins bien, plus ou moins vite, plus ou moins régulièrement. À ce titre, échangeons entre praticiens, peu importe les sociétés ou les affiliations.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Merci, mesdames, messieurs pour les réponses aux questions qui ont été nombreuses.

 

L’audition s’achève à treize heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du mardi 3 septembre à 11 heures 30

Présents.  Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thibault Bazin, Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Berta, Mme Marine Brenier, M. Xavier Breton, Mme Anne-France Brunet, M. Pierre Cabaré, M. Guillaume Chiche, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Nathalie Elimas, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Bruno Fuchs, Mme Annie Genevard, M. Brahim Hammouche, M. Patrick Hetzel, Mme Anne-Christine Lang, Mme Brigitte Liso, M. Didier Martin, Mme Sereine Mauborgne, M. Maxime Minot, Mme George Pau-Langevin, Mme Bénédicte Pételle, Mme Sylvia Pinel, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Hervé Saulignac, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Pierre Vatin, M. Olivier Véran, M. Philippe Vigier, M. Guillaume Vuilletet, Mme Martine Wonner

Excusé. - M. Jacques Marilossian