Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

 Audition du Pr Israël Nisand, président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, Dr Joëlle Belaisch Allart, présidente de la Société française de gynécologie, et Pr Jean-Marie Antoine, vice-président, Dr Pia de Reilhac, présidente de la Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale (FNCGM), Dr Sandrine Brugere, secrétaire générale, et Dr Marie de Crecy, membre du conseil d’administration, Pr Nathalie Massin, présidente de la Société de Médecine de la Reproduction (SMR), endocrinologue au CH intercommunal de Créteil, Pr François Vialard, secrétaire de la SMR, généticien au CH intercommunal de Poissy-Saint Germain, et Dr Géraldine Porcu-Buisson, membre du conseil d'administration de la SMR, gynécologue-obstétricienne à l’Institut de Médecine de la Reproduction de Marseille, et Dr Bertrand de Rochambeau, gynécologue-obstétricien, président du Syndicat national des Gynécologues et Obstétriciens de France (SYNGOF), Dr Mikael Agopiantz, MCU-PH de gynécologie médicale, administrateur du SYNGOF, Dr Arnaud Grisey, gynécologue-obstétricien, administrateur du SYNGOF              2

 Présences en réunion.......................................22

 


Mardi
3 septembre 2019

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 22

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 3 septembre 2019

L’audition débute à dix-sept heures dix.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

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La commission spéciale procède à l’audition du Pr Israël Nisand, président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, Dr Joëlle Belaisch Allart, présidente de la Société française de gynécologie, et Pr Jean-Marie Antoine, vice-président, Dr Pia de Reilhac, présidente de la Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale (FNCGM), Dr Sandrine Brugere, secrétaire générale, et Dr Marie de Crecy, membre du conseil d’administration, Pr Nathalie Massin, présidente de la Société de Médecine de la Reproduction (SMR), endocrinologue au CH intercommunal de Créteil, Pr François Vialard, secrétaire de la SMR, généticien au CH intercommunal de Poissy-Saint Germain, et Dr Géraldine Porcu-Buisson, membre du conseil d'administration de la SMR, gynécologue-obstétricienne à l’Institut de Médecine de la Reproduction de Marseille, et Dr Bertrand de Rochambeau, gynécologue-obstétricien, président du Syndicat national des Gynécologues et Obstétriciens de France (SYNGOF), Dr Mikael Agopiantz, MCU-PH de gynécologie médicale, administrateur du SYNGOF, Dr Arnaud Grisey, gynécologue-obstétricien, administrateur du SYNGOF.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mesdames, Messieurs, merci d’avoir répondu à notre invitation. Dans la suite d’hier, cette audition vise à appréhender certaines dispositions du projet de loi dans la perspective des praticiens. Il s’agit plus spécifiquement ici d’un prisme gynéco-obstétrique. Je souhaite donc la bienvenue au professeur Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), au docteur Joëlle Belaisch-Allart, présidente de la Société française de gynécologie (SFG), et au professeur Jean-Marie Antoine, son vice-président, au docteur Pia de Reilhac, présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM), accompagnée par le docteur Sandrine Brugère, secrétaire générale, et par le docteur Marie de Crecy, membre du conseil d’administration, au professeur Nathalie Massin, présidente de la Société de médecine de reproduction (SMR) et endocrinologue au centre hospitalier (CH) intercommunal de Créteil, à qui se sont joints le professeur François Vialard, secrétaire de la SMR et généticien au CH intercommunal de Poissy-Saint-Germain, et le docteur Géraldine Porcu-Buisson, membre du conseil d’administration de la SMR et gynécologue obstétricienne à l’institut de médecine de reproduction de Marseille. Le Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF) est représenté par le docteur Bertrand de Rochambeau, son président, M. Mikaël Agopiantz, administrateur, et le docteur Grisey, administrateur également.

J’imagine volontiers que vous ferez part à la commission de vos observations quant à l’article 1er. Vous êtes également très directement concernés par les articles 19, 20 et 21, voire par l’article 22. C’est donc à un éclairage global que je vous appelle. Vous avez transmis des contributions, ce dont je vous remercie. Je vous donne maintenant la parole par tranches de cinq minutes pour chaque organisation, l’idée étant que mes collègues rapporteurs ainsi que mes collègues députés puissent vous interroger.

Mme Joëlle Belaisch-Allart, présidente de la SFG. Merci du temps que vous nous consacrez. Je vais parler au nom du CNGOF et de la SFG. Vous nous avez invités à nous exprimer essentiellement sur les articles 1er et 2. L’article 1er traite de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux femmes seules et aux couples de femmes. Ce point ne nous pose pas de problème, nous l’avons écrit. Le questionnaire auprès des membres du CNGOF montre qu’ils y sont favorables.

M. Israël Nisand comme moi-même nous interrogeons tout de même énormément sur la provenance du sperme. Nous avons entendu que certains ne seraient pas inquiets quant à la quantité de sperme nécessaire. Nous voulons tout de même attirer l’attention sur le fait que le délai d’attente est de l’ordre d’un an pour les couples hétérosexuels qui ont actuellement besoin d’avoir recours à un don de sperme. Si la demande augmente et que rien n’est fait pour augmenter l’offre, il y aura obligatoirement une pénurie. Nous nous demandons s’il ne faut pas autoriser le recours aux banques étrangères, comme le font en particulier nos collègues de Belgique. Nous voulons également poser une question un peu tabou : ne faudrait‑il pas rediscuter de l’indemnisation du don ? Notez que je n’ai pas utilisé le terme de rétribution. Il faut être conscient que, si rien n’est fait et si nous comptons seulement sur une campagne pour sensibiliser les hommes au don de sperme, le droit nouveau ouvert ne sera que purement théorique.

Le deuxième point est l’introduction d’un âge limite. De nombreuses enquêtes ont été menées auprès des professionnels regroupant tant le CNGOF, la SFG, la Fédération nationale des collègues de gynécologie médicale (FNCGM), le Groupe d’étude de la FIV en France (GEFF) et le BLEFCO (Biologistes des laboratoires d’étude de la fécondation et de la conservation de l’œuf). Il en résulte que nous sommes pour une limite de la prise en charge chez l’homme par la sécurité sociale. Il y a actuellement une limite pour la femme à 43 ans. Comme l’Agence de la biomédecine (ABM) l’a définie, un âge limite de 60 ans pour l’homme nous semble souhaitable. Comme pour la femme, ce ne serait pas interdit, mais pas remboursé.

Pour la femme, nous insistons sur un fait. Il faut bien différencier le don d’ovocytes et l’AMP intraconjugale. La limite actuelle de 43 ans pour la prise en charge par l’assurance maladie ne pose pas de souci à la majorité des professionnels. Pour ce qui est du don d’ovocytes, ou de la reprise des ovocytes après autoconservation, le collège avait pris une position : nous étions convenus à l’unanimité qu’il n’y avait pas de problème jusqu’à 45 ans. Entre 45 ans et 50 ans, cela se discute beaucoup. Cependant, si la femme est en bonne santé et qu’elle est dûment avertie des risques, tant pour elle que pour l’enfant, cela pourrait être fait au cas par cas entre 45 et 50 ans.

Nous avons aussi réfléchi sur l’interdiction du transfert post mortem. Il nous semble très difficile d’autoriser l’AMP pour une femme seule, mais pas une femme veuve, qui de plus aurait ses propres embryons, et d’obliger cette dernière à les donner à un autre couple. Il y a ici aussi une unanimité des professionnels, et je ne pense pas parler uniquement pour le CNGOF et la SFG. Ce ne serait pas très logique. Nous serions plus favorables à l’option consistant à demander aux conjoints à l’avance, dans les nombreux papiers qu’ils ont à signer, s’ils acceptent que leurs embryons soient repris en cas de décès et si, avec tous les délais de réflexion nécessaires, ils autorisent leurs conjointes à procéder au transfert d’embryons. L’autre option consisterait à dire : « non madame, vous êtes veuve, vos embryons sont pour quelqu’un d’autre, mais ils ne sont plus pour vous ».

Nous sommes tous favorables à autoriser le double don. Je ne développerai pas davantage ce point, car je voudrais utiliser la majorité du temps qui est imparti au CNGOF et à la SFG à parler de l’autoconservation ovocytaire. Ce sujet nous tient particulièrement à cœur. Il est vrai que le désir d’enfant est de plus en plus tardif. Le motif explicatif des femmes carriéristes persiste mais ce n’est pas du tout la bonne raison. En vérité, des enquêtes espagnoles, américaines, israéliennes et australiennes montrent que les femmes qui optent pour une autoconservation le font parce qu’elles n’ont pas trouvé l’âme sœur, c’est-à-dire pas l’homme, ou parfois pas la femme, avec qui faire un enfant. Cette raison est mise en avant dans 80 % des cas. Vous pouvez faire autant de campagnes que vous voudrez pour expliquer aux gens qu’il faut faire des enfants tôt, cela n’arrivera pas si la personne n’a pas rencontré celui ou celle avec qui faire des enfants. L’image de la femme qui a recours à l’autoconservation est biaisée. C’est important de le noter. Que la fertilité de la femme comme de l’homme chute avec l’âge, tout le monde le sait. Que proposons-nous actuellement aux femmes de la quarantaine ? Le recours au don d’ovocytes. Il n’est pas assez dit que les grossesses sur don d’ovocytes sont dangereuses sur le plan médical. Il y a des soucis d’hypertension, de pré-éclampsie. Or, il y a une alternative à tout cela : l’autoconservation ovocytaire. Voilà pourquoi nous la défendons absolument.

