Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

 

– Audition du Pr. Catherine Poirot, présidente du Groupe de recherche et d’étude sur la cryoconservation de l’ovaire et du testicule (GRECOT), Pr. Jean Hugues Dalle, responsable de l'unité de greffe de cellules souches hématopoïétiques de l'hôpital Robert Debré (Paris), Pr. Nathalie Dédhin, responsable de l'unité de greffe de moelle dans le service d’hématologie « Adolescents et Jeunes Adultes » de l’hôpital Saint-Louis (Paris), et Dr. Pascal Piver, responsable du centre d’assistance médicale à la procréation de Limoges              2

 Présences en réunion...................................11

 


Mercredi
4 septembre 2019

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 28

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 4 septembre 2019

L’audition débute à seize heures cinquante.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

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La commission spéciale procède à l’audition du Pr. Catherine Poirot, présidente du Groupe de recherche et d’étude sur la cryoconservation de l’ovaire et du testicule (GRECOT), du Pr. Jean Hugues Dalle, responsable de l'unité de greffe de cellules souches hématopoïétiques de l'hôpital Robert Debré (Paris), du Pr. Nathalie Dédhin, responsable de l'unité de greffe de moelle dans le service d’hématologie « Adolescents et Jeunes Adultes » de l’hôpital Saint-Louis (Paris), et du Dr. Pascal Piver, responsable du centre d’assistance médicale à la procréation de Limoges.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous abordons maintenant le champ très particulier de l'article 22 du projet de loi qui vise à permettre la greffe de tissu germinal pour rétablir une fonction hormonale. Pour mieux connaître les enjeux de cette pratique et saisir le cadre juridique dans lequel elle doit s'inscrire, nous avons sollicité le GRECOT, le groupe de recherche et d'étude sur la cryoconservation de l'ovaire et du testicule, en la personne de sa présidente, le Pr Catherine Poirot. Celle-ci est accompagnée par le Pr. Jean Hugues Dalle, le Pr Nathalie Dédhin et le Dr Pascal Piver. Vous nous avez transmis une contribution et je vous en remercie. Je vous invite à vous présenter.

Pr. Catherine Poirot. Nous sommes là au nom du GRECOT, le groupe de recherche et d'étude sur la conservation de tissu ovarien et de tissu testiculaire.

Pr. Jean Hugues Dalle. Je suis responsable de l'unité de greffe de cellules souches hématopoïétiques de l'hôpital Robert Debré à Paris, qui est une unité uniquement pédiatrique.

Pr. Nathalie Dédhin. Je suis médecin hématologue et responsable de l'unité de greffe de moelle dans une unité d'hématologie dédiée aux adolescents et jeunes adultes qui prend en charge les patients de 15 à 25 ans.

Dr. Pascal Piver. Je suis docteur et responsable du centre d’assistance médicale à la procréation (AMP) de Limoges. J’ai fait partie de la première équipe qui a réussi à greffer du tissu ovarien, à conserver du tissu ovarien et à obtenir en France les premières grossesses après cette technique.

Pr. Catherine Poirot. Je suis biologiste de la reproduction et je travaille en préservation de fertilité à l'hôpital Saint-Louis. Le GRECOT a commencé avec un groupe de personnes qui s'est intéressé à une publication sortie en 1994 par l'équipe du professeur Gosden, à Leeds. Celle-ci montrait pour la première fois qu'après congélation et greffe de cortex ovarien chez la brebis, il était possible d'obtenir un petit agneau. Compte tenu de la similitude entre l'organisation et la structure histologique des ovaires de brebis et humain, il nous a semblé que cette technique pouvait être transposable à l'espèce humaine pour préserver la fertilité des femmes, sujet qui commençait à émerger. La congélation de spermatozoïdes se faisait depuis 1972, et préserver la fertilité devenait un vrai sujet chez les femmes. Ce groupe se réunissait régulièrement, et les perspectives ouvertes à la technique de conservation de tissu ovarien ont amené le GRECOT à s’organiser en société savante en 2006. Nous avons ajouté un « T » à notre nom pour le tissu testiculaire du petit garçon prépubère.

