Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition, conjointe avec la commission des Affaires économiques, de MM. les députés Cédric Villani, Philippe Berta et Francis Chouat, sur les rapports des groupes de travail constitués pour la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, remis au Premier ministre le 23 septembre 2019              2

 Présences en réunion.................................31

 


Mercredi
6 novembre 2019

Séance de 9 heures  30

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
M. Bruno Studer,
président
et M. Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques
 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mercredi 6 novembre 2019

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence M. Bruno Studer, président et de M. Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques)

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La commission des affaires culturelles et de lÉducation conjointement avec la commission des affaires économiques entendent MM. les députés Cédric Villani, Philippe Berta et Francis Chouat, sur les rapports des groupes de travail constitués pour la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, remis au Premier ministre le 23 septembre 2019.

M. le président Bruno Studer. Nous sommes réunis ce matin autour de nos collègues MM. Philippe Berta, Francis Chouat et Cédric Villani pour échanger sur les conclusions des trois groupes de travail constitués par le Gouvernement en février dernier, afin de préparer le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui devrait être déposé au premier semestre 2020. Ces trois groupes de travail ont remis leur rapport au Premier ministre et à Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, le 23 septembre dernier.

M. Philippe Berta, vous étiez co-rapporteur, avec M. Philippe Mauguin, président de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), et M. Manuel Tunon de Lara, président de l’université de Bordeaux, du deuxième groupe de travail sur l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques. Vous êtes également le rapporteur pour avis de notre commission sur les crédits de l’enseignement supérieur au sein de la mission interministérielle pour la recherche et l’enseignement supérieur (MIRES).

M. Francis Chouat, vous étiez co-rapporteur, avec Mme Isabel Marey-Semper, ancienne directrice générale de l’Oréal, et M. Dominique Vernay, vice-président de l’Académie des technologies, du groupe de travail sur l’innovation et la recherche partenariale. Vous êtes également rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la recherche.

M. Cédric Villani était co-rapporteur, avec M. Antoine Petit, président du CNRS, et Mme Sylvie Retailleau, présidente de l’université Paris-Saclay, du groupe de travail sur le financement de la recherche.

Plusieurs de nos collègues députés et sénateurs ont été conviés à participer aux réflexions de ces groupes de travail.

Il m’a semblé que cette période d’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 était propice à un premier échange général sur ce projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui doit nous permettre de tracer des perspectives, d’arrêter les priorités et d’établir un cadre solide pour soutenir les ambitions de la France en matière de recherche, enjeu déterminant pour l’avenir de notre pays et l’ensemble de nos concitoyens.

En effet, comme la ministre Frédérique Vidal l’a affirmé lors de sa récente audition devant notre commission, « La production scientifique du XXIe siècle est ce que la production dacier était au XIXe : létalon de notre souveraineté nationale ».

M. Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques. J’ai l’habitude de dire que l’économie n’est pas la réponse à tout, mais qu’elle fait partie de toutes les réponses. À la commission des affaires économiques, nous sommes évidemment très intéressés par les enjeux de recherche et par l’intégration des faits, des sciences et des données dans les analyses qui nous permettront d’élever le potentiel de l’économie française et des différents secteurs dont nous avons la charge.

Je suis très heureux d’être associé à cette réflexion sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui nous concerne tous et toutes. Le Gouvernement avait mis en place des groupes de travail composés à la fois d’experts et de parlementaires, ce qui est une bonne méthode. Je suis très heureux de participer à cette audition et d’entendre les conclusions de ces travaux préliminaires, qui vont nous permettre d’entamer un travail commun entre nos deux commissions.

M. Cédric Villani, rapporteur. Je serai le premier à vous présenter les résultats du groupe de travail sur le financement de la recherche. Ce premier groupe de travail était co‑rapporté par M. Antoine Petit, président du CNRS, par Mme Sylvie Retailleau, présidente de l’université Paris-Saclay, ex-présidente de l’université Paris-Sud, et moi-même. Il traitait notamment des aspects de programmation de la recherche.

Je vais commencer par l’importance stratégique et internationale que revêt la recherche, aussi bien pour les questions économiques que pour les questions d’environnement et de préparation de l’innovation et du futur. Traditionnellement, la recherche constitue l’un des points forts de la France, qui a toujours connu une tradition très forte en la matière. Dans mon propre domaine, les mathématiques, la France était à coup sûr le premier pays du monde dès le XVIIe siècle, et n’a jamais cessé d’être l’un des deux ou trois pays dominants. D’ailleurs, les mathématiques sont le sujet dans lequel elle a la plus forte influence au niveau universitaire à travers le monde. Cela étant, la France s’enorgueillit d’avoir une tradition de recherche dans tous les domaines.

Pour autant, la position de la France, et plus généralement de l’Europe en la matière est menacée, dans un contexte marqué par la grande imbrication des enjeux de recherche et par l’émergence de nouveaux pays. Le fait international majeur de ces dernières décennies réside dans la montée en puissance de la Chine, et dans une moindre mesure de l’Inde, et de façon générale dans le développement des budgets de recherche en Asie, parallèlement à la très forte domination des budgets de recherche américains dans certaines disciplines.

Il sagit dun sujet pour lequel la compétition est internationale à tous les niveaux, avec des politiques dattractivité des programmes de recherche et des chercheurs. La France se caractérise par des grilles de salaires peu compétitives à linternational, par le poids considérable des salaires dans les budgets des grands organismes de recherche et par les difficultés à organiser un dialogue efficace et souple entre le milieu de la recherche et le milieu politique. Cest à toutes ces questions que les groupes de travail se sont engagés à répondre.

Voici quelques indicateurs portant sur la période 2015 – 2017. La France représente un peu plus de 3 % des publications mondiales annuelles et occupe le septième rang mondial, derrière les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Inde et le Japon. Autre chiffre important du point de vue budgétaire : la comparaison de l’investissement en recherche et développement entre la France et l’Allemagne – même si les budgets et les secteurs économiques diffèrent – montre un différentiel de 42 milliards en faveur de l’Allemagne sur l’année 2016. Si nous rapportons les investissements au PIB, la France consacre à la recherche et au développement environ 2,3 % de son PIB, là où l’Allemagne y alloue 2,9 %, alors que nos engagements en matière de dépenses d’investissement étaient de l’ordre de 3 %. Ce sont les engagements que nous avions pris au début des années 2000 et que nous sommes encore loin de tenir. Pour le dire franchement, au regard de ses ambitions et de son rang au niveau international, la France n’investit pas assez en matière de recherche.

Dans notre système français, l’essentiel du financement se fait par des crédits dits « récurrents », c’est-à-dire avec peu d’évolutions au fur et à mesure des années. L’un des axes retenus dans le cadre de nos travaux était de s’astreindre à utiliser le terme de « crédits de base », et non celui de « crédits récurrents », puisque la notion de crédits récurrents correspond à l’idée que les crédits reviennent, identiques à eux-mêmes, année après année.

Dans le cadre de ma mission sur l’intelligence artificielle, l’une des seules préconisations qui n’a pas été reprise par le Gouvernement était celle qui portait sur les salaires. Or, les jeunes chercheurs en IA reçoivent des salaires deux, trois, voire cinq fois supérieurs à ce qu’ils peuvent percevoir en France. Je parle ici des universités ou des grandes entreprises américaines, mais également, aujourd’hui, des succursales françaises des grandes entreprises américaines. Il est très difficile de lutter contre ce phénomène. Nous avons vu au cours des dernières années nos meilleurs chercheurs en la matière déserter les laboratoires français pour passer sous pavillon américain ; nous devons garder à l’esprit ce contexte extrêmement compétitif.

Les préconisations du groupe de travail portent sur deux axes majeurs : lutter contre la faiblesse des financements et lutter contre leur dispersion. Nous préconisons de flécher davantage les financements là où cela serait utile, en particulier en recherchant les synergies et en renforçant les concertations entre l’État et les territoires ; de renforcer l’évaluation, permettant en particulier de moduler les dotations ; de renforcer les crédits compétitifs, et particulièrement le rôle de l’agence nationale de la recherche (ANR) ; de renforcer l’utilisation des fonds européens et enfin de développer les infrastructures de recherche, qui jouent aujourd’hui un rôle important pour assurer l’efficacité de la recherche.

Ce premier groupe de travail portait sur les enjeux du financement de la recherche, et en particulier sur les financements compétitifs, issus de la valorisation de bonnes performances internationales ou des appels à projets. Nous avons formulé une dizaine de propositions en la matière.

Notre première proposition, relative aux choix stratégiques, consiste dans le renforcement et la rénovation du conseil stratégique de la recherche. Cet organe, censé faire le lien entre le monde de la recherche et le monde politique, constitue un énième avatar de conseils qui, placés sous l’autorité du Premier ministre ou du Président de la République, n’ont jamais vraiment fonctionné. Le conseil actuel ne fonctionne pas vraiment non plus, et le nouveau conseil ne pourra être efficace sans une réelle volonté politique. Il doit faire l’objet d’une appropriation au plus haut niveau, avec des réunions et des contacts réguliers pour répondre aux besoins de la recherche et assurer une mission de coordination. Il s’agit de notre première proposition, destinée à développer la capacité de la France à opérer des choix stratégiques et à agir en cohérence.

Nous avons aussi formulé des propositions techniques visant à résoudre des problèmes de tutelles multiples. La multiplication des tutelles s’avère délétère dans le domaine de la recherche, sous bien des aspects. Bien souvent, la tutelle du ministère de la recherche a relativement peu de poids par rapport à, selon les cas, celles du ministère de l’économie, de la défense ou encore de l’agriculture. Dans bien des cas, le rôle du ministère de la recherche doit être renforcé en tant que coordinateur des tutelles.

Nous recommandons également de renforcer le dialogue avec les autorités territoriales, en particulier avec les régions, dans le cadre des contrats de plan État‑Région, pour améliorer les synergies.

Nous souhaitons également conforter le développement de l’évaluation et renforcer le rôle du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), pour aider les tutelles à effectuer des choix en matière de financements et de priorités stratégiques.

Le deuxième grand volet concerne la modulation des crédits de base, par l’augmentation des crédits budgétaires de 500 millions d’euros, afin d’assurer une modulation de ces dotations de base en fonction de critères de performance, de l’attractivité internationale, de la capacité des universités et des laboratoires de recherche à remporter des appels à projets européens et différents contrats à l’excellence internationale reconnue. Nous proposons de procéder à une différenciation par rapport aux performances, qui n’est possible que si les crédits sont en hausse. Sinon les universités, déjà sous-dotées par rapport à leurs ambitions, rejetteront l’idée d’une nouvelle différenciation.

Le troisième volet porte sur l’Agence nationale pour la recherche. Cette agence, qui propose des financements compétitifs sur appels à projets, est nécessaire, c’est la conviction du groupe de travail. Elle souffre toutefois aujourd’hui d’un taux de sélection trop bas du fait du manque de crédits. Actuellement, le taux de sélection des projets est de 16 %. À titre de comparaison, en Allemagne, il est de 50 % environ. En général, on considère qu’en dessous d’un taux de 30 %, le système est dysfonctionnel, car la part de chance devient très importante. Le système n’est plus attractif et n’incite pas les chercheurs à déposer des projets qui seront très vraisemblablement rejetés.

En fonction du taux de financement et du taux de sélection visés et selon les évolutions du préciput, les recommandations du groupe de travail conduisent à plusieurs scénarios, représentant des financements supplémentaires compris entre 500 millions et 2 milliards deuros.

Quatrième recommandation, s’agissant des appels à projets européens, la France voit ses positions reculer régulièrement. Nos chercheurs, notamment, ne répondent pas assez aux projets européens. Nous recommandons de systématiquement abonder les budgets des universités qui décrochent un projet européen afin de les encourager.

D’autres recommandations concernent :

– l’organisation des infrastructures de recherche, dont le grand équipement national de calcul intensif (GENCI), qui constitue une ressource extrêmement importante ;

– l’organisation de sciences et de données ouvertes, dans un écosystème où la possibilité de développer des solutions algorithmiques intelligentes dépend largement de la possibilité d’avoir accès à des données ;

– un programme transversal pour favoriser les sciences humaines et sociales, dont l’utilité est encore plus importante maintenant que par le passé ;

– un programme de participation accrue de la société civile et des associations, et plus largement des « mouvements de développement des sciences », en dehors des organismes habituels de recherche.

L’ensemble de ces recommandations représente des financements s’échelonnant entre 2 et 3,6 milliards, en fonction des scénarios retenus.

M. Philippe Berta, rapporteur. J’ai eu l’opportunité de co-animer le deuxième groupe, portant sur le renforcement de l’attractivité des métiers de la recherche, aux côtés de M. Philippe Mauguin, président de l’INRA, et du professeur M. Manuel Tunon de Lara, président actuel de l’université de Bordeaux, avec la participation d’acteurs représentatifs de différents secteurs du monde de la recherche.

Dans un premier temps, notre travail a consisté à dresser un constat de la situation de la recherche et de ses métiers. Je dois avouer que ce constat est plutôt affligeant, mais nous le savions. Nous avons noté un décrochage des rémunérations, une érosion de l’emploi scientifique, de mauvaises conditions d’entrée dans les carrières scientifiques, ainsi que la qualité inégale de la gestion des ressources humaines (GRH), selon les établissements.

Par exemple, il faut savoir que dans les métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur, la moyenne d’âge oscille aujourd’hui entre 34 et 35 ans, soit des niveaux « bac+17 » – les doctorats et des post-doctorats constituant des formes d’études – pour une rémunération de 1 800 euros nets par mois au premier échelon. Aujourd’hui, telle est la réalité de l’attractivité de nos métiers. Il faut tomber sur des passionnés, qui heureusement existent encore.

Je vais vous présenter les propositions que nous avons formulées, dont l’exécutif sera libre de s’emparer ou non – sachant que ces propositions vont coûter probablement plus cher que celles que Cédric Villani vient de mentionner.

Notre première proposition est de revaloriser, par le régime indemnitaire, les rémunérations de l’ensemble des personnels de la recherche, en les alignant sur les rémunérations moyennes des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la fonction publique française. Nous parlons de réforme indemnitaire, et non indiciaire, car dans ce dernier cas nous mettrions en difficulté les finances de l’État.

Nous sommes partis du constat suivant : les salaires des chercheurs et enseignants‑chercheurs français sont en décrochage par rapport aux standards internationaux. Ce différentiel est très marqué, en particulier en début de carrière. Le salaire moyen annuel brut d’entrée des chercheurs en France représente, en parité de pouvoir d’achat, un peu moins de 63 % du salaire moyen d’entrée perçu par les chercheurs en Europe et dans les pays de l’OCDE. La comparaison avec la rémunération des cadres de la fonction publique française montre le même phénomène de décrochage, principalement sur le volet indemnitaire. La réforme annoncée des retraites renforce l’urgence d’un rattrapage.

Pour remédier à cette situation, nous avons tout d’abord proposé de revaloriser les rémunérations des personnels de la recherche au niveau de la moyenne de l’OCDE – une ambition limitée, mais c’est déjà une première ambition – par des indemnités, en respectant, d’une part, un équilibre entre une revalorisation pour tous et revalorisation ciblée au mérite
– qui tiendra compte des différentes missions des chercheurs et enseignants-chercheurs– et, d’autre part, un équilibre entre reconnaissance individuelle et reconnaissance collective. Nous proposons d’étudier la possibilité de déplafonner les compléments indemnitaires tirés des ressources propres et de mener une réflexion complémentaire pour prendre en compte la spécificité des enseignants-chercheurs dans la construction du régime indemnitaire.

La deuxième proposition est de relancer l’emploi scientifique permanent en se rapprochant des meilleures procédures de recrutement à l’échelle internationale. En effet, les évolutions récentes de l’emploi scientifique nuisent à l’attractivité de la recherche française, dans un contexte de massification de l’enseignement supérieur et de renforcement de la concurrence internationale. D’une part, l’érosion de l’emploi scientifique permanent réduit les potentiels de recrutement et de promotion, et décourage les jeunes générations de chercheurs et enseignants-chercheurs ; d’autre part, la répartition de l’emploi scientifique est aujourd’hui peu adaptée aux besoins de la recherche, avec une progression de l’emploi contractuel précaire et un déficit de personnels de support et de soutien.

Dans ce contexte, nous avons proposé de doter les établissements de budgets sincères, avec une subvention pour charge de service public leur permettant de stabiliser leurs emplois scientifiques permanents et d’améliorer les conditions d’emploi des contractuels sur ressources propres par la création d’un contrat à durée indéterminée (CDI) de missions scientifiques aligné sur la durée des projets de recherche, afin de contribuer à la lutte contre la précarisation des agents concernés. Actuellement, ces emplois prennent la forme de contrats à durée déterminée (CDD), qui finissent par arriver à leur terme et par ne plus pouvoir être renouvelés, alors que la mission sur laquelle ils travaillent se poursuit. Fréquentant beaucoup les laboratoires, j’ai pu percevoir la désespérance de gens bien formés, au cœurs d’un projet, qui sont obligés de rejoindre Pôle emploi, alors que des financements existent pour continuer à les rémunérer au sein des laboratoires.

Nous proposons aussi l’établissement d’un contrat de post-doctorat pour les jeunes chercheurs, à durée déterminée, pour améliorer les débuts de carrière dans la recherche publique. Nous en avons besoin, car nous avons un énorme déficit dans notre pays. Aujourd’hui, malheureusement pour nous, l’essentiel des post-doctorat se font à l’étranger.

Ensuite, nous proposons de rapprocher les procédures de recrutement des enseignants‑chercheurs et des chercheurs des meilleures pratiques internationales, par la création de chaires d’excellence junior pour attirer les jeunes talents et par un nouveau dispositif de recrutement que les Anglo-saxons appellent le tenure track, organisé par les établissements. Aujourd’hui, ce type d’emplois existe en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis.

L’institut universitaire de France (IUF), finalement peu utilisé, pourrait être remarquablement mieux doté et se voit confier la mission d’aller chercher les meilleurs chercheurs et de les attirer chez nous, plutôt que de voir systématiquement nos meilleurs éléments partir à l’étranger.

Nous préconisons l’intégration d’une épreuve de mise en situation professionnelle aux procédures de recrutement, ainsi que l’augmentation des recrutements externes de directeurs de recherche et de professeurs des universités.

Nous proposons également une extension des dispenses de qualification pour les établissements qui le souhaitent et dont les processus de recrutement auraient été certifiés, en particulier en termes de qualité sur la base des normes européennes.

Notre troisième proposition est de revaloriser le doctorat. En France, la valorisation du doctorat n’est pas à la hauteur de celle constatée dans les autres pays, qu’il s’agisse des conditions de préparation de la thèse ou de sa reconnaissance, notamment en dehors du monde académique et de la recherche publique, et ce malgré les progrès réalisés incontestablement par les écoles doctorales au cours de ces dernières années.

Nous proposons d’adapter la durée du contrat doctoral à la diversité des disciplines. À titre d’exemple, la biologie a besoin de temps et, en ce domaine, une durée limitée à trois ans est souvent trop brève.

Nous proposons des projets professionnels prévoyant des périodes d’immersion sur le terrain pendant les thèses, comme cela peut se faire dans des écoles d’ingénieurs. Pourquoi ne pas imaginer une immersion pendant sa thèse pour une durée de trois mois, avec une mini mission en milieu industriel ou dans la fonction publique ?

Nous préconisons de généraliser un financement dédié pour les doctorants en formation initiale, sachant que beaucoup trop de thèses, dans ce pays, sont effectuées sans aucun financement.

Nous souhaiterions également augmenter la rémunération minimale des contrats doctoraux. Il faut savoir rémunérer des personnels de niveau « bac+5 » à la hauteur de leurs qualifications.

Enfin, nous proposons de créer un cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral et d’augmenter le nombre de conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE). Ces thèses, qui sont placées sous une co-direction publique et privée, remportent un réel succès !

Notre quatrième proposition est d’améliorer l’entrée dans la carrière d’enseignant‑chercheur et son déroulement. Alors que les premières années sont parmi les plus productives en recherche, les conditions d’entrée dans les carrières scientifiques ne sont absolument pas satisfaisantes en France. Au-delà de l’environnement de travail des jeunes chercheurs et des procédures de recrutement assez éloignées des standards internationaux, le corps des maîtres de conférences est très peu attractif. Par exemple, nous proposons d’alléger les obligations de service d’enseignement en début de carrière, pour que le jeune recruté ait du temps pour ses recherches, ainsi que d’analyser l’opportunité d’une fusion des corps d’enseignants-chercheurs – il s’agit d’un serpent de mer, mais nous rouvrons ce débat. Le titre de maître de conférences n’évoque rien à nos interlocuteurs à l’étranger, alors que la notion de « professeur associé » parle à tous.

Notre cinquième proposition vise à moderniser la gestion des ressources humaines, pour améliorer l’attractivité et l’efficacité de l’emploi scientifique. Actuellement, la gestion des personnels scientifiques est très hétérogène en fonction des établissements. J’ai travaillé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), j’ai été professeur à l’université de Montpellier, je suis professeur à l’université de Nîmes, je n’ai jamais vu de service de ressources humaines en plusieurs décennies de carrière...

Par ailleurs, les procédures d’évaluation sont inégales selon les différents secteurs et les dispositifs en place ne favorisent pas la mobilité des chercheurs et enseignants‑chercheurs.

Enfin, les obligations de service des enseignants-chercheurs et la logique comptable qui en résulte ne correspondent plus à la réalité des missions qui leur sont demandées. Ces enseignants chercheurs sont redevables de 192 heures en équivalent de travaux dirigés d’enseignement sur l’année, de façon uniforme pour tous ; cela revient à leur demander de faire 192 heures de recherche par ailleurs. Une réflexion doit être menée sur la notion de service dans ces métiers.

Nous avons donc formulé cinq préconisations pour moderniser la gestion des ressources humaines, dont la première est de  mettre en place une vraie gestion prévisionnelle de l’emploi scientifique.

La seconde consiste à amplifier les dispositifs favorisant la mobilité, par une amélioration des conditions de reclassement, avec des mobilités mieux prises en compte dans l’avancement d’échelon et de grade ; un nouveau régime de congé pour recherches, plus favorables aux activités de recherche ; des mobilités facilitées entre organismes de recherche et universités ; le développement et la création d’emplois fonctionnels dans les universités et les organismes de recherche ; la création d’un statut de chercheur associé pour les organismes de recherche.

La troisième proposition est d’adapter les obligations de service des enseignants‑chercheurs à la réalité de leur métier, en proposant un système de régulation collective des charges d’enseignement au niveau de leur département ou de leur faculté – ce que l’on appelle l’unité de formation et de recherche (UFR) – en intégrant les laboratoires dans ce système de régulation et en menant une expérimentation sur la base d’un service évalué, non plus en volume horaire, mais en crédits européens.

Nous proposons ensuite de professionnaliser les procédures d’évaluation et d’en faire un des éléments clés de la gestion des ressources humaines, par le rétablissement d’évaluations périodiques des enseignants-chercheurs. En tant que chercheur, j’ai été évalué tous les deux ans. Je suis enseignant-chercheur depuis 2008, mais je n’ai jamais fait un rapport d’activité depuis 2008. Est-ce que cela est normal ? C’est sujet à discussion.

Nous proposons également de consolider le positionnement du Hcéres pour nous assurer de la qualité du processus d’évaluation, et d’encourager, à travers la composition des instances d’évaluation, la reconnaissance d’activités autres que celle de la recherche.

Enfin, nous proposons de professionnaliser la gestion des ressources humaines par la reconnaissance de la qualité de la GRH, comme un axe important de la relation contractuelle entre l’organisme ou l’établissement et le ministère, ainsi que la mutualisation de certaines formations, notamment celles des cadres pour la gestion de projets des infrastructures.

Notre sixième et dernière proposition est dinstaurer des contrats dobjectifs et de moyens pluriannuels pour suivre la réalisation des grands objectifs de cette future loi. Contraints par lannualité de la loi de finances, les établissements denseignement supérieur pilotent leur masse salariale et leur stratégie de recrutement sur une base annuelle. Cela ne favorise pas le développement de programmations, ni les recrutements concertés entre universités et établissements de recherche. Cela ne favorise pas non plus une concertation au niveau des politiques de site et cela ne permet pas de donner des perspectives aux jeunes qui souhaitent sengager dans la recherche. Les contrats dobjectifs et de performance signés avec les tutelles intègrent des orientations générales en matière de GRH mais ne contiennent pas de volet sur les moyens attribués. Nous proposons donc détablir des contrats dobjectifs et de moyens de performance (COMOP) quinquennaux entre universités, organismes de recherche et ministères.

L’attractivité des emplois et des carrières scientifiques est dans un état critique et appelle à une action des plus fortes. À ce stade, l’annonce de cette loi est accueillie très favorablement par notre communauté. Notre rapport s’efforce de refléter au mieux les évolutions souhaitables dont nous évaluons le coût à environ 5 à 6 milliards d’euros sur le prochain quinquennat afin d’espérer une remise à niveau de la recherche à la hauteur de nos engagements à l’échelle européenne.

M. Cédric Villani, rapporteur. Pour renchérir sur ce que disait mon collègue Philippe Berta sur l’institut universitaire de France, j’ai eu la chance d’en bénéficier pendant quatre ans. C’est une construction à «  la française », et l’une des meilleures constructions que j’ai pu voir dans le monde. Ce dispositif permet de conserver son poste universitaire, tout en réduisant la charge d’enseignement pour une durée de cinq ans. Les candidats sont sélectionnés par un jury international, par conséquent incontestable et non suspect de connivence avec l’administration de l’université, par exemple. Dans une carrière, ce dispositif permet de se concentrer davantage sur des projets de recherche. Je n’aurais jamais décroché la médaille Fields sans ce dispositif, qui devrait être généralisé mais a été plutôt restreint au cours des dernières années, pour des questions budgétaires.

M. Francis Chouat, rapporteur. Dans les mois qui viennent, au moins deux autres commissions devront être associées aux travaux de préparation de la loi de programmation sur la recherche et l’innovation, à savoir la commission du développement durable, très concernée par ces sujets, et la commission des affaires européennes.

Seul parlementaire non spécialiste, j’ai pris le travail en cours de route, puisqu’il avait déjà été engagé par Mme Isabel Marey-Semper, M. Dominique Vernay et Mme Amélie de Montchalin, devenue secrétaire d’État et que j’ai remplacée.

Je veux également confirmer les éléments de calendrier donnés dès le début de cette réunion. Je rappelle que nous sommes à quelques jours d’un événement important pour la recherche, et notamment la recherche publique. En effet, le 26 novembre, le CNRS fêtera ses 80 ans, en présence du Président de la République, qui s’exprimera sans doute. Au cours du premier semestre 2020, nous examinerons le projet de la loi, s’appuyant sur les leçons des trois ateliers de travail, pour une application de la loi de programmation à partir de 2021.

La particularité de notre groupe était d’être à la charnière entre les enjeux de recherche publique et universitaire, d’une part, et les enjeux économiques, industriels, sociaux et sociétaux, d’autre part.

Nous sommes partis d’un constat particulièrement alarmant : alors que la France était pionnière scientifiquement et technologiquement dans différents domaines, ce sont d’autre pays qui ont créé de nouveaux marchés, des emplois et les richesses associées – parfois en rachetant des technologies françaises, notamment dans le domaine des biotechnologies.

Cette perte de puissance et de souveraineté avérée dans certains domaines, le risque sur des secteurs existants et l’absence de la France sur des marchés dits « de rupture » s’accompagnent de phénomènes sociétaux profonds, avec une perte de confiance dans les décideurs et les experts. Cela amène aussi à aborder le rôle des scientifiques dans la société, en particulier pour éclairer les décisions politiques.

Voici quelques chiffres clés. En 2018, la France compte seulement trois entreprises parmi les 100 premières entreprises du classement Forbes Global 2000, contre dix en 2006. La pertinence de ces classements peut être relativisée mais ils existent. Par ailleurs, depuis 30 ans, la France n’a pas créé de nouveaux leaders mondiaux, à l’exception de quelques grandes entreprises comme Dassault Systèmes, Gemalto ou encore Ingenico. La France est absente du top cinq des startups dites « deep-tech » par grands secteurs ; elle ne compte que 6 « licornes » sur 350 dans le monde, alors que les États-Unis et la Chine représentent à eux deux 75 % des « licornes » mondiales. Le Président de la République, au nom de la France, a fixé l’objectif clair de 25 «  licornes » françaises d’ici 2025, ce qui montre l’effort qu’il faut réaliser.

La France est à un tournant de son histoire se trouve face à de très grands enjeux, à la fois sociétaux, économiques et de souveraineté nationale et européenne. Le premier objectif est de renforcer la place de la science dans la société française. Face à une crise de confiance et de défiance envers ses dirigeants et ses élites, plus que jamais, la France a besoin de la science pour donner un sens aux transformations qui la traversent mais aussi pour éclairer ses décideurs.

La recherche scientifique et l’innovation doivent retrouver leur rôle d’aiguilleur dans la société pour créer des richesses et des emplois ; pour conquérir de nouveaux marchés qui requièrent des innovations de rupture et des interactions fortes avec les acteurs industriels ; pour aborder les grands défis sociétaux en matière de santé, de sécurité, de transition numérique, d’environnement, de changement climatique et pour ainsi éclairer les décideurs, anticiper et accompagner les changements.

Face à la compétitivité des autres nations, le deuxième grand enjeu pour la France est de changer de modèle pour se hisser dans le top « 5 » des nations les plus innovantes. Elle se plaçait au quatorzième rang des 20 pays les plus innovants en 2018, pour la transformation des moyens investis en innovation, en impact économique et sociétal. Il y a donc urgence à recouvrer la souveraineté et l’indépendance de la France, dans certains marchés stratégiques à forts contenus scientifiques et technologiques.

Nous avons travaillé sur des propositions fortes afin de réagir rapidement, pour que la France redevienne un moteur puissant au sein d’une Europe forte dans la recherche et l’innovation. Cela est possible puisqu’au cours des 20 dernières années, la France a déjà montré ses capacités à initier des succès et des entreprises dans des secteurs très différents. Cependant, ces succès sont bien trop peu nombreux au regard du potentiel de notre pays et sont bien trop aléatoires pour rester dans la course mondiale.

Par ailleurs, certaines de ces entreprises ont été rachetées par des sociétés étrangères, en particulier américaines, et n’ont pas créé suffisamment d’emplois ni de valeur sur notre sol. Il faut donc changer de modèle et de paradigme pour ancrer durablement une nouvelle dynamique vertueuse au sein de notre pays. Nous avons donc défini cinq grands axes dans notre rapport.

Premièrement, nous devons favoriser l’émergence des leaders de demain, en sélectionnant cinq à sept grands défis, pour lesquels la France a des atouts et à partir desquels elle bâtira des leaderships mondiaux, sur la base d’un soutien plus affirmé à la recherche fondamentale publique, par définition non sélective.

Deuxièmement, nous devons consolider le rôle leader de la France en matière d’innovation au sein d’une Europe forte, en définissant une politique de recherche partenariale et d’innovation en lien étroit avec les territoires. L’agenda européen nous y invite et c’est un défi que nous devons relever. Nous pouvons prendre le leadership dans le développement d’une Europe de la recherche et de l’innovation, et pas seulement dans les secteurs que nous connaissons et maitrisons bien, comme le spatial ou l’aéronautique.

Cela nécessite de changer d’optique dans nos propres organisations nationales, s’agissant de la structuration des politiques nationales et régionales de recherche et d’innovation. Les compétences des régions doivent s’affirmer bien plus, dans la lignée des exemples du Grand Est et de la Nouvelle-Aquitaine notamment.

Le rôle des universités, notamment des universités d’excellence, évolue pour développer non seulement la recherche fondamentale, mais aussi l’innovation et le développement des innovations de rupture, en lien très étroit avec les grands organismes de recherche. Cette évolution est déjà à l’œuvre, il faut la développer. Des alliances territoriales doivent être nouées avec le secteur industriel.

Notre troisième proposition est de créer des entreprises de taille intermédiaire de rupture à partir de startups « deep-tech » issues de la recherche publique, en leur consacrant 5 milliards d’euros sur les 10 fonds de capital innovation, dotés chacun d’un milliard d’euros pour les entreprises non cotées, comme proposé par le rapport de Philippe Tibi remis au Président de la République.

Quatrièmement, il faut renforcer les liens de la recherche publique avec ses partenaires, en s’appuyant sur l’existant ; d’ici cinq ans, il faut doubler les dispositifs de recherche partenariale efficaces, tel que les CIFRE, changer significativement la politique des ressources humaines, en reconnaissant réellement le personnel de recherche, et mutualiser les expertises en faisant coopérer les acteurs de la valorisation entre eux.

Dernier grand axe de propositions il est nécessaire de développer la culture scientifique de l’innovation dans les différentes sphères de la société, en associant systématiquement les citoyens aux expérimentations – je pense notamment aux territoires d’innovation ; en formant à la culture scientifique et à l’entreprise, de la terminale au master, voire au doctorat ; en imposant un quota de 20 % de docteurs dans le recrutement des futurs hauts fonctionnaires.

Par sa géographie, la France est un pays de taille moyenne, mais par son histoire, par ses combats, par son rayonnement, par la culture scientifique qu’elle a pu développer, notamment au lendemain de la seconde guerre mondiale avec la création des grands organismes de recherche, elle pèse au premier rang des puissances européennes et mondiales. À la lumière des rapports que nous avons remis au Premier ministre, nous avons collectivement conscience que la future loi de programmation pluriannuelle pour la recherche et l’innovation marquera un tournant décisif pour l’avenir scientifique, économique, industriel et sociétal de notre pays. Nous devons nous doter des moyens qui nous permettent d’anticiper et d’accompagner les mutations et les transformations du pays, ainsi que de retrouver confiance dans l’avenir. Il en va de notre souveraineté nationale comme de notre souveraineté européenne.

M. Cédric Villani, rapporteur. Nous nous excusons du fait que les orateurs soient tous masculins. Hélas, les femmes sont sous-représentées dans la recherche, puisque l’on compte moins de 30 % de chercheuses. Nous avons une grosse marge de progression.

M.  Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques. Ces rapports sont très complets et très utiles et nous permettent de voir les choses qui marchent et celles qui ne marchent pas.

 Je me demande s’il n’y a pas un enjeu global d’architecture générale de la recherche en France, au regard de la mosaïque d’acteurs, d’organisations, de systèmes et de process. N’y aurait-il pas besoin d’un big-bang, et si oui, lequel ? Quelles pistes pouvons-nous identifier ?

J’insiste sur la place des femmes dans la recherche, question qui intéresse les commissaires de la commission des affaires économiques. Nous espérons que dans le cadre de la loi sur l’émancipation économique des femmes, à laquelle cette commission sera aussi associée, la présence des femmes dans l’éducation et la recherche sera abordée.

Dernier point, ayant vécu au Canada et étant député des Français d’Amérique du Nord, je me demande si les relations entre le secteur privé et celui de la recherche ne peuvent pas être amplifiées, simplifiées et organisées de manière plus globale. Je pense que cela fait partie des défis auxquels nous faisons face dans la compétition internationale.

Mme Florence Granjus. Dans le rapport du groupe de travail sur le financement de la recherche, vous faites le constat que la présence française dans les appels à projets européens est trop faible et que nous pourrions augmenter la participation des chercheurs et enseignants chercheurs français. Un plan d’action interministériel national, prévoyant des actions d’amélioration de la participation française aux dispositifs européens de financement de la recherche et de l’innovation, a démarré en septembre 2018. Quels sont les premiers constats et les premiers résultats de ce plan d’action ?

M. Patrick Hetzel. Je partage le double constat inscrit dans les rapports : d’une part, la nécessité d’investir dans la recherche, qui doit être une priorité pour notre pays ; d’autre part, l’urgence de prendre des mesures tenant compte du retard que nous avons pris, alors que la France est aujourd’hui, notamment en termes de financement, en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Il s’agit d’un vrai sujet, hélas récurrent.

Or pour y répondre, vous soulevez des points importants, soit le manque de cohérence dans les actions et les financements en l’absence d’un guichet unique, et la multiplicité des acteurs publics. Pourquoi ne pas donner davantage de poids à l’ANR ? Vous semblez assez timide de ce point de vue. Pourquoi ne pas donner un rôle prépondérant à cette agence ?

Ma seconde question concerne les estimations des besoins financiers. Au regard des chiffrages proposés par les groupes de travail, dans l’idéal, est proposée une augmentation financière de l’ordre de 4,9 milliards d’euros. Pensez- vous que cela est réaliste et réalisable ? Quand nous regardons les choses d’un peu plus près, le Gouvernement et sa majorité avaient l’occasion de faire évoluer les choses et auraient pu tenir compte de ces besoins dans le budget  2020. Or nous nous apercevons déjà que sur le budget pour 2020, le Gouvernement n’est pas en mesure de tenir ces objectifs. L’on constate déjà une sorte de hiatus entre ce qui serait souhaitable et ce qui semble être réalisé.

Mme Maud Petit. Nous sommes heureux de ce point d’étape qui doit nous conduire à l’examen de la loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, au printemps prochain. Ce rendez-vous sera particulièrement important au regard des enjeux auxquels cette loi devra répondre. Vous soulignez dans les différents rapports que vous nous présentez que l’intensité des défis modifie notre approche : dérèglement climatique, crise de la biodiversité, développement de l’intelligence artificielle, enjeux de santé...

Longtemps parmi les premières au monde, la recherche française se trouve aujourd’hui dans une situation complexe, qui la handicape dans le monde ultra compétitif de la recherche actuelle. Elle a perdu pied dans certains domaines où elle était pourtant pionnière. C’est à cet état de fait que la loi de programmation devra répondre.

La trajectoire budgétaire est désormais bien tracée, avec une augmentation des moyens alloués à recherche depuis le début du quinquennat. À ce titre, la rapporteure pour avis sur les crédits de la recherche du PLF 2020 a rappelé qu’il s’agissait d’un budget de transition, en attente du vote prochain de la loi de programmation. Pour autant, cette loi ne pourra pas se résumer à une simple augmentation budgétaire, même si elle est très importante. L’équilibre entre financements sur projets et financements pluriannuels, la réorganisation du pilotage, la redéfinition des disciplines, l’attractivité des métiers de la recherche, la souveraineté de la France dans le domaine de l’innovation sont autant de sujets pour nous tous.

Je souhaiterais vous interroger sur l’attractivité de la réforme du doctorat. Quelles sont les conditions pour que notre recherche perdure ? À ce titre, la question de la rémunération devra être abordée, pour que l’emploi scientifique redevienne attractif pour nos étudiants. Il ne s’agit pas uniquement de mobiliser une génération de chercheurs, mais aussi de créer des passerelles professionnelles plus fluides avec le secteur privé. Dès lors, comment envisagez‑vous la revalorisation du doctorat ? N’y a-t-il pas des dispositifs à créer, voire à amplifier, pour assouplir le cursus de la thèse et le moderniser ?

Mme Michèle Victory. Nous partageons tous l’intérêt d’une politique de la recherche ambitieuse, à la hauteur des enjeux de transformation colossaux de notre société et de l’accompagnement de ces transformations, qu’elles soient environnementales, philosophiques, sociales ou économiques.

Nous vous rejoignons pour souligner les besoins de financement importants, de l’ordre de 2 à 4 milliards, voire 5 ou 6 milliards par an, qui seraient répartis entre l’ANR et les laboratoires, afin de mieux équilibrer, pour ces derniers, les crédits de base et les crédits compétitifs.

Cependant, ce contexte de compétitivité, basé sur la performance et l’excellence, ne se joue-t-il pas au détriment de notions qui nous paraissent fondatrices, comme les valeurs de collaboration, de collectif, d’indépendance et de liberté dans la recherche ?

Comment un emploi stable, avec une répartition effective entre les tâches de soutien et les tâches de recherche, peut-il s’établir, sans une augmentation substantielle des postes de fonctionnaires ? Le recours de plus en plus fréquent aux contrats courts nous paraît contre‑productif dans cette architecture, qui a besoin d’une structure de base solide et pérenne.

Le montant des rémunérations des chercheurs, qui se situe à 63 % de celui des chercheurs de l’OCDE, n’est pas acceptable. Dans ces circonstances, le système de primes, que nous connaissons dans d’autres domaines, ne nous semble pas non plus susceptible d’offrir la stabilité nécessaire au monde de la recherche. Ce mode de management des ressources humaines a des conséquences. Cela est peut-être à mettre en relation avec l’évaluation des risques psychosociaux qui émergent depuis plusieurs années dans le secteur de la recherche.

Pour terminer, la pénurie de postes dans les différents organismes, alors que le nombre de chercheurs est plutôt en augmentation, souligne un paradoxe qu’il nous faudra résoudre.

Je voudrais un peu plus de détails sur les propositions.

Mme Béatrice Descamps. Dans vos rapports respectifs, j’ai été particulièrement intéressée par la place que vous faites au rôle actuel et à venir des collectivités territoriales dans le financement de la recherche et de l’innovation. Je voudrais vous remercier d’avoir souligné leur implication. Je cite vos chiffres : elles représentent près de 15,4 % de soutien total à la recherche, soit 800 millions d’euros en 2014, malgré un contexte budgétaire extrêmement difficile pour elles. Je voulais également saluer vos suggestions visant à renforcer leur rôle d’investisseur dans la recherche, à la condition que ces incitations ne soient pas de nature à les handicaper. Beaucoup peut être fait, j’en suis certaine. Par exemple, vous mentionnez le fait que les collectivités territoriales sont partenaires de moins de 5 % de nouvelles CIFRE. Comment l’expliquez-vous ? Comment y remédier ? Vous évoquez la possibilité de mettre en place une meilleure communication dans ce domaine. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce sujet ?

M. Michel Larive. Je partage avec vous certains constats qu’il était important de mettre en lumière, notamment concernant la précarité des chercheurs. Nous savons qu’ils sont très mal payés, notamment en début de carrière. De plus, nombre d’entre eux passent un temps considérable à candidater pour financer leurs recherches, avec des taux de refus très importants, notamment dans les sciences humaines. Vos travaux ont aussi largement porté sur les crédits affectés à la recherche. Vous préconisez d’affecter des moyens supplémentaires pour rémunérer les chercheurs, mais aussi pour financer convenablement la recherche.

Même si nous partageons certaines de vos conclusions, il apparaît que les pistes que vous envisagez sont sensiblement différentes des nôtres. Les montants globaux estimés nous semblent insuffisants. Ils ne remettent pas en cause le principe de financement quasi exclusif de la recherche à travers des appels à projets, via l’ANR. Ce système prive les chercheurs de la liberté de définir de leurs objets de recherche.

Ensuite, nous considérons que ces financements s’orientent en très grande partie vers une privatisation de notre service public de la recherche. Effectivement, dans le PLF pour 2020, le programme d’investissements d’avenir (PIA) est doté d’un peu plus de 2 milliards d’euros répartis comme suit : 435 millions d’euros pour l’enseignement supérieur, 620 millions pour la valorisation de la recherche et 1,12 milliard pour l’accélération de la modernisation des entreprises.

Nous considérons que les dispositifs mis en place pour accompagner la recherche soulèvent souvent des problématiques sociales. Les financements du PIA ne permettent pas d’offrir des conditions de travail dignes aux chercheurs.

J’attire également votre attention sur le crédit d’impôt pour la recherche qui a démontré son inefficacité. Il représente un effet d’aubaine pour les grandes entreprises. C’est la raison pour laquelle je plaide en faveur de sa suppression et de sa redirection vers la recherche publique au service de l’intérêt général. Je souhaiterais connaître votre avis sur les remarques, critiques et propositions que je viens de formuler.

M. Sébastien Jumel. Je voudrais souligner la nécessité de bâtir un projet global, cohérent, stratégique et d’avoir une vision pluriannuelle qui permette de stabiliser les financements. Comment répondez-vous à cette question et comment consolider les budgets au service de cet objectif ?

S’agissant de l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques, l’insuffisance des salaires, le fait que les chercheurs passent plus de temps à chercher des financements et à répondre aux appels à projets qu’à se consacrer à l’objet de leur recherche, le fait que le glissement vieillesse-technicité (GVT) ait pesé sur les établissements publics scientifiques si fortement que 3 500 emplois ont été supprimés contribuent à dégrader la force de frappe de la recherche scientifique de notre pays.

Vous répondez à ces enjeux par une précarité renforcée pour les scientifiques, avec la proposition de créer des contrats de mission scientifiques, autrement dit l’expérimentation d’un détricotage des CDI et des contrats postdoctoraux, qui offrent stabilité et sécurité, en généralisant des CDD pour tous les jeunes chercheurs. Autant de sujets qui nous préoccupent  et nous interrogent sur la volonté de doter notre pays de moyens de recherche.

Mme Sandrine Josso. Financer la recherche, rendre les carrières des chercheurs attractives, mais aussi ériger un consortium français de la recherche, voilà trois dimensions primordiales pour redonner à la France un rôle prépondérant au niveau mondial dans ce domaine.

La recherche en santé constitue un enjeu fondamental et nous souhaitons vivement que la future loi de programmation soit l’occasion d’améliorer l’application de la recherche dans la société, en particulier s’agissant de la recherche médicale. Cela me paraît d’autant plus légitime que la France possède l’une des bases de données les plus riches du monde en matière de santé. Ces données constituent une mine d’or pour la recherche. De grandes avancées thérapeutiques et en matière de prévention sont possibles grâce à ces collectes.

Cependant, encore trop de structures œuvrant dans la santé opèrent indépendamment. Nous le remarquons notamment dans mon département, au sujet des cas groupés de cancers pédiatriques. Le manque de coordination constitue une ineptie. Nous avons besoin de faire remonter les informations, de coordonner les acteurs et de s’appuyer sur des bases de données numériques, en prenant compte le facteur comportemental.

Quels outils de collaboration vous semblent pertinents, en particulier dans le secteur de la recherche en santé ? Quelle place devrions-nous accorder aux start-ups dans ce domaine ? Dans quelle mesure pourrions-nous les intégrer pour améliorer la recherche en santé, et surtout ses applications à la société ?

M. Cédric Villani, rapporteur. Le Canada est un très bon modèle, particulièrement réputé pour l’excellence de son agence nationale de la recherche, avec un taux de sélection plus proche de 60 % que de 16 %. Quand on présente un bon dossier à un appel à projets compétitif au Canada, on sait qu’on a une bonne chance de remporter cet appel. Cela permet d’éviter le syndrome du chercheur qui passe son temps à rédiger des projets, en étant obligé de candidater à toutes sortes d’appels d’offres parce que le taux de sélection est trop bas.

Le Canada bénéficie aussi de plusieurs outils, dont un très intéressant : il s’agit d’un organisme qui apporte aux entreprises des informations sur les recherches en cours et sur la façon dont elles pourraient se les approprier. Il s’agit d’une coopération proactive entre le monde de la recherche et le monde économique.

La France souffre historiquement d’un défaut de coopération important entre la recherche et l’entreprise, et entre le public et le privé : elle dispose d’une très bonne recherche publique et d’une très bonne recherche privée, mais avec trop peu de passerelles entre les deux. Cela fait partie des problématiques à résoudre. Le plan annoncé en septembre 2018 est encore à ses débuts, et il est trop tôt pour obtenir des évaluations et des réponses.

Je vais illustrer les inquiétudes par rapport à l’Europe par les propos prononcés par le secrétaire général de l’Institut des hautes études scientifiques, l’un des organismes de recherche fondamentale les plus réputés en France : « LEurope, il faut sen méfier comme de la peste ». C’était le cri du cœur de quelqu’un qui sait que candidater à un programme européen expose à des contrôles stricts, tatillons, et le cas échéant à des mises en demeure de rembourser des fonds, etc. C’est arrivé à l’Institut des hautes études scientifiques, et cela a failli les mener à la faillite. Les questions de procédure dans le cadre des appels à projet européen sont très redoutées ; se lancer dans un appel à projets européens implique de disposer de compétences affûtées sur les règles européennes et sur le droit du travail et de la recherche européens, etc. L’un des volets du plan était précisément de renforcer l’accompagnement des chercheurs dans ces domaines.

Le rapport du premier groupe de travail, détaille quelques-uns des grands axes du plan annoncé par Mme Frédérique Vidal en septembre 2018 à savoir inciter les chercheurs à répondre aux appels d’offres ; les accompagner dans ces réponses ; exercer une influence au niveau européen.

Nous savons que les chercheurs scientifiques français sont trop peu nombreux à investir le temps nécessaire, à Bruxelles ou dans les autres lieux de décision européen, pour influer sur la marche des choses en Europe. Nous en avons besoin.

Nous avons constaté que le statut de l’ANR était controversé. Certains considèrent qu’il faut la supprimer, parce qu’elle introduit trop de compétition et qu’elle s’oppose aux outils de financements récurrents, notamment aux budgets du CNRS et des autres organismes ; d’autres considèrent au contraire qu’il faudrait lui donner les clés de la recherche. Ma conviction est qu’il faut trouver un équilibre entre les deux. L’augmentation budgétaire que nous proposons à son bénéfice est très significative. Au regard de son budget actuel, une augmentation de 500 millions à 2 milliards du budget de l’ANR est très significative.

M. Philippe Berta, rapporteur. Il est quand même agréable de voir que l’on s’intéresse à la collectivité de la recherche, cela fait quelques années que nous l’espérions. De ce fait, nous avons aujourd’hui créé une forte attente, à laquelle j’espère que nous serons capables de répondre, en tout ou partie.

Voici quelques années, seulement 7 % des dossiers déposés à l’ANR étaient financés. Cela avait conduit à décourager la quasi-totalité des chercheurs, qui ne répondaient même plus aux appels d’offres, anticipant que le taux de succès était quasiment nul. Aujourd’hui, nous ne sommes plus très loin d’un taux de 16 % et notre objectif est de parvenir progressivement à 25 ou 30 %.

Les sources de financement de la recherche en santé sont multiples, notamment celle venant des acteurs caritatifs tels la Ligue contre le cancer, et avec différentes fondations comme la fondation pour la recherche médicale (FRM), il serait souhaitable de mettre en place un filtre unique confié à l’ANC, donnant lieu au dépôt d’un dossier unique, ce qui permettait de réduire le temps consacré par les chercheurs aux démarches administratives, au bénéfice de leurs activités de recherche, dans des congrès ou dans leurs laboratoires.

Nous avons certainement besoin d’augmenter le nombre de postes de chercheurs. Néanmoins, Je vais citer une réflexion qui m’avait un peu heurté mais qui est légitime, d’un de mes collègues professeur au collège de France qui  disait : « Aujourd’hui, si j’étais recruté au CNRS sur un poste de chercheur, dès le lendemain, je ferais un procès à mon établissement. En effet, celui-ci m’a recruté sur un poste de fonctionnaire, mais ne va pas me donner les moyens de faire les travaux pour lesquels il m’a recruté ». Nous avons un problème d’adéquation entre le nombre de postes et l’enveloppe budgétaire alloué au fonctionnement des laboratoires.

Nos propositions ne remplacent pas la précarité, parce que je pense à tous ces CDD qui vont être transformés en CDI, et à tous ces post‑doctorants qui vont enfin avoir un statut alors qu’aujourd’hui, ils ne reçoivent que de petites subventions des établissements et ne savent jamais vraiment de quoi demain sera fait.

Nous constatons aujourd’hui un vrai problème sur la thèse, qui est pratiquement devenue un repoussoir, et nous comprenons pourquoi. De moins en moins de jeunes veulent se lancer dans une thèse, car elle va les mobiliser pendant quatre ans en moyenne, et va les « ultraspécialiser » dans un domaine qui, à l’issue de leurs travaux, ne leur offrira plus nécessairement de débouchés en emplois, dans un monde qui va vite et où il faut être adaptable.

De plus, les salaires des étudiants en thèse sont complètement en inadéquation avec leur niveau de qualification. Le niveau de salaire de mes étudiants en master à leur entrée dans la vie active est bien plus élevé que celui d’un étudiant en thèse. Il faut rééquilibrer cette situation et rendre les thèses plus attractives.

Encore aujourd’hui, dans l’industrie, dans la fonction publique, dans les collectivités territoriales, dans l’administration, les thésards font « peur », du fait de leur spécialisation qui conduit à s’interroger sur leurs capacités d’adaptation et sur leur plus-value. Nous constatons un problème de méconnaissance des thésards à l’égard du secteur privé et, à l’inverse, du secteur privé vis-à-vis de la plus-value de l’étudiant qui a passé sa thèse. Les périodes de rencontre entre ces deux mondes doivent être multipliés, sachant que statistiquement, 80 % des étudiants en thèse travaillant dans le secteur privé. Ils ne seront pas fonctionnaires et il faut les préparer aussi à cela.

M. Francis Chouat, rapporteur. Nous nous sommes  interrogés sur l’architecture globale de l’organisation de la recherche publique, voire de la recherche privée et sur l’opportunité d’opérer un grand big-bang. Nous sommes d’autant plus en droit de nous poser la question que l’architecture française de la recherche, qui a plusieurs décennies, s’articule autour de grands organismes, et d’une conception assez centralisée et jacobine.

Cela correspondait à la mission de la recherche dans le redressement et le développement de la France. Les enjeux et défis sont aujourd’hui beaucoup plus transversaux. Les liens entre la recherche publique, la recherche privée, l’innovation, le développement économique, la création d’emplois et le développement des formations s’envisagent désormais de manière tout à fait différente par rapport aux décennies précédentes.

Je vous répondrai que la question de l’architecture se pose, mais que nous avons considéré qu’il était dangereux de la poser a priori, parce que cela aurait impliqué de débattre sur la manière dont nous allions transcender le CNRS, mettre à bas l’INRA, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), l’INSERM, les universités, etc. La précédente loi réelle de programmation pluriannuelle était la loi « Chevènement » de 1982, et je crois que nous devons nous situer dans cette filiation. Certes des adaptations et des évolutions sont nécessaires, mais la première question doit être : sur quoi pouvons-nous faire consensus, sur quels axes stratégiques du développement de la recherche, et comment pouvons‑nous nous organiser et faire évoluer les organisations ?

Au cœur de cette question réside un problème redoutable, qui n’est pas seulement budgétaire ou politique, mais concerne l’articulation entre recherche publique et recherche privée. La difficulté est culturelle : beaucoup dans le secteur privé ont considéré que la recherche fondamentale n’avait d’intérêt que si qu’elle était destinée à des applications, avec des perspectives de rentabilité. Et du côté de la recherche publique et des universités, les entreprises sont considérées comme un lieu de dévoiement des vertus intrinsèques de la recherche fondamentale. Nous avons beaucoup évolué depuis à ce sujet, mais il s’agit d’un enjeu important, relevant du troisième groupe de travail.

Sur les questions budgétaires, depuis 2017, le budget de la recherche et de l’enseignement supérieur est en progression continue, à la différence des années précédentes. Si l’on considère que la seule solution est d’augmenter de plusieurs milliards d’euros le budget de la recherche et de l’enseignement supérieur, alors effectivement, nous pourrions être conduits à la désespérance. Mais il a également des possibilités d’articulation entre la recherche d’un financement budgétaire et des financements parabudgétaires voire à caractère privé. Cela sera l’un des enjeux de la loi de programmation.

Aujourd’hui, le rôle et la compétence des régions doivent être beaucoup plus soutenus et affirmés, parce qu’aux côtés de la recherche publique et du monde économique, c’est sur les territoires que doivent s’organiser les éléments de croissance et de création d’entreprises. Je ne comprends pas pourquoi il faudrait supprimer le crédit impôt recherche. Il peut être nettement amélioré mais tous les rapports montrent qu’il a été utile pour soutenir la recherche aux seins des entreprises, y compris par les petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE).

Mme Valéria Faure-Muntian. La question de la recherche et de sa coordination avec le monde économique a été soulevée à de nombreuses reprises depuis 2017, notamment dans le rapport sur l’intelligence artificielle qu’a signé M. Cédric Villani, mais aussi dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite PACTE, et dans les engagements du Gouvernement sur les financements des technologies de rupture. Quels sont aujourd’hui les secteurs réellement sous-dotés, qui ont besoin d’investissements majeurs ? Stratégiquement, quels sont les secteurs que nous devons privilégier pour pouvoir avancer dans la compétition européenne et dans la compétitivité internationale ? J’aimerais une réponse plus approfondie sur la coopération entre public et privé et sur la question de souveraineté qui y est associée en ce qui concerne les investisseurs étrangers.

Mme Emmanuelle Anthoine. Si vous fixez l’objectif clair de 1 % du PIB consacré au financement public de la recherche, soit un effort de 0,22 point supplémentaire de PIB, pour autant, vous attendez de la sphère privée que les dépenses consacrées à la recherche passent de 1,44 % du PIB à 2 %. Pour atteindre cet objectif de 2 %, vous tablez sur l’effet du cadre favorable créé par la loi de programmation pluriannuelle de recherche. Concrètement, pouvez‑vous nous donner des précisions sur les moyens qui permettront à la sphère privée de réaliser deux fois et demi plus d’efforts que la sphère publique pour augmenter ses dépenses consacrées à la recherche ?

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Ma question concerne le thème de l’attractivité. Un enseignant-chercheur semble avoir désormais trois métiers simultanés. Il n’est pas surprenant qu’il ait la double tâche de faire progresser la recherche dans sa discipline et de transmettre les connaissances acquises à ses étudiants. En revanche, comme signalé dans le rapport, le rôle d’agent administratif et de gestionnaire de secteur semble émerger comme une troisième occupation, de plus en plus chronophage. La reconnaissance de l’investissement de l’enseignant-chercheur dans la transformation pédagogique et les tâches administratives ne serait-elle pas un élément de l’évolution de l’enseignement supérieur en France ? Pouvez‑vous approfondir la définition de l’enseignant-chercheur utilisée par le Gouvernement pour caractériser cette profession ?

M. Yannick Kerlogot. J’aimerais savoir si vous partagez un constat selon lequel aujourd’hui seule la recherche publique et la recherche industrielle, réalisée essentiellement par les grandes entreprises, bénéficient des politiques publiques de recherche et d’innovation. Nous pouvons comprendre la volonté d’optimisation au regard de la compétition scientifique internationale. Certains pensent qu’elle se traduit aujourd’hui par une concentration des moyens humains et des investissements au plan territorial. Pensez-vous qu’il est temps d’élargir d’une manière graduelle le système français de recherche et d’innovation avec et par la société ?

Vous avez déjà donné quelques éléments de réponses, puisque le premier groupe de travail plaide pour une implication des citoyens à travers des projets de recherche participative. Le troisième groupe propose de développer la recherche expérimentale pour associer les citoyens et les territoires. Au fond, cela correspond au tiers secteur de la recherche, qui regroupe des acteurs en attente de reconnaissance. Je pense notamment aux acteurs du secteur non marchand, tels que les associations, les syndicats, les collectivités, ainsi que les acteurs du secteur marchand à but non lucratif. Nous pouvons penser notamment à l’économie sociale et solidaire (ESS), aux mouvements professionnels et peut-être à des auto‑entrepreneurs et des groupements agricoles. Aujourd’hui, dans vos propositions, seriez‑vous prêt à dédier des moyens au tiers secteur recherche ?

Mme Sylvie Tolmont. Je souhaiterais intervenir sur la question du risque psychosocial chez les chercheurs. En juillet dernier, le CNRS alertait sur une forte augmentation du mal-être des personnels de recherche et de la souffrance au travail. Il recommandait de développer des dispositifs efficaces de prévention, d’alerte et de gestion des risques psychosociaux, des situations de souffrance au travail et des situations de harcèlement moral ou professionnel.

Le nombre d’accidents du travail est passé de 4 711 en 2017 à 5 186 en 2018. Au CNRS, le bilan social de 2016 recensait 955 permanents et 87 contractuels en surveillance particulière pour des risques psychosociaux sur plus de 31 000 personnes. Vos propositions, en particulier celles formulées par M. Berta, si elles sont suivies, seront-elles de nature à mettre fin au difficultés causées par le manque de moyens, de personnel, aux faibles rémunérations, et qui parfois se transforme en insatisfaction, en désenchantement, voire en dépression ?

M. Pierre-Alain Raphan. Nous voyons que la recherche, les sciences et l’innovation d’aujourd’hui sont les emplois de demain et les garde-fous aussi d’une certaine souveraineté. Les pays qui ont fait une priorité de l’investissement dans la recherche ont atteint le plein‑emploi, notamment l’Allemagne et la Corée du Sud. Cédric Villani parlait d’un investissement à hauteur de 2,9 % du PIB. Quelle serait la trajectoire idéale pour pouvoir atteindre à terme ce taux et le plein-emploi ? Comment la France peut-elle tirer profit de l’augmentation prévue du budget de la recherche européen pour atteindre cette trajectoire ?

M. Francis Chouat a parlé pour conclure d’un big-bang de la recherche. Nous devons aussi parler d’un plan Marshall du management du secteur pour éviter les coûts cachés, que l’on pourrait d’ailleurs réinvestir dans le budget de recherche, afin de mettre enfin en œuvre la prospective au cœur de notre politique.

M. Olivier Falorni. Dans votre très bon rapport, vous rappelez le fait que la France investit significativement moins en recherche et développement que ses rivaux économiques, que ce soit l’Allemagne, la Corée, le Japon ou les États-Unis. Vous expliquez les écarts d’investissement par une part moindre de l’industrie en France que dans les pays leaders et par une orientation de cette dernière sur des secteurs moins intenses en technologie. Afin d’y remédier, vous proposez de redresser la part publique de financement de la recherche pour atteindre un niveau de l’ordre de 1 % du PIB. Avez-vous évalué l’effet de levier d’une hausse du budget public de la recherche sur l’investissement privé, et plus particulièrement sur le secteur de l’industrie ?

Par ailleurs, vous appelez à une clarification des périmètres des différents acteurs responsables du suivi des projets, pouvant déboucher sur la fusion de certaines agences de financement de la recherche. Quelles agences de financement pourraient être regroupées ? En l’absence de fusion, comment articuler l’action des agences de financement entre elles ?

M. Cédric Villani, rapporteur. Parmi les secteurs sous-dotés, figurent notamment l’algorithmique, la robotique et les sujets de cybersécurité, pour lesquels la recherche joue un rôle fondamental et dans un monde où les dépenses en la matière vont exploser.

L’on constate un sous-investissement à ce sujet au niveau national, mais aussi européen, de même que dans le calcul. Ce ne sont pas les seuls secteurs concernés, je laisserai Philippe Berta s’exprimer sur les sujets liés à la biologie.

Les modalités d’incitation des investissements privés constituent un sujet central, sur lequel les prédictions sont incertaines et les scénarios économiques variables. Il est certain que l’effet de levier devra s’appuyer sur des coopérations accrues et sur les interactions entre sphères publique et privée. J’évoquais tout à l’heure le modèle canadien, dans lequel les équivalents du CNRS jouent un rôle actif pour signaler aux entreprises les innovations et directions de recherche qui peuvent les intéresser. Il s’agit aussi d’une question de culture et d’engagement de nos entreprises.

Philippe Berta nous parlait du statut de la thèse. Un patron d’une très grande entreprise française me disait qu’il était convaincu de l’inutilité de la thèse : ce discours ne pourrait pas être tenu de l’autre côté du Rhin. Ces questions culturelles relèvent d’évolutions qui ne sont  pas chiffrables ou mécaniques. Certaines entreprises sont très conscientes de l’importance de la recherche. Dans le troisième groupe figurait par exemple Mme Isabel Marey-Semper, qui travaille à développer de façon très forte la recherche en entreprise.

Sur la recherche participative des citoyens, l’on constate des mouvements importants, au croisement des interactions entre les patients et la recherche médicale ou encore entre les usagers et les développeurs, qui permettent de développer des actions de recherche participatives sur des questions aussi variées que l’archéologie, l’astronomie ou encore la chimie. Le groupe de travail a identifié des différences de positions entre les acteurs de la recherche sur ce sujet, le monde de la recherche ayant très clairement du mal à admettre que certains enjeux relèveront demain de la sphère associative et citoyenne, et non plus du monde universitaire. Je suis persuadé que le monde de la recherche va avancer sur ce point.

À titre personnel, au sein de mon groupe de travail, j’étais certainement le plus motivé pour pousser ces questions.

M. Philippe Berta, rapporteur. Nous avons vraiment un problème culturel sur la thèse en France, et plus largement sur notre relation avec la science et la technique. Dans n’importe quel pays, la notion de docteur renvoie au doctorat, par exemple un doctor of philosophy (PHD) ; en France, on ne vous appelle docteur que si vous êtes doctor of medicine (MD). Ce n’est peut-être pas si anecdotique pour la valorisation de la thèse dans notre pays.

La définition du métier d’enseignant-chercheur ou de chercheur constitue aujourd’hui une vraie difficulté. Je ne suis pas sûr que nous soyons tous faits pour devenir des chercheurs d’excellence de 25 ans à 70 ans. Il s’agit d’un métier à part, imposant une forte implication personnelle. Dans mon domaine, j’explique souvent à mes étudiants qu’ils ne peuvent exclure de travailler le week-end, puisque la culture de cellules s’effectue tous les jours, ce qui implique de passer au laboratoire le samedi et le dimanche, quoiqu’il arrive.

Le métier d’enseignant-chercheur comporte une partie de pédagogie et d’enseignement, une partie de recherche, une partie de valorisation, sur laquelle un grand nombre de scientifiques sont désormais engagés, et une partie de management et d’administration. Ce nest pas forcément le plus agréable de diriger un laboratoire, voire dentrer dans un conseil duniversité. Il faut aussi citer le transfert vers le grand public, afin de diffuser la culture scientifique auprès du plus grand nombre, à travers différentes structures ou différents débats ; cette partie du travail est souvent méprisée. Aujourdhui, il faut pouvoir prendre en compte tous ces aspects du métier et ce nest pas encore suffisamment le cas. Finalement, lévolution des carrières se fait essentiellement à travers le nombre et la qualité des publications. Cest bien sûr un point important mais cela explique aussi pourquoi beaucoup d’enseignants-chercheurs s’efforcent de minimiser, pendant leur carrière, le temps dinterface avec létudiant, parce qu’à leurs yeux cest du temps perdu pour leur propre carrière. Nous devons vraiment reconsidérer les critères utilisés pour évaluer une carrière.

Sur les risques psychosociaux, l’ambiance dans les laboratoires est en effet catastrophique. Je ressens une forme de désespérance, qui justifie pleinement notre travail d’aujourd’hui. Nous avons créé des inégalités qui peuvent avoir leurs justifications, fondées sur l’excellence, avec des laboratoires extrêmement bien notés. Ils bénéficient de financements européens et de contrats ANR et reçoivent parfois plus de moyens qu’ils ne peuvent en dépenser. Ces laboratoires peuvent se trouver juste à côté d’autres équipes, peut‑être plus modestes, qui effectivement ne publient pas dans Netsearch, Science ou Cell, mais qui font un travail de qualité et avancent peut-être sur une thématique cruciale pour progresser demain dans tel ou tel domaine. Il faut trouver une péréquation plus judicieuse de moyens pour mieux accompagner les chercheurs.

M. Francis Chouat, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord avec M. Kerlogot sur le rôle de la société et du tiers secteur dans l’effort de recherche. Lors de l’examen du budget 2020 de la recherche, notre collègue a déposé un amendement dans ce sens, qu’il a retiré, mais ce sujet devra être débattu dans le cadre de la préparation de la loi de programmation. Il recouvre des sujets techniques, de ressources humaines, d’excellence, et constitue un véritable enjeu social et sociétal.

S’agissant des secteurs à privilégier, je rappellerai que nous proposons de définir entre quatre et huit grands axes en défis sociétaux, pour lesquels la France possède des atouts et peut donc construire une position de leader. Cela permet peut-être de mieux répondre à cette préoccupation. Nous avons pris l’exemple de l’agriculture. Par nos traditions, nos atouts et notre histoire, le défi d’une alimentation saine et durable est essentiel pour nous, pour l’Europe et pour la planète. L’une de nos propositions est de considérer ce défi de l’alimentation saine et durable comme un enjeu pour l’ensemble des acteurs de la recherche publique, des acteurs économiques et des acteurs territoriaux. Nous organisons les grands jalons permettant de construire – comme dans d’autres pays d’Europe – les positions de leadership et de les définir sur quelques grands secteurs pour lesquels la communauté scientifique, les entreprises et les acteurs publics locaux ou nationaux peuvent considérer que la France peut effectivement avancer.

C’est plutôt par cette démarche transversale, de préférence à des logiques totalement verticales et en silo, que nous pouvons définir les secteurs à privilégier et ainsi répartir les efforts publics et privés en matière de recherche et d’innovation. C’est aussi ce qui nous a amenés à proposer de rattacher au Premier ministre, non pas un comité supplémentaire concurrençant les organismes existants, mais une véritable agence des grands défis de recherche et sociétaux, en mesure d’organiser cet effort national de recherche.

Mme Typhanie Degois. Je souhaiterais vous interroger sur le volet de l’innovation. Le programme d’investissements d’avenir issu du rapport Juppé-Rocard a pour objectif d’accompagner la recherche, de la recherche fondamentale à la mise sur le marché d’un produit. Les instituts pour la transition énergétique (ITE), ou encore les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) ont été créés pour valoriser la recherche. Vos travaux ont-ils étudié ces outils ? Vous semblent-ils pertinents ?

En matière de recherche sur la santé, la France semble accuser un retard sur les alternatives à l’expérimentation animale. Nombre de nouvelles techniques sont apparues : la création d’organoïdes, l’utilisation de bioluminescence ou encore l’opportunité des données de masse avec l’IA, qui vont améliorer la prédictivité et donc assurer la compétitivité de nos entreprises dans le secteur de la santé. La France doit saisir cette opportunité Est-ce que vos travaux ont mis en lumière ce secteur comme un secteur stratégique ?

Mme Valérie Bazin-Malgras. Ma question porte sur le mécénat. Vous proposez de conforter, voire de renforcer, le mécénat en faveur des fondations intervenant dans la recherche. Nous sommes évidemment d’accord avec cette proposition, mais n’est-elle pas en contradiction avec la volonté du Gouvernement de revenir sur la « niche mécénat » ? Êtes‑vous opposés à l’article 50 du PLF pour 2020, qui prévoit de réduire cet avantage fiscal à 40 %, au-delà d’un plafond de dons annuels ?

Mme Céline Calvez. Merci d’avoir souligné le manque cruel de femmes dans la science ou du moins leur place encore insuffisante alors même que la science, par les défis qu’elle contribue à relever, aurait besoin des compétences de tous.

Si le budget de la recherche a augmenté ces deux dernières années de 8 %, votre rapport permet d’apprécier le chemin qui reste à parcourir pour assurer la souveraineté de notre pays en matière de recherche, d’innovation et d’économie. Dans ce contexte, comment avez-vous pris en considération la dimension européenne dans vos travaux ? Comment la France sera-t-elle championne de la recherche avec l’Europe ? Comment fera-t-elle pour que l’Europe soit championne ? Dans le prolongement de ces interrogations et pour entrevoir nos travaux à venir, comment envisager les échanges avec les instances européennes et nos partenaires européens pour préparer la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ?

Mme Cécile Rilhac. Nous formulons aujourd’hui le constat d’une moindre participation des sciences humaines et sociales dans les projets européens et dans la recherche partenariale. Or les approches scientifiques interdisciplinaires sont indispensables pour aborder les mutations de la société. Je prendrai pour exemple un sujet longuement débattu durant l’examen du projet de loi de bioéthique, à savoir les opérations précoces pratiquées sur les enfants présentant des variations du développement sexuel. Sur un sujet très médical, la sociologie, l’histoire et l’ethnologie peuvent avoir un apport décisif pour interroger les pratiques médicales à l’aune d’un cadre éthique, mais aussi dans une perspective historique permettant de restituer le poids des représentations sociales liées, dans cet exemple, à la binarité des sexes dans l’approche de l’épanouissement de l’enfant.

Le gouvernement s’est déjà engagé sur cette voie, avec la mise en place d’un plan de 25 millions d’euros par an destinés à redonner des marges de manœuvre aux laboratoires, dont 20 % ont été consacrés aux sciences humaines et sociales. Nous souhaiterions connaître vos préconisations pour valoriser la place et le rayonnement des sciences sociales et humaines dans le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

M. Philippe Bolo. Je voudrais vous interroger sur le financement des recherches appliquées, qui facilitent et contribuent à la transposition de recherches plus fondamentales. Vous n’ignorez pas les nombreuses plus-values de ces recherches appliquées. Elles permettent des retombées économiques, répondent aux enjeux du quotidien des Français, mobilisent les sciences humaines et sociales et contribuent donc à une proximité plus grande des sciences et de la société. Cette proximité est de nature à recréer le lien de confiance entre science et opinion publique, un lien de confiance aujourd’hui largement entamé et où la science peine à contrer les fake news.

Quels programmes pourraient regrouper et porter ces recherches appliquées ? Comment améliorer la reconnaissance des chercheurs impliqués dans ce type de recherches, alors que les publications associées ne sont pas des publications de rang A et ne contribuent pas, ou difficilement, à leur visibilité scientifique ?

Mme Béatrice Piron. Je vous parlerai d’un cas concret de ma circonscription, à savoir l’INRIA, dont le siège est à Rocquencourt. Ce siège devait être transféré à Saclay, mais ce déménagement est aujourd’hui remis en cause. L’INRIA souhaite conserver son siège à Rocquencourt, ainsi que les activités de recherche sur les véhicules autonomes. Il me semble que cela est primordial lorsqu’il s’agit d’un véritable facteur d’attractivité sur le territoire. Je m’interroge donc sur le rôle de médiation de nos centres de recherches et sur les façons de les rendre plus accessibles au grand public.

L’INRIA a entrepris cette démarche de sensibilisation à la recherche, en organisant des rencontres entre chercheurs et élèves du secondaire. Des salariés volontaires ont même ouvert à Rocquencourt un musée sur l’histoire de l’informatique, que je serais très heureuse de vous faire visiter. L’INRIA s’est fixé l’objectif de tripler l’encadrement féminin pour aller vers la parité et de créer cette année l’INRIA startup Studio, dont l’objectif est d’accompagner les chercheurs vers la création de startups. Comment organiser la montée en puissance de ces activités de médiation et garantir leur pérennité ? Comment valoriser le patrimoine de ces centres de recherche au niveau local, pour permettre à la société civile de se les réapproprier ?

Mme Fabienne Colboc. L’un des objectifs forts de la prochaine loi de programmation pluriannuelle de la recherche est de renforcer l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques. Cela suppose de mieux prendre en compte la diversité des missions qui peuvent être exercées par un enseignant-chercheur et d’adapter sa rémunération en conséquence. Avec Michèle Victory, nous avons mené une mission flash sur le cas particulier des écoles d’art territoriales. Au sein de ces écoles, les professeurs territoriaux d’enseignement artistique effectuent, pour la plupart, des travaux de recherche, en plus de leurs missions d’enseignement. Pourtant, leur statut ne leur permet pas de bénéficier d’un congé de recherche ni de prime de recherche. Ils ne disposent pas non plus de financements pour les déplacements qu’ils effectuent. Dans le cadre de vos travaux, quelles solutions avez-vous pu identifier afin d’améliorer les conditions de travail des enseignants-chercheurs, notamment pour ceux qui dépendent d’un statut particulièrement inadapté à la recherche, comme c’est les cas pour ces écoles d’art territoriales ?