La situation actuelle est ubuesque. Il est proposé que cela ne soit possible que dans les centres publics. Ce n’est pas acceptable. L’autoconservation est une AMP comme une autre. Nous avons tous le droit de faire de la fécondation in vitro (FIV), de l’injection intracytoplasmique (ICSI) et de la congélation de l’embryon. Nous devrions tous pouvoir autoconserver, secteur public ou privé. Il est hors de question que ce soit uniquement autorisé dans les 29 centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS).

Je crois important que nous insistions sur le sujet. Il nous est répondu que nous n’avons pas l’expérience de la conservation. Mais si nous conservons tous des embryons pendant plus de dix ans. Il faut savoir que l’autoconservation sociétale, ce ne sera pas comme les tissus testiculaires des garçons prépubères, c’est-à-dire une conservation sur trente ans. Ce sera une conservation entre 32 et 40 à 45 ans, c’est-à-dire une dizaine d’années. Nous savons tous conserver, faire des rappels et organiser l’autoconservation. L’informatique nous aide pour cela. Nous insistons donc sur ce point : il faut que tous les centres soient autorisés à la pratiquer, et non pas uniquement les 29 CECOS.

J’attire votre attention sur un dernier point important. Seuls 44 centres, publics et privés d’ailleurs, sont autorisés à l’autoconservation en vue de préserver la fertilité avant un traitement qui la menace. Il faut que cela change et que l’autorisation « de convenance » fasse partie de l’AMP classique.

Nous n’avons pas de commentaire sur les autres articles, c’est pourquoi je me suis un peu étendue sur celui-ci. Je conclus en précisant soutenir complètement ce que François Vialard en particulier vous dira ensuite. Je m’associe aussi par avance aux propos de Nathalie Massin.

Mme Pia de Reilhac, présidente de la FNCGM. Merci beaucoup de nous avoir reçus. Nous sommes des gynécologues que je qualifierais comme étant beaucoup plus « de la base ». Nous suivons des couples sur le terrain. Il s’agit en général de jeunes filles qui ont besoin de contraception, puis éventuellement qui désirent un enfant lorsqu’elles sont en couple. Nous devons les diriger de la façon la plus aisée pour elles, en sachant qu’ensuite, une loi permettra de reconnaître tout ce qu’a évoqué Mme Belaisch-Allart. Nous sommes absolument dans la même démarche. Nous avons d’ailleurs signé avec les autres professionnels concernés par l’AMP la pétition en ligne sur les modifications de la loi de bioéthique.

Nous aimerions que les limites d’âge soient bien posées, pour la femme comme pour l’homme, et que ce soit en définitive une décision médicale. Cette limite doit être déterminée dans la loi par l’ABM, et il faut qu’elle soit précise. Elle peut en effet permettre aux médecins de se protéger face à des demandes abusives – il en existe.

Nous avons trouvé opportun que l’accord du conjoint soit supprimé pour le don de gamètes, et ce pour le don d’ovocytes comme pour le don de sperme. Il faut que ce soit pour les deux. Comme cela vient d’être dit, la conservation des gamètes ne doit pas être réservée aux centres publics avec CECOS : elle doit également être ouverte aux centres privés d’AMP qui ont un agrément et qui savent faire cela. Tout centre ayant un agrément doit pouvoir conserver des gamètes.

Nous nous posons également la question d’une éventuelle pénurie de gamètes. Entre les demandes pour les couples de femmes et les demandes pour les femmes seules, comment allons-nous y arriver ? Le problème risque d’être aggravé par l’anonymat des donneurs levé avec un consentement au moment du don. Dans un certain nombre de pays, la levée de l’anonymat s’est accompagnée d’une diminution des dons de gamètes. Il faut essayer de trouver une parade. Je ne sais pas laquelle. La solution se situerait peut-être au niveau de l’étranger.

Nous sommes tout à fait d’accord pour que la femme puisse utiliser en post mortem les embryons conçus avec son conjoint, attendu que ceux-ci peuvent être donnés à un autre couple ou à une femme seule. Nous ne voyons pas pourquoi la femme qui a fait ce cheminement avec son conjoint n’aurait pas le droit de recevoir cet embryon.

Nous aimerions tout de même que soit précisé ce qui sera pris en charge lors d’une autoconservation ovocytaire sans raison médicale. Il nous est dit que les actes seront pris en charge, mais que la conservation donnera lieu à une location annuelle. J’aimerais avoir quelques précisions à ce propos.

Madame Belaisch-Allart, vous pensez que l’autoconservation ne concernera que des patientes âgées de 32 à 38 ans. Ce serait bien que vous ayez raison. Je n’aimerais pas voir des jeunes de 18 ou 20 ans nous demander une autoconservation. Si la loi le permet, nous aurons du mal à leur signifier qu’elles peuvent attendre, d’autant qu’elles auront la plupart de leurs enfants dans les années qui suivent. Il faut déterminer précisément la limite d’âge inférieure. J’ajoute qu’il faut que les hommes puissent également bénéficier de l’autoconservation des gamètes.

Le projet de loi prévoit qu’il faudra détruire les gamètes actuellement conservés un an après la promulgation de la loi, parce que nous aurons du mal à retrouver le donneur, celui-ci ayant donné anonymement. Il est tout de même un peu regrettable de détruire des gamètes alors que nous risquons d’en manquer.

Un autre point nous a fait réfléchir. Il est question de l’enfant à naître et du droit de l’enfant, mais les parents qui bénéficient d’un don de gamètes ou d’embryons semblent avoir été un peu laissés en dehors du débat. Leurs arguments auraient pourtant été intéressants à entendre, en particulier par rapport à l’anonymat. Vont-ils continuer à demander une AMP, maintenant qu’ils savent ce que l’enfant pourra connaître l’identité du donneur à sa majorité ? Je ne sais pas. C’est une question ouverte.

Nous sommes tous d’accord pour rendre possible le diagnostic d’aneuploïdies dans le cas d’échecs répétés de FIV et d’implantations. Nous éviterions des transferts d’embryons inutiles et des déceptions pour les femmes.

Mme Nathalie Massin, présidente de la SMR. Merci de nous avoir invités à parler. Les professionnels de l’AMP sont très intéressés à donner leur avis, car ils seront en première ligne pour l’application de la loi.

La majorité des professionnels de l’AMP salue les avancées majeures de la loi. D’une manière globale, nous sommes pour l’ouverture de l’accès aux couples de femmes ainsi qu’aux femmes seules et à l’autoconservation ovocytaire. C’est une vraie demande des patientes que nous voyons actuellement ou de celles que nous ne pouvons pas voir.

Je parle au nom de la SMR, mais je voudrais également faire état des demandes de professionnels regroupés dans le cadre de onze sociétés savantes qui ont signé un texte commun pour signifier que nous sommes favorables à ces avancées. Notre objectif est que la loi puisse être appliquée. Il ne faut pas qu’elle reste théorique. Je reviendrai sur cette question.

J’en viens aux cinq amendements qui nous paraissent importants. Il y a la problématique « public-privé », avec l’impossibilité pour certains centres de mettre en œuvre les nouvelles techniques. Il faut s’assurer que ces techniques sont accessibles de façon égale aux nouveaux couples de femmes et aux femmes seules. La problématique de l’âge a été très bien développée. Il en est de même pour la destruction des embryons et gamètes actuellement stockés. En dernier point, il y a la problématique de l’AMP post mortem lorsqu’il s’agit d’embryons déjà conçus. Voilà les cinq points qui sont assez consensuels au sein des professionnels.

Je voudrais, pour la SMR, insister sur deux points. Le premier concerne la distinction public-privé. La loi écrit clairement que les techniques d’autoconservation et de dons de gamètes, et donc l’accès aux couples de femmes et aux femmes seules, ne seront pas possibles dans les centres privés. Nous voulons démontrer que ce ne serait pas une bonne chose pour l’application de la loi, tant parce que cela limite l’accès de l’ensemble de la population à l’AMP sur l’ensemble du territoire que parce que cela repose sur l’idée que nous ne pourrions pas assurer dans les centres privés une même qualité de prise en charge que dans les centres publics, avec un risque de dérives ou de marchandisation. L’activité d’AMP est très spécifique, car encadrée par la loi. Nous ne pouvons faire que ce qui est prévu par la loi. Jusqu’à présent, les centres privés qui font de l’AMP ont toujours respecté la loi. J’ajoute que nous sommes soumis à une évaluation annuelle. Nos activités sont forcément contrôlées par l’ABM ainsi que par les agences régionales de santé (ARS) qui inspectent les centres. Nous ne pouvons donc pas y faire n’importe quoi. Pour que cette loi puisse être appliquée, il faut qu’il y ait des centres de qualité sur l’ensemble du territoire. Cette notion de « centre de qualité » ne doit pas être limitée au seul périmètre des centres publics. Les médecins du privé ont été formés dans le public. Il n’y aurait pas un effet magique qui impliquerait qu’en passant dans le privé, ils n’auraient plus comme seule idée que de gagner de l’argent. Les médecins travaillant dans le privé ont exactement la même éthique que ceux du public.