Le GRECOT est une société qui réunit des médecins et des biologistes de la reproduction, mais aussi d'autres spécialités, notamment des hématologues et des oncologues, parce que nous nous sommes très vite aperçus que nous ne parlions pas forcément toujours de la même chose et que nous avions besoin des uns et des autres pour aboutir à quelque chose de cohérent. L’une des missions du GRECOT consiste à colliger, sur la base du volontariat, les congélations d’ovaires et de tissu testiculaire réalisées en France. Nous avons mis aussi en place un fichier des greffes d'ovaire. Ces données sont restituées chaque année lors de notre journée nationale scientifique. Ce sont des données que personne n'a à sa disposition, pas même l'Agence de la biomédecine, avec qui nous travaillons pour mieux nous articuler,.

Pourquoi faut-il apporter des modifications à la loi de bioéthique ? D'une part pour améliorer la qualité de vie des patientes. C’est la raison pour laquelle est formulée la demande de pouvoir utiliser le tissu ovarien, et éventuellement le tissu testiculaire – mais c'est surtout le tissu ovarien qui est important ici –, pour rétablir une fonction endocrine et pas seulement pour rétablir une fertilité. Cette demande a trouvé une réponse dans le projet de loi. Nous avons aussi jugé que compte tenu des perspectives d'utilisation de ces tissus, il fallait autoriser des programmes de recherche sur les tissus germinaux de patients décédés, pour améliorer leurs conditions d’usage et tenir notre rang dans la compétition avec les autres équipes internationales.

La seule technique d'utilisation du tissu ovarien conservé qui a permis la naissance d'enfants est la greffe du cortex ovarien. Malheureusement, toutes les femmes ne peuvent pas accéder à cette technique, notamment celles qui ont eu des leucémies, parce qu'il existe un risque de présence de cellules leucémiques à l'intérieur des tissus germinaux, donc un risque de réintroduire la maladie lors de la greffe. Notre fichier GRECOT montre que 40 % des femmes qui ont une pathologie hématologique et qui bénéficient d'une conservation d'ovaires ont une leucémie. Il y a donc un vrai enjeu pour les patientes. La problématique est la même pour le petit garçon au regard des greffes de tissu testiculaire. Dans notre fichier GRECOT, 51 % des patients à qui nous faisons une conservation de tissu testiculaire présentent une leucémie.

Il est absolument impératif d’étendre le champ d'utilisation des tissus germinaux. Les objectifs sont multiples : permettre à plus de patientes d’accéder à la greffe d'ovaires, notamment par l'étude de la maladie résiduelle à l'intérieur des fragments d'ovaire ; mettre en place d'autres techniques comme la croissance de follicules ovariens in vitro – les « ovaires artificiels » – pour s'affranchir du risque de réintroduction de la maladie lors d'une greffe de tissu ; mettre au point de même des spermatogénèses in vitro, etc. Pour explorer ces pistes de recherche, il faut disposer de tissus germinaux. C'est extrêmement compliqué à obtenir chez des patients vivants. Il nous paraîtrait vraiment important de pouvoir utiliser les tissus germinaux de patients décédés. Le protocole de recherche qui nous a permis de congeler du tissu ovarien a été mis au point à Limoges. À l'époque, le comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB) de Limoges avait demandé à ce que les consentements incluent un chapitre disant : « si vous n’avez plus besoin de votre tissu germinal ou en cas de décès, souhaitez-vous qu'il soit utilisé pour la recherche ou que la conservation soit arrêtée ? ». La majorité des patientes adultes et des parents autorisaient l'utilisation de ce tissu germinal pour la recherche en cas de décès. Mais la loi nous empêche d’utiliser ces tissus et, en quelque sorte, de respecter la volonté des patients : l'article L. 1211-2 du code de santé publique dit que toute utilisation des tissus ou cellules germinaux à des fins autres que celles du prélèvement initial – c'est-à-dire la préservation de fertilité – est interdite en cas de décès de l'intéressé.

Nous comprenons de l'article 22 qu’il ouvre la possibilité de faire de la recherche sur les gamètes, mais pas sur les tissus germinaux. Nous sommes ici aujourd'hui, principalement, pour voir s'il est possible de faire évoluer ce point.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je suis sensible à ce que vous avez dit. Le risque de maladie résiduelle impose de savoir ce que l'on réinjecte dans le corps du patient et nécessite donc une qualification de l'auto greffon – si je peux le dire ainsi. Cela nécessite aussi, en amont, des recherches sur les tissus germinaux, à partir des prélèvements effectués sur un certain nombre de personnes, pour évaluer le risque d'avoir une maladie résiduelle. Vous demandez donc que l’on puisse utiliser de tels prélèvements à des fins de recherches. Je n'ai pas vu  dans l’article 22 – mais je peux me tromper –  qu’il serait impossible d'utiliser des tissus germinaux dans des conditions autres que la propre réinjection chez l'adulte. Le III de l’article L. 2141-11 tel qu’il résulte de l’article 22 dit bien : « si [la personne] ne souhaite plus la maintenir [il s’agit de la conservation], elle consent par écrit : 1° à ce que ses gamètes fassent l’objet d’un don en application [etc.] ; 2° à ce que ses gamètes ou ses tissus germinaux fassent l'objet d'une recherche dans les conditions [etc.] ». Le 2° du III de l’article 2141-11 ouvre bien la possibilité d'utiliser des tissus germinaux dans un but de recherche, dans des conditions déterminées. Il est exact que cette possibilité reste fermée pour le mineur. Ce n’est pas propre à l’article 22, c'est un principe général auquel il est compliqué, voire impossible, de déroger. En tout cas, le projet de loi prévoit de pouvoir faire de la recherche sur des prélèvements effectués du vivant de l'enfant ; mais si l'enfant décède, les parents ne peuvent pas consentir à ce que ces prélèvements soient utilisés dans un but de recherche. J'aimerais avoir votre sentiment là-dessus, d'autant que vous avez parlé de petites filles et de petits garçons et, d'après ce que vous avez dit, il ne s'agit pas de patients majeurs.

Par ailleurs, le projet de loi ouvre à un enfant mineur la possibilité de donner à son père ou à sa mère des cellules souches hématopoïétiques. Actuellement, il peut donner dans des conditions exceptionnelles, s’il n’y a pas d'autre thérapeutique, à des cousins, des frères et sœurs, mais pas à ses parents. Le projet de loi étend le bénéfice de cette faculté aux parents en raison de la pratique des allogreffes haplo-identiques. Cette technique est extrêmement encadrée, parce que le tuteur légal ou celui qui détient l'autorité parentale est juge et partie puisqu’il sera vraisemblablement le bénéficiaire direct de la greffe. Je voulais avoir votre avis sur ces pratiques.

Pr. Catherine Poirot. Nous comprenons bien la difficulté d'utiliser en recherche des tissus germinaux d'enfants prépubères. Pour les femmes, nous avons à la fois des petites filles et des femmes adultes, mais pour les hommes, nous n’avons que des petits garçons. Pour l’instant, la préservation de tissu testiculaire n’a débouché sur aucune naissance. Si nous n'avons pas accès à du tissu de garçon prépubère, jamais nous ne pourrons progresser dans les utilisations de ce tissu, parce que les cellules souches spermatogoniales sont très particulières avant la puberté et ne peuvent pas être comparées à celles de l'adulte. Nous devons sortir de l’impasse.

Dr. Pascal Piver. L'article L. 1211-2 du code de santé publique permet que l'ensemble des tissus et des cellules du corps humain, pour une personne majeure ou mineure, soient donnés à la recherche, sauf les tissus germinaux. Qu'est-ce qui justifie que nous ne puissions pas utiliser ces tissus germinaux pour la recherche, alors que toutes les autres cellules du corps humain sont accessibles à la recherche en cas de décès ?

Pr. Jean-Hugues Dalle. Nous pouvons imaginer qu'il a été fantasmé que les cellules germinales permettaient de créer de petits êtres vivants, ce qui n'est pas le cas des autres tissus. Je pense que c'était ce que législateur avait à l'esprit au moment où cet article a été écrit. Nous avons montré qu'il était possible d'obtenir des enfants vivants après réimplantation de tissu ovarien prélevé chez de jeunes femmes pubères et chez une jeune femme en phase péripubertaire. Pour le moment, il n'y a pas eu de preuve de concept avec des tissus ovariens prélevés chez des petites filles plus jeunes. Le champ de recherche est encore ouvert, y compris chez le sexe féminin, pour les enfants prépubères.