Mme Danièle Cazarian. Je souhaiterais revenir sur la question de l’attractivité des métiers de la recherche. Dans vos rapports, vous vous alarmez de la dégradation du secteur public de la recherche en France, depuis plus de 15 ans. Les rémunérations sont trop faibles, les conditions de travail se dégradent et les statuts sont de plus en plus précaires. L’attractivité de ces métiers commence dès la thèse. Le financement des thèses est trop court, chacun sait qu’il faut souvent plus de trois ans pour la réaliser et les montants sont dérisoires. Ainsi, les futurs chercheurs sont déjà découragés avant même d’entrer dans la carrière. Monsieur Berta, vous avez évoqué précédemment une méconnaissance de la plus-value des étudiants qui passent une thèse, comment selon vous peut-on sécuriser le parcours des doctorants et donner plus de visibilité à leur travail au sein de la sphère privée ?

M. Francis Chouat, rapporteur. Avec beaucoup de modestie, nous n’avons pas pu nous pencher sur certaines questions, par manque de temps, et je n’ai parfois aucune réponse, sauf de considérer que ces questions  sont effectivement importantes. Je pense notamment à la recherche dans le domaine culturel et artistique, voire à la place des sciences humaines.

Sur les questions sur lesquelles nous avons davantage travaillé, notamment les transferts entre public et privé et les liens entre recherche publique et innovation, nous avons dressé un constat plutôt sévère du fonctionnement des SATT, qui ont aujourd’hui 10 ans, depuis la mise en place des programmes d’investissement d’avenir, sans conclure pour autant qu’il fallait procéder à un changement radical. L’idée directrice est de permettre qu’au niveau territorial, les relations au sein de la recherche publique, entre recherche publique et recherche privée voire au sein de la recherche, s’organisent au cœur des universités d’excellence qui se construisent. L’objectif est de centrer les financements des SATT sur le portage des projets de recherche et d’innovation, et de moins les orienter sur les questions de fonctionnement et de ressources humaines.

Je ne suis pas sûr que ce soit le lieu pour en parler de l’article 50 du projet de loi de finances. En tant que membre de la commission des finances, je précise que la baisse de l’avantage fiscal de 60 à 40 % ne touche que les dons au-dessus de deux millions d’euros ; seules 78 entreprises sont concernées, et la réforme ne s’applique pas aux dispositifs dits « Coluche ». Cela étant dit, je comprends bien les inquiétudes que cela soulève quant aux conséquences sur le financement de projets portés par des universités, de grandes associations ou de grandes fondations scientifiques. Il faut évidemment leur répondre. La baisse du taux de 60 à 40 % est également compensée par la diminution assez significative de l’impôt sur les sociétés. Je ne crois pas que le mécénat relève de l’optimisation fiscale mais nous aurons dans les jours qui viennent l’occasion de poursuivre ce débat.

M. Philippe Berta, rapporteur. Sur la thèse, je pense que le constat est partagé. Il faut mieux la financer et permettre qu’elle soit plus longue, si cela s’avère si nécessaire.

Des outils de professionnalisation doivent en outre être mis en place au cœur de la thèse. Cela commence à se faire dans les écoles doctorales, mais de façon insuffisante. Nous ne pouvons pas admettre qu’un étudiant, par exemple en biologie, à la fin de sa thèse, ne sache pas ce que sont une innovation ouverte, un brevet, puisque l’on parlait de recherches appliquées, et ne connaisse pas les notions de propriété, de confidentialité… et bien d’autres termes. Il est vrai que le monde académique n’est pas très bien positionné pour donner une bonne formation sur ces sujets. C’est pourquoi je propose de prévoir une mini mission pendant la thèse, pour aller se confronter à un autre monde, qui sera, dans la majorité des cas, le monde dans lequel le thésard devra exercer ses talents.

S’agissant du PIA, on ne parle que des SATT, mais il y a aussi les laboratoires d’excellente (Labex), ou encore le fonds unique interministériel (FUI). Tous ces outils ont joué un rôle important et doivent probablement être évalués pour identifier leur plus-value. On peut citer aussi la mise en place des pôles de compétitivité, parmi d’autres éléments.

La recherche dans le domaine de la santé pose un réel problème en France, qui lui est assez spécifique, du fait de la diversité des structures intervenantes avec les universités, les centres hospitaliers universitaires (CHU), le CNRS, l’INSERM, l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Nous devons certainement résoudre un problème de multiplicité des intervenants.

M. Cédric Villani, rapporteur. Se lancer dans une entreprise de simplification risque de nous conduire à une complexité encore supérieure, comme cela s’est vu dans d’autres domaines de la vie publique ces dernières années. Nous devons tâcher d’améliorer les modes de fonctionnement et la fluidité des acteurs et décider, chaque fois que cela est possible, de donner le leadership à une tutelle.

Le gouvernement a mandaté l’INRIA pour piloter la mise en œuvre des préconisations du rapport sur l’intelligence artificielle en matière de recherche et cela bien fonctionné. L’INRIA a joué le rôle d’opérateur actif, là où l’INRA, le CNRS et d’autres acteurs auraient pu chacun prétendre à prendre part au pilotage.

Les sciences humaines et sociales doivent être valorisées dans la programmation, en particulier en trouvant un équilibre entre le financement des recherches en sciences humaines et sociales en elles-mêmes, et leur financement en tant qu’activité transverse venant en complément et en interaction avec des sciences dites « dures ». C’est potentiellement vrai pour l’intelligence artificielle : le bon dosage des projets de recherche en IA repose sur une moitié de sciences humaines et sociales et une moitié de sciences exactes, que ce soit l’algorithmique, les mathématiques, la physique, la robotique ou d’autres domaines.

Le sujet du déménagement de l’INRIA à Saclay, qui me touche aussi en tant que député de l’Essonne, constitue un exemples de cas où la mise en œuvre d’un grand projet de recherche et d’interactions, faite de façon descendante par l’État, s’est heurtée à des complications extraordinaires, et dans lequel nous avons sous-estimé  les facteurs extérieurs à la recherche, tels que le développement économique local, les infrastructures de transport, les interactions avec le complexe millefeuille administratif, et les enjeux de politique locale. Cela nous renvoie à la nécessité d’avoir un ministère fort, avec des pouvoirs aussi étendus que possible, pour piloter une telle opération. Cela n’était pas le cas. L’action publique était tellement dispersée que les retards ont été considérables.

Les outils et structures d’aide à la valorisation de la recherche ‑ qu’il s’agit de SATT, ITE ou autres ‑ marchent au mieux mal, au pire très mal. Les SATT fonctionnent mieux que d’autres, mais n’atteignent pas le niveau espéré il y a dix ans, lors de la mise en place de cet écosystème. La vérité est qu’il s’agit d’une question culturelle, et qu’on ne peut répondre à un problème culturel par la création de structures ; cela ne fonctionne pas.

Ces structures venant jouer un rôle d’intermédiaire entre le monde de la valorisation et le monde de la recherche jouent aussi un rôle d’isolation. Elles ont parfois leurs intérêts propres, qui s’opposent aux intérêts de la structure qu’elles doivent défendre. Plutôt que de créer des structures, nous devons introduire dans les laboratoires de recherche et les universités des personnes ayant double culture du monde de l’université et du monde de l’innovation et de la valorisation. Ces personnes, par leur culture, peuvent faire office de ponts.

Mme Danièle Hérin. Je pense vraiment que vos propositions vont dans le bon sens. Les financements constituent le sujet central, cela fait consensus, et nous devons avoir plus d’informations sur le rôle d’entraînement des financements de l’État sur les financements privés. L’impact des initiatives d’excellence (IDEX), qui ont bénéficié de financements complémentaires de l’État sur l’attractivité auprès des fonds privés, a-t-il été évalué ?

Concernant les pays consacrant environ 3 % de leur PIB à la recherche tels que l’Allemagne ou la Corée du Sud, avons-nous des informations sur l’origine des financements orientés par l’État vers la recherche ? Quelles sont les sources de financement qui ont contribué à cette augmentation ; parviennent-elles des régions, des entreprises privées, de l’Europe ? Nous savons que l’augmentation des dépenses de recherche permettant d’atteindre le seuil de 3% a eu lieu ces dernières années.

Il est par ailleurs fondamental de sensibiliser les citoyens et les élèves à la recherche participative, et surtout d’augmenter au-delà de 20 %, la part des docteurs dans le recrutement des hauts fonctionnaires.

M. Dominique Potier. Je suis d’accord avec M. Lescure : l’architecture de notre recherche est pour le moins baroque, et cela est autant dû à des prés carrés qu’à un problème d’efficience. Il y a matière à réforme, en tout cas.

Le leadership français peut s’exprimer dans des domaines très traditionnels, tels que l’agronomie. Le programme « zéro pesticide 2050 », initié par l’INRA, fait aujourd’hui école dans 20 instituts et soulève un véritable enthousiasme au niveau européen.

Sur la question du financement, le crédit d’impôt recherche est demeuré tabou dans vos travaux. Pour autant, il constituerait un levier de réforme et de financement extrêmement important.

Sur la question de l’éthique dans la recherche au-delà l’attractivité financière, n’y a-t-il pas matière à développer un « made in France » fondé sur des valeurs éthiques et la recherche de l’intérêt général pour la génération qui vient ?

M. Alexandre Freschi. S’agissant de la recherche agricole, deux instituts de recherche reconnus et performants, l’INRA et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) vont fusionner au 1er janvier 2020 pour donner naissance à l’Institut de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Il s’agit d’une bonne nouvelle, d’autant plus que cette évolution s’inscrit dans un contexte où il importe de trouver des solutions à des enjeux cruciaux. Un an après le lancement de la mission de suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, de nombreux retours font état de difficultés. Il est vraiment nécessaire de consacrer des efforts à ces domaines de recherche.

Plus largement, au-delà de la hausse de 5 % du budget dédié à la recherche agricole au sein du programme 142, à travers votre expertise politique et votre expérience d’universitaire, comment voyez-vous le développement de la recherche agricole dans la future loi de programmation pluriannuelle ?

M. Stéphane Claireaux. Les pays qui investissent de façon conséquente dans la recherche tendent à s’approcher du plein-emploi, avec très souvent un très haut niveau d’innovation. Je voulais savoir si vous aviez pu constater des démarches entreprises de la part du monde universitaire afin d’inciter le plus grand nombre de lycéens, notamment de lycéennes, à choisir la voie de la recherche pour la poursuite de leurs études supérieures. Si ce n’était pas le cas, comment pourrait-on développer de telles initiatives ?

Je voudrais aussi savoir ce qui vous a le plus frappé dans les comparaisons avec la Belgique et la Suisse, deux voisins francophones et européens, concernant leurs approches respectives du financement et développement de la recherche.

Mme Barbara Bessot Ballot. Céline Calvez soulignait que nous avons besoin de tous pour être champions d’Europe de la recherche. Tout à l’heure, vous vous êtes excusés qu’il n’y ait pas une parité hommes/femmes. Comment faire pour y parvenir dans la perspective du projet de loi sur l’émancipation économique des femmes porté par Marlène Schiappa ? Quelles mesures pourrions-nous préconiser pour favoriser l’arrivée des femmes dans la recherche ou éviter qu’elles ne la quittent au moment où elles ont des enfants ?

M. Richard Lioger. J’ai été rapporteur pour avis trois années consécutives sur le budget des organismes de recherche et j’ai pu voir que cette loi de programmation est très attendue par le milieu universitaire et de la recherche. Nous connaissons le morcellement de la recherche entre les universités et les organismes de recherche, qui nous fait perdre de la visibilité au niveau international, bien que des progrès aient eu lieu depuis 20 ou 30 ans en faveur d’un rapprochement. Mon intervention porte sur un des aspects de la loi Pécresse, relatif à « la dévolution du patrimoine », qui constitue encore un grand problème pour les universités, et sur la possibilité de rénover des bâtiments. Il s’agit d’un point essentiel pour l’avenir des universités françaises et de la recherche en général, sur lequel je voudrais avoir votre sentiment. Je crois qu’il y a des solutions économiques qui sont tout à fait innovantes en la matière.

