Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi relatif
à la bioéthique

– Audition du Pr Myriam Szejer, pédopsychiatre psychanalyste, attachée à la maternité et au centre de PMA de l’hôpital Foch (Suresnes), directeur pédagogique et enseignante à l’université Paris-Descartes, Pr Catherine Jousselme, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université de Paris Sud, chef de service et du pôle universitaire du Centre hospitalier pédopsychiatrique « Fondation Vallée », Mme Mireille Cosquer, psychologue clinicienne et statisticienne, et Pr Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, psychanalyste, médecin-directeur, enseignant à l’université Paris VII              2

 Présences en réunion...................................17

 


Jeudi
5 septembre 2019

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 32

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 5 septembre 2019

L’audition débute à douze heures cinq.

(Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente)

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La commission spéciale procède à l’audition du Pr Myriam Szejer, pédopsychiatre psychanalyste, attachée à la maternité et au centre de PMA de l’hôpital Foch (Suresnes), directeur pédagogique et enseignante à l’université Paris-Descartes, Pr Catherine Jousselme, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université de Paris Sud, chef de service et du pôle universitaire du Centre hospitalier pédopsychiatrique « Fondation Vallée », Mme Mireille Cosquer, psychologue clinicienne et statisticienne, et Pr Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, psychanalyste, médecin-directeur, enseignant à l’université Paris VII.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue pour cette toute dernière audition de la commission spéciale. Vous savez les interrogations nombreuses et récurrentes que suscite le déploiement de nouveaux modèles familiaux sur le développement de l’enfant. On peut dire que si la famille est d’abord faite par les adultes, elle est surtout faite pour les enfants : elle est idéalement le cadre protecteur au sein duquel l’enfant, faible et fragile, va se construire et trouver progressivement sa place tant vis-à-vis de lui-même que vis-à-vis des autres.

Mme Myriam Szejer, pédopsychiatre psychanalyste, attachée à la maternité et au centre de PMA de l’hôpital Foch de Suresnes. Cela fait des années que je me suis mobilisée sur la levée de l’anonymat, donc je suis assez contente de voir que cette disposition figure dans le projet. Mais, en pratique, certains enfants pourront y avoir accès et d’autres non. Ce n’est pas un problème sur lequel on peut passer rapidement en disant qu’il y aura toujours des secrets. Il y a toujours eu des secrets organisés par les familles. Ils alimentent la névrose ordinaire. Mais lorsque ces secrets sont organisés par l’État, ils deviennent très « persécutifs ». C’est en ce sens que je dis qu’il faut faire attention, car cela peut déclencher des sentiments très violents chez les gens qui en sont les victimes. Ils ont l’impression qu’on séquestre quelque chose qui leur appartient et ils le vivent très mal.

Je souligne que l’ambiance incestuelle dans laquelle vivent ces personnes nées d’un don n’est pas un fantasme de psychanalyste. Ils sont sans cesse exposés à cette interrogation : « est-ce que je désire mon frère, ma sœur, mon père, ma mère ? Est-ce qu’il y a des risques que je fasse des enfants avec eux ? » C’est dans ce climat qu’ils vivent, parfois conscient, parfois inconscient mais toujours générateur d’une angoisse qui prend des formes diverses.

Travaillant dans un centre de procréation médicalement assistée (PMA), j’ai été amenée à recevoir des demandeurs avant même la PMA. Forte de cette expérience, je propose la mise en place systématique d’un entretien préconceptionnel afin de provoquer chez eux une réflexion. Celle-ci est nécessaire pour tous les couples, pas seulement les couples de femmes ou les mères seules, mais tous les couples qui demandent un don – je ne dis pas tous ceux qui demandent une PMA – parce que c’est quelque chose de particulier que d’intégrer de l’étranger dans sa descendance. Intégrer ça dans chaque histoire personnelle et familiale peut se faire avec quelqu’un qui est capable d’écouter avec une forme de neutralité, d’informer voire de conseiller. Cependant tous les centres de PMA ne sont pas pourvus de telles personnes. Le projet prévoit que quand on n’a pas de psychiatre on peut le remplacer par un psychologue… Il faut quand même réaliser que le premier a 12 ans de formation, le second cinq. Leurs formations ne sont pas du tout équivalentes et le seul élément équivalent est en fait la dimension psychanalytique, qui est censée leur apporter une neutralité par rapport à ce qu’ils entendent. Il serait donc intéressant de doter les centres des PMA de personnels formés qui pourraient travailler avec les obstétriciens et recevoir les familles en amont, permettant ainsi une prévention qui est loin d’être négligeable dans toutes ces histoires de dons.

J’émets quelques réserves sur les mères seules, les mères célibataires. J’en ai rencontré un grand nombre et j’ai repéré une importante fragilité chez ces femmes, avec une culpabilité inconsciente ou consciente sur le fait de ne pas avoir donné de père à l’enfant. Surtout lorsqu’elle est inconsciente, cette culpabilité donne naissance à une forme d’anxiété maternelle quant à la manière dont elles vont s’occuper de leur enfant et cette anxiété suscite des attitudes compensatoires : elles vont trop s’en occuper, trop les couver, avoir des idéaux pédagogiques démesurés, etc. Le fait de ne pas pouvoir avoir recours à un tiers pour médiatiser les choses entre elle et leur enfant donne des couples mère-enfant qui sont parfois, voire souvent pathologiques. Donc, j'émets quelques réserves sur l’accès des femmes seules à la PMA, de même que sur l’accès au double don d’ailleurs.

En matière de filiation, j’ai peur que l’inscription à l’état civil du fait qu’il y ait eu une PMA avec don stigmatise les personnes car même si l’acte intégral de naissance a une diffusion restreinte, il y aura quand même des gens qui sauront. Je crains que ce soit trop violent et je pense qu’il faudrait trouver un moyen de faire les choses progressivement et en douceur. Les Centres d'Études et de Conservation des Oeufs et du Sperme (CECOS) doivent pouvoir contacter les donneurs, même si c’est un travail lourd. Je soutiens aussi l’idée d’une plateforme.

Mme Catherine Jousselme, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université de Paris Sud. Nous allons évidemment nous placer du côté de l’enfant et non du côté de l’adulte, en gardant à l'esprit que le temps psychologique n’est pas forcément le temps du concret. On sait aujourd’hui, grâce à la psychanalyse mais aussi aux neurosciences, que pour arriver à intégrer une information et à l’utiliser vraiment, il faut que nos circuits cérébraux aient le temps de l’apprivoiser, de l’intégrer, de la digérer. Une loi de bioéthique qui ouvre aux personnes le droit de prendre des décisions doit donc se donner les moyens de les aider à prendre le temps de prendre ces décisions ; elle doit aussi de donner les moyens d’avoir des gens formés en amont et en aval de ces décisions pour pouvoir répondre à d’éventuelles questions, à des doutes secondaires. On sait aussi que pour les enfants qui sont issus de familles un peu originales, le plus difficile est d’être stigmatisé. Le mariage pour tous, par exemple, a été très positif pour les enfants qui vivaient déjà dans des familles homoparentales, et comme les parents étaient désormais en égalité de droits face à ces enfants, ils ont pu leur donner beaucoup plus de sécurité.