Le tissu germinal inclut, outre les cellules gonadiques qui permettent d’aboutir à un enfant vivant, d’autres cellules dont certaines peuvent être des cellules de la maladie résiduelle. La réimplantation de tissu germinal contenant des cellules malades est susceptible de réintroduire cette maladie. Chez l’humain, cela reste une hypothèse. Nous savons que cela existe chez l'animal : nous avons pu réintroduire des leucémies en greffant du tissu testiculaire chez le rat ou en greffant des cellules gonadiques féminines chez des rongeurs de sexe féminin. Chez l'humain, cette question est très prégnante, d'autant que la technique est ancienne : on prélève du tissu gonadique à visée de préservation de la fertilité chez les petites filles et les jeunes filles atteintes de leucémie depuis 1999. Les premiers prélèvements pouvant avoir lieu vers l’âge de 5 ans, ces jeunes femmes ont environ 25 ans aujourd’hui. Elles viennent demander une restauration de leur fertilité, parce cette séquelle de la greffe est extraordinairement invalidante, blessante, impactant la qualité de vie. Elles demandent aux médecins de la procréation comme à leur hématologue greffeur de restaurer leur fertilité. Tout ce que nous pouvons leur répondre à l'heure actuelle, c’est que nous avons des doutes. Peut-être y a-t-il de la maladie dans les fragments ovariens, peut-être n'y en a-t-il pas. S'il y en a, peut-être que cela peut réintroduire la maladie, ou peut-être pas. S'il nous paraît si important de pouvoir évaluer le risque de maladie résiduelle dans les fragments ovariens ou testiculaires, c’est pour pouvoir dire à nos patientes que l’on prend le risque, ou pas, et que l’on réimplante, ou pas. Pouvoir apporter cette réponse est essentiel. À l'heure actuelle, nos patientes nous disent : « on a compris qu'il y a peut-être un risque, mais on veut y aller quand même ». Il nous extraordinairement difficile d'accéder à leur demande – ou de la leur refuser – puisque nous ne savons pas évaluer ce risque. Évidemment, utiliser du tissu gonadique de nos patients et patientes vivantes, c’est les en priver une fois que nous aurons la réponse. En accédant à du tissu gonadique de patients décédés, nous ne privons ceux-ci de rien et nous pourrons apporter des réponses aux patients vivants.

J'entends la difficulté d’utiliser du tissu de patients décédés, singulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants, mais tous les parents ont entendu parler du risque de décès, du risque de rechute. Ils le savent, et c'est d’ailleurs écrit dans le consentement à la greffe. Bien sûr, ils peuvent ne pas « l’entendre » au moment où ils signent l’autorisation : il y a des choses qui ne sont pas entendables à ce moment-là, tellement c'est épouvantable, mais il n'empêche que c'est écrit noir sur blanc. Pouvons-nous imaginer un deuxième consentement le jour où nous voudrions utiliser les tissus ? Pourquoi pas. Pour revoir des parents endeuillés, je sais qu'ils réclament souvent de participer au développement de la recherche, au développement des connaissances, et de rendre ainsi service aux suivants.

Pr. Nathalie Dhédin. Nous essayons dans plusieurs centres – mais c’est encore du domaine de la recherche – d’évaluer par des techniques très sensibles la contamination éventuelle de cellules leucémiques dans les fragments ovariens. Pour l'instant, nous l’avons fait chez près de quarante patientes qui avaient des leucémies aiguës, ce qui est la plus grosse cohorte de la littérature mondiale. Un point est très délicat : l’évaluation a porté sur deux fragments – un qui aurait vocation à être réimplanté, l’autre pris dans une partie de l'ovaire qui ne sera pas réimplantée ; chez les trois quarts des patientes on ne trouve pas de traces de leucémie, et chez un quart on en trouve. Or si l’évaluation ne portait que sur un fragment, l'information qui en est tirée pourrait être incomplète. En effet, si dans la grande majorité des cas, le résultat est le même pour les deux fragments, c'est-à-dire positif / positif ou négatif / négatif, on observe des discordances dans un petit nombre de cas. C'est pour cela que, pour diminuer le risque que nous pourrions prendre en réimplantant, nous souhaitons pouvoir étudier chez des patientes décédées la vingtaine de fragments ovariens conservés – c’est ce qui est conservé, en moyenne, pour une personne. C'est un exemple précis, très concret, de la recherche appliquée que nous développons ou voulons développer dans notre unité.

Pr. Catherine Poirot. De telles recherches doivent être développées à la fois chez l'adulte, mais aussi chez la petite fille, parce que la structure ovarienne y est différente : les ovaires de petites filles sont extrêmement compacts, extrêmement riches en cellules folliculaires et n'ont pas du tout la même organisation qu'un ovaire adulte. Chez l’ovaire adulte, il y a beaucoup plus de tissu conjonctif autour des cellules germinales. On peut donc imaginer que les phénomènes soient différents chez l'enfant et chez la femme adulte.