M. Philippe Berta, rapporteur. En matière d’éthique, et comme je l’ai déjà dit pendant l’examen de la loi de bioéthique, il ne faut surtout pas considérer les scientifiques comme des apprentis sorciers. J’associerai la notion d’« éthique » à celle d’intégrité, qui pourrait être introduite plus tôt dans les études. Nous rencontrons aussi actuellement des difficultés d’intégrité scientifique, qui sont liées au mal-être psychosocial dont nous avons parlé tout à l’heure : le « publish or perish » conduit certains à aller un peu trop loin parfois.

Le recrutement de docteurs sur des postes de hauts fonctionnaires a fait l’objet d’une expérimentation et l’objectif est maintenant d’amplifier ce mouvement. À ma connaissance, il s’agit plutôt d’une réussite, donc pourquoi s’en passer ?

La France a un vrai problème de fond en matière de culture scientifique et technologique pour le plus grand nombre. Si nous disposons de très belles structures comme le Muséum d’histoire naturelle ou la Villette, sur le terrain, nous navons pas grand-chose et ce problème perdure depuis plus de 25 ans. La culture scientifique dépend du ministère de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation, mais sur le territoire, elle relève essentiellement des municipalités, dont les crédits s’orientent plutôt vers la culture. Les communes ne financent pas en priorité la culture scientifique. Les communes vont préférer, comme dans la mienne, par exemple, financer la tauromachie. Dès lors, ma proposition de projets sur l’école de lADN
jai même un jour proposé dauthentifier lorigine des taureaux, ne rencontre pas d’écho. Beaucoup de choses sont faites et pourraient être mises en résonnance, mais se pose un vrai problème de financement. Il sagit dune vraie difficulté, de même que les modalités d’accès au milieu scolaire pour aller expliquer nos métiers dès le plus jeune âge. Cela se fait malheureusement trop peu. Aujourdhui, notre attractivité s’amenuise pour ces raisons.

Mme Fannette Charvier. Le rapport sur le financement de la recherche consacre une de ses parties au Hcéres. Plusieurs évolutions sont envisagées, notamment sur la finalité de l’évaluation des unités de recherche qui, je cite, « doit permettre une répartition des crédits sur la base de la performance, par les organismes et les universités ». Cette évolution n’est pas sans risque et avant le Hcéres, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AÉRES) avait été sévèrement critiquée, notamment sur le sujet de la notation, pour différentes raisons. La notation avait été abandonnée. Comment pensez‑vous éviter les écueils rencontrés par l’AÉRES en matière de notation ?

Aujourd’hui, c’est l’Observatoire des sciences et des techniques (OST) rattaché au Hcéres, qui produit les indicateurs d’évaluation utilisés par les établissements et par le ministère. L’OST adapte ses méthodes en s’appuyant sur les meilleures pratiques internationales. Or le rapport indique que le groupe de travail a estimé qu’il revenait aux tutelles des laboratoires de définir elles-mêmes les critères d’évaluation de leurs unités de recherche. Pouvez-vous m’indiquer comment cette proposition s’articule avec le rôle du Hcéres en la matière ? Comment garantir l’indépendance des évaluations avec des critères qui ne seraient plus définis par une autorité indépendante, mais par la tutelle ?

M. Philippe Berta, rapporteur. Si mes informations sont bonnes, l’Hcéres va prochainement se doter d’un nouveau président. Aujourd’hui, l’Hcéres est un outil envié à l’étranger, mais on peut certainement l’améliorer, par exemple en modulant la taille de ses délégations ou en ciblant ses interventions. Notre groupe de travail a réfléchi à mieux utiliser l’Hcéres pour l’évaluation des recrutements. Ne pourrions-nous pas valider la pertinence des recrutements locaux via l’Hcéres ?

M. Cédric Villani, rapporteur. Les sites IDEX sont des constructions récentes et l’on ne pensait pas, lors de leur lancement en 2008, qu’ils mettraient autant de temps à converger. S’il est trop tôt pour disposer d’évaluations claires, l’on a constaté un vrai pouvoir d’attraction en faveur de la collaboration entre les universités et les acteurs du privé ; néanmoins, il est trop tôt pour savoir si ce dispositif est productif et s’il se traduit par des collaborations, des brevets et de la valeur ajoutée. Les LABEX ont un bon bilan et se sont mis en place assez rapidement, tandis que les processus pour les IDEX, dominés par la politique, sont beaucoup plus compliqués.

La France est attendue sur le sujet de l’éthique de la recherche et présente une valeur ajoutée. Des dispositions sur l’intégrité de la recherche et de la bioéthique ont été adoptées, tandis que des réflexions importantes sont conduites sur ce sujet, comme les contributions du sénateur Claude Huriet, par exemple. Le comité consultatif national d’éthique, dirigé par le professeur Delfraissy – qui se dote d’une nouvelle chambre liée à l’intelligence artificielle–, est une instance reconnue et respectée. De façon générale, la France a une carte à jouer en la matière.

Nous ne sommes pas assez actifs s’agissant de la culture scientifique afin dintéresser le public, et notamment les jeunes, aux sciences et à la recherche. Ce nest pas par manque de grandes institutions, mais plutôt une question culturelle. Jai pu voir à quel point la valorisation de la recherche auprès du public n’est pas reconnue dans la carrière des universitaires.

S’agissant de la féminisation de la recherche, bien sûr, nous avons besoin de tous les cerveaux ; le problème est là aussi essentiellement culturel, et l’engagement des jeunes femmes dans les carrières scientifiques peut fortement varier d’un pays à l’autre. Nous constatons aussi que les clichés ont la vie dure et se renforcent plus qu’ils ne reculent. Nous devons intervenir activement pour y remédier, en jouant sur plusieurs tableaux. On parle souvent des role models, en mettant en avant les femmes qui ont fait de grandes carrières scientifiques mais cela ne s’avère en pratique pas très efficace. Les accompagnements de proximité, avec des tutorats par exemple, sont plus probants, de même que la fixation d’objectifs de participation féminine dans les concours de science, d’informatique ou autres, afin de faciliter la participation des jeunes femmes. Ce que nous appelions parfois « discrimination positive » a été écarté par le passé mais revient aujourd’hui et peut être envisagé comme une solution pragmatique.

M. Philippe Berta, rapporteur. La biologie échappe toutefois à ce constat sur le faible ratio de femmes. Aujourdhui, les trois plus grands noms français dans notre domaine sont Edith Heard, Emmanuelle Charpentier et Christine Petit. Cela nest pas vrai dans tous les secteurs.

M. Cédric Villani, rapporteur. Les domaines des mathématiques, de l’informatique, de l’astronomie, de la mécanique, de l’ingénierie restent très masculins ; la biologie est effectivement épargnée. Ada Yonath, qui a reçu le Prix Nobel de chimie, fait partie de cette tradition de femmes scientifiques extraordinairement dynamiques et engagées. Elle correspond aussi à ces profils qui se trouvent isolés sur une voie parallèle, dans un bureau minuscule, que personne n’écoute et qui finissent un jour par décrocher le Prix Nobel. Ce genre de profil existe en sciences, ce qui montre bien que le besoin de trouver un bon équilibre entre financements sur projets et financements dans des domaines où il n’y a pas d’enjeux identifiés.

Les pays consacrant plus de 3 % de leur PIB à la recherche, ont fait des choix déquilibre budgétaire global. Si nous entrons dans ces comparaisons internationales, nous pouvons aussi comparer les différents modèles. En Allemagne, l’on constate une culture de discipline : lÉtat et les Länder s’accordent pour abonder les mêmes domaines ; parallèlement, si lÉtat fédéral décide dabonder un secteur, le privé s’efforce d’abonder aussi ce même secteur pour parvenir à des synergies. Une blague circule dans le milieu scientifique, illustrant la différence de mentalités de part et dautre du Rhin : en Allemagne, on se dit : « LÉtat finance, voyons comment nous allons aider à porter les mêmes financements », tandis qu’en France, on se dit : « LÉtat finance, voyons comment nous allons réussir à optimiser ces fonds pour dépenser moins de notre côté ». Cette plaisanterie a un fond de vérité.

M. Francis Chouat, rapporteur. La question de la culture scientifique doit s’appuyer en amont sur l’apprentissage des démarches scientifiques et de recherche, en mobilisant dans le cadre de l’Éducation nationale toutes celles et tous ceux qui peuvent y concourir. Ce problème existe depuis des décennies maintenant. À la différence d’autres pays, nous n’avons pas le même rapport apaisé et naturel entre la démarche scientifique et de la connaissance et les enjeux de recherche et d’innovation.

Il est extrêmement compliqué de procéder à des comparaisons internationales s’agissant des budgets consacrés à la recherche, puisque nous faisons face à des stratégies assez différentes. Des pays comme la Chine ou le Japon sont culturellement marqués par des plans quinquennaux. D’autres, comme l’Allemagne, s’appuient sur un modèle de filières stratégiques, qui semble plus se rapprocher de ce que nous voudrions proposer. Je rappelle également qu’aux États-Unis, mais cela est vrai aussi d’une certaine manière en France, la recherche militaire, et notamment ce que l’on appelle « la recherche duale », apporte énormément de vitalité à la recherche.

Le crédit d’impôt pour la recherchée ne constitue pas un angle mort. À la commission des Finances, je suis de ceux qui plaident pour que ce sujet ne soit pas examiné simplement sous l’angle de l’indispensable chasse aux niches fiscales, qui n’auraient plus de raison d’être, mais sous l’angle de impact pour la recherche, afin d’améliorer l’articulation entre recherche publique et privée. De toute manière, quel que soit le nombre de milliards qu’il faudra mobiliser dans les années à venir, l’enjeu n’est pas de savoir si ces sommes doivent venir du privé ou de public, mais comment elles s’articulent dans le cadre d’une stratégie globale.

M. Cédric Villani, rapporteur. Dans un contexte de restrictions budgétaires pour le monde universitaire et de la recherche en général, le crédit d’impôt pour la recherche paraît difficile à comprendre. Si les moyens alloués à la recherche universitaire, en particulier, augmentent, le crédit d’impôt pour la recherche ne sera plus considéré comme un sujet. Le président du CNRS a coutume de dire qu’il faudrait changer le nom du crédit d’impôt pour la recherche parce quil joue davantage un rôle en matière de compétitivité économique de la recherche et de développement (R&D) au sens industriel, qu’un rôle soutien à la de recherche et aux des chercheurs.

Dans un contexte de vaches maigres, on cherche à identifier les ressources des voisins, et la question majeure reste le financement. Toutes les réformes structurelles évoquées dans le rapport seront acceptées si les financements sont à la hauteur, mais elles ne passeront pas dans la communauté universitaire si les financements n’y sont pas. Cette loi de programmation de la recherche est très attendue, dans un contexte où la puissance publique n’a toujours pas réussi à convaincre les chercheurs qu’elle était à leur écoute.

Il y a quelques années, je prenais la plume, avec Serge Haroche et plusieurs autres scientifiques, pour dénoncer une brusque coupe budgétaire de plusieurs centaines de millions d’euros et cela avait tout de suite fait la Une d’un grand quotidien national. Cela montre que ce sujet est important pour nos concitoyens, parce que la recherche participe à la façon de construire la société de demain, à la fierté nationale, et elle constitue l’un des secteurs dans lesquels les citoyens ont le plus confiance.

 

 

 

 

La séance est levée à onze heures cinquante.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 6 novembre 2019 à 9 heures 30

Présents.  Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Stéphanie Atger, Mme Géraldine Bannier, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Philippe Berta, M. Bruno Bilde, M. Pascal Bois, M. Ian Boucard, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Bertrand Bouyx, M. Bernard Brochand, Mme Céline Calvez, Mme Danièle Cazarian, Mme Fannette Charvier, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Elsa Faucillon, M. Alexandre Freschi, M. Bruno Fuchs, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Florence Granjus, M. Pierre Henriet, Mme Danièle Hérin, Mme Sandrine Josso, M. Yannick Kerlogot, Mme Anne-Christine Lang, M. Michel Larive, Mme Constance Le Grip, Mme Josette Manin, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, Mme Sandrine Mörch, M. Bertrand Pancher, M. Guillaume Peltier, Mme Bénédicte Pételle, Mme Maud Petit, Mme Béatrice Piron, M. Éric Poulliat, Mme Florence Provendier, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Pierre-Alain Raphan, Mme Cécile Rilhac, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, Mme Agnès Thill, Mme Sylvie Tolmont, Mme Michèle Victory, M. Patrick Vignal, M. Cédric Villani

Excusés. Mme Anne Brugnera, Mme Marie-George Buffet, Mme Sylvie Charrière, M. Laurent Garcia, Mme Brigitte Kuster, Mme Sophie Mette, Mme Cécile Muschotti, M. Frédéric Reiss, Mme Marie-Pierre Rixain

Assistaient également à la réunion. M. Philippe Bolo, M. Francis Chouat, M. Patrick Hetzel, M. Philippe Vigier