L’orientation sexuelle des parents ne les fait pas bons ou mauvais parents, ou « suffisamment bons » ou « suffisamment mauvais » parents. Cela se passe à un autre niveau et je vais essayer de vous en dire quelques mots. Face à ce projet d’extension de la PMA, la première question est : est-ce que la PMA est dangereuse ? Est-ce que les enfants issus de PMA vont mal aujourd’hui ? Non, les enfants issus de PMA vont bien, sachant qu’il faut prendre du temps avant le don ou l’assistance médicale à la procréation (AMP) en général pour bien évaluer la place du désir de cet enfant et surtout l’entrecroisement des choses entre les deux partenaires qui souhaitent avoir un enfant. Pour cela, il faut des gens formés et Mme Cosquer et moi plaidons pour que cette évaluation soit le fait de deux personnes, l’une issue de la psychologie ou de la psychiatrie de l’adulte et l’autre issue de la psychologie ou de la psychiatrie de l’enfant, pour que l’enfant et l’adulte puissent être entendus chez les parents. Cela nous semble quelque chose d’extrêmement important.

Nous sommes d’accord avec l’idée que les couples homoparentaux aient accès à la PMA en France. Je suis de nombreuses familles homoparentales qui ont eu accès à la PMA à l’étranger et je ne pense pas que la sélection par le niveau social fasse la bonne parentalité : la maltraitance existe malheureusement dans tous les milieux. Ce qui compte chez les parents, ce sont les doutes possibles et les questions qu’ils se posent. Ce qui est dangereux, c’est quand un couple homoparental estime qu’il va être meilleur qu’un couple hétérosexuel, qu’il a toutes les solutions et qu'il n’y a aucune question que pose son homoparentalité. Par contre, je vois des gens qui se posent des questions avec leurs enfants au fur et à mesure de leur développement et les choses se passent très bien.

Il n’est donc pas souhaitable, en ne faisant rien, d’en rester à cette sélection sociale pour l’accès à la PMA à l’étranger. Par ailleurs, toutes les études sérieuses montrent que les enfants issus de ces couples homoparentaux n’ont pas de problème d’identité globale, d’identité sexuelle ou de choix sexuel. Je ne reviendrai pas sur le secret. Les parcours de personnes qui ont un secret sont délétères dans les PMA comme dans l’adoption. J’ai le souvenir d’un homme qui a appris devant moi à 30 ans qu'il était vraiment sûr qu’il avait été adopté : il m’a expliqué que pendant 8 jours il avait l’impression que le monde entier était un décor de cinéma et que ça le rendait fou. La levée du secret est évidemment obligatoire et elle est peut-être plus aisée pour les familles homoparentales puisque forcément l’enfant vient de quelque part. Les couples homoparentaux sont « obligés » de le dire alors que c’est plus difficile dans les couples hétérosexuels. Certains ont beaucoup de mal à expliquer leur stérilité et il faut les accompagner car ne pas le faire expose à un risque de handicap psychique. Il faut se donner les moyens de ce qu’on décide.

Nous sommes assez réservées sur la possibilité pour les couples hétérosexuels sans problème médical d’accéder à l’AMP, notamment par double don de gamètes, parce cela nous semble refléter un désir d’enfant hors de la sexualité. Or, avoir un enfant, c’est d’abord avoir un désir sexuel amoureux entre deux personnes. Dans l’homoparentalité, bien évidemment, il faut une aide, mais ce n’est pas pareil. La demande de deux femmes qui ont une sexualité, qui s’aiment et qui ont besoin d’une aide pour avoir un enfant et la demande d’un couple qui souhaite avoir un enfant, mais en est empêché par sa sexualité – hors problèmes médicaux ou génétiques – sont radicalement différentes. Il faut bien différencier le semblable et l’identique. Or ces deux demandes sont semblables mais pas identiques.

Nous sommes moins réservées sur les mamans solos, peut-être parce que la clinique a montré que certaines femmes n’ont pas de facteur de risque, pas d’histoire traumatique, pas de parcours épouvantable avant... Les données de santé mentale des enfants vivant dans un cadre monoparental sont mauvaises parce que ces femmes ont souvent vécu un deuil, un abandon, ou des choses traumatiques. En revanche, il nous semble important que les entretiens en amont soient extrêmement rigoureux – le législateur doit assumer ses responsabilités – pour faire une évaluation vraie. L’idée a aussi été émise d’un tiers de vie ou d’un parrain de vie qui serait déclaré en même temps que le projet parental et qui serait un tiers déterminé, spécifique, dans la relation entre la mère et l’enfant.

Nous nous inquiétons de ce qu’il n’y ait pas de limite d’âge pour l’autoconservation des gamètes, car si la contraception permet d’imaginer un enfant au bon moment dans sa vie, dans une période de fécondité, imaginer un projet artificiel d’enfant à distance uniquement en fonction des projets parentaux, voire de l’entreprise dans laquelle on travaille, nous semble dangereux pour l’enfant. Un enfant, ce n’est pas juste ce qu’on veut : il y a un bébé imaginaire qui doit aussi faire partie de notre histoire en fonction de ce qu’il peut être lui-même. On doit pouvoir être surpris par lui. Programmer des choses à ce point est inquiétant.

Le double don est intéressant dans certains domaines parce que le don d’embryon n’est actuellement pas vécu par certains couples comme un double don : l’embryon surnuméraire qu’ils accueillent est vécu par certains comme un embryon qui n’aurait pas été « assez bon » pour le couple qui l’a conçu. Il a pourtant été conçu par le désir – on voit alors la place du désir d’un autre couple – et pour ces couples-là, c’est un peu compliqué. Le double don pour les couples dont les deux membres sont stériles ne nous semble pas du tout quelque chose d’inenvisageable.

Il semble important d’avoir un suivi en amont, une réflexion sur la nature du désir d’enfant et la personnalité des personnes qui demandent un enfant dans ces conditions-là, puis, en aval, d’avoir des consultations de bien-être, c’est-à-dire ces consultations de guidance parentale que l’on a avec tous les couples et dans les familles un peu « particulières ». Ces consultations sont très utiles et demandent parfois un suivi au long cours, y compris avec un accompagnement à l’adolescence sur les questions qui touchent la filiation. Les pédopsychiatres doivent pouvoir être présents jusqu’à l’adolescence de ces enfants pour répondre à leurs questions sans les stigmatiser.

M. Pierre Lévy-Soussan, psychiatre. Dans toute filiation, il est compliqué de se transformer en père et mère, quelle que soit la filiation, que ce soit par AMP, que ce soit par adoption, que ce soit sous la couette comme on dit dans le milieu adoptif. C’est toujours très compliqué. On s’est rendu compte avec l’expérience que c’est encore plus compliqué pour l’adoption et l’AMP. Pourquoi ? Dès qu’un tiers intervient en plus du couple, qu’il soit médical dans le cas de la PMA ou social dans le cas de l’adoption, ce tiers va complexifier les représentations du « devenir parent » à la fois pour les parents et pour l’enfant. Les échecs de filiation dans ces situations qui font appel à ce tiers nous le rappellent : on voit des enfants qui n’ont pas réussi à se transformer en fils ou fille et des parents qui n’ont pas réussi à se transformer en père et mère de l’enfant. Ce n’est donc pas parce que l’on a un enfant que l’on est parent. La survenue de la technique dans le psychisme des parents est déterminante et on le voit bien dans la PMA. D’ores et déjà, dans des PMA classiques, dans le cadre des lois de bioéthique actuelles, on se rend compte – c’est un vrai sujet tabou – des difficultés qu’ont les adultes de se transformer en parents et des enfants de se transformer en fils ou fille de l’un et de l’autre. Les études qui le montrent commencent à apparaître.

