Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

 

Audition, ouverte à la presse, de..................... 2

  Mme Victoria Vanneau, docteure en droit, ingénieure de recherche au CNRS, responsable du suivi scientifique de la mission de recherche « Droit et Justice » ;

 Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes ;

 M. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.


Mardi
1er Octobre 2019

Séance de 19 heures 15

Compte rendu n° 1

session ordinaire de 2019-2020

Présidence
de Mme Fiona Lazaar, Vice-présidente


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La séance est ouverte à 19 heures 15.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

La Délégation procède à laudition de :

 Mme Victoria Vanneau, docteure en droit, ingénieure de recherche au CNRS, responsable du suivi scientifique de la mission de recherche « Droit et Justice » ;

 Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de SeineSaint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes ;

 M. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Fiona Lazaar, présidente. La réunion d’aujourd’hui s’inscrit dans le cadre du travail mené par la Délégation aux droits des femmes en parallèle du Grenelle des violences conjugales lancé le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa aux côtés du Premier ministre Édouard Philippe. Pour enrichir cette démarche lancée par le Gouvernement, nous avons choisi de revenir en profondeur sur les travaux déjà réalisés au sein de la Délégation sur les violences faites aux femmes en général et sur les violences conjugales plus particulièrement. Nous souhaitons élaborer un Livre Blanc nourri de recommandations à la hauteur de la gravité de la situation. Nous remettrons ce Livre Blanc à Marlène Schiappa au début du mois de novembre.Nous avons d’ores et déjà auditionné M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, et Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice ; nous avons également reçu plusieurs structures associatives la semaine dernière, et nous aurons l’occasion d’auditionner demain M Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement.

Pour cette deuxième table ronde, nous accueillons aujourd’hui trois personnalités expertes dans le domaine de la lutte contre les violences conjugales : Mme Victoria Vanneau, docteure en droit, ingénieure de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable du suivi scientifique de la mission de recherche « Droit et Justice », Mme Enerstine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), et M. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, coprésident de la commission « Violences de genre » du HCEfh.

Depuis le mois de septembre, notre Délégation a choisi de consacrer la majeure partie de son ordre du jour à la question de la lutte contre les violences conjugales, car, vous le savez, malgré les plans successifs et un arsenal juridique puissant, des dysfonctionnements demeurent d’un bout à l’autre de la chaîne de prise en charge des femmes victimes de violences conjugales. Or cette violence continue de tuer et, malheureusement, les chiffres nous le rappellent trop régulièrement. C’est pourquoi il nous faut sans plus tarder affronter les carences de notre système. Nous devons faire fonctionner les dispositifs et outils qui existent déjà et, si cela s’avère nécessaire, il nous faudra en créer de nouveaux. C’est pour justement travailler concrètement à organiser une meilleure réponse de la part de la puissance publique à ces violences conjugales que nous avons conviés nos trois intervenants à qui je cède la parole.

Mme Victoria Vanneau, docteure en droit, ingénieure de recherche au CNRS, responsable du suivi scientifique de la mission de recherche « Droit et Justice ». Mon propos sera celui de la juriste historienne du droit qui porte un regard rétrospectif sur le traitement juridique et judiciaire des violences conjugales du XIXe siècle à nos jours. Ce qui m’a interpellée quand j’ai commencé mes travaux il y a maintenant presque vingt ans, c’est que l’on disait beaucoup qu’on avait été trop tolérants, pour ne pas dire pas du tout préoccupés par les questions de violences conjugales et que, maintenant, il s’agit bien de lutter contre les violences conjugales. Pourtant, en examinant les dossiers de procédure judiciaire du XIXe siècle, je me suis rendu compte que la justice pénale s’était donné les moyens de se saisir de ces drames conjugaux, moyens qui me semblent avoir été oubliés pendant très longtemps. Si la préoccupation est ancienne, elle n’a pas réussi à s’inscrire dans la mobilisation sociale et médiatique qui place les violences conjugales parmi les justes causes nationales depuis le XXe siècle. Elle n’est pas non plus parvenu à mettre en place des dispositifs de lutte contre les violences conjugales pérennes, avec la création de centres d’accueil et d’aide aux victimes, de formation des professionnels confrontés aux victimes, etc. Les acteurs du passé, loin de les avoir ignorées avaient fait des violences conjugales un fait de droit, justiciable au quotidien de l’intervention de la justice pénale, et non pas un fait de société comme ont contribué à le faire les enquêtes officielles à la fin des années 1990. Je pense notamment à l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France (Enveff). Les professionnels du passé ont surtout cherché à comprendre et à légitimer leur action dans ces conjugalités. Ce sont sur ces deux aspects que je souhaiterais revenir avant de répondre à vos questions.

À l’heure où nous parlons beaucoup de « féminicides », il faut savoir qu’au cours des siècles précédents, les acteurs s’étaient dotés d’autres expressions pour désigner les violences dans le couple. Dans l’Ancien Régime, nous avions « l’uxoricide », issu du terme uxor qui signifie « épouse » et d’occido qui veut dire« je tue ». Cela s’est traduit littéralement dans le langage juridique par le meurtre entre époux. Au moment de la Révolution, quand on a cherché à se débarrasser de ce terme, les révolutionnaires n’ont pas cherché à trouver un qualificatif comme nous essayons de le faire encore aujourd’hui. L’article 14 de la loi du 22 juillet 1791 a plutôt érigé en circonstance aggravante le fait pour un homme de battre une femme, mais au même titre qu’un vieillard et qu’un enfant.. Au moment de la rédaction des codes Napoléon, les rédacteurs du code pénal de 1801 ont créé un « conjuguicide » qui était une sorte de compromis entre l’uxoricide – il fallait se débarrasser de ce terme d’Ancien Régime – et l’article 14 de la loi de 1791 des révolutionnaires. Ils ont alors érigé en circonstance aggravante le fait de commettre un meurtre, un assassinat, sur une femme. Quand on regarde le code de 1810, l’expression n’a toutefois pas tenu, contrairement au parricide et à l’infanticide.

On ne retiendra que les dispositions du code civil de 1804, qui, pour le bon fonctionnement du gouvernement de la famille, la gestion et le commandement, avaient dévolu le pouvoir au mari. Le code civil prévoyait tout simplement le divorce et la séparation de corps pour le motif d’excès, sévices et injures graves, et par là, c’était désigner les violences conjugales. Tout ce qui concernait le couple relevait donc de la compétence des juridictions civiles.

Très tôt, certains juristes se sont rendu compte qu’il était inacceptable que les brutalités de ces conjoints – en majorité des hommes – restent impunies. Ils mettaient en cause l’état des rapports conjugaux qui crée une hiérarchie, une autorité du mari, sur la personne de sa femme et ils se sont demandé jusqu’où devait aller cette autorité : pouvait-elle aller jusqu’à battre son épouse ? Pour ces professionnels du droit du XIXe siècle, il n’était pas concevable d’admettre un droit de correction et, surtout, les divorces et les séparations de corps qui intervenaient pour le motif d’excès, sévices et injures graves ne mettaient pas un terme aux violences et laissaient impuni l’auteur de ces drames. C’est donc de la pratique et de la jurisprudence des juridictions criminelles que sont venues les premières luttes contre les violences conjugales qui étaient qualifiées, bien avant tout formalisme, de « tyrannie domestique » ou encore « d’abus de la force contre la faiblesse ».

Les magistrats ont en effet très tôt pris en compte les habitudes domestiques, les continuums des violences. Ils se sont intéressés aux comportements et à la vie en couple. De ces états de fait, ils ont tiré un raisonnement juridique propre à ajuster les textes qui étaient déjà préétablis par la norme pénale. Ils se sont servis de toute la taxinomie des normes pénales : ils y ont vu des coups et blessures, des meurtres, des assassinats, des tentatives de meurtre, des tentatives d’assassinat... Ils sont ainsi parvenus à réprimer les violences et les auteurs de ces violences. On a beaucoup dit qu’il fallait que les magistrats soient mieux formés à la prise en compte des violences conjugales. Or en fait il fallait simplement qu’ils soient formés à l’exercice du droit, à l’ajustement des taxinomies, à l’interprétation au cas par cas, à l’approche casuiste des faits.

À partir de 1826, lorsque l’administration se dote d’outils statistiques pour dresser le portrait de la société criminelle, les violences dans le couple sont alors désignées sous le qualificatif de « dissensions domestiques ». Ce n’est pas reconnaître une incrimination, c’est juste reconnaître un mobile apparent des crimes capitaux que sont le meurtre, l’assassinat et l’empoisonnement. Avant que l’administration de la justice criminelle ne tente d’en quantifier l’existence – il s’agissait de très peu de cas et il est donc difficile d’en tirer des données significatives –, il a fallu que les instances criminelles légitiment leur action. Les professionnels du droit, tant les praticiens que les théoriciens, se sont alors heurtés à un problème juridique de taille : à quelles normes s’adresser pour rétablir la paix des ménages ? Ce sont des questions que nous retrouvons encore aujourd’hui : est-il légitime de s’adresser au juge des affaires familiales ou faut-il s’adresser au juge pénal ? Qui juge ? La solution s’est trouvée à l’époque dans les buts à atteindre, dans ce qu’il convenait de défendre et de préserver. Voulait-on punir toutes les atteintes au corps et alors assurer la défense de l’ordre social, ou voulait-on régler une mésentente conjugale, préserver la famille qui était le socle de la société ?