Pour revenir sur ce que disait le Pr. Dalle, nous faisons signer un consentement qui prévoit qu'en cas de décès, les parents ont le choix d'arrêter la conservation ou de donner les tissus à la recherche. Malheureusement, des enfants décèdent et des mamans m'écrivent en disant : « nous tenons absolument à ce que les tissus soient utilisés en recherche, parce qu'au moins, cela servira à quelque chose ». Il y a une vraie demande. Je n’ai pas le sentiment que les personnes les plus directement concernés voient comme quelque chose de diabolique le fait de faire de la recherche sur des tissus de patients décédés. C’est peut-être le cas dans le grand public, mais chez les patients et les personnes concernées, je vois au contraire une grande volonté.

Mme Annie Genevard. Ma question porte sur les risques d’un don qui pourrait être contaminant. Vous avez évoqué le don de gamètes d'un patient, d'une personne, qui pourrait affecter le receveur. Ai-je bien compris ce que vous avez dit ? Si c'est le cas, ne faudrait-il pas empêcher tout don de gamètes pouvant contaminer l'hôte ?

Pr. Catherine Poirot. Ce n'est pas une question de contamination à proprement parler. Certains cancers sont génétiquement déterminés, et si le gamète en lui-même ne peut pas contaminer directement, il peut apporter des gènes de susceptibilité au cancer.

Mme Annie Genevard. Faut-il interdire le don dans ce cas-là ?

Pr. Catherine Poirot. Je pense que si un établissement qui intervient dans le don de gamètes accepte des gamètes de patients qui ont été affectés par des maladies graves, il faut qu’il le dise au couple receveur. Je ne suis pas sûre que nous accepterions ce type de gamètes pour des dons.

Mme Annie Genevard. Pourquoi ne pas interdire le don dans ce cas-là ?

Pr. Catherine Poirot. Le don provenant de gamètes de patients qui ont eu des cancers ?

Dr. Pascal Piver. L'objectif de la préservation tissulaire dont nous parlons est une autoconservation, ce n’est pas le don. Quand une patiente a un cancer, nous n'allons pas proposer à quelqu'un d'autre de greffer son tissu avec un cancer.

Mme Annie Genevard. La personne a le choix : elle peut décider de la conservation, de la destruction, ou du don.

Dr. Pascal Piver. Ceci concerne les gamètes matures, mais pas les tissus gonadiques. Les gamètes ne sont pas porteurs de la maladie.

Mme Annie Genevard. Madame a dit qu’ils pouvaient contribuer au développement de la maladie.

Dr. Pascal Piver. Bien sûr, lorsque des facteurs génétiques sont en cause.

Mme Annie Genevard. Que ce soit directement ou indirectement, le résultat peut être le même. Je pose clairement la question, non seulement à vous, mesdames et messieurs les médecins, mais à nos collègues : avons-nous le droit de faire prendre ce risque, en acceptant le texte du projet ? C'est clairement dit dans l’article 22, alinéa 11 : le don des gamètes est possible.

Pr. Catherine Poirot. Tout à fait. C'est pour cela que le texte que nous avons envoyé attire votre attention sur ce fait-là. On ne parle pas de tissus germinaux. Ces gamètes ne seront pas acceptés pour le don. Médicalement, nous refuserons.

Mme Annie Genevard. Ils sont évoqués dans l’alinéa 11 de l’article 22.

Pr. Catherine Poirot. Ce n’est pas nous qui avons rédigé le projet. C’est peut-être quelque chose à retirer. Par contre, ouvrir la possibilité de la recherche pour les tissus germinaux des patients décédés, cela peut être ajouté.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Je voudrais avoir votre avis sur le DPI-HLA, que le projet ne prévoit pas de supprimer, et sur l'utilité des dispositions légales qui l’entourent.

La question de ma collègue Annie Genevard est tout à fait pertinente. Un donneur qui porte un cancer – je ne parle pas d’une leucémie, dont on connaît la colonisation au niveau testiculaire – peut-il avoir dans son éjaculat des cellules tumorales qui mettraient en danger un éventuel receveur ? Vous estimez que sur un plan médical, il faudrait refuser un tel don, mais des études ont-elles été faites ? Y a-t-il un risque ?

Pr. Catherine Poirot. Avant d’utiliser les spermatozoïdes, on les prépare, c'est-à-dire qu'on isole les spermatozoïdes les plus mobiles, et de ce fait l'on écarte les cellules autres que les spermatozoïdes. Le risque est donc fortement atténué. Cependant, je ne peux pas garantir qu'il n'y a aucune cellule autre que des spermatozoïdes dans la préparation.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Il n’y a pas eu d’étude là-dessus ?

Pr. Catherine Poirot. Je n'en ai pas connaissance. Je ne crois pas.

Dr. Pascal Piver. Nous utilisons régulièrement des spermatozoïdes qui ont été congelés alors que le patient était malade, mais nous les utilisons après sa guérison. Nous n'avons pas réintroduit la maladie. Cela se fait quotidiennement.

Pr. Nathalie Dhédin. Je ne suis pas sûre que nous puissions donner une réponse absolue, parce que des patients rechutent tardivement et nous pouvons alors tout imaginer.

Pr. Jean-Hugues Dalle. Je pense que nous parlons de deux choses différentes. La rechute concerne le patient qui a donné les spermatozoïdes, mais pour obtenir un enfant ceux-ci sont introduits dans un autre organisme. À notre connaissance, il n'y a pas eu de sur-risque de cancer chez les enfants conçus par AMP à partir de l’éjaculat d'un patient pour lequel une cryoconservation avait été réalisée avant un traitement gonadotoxique. Il en est de même pour les dons d’ovocytes.

Faut-il pour autant que ces gamètes qui ont été initialement conservés à visée autologue soient mis à la disposition de la communauté pour une AMP dans un autre couple ? J’ai le sentiment que la communauté médicale n'irait pas chercher ces gamètes-là. Ce n'est peut-être pas une bonne comparaison, mais un sang placentaire conservé à visée familiale ne peut à aucun moment être versé dans la banque publique de sang placentaire. L'objet initial est de rendre éventuellement service à un autre membre de la fratrie de l'enfant dont est issu le sang placentaire. Même si la famille demande – cela arrive – que le sang placentaire soit versé dans la banque, il ne peut pas l'être. L’étanchéité est totale entre un don dirigé et un don public. J'imagine que pour les gamètes, ce doit être la même chose, même si j'entends que l'alinéa que vous avez cité semble dire que ce serait possible.

Mme Annie Genevard. Je voudrais vous lire l'alinéa : « La personne dont les gamètes ou les tissus germinaux sont conservés […] consent par écrit à la poursuite de cette conservation. Si elle ne souhaite plus la maintenir, elle consent par écrit :  à ce que ses gamètes fassent l'objet d'un don […] ; 2° à ce que ses gamètes ou ses tissus germinaux fassent l'objet d'une recherche […] ; 3° à ce qu'il soit mis fin à la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux. » Le texte parle bien – en premier, d’ailleurs – du don. Si vous estimez que la communauté médicale ne les utilisera pas, je ne vois pas pourquoi le texte de loi serait médicalement « moins disant » que les médecins éclairés que vous êtes.

Pr. Jean-Hugues Dalle. Je réponds à la question portant sur le don de cellules souches hématopoïétiques fait par un mineur à ses parents. En ma qualité de pédiatre qui a longtemps reçu des enfants donneurs pour leur fratrie, je suis de plus en plus soucieux de la signification de ce don, étant entendu que je pense que le terme de don est ici assez galvaudé : quelle est la capacité d'un enfant à qui l’on demande de donner pour son frère ou pour sa sœur de s'opposer à cela ? Le don entre frères et sœurs est néanmoins protégé par la réception de l'accord des parents par le président du tribunal de grande instance. Dès lors que le don serait dirigé vers l'un des parents, cela crée un conflit d'intérêts majeur entre le parent qui a besoin du don et la protection de l'enfant. Bien évidemment, cela s'entend dans les deux sens : interdire un tel don et interdire à l'enfant de participer à la guérison de l'un de ses parents, c'est extraordinairement lourd de conséquences. Le projet de loi organise un encadrement très strict de ce don : un tiers garant est nommé par le président du tribunal de grande instance ou le juge des enfants ou des affaires familiales ; ce tiers garant ne peut pas être un collatéral ou un ascendant ; le don n’est permis qu'à la condition qu'aucun autre donneur ne puisse être identifié. Je crois que les précautions sont telles que cette situation devrait être permise.