Nous parlons de risque de pénurie de donneurs et de donneuses. Il y a actuellement une pénurie de donneuses, mais pas de pénurie de donneurs. Avec l’augmentation de la demande liée à l’accès donné à de nouveaux couples, quel serait le meilleur endroit pour recruter des donneurs et des donneuses ? Ce serait probablement dans les centres d’AMP qui travaillent au quotidien sur la question. Ils reçoivent des hommes et des femmes qui y sont pris en charge. Ces personnes peuvent être sensibles à l’idée de rendre aux autres le service dont elles ont elles-mêmes bénéficié. La meilleure façon de recruter une donneuse potentielle d’ovocytes est de proposer cela à une femme qui aura eu un enfant par AMP. Une relation se noue avec l’équipe de prise en charge et il est plus facile de faire un geste avec une équipe connue. De la même façon, un certain nombre de femmes prises en charge dans les centres d’AMP ont des compagnons dont le sperme est parfaitement normal. Nous pouvons tout à fait les motiver à donner. Ainsi, je crois qu’avec une bonne communication et surtout avec la possibilité de donner facilement sur l’ensemble du territoire, nous éviterions tout risque. Si nous limitons les lieux de dons de gamète, en particulier de spermatozoïdes, à une trentaine de centres seulement en France, le maillage du territoire serait trop peu important.

Je pourrais ajouter que du point de vue technique, tous les centres sont capables de faire ces autoconservations. C’est dans nos pratiques courantes que de congeler du sperme et des ovocytes. Il n’y a pas eu de dérives jusqu’à présent. On en peut pas faire l’amalgame avec ce qui se passe dans des entreprises privées comme Google, ou d’autres aux États-Unis. En France, le système est contrôlé et les médecins respectent ces contrôles. Il ne faudrait pas faire inutilement peur sur ce sujet. J’ajoute enfin qu’il y aurait une incohérence. Les femmes qui vont à l’étranger aujourd’hui vont dans des cliniques privées et ont une prise en charge de la sécurité sociale. Ce serait marcher sur la tête que d’utiliser l’argent de la sécurité sociale pour aller faire une activité à l’étranger qui serait refusée au secteur privé en France.

Nous rejoignons tout à fait les docteurs Belaisch-Allart et de Reilhac sur certains points, en particulier pour les limites d’âge. Un autre sujet n’a pas encore abordé : il s’agit de l’analyse de l’embryon en vue de rechercher une anomalie génétique. Si vous en êtes d’accord, laissons la parole quelques minutes à M. François Vialard qui m’accompagne aujourd’hui.

M. François Vialard, secrétaire de la SMR. Le diagnostic des aneuploïdies embryonnaires sera probablement abordé lors de votre prochaine session avec différentes sociétés de génétique. Intervenant à la fois en biologie de la reproduction et en génétique, nous nous permettons d’aborder ce point dès maintenant, pour obtenir certaines précisions.

L’article 14, dans son premier alinéa, dit qu’il sera possible de réaliser la recherche sur des gamètes ou des embryons avant ou après gestation. Nous voudrions savoir ce que vous entendez par « recherche ». S’agit-il de recherche fondamentale ou d’analyses biologiques ? Si l’analyse biologique était retenue, ce serait tout à fait recevable pour l’ensemble des associations et des praticiens en France.

Je rappelle une petite incohérence de l’existant. Le diagnostic prénatal a pour but de prendre en charge in utero des embryons ou des fœtus ayant des affections d’une particulière gravité. L’interruption médicale de grossesse (IMG) est acceptée s’il apparaît que l’enfant à naître peut être atteint d’une telle affection d’une particulière gravité. Nous ne sommes pas du tout dans la même situation pour ce qui est des aneuploïdies : ces anomalies ne conduisent pas à une grossesse mais très majoritairement, à une fausse couche spontanée ou à un échec d’implantation embryonnaire. Cela signifie que nous transférons aujourd’hui des embryons qui n’ont strictement aucune chance de donner une grossesse.

L’article 14 reprend bien le fait qu’aucune recherche sur l’embryon ne peut être entreprise sans autorisation. Il faudra bien sûr un cadre pour l’analyse biologique des aneuploïdies. Elle répond à tous les critères définis par l’article 14. La pertinence scientifique est aujourd’hui clairement établie. Il s’agit bien d’une finalité médicale (l’article 14 restreint la recherche à des indications purement médicales). Je vous ai donné les deux grandes indications que sont les fausses couches à répétition et les échecs d’implantation embryonnaire. Enfin, l’état des techniques permet de mener cette analyse sans conséquence néfaste pour l’embryon.

Notre question est donc simple. Pourquoi se limiter à un diagnostic in utero alors que nous pourrions le faire sur un embryon ? Voilà pourquoi nous voudrions que cette analyse soit clairement prévue par l’article 14, le terme « recherche » étant un peu vague. Vous allez peut‑être nous rassurer sur ce que ce terme signifie, et sur le fait qu’il inclura ces analyses.

M. Bertrand de Rochambeau, président du SYNGOF. Au nom du SYNGOF, je remercie la commission spéciale de prendre l’avis des professionnels dans leur totalité, quelles que soient les caractéristiques de leur exercice. Nous nous sommes penchés sur le projet de loi. Le SYNGOF partage très largement les préoccupations de nos confrères spécialistes, et particulièrement sur le caractère réalisable ou non des avancées proposées. Je ferai trois remarques principales.

Fermer aux acteurs du secteur privé l’autoconservation ovocytaire et les autres activités n’a pas de sens, si ce n’est de vouloir restreindre l’application de la loi. Il faut être honnête et le dire, si c’est le cas. Même si ce l’était cependant, nous ne serions pas d’accord et nous le ferions savoir.

La deuxième remarque concerne l’ABM, qui est une agence gouvernementale, et qui a toute latitude pour fixer les bonnes pratiques. Le projet ne dit pas sur qui elle s’appuierait pour fixer ces bonnes pratiques. La profession souhaiterait que les conseils nationaux professionnels (CNP), qui sont l’incarnation de l’ensemble des sociétés scientifiques et syndicales de la profession, soient explicitement inscrits dans l’article. Ainsi, la fixation des règles serait la plus consensuelle et la plus pratique possible, et nous ne connaîtrions plus de dérives individuelles. Il est important que les CNP soient mentionnés.

Troisième élément sur lequel nous voulons insister : le maintien de la clause de conscience spécifique pour tous les acteurs de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pour motif médical. Ils doivent pouvoir garder cette liberté de se positionner dans les IVG pour raisons médicales, comme pour celles qui n’ont pas de raisons médicales. Il est important que cette précision soit apportée dans la loi. Nous veillerons à ce que cette notion soit claire pour tous dans la suite du parcours réglementaire.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je pense comme vous qu’il est souhaitable que les activités d’AMP ne soient pas restreintes aux seuls centres publics. Nous verrons ce qu’il adviendra, mais il n’y a guère de raison pour que le secteur privé soit banni de l’autoconservation ovocytaire ou des pratiques d’AMP. Au contraire, son implication fait sens, par nécessité pratique afin de contribuer à une activité qui ira en s’accroissant, mais aussi pour l’incitation aux dons, ces centres étant bien répartis sur le territoire national. Enfin, nous savons bien que l’encadrement est tout aussi important dans le privé que dans le public. Il n’y a aucune raison d’être ségrégatif. J’ajoute que les dépassements d’honoraires existent aussi dans le secteur public. Nous pouvons très bien affirmer que les activités liées à l’AMP sont une mission de service public qui doit respecter certains principes et nous pouvons effectuer les contrôles nécessaires. Que je sache d’ailleurs, les centres privés sont déjà soumis à un double contrôle, via l’ABM et les ARS. Ce sont des organismes suffisamment dignes de confiance.

Le pouvoir réglementaire pourrait cependant définir un encadrement spécifique de ces pratiques car je ne suis pas sûr que la loi doive définir ceci. Vous avez peut-être des idées en ce sens.

Je vous entendais parler des autres pays. Concernant la recherche d’aneuploïdies notamment, le professeur Nisand rapporte régulièrement le cas de patientes pour lesquelles un DPI a permis d’exclure le cas de la transmission d’une maladie génétique très grave. N’ayant malheureusement pas examiné les chromosomes, l’équipe n’a pu détecter la trisomie, qui est diagnostiquée en début de grossesse. Il est alors demandé à la femme ce qu’elle veut faire. Elle répond vouloir une interruption de grossesse, mais demande pourquoi lui avoir imposé une grossesse alors qu’ils avaient les embryons à l’analyse et qu’ils pouvaient choisir parmi eux. Un tel choix ne serait pas de l’eugénisme : il s’agirait simplement d’éviter les embryons porteurs de maladies. Cet examen est fait pour une maladie, mais pas pour une autre. Ces situations me paraissent peu compréhensibles. En dehors de la prévention d’interruptions de grossesse, ce qui est bénéfique, la détection des aneuploïdies permettrait d’augmenter les taux de succès de FIV. Ces taux ne sont pas mirobolants, malgré toute la pénibilité que des FIV à répétition représentent pour les femmes. Je préférerais qu’un jour, nous puissions annoncer à ces femmes qu’elles ont une chance sur deux de réussir une FIV.