La justice pénale a dû procéder par étapes et elle est d’abord passée par le trouble à l’ordre public. Elle s’est rendu compte que les violences conjugales gênaient les voisins, et comme cela gênait les voisins, il y avait plainte et c’était une manière d’intervenir dans ces conjugalités. Il y a eu deux décisions majeures de la Cour de cassation qui sont venues, d’une part, légitimer l’action de la justice pénale et, d’autre part, l’action de la victime de ces violences conjugales. En 1825, l’arrêt Boisbœuf reconnaît le droit à un conjoint de se revendiquer des articles du code pénal et reconnaît également que ces textes sont applicables, quelle que soit la qualité de la victime. Autrement dit, une épouse pouvait très bien se prévaloir des articles 309 et suivants du code pénal, qui reconnaissaient les coups et blessures, pour porter plainte contre son mari. En 1839, intervient une autre décision significative. Puisqu’il n’était pas possible de reconnaître le viol conjugal, la Cour de cassation a reconnu la possibilité pour une épouse de se référer à l’attentat à la pudeur pour mettre la justice « au pied du lit » et protéger les épouses des assauts sexuels de leur époux.

À côté de ce travail de légitimation, les juges ont composé également avec l’absence de plainte des victimes. C’est un phénomène que l’on retrouve encore aujourd’hui. Les femmes avaient déjà du mal à dire les violences, à dénoncer les violences de leur mari. Les juges ont même été attentifs aux dénonciations, les voisins dénonçant ces violences par lettre anonyme ou par lettre nominative. Ils saisissaient le parquet ou le juge d’instruction en dénonçant qu’un homme se comportait violemment envers sa femme. Le ministère public s’est en quelque sorte substitué aux victimes au nom de l’ordre public pour faire cesser ces violences et pour que soit rétablie la paix des ménages.

Pour aller à l’essentiel, au XXe siècle, les mouvements féministes attirent l’attention des pouvoirs publics sur les violences dans le couple. On a l’impression que jusqu’à l’entredeux-guerres, il y a eu un moment de flottement. Même si la Cour de cassation en 1923 a procédé à un rappel à l’ordre en disant que « le mari ne peut pas faire son petit Bonaparte », il y a encore comme un moment de pesanteur. La lutte est ravivée avec les mouvements féministes et c’est alors que les réformes s’engagent pour l’égalité dans le couple. En 1938, est supprimé l’article 213 du code civil qui prévoyait que la femme devait respect et obéissance à son mari et que son mari devait la protéger. On ne règle pas pour autant l’égalité parfaite puisque la loi maintient le mari comme chef de la famille et il faudra attendre la loi du 4 juin 1970 pour que la mention de chef de famille disparaisse et que l’égalité parfaite soit enfin proclamée dans le couple.

Les années 1970 et 1980 sont également celles où les violences conjugales deviennent le symbole parlant de l’oppression des femmes, des épouses. Poussés là encore par les mouvements féministes, les rédacteurs du nouveau code pénal reprennent à leur compte le projet des premiers rédacteurs. Sans pour autant parler de « conjuguicide », ils vont prévoir une aggravation des peines de chacune des atteintes à l’intégrité physique du conjoint, du concubin, puis plus tard du partenaire de pacte civil de solidarité (PACS). Dans le même temps, la loi du 23 décembre 1980 vient reconnaître le viol conjugal.

La judiciarisation de ces violences conjugales est longue et imparfaite. La justice pénale tend à céder la place progressivement à nouveau à la justice civile. La sanction du comportement brutal devient secondaire et c’est au détour du divorce, pour faute notamment, qu’à la fin du XXe siècle, la justice est saisie des violences conjugales. Le but alors n’est pas la défense de l’ordre public, mais tout simplement de calmer les esprits, d’éteindre le conflit. Il convient plutôt de gérer les violences que de les punir.

Dans les années 2010, suivant la Cour européenne des droits de l’Homme qui rappelle aux États leurs obligations dans la lutte contre les violences conjugales et dans la protection des victimes, la France se dote d’un arsenal législatif et réglementaire important. Ce sera l’ordonnance de protection et le dispositif du téléphone grand danger (TGD).

Plus nous faisons des violences conjugales une question morale médiatique, donc un fait de société, plus je pense que nous nous privons d’en faire un fait de droit. Je ne dis pas qu’il ne faut pas en faire un fait de société. Au contraire, il faut en parler pour rendre illégitimes ces violences conjugales dans le cadre des relations de couple, mais cela ne suffit pas. En faire un fait de société, c’est en faire un problème général, à mon sens. Pour l’instant, l’optique est la prévention, la protection des victimes et le suivi des acteurs ; mais ces violences ne tiennent toujours pas en droit. La question se pose de savoir s’il convient de créer une catégorie spécifique pour les violences conjugales. Je ne le pense pas ; mais cela sera discuté. Les dispositions, notamment pénales sont suffisantes ; c’est peut-être dans la pratique qu’il conviendrait de revoir les choses, de l’améliorer pour tenir compte de la fragilité des victimes, de leur avancée, de leur renoncement, de la honte… Il est nécessaire de changer de paradigme. Nous parlons toujours de la victime, mais jamais vraiment des actes dont elle est victime, c’est-à-dire des violences elles-mêmes, des coups et blessures, des tentatives de meurtre. Peut-être que nous en parlions, nous pourrions changer ce que nous déplorons, c’est-à-dire des forces de l’ordre qui ne se sentent pas concernées et qui n’estiment pas nécessaire d’engager des procédures « parce que la victime va changer d’avis ».

M. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Depuis le 3 septembre et l’ouverture du Grenelle des violences conjugales par le Premier ministre, nous avons eu l’occasion d’entendre à plusieurs reprises des femmes victimes de violences conjugales ou des pères, des frères, des sœurs de femmes victimes de féminicides. Lors de la séance de la commission « Violences » du HCEfh de cet après-midi, nous avons auditionné plusieurs victimes : chacune d’elles a dit qu’elle avait fait appel à la société pour être protégée. Toutes les victimes nous disent avoir demandé de l’aide à la police, à la justice, à l’hôpital, aux services sociaux et ne pas avoir été crues. Ceci évidemment est glaçant. Nous ne cessons de dire depuis plusieurs années que nous voulons protéger les femmes victimes de violences conjugales et que nous devons garantir que la maison est, pour chaque citoyenne, chaque citoyen, un lieu de protection. Pourtant, nous laissons les maisons être un lieu de danger et d’insécurité. C’est peut-être parce que, comme le rappelle Patrizia Romito, universitaire italienne, citant le théologien Michael Downd dans l’un de ses articles, « imaginer la vie d’une femme battue par son partenaire dépasse l’entendement de l’individu moyen, et […] l’attitude qui consiste à nier l’histoire de cette femme peut être plus commode que celle de la regarder en face ». La société se protège elle-même par le déni. D’une certaine manière, et pour fixer les choses, Georges Bernanos, dans Sous le Soleil de Satan n’écrit pas autre chose lorsqu’il dit que « pour beaucoup de niais vaniteux que la vie déçoit, la famille reste une institution nécessaire, puisqu’elle met à leur disposition, et comme à portée de la main, un petit nombre d’êtres faibles que le plus lâche peut effrayer. Car l’impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d’autrui ».

Depuis ces quelques jours d’ouverture de ce Grenelle, je me dis de plus en plus que nous prenons conscience que nous sommes au point de tension entre, d’une part, les libertés fondamentales et l’ordre public, et, d’autre part, le droit civil privé, présenté comme la chose des parties, et que nous devons trouver le bon point de compromis pour que les outils juridiques soient efficacement mis en œuvre par les professionnels, sans faire des femmes victimes de violences des objets de protection, et en même temps, être efficace dans la protection.

Je peux vous parler comme un juge des enfants. Mon appréhension du problème des violences conjugales est essentiellement celle d’un magistrat de la famille qui ne peut pas déconnecter la protection des femmes victimes de violences du traitement de la parentalité. Nous savons d’ailleurs que 80 % des femmes victimes de violences conjugales, sauf erreur de ma part, sont des mères. Le problème est que la société fonctionne avec elles dans une injonction paradoxale. Lorsque les femmes victimes de violences vivent avec leur conjoint violent, la société exige d’elles qu’elles le quittent pour protéger leurs enfants. À l’instant même où elles le quittent, la société leur fait injonction de rester en contact avec le mari violent en tant que père des enfants par le principe qui gouverne quasi exclusivement aujourd’hui le droit de la famille qui est le principe de la coparentalité. Naturellement, comme juge des enfants et autrefois comme juge aux affaires familiales, je sais bien que la coparentalité est un principe important, mais il n’est un principe qu’à condition que nous soyons capables de lui reconnaître des exceptions. La violence comme transgression majeure de l’autorité parentale doit être une exception à la coparentalité.

J’aimerais revenir sur l’impact des violences conjugales sur les enfants. Nous savons que l’exposition des enfants aux violences conjugales a un impact traumatique qui est du même ordre que l’exposition de l’enfant à des scènes de guerre ou de terrorisme. Nous savons que les violences conjugales viennent impacter très gravement ce que nous appelons « l’attachement » chez l’enfant, c’est-à-dire la possibilité de faire appel à une figure de sécurité, le plus souvent sa mère. Il n’y a pas de terreur plus grande pour l’enfant que la terreur de perdre sa figure d’attachement prioritaire, le plus souvent sa mère.