Sur le DPI-HLA – diagnostic préimplantatoire portant à la fois sur la maladie congénitale dont un membre de la fratrie est déjà porteur et sur le fait d'obtenir un donneur sain HLA compatible pour éventuellement guérir un enfant préalablement atteint –, j'ai toujours pensé que la conception d'un « enfant-médicament » allait au-delà de mon engagement médical et je ne trouve cela ni entendable ni dicible. D'autres appellent cela un « bébé du double espoir ». C'est dire qu'il y a différentes façons d'envisager les choses. Cela étant, quand nous expliquons aux familles qu'avoir un enfant non atteint d’une pathologie récessive, c'est trois chances sur quatre – c'est la loi mendélienne – et qu’avoir un embryon HLA compatible, c’est une chance sur quatre. La probabilité de satisfaire simultanément aux deux conditions est donc trois chances sur seize. Comme il y a environ 20 % de chances d'obtenir une naissance vivante après une AMP, la perspective de succès d’une démarche d’AMP faite dans ce but est de un sur vingt. Quand on met ceci en regard de la course d'obstacles qu’est une AMP, bien des familles réalisent que c’est extrêmement difficile. Quand de plus, la loi prévoit que si la fécondation in vitro a donné des embryons sains non HLA compatibles, ceux-ci devront être utilisés avant de réaliser une nouvelle FIV visant à obtenir un embryon sain et HLA compatible, je pense à titre personnel que c'est embarquer les familles dans une technique extraordinairement difficile pour une chance de succès extraordinairement faible. C’est aussi donner à l'enfant sain et HLA compatible qu'on aura fabriqué pour l'occasion un rôle qui me semblent très discutable. Une suppression du DPI-HLA ne me serait pas difficile à accepter.

M. Philippe Berta. Sur le risque de contamination par don de spermatozoïdes, il me semble quand même que les techniques d’injection intra-cytoplasmique (ICSI) causent un risque bien faible.

Vous avez évoqué les troubles de l'équilibre hormonal. Je rends grâce à nos collègues endocrinologues qui savent gérer ces situations-là. Je prends pour exemple les petites filles XY ou les personnes affectés du syndrome de Turner qui, à ma connaissance, sont aujourd'hui plutôt bien gérées sur un plan hormonal – elles ont, je rappelle, une dysgénésie ou une agénésie gonadique. La preuve en est que nombre d'entre elles sont tout à fait capables – bien sûr par PMA – de mener des grossesses à terme.

Pr. Catherine Poirot. Je conviens que les collègues endocrinologues savent très bien gérer les traitements de substitution. Notre demande vient du fait que nous commençons à faire des greffes d’ovaire, à l’issue desquelles les patientes retrouvent une fonction ovarienne « comme avant » – elles disent toutes cela. Redevenir « comme avant » fait partie de la victoire sur la maladie. Elles me disent toutes que leur confort hormonal après une greffe d'ovaire, donc avec des sécrétions endogènes, est totalement différent de ce qu'elles ressentent avec un traitement hormonal substitutif. C’est d’ailleurs quelque chose qui m'avait surprise, mais je redis que c’est extrêmement présent dans le discours des patientes.

Pour répondre sur le don de gamètes, quand nous avons des gamètes ou des tissus germinaux conservés dans le cadre du traitement d’un cancer, nous envoyons chaque année une relance. Nous demandons aux patients s'ils veulent poursuivre la conservation, l’arrêter ou donner les gamètes ou les tissus à la recherche. L’alinéa 11 introduit la possibilité de faire un don de gamètes pour procréation. Quand nous voyons les couples dans le cadre des dons de gamètes, il y a une enquête génétique et les donneurs ayant développé un cancer sont récusés.

M. Jean-François Eliaou, rapporteur. Peut-être pas pour l’autoconservation des gamètes dans le but d’une AMP au bénéfice du donneur.

Pr. Catherine Poirot. Effectivement, l'article 22 traite de l’autoconservation dans une situation pathologique. Après, il y a la conservation sociétale qui peut être une source de don de gamètes.

M. Jean François Eliaou, rapporteur. C’est ici un copier-coller de dispositions prévues dans l’article 2.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mesdames, Messieurs, merci de vos réponses et de votre venue devant nous.

L’audition s’achève à dix-sept heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du mercredi 4 septembre à 16 heures 30

Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Valérie Beauvais, M. Philippe Berta, Mme Marine Brenier, M. Francis Chouat, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Patrick Hetzel, Mme Brigitte Liso, M. Didier Martin, M. Maxime Minot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Pierre Pont, Mme Laëtitia Romeiro Dias