C’est un sujet tabou. Il a fallu 20 ans pour dire qu’il y avait ces difficultés-là dans le monde de l’adoption, tant du côté des enfants que du côté des parents et c’est la même chose dans l’AMP. On réalise aujourd’hui que plus on complexifie les choses au niveau des représentations du biologique, des représentations du gamète, des représentations des spermatozoïdes, plus on biologise l’idée de filiation, c'est-à-dire que l’on va mettre derrière le spermatozoïde un « père biologique » – c’est une expression que vous retrouvez dans toute la presse. Il faut savoir que ce type d’expression entre dans le psychisme des enfants et des parents et certains auront justement du mal à se transformer en fils ou fille avec un don de sperme ou d’ovocytes. La technique en soi de fécondation in vitro, c'est-à-dire le fait de déplacer la scène d’engendrement à l’intérieur d’un laboratoire, a en tant que telle un impact psychique. Il devient très difficile de resymboliser une scène à l’intérieur de ce couple-là et de faire comme si l’enfant venait du couple.

Si l’on suit une logique de prévention et d’intérêt de l’enfant, modifier les paramètres de la PMA va forcément retentir sur l’enfant. Si on le met par exemple dans une situation où il n’y aura absolument pas de père – je ne parle justement pas de père biologique –, si vous supprimez cette valence qui permet jusque-là à tous les enfants issus de PMA de penser venir du couple, on voit bien que ces enfants seront défavorisés. Il y aura là une véritable discrimination parce que tous les autres enfants pourront penser une scène d’engendrement à partir de leur père et mère, que ce soit dans l’adoption ou dans la PMA. Si on modifie les paramètres en supprimant le père, on met l’enfant dans une scène d’engendrement impossible à penser pour lui. On se rend déjà compte de ce phénomène dans les situations où des scènes d’engendrement dans les situations de PMA classiques (avec des couples) ne sont pas possibles. Dans l’adoption ou dans la PMA, une grande partie des personnes qui se lancent dans une recherche des origines du côté du biologique – j’en parle pour avoir été vice-président du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) – le font en raison d’une mise en échec de penser une origine à partir de leur famille.

Je suis assez d’accord avec Mme Szejer : on retrouve ces difficultés chez les femmes seules, des femmes qui ont un très grand mal à penser ce côté originaire. Pourquoi ? En raison justement de ce que l’on voit dans toutes les familles : un enfant vient révéler les faillites de chaque parent. C’est très agaçant qu’un enfant nous confronte à nos limites, mais ils font ça tout le temps ! Dans l’adoption ou dans la PMA, ils vont aussi confronter leurs parents à ce que j’appelle l’origine d’un cheminement vers l’enfant ; celui-ci est parfois problématique, fait parfois l’éviction du père, fait l’éviction de la mère, fait l’éviction de tas de choses. L’enfant comme révélateur de ces failles-là va être confronté à plus de difficultés que les autres. C’est quelque chose que l’on voit très bien lorsque l’on suit ce type de situations, où les femmes sont en difficulté pour faire face à ce que leur renvoie leur enfant, c'est-à-dire les avoir mis dans une situation où il n’y aurait pas de père, il n’y aurait pas de mère, ou je ne sais quoi d’autre. C’est pour cette raison que je différencie radicalement l’utilisation de la science dans une optique médicale de l’utilisation de la science dans une optique sociétale.

Avec l’expérience acquise depuis toutes ces années, est-ce le rôle de la médecine de mettre un enfant délibérément dans une situation que l’on sait être à risque ? Toutes les études montrent depuis des années une surincidence de la situation monoparentale sur les facteurs de risque relatifs à l’enfant, que soit aux addictions, à la délinquance, aux difficultés scolaires, etc. Les études sur les femmes ayant fait une PMA commencent à sortir – mais ce n’est pas lié à la PMA en tant que telle mais au fait qu’une femme seule n’a pas de backup. L’une me disait : « c’est un métier à plein temps et je n’ai pas de repos possible ». Absolument. Ce n’est pas une histoire de parrainage, de grand-père, de frère qui jouera le rôle du père. Face à l’enfant, ces femmes seront seules et elles seront seules également par rapport à tout ce que l’enfant va susciter en elles d’interrogations complexes et difficiles. Personne n’est à l’abri de telles difficultés, même si au début on est plein de bons principes comme « j’ai beaucoup d’amour à donner », etc. Est-ce que la science est faite pour répondre à ce type de désir et à ce type de besoin ? Dans une logique de l’enfant, c'est-à-dire par rapport à ce que ça représente pour lui, il n’y a aucune raison de le mettre dans ce type de situation. Car ce sont des situations où il aura plus à faire – on le voit bien dans l’adoption et dans la PMA : chaque fois que l’on change un paramètre de sa vie, ça se traduit par une exigence psychique plus importante pour lui et l’enfant le paiera sur le plan de son développement.

Il n’est pas logique d’accroitre les risques pour l’enfant dans une société qui veut prévenir tous les risques. Je me souviens de René Dumont en 1974 qui levait son verre d’eau ; il passait pour un hurluberlu parce qu’il prévenait des risques écologiques à venir. Il a fallu près de 50 ans pour voir l’impact que peut avoir la science sur notre environnement. L’impact de la science par rapport à l’écologie de l’enfant, si je puis reprendre l’image, doit absolument être pris au sérieux.

M. Thibault Bazin. Professeur Szejer, est-ce que l’entretien préconceptionnel que vous préconisez pour tous ceux qui demandent un don pourrait aller jusqu’à refuser la PMA, si les conditions ne vous semblent pas réunies au regard de votre expertise ? Pour poser la question un peu différemment : est-ce que la volonté d’être parent peut ne pas suffire, dans les conditions que vous pouvez estimer ?

Professeur Lévy-Soussan, vous avez dit que les situations compliquées rendaient les choses plus difficiles pour les enfants. Avec le double don, le projet de loi ouvre la possibilité d’introduire deux tiers donneurs dans les familles. Nous avons entendu la semaine dernière, à huis clos, des enfants issus de PMA qui ont témoigné qu’ils n’avaient pas eu de difficulté psychique plus que d’autres, pas de souffrance. Vous nous avez donné un autre éclairage. Pourriez-vous nous confirmer que vous connaissez des enfants issus de PMA qui connaissent des difficultés plus que d’autres ?

Mme Aurore Bergé. Il était important de conclure nos auditions en vous entendant et en replaçant le débat sur l’intérêt de l’enfant, qui est évidemment notre préoccupation première. J’aimerais vous interroger sur la PMA post mortem :  on peut voir une forme de contradiction dans le projet de loi à permettre à des femmes seules de recourir à la PMA, mais pas à des femmes qui ont subi un deuil. Nous sommes un certain nombre à être assez perturbés par cette proposition, considérant que cela ferait peser un récit extraordinairement lourd sur l’enfant à venir. C’est une contradiction comme nous devons souvent en résoudre entre des intérêts qui s’entrechoquent.