Je ne comprends pas vraiment le point sur la clause de conscience. Le code de déontologie médicale prévoit déjà la possibilité pour chaque médecin, hors cas d’extrême urgence, de se soustraire à tout acte médical. Ce n’est pas que de son propre intérêt : c’est aussi et surtout de l’intérêt du malade. Si nous ne sommes ni aptes à faire quelque chose, parce que n’ayant pas l’habitude, ni volontaires pour le faire, ce ne sera pas bien fait. Il vaut mieux confier le malade à un collègue qui effectuera l’acte dans de bonnes conditions. Dans cette situation, pourquoi créer des clauses supplémentaires ? Chacun d’entre nous a été un jour ou l’autre confronté à un malade qui nous a fait éprouver le besoin de le transmettre à l’un de nos collègues. En l’absence d’atomes crochus entre le médecin et le patient, il vaut mieux changer de médecin. Je me demande si, à force de rajouter des couches supplémentaires, nous n’autoproduisons pas des problèmes.

Je vous remercie pour tout ce que vous nous apportez. Nous saluons tous l’avancée qui sera permise par cette loi. Nous aurons besoin de vous recontacter pour suivre l’évolution des choses, car le diable est dans les détails : ce n’est pas la loi en elle-même qui sera l’alpha et l’oméga de ces activités nouvelles. La situation sera déjà bien meilleure quand nous ne devrons plus organiser chez nous des examens pris en charge par la sécurité sociale, pour que les personnes concernées aillent ensuite en Belgique, en Espagne ou ailleurs pour réaliser certains actes avant de revenir chez nous. Ce sont des situations embarrassantes. Donnez-moi vos avis sur ces points.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Je voudrais parler de l’ABM, pour avoir été comme d’autres ici membre de son comité médical et scientifique. J’y ai participé pendant trois ans et je fais toujours partie de différents groupes de travail. Représentants des différentes sociétés savantes, nous sommes tous des professionnels très impliqués. Il y a des groupes d’évaluation, il y a un groupe « AMP stratégie ». L’Agence élabore ensuite un guide des bonnes pratiques. Nous pouvons très bien y écrire des choses qui sont difficiles à écrire dans la loi parce qu’elles pourraient bouger. Il y a eu un guide en 2011 et un autre en août 2017. C’est vraiment l’émanation de ce que pense l’ensemble des professionnels concernés. Je pense qu’il faut défendre le travail de l’ABM en matière d’AMP.

M. Bertrand de Rochambeau. Votre rapporteur se demande pourquoi rajouter une couche avec la clause de conscience. Notre syndicat est sensible à la question. Pour assurer de bonnes pratiques d’AMP, nous pourrions en faire un service public. Une fois que vous êtes engagé dans un service public, il est bon qu’un cadre permette dans certaines activités à tous les praticiens concernés, médecins ou non, entre autres pour les interruptions de grossesse, de faire valoir la clause de conscience. Une interruption de grossesse n’est pas un acte comme un autre. La clause de conscience sera d’autant plus nécessaire que nous aurons affaire à un service public. Il me semble beaucoup plus compliqué de se rétracter pour quelqu’un qui est agent du service public.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Ma première question porte sur l’accès aux origines. Avec votre longue expérience de praticiens, bien plus longue que celle qui s’est exprimée ici au cours de témoignages souvent poignants, avez-vous le sentiment qu’il s’agit d’un élément indispensable de complétude pour les enfants issus d’AMP ? Avez-vous ressenti un besoin indispensable de secret pour les couples accompagnés ? Avez-vous eu connaissance de situations d’équilibre, de familles où les parents n’avaient pas de mal à en parler et les enfants n’avaient pas de mal à recevoir l’information ? La levée partielle de l’anonymat au bénéfice de l’enfant vous semble-t-elle attentatoire au droit au respect de la vie privée des parents ? Vous semble-t-il important de lever dans un premier temps l’anonymat sur les données médicales, au bénéfice soit des parents, soit des médecins, soit directement de l’enfant, en attendant l’accès aux données identifiantes à sa majorité ?

M. Israël Nisand, président du CNGOF. Il semble à tous les professionnels qu’être coercitif vis-à-vis des parents serait faire un pas de trop. En revanche, comme dans tous les pays qui nous entourent, dès lors que certains enfants sont nés par intervention de l’État, par le biais des médecins, nous estimons que celui-ci a, vis-à-vis d’eux, une obligation de leur permettre de compléter leur histoire. Ceux qui ont la quarantaine nous disent qu’il est très difficile de porter le fait d’être issu d’une maman et d’un « produit biologique ». Ils nous disent qu’ils ont un papa. Ils ne recherchent pas une paternité, mais ils cherchent à compléter leur histoire. Tous les pays voisins ont franchi ce pas. Il faut que nous le franchissions.

Je ne pense pas non plus que le nombre des enfants qui demandent soit un élément important de la problématique. Lorsque nous aurons franchi ce pas, bien davantage de personnes demanderont à connaître l’identité complète du donneur, quitte à ce qu’ils soient déçus quand ils le rencontreront. Ils entendent souvent que leur trouble identitaire ne sera pas soigné par cette rencontre. En leur disant cela, nous sommes terriblement paternalistes. Ces personnes ne le supportent plus.

Nous approuvons le maintien possible d’une confidentialité pour les parents. Les obliger à un « marquage social » ne serait pas acceptable. Ceci dit, nous avons dans la loi tout ce qu’il faut, du point de vue de la filiation. Lors d’un don, il y a obligation d’aller chez un notaire ou un magistrat pour déclarer ledit don. Ceci a été écrit dans la loi pour éviter les refus de paternité en aval du don. C’est parfaitement opérant et il n’y a rien à ajouter. Aucun de nous n’est juriste et nous ne voulons pas prendre leur place. Sur la base du vécu des parents et des enfants, nous nous ne souhaitons pas forcer les parents à révéler le mode de conception de leur enfant. C’est leur affaire. Nous pouvons les conseiller s’ils nous le demandent, et leur dire que garder des secrets dans le placard n’est peut-être pas idéal pour l’histoire de l’enfant. Reste que cela tient de leur choix. En ce qui concerne la filiation, je ne vois pas ce qu’il faudrait de plus.

Enfin, pour moi, la DAV n’est pas véritablement nécessaire. Elle crée soit une stigmatisation des homosexuels, soit une complexification terrible du système si nous voulons l’appliquer à tous les dons de gamètes.

M. Philippe Berta, rapporteur. Je reviens sur le diagnostic génétique préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A). J’aimerais que vous nous précisiez combien de fécondations conduisent à une anomalie de nombre chromosomique. Deuxièmement, est-il utile d’aller regarder toutes les aneuploïdies, ou pourrions-nous nous limiter aux autosomes ? Cela pourrait être reproché. J’aimerais enfin que vous nous précisiez votre vision des indications du DPI-A : est-ce un DPI-A pouvant être appliqué à toute FIV, un DPI-A venant en complément des seuls DPI actuellement prescrits, ou plutôt des DPI pratiqués dans les couples où il y a un problème d’âge ou de récurrence de grossesses avortées ?

M. François Vialard. Je répondrai de façon très claire. Nous savons que les fausses couches affectent une grossesse sur cinq. Le taux de coïncidence entre aneuploïdies et fausses couches est entre 50 % et 60 %. Cela a été montré il y a déjà longtemps et c’est confirmé aujourd’hui dans différents laboratoires à travers le monde. Le mien confirme aussi ces données. Derrière un cas de fausse couche sur deux, il y a une anomalie chromosomique.

Je suis tout à fait d’accord pour cibler le DPI-A sur les autosomes. Cette recherche doit être faite dès lors que nous constatons un échec de grossesse. Il est évident qu’avoir un syndrome de Klinefelter ou un triple X n’a aucun intérêt. D’autant plus qu’il faut absolument éviter de rechercher l’X et l’Y, pour éviter la dérive potentielle du sexage embryonnaire. Il me semble que l’intégralité des personnes travaillant en AMP est contre cela. Dans ces conditions, pourquoi rechercher l’X et l’Y ? C’est totalement inutile. Il existe des systèmes informatiques pour bloquer cela. Mme Belaisch-Allart l’a très bien dit, nous avons des recommandations. L’ABM est capable d’éditer des recommandations pour dire de ne pas regarder l’X et l’Y.