Les effets des violences sur l’enfant sont de trois ordres. Elles créent d’abord, un état de stress post-traumatique. Je pense à un petit garçon de cinq ou sept ans qui me disait : « je fais des cauchemars, je fais des cauchemars même quand je ne dors pas » et qui donc ne pouvait pas apprendre, ne pouvait pas se concentrer, ne pouvait pas jouer avec ses camarades. Second ordre de troubles, les troubles de l’ordre de l’atteinte à soi-même, jusqu’au passage à l’acte suicidaire des enfants, et viennent enfin les troubles de l’ordre de l’atteinte à autrui, pouvant aller jusqu’à la répétition des violences contre sa petite amie ou contre même sa mère.

S’agissant de la mère victime des violences conjugales, nous savons que ce qui est le plus terrible pour elle, ce sont les violences liées aux enfants et à la parentalité c’est-à-dire d’une part, les violences jusqu’aux violences sexuelles commises devant les enfants et, d’autre part, les violences dont le prétexte est la parentalité, ce qui est le cas dans 70 ou 75 % des cas. Je crois aussi que nous pouvons dire que les traits de personnalité que nous repérons chez les violents conjugaux doivent être pris en compte dans la parentalité. Je pense par exemple à l’’intolérance à la frustration ; peut-on élever un enfant sans être confronté à la frustration ? De même, que faire du défaut d’empathie : être parent, est-ce autre chose que prioriser les besoins de son enfant par rapport aux siens ? Quid des angoisses d’anéantissement qui conduisent à la maîtrise de l’entourage, aux déficits de tolérance et des périodes d’autonomisation de l’autre : élever un enfant, est-ce autre chose que lui permettre de devenir progressivement autonome ?

Il me semble que nous ne prenons pas encore suffisamment en compte la dangerosité des violents conjugaux. Il faut avoir présent à l’esprit que tout violent conjugal est un « grand dangereux ». Une psychologue avec laquelle nous travaillons, Linda Tromeleue, dit qu’il « ne faut pas se laisser infiltrer par la pensée de l’agresseur parce qu’il s’agit de grande criminalité ». Nous n’en sommes pas encore là. Nous pouvons dire que les dispositifs législatifs sont aujourd’hui assez cohérents et très volontaristes pour ne pas séparer le conjugal du parental et penser la sphère du conjugal à partir de ce que révèlent les violences dans la sphère du conjugal. Nous pouvons dire qu’essentiellement les victimes sont confrontées à des professionnels qui mettent en œuvre insuffisamment les moyens dont ils disposent pour protéger.

Je voudrais proposer quelques pistes d’amélioration. La première, c’est que nous parvenions à distinguer ce que j’appelle « les quatre modèles de configuration conjugale ». Ces quatre modèles sont l’entente, l’absence, le conflit et la violence. L’un des problèmes majeurs est, je crois, depuis 15 ans que je suis juge, que la société attend très peu de choses des parents. Elle attend une chose essentiellement, c’est qu’ils s’entendent et qu’ils s’entendent au moment de leur vie où c’est le plus difficile, le moment notamment de la séparation. À vouloir trop créer des modèles de vie familiale fondés sur l’entente – qui est un présupposé pour la résidence alternée par exemple –, nous mettons les familles en grande difficulté et nous exigeons d’elles ce qu’elles ne peuvent donner. Il en va de même pour l’absence : quand un parent est seul pour s’occuper de l’enfant, cela fait échec à la coparentalité par définition.

Je crois également qu’il faut bien distinguer les violences du conflit qui est un rapport symétrique entre deux sujets qui sont à égalité. Le conflit c’est dire : « je n’ai pas peur de toi, je ne cours aucun risque à te dire que je ne suis pas d’accord avec toi, ta parole peut me faire changer d’avis ». En revanche la violence est un rapport asymétrique entre un sujet qui choisit la violence pour obtenir le pouvoir sur l’autre et une personne qui subit la violence. Comme le disait le doyen Carbonnier, prophète de l’autorité parentale, « la coparentalité, c’est la nostalgie de l’indissolubilité ». Nous devons permettre de délier les victimes de violences de leur agresseur.

Pour rester dans le registre de la parenté et de l’éducation des enfants, je proposerai aussi de distinguer ce que j’appelle « les quatre registres de la parenté ». Ces quatre registres sont la filiation, l’autorité parentale, le lien et la rencontre. Mme Vanneau a bien rappelé l’évolution des droits de la puissance maritale et paternelle à l’autorité parentale, disant qu’elle est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité la protection ou l’intérêt de l’enfant, pour le dire comme le législateur depuis 2002. Mais nous entendons encore – c’est peut-être un reste de la puissance maritale et paternelle – que l’autorité parentale a pour finalité la reconnaissance du parent dans son statut de parent. On peut tout enlever à quelqu’un, même sa liberté, même à titre provisoire, préventif, mais pas l’autorité parentale. Nous pensons toujours que dès lors qu’il y a la filiation, il faut qu’il y ait l’autorité parentale, le lien et la rencontre. C’est pourquoi nous allons imposer à un enfant dont la mère a été tuée par le père d’aller voir son père en prison en disant : « mais c’est son père, après tout ». C’est pourquoi nous devons dissocier la filiation de l’autorité parentale. Nous devons aussi, comme le préconise le docteur Nouvel, pédopsychiatre, distinguer le lien et la rencontre : « le lien, c’est psychique, et la rencontre, c’est physique. Parfois, [ajoute-t-il], la rencontre attaque le lien ». J’ajouterai qu’il faut parfois aider l’enfant à se délier, à pouvoir recommencer à apprendre, à se concentrer sur ses lignes d’écriture, à jouer paisiblement avec ses camarades, sans être colonisé par la présence de l’agresseur qui le terrorise.

Pour conclure, je reviendrai au point de départ. Toutes les victimes nous disent avoir fait appel à la société et la société ne les a pas crues. Permettez-moi, mesdames les députées, comme magistrat, comme co-président de la commission « Violences » du HCEfh, de vous demander de créer un droit plus volontariste encore et de doter les institutions des moyens permettant de contrôler que les agents de l’État mettent en œuvre de façon effective cette législation.

Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Dans le droit fil de ce qui vient d’être dit, je vais repartir de la société et dire que nous vivons un moment un peu particulier dans notre société aujourd’hui. Notre société commence à mieux prendre conscience de la dangerosité des hommes violents. En même temps, si nous reprenons l’histoire – je vais la reprendre à ma façon, beaucoup plus sommairement et peut-être un peu caricaturalement – je dirais que mieux nous comprenons les violences, plus la loi bouge et change. Nous avons eu par exemple d’abord une période où nous étions plutôt dans la sanction, puis nous avons commencé à penser la sanction des violences, puis nous avons commencé à penser qu’il fallait assurer la protection et la sécurité de la personne victime lorsqu’existe un lien intime. Ce sont les circonstances aggravantes. Nous avons eu un autre temps où nous avons pensé que c’était plutôt à l’homme de partir qu’à l’épouse. Cela, nous le devons au professeur Henrion, qui a fait un rapport très important et qui a dit qu’il serait logique que ce soit plutôt l’auteur qui parte que la victime. Cela a abouti à toutes les lois sur l’éviction du mari violent. Nous avons continué à réfléchir et nous nous sommes dit qu’il fallait protéger les femmes avant qu’il n’y ait de nouvelles violences. C’était révolutionnaire dans notre droit. C’est de là qu’est née l’ordonnance de protection et qu’est né le téléphone grave danger. Nous avons progressé dans notre compréhension et ainsi nous avons aussi fait progresser les lois.

Aujourd’hui, nous en sommes à un moment où ces lois doivent être mieux appliquées, plus largement appliquées, et – je reviens à ce que disait Édouard Durand à l’instant – en accompagnement de la présomption d’innocence, il faut que nous ayons une présomption de crédibilité pour les victimes. Cela me paraît très important. Ce que disent toutes les victimes, c’est qu’elles ont besoin d’être crues pour pouvoir révéler l’ampleur des violences. Elles ne disent en effet pas l’ampleur des violences. Il faut qu’elles puissent être crues pour dire toutes les violences qu’elles ont subies quand elles sont auditionnées, que ce soit par les forces de sécurité, les magistrats ou les travailleurs sociaux. Les croire, c’est fondamental si nous voulons qu’elles puissent révéler toutes les violences qu’elles vivent. Elles le disent très bien ; elles nous l’ont bien dit cet après-midi..

Nous avons besoin d’appliquer un principe de précaution et donc de protéger les femmes victimes de violences. Nous n’y sommes pas, alors que la loi nous le permet. L’ordonnance de protection, le téléphone grave danger, c’est exactement cela qu’ils pourraient faire, mais nous n’y sommes pas. L’éviction du mari violent est possible, soit grâce à l’ordonnance de protection avant la plainte, soit par le contrôle judiciaire au moment de la plainte ou suite à une incarcération. Les dispositifs existent mais sont très insuffisamment appliqués, mais ce n’est pas la seule limite. Nous ne savons pas aujourd’hui combien il y a d’évictions de maris violents en France. Nous avons un manque de connaissances sur ce qui se passe du point de vue de la justice, du point de vue de la police également. Il nous manque un grand nombre d’indicateurs, d’éléments et il faut que nous y travaillions. Au sein du HCEfh nous allons travailler à cela.

Les victimes nous disent quatre choses très clairement. Elles veulent être crues quand elles s’adressent aux forces de sécurité. Quand elles s’adressent aux forces de sécurité, elles vont déposer une main courante ou une plainte, ou même simplement signaler qu’elles sont victimes. Elles ne souhaitent en effet pas toujours porter plainte. À ce moment-là, il faudrait qu’il y ait une réponse sociale qui dise : « nous allons les protéger ». Nous avons besoin de protéger les victimes et c’est bien ce qu’elles demandent.

Tout à l’heure, une victime nous disait que ce qui lui a fait beaucoup de bien, c’est qu’un médecin légiste lui dise : « je vous crois ». Elle avait été victime gravement d’un viol avec pénétration digitale, anale, donc très douloureux, et le fait que le médecin lui ait dit qu’il la croyait lui a fait beaucoup de bien ; cela reste quelque chose de très important. La deuxième chose qu’elles disent, c’est qu’elles souhaitent être protégées par la sanction, le fait qu’il y ait des poursuites. Ici encore, nous avons une marge de progrès très importante. La troisième chose qu’elles disent, c’est qu’elles ont besoin de soins et de soins gratuits. Une des choses que nous disons maintenant depuis plusieurs d’années, c’est qu’il faut que les victimes soient remboursées à 100 % de tous leurs soins, pour elles et pour leurs enfants. Que la règle soit simple et claire. La quatrième chose que disent les victimes, c’est ce que vient de dire Édouard Durand magnifiquement et je n’y reviendrai pas, c’est tout le problème des enfants et de comment, suite à des violences, l’ex-partenaire violent continue son emprise sur sa femme à travers ses enfants. Toutes les victimes le disent. Ce que vient de dire Édouard Durand sur la protection des femmes avec les enfants reste quelque chose de très important.

Les victimes nous parlent toutes de la stratégie de l’agresseur. Nous avons été marqués cet après-midi par le fait que toutes racontent la même histoire. Ce ne sont pas du tout les mêmes histoires globales, mais à l’arrivée, dans le cadre des violences dans le couple, elles disent toutes la même chose. Il les a dévalorisées. Il les a humiliées ; il a d’ailleurs commencé par cela. Ensuite, il les a isolées de leurs amis, de leur travail. « Pourquoi tu travailles ? Tu devrais arrêter ! ». Il les a isolées de leur famille. Quand on est isolé, il est plus difficile de réagir, de trouver de l’aide. Puis il les a empêchées d’aller révéler les violences.

Nous sommes face à un phénomène assez clair que nous connaissons bien maintenant ; il est enseigné en formation, plus ou moins, et lorsque ce n’est pas le cas, il pourrait l’être car, même si nous avons cette connaissance, il faut que les mentalités changent dans la société bien sûr, mais aussi auprès des professionnels. Il y a un vrai problème de formation, mais aussi de mentalité ; la formation ne suffit pas. Face à cette stratégie de l’agresseur, nous pensons qu’il faut une stratégie de protection : protection des professionnels que ces femmes rencontrent et protection de la société plus généralement parce qu’elles ont besoin de cette protection. Nous ne les infantilisons pas en disant cela. Quand nous rencontrons les victimes, nous sommes impressionnés par leur courage. Le « parcours du combattant », c’est une phrase toute faite, mais quand vous les entendez raconter leur parcours, vous vous dites qu’il faut beaucoup de courage pour aller au bout, pour ne pas renoncer. Et elles ne renoncent pas. Nous sommes très admiratifs de ces femmes et de leur courage. Face à ce courage, nous, société, et vous, législateurs, nous avons vraiment besoin de nous améliorer parce que nous sommes assez loin du compte ; si les lois existent, leur application laisse quand même beaucoup à désirer.

Mme Fiona Lazaar, présidente. Vos propos, à la fois précis et engagés, nous permettent de prendre du recul sur ces questions et d’appréhender les solutions envisageables. En tant que rapporteure de la Délégation sur deux propositions de loi portant sur la lutte contre les violences conjugales et qui seront examinées demain par la Commission des lois, je voudrais vous interroger plus spécifiquement sur plusieurs points suite à vos prises de parole.

Mme Vanneau, vous nous avez parlé de sémantique et avez replacé les  violences conjugales dans une perspective historique. Le terme « féminicide » est entré ces derniers mois dans le langage courant et le Président de la République, lors de son discours à la tribune de l’Organisation des Nations unies (ONU) la semaine dernière, a évoqué l’idée d’instaurer un statut juridique pour les féminicides. J’aimerais avoir votre opinion sur cette idée et notamment sur sa traduction concrète.

M. Durand, vous avez évoqué la question des enfants et cellede l’autorité parentale. Nous savons que les enfants sont parfois utilisés par les ex-conjoints violents pour exercer des pressions, voire des violences sur la mère. Comment pourrions-nous concrètement remédier à cette situation ?

Je voulais aussi revenir sur une phrase que vous avez prononcée qui m’a percutée. Vous évoquiez les victimes qui disaient avoir « fait appel à la société et la société ne les a pas crues ». Nous avons beaucoup de travail à faire sur ce plan-là et je pense que la communication est importante en la matière, toute comme la formation. Vous avez évoqué l’idée de se doter d’institutions de contrôle sur ce sujets. Comment les imaginez-vous ?

Mme Ronai, vous êtes revenue sur l’éviction des conjoints violents. Lors de nos auditions et de nos déplacements, nous avons souvent évoqué la question de l’hébergement d’urgence et du logement de moyen terme des femmes victimes de violences. Quelle est votre analyse de la situation actuelle dans ce domaine ? Selon vous, comment pourrions-nous progresser en la matière ?

Mme Victoria Vanneau, docteure en droit, ingénieure de recherche au CNRS, responsable du suivi scientifique de la mission de recherche « Droit et Justice ». S’agissant du terme « féminicide », ou « fémicide », , je trouve qu’il serait maladroit de retenir ce terme pour désigner les violences conjugales. Il est vrai que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’ONU distinguent un féminicide intime qui permettrait de le raccrocher aux violences conjugales, mais le féminicide, apparu dans les années 1980, renvoie plutôt à  des crimes de masse. C’est notamment ce qui s’est passé au Mexique autour de Ciudad Juárez. C’est vraiment le fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme. Le raccrocher à l’optique des violences conjugales, cela voudrait dire que le mari tue sa femme parce que c’est sa femme, sa chose. Je pense qu’il y a plus que cela ; ce sont des rapports de domination très clairs. Le fait de catégoriser le féminicide et de l’inclure dans les violences conjugales me paraîtrait donc un peu gênant.

S’il fallait vraiment créer une catégorie, nous pourrions reprendre le terme des anciens rédacteurs et parler de « conjuguicide ». Là, nous sommes vraiment dans le meurtre du conjoint. C’est un peu l’homicide conjugal, mais nous avions l’idée de conjugalité.

Il est vrai, statistiquement parlant, qu’il y a plus de femmes victimes de violences conjugales, mais si nous retenions le terme de féminicide, pour les hommes, quel terme faudrait-il employer ? Comment va-t-on nommer les violences exercées par une épouse ou une compagne sur son partenaire ? Quel mot utiliser ? C’est cela qui me gêne.

Mme Valérie Boyer. Je partage tout à fait votre point de vue, cela me gêne énormément que le mot « féminicide » soit raccroché à la notion de violences conjugales, parce que le terme de « violences conjugales » ou « violences domestiques », peu importe, montre bien que c’est ce qui se passe dans le foyer, même si cela concerne à 80 % des femmes. Nous savons aussi que cela arrive dans des couples homosexuels et ils sont complètement exclus du dispositif avec ce terme. Nous savons aussi que tous les ans il y a à peu près une trentaine d’hommes qui meurent sous les coups de leur conjoint ou conjointe violent. Je crois que la notion qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est ce que vous décrivez parfaitement, c’est ce qu’il se passe à l’intérieur du foyer.

« Féminicide » me gêne pour une seconde raison et j’aimerais votre avis sur ce point. Je ne voudrais pas que ce soit un terme déresponsabilisant en disant que c’est la société qui tue la femme et que le mari n’est pas forcément responsable ou qu’il est le produit de la société. Ce n’est pas le cas dans le cadre de violences conjugales. Ainsi que l’ont montré les développements du juge Durand ou de Mme Ronai, tout le monde comprend les termes de « conjuguicide » ou de « violences conjugales »,. Cela me semble beaucoup plus approprié et surtout, ce n’est pas un terme d’exclusion. C’est un terme qui remet le phénomène dans la sphère familiale. La particularité, ce n’est pas quelqu’un qui rencontre une autre personne et qui la tue ; il s’agit alors d’un homicide. Vous faites bien de rappeler que le terme « féminicide »,  a été créé par rapport aux violences qui ont lieu au  Mexique; nous aurions pu aussi l’appliquer par exemple à ce qui s’est passé en Syrie avec les familles yézidis, même si dans ce cas les hommes aussi ont été exterminés et qu’il s’agissait d’un génocide. En tout état de cause, je me réjouis d’entendre ces notions expliquées avec autant de limpidité.

Mme Victoria Vanneau, docteure en droit, ingénieure de recherche au CNRS, responsable du suivi scientifique de la mission de recherche « Droit et Justice ». Souvent dans la société, « violences de genre » équivaut à « femmes battues ». Lorsqu’on a commencé dans les années 1970 à alerter l’opinion publique, à dire qu’il y avait un problème au niveau des violences conjugales, très rapidement, dans les médias, cela a été résumé aux femmes battues. Nous avons tout de suite genré et pénalisé l’homme et victimisé la femme. Quelque part, si nous poussons le raisonnement, nous éduquons les femmes dans le culte de la victime, nous les invitons à se victimiser. Le phénomène est le façon pour l’homme. Des deux côtés, nNous sommes dans un problème d’éducation puisque nous éduquons encore les hommes sur la masculinité, sur le virilisme, le sexisme, sur le culte de la performance, alors que nous éduquons les femmes en disant « vous êtes des victimes nées ». C’est un peu dérangeant.

Mme Enerstine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Je ne partage pas ce point de vue. J’utilise le mot féminicide depuis 2008 et je ne suis pas la seule. Lors de la première enquête que nous avons faite sur les femmes tuées en Seine-Saint-Denis, avec le procureur adjoint, aujourd’hui avocat général à la Cour de cassation, nous avons utilisé le terme de « féminicide », avec l’idée qu’il fallait rendre visible le fait que – comme le dit la convention d’Istanbul – les femmes étaient victimes de violences dans le couple de manière disproportionnée par rapport aux hommes, parce que justement, cela tient à la domination des hommes sur les femmes dans nos sociétés. C’est présent dans toutes les sociétés, pas seulement les nôtres. L’idée est de rendre visible le phénomène. D’ailleurs, si c’est utilisé dans la société aujourd’hui, c’est parce qu’il y a besoin de rendre visible la domination des hommes sur les femmes d’une manière globale. Cela ne déresponsabilise pas, à mon avis, les agresseurs parce qu’il s’agit de penser pourquoi ces violences existent. Employer ce terme va nous donner des moyens de prévention. Si nous identifions les causes, nous pourrons travailler sur la prévention. Je suis favorable à l’emploi du terme « féminicide » sans circonstances aggravantes, c’est-à-dire simplement le fait de rendre visible que les femmes sont davantage tuées. Nous avons « homicide » pour les hommes et « féminicide » pour les femmes. Nous avons une symétrie.

En 2018, il y a eu 21 hommes tués et 121 femmes. Pour les hommes, dans plus de la moitié des cas, c’est la conjointe qui tuait parce qu’elle était elle-même victime. Bien sûr, il y a des hommes tués ; c’est pour cela que je ne demande pas de circonstances aggravantes. Il est tout aussi grave de tuer un homme que de tuer une femme, mais il faut quand même savoir que, pour les 21 cas que j’évoquais, dans 54 % des cas, la femme était victime. La décision vous revient, mais je pense que cela vaut la peine de penser et de rendre visible le phénomène.

M. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Pour ma part, je voudrais insister sur le fait qu’il me paraît absolument fondamental de penser les violences conjugales comme une forme de violence sexuée. Il faut avoir cette image en tête pour comprendre la violence et ses mécanismes. C’est le seul moyen de protéger toutes les victimes de violences conjugales, quel que soit leur sexe ou quelle que soit la configuration, homosexuelle ou hétérosexuelle, de leur couple. Tous les dispositifs de protection qui ont été créés l’ont d’ailleurs été par des professionnels – je me tourne naturellement vers Ernestine Ronai – qui ont pensé les violences conjugales comme une forme de violence sexuée. Je voudrais rappeler sur ce sujet aussi que pour l’homme et pour la femme, l’expérience de la victimation est très différente. Pour un homme, le risque de subir des violences se situe dans l’espace public, des violences commises par un autre homme inconnu de lui. Pour une femme, le risque majeur de subir des violences se situe dans l’espace privé, des violences commises par un homme connu d’elle. Loin de moi l’idée de penser que tous les hommes et tous les pères sont violents et agresseurs ; je ne pense absolument pas cela. Mais la violence est un choix. C’est la seule raison pour laquelle nous pouvons condamner un violent conjugal, c’est parce que c’est un choix et qu’ila d’autres possibilités que la violence.

Sans donner d’éléments spécifiques, j’aimerais évoquer une audience qui traitait d’un féminicide.  Juge aux affaires familiales, je reçois le père. Je vérifie qu’il s’appelle bien M. X. Je vérifie le prénom de son enfant et la date de naissance de son enfant et comme toujours, quand un parent est mort, je nomme le parent mort, et je dis : « La mère de votre enfant est Mme Y. ». Il répond : « Non, pas Mme Y, Mme X. Nous étions toujours mariés quand elle est morte par féminicide ».

Mme Nicole Le Peih. En préparant cette audition, j’ai lu un des interviews, de Mme Vanneau dans Libération en 2016, dans laquelle vous déclariez que « créer un arsenal juridique particulier pour les violences contre les femmes durcira les antagonismes ». Et vous ajoutiez que « cela confirmerait que l’homme est fort et la femme faible, ce qui est à la base des violences faites aux femmes ». Vous citez, pour étayer vos propos, Élisabeth Badinter, qui disait qu’on « fait fausse route en victimisant la femme et en pénalisant l’homme. Cela revient à assigner les femmes à leur faiblesse et à leur incapacité juridique, à la même vulnérabilité que celle des enfants, et des vieillards ». Cette interview de 2016 est particulièrement d’actualité. Elle est très éclairante pour les débats que nous venons d’avoir et en tant que législateur. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur les dernières évolutions législatives que nous avons adoptées et sur les réflexions en cours, notamment via ce Grenelle ?

Je pense que tous les députés ont besoin d’éclairages sur ce sujet et il me semblerait utile de porter les réflexions que nous avons aujourd’hui à la connaissance de tous. Vos témoignages sont percutants et permettent à chacun et à chacune de se remettre en cause, afin que nos clichés, nos réflexions puissent maturer et que nous prenions du recul.

Mme Valérie Boyer. Je dois dire que je suis absolument troublée parce que je comprends et partage vos arguments à tous les trois quant aux enjeux sémantiques. Je pencherais plutôt pour l’emploi des mots « violences conjugales » parce que je pense que ce sont toutes les familles qui sont concernées et que j’ai la faiblesse aussi d’imaginer que c’est un rapport de domination et d’appartenance, et qu’aujourd’hui, ce rapport se fait plutôt d’un homme sur une femme. Je suis désolée d’évoquer ce type de clichés, mais c’est la réalité. Cela existe aussi dans le sens contraire, parce qu’une femme peut avoir de l’emprise sur un homme ou sur une autre femme, de même que dans un couple d’hommes. Personnellement, j’entends ce que vous dites sur cette violence conjugale qui est sexuée pour ces raisons-là, sur l’intimité et sur l’extériorité, mais dans le cadre de violences dans des couples qui ne sont pas des couples hétérosexuels classiques, j’ai eu des témoignages qui racontaient exactement les mêmes histoires. Nous sommes bien dans le rapport de la domination où la personne qui est féminisée est dominée. C’est en cela que c’est sexué. Néanmoins, je pense qu’il est important de garder le mot « conjugal » parce que cela veut dire que c’est dans le foyer. Le fait que cela se passe à la maison, c’est la circonstance aggravante parce que le foyer doit être le lieu de la protection. Ce n’est pas comme un accident extérieur. Il y a peut-être un deuxième mot qui mériterait d’être précisé :  c’est la notion d’emprise parce que la violence conjugale n’existe pas s’il n’y a pas emprise, et l’emprise, malheureusement, n’est pas définie dans notre droit.

Sur le plan personnel, plus que sur les notions de vocabulaire, même si elles sont essentielles, je préférerais avancer sur ce qui me semble une urgence, c’est-à-dire la protection des enfants, comme vous l’avez décrite M. Durand, parce que malheureusement – l’histoire du droit pourra peut-être nous éclairer aussi – nous considérons trop souvent que l’enfant est la propriété des parents, comme la femme que l’on peut abattre parce que c’est la propriété de son mari. Nous avons cet héritage, même si j’ai la faiblesse de penser que nous nous sommes exonérés de tout cela depuis longtemps. Néanmoins, dans les cas de violence, nous sommes dans ce cas-là. Pour moi, la priorité des priorités, c’est la protection du plus faible, de celui qui n’est pas considéré comme une victime à partir du moment où il n’a pas eu directement des coups. Pour moi, c’est l’urgence absolue de l’évolution du droit, c’est la protection de l’enfant pour deux raisons : parce que l’enfant sert de levier pour torturer la mère, ensuite parce que lui-même est une victime, même si sa mère a été battue pendant qu’il était à l’école. Vous l’avez d’ailleurs décrit et les études montrent les conséquences du stress que cela lui procure sur son cortex cérébral. L’enfant n’ignore rien.

Il faut que nous changions de paradigme : un conjoint violent ne peut pas être un bon parent. Dès lors, il faut que notre droit soit plus efficace et surtout qu’il soit plus systématique parce que nous ne pouvons plus avoir la séparation entre le civil et le pénal. Protéger la mère sans protéger l’enfant, c’est une aberration à laquelle il faut mettre un terme.

Je voulais vous remercier de tout ce que vous avez dit, qui éclaire à la fois notre travail et notre façon de penser, et qui pour moi est l’urgence absolue. C’est le sens de la proposition de loi que je défendrai demain. Je pense qu’il faut agir vite parce que cela fait longtemps que nous en parlons. Même le Premier ministre l’a dit, cela fait partie de ses premiers propos, position que je partageais dans un texte que j’avais écrit en 2014 ou 2015. Cela me semble être vraiment une urgence.

M. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Le vocable de « violences conjugales » décrit le réel et me convient tout à fait ; mais avec le mot de « féminicide », nous parlions plus précisément de la mort dans le couple.

J’entends votre propos sur l’exercice de l’autorité parentale. Je pense qu’il est très regrettable qu’il n’y ait pas de moyen de protéger l’enfant si on ne traite pas l’autorité parentale. S’il n’y a pas un traitement adapté de la parentalité, toutes les mesures de protection qui pourraient être mises en œuvre pour protéger une femme victime de violences conjugales deviennent caduques. Si, dès lors que le couple a des enfants, il n’y a pas une organisation de la vie de la famille adaptée au modèle des violences, aucune mesure de protection ne peut être efficiente pour la femme victime de ces violences ni pour son enfant, parce que l’exercice de l’autorité parentale devient un moyen de perpétuer l’emprise sur elle et sur l’enfant.

Je partage l’avis, qui, je crois, est unanime dans cette enceinte, sur le fait qu’il faut d’urgence traiter ce problème de l’exercice de l’autorité parentale et le traiter de façon efficiente. Vous dites à juste titre, Mme Boyer, qu’un mari violent ne peut pas être un bon père. Nous pouvons même faire l’équation inverse : un mari violent est un mauvais père. Il est difficile d’être un plus mauvais père qu’en étant un mari violent créant un état de stress posttraumatique sur l’enfant, 40 % à 60 % des enfants victimes de violences conjugales étant directement victimes de violence physique exercée contre eux par le violent conjugal. En général, la société intervient pour moins que cela. Ce que je préconise, ce que nous préconisons depuis longtemps, c’est de présumer qu’un mari violent est un père dangereux et que, d’urgence, la mère dispose seule de l’exercice de l’autorité parentale par principe, et qu’il n’y ait pas de rencontre entre le père et l’enfant qui ne soit pas sous protection. S’il n’y a pas cette protection, alors – je pense que ceci est admis dans la conscience des professionnels et la conscience générale – les moments de rencontres sont des moments de risques de violences conjugales, ou bien de pression sur l’enfant ou de violence sur l’enfant. Nous faisons des visites médiatisées pour moins grave que cela. Nous devrions pouvoir le faire pour cela.

Nous savons que les violences conjugales font l’objet d’une double sous-révélation. Il y a très peu de dépôts de plainte, de l’ordre d’un cas sur dix à un cas sur six, c’est-à-dire qu’une très large minorité de faits sont portés à la connaissance des autorités. Nous savons aussi, deuxième effet de la sous-révélation, que les victimes disent moins que l’horreur du réel effectivement éprouvé. Il n’y a donc pas de risque à croire et à tenir compte de la parole. Comme juge des enfants, je cours beaucoup plus de risques à laisser passer des enfants devant moi sans les protéger que de risques à surinterpréter les violences. Nous savons que les fausses dénonciations sont un fait minoritaire et même marginal. Pourtant, les professionnels ont plutôt comme mécanisme de défense un mécanisme inverse qui fait qu’entre le moment où une femme victime de violences conjugales pousse la porte d’un commissariat, d’un tribunal ou d’un service social et où elle se retrouve dans le bureau du policier, du gendarme, du juge, ou de l’assistante sociale, elle passe du statut de femme victime au statut de mère manipulatrice. C’est un piège très grand que vous devez résoudre de manière volontariste, sauf à rendre vaine toute autre disposition de protection.

Je voudrais revenir sur le statut de l’enfant victime. Je partage votre point de vue, Mme Boyer : il est important de penser que l’enfant est victime ou covictime des violences conjugales. L’impact sur lui est si grave qu’il ne doit pas seulement être pensé comme témoin ou comme enfant exposé, mais bien comme directement victime de ces violences, comme sa mère. Comme vous le releviez, ce n’est pas le cas en droit pénal, sauf à ce qu’il soit lui-même victime directement de violences.

Il y a plusieurs manières d’envisager une protection plus grande. La première, a été mise en œuvre par la loi du 3 septembre 2018 qui faisait de la présence des enfants une circonstance aggravante des violences conjugales. C’est un très grand progrès et une très juste disposition, une très juste cause. Il peut y avoir une autre modalité qui n’est pas contradictoire : il s’agirait de vérifier que l’enfant victime est pris en compte dans le procès pénal, notamment pour une éventuelle allocation de dommages et intérêts, et de vérifier comment, éventuellement par la désignation d’un administrateur ad hoc, on peut faire entendre sa voix, sa souffrance et son besoin de soins qui vont coûter de l’argent, et donc justifier des dommages et intérêts. Troisième point, il pourrait être possible d’envisager un statut pénal de l’enfant victime de violences conjugales en vérifiant les dispositions actuelles ou en créant une disposition nouvelle faisant que les violences conjugales seraient à la fois une infraction commise contre la mère, et en même temps, une autre infraction commise contre l’enfant. C’est-à-dire deux infractions poursuivies simultanément par le mécanisme juridique de cumul idéal de qualifications, comme lorsque la société a une pluralité d’intérêts sociaux poursuivis, ce qui est le cas en l’espèce, et lorsqu’il y a une pluralité de victimes, ce qui est également le cas.

Mme Valérie Boyer. Par rapport aux trois points que vous venez d’évoquer, y a-t-il un risque que l’on nous oppose le fait qu’en droit pénal, on ne peut pas être poursuivi deux fois pour les mêmes faits ? Je vous avoue que j’ai eu du mal à intégrer cette idée parce que j’ai toujours considéré que l’enfant était victime, même s’il n’avait pas subi de coups directement. Si nous protégeons la mère et que nous poursuivons le père pour ses violences, l’enfant peut être partie civile et cela veut dire que nous rajoutons une peine au parent violent par rapport aux violences qu’il a – pour schématiser – fait subir directement à la mère avec des coups et psychologiquement avec l’enfant qui était par exemple à l’école pendant ce temps. Pour moi, cela me semblait tout à fait logique, mais certains pénalistes m’ont dit que nous pouvions avoir une difficulté parce que le parent violent était poursuivi deux fois pour les mêmes faits, alors même que nous parlons, me semble-t-il, de deux choses différentes.

M. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Je vous répondrai en tant que juge des enfants et non pas en président de cour d’assises ou de tribunal correctionnel ou de procureur de la République. Je suis d’accord avec le grand principe du droit que je ne remets pas en cause, qu’est le principe non bis in idem ; on ne peut pas être déclaré coupable deux fois pour la même chose. Il y a toutefois une exception qui s’appelle le cumul idéal de qualifications. Un même fait peut être poursuivi sous deux incriminations différentes en cas de pluralité d’intérêts sociaux et en cas de pluralité de victimes, ce qui est bien le cas en l’espèce.

L’enfant partie civile, c’est autre chose. C’est ce que j’évoquais quand je parlais des dommages et intérêts et de la désignation d’un administrateur ad hoc. Dans l’état du droit actuel, même lorsque les violences conjugales sont poursuivies pour ce qu’elles sont, c'estàdire d’abord des violences contre la conjointe, l’enfant peut être représenté au titre des intérêts civils. Une infraction peut causer un dommage à la victime directe, mais également à son entourage immédiat. Je le vois dans ma pratique de juge des enfants. Parfois, des parents vont me demander des dommages et intérêts parce que l’infraction subie par leur propre enfant commise par un autre enfant leur a causé aussi un dommage. L’enfant peut d’ores et déjà être défendu sur le plan civil et que l’on demande pour lui des dommages et intérêts, ce qui est une manière de reconnaître son préjudice.

Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Dans les questions que vous nous avez fait parvenir en amont, vous nous demandiez « comment protéger les enfants notamment au moment du droit de visite du père ou d’hébergement  ». Vous faisiez référence à la mesure d’accompagnement protégé et à l’espace de rencontre protégé qui existe en Seine-Saint-Denis et à Paris, seulement dans deux départements de France, mais qui pourrait être élargi. Je ne sais pas s’il faut le mettre dans la loi, puisque la loi de 2010 permet déjà qu’une personne morale qualifiée accompagne les enfants du lieu de résidence de la mère vers le lieu du droit de visite du père. Ces mesures présentent plusieurs avantages : bien sûr, elles protègent la mère au moment du droit de visite, puisque nous savons grâce à l’étude que nous avions faite sur 24 féminicides de 2005 à 2008 que dans la moitié des cas, quand il y avait de jeunes enfants, l’homme tuait sa conjointe à l’occasion du droit de visite et d’hébergement. C’est un moment de danger extrêmement grave. Cette protège l’ex-épouse mais cette mesure protège aussi l’enfant. Dans le film Jusqu’à la garde, l’enfant ne veut pas aller voir son père ; il a mal au ventre et le père dit à son ex-femme « si l’enfant ne vient pas, je dépose plainte » pour non-représentation d’enfant. Nous savons que, dans notre pays, les femmes qui veulent protéger les enfants lorsque l’enfant ne veut pas y aller chez l’ex-conjoint peuvent être poursuivies pour non-représentation d’enfants, et c’est même assez gravement réprimé. C’est quelque chose de très sérieux. On protège l’enfant mais on ne prend pas en compte sa parole ; le système que j’évoque permet de répondre à ce problème.

Troisièmement, ce dispositif protège l’ex-époux également, d’abord du retour à la case prison puisque cela l’empêche d’agresser son ex-conjointe, mais aussi, il permet un droit de visite plus régulier. C’est vraiment intéressant et protecteur pour tout le monde. Ce que disent les juges aux affaires familiales, c’est que cela les aide aussi à la prise de décision puisqu’à la fin, il y a un bilan qui est rendu et qui permet de savoir comment s’est passée la visite, si l’homme a été violent ou pas, s’il était présent -  parce que souvent, l’homme demande un droit de visite et d’hébergement pour empêcher son ex-conjointe de « faire sa vie » avec les enfants tranquillement. Souvent, il ne sera pas là au moment du droit de visite, ce sera sa nouvelle compagne, ou sa mère, etc. Nous nous sommes rendu compte avec cette mesure d’accompagnement protégée que dans un certain nombre de cas, l’homme instrumentalisait les enfants pour savoir si la femme avait un nouveau compagnon, où ils habitaient lorsque l’adresse avait été cachée...

Nous avons donc créé l’espace de rencontre protégé sur le modèle de ce qui se passe pour les enfants maltraités. Pour les grands violents, le dispositif est très contrôlé. Souvent, les auteurs renoncent à leur droit de visite parce que, finalement, ce qu’ils voulaient, c’était vraiment « pourrir la vie » de leur ex-conjointe, si vous me permettez cette expression triviale.

Ce qui n’existe pas encore, mais que vous pourriez faire entrer dans notre droit, c’est ce que nous avons appelé en Seine-Saint-Denis le « protocole féminicide ». Il est  bien sûr valable aussi quand ce sont des homicides, c’est-à-dire si une femme tue son conjoint. Ce dispositif a trait à la protection des enfants. Il permet l’hospitalisation des enfants, c’est-à-dire des soins. Nous savons maintenant, au vu de l’expérience en matière de victimes du terrorisme, qu’il est très important qu’il y ait des soins immédiats qui soient donnés lorsqu’on est très traumatisé. Quand les enfants ont assisté au fait au meurtre de leur mère ou, le fait d’être orphelin parce que leur père a tué leur mère nécessite des soins immédiats et donc une hospitalisation qui permet leur prise en charge. Cette hospitalisation prend la forme d’une ordonnance de placement provisoire prise par le procureur de la République : huit jours qui donnent à la fois le temps du soin, mais aussi le temps de savoir auprès de qui les enfants vont être placés. Il peut s’agit des grands-parents paternels, des grands-parents maternels, de la famille biologique, ou d’une famille d’accueil. Parfois, la famille biologique n’est pas en capacité d’accueillir les enfants pour un grand nombre de raisons, entre autres parce qu’eux-mêmes sont très traumatisés. Comme les enfants sont aussi très traumatisés, parfois, cela rend les choses complexes.

Alors que vous cherchez à identifier des pistes d’amélioration, ce dispositif me semble pouvoir servir d’exemple. Cette mesure pourrait être mise en place auprès d’hôpitaux avec des soins adaptés, comprenant une hospitalisation en pédiatrie avec des soins psychotrauma et un accompagnement par des personnes qui sont là 24 heures sur 24, parce que malheureusement dans les hôpitaux, il n’y a pas toujours assez d’aides-soignantes. Il faut des personnels en plus qui soient là jour et nuit, parce que quand un enfant est traumatisé, il a besoin d’être accompagné avec beaucoup de bienveillance et d’attention.

Mme Fiona Lazaar, présidente. Avez-vous des éléments informations sur la question de l’hébergement d’urgence et de l’accès au logement ?

Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Rien de particulier, si ce n’est dire, qu’évidemment, nous manquons de lieux de mise en sécurité dans l’urgence avec des personnels qualifiés. Dans ces lieux de mise en sécurité, souvent les femmes ne peuvent pas rester très longtemps et qu’elles basculent dans les dispositifs de moyenne urgence. Or si la prise en charge ne se fait pas dans un lieu spécialisé avec des personnels formés, la femme va se retrouver dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) avec des sortants de prison, des SDF, et ne va pas le supporter. Le risque, c’est évidemment qu’elle retourne chez mon agresseur parce qu’avec ses enfants, elle ne peux pas rester dans ce lieu, pas plus que dans des hôtels où les cafards courent sur les lits des enfants – je pense ici aux hôtels dits « sociaux » qui sont épouvantables.

Il faut traiter deux problèmes : d'une part le nombre de places, et , d’autre part, le nombre de places dans des structures comprenant des personnels qualifiés spécialisés et formés sur la question des violences conjugales. Il faut ensuite que les femmes qui ont pu se reconstruire  bénéficient d’un logement social pérenne. La loi du 8 juillet 2010 prévoyait, dans son article 19, que les bailleurs sociaux en donneraient en nombre suffisant pour les femmes ayant des ordonnances de protection. Il n’y a jamais eu de décret d’application. C’est un puits sans fond. Vous avez beau créer des places dans les centres de moyenne urgence,  au final les femmes ne sortent pas vers du logement pérenne alors qu’elles ont besoin de reprendre leur vie ordinaire. Il nous faudrait des conventions avec les bailleurs sociaux, notamment les structures nationales voire au niveau régional ou départemental. Il faudrait créer des conventions types pour que les bailleurs sociaux donnent des logements pour permettre la sortie de l’hébergement de moyenne urgence vers du logement pérenne, ce qui est très important. Permettre à une femme de reprendre sa vie en main, c’est bien sûr ne pas la victimiser, mais c’est au contraire lui permettre, en reconnaissant son statut de victime, de reprendre sa vie en main et de partir des centres d’urgence comme la citoyenne qu’elle était auparavant.

Mme Fiona Lazaar, présidente. Auriez-vous également des propositions d’amélioration à faire en ce qui concerne l’ordonnance de protection et le TGD ?

Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Sur la question de l’ordonnance de protection, nous avons deux améliorations possibles. Il y a la question du délai qui est posée dans la proposition de loi de M. Pradié. Entre le moment où la victime dépose sa requête et le moment de l’audition, il faut que un délai raisonnable. Le guide publié par la Chancellerie propose deux semaines, 14 jours. Je pense que c’est plutôt bien parce que cela donne le temps du contradictoire. Mais il doit s’agir d’un délai maximum et non minimum. Or, aujourd’hui le délai moyen est de 41 jours. La marge de progrès est réelle. Il me semble qu’on peut envisager ce délai comme un maximum si on admet que l’assignation de l’agresseur se fasse par huissier.

Il faut cependant rester attentifs aux frais que cela engendre. Lorsqu’on dispose de très petits revenus, on bénéficie de l’aide juridictionnelle. Toutefois, les personnes qui dépassent même légèrement le barème vont devoir prendre en charge les frais d’avocat et d’huissier au moment de l’assignation et, une fois l’ordonnance obtenue, payer de nouveau des frais d’huissier puisque c’est ainsi qu’elle doit être notifiée. Cela représente des frais importants. L’association des femmes huissiers a toutefois fait savoir qu’elle était en mesure de réaliser gratuitement 5 000 actes. Je pense qu’il y a ici matière à travailler avec les chambres des huissiers et leur association nationale pour que les actes d’huissier liés à l’ordonnance de protection soient gratuits. Il me semble que cela pourrait être un acte citoyen, surtout que les huissiers gagnent déjà beaucoup d’argent sur les saisies. Cette gratuité permettrait par ailleurs de faciliter les assignations et le recours aux ordonnances. En effet, aujourd’hui les assignations se font par lettre recommandée mais il suffit que l’auteur ne vienne pas chercher le recommandé pour que la procédure prenne du temps.

Dans la pratique, cela aboutit à des retards. Le coordinateur des juges aux affaires familiales de mon département m’indiquait à la fin du mois de septembre dernier avoir statué sur des ordonnances de protection qui avaient été demandées en juillet. Cela n’a pas de sens. Pour tenir le délai de 14 jours, nous pourrions donc imaginer de nous inspirer du modèle existant pour les ordonnances requêtes afin de nous assurer de l’effectivité de l’ordonnance de protection. Ainsi le délai serait beaucoup plus court et le dispositif serait donc plus efficace.

Le deuxième axe de progrès pour les ordonnances de protection concerne leur renouvellement. Je ne pensais même pas que c’était possible, mais la cour d’appel de Paris a récemment refusé la prolongation des mesures d’une ordonnance de protection accordée par le juge de première instance. Le code civil prévoit en effet que ces mesures « peuvent » être prolongées si, une requête en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d'une requête relative à l'exercice de l'autorité parentale.

Il me semble qu’il faudrait remplacer ce « peuvent » par « sont » de façon à assurer le renouvellement de façon automatique. La différence entre ces deux termes tient à la latitude accordée au magistrat. Dans l’exemple que j’évoquais, l’agresseur a été condamné à 12 mois de prison et pourtant la femme s’est retrouvée sans mesure de protection alors qu’elle bénéficiait auparavant du téléphone grave danger.