Mme Myriam Szejer. Lorsque je reçois des couples qui posent problème – parce que le centre où je travaille me les adresse –, je donne un avis, que je peux exprimer devant toute l’équipe. Je crois qu’une équipe pluridisciplinaire est à même, lorsqu’elle intègre des psychiatres et des psychologues, de décider si la PMA est acceptée ou pas.

M. Thibault Bazin. Dans le texte du projet il y a une confusion entre le médecin qui estime que les conditions ne sont pas réunies et celui de l’équipe qui pourrait réaliser l’AMP.

Mme Myriam Szejer. Il est souvent arrivé que je donne un avis très défavorable et que l’équipe décide de faire quand même l’AMP. Nous ne sommes pas tout puissants.

M. Pierre Lévy-Soussan. L’AMP est-elle plus difficile pour les enfants ? C’est extrêmement dépendant de ce qu’il se passe dans la tête des parents. Plus ce qui se passe dans la tête des parents n’est pas résolu, en raison d’une incapacité à se sentir originaire par rapport à l’enfant, plus ce sera difficile pour l’enfant. Transformer un enfant de la science en son propre enfant ne va pas de soi. Lorsque les conditions de succès sont réunies, ce n’est déjà pas facile et il y a des problèmes. Lorsqu’elles ne sont pas réunies parce que les parents modifient les paramètres en biologisant la filiation, ces difficultés dans la tête des parents peuvent donner chez les enfants des problèmes d’origine. Que ce soit dans l’adoption ou dans la PMA, tous les cas que j’ai pu suivre d’enfants à la recherche de leurs origines venaient des problèmes vécus dans le fait d’être parent, c'est-à-dire l'impossibilité de se sentir originaire.

Cela me permet de faire le lien avec la deuxième question qui portait sur la PMA post mortem. La construction de la scène originaire de l’enfant au sein d’un couple qui fait appel à l’adoption ou à la PMA est essentielle parce que l’enfant va pouvoir se sentir comme s’il venait de son père et de sa mère. Cette scène d’engendrement symbolique et réelle est extrêmement importante à penser.

Dans le cas de l'insémination post mortem, cela pose un vrai problème. Pourquoi ? Parce que la différence du mort et du vivant ne jouera plus. C’est tout à fait différent de la situation où le père meurt alors que la femme est enceinte. Je considère que lorsque la science se mêle de procréation, elle modifie ces paramètres. Elle peut les modifier jusqu’à un certain point, mais ne doit pas aller trop loin. Sinon, c’est l’enfant qui paie le prix de ce sacrifice, alors que la science n’est pas là pour résoudre les problèmes existentiels des adultes. L’enfant a sa logique d’enfant.

Mme Catherine Jousselme. La question de la PMA post mortem est très particulière parce qu’une personne a congelé ses gamètes avec l’idée de pouvoir avoir un enfant. Lorsque la demande est faite quelques semaines avant que la personne décède alors qu’il y a un vrai désir d’enfant, c’est déjà compliqué, mais on ne peut que l’entendre ; lorsque la demande est faite six mois après la mort, on entre dans des problématiques extrêmement complexes pour l’enfant à venir.

Si je compare aux AMP en général, je me dis que c’est pousser trop loin le bouchon que d’avoir un enfant conçu par AMP sans que des parents aient des relations sexuelles alors qu’ils pourraient être féconds. C’est vraiment compliqué. Qui est cet enfant ? Qui sont ses parents ? D’où vient-il ? Il y a vraiment quelque chose de très compliqué. Que des parents puissent avoir une relation sexuelle sans pouvoir avoir d’enfant – car ils sont stériles ou homosexuels – donne une autre dimension car l’enfant est né du désir de ces personnes. La complexification des situations est désormais partout en médecine. Aujourd’hui, on fait vivre des enfants qui naissent à 24 semaines, qui ne sont pas plus grands que la main, qui passent trois mois en réanimation, pour qui l’on met en place un accompagnement des parents. On voit bien que ce n’est pas pareil pour tout le monde : certains parents font ce parcours remarquablement bien parce qu’ils trouvent une équipe qui les prend en charge, d’autres vont être complètement paumés et cela débouche sur une catastrophe. Donc, dans la PMA en général, l’accompagnement est essentiel pour repérer en amont les difficultés possibles et il faut savoir dire non à un certain moment.

Si je suis confrontée un jour à un couple de personnes qui ont une personnalité étrange, qui expliquent que ça ne sert à rien de faire l’amour, qu’ils sont asexuels et qu’ils veulent un enfant par double don de gamètes, je vais beaucoup m’inquiéter pour l’enfant. Je ne suis pas tout puissant, je ne suis pas Dieu, mais je peux me dire qu’avec mon expérience clinique, je peux être très inquiète de la façon dont les parents vont percevoir cet enfant. Considérons une autre situation : une personne qui veut faire une PMA parce qu’elle a peur que ses gamètes soient « mauvais » – au plan biologique ils sont très bons, mais elle a peur de transmettre une mauvaise histoire avec ses gamètes. C’est l’exemple typique d’une histoire que l’on doit parcourir, assumer avant de faire un enfant ; on peut accompagner ces gens en leur disant : « vous n’êtes pas infertiles, vous avez simplement peur de transmettre vos traumatismes ». Beaucoup de gens lisent ces informations sur l’épigénétique et s’inquiètent. Mais là, notre boulot, c’est la prévention et ça consiste à dire : « mais non, vous allez y arriver à avoir un enfant et votre histoire, vous allez la transmettre, elle est difficile, mais on vous aidera à la transmettre, on vous aidera tous ensemble à la digérer et il n’y aura pas besoin de PMA ». Il faut encadrer toutes ces demandes très compliquées. Il faut donc des professionnels formés, pas des gens qui vont en 30 secondes faire semblant de faire le tour de la situation. Il faut des gens qui ont la capacité de dire « non, on est très inquiet, ce n’est pas possible, on ne va pas prendre ce risque-là ou on va demander un autre avis ».

Mme Myriam Szejer. Je n’ai pas répondu à Mme Bergé à propos de l’insémination post mortem. En fait, je voudrais vous retourner une question. Si on légalise la PMA pour les femmes seules, la veuve va être bloquée pour son parcours de PMA et il faudra qu’elle demande du sperme de quelqu’un d’autre si elle veut un enfant. Ça met mal à l’aise.

Mme Annie Genevard. Docteur Lévy-Soussan, vous avez exposé avec tout le professionnalisme et l’expérience qui sont les vôtres les difficultés que vous rencontrez dans les familles, chez les enfants, liées à l’adoption ou à la conception par PMA. Nous avons entendu des familles ayant eu recours à la PMA, des familles homosexuelles, dire des récits très touchants, très émouvants, l’expression de l’amour pour les enfants bien sûr, mais on était dans un monde complètement idéal, où tout se passait bien avec les enfants. Un enfant né de PMA au sein d’un couple de femmes nous a dit « j’ai vécu le fait d’avoir deux mères comme un privilège ; aux yeux des autres enfants, à l’école, c’était une situation enviable ». Le rapporteur Jean-Louis Touraine nous a dit en essayant de synthétiser les témoignages : « on voit que les enfants nés par PMA au sein de couples homosexuels sont plus heureux, sont plus épanouis, sont plus tolérants que les autres ». Il l’a dit, je peux vous l’affirmer.