Il faut rester sur des indications médicales pour le DPI-A. Cela suppose d’inclure le DPI qui est fait aujourd’hui. Nous évoquions le cas où, après élimination d’une mucoviscidose, un enfant présentait une trisomie 21. Il s’agit au moins de donner aux parents l’opportunité de choisir. J’ai clairement énoncé tout à l’heure les autres indications. Ce sont pour nous des indications médicales. Ce sont donc des fausses couches à répétition, et les échecs répétés d’implantation embryonnaire, où nous savons avoir un gain pour les patientes concernées. Les études internationales montrent très clairement que pratiquer le DPI-A sur l’intégralité des cycles de FIV ne sert à rien. Il faut une indication médicale.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Une autre question m’est venue à l’esprit en vous écoutant. Elle concerne un cas que soulèvent d’ordinaire les juristes du contentieux. Je voudrais savoir si vous le rencontrez souvent en pratique. C’est le cas d’un couple qui, ayant fait ce consentement à recevoir un don, renoncerait ou se rétracterait au cours des différentes étapes du processus d’AMP, avant l’insémination. Est-ce que cela vous arrive fréquemment ?

M. Israël Nisand. C’est arrivé une fois à ma connaissance. C’est pourquoi le législateur est intervenu. C’était le cas d’un homme qui, après avoir demandé un don de sperme, a imaginé que la grossesse de sa compagne était liée à une relation extraconjugale et a fait une recherche en paternité – le résultat était évident – pour en tirer argument. La loi empêche maintenant cela. Consentir à un don de gamètes signifie s’interdire une recherche en paternité.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Passons aux questions de nos collègues.

M. Maxime Minot. Vous l’avez tous dit dans vos propos liminaires, les dons de gamètes ne sont aujourd’hui pas en nombre suffisant. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les dons d’ovocytes. Nous savons par exemple que les donneurs et donneuses qui ne sont pas de type caucasien manquent cruellement.

Autoriser le don dirigé de gamètes permettrait de diversifier le recrutement des donneuses et donneurs, d’augmenter significativement le nombre de dons et de réduire les délais d’attente. Ce serait particulièrement notable pour les femmes en attente d’ovocytes. Elles sont actuellement parfois obligées de se tourner vers l’étranger.

Ma question est simple. Selon vous, y a-t-il des risques à instituer le don dirigé de gamètes ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Je vais d’abord répondre un peu à côté, si vous me permettez. Il est important de dire que le don d’ovocytes en France n’est pas exclusivement fait dans les CECOS. Le don de sperme n’est fait que dans les CECOS, mais nous sommes nombreux, établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), hôpitaux généraux ou hôpitaux universitaires non CECOS, à pratiquer le don d’ovocytes. Ce point est important.

Deuxièmement, si nous autorisons l’autoconservation ovocytaire et que la femme n’a finalement pas utilisé ses ovocytes, elle pourra les donner si elle en est d’accord. L’autoconservation diminuerait le nombre de demandes d’ovocytes de deux façons. La majorité des demandes actuelles concernent des patientes de plus de 38 ans en insuffisance ovarienne. Si elles avaient des ovocytes autoconservés, elles ne feraient pas appel au don. Il y aurait donc moins de demandes. Il y aurait également plus d’offres, puisque nous aurions les ovocytes autoconservés à offrir.

Ainsi, l’autoconservation ovocytaire aurait un impact très important sur la pénurie de dons d’ovocytes. Nous pourrions diminuer la demande et augmenter l’offre.

Enfin, je suis très favorable au don dirigé. Il n’y a pas de souci sur ce point.

M. Bruno Fuchs. Ma question porte sur la levée de l’anonymat, mais je crois que la réponse est extrêmement claire, autant dans vos propos que dans le ton que vous avez utilisé. Y a-t-il d’autres avis sur cette question ? Il s’agit d’un élément important de la loi.

J’en viens à deux questions plus pratiques. Vous avez parlé d’une baisse des dons si nous levions l’anonymat. Cette baisse a été constatée dans d’autres pays, mais uniquement à court terme. Peut-on craindre au contraire une baisse structurelle sensible, à moyen ou à long terme ? Cette question a-t-elle été traitée ?

Je finis par un point très précis et technique concernant l’article 2. Il y est précisé que la personne dont les gamètes sont conservés est consultée chaque année et consent par écrit à la poursuite de la conservation. En l’absence de réponse de la personne durant dix années consécutives, il est mis fin à la conservation. Pourquoi attendre dix ans si la personne ne se manifeste pas chaque année ? Pourquoi ne pas réduire ce délai à cinq ans, par exemple ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. La réponse « n’habite pas à l’adresse indiquée » est une réponse que nous connaissons un peu trop souvent. Un an ne suffirait donc pas. Vous avez peut-être raison concernant le délai de dix ans : nous pourrions peut-être gérer les choses en cinq ans. En tout cas, un an serait franchement insuffisant pour retrouver les informations. Je pense nettement préférable que le délai soit au moins de cinq ans, sinon de dix ans.

Mme Géraldine Porcu-Buisson, membre du conseil d’administration de la SMR. Les pays où l’anonymat a été levé ont connu une baisse initiale du nombre de dons, puis de nouveaux donneurs se sont manifestés. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur : nous aurons de nouveaux donneurs.

Il faut également savoir que depuis 2007, le nombre de couples ayant bénéficié d’un don de sperme a réduit de mille. Il faut absolument faire en sorte que les couples qui doivent bénéficier d’un don de sperme puissent l’avoir rapidement. Le fait d’inclure les deux modes d’exercice, public et privé, permettra d’obtenir de nouveaux donneurs. Ce seront des donneurs relationnels, mais relationnels avec les centres et non avec les patients.

M. Patrick Hetzel. Je voudrais réinterroger le docteur de Rochambeau quant à la position de son syndicat sur la clause de conscience. Nous la retrouvons évidemment dans la loi Veil, mais aussi dans le code de déontologie médicale.

Ma question sera précise. Quelle est la position de votre syndicat ? Souhaitez-vous que la clause de conscience figure encore à un autre endroit du corpus législatif, ou considérez-vous que l’arsenal juridique actuel est satisfaisant ?

M. Bertrand de Rochambeau. Nous sommes très circonspects à ce sujet. Les juristes nous ont appris à l’être. Il est possible de penser que, puisque cela n’est pas dit expressément, cela ne s’applique pas. L’IVG est traitée à travers la loi Veil. Ici, nous parlons d’IVG pour motif médical. Nous pouvons penser que le principe va dans le même sens. Le dire ne coûte pas bien cher cependant et rend les choses plus claires. Vu l’importance de la question et la notion de service public qui y est attachée, je pense que ce serait plus clair. Voilà pourquoi le SYNGOF est attaché à l’inscription de la clause de conscience. Trop ne peut pas nuire, dans la mesure où nous nous attachons à défendre les confrères qui auraient de vrais soucis vis-à-vis de ces actes. Il y en a et il y en aura toujours.

Nous pourrions dire que la règle générale s’applique, mais nos amis juristes nous disent qu’il est mieux que cela soit expressément écrit. Dans notre responsabilité civile professionnelle, nous qui sommes des experts dans ce domaine, je peux vous dire qu’il est préférable que ce soit écrit.

Mme Nathalie Massin. La SMR et la plupart des collègues praticiens de l’AMP ne souhaitent pas cette clause de conscience pour ce qui concerne la prise en charge des couples de femmes et des femmes seules. Il nous semble absolument discriminant de la mettre en place sur ces articles.

M. Bertrand de Rochambeau. L’interruption de grossesse n’est pas de l’AMP. Nous partageons largement votre propos. Il n’y a pas de raison de discriminer certaines femmes par rapport à d’autres dans l’accès à l’AMP. C’est également le point de vue de notre syndicat.

M. Israël Nisand. Doublonner les clauses de conscience donne l’opportunité de demander l’arrêt du doublon. C’est ce qui est en train de se passer sur l’IVG. Nous ne sommes pas favorables collectivement à ce qu’il y ait un empilement de clauses de conscience. Il y en a une qui est générique pour tous les actes de médecine. Je pense qu’il est de la responsabilité des chefs de service de ne pas mettre dans le service d’IVG ou dans un service où sont pratiquées des IMG des sages-femmes, des panseuses ou des infirmières ayant fait valoir la clause de conscience.

Que ce soit dans le service public ou dans le secteur privé, la clause de conscience s’impose. Par chance, son invocation est assez rare dans notre pays. Nous ne sommes pas en Italie où 85 % des médecins font valoir la clause de conscience sur l’IVG. Cela a produit au Conseil de l’Europe une algarade terrible, l’Italie ayant voulu supprimer la clause de conscience qui empêche concrètement les femmes d’avoir recours à l’IVG dans ce pays. En France, c’est gérable en l’état. Il n’y a pas besoin de rajouter des couches de clauses de conscience. Elles tendent surtout à stigmatiser telle ou telle activité. Que ce soit dans une activité d’orthogénie ou de médecine de la reproduction, si l’infirmière ou la sage-femme dit : « vous êtes un couple de femmes homosexuelles, je m’en vais », ce n’est plus gérable.