Pour le téléphone de grave danger, comme d’ailleurs pour le bracelet antirapprochement, je dirais que ces dispositifs sont des outils technologiques qui n’ont d’intérêt que s’il y a, en même temps, des comités de pilotage qui se réunissent régulièrement et qui étudient chaque situation. Cela devrait être obligatoire parce qu’un outil technologique n’a de sens que s’il est associé à des mesures pérennes pour les femmes bénéficiaires. Il faut que ce comité rassemble un représentant du siège, un représentant du parquet, le conseil départemental – c’est notamment important si la victime veut déménager pour vérifier si on peut l’accompagner , des travailleurs sociaux, des associations présentes, la police,… Il faut que tout le monde se réunisse et travaille sur une situation. On vérifie si la femme a bien sécurisé toutes ses mesures judiciaires, que ce soit au civil ou au pénal, si elle a bien tous ses droits, si elle a bien accès à son travail, etc. Il faut que l’on soit dans un travail minutieux car sinon cela ne sert à rien. La victime pourra garder le téléphone six mois, un an, voire toute sa vie d’ailleurs, seul, il n’aura pas permis de sécuriser la situation de manière pérenne.

Pour le bracelet anti-rapprochement, c’est exactement la même chose. Actuellement, nous ne savons pas comment ce système va se mettre en place. Si la loi l’autorise, en cas d’alerte, qui préviendra la victime et qui préviendra l’agresseur ? À quel moment se fera l’alerte ? Et quel sera l’espace entre l’agresseur et la victime pour que se déclenche l’alerte ?

Et comme le nom l’indique, anti-rapprochement veut dire que l’homme et la femme sont en lien constant ! Je crois que cela peut être un souci, surtout dans le cadre de la procédure civile. La femme engage la procédure et bénéficie de ce dispositif destiné à la sécuriser. Mais, en réalité, il va la maintenir sous l’emprise de son agresseur car elle va constamment se demander où il est et ce qu’il fait. L’agresseur se posera lui aussi les mêmes questions. Les deux personnes restent liés ! On l’a évoqué précédemment pour les enfants, mais il y a un besoin de « délier » les personnes ; or ce dispositif maintient le lien. Le dispositif peut être une bonne mesure, à supposer qu’on en précise les modalités et il pourra aussi être pertinent notamment pour les « grands dangereux ». En effet, face à un multirécidiviste, il faut protéger la victime qui est trop effrayée parce qu’elle sait que l’auteur va recommencer.

C’est la différence avec le téléphone grave danger où c’est la femme qui appuie ; c’est elle qui prend sa sécurité en main ; c’est elle qui est actrice de sa protection. On ne la victimise pas et ainsi on l’aide à se défaire de l’emprise dont elle est victime.

Mme Valérie Boyer. Vous avez évoqué les soins pour les enfants et le fait qu’avec une ordonnance de placement provisoire pour huit jours, on pouvait mettre en place les soins, notamment dans des centres de psychotrauma. Ces centres étant aujourd’hui extrêmement dispersés sur le territoire, ne pensez-vous pas qu’il faudrait inclure dans nos prochains textes et dans le Grenelle un volet relatif aux soins et aux centres de référence ? Nous ne disposons aujourd’hui d’aucun centre de référence en la matière.

Nous constatons que les violences conjugales sont inégalement réparties sur le territoire. Aussi, dans ma proposition de loi, je propose de faire un bilan entre les dépôts de plainte et les poursuites par le parquet pour savoir comment se passe dans chaque territoire. On ne peut plus se satisfaire de juste savoir que dans un département il y a 6 ordonnances de protection quand 24 ont été prises dans un autre.

Ce qui me gêne dans l’obligation de soins, c’est que nous n’avons pas de lieu de référence pour ces violences conjugales. Quand vous allez faire constater les coups et blessures, c’est un médecin légiste qui intervient dans le meilleur des cas. Ensuite, vous n’avez pas forcément de psychiatre formé et encore moins de pédopsychiatre. Tout cela n’est pas coordonné. Pour le handicap, nous avons les centres médico-psychopédagogiques (CMPP) ; pourquoi ne pas penser une organisation des soins pour les violences conjugales ?

Il me semble que le meilleur lieu d’accueil de ces victimes reste l’hôpital, malgré les difficultés qu’il a toujours rencontrées. Un centre de référence pourrait être installé dans un centre hospitalier régional (CHR) ou en tout cas attaché à un CHR ou un centre hospitalier universitaire (CHU). Ce serait d’autant mieux qu’on rentre à l’hôpital plus facilement que dans un lieu qui est identifié. Je ne sais pas si vous avez avancé sur cette question, mais en vous entendant aujourd’hui, je me suis dit qu’il fallait vraiment avancer sur cette question des soins.

Vous avez également parlé de la gratuité des soins. Si nous voulons vraiment donner du sens à ce Grenelle, je me demande s’il ne faudrait pas créer une affection de longue durée (ALD). Normalement prononcée pour une période de cinq ans – période qui me semble adaptée à la réparation , une ALD permet de prendre en charge tous types de soins et surtout d’avoir un suivi. Quand on est reçu pour une ALD, il y a un début, mais on fixe aussi un objectif de fin. Ces cinq années me semble être un bon délai pour le processus de réparation.

Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Je partage votre analyse : il est très important que les lieux de soins soient adossés à l’hôpital. En Seine-Saint-Denis, nous avons la Maison des femmes, installée à Saint­Denis et adossée à l’hôpital. Y interviennent des médecins, des gynécologues, des psychologues pour les soins, mais également un policier qui vient prendre la plainte si la victime le souhaite. Les associations sont également présentes ; c’est un lieu complet.

Nous allons avoir bientôt la même chose à l’hôpital Ballanger à Aulnay-sous-Bois qui a été reconnu centre de psychotrauma et centre de référence pour les violences faites aux femmes. Les enfants y sont hospitalisés en pédiatrie en cas de féminicide avec des soins en pédopsychiatrie.

L’idée serait de créer, ailleurs en France, un certain nombre de lieux de ce type auprès des hôpitaux. Y seraient délivrés des soins en psychotrauma ; un médecin légiste pourrait être là – à temps plein ou pas – pour faire les prélèvements et les certificats médicaux lorsque c’est nécessaire ; un policier se déplacerait pour prendre la plainte sur place dans un lieu sécurisé. Le lieu de psychotrauma est un lieu sécurisé où on a déjà parlé avec la femme et on l’a déjà apaisée, ce qui fait qu’elle pourra raconter les choses de manière précise et peut-être plus cohérente que si elle arrivait tout de suite au commissariat en étant très traumatisée. On pourrait déployer ce dispositif dans un certain nombre de départements en France à titre expérimental. Ce système existe déjà pour les violences sexuelles en Belgique. Le « protocole féminicide » que j’évoquais pourrait aussi être étendu à titre expérimental ailleurs en France. En tout état de cause, il est très important d’adosser les soins à un hôpital et de s’ouvrir au psychotrauma, à la gynécologie, etc.

En France, nous comptons 44 ou 46 unités médico-judiciaires, c’est-à-dire qu’il n’y en a pas dans tous les départements, puisque nous avons plus de 100 départements. Nous avons des médecins légistes plus ou moins répartis sur le territoire. Par exemple en Corse, il y a un médecin légiste pour toute la Corse. Il faut que les femmes aient la possibilité d’y aller sans forcément avoir porté plainte, c’est-à-dire, que l’on puisse recueillir leur parole, voir les ecchymoses, procéder à tous les examens utiles et établir un certificat médical précis, détaillé, même si elles n’ont pas porté plainte.

Même si la femme a été gravement victime, il lui est difficile d’aller porter plainte tout de suite ; en revanche, si elle a des traces, elle va souvent à l’hôpital. Si on établir alors un certificat médical détaillé, cela donnera de la crédibilité à sa parole. Cela l’aidera aussi la victime : si le certificat médical établit qu’elle a des ecchymoses, qu’elle a été violée,… cela va l’aider à prendre conscience de ce qui s’est passé et donc l’aider à ensuite aller déposer plainte. À Bordeaux où ce dispositif existe, nous sommes passés pour les viols de 10 % de plaintes à 30 %. Bien accompagnée, une femme portera davantage plainte que si elle est mal accompagnée et si elle a peur de porter plainte. En facilitant le dépôt de plainte, on participe aussi à la mise en sécurité de la victime.

Mme Valérie Boyer. Women Safe à Saint-Germain a également cette approche holistique des femmes. Il assure également des réparations d’excisions. Il prend également en charge toutes ses étapes, y compris pour les mineures.

Mme Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh. Il y a en effet plusieurs endroits en France qui mériteraient d’être répertoriés.

Mme Fiona Lazaar, présidente. Vous évoquez la cellule d’accueil d’urgences des victimes d’agressions (CAUVA) de Bordeaux. La Délégation a eu l’occasion de la visiter et je l’évoque dans mon rapport sur les propositions de loi ; nous l’avions déjà mis en avant dans le rapport d’information sur le viol. Je crois que c’est un modèle qu’il faut véritablement prendre en exemple pour qu’il puisse se déployer sur l’ensemble du territoire national. Quand un dispositif fonctionne, il faut le dire et il faut s’en inspirer.

Merci pour vos interventions, pour votre engagement profond et votre travail de tous les instants. Je suis persuadée que le Grenelle sera une véritable avancée en matière de lutte contre les violences conjugales et que nous pourrons, par nos efforts communs, parvenir à déconstruire le continuum des violences et faire advenir enfin une véritable société d’égalité.

L’audition s’achève à vingt heures cinquante-cinq.


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Valérie Boyer, Mme Fiona Lazaar, Mme Nicole Le Peih

Excusés. - Mme Sophie Auconie, Mme Cécile Muschotti, Mme Isabelle Rauch, Mme Marie-Pierre Rixain