Si l’on en reste à l’opposition opinion contre opinion, on est dans un débat duquel on ne peut pas sortir. Vous évoquez des études, vous évoquez des témoignages qui aujourd’hui peuvent faire référence. Nous avons besoin d’éléments de cette nature pour sortir de débats qui pourraient rester un pur affrontement idéologique. C’est la raison pour laquelle votre témoignage est très important. D’abord parce qu’il rétablit un équilibre par rapport à ces témoignages initiaux, mais aussi parce qu’il donne de la matière pour argumenter.

Mme Anne-France Brunet. Je suis vraiment très intéressée par ces échanges et je voudrais avoir votre avis sur l’accès à leurs origines des enfants issus de dons. Certains enfants peuvent être plus matures que d’autres et à l’adolescence, ils peuvent avoir des attentes au regard de l’accès aux données d’origine non identifiantes ou identifiantes. Que pensez-vous de leur autoriser l’accès à ces données non identifiantes ou identifiantes sous réserve de l’accord parental ?

Vous avez indiqué tout à l’heure qu’il y avait un risque pour les enfants nés de PMA pour femme seule. On connaît tous autour de nous des femmes seules qui élèvent des enfants et on connaît leurs difficultés. Ces femmes seules, non mariées, qui veulent absolument une PMA, vont prendre des risques elles aussi, des risques sanitaires, des risques pour leur enfant, qui peut justement avoir des difficultés parce que le père donneur pourrait un jour revenir et récupérer l’enfant. Qu’est-ce que vous en pensez ?

M. Xavier Breton. Je me réjouis que l’on termine notre cycle d’auditions par cette table ronde qui montre bien que l’impact des modes de conception et d’établissement de la filiation ne donne pas lieu à des interprétations uniques dans le sens du « tout va dans le meilleur des mondes ». Effectivement, certaines questions continuent à se poser et il est important que l’on puisse rester sur ce point-là. Le débat reste complètement ouvert.

Ma question concerne le mode d'établissement de filiation : le projet de loi propose d’évincer la dimension biologique, la dimension corporelle, dans l’établissement de la filiation juridique en ne la fondant que sur la volonté, sur le projet. Est-ce que cela correspond ou non à votre expérience en termes d’analyse psychanalytique ? Est-ce que la dimension biologique, corporelle, est l’un des éléments d’établissement de la filiation ou non ?

M. Pierre Lévy-Soussan. Pour ce qui concerne les adoptions chez les couples de même sexe, la théorie du « tout va bien », voire « tout va mieux », dans le cadre d’un amour idéal, a été dominante dans toutes les études pendant 10 ou 15 ans. C’était d’ailleurs surprenant parce que déjà, dans une famille classique, tout ne va pas bien. Donc, on était surpris d’entendre que tout allait bien alors que déjà c’est compliqué à la base. Ce sont les Américains qui ont commencé à lever le lièvre : ils ont fait des études sur ces études et ils se sont rendu compte que près de 60 % des références scientifiques citées dans ces études étaient inexactes. Ils se sont rendu compte que près de 80 % de ces études étaient militantes et dans ce climat très passionnel, il est apparu que toutes ces études qui disaient tout va bien, voire mieux, étaient totalement biaisées… J’ai fait la toute première critique de l’une de ces études, celle du Pr Susan Golombok, cette chercheuse qui est citée comme une référence absolue, et il y avait des biais incroyables dans son étude – on y voyait même que des assertions comme « cela n’a pas du tout d’incidence sur les représentations sexuelles de l’enfant » étaient erronées, même avec les chiffres qu’elle donnait. C’est un sujet il est vrai éminemment complexe et difficile, et depuis 10 ans on commence à voir des études qui disent d’abord que tout ne va pas bien et ensuite que c’est plus compliqué, c’est plus difficile. Donc, il n’y a pas du tout ce côté Bisounours que voulaient nous dire les premières études – j’ai donné toutes les références à la fin de la note que je vous ai remise –, mais une surincidence des troubles dépressifs, toxicomaniaques, anxieux, des troubles de conduite, des tentatives de suicide, etc. Et ce n’est pas étonnant parce que l’on modifie des paramètres de base pour l’enfant et l’on rend son environnement plus complexe.

Pour rebondir par rapport à ces études, je suis surpris qu’aucune étude d’impact n’a été faite pour ce projet de loi : aucune étude sur l’incidence actuelle des AMP n’a été conduite auprès des centres médico-psychologiques (CMP) de France sur le plan de la pédopsychiatrie. Or nous voyons une surincidence des couples adoptifs qui viennent consulter par rapport aux familles non adoptives, et l’on voit aussi cette surincidence pour les PMA avec quatre, cinq, six fois plus de consultations. Cela montre qu’à la base, ça ne va pas bien. Il faut bien comprendre cela.

En matière d’accès aux origines, vous avez droit là encore à un discours militant pur et dur que je reconnais bien parce que pour avoir été membre du CNAOP, je sais reconnaître un discours militant. Depuis les années 1970, 90 000 enfants environ sont nés d’une façon anonyme. Combien tiennent le discours selon lequel ça va mal et il faut supprimer l’anonymat ? Quelques dizaines au maximum, quelques centaines, sur 90 000. Ce n’est vraiment pas grand-chose et vous n’avez pas reçu, je pense, les associations qui disent que l’anonymat ne pose aucun problème. Pourquoi cela est-il possible ? Parce que ces enfants ont pu se représenter un engendrement à partir de leur famille. Là encore, pour revenir à ce qui a été dit tout à l’heure, le couple hétérosexuel qui voudrait accéder à la PMA et auquel on dit que ça pose problème parce que cela signifie faire appel à la science pour contourner la scène de reproduction est exactement dans la même situation qu’un couple de femmes – j’entends un couple de femmes qui seraient fertiles par ailleurs : elles vont faire appel à la science pour contourner une scène d’engendrement symbolique essentielle sur le plan des origines pour l’enfant.

Toute cette histoire d’accès aux origines va biologiser encore plus la filiation, c'est-à-dire retirer à la famille la dimension originaire de son rapport à l’enfant et pousser celui-ci à penser que la solution à ses problèmes existentiels passe par la recherche de ses origines… On le voit parfaitement dans l’adoption. Le plus souvent, il n’y a aucune réponse par rapport à des rencontres, des retrouvailles qui peuvent survenir. Au contraire, cela marque l’échec de quelque chose d’originaire qui s’est passé dans cette famille.

Les risques encourus par les femmes seules sont avérés, non seulement par les études que j’ai recensées dans ma note, mais aussi dans les cas d’AMP. Je vous renvoie à tout ce qui a été dit jusque-là.

Dans toutes les filiations, les enfants vont faire comme si leurs parents étaient leurs parents que ce soit par PMA, par adoption ou autre. L’enfant ne va pas vérifier l’ADN de ses parents. Cette scène originaire, symbolique, à partir d’un homme et d’une femme, où l’enfant se construit une origine, est quelque chose de psychologique qui va être de l’ordre d’une acquisition. Ce n’est pas inné. Cette acquisition se fera à partir de la scène symbolique que représentent ses pères et mère. L’adoption internationale (et même l’adoption tout court) est un bon exemple. Lorsqu’un enfant vient d’un ailleurs, vient d’un pays « ailleurs », il transforme son père et sa mère qui sont occidentaux parce que d’un point de vue psychologique, il pourra faire comme si c’était son père et sa mère. Cette filiation ne repose pas que sur des interactions différentes – c’est quelque chose que l’on n’a pas encore dit : les interactions avec un homme sont radicalement différentes des interactions avec une femme. Une nouvelle fois, il faut se demander pourquoi on va priver un enfant d’interactions spécifiques que seul l’homme pourrait lui donner. Le rôle du père est spécifique car il n’établit pas du tout les mêmes interactions que la femme.