Nous ne sommes donc pas favorables à ce doublonnage. Dans l’organisation des services en revanche – et cela peut se faire par voie réglementaire – il est très possible de rappeler aux chefs de service qu’ils doivent respecter les clauses de conscience. Ils n’ont pas à mettre dans un service d’AMP, un service d’IVG ou au contact des IMG des personnels médicaux ou paramédicaux faisant valoir la clause de conscience.

Mme Annie Genevard. Ma question s’adresse au professeur Nisand et au docteur Belaisch-Allart. Vous indiquez dans votre note liminaire que l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules augmenterait la situation de pénurie en matière de don de sperme, et vous préconisez une indemnisation des donneurs. L’indemnisation est un paiement. Vous envisagez également le recours aux banques étrangères. Ici encore, il s’agirait de payer pour obtenir les paillettes de sperme. Selon vous, pourrons-nous échapper à cette obligation de commercialisation des gamètes ?

M. Israël Nisand. Ce sujet est encore très largement tabou dans notre pays. Je veux juste faire remarquer que nous sommes le seul pays d’Europe à demander 100 % d’altruisme aux donneurs de gamètes. La conséquence pragmatique est que cela ne fonctionne pas. Nous pouvons voir ce que font nos voisins, notamment pour le don d’ovocytes qui est tout de même beaucoup plus difficile que le don de sperme. Plusieurs pays du nord de l’Europe, par exemple la Belgique et les Pays-Bas rétribuent entre 500 et 2 000 euros un don d’ovocytes. Ils ne sont pas obligés d’envoyer leurs patientes vers des dons payants d’ovocytes à l’étranger.

Je constate d’ailleurs qu’en Belgique, en particulier à travers une belle statistique faite à Gand, les femmes ne vont pas systématiquement dans les centres où elles seront le plus indemnisées. La question n’est pas que celle d’un mélange d’altruisme et d’intérêt. Quand un médecin fait payer ses consultations, est-ce qu’il est décrit comme intéressé par l’argent ? Pas du tout. C’est surtout une reconnaissance par l’État de l’effort consenti. Cette reconnaissance est symbolique. Sachez qu’actuellement, en France, il est demandé à une femme faisant un don d’ovocytes de produire ses tickets de métro pour calculer son défraiement. Cette organisation est très pusillanime.

Nous voudrions que soit regardé ce qui fonctionne ailleurs. Nous n’avons peut-être pas fait preuve d’intelligence en demandant 100 % d’altruisme. Ceci étant dit, je suis d’accord avec vous, il ne faudrait peut-être pas utiliser le mot « paiement ». Cependant, considérant la lourdeur des contraintes subies par une femme qui nous rend l’immense service de donner ses gamètes, je suis favorable au mécanisme de l’indemnisation. Je crois que nous devons être assez adultes pour mettre ce sujet difficile sur la table en évitant des termes comme celui de « commercialisation ». Ils sont très difficiles à entendre. Ils laissent à penser que nous nous servirions des femmes ou des hommes de manière commerciale. Non, il s’agit simplement de récompenser un acte très utile à la nation en montrant symboliquement que le geste a été apprécié.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Je souscris totalement à ce qui vient d’être dit. J’ajoute que nous avons écrit dans nos propos liminaires qu’il « faut s’interroger ». Nous avons écrit « peut-on ? » et « doit-on ? » Il faut tout de même être clair : si nous ne faisons rien, si nous n’augmentons pas les dons de sperme, il n’y aura pas d’autorisation réelle ouverte aux femmes homosexuelles et aux femmes seules. Quoi qu’on vous dise, cela ne fonctionnera pas par le moyen d’une campagne de presse. Quant aux couples hétérosexuels qui doivent bénéficier d’un don, ils attendront encore plus longtemps.

Soyez conscients du fait qu’il s’agit de nous interroger. S’interroger, voilà le terme clé. Si nous ne le faisons pas, vous risquez de voter une loi qui sera purement théorique.

M. Thibault Bazin. Madame la présidente de la FNCGM, vous avez mentionné des demandes abusives. Pourriez-vous illustrer celles-ci et nous indiquer dans quelle mesure le projet de loi pourrait protéger le corps médical de ces demandes abusives, évitant ainsi une forme d’acharnement procréatif ?

Mme Pia de Reilhac. Je sais bien que c’est leur droit, mais n’ayant pas beaucoup de gamètes à l’heure actuelle et ayant parfois même des difficultés à satisfaire l’AMP classique, j’ai utilisé le terme de demandes abusives pour certaines situations. Je pense à des cas comme celui d’une patiente qui aurait 42 ans et trois ou quatre enfants, et qui en voudrait un cinquième. Il serait bon que l’argent public aille vers une personne dans une situation plus difficile.

J’aimerais bien que nous n’en arrivions pas à ce que les jeunes aient recours à l’autoconservation. Parce que nous leur parlons de la difficulté d’avoir des enfants lorsque l’âge avance, certaines jeunes filles de 22 ou 23 ans nous disent que si elles le pouvaient, elles autoconserveraient dès maintenant leurs ovocytes pour être tranquilles pour la suite. Après tout, pourquoi pas ? Si ce n’est pas utilisé, cela servira peut-être pour un autre couple. Il me paraît cependant difficile d’envisager cela aussi vite, quand il n’y a pas de problème médical bien sûr.

Mme Géraldine Porcu-Buisson. Je voudrais compléter ce propos. Il faudra aussi prévoir dans la loi les mesures relatives à l’information et à la protection de la femme au travail. Des femmes demanderont l’autoconservation parce qu’elles ont besoin d’avoir la même progression professionnelle que les hommes, une carrière garantie. Elles auront également besoin d’être tranquilles pour la garde quotidienne de leurs enfants.

Ainsi, au-delà de l’autoconservation à proprement parler, il faudra aussi mettre en place des dispositions législatives pour dissuader et condamner les employeurs ou toute autre personne qui pourraient inciter ces jeunes femmes à l’autoconservation. Il faudra protéger ces femmes de tout cela.

Mme Nathalie Massin. Je voudrais insister sur le volet information et prévention. Lorsqu’une jeune femme vient discuter de sa fertilité et évoquer éventuellement sa préservation, notre premier devoir en tant que médecin, devoir que nous appliquons, est l’information. Nous sommes capables en tant que médecins de débouter une jeune femme de 22 ans si elle n’a pas de raison médicale d’autoconserver ses ovocytes, en lui proposant de revenir quelques années plus tard si elle toujours dans la même optique.

Je ne sais pas si ce peut être écrit dans la loi, mais nous avons un rôle central dans l’information précoce des jeunes filles. Dès le collège, comme chacun apprend la géographie, nous devrions également apprendre la dynamique de la fertilité et ce qu’elle implique. Pouvoir donner une information précoce est important. Elle est souvent donnée très tard et elle est alors extrêmement anxiogène pour les femmes. Dire à une femme de 35 ans que les chances de grossesse sont divisées par deux est extrêmement anxiogène. Cette information devrait être intégrée très tôt par les filles comme par les garçons. Il faut savoir que beaucoup de femmes ne peuvent pas concevoir assez tôt, non pas parce qu’elles ne le veulent pas ou parce qu’elles ont un travail, mais à cause de la problématique du ou de la partenaire. C’est un vrai problème.

Cela doit faire partie des connaissances fondamentales que de savoir que la fertilité est optimale jusqu’à 30 ans et qu’elle va très bien jusqu’à 35 ans. Cependant, s’il n’y a pas eu de projet de bébé actif à 35 ans, il faut pouvoir envisager la possibilité d’une autoconservation si la vie l’impose pour diminuer la demande ultérieure de dons d’ovocytes ainsi que pour la santé de l’enfant. En effet, un enfant né d’un ovocyte plus jeune aura une meilleure santé. C’est également valable pour la qualité des spermatozoïdes.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Je voudrais ajouter qu’il faudrait faire confiance aux femmes. Vous avez tous compris que j’étais très favorable à l’autoconservation ovocytaire, et je reçois beaucoup de patientes à ce propos. Je n’ai jamais reçu de patiente de 22 ans. Je crois que ce sera l’exception. Ce n’est pas parce qu’il est possible de se suicider avec un médicament très efficace qu’il faut interdire ledit médicament. Faire une alerte sur ces cas éventuels de jeunes femmes me semble excessif. Nous en verrons extrêmement peu. Faites confiance aux femmes. Des enquêtes sociologiques rigoureuses, y compris au niveau européen, montrent que l’âge idéal de la maternité et l’âge idéal de la paternité ne sont pas du excessifs. Les gens ne veulent pas d’enfants après 40 ans. Ce sont les hasards de la vie qui les y poussent, mais ce n’est jamais volontaire.

Deuxièmement, il faudrait tordre le cou à une idée fausse à propos de la politique de Google. Elle ne traduit pas une pression des employeurs. Certes, des entreprises américaines payent l’autoconservation, mais il faut se remettre dans le contexte américain où rien n’est pris en charge. Donc lorsque les lunettes des enfants sont payées, lorsqu’une entreprise propose d’offrir quelque chose pour la santé de la femme ou des enfants, c’est un vrai bénéfice pour le salarié. C’est en ce sens que cela a été fait. Il ne s’agissait pas du tout de favoriser l’autoconservation pour pousser à travailler plus. L’argument de l’intérêt des employeurs me semble clairement un argument des gens opposés à l’autoconservation.