La scène de la filiation repose sur quelque chose de très réel, les fantasmes que l’enfant va nourrir sur ses parents  que ce soit par AMP, que ce soit par adoption, ou sous la couette , sur ce qu’ils font dans la chambre, parce que de leur chambre il va justement pouvoir fantasmer une scène de conception. À cet enfant adopté qui dit : « je ne comprends pas pourquoi vous faites l’amour alors que vous êtes infertiles », on doit répondre qu’ils font l’amour et que c’est justement grâce à ça qu’il aurait pu venir de cette scène. Ces représentations psychiques et filiatives représentent à la fois quelque chose de l’ordre de la réalité penser une scène d’engendrement possible et non pas impossible  et quelque chose de l’ordre du symbolique, très porteur pour lui. C’est comme cela que se construit la filiation.

Mme Catherine Jousselme. On a effectivement observé une montée en puissance de demandes de consultation auprès des CMP dans certains domaines – l’adoption, les PMA peuvent en être –, mais ce n’est pas forcément la preuve d’une situation pathologique de ces enfants. Il y a des gens qui viennent consulter pour une guidance parentale et justement, les enfants vont mieux après. Ce n’est pas un discours Bisounours selon lequel « dans les familles homos tout va très bien ». Bien sûr que non, c’est ridicule de dire des choses pareilles. Mais on ne peut pas simplifier les choses à l’infini. Il y a des gens qui consultent pour être aidés, pour se poser des questions et pour être accompagnés. Ceux-là sont des très bons parents et les gamins évoluent avec des représentations particulières qui se tricotent au fur et à mesure, comme ceux qui ont des greffes d’organe sont compliqués à tricoter dans leur corps. Il y a des choses qui font que l’on est obligé de tricoter aujourd’hui beaucoup plus qu’avant.

Je suis très gênée de voir que l’on imagine les choses en tout ou rien, en tout mauvais ou en tout bon. On sait qu’il est mauvais de ne pas lever le secret ; mais le faire doit être accompagné. Je disais tout à l'heure qu’il y a des gens qui ont besoin de temps par rapport à la stérilité et des enfants qui demandent des choses – beaucoup ne demandent rien. Il y a dans le projet quelque chose de formidable : les enfants pourront avoir accès à des données non identifiantes parmi lesquelles le pourquoi du don. Quand on discute avec des enfants issus de don, ils n’ont parfois pas du tout envie d’avoir des données identifiantes, mais ils veulent juste savoir : « ce monsieur qui a donné pour que mes parents soient mes parents, ce qui est génial, pourquoi a-t-il donné ? ». Je trouve ça formidable. Il faudrait encadrer les donneurs pour qu’ils mettent par écrit leur motivation  parce que ça ne doit pas être simple d’écrire ça.

Par rapport à la filiation, le fait que les couples homoparentaux vont reconnaître devant notaire avoir le désir d’enfant commun me semble être une chose importante pour l’enfant  en le dissociant du fait que comme il y a une sexualité homosexuelle, il ne peut pas avoir d’enfant. On ne va pas demander à une femme homosexuelle d’avoir un rapport hétérosexuel pour avoir un enfant. Il est beaucoup plus logique de dire que la sexualité de ces parents est ce qu’elle est, mais ne permet pas d’avoir l’enfant et qu’un don peut aider à en avoir. C’est compliqué, mais c’est clair si l’on prend le temps de l’expliquer et si l’on repère les gens en amont – je suis d'accord avec ma collègue – qui ont une vraie problématique psychiatrique.

Mme Myriam Szejer. L’une des questions posées portait sur l’accès aux origines en fonction de la maturité de l’enfant. Les organismes qui délivrent aux parents l’agrément pour l’adoption leur conseillent, depuis le travail de Françoise Dolto, de dire aux enfants dès le début qu’ils sont adoptés. Je ne vois pas pourquoi il y aurait deux poids deux mesures et que l’on ne pourrait pas conseiller aux parents dans l’entretien préconceptionnel d’élever les enfants dans la vérité de ce qu’il s’est passé pour eux. Leur naissance est un peu particulière et si c’est accompagné par les professionnels, ils peuvent tout à fait grandir avec ça et en fonction de leur âge, en intégrer les différents éléments – on ne va pas parler de la même manière à un bébé qu’à un enfant de 8 ans qui est capable de commencer à comprendre ce que c’est qu’un rapport sexuel, des gamètes, etc. Il peut y avoir des étapes, mais ils peuvent grandir là-dedans.

L’accord des parents est important parce que les enfants sont pris dans une loyauté et je ne les vois pas demander qui est le donneur s’ils sentent que ça violente formidablement les parents. Implicitement, ils savent très bien qu’il y a des questions qu’il ne faut pas poser.

C’est justement en raison de cette loyauté que les enfants ne vont pas, dans les associations, exprimer qu’ils ne vont pas bien. S’ils ont un malaise, une souffrance, une fragilité, ils ont aussi une loyauté par rapport à leurs parents qui les empêche de les dire. Je mets donc en doute de cette manière-là les témoignages des enfants vu le contexte dans lequel ils sont placés dans les associations.

Est-ce que les parents homos sont de bons parents ? J’ai envie de dire que ce sont de meilleurs parents que les autres parce que comme ils se sentent extrêmement particuliers dans la manière dont ils se font socialement, ils se donnent beaucoup de mal. Globalement, ce sont des éducateurs formidables. Je vais tout à fait dans le sens de ce qui a été dit par le Dr Lévy-Soussan sur la validité des études, et j’y ajouterai un point : le manque de recul. Toutes les études sont faites sur des enfants jeunes. Pourquoi ? Parce que ces sciences sont jeunes. Or, Freud a expliqué qu’il fallait deux générations pour qu’apparaisse la psychopathologie. Le problème est là : oui, ces parents ont des petits enfants qui vont bien. Qu'est-ce que ça va donner au moment de l’adolescence ? Qu’est-ce que ça va donner quand ces enfants vont avoir des enfants à leur tour ? Qu'est-ce que ça va donner quand ils vont divorcer ? Quand ils vont perdre leurs parents ? On ne peut pas encore le savoir. J’ai moi-même vu des enfants nés des toutes premières GPA qui ont maintenant entre 30 et 40 ans – puisqu’à l’époque cela avait été autorisé provisoirement – et honnêtement, ce n’est pas terrible. Je n’en fais pas une étude, je vous donne simplement un témoignage fondé sur ma patientèle.

Il est inévitable qu’on arrive à légaliser l’accès à la PMA aux couples de femmes, mais j’ai peur qu’on aille inévitablement vers un débat sur la GPA qui sera d’autant plus intense que des couples homosexuels masculins vont revendiquer de pouvoir faire des enfants. Même si la GPA n’est pas à l’ordre du jour aujourd’hui, c’est la conséquence immédiate du changement prévu. Je trouve donc un peu hypocrite de dire qu’on ne la met pas à l’ordre du jour, sachant que les décisions qui vont être prises vont déboucher directement sur cette problématique où la question de la différence des sexes va être au premier plan.

Mme Florence Provendier. J’aimerais que vous m’aidiez à résoudre une équation sur le juste équilibre entre le souhait de femmes solos d’avoir recours à la PMA et les conséquences sur l’enfant à venir qui de fait, n’aura qu’un parent. Sur la base de quels critères objectifs les professionnels qui entendront la future maman seule sur son projet de parent pourront-ils évaluer le bien-fondé de ce désir d’enfant dans l’intérêt supérieur de celui-ci ?

M. Patrick Hetzel. Pour avoir échangé au cours des derniers mois avec un certain nombre de vos confrères psychanalystes, je sais que certains avancent l’hypothèse selon laquelle avec cette loi on est en train d’effacer symboliquement le père. C’est une question évidemment importante, d’autant que certains m’ont dit : « non seulement vous êtes en train de l’effacer symboliquement, mais il se passe un certain nombre de choses quand vous le faites par la loi » ; certains vont jusqu’à dire : « vous le tuez ». D’ailleurs, vous savez que l’un de vos confrères a publié un ouvrage sur la question de l’effacement du père. Est-ce que c’est une question que vous vous posez en ces termes-là ou pas ?

Mme Monique Limon. Vous avez en partie répondu à ma question puisque nous sommes un bon nombre à être persuadés, tout comme vous, me semble-t-il, que pour se construire, un enfant a besoin de connaître ses origines. Or, puisque la loi ne peut pas obliger les parents à dire la vérité, je me demande donc comment nous pourrions faire en sorte que ce secret soit révélé au moment opportun, qui peut être différent selon la famille. Est-ce que vous avez des idées ? Est-ce que les professionnels qui font les entretiens préconceptionnels sont formés ? Est-ce que l’information est bien passée ? (on a pu entendre des Cecos nous dire qu'à une époque pas si lointaine, le conseil était donné qu’il ne fallait surtout rien.) Est-ce que l’information contraire est bien passée ?

M. Brahim Hammouche. Il y a un effet Humpty Dumpty, pour ceux qui ont lu De l’autre côté du miroir, sur les mots qui disent ce qu’ils disent – comme le confie Humpty Dumpty à Alice. Je voudrais revenir sur la traduction de la « scène primitive » : Urszene, ça veut dire scène originaire – les traductions ont leur importance. Cette scène dite primitive ou originaire n’est pas seulement une scène symbolique, elle est d’abord fantasmée par le petit enfant – ça a été bien écrit par Freud dans une lettre qu’il envoie à Wilhelm Fliess en 1897, il le reprend dans le chapitre « L’Homme au loup » de son ouvrage Cinq psychanalyses. Je ne voudrais pas faire un peu de Lacan, mais comme dans les Noms-du-père, on est dans un domaine où il faut être très vigilant vis-à-vis des traductions que l’on utilise.

Une question a déjà été posée tout à l’heure sur l’insémination post mortem qui renvoie aux pulsions associées d’Eros et Thanatos. Je vais poser celle de l’organisation puisque vous avez beaucoup évoqué la place du psychiatre ou du psychologue dans le dispositif. Quelle serait cette place dans un dispositif de prévention, notamment par rapport à l’infertilité, qui présente un fort enjeu d’information ?

Mme Myriam Szejer. Traiter de l’effacement du père en trois minutes, je n’y parviendrai pas ! Notre société est en pleine mutation et les choses vont bouger quoi qu’en disent certains psychanalystes – parce qu’ils ne disent pas tous la même chose.

J’ai commencé à parler de la question du dire. C’est une question qui revient souvent chez les parents : « on est prêt à le dire à l’enfant, mais quand ? Comment ? Qu’est-ce qu’on va lui dire ? Et puisque c’est interdit, est-ce que ça vaut le coup de lui dire ? » J’ai proposé de parler aux bébés, j’ai proposé qu’ils puissent grandir dans une histoire où il n’y a pas de révélation, parce que ce qui est toxique, c’est la révélation et si l’on peut éviter la révélation  que ce soit dans l’adoption ou dans la question des dons de gamètes  on a déjà fait un grand pas en avant. J’ai souvent été amenée à accompagner des parents et la façon dont ils vont parler à leurs enfants va rendre ce « dire » traumatisant ou non. S’il n’y a pas de révélation, on évite le traumatisme. Les enfants peuvent grandir dans la vérité de leur histoire si dès le début on ne fait pas de tabou dessus. De plus, les mentalités vont évoluer et ils vont se retrouver à l’école avec d’autres enfants qui auront le même genre d’histoire et cela fera comme pour le divorce : autrefois, les enfants étaient pointés du doigt, maintenant la moitié de la classe a des parents divorcés.

Dès le lycée, on apprend aux jeunes des tas de choses sur le rapport sexuel, mais on ne leur apprend pas grand-chose sur le positionnement face à la procréation : est-ce que c’est bien de faire des enfants ? Est-ce qu’il y a un risque pour la fertilité d’attendre trop tard ? Cela pose une vraie question parce qu’on a tellement parlé de la contraception, de l’avortement, etc., qu’ils n’ont qu’une seule peur, attraper le sida, attraper un enfant, attraper, etc. Ils pourraient aussi avoir envie de faire des enfants, de constituer une famille et de comprendre dans quelles conditions cela peut se faire. Cette question d’éducation et de pédagogie se pose au niveau de la société et pas uniquement dans la sphère intime.

Entre les secrets de famille et les secrets d’État, il y a une différence de toxicité. On n’empêchera jamais qu’il y ait des secrets de famille ; nous en avons pratiquement tous, je suis sûre, si l’on remonte suffisamment haut dans notre généalogie. Par contre, les secrets d’État, c’est une autre histoire, qui relève de votre responsabilité.

Mme Catherine Jousselme. On vient de le dire, l'absence de secret doit devenir d’une banalité affligeante. Dès la pouponnière, l’enfant destiné à l’adoption a un cahier de photos, les parents adoptants continuent le cahier de photos et en fait il n’y a jamais un moment précis où on va lui dire parce que c’est une ambiance générale où la famille est d’accord, entend, comprend. La stérilité, ce n’est pas pareil. Ça peut faire très peur, donc il faut accompagner. L’idée est de le faire le plus en amont possible. Quelque chose doit être tricoté avec l’enfant pour qu’il n’y ait pas de révélation à proprement parler.

Le sujet de l’effacement du père est très compliqué parce que les pères symboliques, ça existe. Certaines personnes n’ont pas de père mais ont un père symbolique en dehors de la famille. Dans les couples homoparentaux, notamment femmes, la plupart du temps la femme qui n’a pas porté l’enfant – parfois c’est toujours la même – prend la place d’un tiers séparateur et l’Œdipe de ces enfants se développe – Freud ne pouvait pas l’imaginer, j’imagine, en 1890 ou 1920 : ces enfants ont accès à un Œdipe, c'est-à-dire qu’il apparaît un tiers qui rompt la relation particulière qu’ils ont avec la mère qui les a portés.