Vous avez des données scientifiques. Je tiens à la disposition de la commission tous les articles qui montrent que dans 80 % des cas, la raison d’une autoconservation tient à ce que la femme n’a pas rencontré le bon partenaire, et non à sa carrière.

Mme Sandrine Brugère. Je crois tout de même qu’il ne faut pas tout à fait éliminer la question de la pression des employeurs sur les jeunes femmes. On voit dans les services médicaux des pressions sur de jeunes femmes qui deviennent chefs de clinique pour qu’elles ne soient pas enceintes pendant leur clinicat. J’imagine que cela se passe aussi dans les entreprises. Des pressions sont exercées pour que les jeunes femmes ne soient pas enceintes au moment où elles ont des responsabilités particulières. Il faut les protéger de cela. L’histoire des services et des chefs de clinique n’est pas quelque chose qui m’aurait été raconté : c’est quelque chose que nous vivons tous.

M. Israël Nisand. Comme le disait M. Jean-Louis Touraine, des choses me semblent devoir être écrites dans le marbre de la loi et d’autres dans le corpus réglementaire. Nous pourrions inscrire dans le réglementaire l’interdiction faite à une entreprise publique ou privée de prendre en charge de tels frais. Ce ne sera de toute façon pas un problème pour la France, puisque ces actes seront pris en charge.

M. François Vialard. Je ne sais pas si c’est le bon endroit pour en faire la demande, mais je voudrais insister sur ce que vient de dire Mme Nathalie Massin. Il faut vraiment que nous agissions sur le système éducatif. Cela suppose qu’au niveau législatif, nous fassions prendre conscience aux jeunes femmes de l’altération de la qualité ovocytaire avec l’âge. Lorsque j’en fais l’enseignement, je suis extrêmement étonné de constater que même les femmes ne le savent pas. Certes, il faut l’enseigner aux hommes, mais il faudrait aussi que les femmes le sachent déjà elles-mêmes. Nous devons mettre en place une politique de prévention pour la fertilité, et principalement de la fertilité de la femme puisque c’est celle qui s’altère le plus avec l’âge. Je ne sais pas si vous pouvez intervenir en ce sens au niveau du gouvernement, mais il serait bon que cette notion soit mieux transmise. Cela résoudrait de nombreux problèmes, dont celui du DPI-A par exemple.

Mme Sandrine Brugère. Cette question n’est pas simple. La question « ne voulez-vous pas faire un enfant maintenant, car vous serez trop âgée plus tard ? » peut être rattachée à ce qui a été reproché aux gynécologues dans le cadre des violences gynécologiques. Cela a été raconté par certaines patientes. Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas faire d’information, mais rien n’est simple. J’ajoute qu’informer aussi les garçons me semble être une bonne idée.

Marie de Crecy, membre du conseil d’administration de la FNCGM. Je vous trouve très optimiste quant à l’information. Quand nous posons des questions aux femmes concernées, même si elles ont suivi une filière S, elles ne connaissent rien de leur physiologie. Elles l’ont pourtant apprise. Je pense donc qu’il faut informer un peu plus tard. Nous avons publié de nombreux articles dans les journaux pour exposer les raisons d’avoir un enfant tôt et rien n’est passé. Je vous crois donc très optimistes, mais vous avez le droit de l’être !

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Ce sujet pourrait faire l’objet d’un beau colloque. Madame Belaisch-Allart, je veux bien que vous transmettiez vos documents à la commission.

M. Brahim Hammouche. Je veux revenir sur la question de la gratuité, avec une autre approche. Cette gratuité reste le point névralgique de notre système, elle fonde la cohérence de notre système de pensée. Si nous voulons utiliser des termes philosophiques, elle fonde même la dignité et la liberté du système. Un don gratuit, ce n’est pas pareil qu’un don indemnisé.

Vous avez parlé d’indemnisation, en soulignant bien que vous ne parliez pas de « rétribution ». C’est une forme de mise à distance d’un mot qui pourrait s’employer à la place d’un autre. Les mots ont leur importance dans les débats éthiques. Celui de gratuité n’est pas anodin. C’est même le point névralgique du système. Si nous voulons qu’il reste cohérent, nous devons veiller à ce qu’il reste gratuit. C’est ainsi que nous pouvons tendre la main et aider celles et ceux qui sont en grande souffrance, et permettre à ceux qui peuvent tendre cette main, en faisant un don en l’occurrence, de le faire de manière, certes altruiste, mais également en responsabilité et en solidarité. C’est ce qui fait notre dignité d’humain.

M. Israël Nisand. Sur ce sujet également, je pense qu’il faudrait un colloque. Nous n’avons pas épuisé le sujet, y compris au plan philosophique. Certains philosophes à l’étranger ont pris en charge cette question. En France, nous sommes sur un veau d’or : anonymat et gratuité, mis au frontispice de la loi. L’anonymat, nous ne pourrons plus le promettre aux donneurs. C’est terminé. Il s’est effrité de lui-même devant les avancées techniques.

Reste la gratuité. Elle a fait de notre système un système qui ne fonctionne pas. Nous pouvons très bien dire que nous restons sur nos grands principes. La France les a souvent privilégiés. Cela amène cependant à laisser toute une frange de la population sans enfant, ou bien nous leur donnerons de l’argent pour aller faire les choses ailleurs. Nous sommes bien propres sur nous, et nous disons « allez faire ces choses ailleurs, s’il vous plaît ». Sachez que nos voisins nous le reprochent. Ils soulignent que nous avons de grands principes éthiques, mais que nous leur envoyons massivement notre souffrance.

Je préférerais que nous déplacions un tout petit peu le fléau. Je préférerais que nous ne nous bloquions pas sur 100 % d’altruisme. Nous sommes le seul pays au monde à faire ainsi. Je ne veux pas non plus que nous proposions une marchandisation de la procréation, comme elle peut se voir dans l’ouest des États-Unis, avec des catalogues par exemple. Ce type de fonctionnement nous choque. Ne pourrions-nous pas être dans un juste milieu, une juste pondération ?

Nous savons que si nous continuons le 100 % d’altruisme, nous nous continuerons à ne faire que des gesticulations d’annonces politiques sans conséquences concrètes pour les patientes. C’est un choix possible, mais ce n’est pas celui des professionnels concernés.

Mme Géraldine Porcu-Buisson. La gratuité sur certificat d’un praticien pour une patiente qui s’en va à l’étranger correspond à 1 200 euros en plus des frais de voyage remboursés. Ce n’est donc pas gratuit. Nous nous appuyons sur le fait que, comme la patiente ne fait pas l’acte en France mais à l’étranger, nous n’avons rien vu, mais en revanche, la France paie pour cela. Il faut réfléchir à tout cela. Comme l’a dit M. Nisand, nous ne faisons pas du don gratuit actuellement puisque nous envoyons ces femmes à l’étranger. Nous payons pour cela et pour que nous continuions à ne rien voir.

Mme Nathalie Massin. Je voudrais ajouter un mot concernant le don d’ovocytes. Je pense à un argument pour l’indemnisation des femmes, qui ne représente peut-être pas une récompense, mais une reconnaissance de la difficulté du geste. Cet argument est que cela n’a rien à voir avec les autres dons. Cela brise la logique selon laquelle, si nous donnions une indemnisation pour le don d’ovocytes, cela ouvrirait la porte à des indemnisations pour tous les autres dons.

Soulignons la difficulté et la durée d’un tel don. Cela représente environ quinze jours de traitement avec des injections quotidiennes, avec trois ou quatre échographies de surveillance. Cela suppose trois ou quatre déplacements dans un centre, avec une intervention chirurgicale sous anesthésie générale et une consultation préalable. Cela demande donc un investissement au-dessus de celui qui consiste simplement à donner son sang. Ne pas indemniser le don de gamètes pour éviter d’indemniser le don de sang est un argument qui ne me semble pas tenir. Nous pouvons reconnaître que le don d’ovocytes est particulièrement contraignant pour les femmes. Il pourrait être reconnu comme tel par une indemnisation très raisonnable.

Nous ne parlons pas de rétribution. 500 euros d’indemnisation reste un montant très faible. Limiter la possibilité à une ou deux fois par femme n’entraînera pas une marchandisation du corps de la femme.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Je suis tout à fait d’accord. Vous avez parlé de gratuité. Ce sera bien gratuit pour la femme qui reçoit. Il n’est pas du tout dans notre esprit de faire payer ces 500 euros à la femme candidate au don. Il faut que ce soit organisé par la sécurité sociale et cela restera un geste complètement gratuit. Mais nous reconnaîtrons tout ce que vient de développer Nathalie Massin sur la pénibilité du don.

Tout à l’heure, M. Israël Nisand a évoqué le fait que la personne devait donner ses tickets de métro. Très souvent, elles n’ont pas toutes les preuves. C’est alors nous qui devons avec nos petits moyens, dans nos services, avec nos associations de service, donner quelque chose à la patiente, payer des examens ou d’autres choses. Je vous assure que ce qui se passe actuellement n’est pas bon non plus.

La gratuité et l’éthique peuvent être parfaitement respectées en indemnisant la personne qui a la noblesse de donner ses ovocytes. Je ne serai pas choquée si nous n’indemnisons pas les dons de sperme. Donner son sperme est infiniment plus facile, tout comme donner son sang.

Mme Nathalie Massin. Pour terminer sur le don d’ovocytes et parce que nous parlons de la pénurie d’ovocytes, ouvrir la possibilité de faire un tel don dans tous les centres qui font des actes d’AMP permettrait aussi une augmentation des dons. Les centres d’AMP voient régulièrement revenir des femmes pour une seconde grossesse en FIV. C’est un moment où elles auront à nouveau un recueil d’ovocytes. Au cours de ce moment particulier, nous pouvons leur demander, ayant bénéficié du système, de laisser une partie de leurs ovocytes, non pas pour elles-mêmes et pour une fécondation avec le sperme du conjoint, mais pour un don, et sans que cela impose pour elle un traitement supplémentaire. Il s’agit alors de laisser une petite partie de ses propres ovocytes pour la communauté.

M. Didier Martin. Nous avons en face de nous un panel assez extraordinaire de docteurs et de professeurs. Ils forment en quelque sorte un jury pour prononcer un avis.

Sur le titre I du projet de loi, « l’AMP pour toutes, l’autoconservation des ovocytes sans pathologies, levée de l’anonymat des donneurs de gamètes et nouveau mode de filiation pour les femmes », accepteriez-vous de vous prononcer collectivement ou individuellement ? Êtes-vous très défavorables, défavorables, favorables ou très favorables au projet de loi ?

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Je crois que mon collègue demande plutôt une confirmation.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Il est assez clair que nous y sommes extrêmement favorables. Notre objectif est que cela puisse ensuite être mis en pratique.

Sur la base de questionnaires adressés à la profession, nous pouvons vous dire qu’environ 80 % d’entre nous sont très favorables à ce projet.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’ai entendu en « audition rapporteur » des représentants de Mam'ensolo, du collectif BAMP et d’autres associations.

Ces personnes parlaient précisément de ce que vous évoquez, c’est-à-dire du parcours de la femme qui, ayant déjà eu une procédure d’AMP, est devenue ensuite donneuse. Je précise que ce qui suit n’a pas vocation à être une accusation. Je veux faire part des difficultés que peut éprouver une femme, dans un parcours d’AMP ou de donneuse, dans ce processus de stimulation ovarienne avec cette surveillance régulière : le fait d’être seule sur les injections, qu’il n’y ait pas d’infirmière, de ne pas avoir de référent à contacter le soir s’il y a une inquiétude ou un problème d’organisation, ou encore de passer d’un interne à un autre sur les échographies. L’insertion de la sonde sans prévenir a été souvent évoquée, et nommée comme une violence obstétricale. Plusieurs femmes se sont effondrées en larmes durant les auditions.

C’est pourquoi je ne peux pas évacuer cette question. J’imagine que vous en avez déjà entendu parler. Vous en avez peut-être une autre vision, celle du geste technique, là où la femme le ressent comme un vécu psychologique intime. Cette femme peut parfois être seule face à cela. Elle n’est pas forcément accompagnée. Faudra-t-il des textes ou un code de bonnes pratiques, pour que n’arrivent plus ces peines ressenties au point de s’effondrer en larme à une audition à l’Assemblée nationale ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Nous sommes un peu étonnés. Nous entendons ce que vous dites. Il est certain que cela existe, mais nous avons aussi le retour de nos questionnaires de satisfaction diffusés dans tous nos centres. Ils expriment des choses bien différentes. Quant au fait de mettre une sonde vaginale sans le demander ni dire que l’acte va être réalisé, cela existe peut-être. Je le déplore profondément. Dans l’immense majorité de nos centres cependant, ce n’est pas ainsi que nous travaillons. Nous faisons des réunions d’information, nous expliquons tout, nous montrons les images de sonde vaginale. J’entends qu’il puisse y avoir une exception et je le déplore.

Il n’est pas facile de donner ses ovocytes. J’ai dit en plaisantant que l’indemnisation pourrait ne pas être la même pour l’homme et pour la femme. Nous essayons tous de vous le dire, bien qu’avec des mots différents : donner ses ovocytes est infiniment plus lourd que de donner son sang ou son sperme.

M. François Vialard. Le système médical actuel en France est un système de compagnonnage. L’ensemble du système professionnel est fait pour apprendre les bonnes pratiques à nos étudiants et nos médecins. Tous autour de la table, nous avons été formés par nos pairs. Ceci étant, il peut toujours y avoir une brebis galeuse. Nous ne pouvons pas l’éviter.

Cela ne m’empêche pas de partager l’avis de Mme Belaisch-Allart. Nous avons des enquêtes de satisfaction pour nous guider. De bonnes pratiques sont normalement reconnues. Le respect du patient est au cœur de notre spécialité. C’est la première chose que nous apprenons à nos étudiants et un message que nous donnons presque tout le temps. Le respect du patient est à la base de notre pratique. Tous les médecins doivent prendre en compte ce message.

M. Bertrand de Rochambeau. Quand nous avons découvert publiquement les accusations de maltraitance, il n’y avait pas de raison que l’AMP ne soit pas concernée. Nous vous l’avions dit ici à l’époque. L’essentiel des patientes, leur grande majorité est plutôt satisfaite des services de la maternité. Il n’y a pas de raison qu’il en soit différemment dans l’AMP.

En revanche, nous devons comprendre que nous faisons face en AMP à des patientes qui ont un problème médical. Ces patientes ne sont pas comme celles qui n’ont pas de problème de ce type. Elles sont encore plus compliquées à prendre en charge. Il arrive que nous nous trompions. Nous ne sommes que des humains. Ainsi, malgré toute l’attention dont nous pouvons faire preuve, il arrive que cela débouche sur de mauvais vécus. Tant qu’il y aura de la médecine et des malades, ce sera le cas. À nous ensuite de débriefer et de réagir. Quand nous apprenons de tels faits, il y a un vrai travail dans chacun des services afin que cela n’advienne pas à nouveau. Cela, c’est notre démarche médicale. C’est la même chose en chirurgie, en obstétrique ou en AMP.

C’est plutôt bien que la patiente dont vous nous donnez le témoignage ait pu en parler. Tant qu’il y aura des malades, nous aurons ce type de souci. Il faut qu’il y en ait le moins possible, et nous essayons de nous améliorer en permanence.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Y a-t-il un coordinateur dans le cadre d’un processus d’AMP ? Ce n’est pas une accusation : je m’interroge sur l’existence d’un référent qui puisse communiquer avec le patient.

Mme Pia de Reilhac. En tant que gynécologues médicaux, nous avons la chance de connaître une grande partie de nos patientes, d’avoir du temps et de leur expliquer ce qui va se passer. En tant que praticiens de terrain, quand nous envoyons une patiente dans un centre, nous essayons de bien lui expliquer tout ce qui se passera. Les patientes peuvent revenir vers nous s’il y a un problème. Nous sommes tout à fait prêts et aptes à répondre dans ces situations. C’est pourquoi la gynécologie médicale avait et a toujours toute son importance.

Mme Géraldine Porcu-Buisson. Certaines femmes expriment le fait que le parcours que vous décrivez est un parcours du combattant. Cela les perturbe sur le plan professionnel, sur le plan du couple, sur le plan familial et sur le plan symbolique. Elles ont un médecin référent, que ce soit en secteur public ou en secteur privé. Ceci dit, la disponibilité du médecin n’est peut-être pas toujours celle qu’elles attendent ou dont elles ont besoin. Elles peuvent aussi avoir accès à des consultations de psychologie.

Il est clair que nous devons réfléchir à mieux les accompagner et mieux les placer dans un cocon protecteur. Notre demande du DPI-A vise aussi à empêcher ces patientes de renouveler cette expérience en pure perte. Nous savons que nous pouvons éviter cela. C’est pour cette raison que nous demandons les moyens de mettre fin à ces tentatives inutiles avec des transferts d’embryon, des congélations embryonnaires et des embryons qui ne donneront jamais de grossesse.

Nous cherchons chaque jour à bien entourer les patientes. Comme le disait un précédent intervenant cependant, nous ne sommes pas bons avec tout le monde.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mesdames et messieurs, merci pour vos réponses aux questions posées par mes collègues, et à bientôt dans de passionnants colloques.

 

L’audition s’achève à dix-huit heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du mardi 3 septembre à 17 heures

Présents.  Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, Mme Marine Brenier, M. Xavier Breton, M. Francis Chouat, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Bruno Fuchs, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Brahim Hammouche, M. Patrick Hetzel, Mme Monique Limon, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Marilossian, M. Didier Martin, Mme Sereine Mauborgne, M. Maxime Minot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Sylvia Pinel, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier, M. Hervé Saulignac, M. Jean-Louis Touraine, M. Pierre Vatin, Mme Martine Wonner

Assistait également à la réunion. - Mme Constance Le Grip