Dans les couples homoparentaux hommes – j’en suis un certain nombre – il se passe la même chose entre celui qui a donné son sperme et celui qui ne l’a pas donné. Symboliquement les rôles sont distribués différemment et les enfants ne font pas leur Œdipe de la même façon avec le papa qui a donné le sperme et celui qui ne l’a pas donné. Nous sommes à l’aune de révolutions dans le fonctionnement de la société, on ne peut pas tout permettre et le législateur doit garantir des risques. Il faut donc, je pense, ne pas caricaturer et tomber dans une vision inverse de ce que l’on veut faire pour protéger les enfants, une vision qui ferait basculer un certain nombre de personnes dans un déni (« mais non, tout va très bien »). Non, tout ne va pas très bien. Quand les gens s’aiment vraiment, ce n’est pas qu’ils ont beaucoup d’amour à donner, c’est qu’ils s’aiment eux, vraiment, qu’ils pensent la construction d’une famille et qu’ils se posent les vraies questions : « il y a deux mamans, comment va-t-on faire ? ». Ça peut être pas si négatif que ça pour les enfants. Il y a aussi beaucoup de couples hétérosexuels qui ont de très graves problèmes de repérages de la fonction paternelle, qui ne parviennent pas à déterminer qui est le père. Malheureusement, nous voyons bien toutes les deux, en maternité, combien c’est compliqué. Nous ne sommes pas dans un système où tout marche bien et tout le reste va être terrible.

Vous avez entièrement raison, il faut expliquer l’infertilité très jeune. Je pense aussi que la prévention consiste peut-être à faire comprendre que l’on n’est pas fertile tout de suite non plus : ce n’est pas parce qu’au bout de 6 mois on n’a pas de bébé qu’il faut se lancer dans des parcours de je ne sais trop quoi parce que nous vivons dans une société où « vite, il faut qu’on ait un enfant, sinon quelque chose ne va pas ». Il faut faire comprendre que le temps psychique existe et se traduit dans notre corps par la façon dont nos gamètes sont produits et la façon dont on peut être fertile ou pas. Notre société doit l’expliquer aux jeunes et, plus encore, le leur faire vivre en leur montrant aussi ce qui se passe dans la nature : on ne peut pas faire tout ce qu’on veut immédiatement, très vite, pour qu’on soit fonctionnel, et cocher des cases. Il n’y a rien de pire pour un être humain.

M. Pierre Lévy-Soussan. Une question portait sur l’équation de l’équilibre pour les femmes seules, par rapport aux logiques d’accueil et de développement de l’enfant à venir. Dans le monde de l’adoption, on utilise certains critères pour les entretiens d’agrément impliquant des femmes seules. Cela relève de chaque psy, mais la loi a prévu l’existence de critères au vu desquels nous pourrons nous dire favorables ou défavorables à l’agrément pour une femme célibataire. Nous faisons effectivement valoir auprès des conseils généraux, compétents pour ces agréments, que certaines femmes ont une solitude si je puis dire structurelle, ce qui crée des risques fusionnels continus par rapport à l'enfant donc pas simplement pendant une courte période, mais tout le temps  et d’autres femmes qui sont seules d’une façon circonstancielle, ce qui n’obère pas la possibilité d’un tiers par rapport à l’enfant.

En tant que tel, même dans l’adoption, le fait même d’être femme seule est un facteur de risque.

L’effacement symbolique du père est un vrai problème – pour moi, c’est l’un des problèmes essentiels. On efface à la fois son rôle symbolique et réel. Il ne faut pas oublier l’effet d’un père réel sur son enfant, c'est-à-dire l’existence d’interactions qui lui sont propres et que l’enfant n’aura pas ailleurs – ce ne seront pas les mêmes interactions avec l’oncle, le grand-père ou l’ami. L’impact de l’effacement ne se fait pas sentir seulement dans la réalité, mais aussi de façon symbolique, parce que la société va dire qu’elle n’a pas besoin d’un père pour un enfant – pour travailler depuis 20 ans dans le monde de la protection de l’enfance, je sais que cela posera un vrai problème. Cette inutilité, cet effacement du père du fait de la logique poursuivie par l’État aura des conséquences sur le plan de la protection de l’enfance et par rapport au champ de la prévention.

Pour revenir sur le besoin de connaître ses origines, je veux différencier ce qu’est l’identité de ce qu’est l’origine de la conception. Ce n’est pas la même chose. On s’est battu depuis 30 ans pour faire admettre qu’il faut dire les modalités de conception d’un enfant, aussi bien adoptif qu’issu d’AMP, mais l’identité est quelque chose de totalement secondaire. Plus les parents sont à l’aise avec cette modalité de conception, adoptive ou par AMP, moins il y aura de problèmes d’identité. Je considère donc que cette histoire de levée d’anonymat est une mauvaise réponse à une vraie question. Ce qui compte, c’est ce qui fait que l’on est conduit vers les techniques d’AMP ou d’adoption. Ce que les couples veulent éviter, c’est de devoir dire qu’ils sont infertiles. Il y a des gens qui apprenaient leur adoption le jour de leur mariage. C’est le cheminement vers l’enfant qui est problématique. Le cheminement vers l’enfant dans l’AMP ne relève pas seulement du fait de recourir à des techniques scientifiques, mais aussi, sur un plan sociétal, du fait de recourir à la science pour ne pas avoir engendré l’enfant alors qu’on aurait pu le faire.

Enfin, s’agissant de la place que la scène primitive pourrait avoir dans le système de prévention, la seule place que je vois consisterait à ne pas créer de confusion totale par rapport aux origines de l’enfant, sur un plan juridique. Mettre deux hommes ou deux femmes d’un point de vue filiatif ou originaire n’aurait pas de sens pour l’enfant. Beaucoup de pays qui ont ouvert l’accès à l’AMP établissent une femme comme mère de l’enfant et ne donnent pas le même statut à l’autre. Pourquoi ? Pour ne pas mettre l’enfant dans une sorte d’égalité éducative, ce qui est juste dans une certaine logique, mais ne l’est pas d’un point de vue filiatif. D’un point de vue filiatif, ce n’est pas la même chose de naître d’une femme et d’avoir l’autre mère comme co-parente. C’est tout à fait manifeste dans les expertises conduites sur des femmes qui se séparent. Il est évident que la femme qui a fait naître l’enfant, au regard de toutes les interactions qu’elle a eues avec lui, n’a pas le même poids par rapport à la femme qui a eu ce rôle simplement éducatif. Je pense qu’il est extrêmement important que ce soit différencié au plan juridique.

Lorsqu’on me parle de l’amour qui résout tout, je cite souvent Donald Winnicott : « Un enfant n’a pas besoin d’amour, il a besoin de parents ».

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Mesdames, Messieurs, merci pour les réponses à vos questions. Nous avons donc achevé notre programme d’auditions. Nous nous retrouverons bientôt pour l’examen du texte à proprement parler. Merci à vous tous.

 

L’audition s’achève à treize heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Réunion du jeudi 5 septembre à 11 heures 30

Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Anne-France Brunet, M. Guillaume Chiche, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Philippe Gosselin, M. Brahim Hammouche, M. Patrick Hetzel, Mme Monique Limon, M. Maxime Minot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier, Mme Laëtitia Romeiro Dias

Excusé. - Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel