Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, sur la diplomatie culturelle et d’influence 2

– Présences en réunion................................23

 


Mercredi
22 janvier 2020

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 20

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mercredi 22 janvier 2020

La séance est ouverte à onze heures trente.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

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La commission des Affaires culturelles et de lÉducation procède à l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, sur la diplomatie culturelle et d’influence.

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux en accueillant M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’avoir trouvé du temps dans votre agenda que je sais chargé, constamment bousculé, afin que les membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation puissent échanger avec vous sur les nombreuses préoccupations qui nous sont communes : enseignement français à l’étranger et accueil des étudiants étrangers en France, action culturelle internationale, coopération éducative et culturelle mais aussi audiovisuel extérieur, francophonie…, autant de politiques réunies habituellement sous les termes de diplomatie culturelle et d’influence.

Cette audition arrive à point nommé puisque le lundi 13 janvier, avec M. le ministre de la Culture Franck Riester, vous avez réuni le quatrième conseil d’orientation stratégique de l’Institut français afin de fixer les grandes orientations de son contrat d’objectifs et de moyens pour 2020-2022. Au printemps dernier, lors d’un déplacement d’une délégation de notre commission en Tunisie – pays dont je sais qu’il vous est très cher – nous avons pu constater, comme vous l’avez vous-même indiqué, combien l’action de cet opérateur est stratégique pour le rayonnement de la culture et de la langue françaises ainsi que pour la promotion de nos valeurs de liberté et de diversité.

Avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger – l’AEFE – Campus France et les services culturels des ambassades, les Instituts français jouent un rôle déterminant partout dans le monde pour faire vivre chaque jour le « désir de France » et animer les actions de coopération qui concrétisent nos liens avec d’autres pays et d’autres cultures.

Ce déplacement en Tunisie nous a également permis de constater in vivo la concurrence et les défis auxquels sont aujourd’hui confrontés notre modèle culturel et la francophonie. Dans un monde globalisé, les réseaux digitaux sont devenus des outils d’influence privilégiés pour diffuser d’autres modèles culturels, moins ouverts à la diversité, et d’autres valeurs que les nôtres. Nos forces sont par ailleurs parfois bien modestes au regard de la puissance des géants de l’internet ou des stratégies de désinformation.

Autant de raison pour vous accueillir ici ce matin, cher Jean-Yves Le Drian, et d’échanger avec vous sur les axes prioritaires de la diplomatie culturelle et d’influence de la France.

 

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je suis ravi d’être avec vous pour honorer une promesse déjà ancienne : éclairer votre commission, autant que faire se peut, sur les moyens et les priorités de notre diplomatie culturelle et éducative.

Mon ministère est en effet un acteur à part entière de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques dans ces deux domaines que sont la diplomatie culturelle et éducative aux côtés, bien sûr, de nombreux acteurs de l’État, et notamment les ministères de la culture, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Avec Franck Riester, Jean‑Michel Blanquer et Frédérique Vidal, nous travaillons ainsi de manière coordonnée et cohérente. L’exemple le plus significatif, vous l’avez rappelé, est notre présidence commune avec Franck Riester, il y a quelques jours, du conseil d’orientation stratégique de l’Institut français de Paris. Je peux vous garantir que nous sommes totalement en phase sur toutes les orientations que nous souhaitons donner à l’Institut et à l’action culturelle hors de nos frontières.

Au sein de cet écosystème interministériel, le Quai d’Orsay, qui est par nature tourné vers l’international, occupe une place singulière. À Pékin comme à Lyon, on défend la culture française ; à Mexico comme à Marseille, on prépare les lycéens au baccalauréat – pas de la même manière, bien sûr, mais l’objectif politique est le même : promouvoir nos valeurs et notre modèle culturel, qui sont d’autant plus forts que nous savons les faire rayonner au-delà de nos seules frontières nationales. Promouvoir notre modèle culturel, ce n’est rien moins que consolider la souveraineté et la place de notre pays et de l’Europe dans la mondialisation.

Rappeler ces évidences ne suffit malheureusement pas toujours à dissiper les malentendus. Trop souvent – pas dans cette commission, bien sûr – on a considéré la diplomatie culturelle au mieux comme une sorte de supplément d’âme pour ambassadeur lassé de la realpolitik, au pire, comme notre violon d’Ingres, pour ne pas dire – je l’ai déjà entendu – comme « la danseuse du Quai d’Orsay », une « danseuse » entretenue, cela va sans dire, à grands frais et en pure perte : ce domaine serait ce vers quoi l’on se tourne lorsqu’on a fini de gérer les crises et d’empêcher les conflits ; cela n’étant pas d’actualité, nous ne nous en occuperions donc pas. L’idée que nous ne nous préoccuperions de tous ces enjeux uniquement après est elle aussi complètement fausse.

Je souhaite donc vous rappeler l’importance stratégique de la diplomatie d’influence au regard de l’ensemble de nos priorités diplomatiques, qui plus est dans un contexte de concurrence exacerbée sur la scène internationale. Les diplomates ne tournent pas le dos à la diplomatie dès qu’ils se mettent à parler de culture et d’éducation !

Le premier des combats que je mène pour la diplomatie culturelle et éducative, c’est précisément, d’abord, contre des idées aussi erronées. Je l’ai souvent dit et je tiens à le répéter aujourd’hui avec force : la diplomatie d’influence, ce n’est pas « la cerise sur le gâteau » mais, au contraire, l’un des piliers de la nouvelle diplomatie globale que nous travaillons à inventer, une diplomatie du XXIe siècle en phase avec les grands enjeux d’aujourd’hui, attentive à tous les nouveaux acteurs de la vie internationale, à commencer par les sociétés civiles.

Une diplomatie efficace, en effet, ne s’adresse pas seulement aux États mais aussi à tous ceux qui jouent un rôle au sein des sociétés : artistes, entrepreneurs, fondations, ONG, collectivités locales… Plus que jamais, pour « capter l’humeur du monde », il faut sortir des chancelleries et investir pleinement l’espace public afin d’être au plus près des réalités vécues par les peuples. C’est ce que l’on attend, c’est ce que j’attends aujourd’hui de plus en plus de la part de nos diplomates.

Au fond, la question est double : que peut notre diplomatie pour la culture et l’éducation ? Que peuvent la culture et l’éducation pour notre diplomatie ?

Agir pour le rayonnement culturel de notre pays à l’étranger, c’est d’abord défendre un patrimoine, bien sûr, mais c’est aussi défendre la création et les créateurs, tout autant que des métiers et des savoir-faire, des industries et des filières professionnelles. C’est aussi encourager l’internationalisation de nos musées et, bien sûr, ouvrir de nouvelles portes, en France et à l’étranger, aux artistes français et internationaux.

De ce point de vue, mon ministère est à proprement parler le service public de la culture et de l’éducation à l’international. L’enjeu est donc d’être au service de nos « usagers », dans l’intérêt général. En l’espèce, le service public de la culture, à l’international, se doit d’être au rendez-vous des besoins, ceux de nos partenaires certes, notamment dans les pays en développement, mais aussi ceux des Français, des filières professionnelles et des entreprises culturelles françaises.

En ce sens, il faut considérer que la diplomatie est d’abord au service du patrimoine culturel. Grâce à la mobilisation de notre réseau, ce dernier bénéficie de soutiens internationaux étatiques ou privés. Comme en a témoigné le formidable élan de solidarité envers la France qu’a suscité l’incendie de Notre-Dame de Paris, le patrimoine est un bien commun mondial, il a de très nombreux amis partout dans le monde qui ne demandent qu’à nous aider à en prendre soin et à mettre en valeur le nôtre. J’ai cité Notre-Dame de Paris mais je pourrais également citer le théâtre impérial du château de Fontainebleau, qui a pu renaître grâce à un mécénat émirien.

C’est la même logique qui nous anime dans le cadre de l’ALIPH, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflits, dont nous sommes à l’origine et que nous développons aujourd’hui, en particulier en Irak en reconstituant des équipements très importants, notamment à Mossoul, qui ont été détruits par Daech. La sauvegarde du patrimoine est donc un enjeu essentiel de notre diplomatie culturelle.

Notre diplomatie est aussi au service de nos institutions culturelles, à qui nous servons de relais pour trouver des mécènes internationaux et prendre pied à l’étranger. Aujourd’hui, le Louvre est à Abu Dhabi –  formidable réalisation ! –, le Centre Pompidou à Shanghai – j’ai d’ailleurs assisté avec le Président de la République au lancement de ce projet. Ces magnifiques réalisations, qui sont autant de relais de l’influence française, n’auraient pas vu le jour sans un travail diplomatique préalable.

La diplomatie, enfin, est au service de la création contemporaine, notamment émergente. Nous cherchons ainsi à toujours mettre en avant les artistes français dans les grands événements internationaux comme la Biennale de Venise pour l’architecture ou l’art contemporain, dont l’Institut français de Paris est l’opérateur. Chaque fois que nous invitons un écrivain ou un intellectuel français à parler de son œuvre dans l’un de nos Instituts à l’étranger, nous soutenons la création culturelle contemporaine et nous renforçons notre capacité d’attraction.

La diplomatie culturelle permet également de faire dialoguer les peuples entre eux en mettant à l’honneur les autres cultures du monde. Ces échanges, ces croisements contribuent aussi à leur manière à construire une mondialisation à visage humain et à bâtir un monde commun. Tel est par exemple l’objectif de la saison Africa 2020, qui commencera dans de nombreuses villes de France au mois de juin et durera six mois : en lien étroit avec nos partenaires du continent, nous l’avons conçue comme « une invitation à regarder et à comprendre le monde d’un point de vue africain », comme l’a dit très justement sa commissaire générale, l’architecte N’Goné Fall, avec laquelle nous travaillons pour promouvoir cette nouvelle image de l’Afrique.

Tout cela, nous le faisons pour l’amour de l’art, qui n’a par définition pas d’autre fin que lui-même, mais nous le faisons aussi pour l’image de notre pays et pour la consolidation de notre modèle culturel. Ce qui ne nous empêche nullement, dans le même temps, de défendre nos propres intérêts économiques.

Promouvoir nos industries culturelles et créatives, les ICC, sur les marchés internationaux, c’est renforcer l’une de nos filières les plus dynamiques à l’export, une filière dont le chiffre d’affaires a atteint en 2018 plus de 90 milliards d’euros et qui représente 3 % de la richesse nationale. Nous avons de ce point de vue identifié avec les professionnels 37 pays prioritaires et j’ai chargé nos ambassadeurs d’élaborer des plans d’action pays par pays, adaptés aux marchés locaux, pour servir au mieux les filières françaises dans leurs recherches de partenariats et dans la conquête des marchés internationaux. Le 28 novembre dernier, nous avons ainsi lancé les états généraux des ICC, lesquels rendront leurs conclusions au Président de la République au mois d’avril à propos de la structuration de leurs filières et de leurs capacités de projection à l’étranger. Chaque pays concerné disposera d’un référent afin d’appliquer le plan d’action des ICC.

Lorsque c’est nécessaire, il faut aussi savoir se battre sur le terrain des normes. C’est le sens du combat que nous avons mené à Bruxelles en faveur des droits d’auteur – vous connaissez très bien le sujet. En effet, sans droits d’auteur, pas de rémunération de la création, sans rémunération, pas de création : c’est aussi simple que cela. Loin d’être un combat du passé, les droits d’auteur sont donc essentiels pour préserver la vigueur de notre culture.

La culture, précisément, est un puissant vecteur d’activité et d’attractivité. Il est essentiel de rappeler les retombées économiques pour tous nos territoires, lesquelles résultent de notre capacité de projection culturelle internationale, ce qui est bon pour l’emploi, pour le tourisme, pour l'image, pour l'influence. Un seul exemple : l’an dernier, nous avons créé un « Comité France du film indien » qui réunit plusieurs de nos opérateurs – Atout France, Film France, Unifrance, Business France – pour accroître le nombre de tournages de productions indiennes en France d’ici 2022. Comme le disait Malraux, si le cinéma est un art, c’est aussi une industrie qui nous permet de développer notre stratégie d’influence.

Faire de la diplomatie culturelle, c’est donc aussi d’une certaine manière faire de la diplomatie économique, mais pas seulement.

Comme je l’ai dit en commençant mon propos, la diplomatie culturelle, dans la mesure où nous cherchons à en faire une diplomatie d’influence, sert l’ensemble de nos priorités diplomatiques. Pour reprendre une formule célèbre, je dirais que l’influence, c’est la continuation de la diplomatie par d’autres moyens.

C’est d’abord un moyen de parler à nos partenaires autrement – je dirais même « complètement » – et de toucher directement les sociétés civiles, la jeunesse notamment. Il s’agit de les « toucher », presque au double sens du terme car la diplomatie d’influence et, singulièrement, la culture, ne s’adressent pas seulement à l’esprit mais aussi au cœur des peuples. De plus en plus, il faut aujourd’hui compter avec les sociétés civiles, qui sont devenues des acteurs à part entière et des stabilisateurs de l’ordre et du désordre international. Il faut les écouter pour faire passer nos messages. Toutes les initiatives que nous prenons dans nos postes – projeter un film, organiser un débat, travailler avec le tissu associatif local, avec la jeunesse – sont autant d’invitations, pour le public étranger, à se poser les questions que nous nous posons, autant d’occasions, pour nous, d’engager le dialogue, de contribuer – même modestement – au renforcement des capacités des sociétés civiles de nos partenaires et, dans le même temps, à l’ouverture au monde de la société française, autant d’occasions pour nous, enfin, de tenter de déceler les tendances qui voient le jour dans les consciences. C’est évidemment un exercice très difficile mais essentiel quand on voit à quelle vitesse une situation peut aujourd’hui s’embraser comme c’est le cas en Amérique latine, au Moyen-Orient, voire même en Europe.

La cinquième édition de la Nuit des Idées, qui aura lieu le 30 janvier prochain, est l’exemple le plus frappant d’une telle volonté. Cette année, nous avons choisi le thème « Être vivant » et nous recevrons dans nos ambassades, au Quai d’Orsay et dans plus de cent lieux partenaires, des citoyens et des experts engagés sur la question du climat et de la biodiversité.

Voilà donc une action de diplomatie culturelle qui s’inscrit dans l’agenda environnemental que défend notre pays sur la scène internationale, en particulier alors que nous nous apprêtons à accueillir à Marseille le congrès mondial sur la nature et que nous travaillons à la COP26 sur le climat qui se déroulera à Glasgow en fin d’année. Cette action de diplomatie culturelle contribue à faire avancer les choses, la défense de nos biens communs appelant la mobilisation de tous.

La diplomatie d’influence est aussi un moyen de donner un ancrage solide, profondément humain, à nos partenariats diplomatiques. C’est une manière de mobiliser l’ensemble de la société autour de la coopération internationale, laquelle est loin d’être l’affaire des seuls diplomates. Rien de tel que de se retrouver autour d’un imaginaire commun, de récits partagés, pour tisser des liens de confiance. C’est le sens de nos saisons culturelles croisées
– France-Israël en 2018, France-Roumanie en 2019 et Africa 2020, que je viens d’évoquer, avant la saison croisée avec le Portugal en 2021, puis avec le Japon. Les deux pays concernés échangent, créent, partagent des manifestations artistiques et dessinent des convergences éducatives. Là encore, la diplomatie d’influence sert très directement l’une de nos priorités majeures.

C’est cette même démarche qui nous anime quand nous mettons au service de l’Arabie saoudite ce projet considérable qu’est Al-Ula. Il nous permet de mobiliser notre expertise archéologique et muséale, de valoriser un endroit magnifique et d’accompagner ce pays sur la voie d’une modernité nécessaire en l’aidant à s’approprier une part de lui-même, jusqu’à présent insoupçonnée car appartenant à une période préislamique et pré-arabe. L’engagement autour de ce projet est exemplaire, à la fois pour la place de la France et pour le partage d’initiatives culturelles et, je dirais, presque révolutionnaire.

La diplomatie culturelle et éducative nous permet d’agir autrement face à nos défis communs.

Je tiens à cet égard à souligner l’un des axes prioritaires : la promotion, singulièrement en Afrique, d’initiatives concernant l’enseignement supérieur en étant au plus près des étudiants afin de nous différencier d’autres projets, d’autres pays. Nous avons ainsi créé le Campus franco-sénégalais, l’Université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée ou, encore, le Hub régional franco-ivoirien pour l’éducation. Nous nous efforçons d’exporter l’excellence de notre système d’enseignement supérieur au plus près des étudiants, là où ils vivent. Avec Frédérique Vidal, nous avons décidé de donner une nouvelle impulsion en Afrique à cette capacité de projection internationale des établissements d’enseignement supérieur français : le Plan pour l’éducation en Afrique agrège ainsi les compétences et les financements de l’Agence française de développement, de l’Agence nationale de la recherche et de Campus France pour permettre à des universités françaises de constituer des partenariats d’excellence avec des établissements africains. Les étudiants trouveront ainsi la qualité et l’excellence dans leurs propres pays et sur leurs propres territoires.

La diplomatie culturelle et éducative est également une diplomatie de puissance.

Pendant très longtemps, on a distingué le hard power de ce que l’on appelait un peu trop vite le soft power, or, l’expansion spectaculaire des Instituts Confucius, l’essor des séries télévisées turques, d’autres initiatives d’autres pays montre que cette frontière est en train de disparaître : derrière toutes ces stratégies d’influence, ce sont des stratégies de puissance qui se dessinent. Nous devons pleinement nous engager dans ces nouvelles batailles et y jouer notre propre partition.

L’influence se construit sur le temps long – nous devons donc nous montrer très rigoureux – mais elle peut aussi se détériorer très rapidement. Je suis quant à moi déterminé : nous devons nous battre pour valoriser cette stratégie diplomatique et éducative car nous avons un modèle à faire valoir, un modèle fondé sur l’humanisme européen et l’esprit des Lumières, un modèle de pluralisme et d’ouverture qu’il ne s’agit pas d’imposer – nous n’en avons ni le désir, ni les moyens – mais de proposer au reste du monde, un modèle qui défend nos idéaux de liberté et d’égalité, qui défend également une certaine idée de la mondialisation : pour nous, celle-ci n’a de sens qu’à l’horizon de notre commune humanité. C’est pourquoi nous agissons pour provoquer les rencontres et faire naître les échanges.

C’est au nom de ce modèle que nous avons bâti avec nos partenaires émiriens le premier musée à vocation universelle du monde arabe : le Louvre Abu Dhabi. C’est au nom de ce modèle que nous défendons le patrimoine en danger. C’est au nom de ce modèle que nous nous battons pour la francophonie, pas une francophonie de conquête – cette époque est révolue –, mais une francophonie du plurilinguisme, de la diversité et de la souveraineté culturelle, qui puisse être un atout dans la mondialisation.

Une langue ne sera jamais un simple instrument de communication. Pour ceux qui l’ont en partage, elle tisse leur rapport avec le monde, leur manière de le voir. Défendre le plurilinguisme, c’est être convaincu que nous pouvons tous bénéficier de cette pluralité de regards – d’où l’importance du Plan pour la promotion de la langue française et le plurilinguisme présenté par le Président de la République lors de son discours à l’Institut de France en mars 2018. Alors que 2020 est l’année du cinquantième anniversaire de la création de la Francophonie, le Sommet de Tunis, en décembre prochain, doit être le lieu de la mobilisation de la France et de ses partenaires francophones au service de ce projet politique.

C’est au nom de ce modèle que nous agissons, avec Jean-Michel Blanquer, pour donner un nouvel élan à l’enseignement français à l’étranger et atteindre l’objectif ambitieux fixé par le Président de la République : doubler le nombre d’élèves d’ici 2030 tout en continuant bien sûr à mettre nos établissements au service de nos compatriotes qui ont choisi à l’étranger de scolariser leurs enfants dans le réseau français mais, aussi, en attirant beaucoup plus d’élèves étrangers, lesquels représentent déjà deux tiers des effectifs scolarisés dans nos établissements.

C’est toujours au nom de ce modèle que nous allons travailler à adapter notre audiovisuel extérieur afin de toucher un plus large public – notamment, la jeunesse d’Afrique et du Moyen‑Orient – et de combattre les atteintes à la démocratie par les manipulations de l’information. Alors que vous vous apprêtez à examiner le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, vous pouvez compter sur ma détermination pour que l’audiovisuel public ait les moyens de relever les défis de la bataille de l’information à l’étranger et d’assurer, précisément, notre souveraineté culturelle. C’est là aussi un enjeu de puissance.

C’est également à partir de ce modèle que nous confortons notre politique d’aide au développement : développement et diplomatie culturelle sont en effet deux leviers au service d’une même vision de la mondialisation.

Dans cet esprit, j’ai fait en sorte que nous puissions conserver tous nos moyens pour assurer un tel modèle culturel et éducatif. J’ai veillé à ce que, sur le plan budgétaire, nous puissions sanctuariser les crédits du réseau culturel pour la troisième année consécutive alors qu’ils constituaient souvent la variable d’ajustement car, dans l’esprit de certains, la diplomatie culturelle constituait un outil de seconde zone. En arrivant aux responsabilités, j’ai donc procédé à un choix un peu radical visant à préserver et à sanctuariser les crédits affectés à cette dimension importante de l’action de mon ministère.

Le formidable instrument dont nous disposons pour agir doit être préservé : 500 Instituts français dans les ambassades, 835 Alliances françaises, 27 instituts de recherche et 522 lycées et écoles. La pérennité du plus grand réseau éducatif au monde doit être assurée tant celui-ci est exceptionnel par son ancienneté, sa densité et sa qualité, et nous donne ainsi une force de frappe considérable.

Cette année, les moyens alloués à l’AEFE ont été renforcés à hauteur de 25 millions. Ils augmenteront au même rythme dans les années à venir pour permettre d’atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de doubler le nombre d’apprenants du français d’ici 2030.

Nous avons également créé un nouvel instrument financier, le Fonds de solidarité pour les projets innovants, qui nous permettra d’agir rapidement dans le domaine culturel au service de la valorisation d’un patrimoine et de projets innovants avec la société civile afin que nos postes se montrent réactifs et efficaces, en articulation avec la société civile des pays concernés.

Je me soucie de maintenir aux Instituts français leur statut d’établissement à autonomie financière, seul à même de donner au réseau la réactivité, la souplesse de gestion et la capacité d’autofinancement nécessaire. Il faudra faire en sorte de pouvoir modifier le dispositif juridique avec le ministère de l’action et des comptes publics afin de trouver une solution garantissant la performance de notre réseau culturel et de coopération à l’étranger. Ce n’est pas uniquement un enjeu technique et juridique : cela relève du choix de la France de maintenir la culture au centre de son activité diplomatique. Peut-être serez-vous un jour saisi de cette question.

Nous assurons également le pilotage stratégique du réseau et de nos opérateurs – j’ai fait référence, tout à l’heure, au comité d’orientation stratégique de l’Institut français, qui a permis d’adopter un nouveau contrat d’objectifs et de moyens. Votre collègue Valérie Gomez‑Bassac était à nos côtés. Ce nouveau COM permettra à l’Institut français d’être plus organisé, mieux articulé avec les autres opérateurs de l’action culturelle extérieure, et de se rapprocher de la Fondation Alliance française, comme l’a souhaité le Président de la République. Jusqu’à présent, des améliorations notables de coopération ont été constatées afin de conforter ces deux outils pour l’enseignement du français à l’étranger.

Je me déplace beaucoup dans le monde et j’ai pu constater hier encore à Alger le « désir de France ». Celui-ci doit se traduire en un avantage compétitif, à condition que notre stratégie d’influence repose sur une volonté d’affirmer notre diplomatie culturelle et éducative mais, aussi, d’être en pleine phase avec les peuples concernés, avec les sociétés civiles des pays avec lesquels nous devons nouer des partenariats constructifs. Tel est le sens de notre action ; c’est ainsi que je conçois la diplomatie culturelle et éducative, dont je suis en partie chargé, en particulier s’agissant de sa projection à l’étranger.

Je tenais à opérer cette clarification avant d’engager une discussion sur différents points sur lesquels je pourrai ou ne pourrai pas répondre, selon les préoccupations qui sont les vôtres.

Mme Céline Calvez. Au nom du groupe La République en marche, je vous remercie pour les éclairages que vous nous avez donnés sur ce que peut notre diplomatie en matière de culture et d’éducation et sur ce que la culture et l’éducation peuvent pour notre diplomatie. Vous avez ainsi contribué à mettre en lumière la culture dont nous pouvons être fiers, une culture vivante, diverse et dont le rayonnement s’accroît, tout comme ce « désir de France » dont vous avez parlé.

Je souhaite revenir sur les missions prioritaires des industries culturelles et créatives confiées à 37 ambassadrices et ambassadeurs dans des pays au fort potentiel de développement et d’export pour nos ICC – je vous remercie d’ailleurs d’avoir insisté sur notre politique de coopération cinématographique avec l’Inde. Pourriez-vous nous donner un avant-goût des enseignements de cette mission prioritaire ? Pensez-vous que certains secteurs propres aux ICC aient été insuffisamment développés ? Je suis en effet persuadée que nous n’avons pas encore exploré tous les potentiels d’essor de ces industries car nous disposons d’atouts non négligeables, de grands groupes mondiaux, aussi bien dans le domaine de la musique que dans ceux de l’édition ou des jeux vidéo.

Lors du lancement des états généraux des industries culturelles, vous avez considéré que ces dernières ne relèvent pas seulement du soft power mais du hard power et vous venez d’évoquer les séries turques. Avez-vous en tête un exemple récent témoignant que nous aussi nous nous situons dans le hard power et que nous pouvons donner une importance stratégique à ces enjeux-là ?

Je suis persuadée que les ICC constituent des leviers de développement et d’exportation mais aussi que leur influence dépasse leurs propres domaines et contribue à développer d’autres secteurs économiques. Comment mesurer ces retombées indirectes ? Sommes-nous aujourd’hui suffisamment outillés pour ce faire ?

Mme Frédérique Meunier. Il importe de préserver l’influence culturelle de la France qui, historiquement, occupe une place prépondérante dans ce domaine malgré des moyens de plus en plus réduits. La diffusion de la culture française, en particulier de la langue française, doit être, selon le groupe Les Républicains, un élément primordial de notre diplomatie et de notre politique étrangère.

J’insiste en particulier sur deux points.

Tout d’abord le Président de la République a fait part de sa volonté de conforter les Alliances françaises, or, selon les chiffres dont nous disposons, la subvention de l’Alliance française passe de 8,3 millions d’euros en 2019 à 7,3 millions d’euros en 2020, ce qui représente une baisse des crédits de 14 %, malgré un objectif de création de dix nouvelles agences par an. Les montants annoncés, semble-t-il, ne permettront pas de le réaliser. Les chiffres sont donc en décalage par rapport aux annonces gouvernementales.

Les lycées français à l’étranger, quant à eux, connaissent un très beau succès mais ils sont majoritairement fréquentés par des enfants d’expatriés. Il importe certes que les enfants de nos ressortissants puissent accéder à la culture et à la langue françaises mais ces établissements ne doivent pas devenir trop élitistes car tel n’est pas leur rôle. Ils doivent être avant tout des vecteurs de la culture française. Si l’on veut que l’influence de la France perdure, notamment hors d’Europe, il est primordial que la jeunesse puisse acquérir notre langue et connaître la culture française. En l’occurrence, les frais d’inscription sont en constante augmentation et les lycées français deviennent de moins en moins accessibles.

Bien que le budget du programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » retrouve son niveau de 1990, les moyens accordés au ministère de l’Europe et des affaires étrangères demeurent insuffisants et ne permettent pas à la France de rayonner internationalement autant qu’elle le devrait.

En outre, nos diplomates ont été pendant des siècles d’excellents vecteurs de notre culture dans le monde entier, or un tel paradigme est tombé en désuétude en raison des nouveaux moyens de communication et de l’accentuation de l’aspect économique. Ne serait-il pas opportun, au XXIe siècle, de revenir sur ces valeurs traditionnelles et fondamentales qui ont fait leur preuve ?

Un mot enfin sur le musée Jacques-Chirac, qui incarne ce lien politique et culturel et que je vous invite à visiter, monsieur le ministre !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. J’y suis allé plusieurs fois…

Mme Frédérique Meunier. Nous nous en doutons !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. …et je suis invité chaque année par l’Association Jacques Chirac !

Mme Géraldine Bannier. Nous célébrons cette année le trentième anniversaire de l’AEFE. C’est l’occasion pour le groupe Modem et apparentés de souligner le succès du premier réseau éducatif international au monde avec ses 522 établissements et ses 370 000 élèves répartis dans 139 pays.

Avec 65 % d’élèves étrangers, l’AEFE est le premier vecteur du développement de la francophonie que notre Président appelle de ses vœux. Cet anniversaire a permis de rappeler l’objectif de l’Agence, Cap 2030, dessiné le 3 octobre dernier. Ce plan est ambitieux et témoigne de la volonté française de développer ce réseau, notamment grâce à la création de nouvelles écoles et à une meilleure formation des enseignants.

Ce plan peut s’appuyer sur les réformes de la maternelle, sur le nouveau baccalauréat ainsi que sur l’école inclusive ou le plurilinguisme pour positionner l’enseignement français dans un environnement international concurrentiel. Il permet également d’impliquer davantage les ambassades et, ainsi, de faire de l’éducation un véritable instrument de la diplomatie d’influence.

Pour ce faire, les moyens de l’AEFE augmentent avec, en 2020, 25 millions d’euros supplémentaires. Ces annonces ont été bien accueillies alors qu’en 2017, son budget avait été amputé de 33 millions, poursuivant ainsi une baisse de 14 % depuis 2012.

Le nombre d’élèves a augmenté de 11 % depuis 2012 et le Président de la République a rappelé l’objectif de son doublement d’ici 2030, ce qui pourrait nécessiter une augmentation de 15 % du nombre d’enseignants titulaires. Or, dans certains pays, il faut répondre aux problèmes de recrutement liés au déficit de compétences disponibles ou à un manque d’attractivité. Comment, dans ces conditions, atteindre le cap fixé pour 2030 et doter des moyens adéquats ce réseau éducatif qui participe pleinement au rayonnement culturel, linguistique et diplomatique de la France ?

Mme Michèle Victory. Au-delà de notre réseau d’enseignement, de nos auteurs, de nos artistes et de la francophonie, l’influence française passe par notre audiovisuel extérieur, vous y avez d’ailleurs fait référence. De France 24 à TV5 en passant par Arte ou RFI, nous pouvons être fiers de ces médias reconnus et respectés qui portent très haut l’exigence de qualité, de déontologie, et dont les audiences progressent régulièrement.

Pour autant, la perspective de réforme globale de l’audiovisuel – secteur au sein duquel les médias extérieurs occupent une place réduite – inquiète car les risques sont grands d’une marginalisation de ces outils dans une entité gigantesque et bien peu agile. Quelles pistes votre ministère suit-il pour préserver l’autonomie et la capacité d’action de notre audiovisuel extérieur ?

Nos collègues de la commission des affaires étrangères, également préoccupés par cette évolution, ont déjà fait part d’un certain nombre de propositions : prévoir l’instauration d’un budget plancher pour la future filiale France Médias Monde fixé ensuite dans le contrat stratégique pluriannuel de la holding France Médias ; établir une représentation parlementaire des commissions des affaires étrangères au sein du conseil d’administration de France Médias Monde ; prévoir une consultation conjointe des commissions des affaires culturelles et des commissions des affaires étrangères pour la désignation des deux personnalités qualifiées siégeant au conseil d’administration de France Médias Monde ; créer un comité stratégique ad hoc consacré aux problématiques internationales afin de garantir la cohérence des développements internationaux de l’ensemble des filiales de la holding de l’audiovisuel public et, enfin, envisager une participation directe du ministère de l’Europe et des affaires étrangères au financement de France Médias Monde au titre de l’aide publique au développement afin de valoriser la contribution de l’audiovisuel extérieur. Avez-vous pu avancer sur ces cinq propositions ?

M. Paul Molac. Monsieur le ministre, je note avec intérêt la volonté de développer le plurilinguisme à l’étranger. En effet, l’apprentissage d’une langue est également celui d’une vision du monde. De surcroît, plus on connaît de langues, plus on en apprend facilement ! Cela permettra d’ailleurs à certains de se familiariser avec l’esprit des Lumières : je me souviens que des leaders indépendantistes – dont Bourguiba, pour ne pas le nommer – se sont révoltés en son nom ! Je souhaiterais d’ailleurs que la France applique une telle politique en son sein même mais cette remarque ne vous est pas tant destinée qu’à votre collègue de l’éducation nationale !

Qu’en est-il donc des moyens dont disposent nos lycées à l’étranger ? J’ai constaté en Irlande et en Chine que la situation n’est pas toujours très facile. Des partenariats sont certes noués mais bien des frais restent à la charge des familles. Pourriez-vous éclairer notre lanterne à ce propos ?

M. Michel Larive. Le 20 mars 2018, Journée internationale de la Francophonie, le Président de la République a présenté la stratégie internationale de la France pour la langue française et le plurilinguisme. Cette politique devait s’articuler autour de trois mesures pour apprendre, communiquer et créer en français, le but étant d’atteindre un objectif de 700 millions de locuteurs francophones et que le français passe du cinquième au troisième rang des langues les plus parlées au monde.

Parmi les propositions développées par le chef de l’État, celles relatives à l’Institut français concernaient particulièrement la diplomatie culturelle et d’influence. Le Président de la République affirmait alors aux services de la diplomatie culturelle, dont les moyens seront maintenus, que « l’Institut français verra son rôle renforcé en devenant l’opérateur de référence pour la promotion et la diffusion du français dans le monde. (…) L’État confirmera son soutien au réseau des Alliances, dont le suivi se fera davantage au niveau local. L’expansion du réseau des Alliances sera assurée à travers dix ouvertures par an à partir de 2019. »

Deux ans après, je constate, au nom du groupe la France insoumise, que le compte n’y est pas, monsieur le ministre. La subvention à l’Institut français est en baisse de 6 % dans le PLF 2020, retrouvant ainsi son niveau de 2018. On assiste donc depuis plusieurs années à une diminution quasi continue de ses subsides. De même, toujours dans le PLF 2020, les subventions aux Alliances françaises sont en baisse, passant de 8,3 à 7,3 millions d’euros. Parallèlement, on observe depuis trois ans une diminution du nombre d’emplois à temps plein en leur sein : 282 équivalents temps plein en 2017, 273 en 2018, 262 en 2019 et, pour 2020, le schéma d’emplois prévoit la suppression de 21 emplois à temps plein dans le réseau culturel français.

La diplomatie culturelle et d’influence souffre du désengagement de l’État. Dans un contexte budgétaire d’austérité, vous projetez d’accompagner le doublement du nombre de francophones à l’horizon de 2050, or, pensez-vous que cet objectif soit réaliste ?

Mme Marie-George Buffet. Vous avez évoqué la Francophonie mais j’aimerais en savoir un peu plus sur son état de santé et sur celui des pays qui la composent. Je souhaite ainsi vous interroger sur la prochaine tenue des Jeux de la francophonie en République démocratique du Congo, ce pays demandant des aides conséquentes pour que cette belle initiative rassemblant des sportifs et des sportives de tous les pays francophones soit une réussite.

Ma seconde question concerne le lycée de Ramallah, qui a ouvert ses portes, me semble-t-il, en 2017 et où j’ai eu l’occasion de me rendre. Il s’est tout d’abord développé, avec des classes de maternelle et une classe de cours préparatoire, mais je souhaiterais savoir quelle est sa situation actuelle et ce qu’il en est de ses possibilités de développement depuis qu’il est passé sous l’autorité de la Mission laïque française. Il importe, en effet, que la France continue à soutenir la Palestine à travers ce lycée de Ramallah et des Instituts français, notamment, celui de Gaza, qui continue à ouvrir ses portes malgré la situation très tendue dans cette région.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je commencerai par quelques précisions d’ordre budgétaire, car vous ne disposez peut-être pas de ces informations.

Madame Meunier, vous avez affirmé que les moyens alloués à la mise en œuvre de la politique d’influence de la France avaient baissé ; ils ont au contraire été maintenus, et je m’honore d’avoir sanctuarisé ces crédits. Je vous invite à comparer les montants engagés pour le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » depuis 2017 avec ceux des exercices précédents. Ils ont même augmenté cette année de 16 millions d’euros par rapport à l’année dernière. Votre affirmation est donc erronée, et je vous conseille de vous reporter aux chiffres.

S’agissant de l’Institut français, il y a peut-être une confusion entre celui de Paris et ceux implantés à l’étranger, qui n’ont pas la même structure. Ils sont identifiés par le même nom, ce qui n’est pas heureux car leurs fonctions diffèrent. L’Institut français de Paris est un pourvoyeur de prestations tandis que les instituts français des pays concernés sont des outils d’animation, des établissements à autonomie financière qui, en s’appuyant sur des partenariats locaux, développent toute une série d’activités culturelles. L’Institut français de Paris a vu sa subvention diminuer de 2 millions d’euros cette année parce qu’il a bénéficié l’année dernière d’une subvention exceptionnelle exclusivement affectée à l’organisation de la saison Africa 2020. J’ai entendu dix fois que le budget de l’Institut avait baissé de 2 millions d’euros, alors que cette somme correspond à une opération exceptionnelle et que le reste du budget est resté stable. Il n’y a donc pas matière à débattre, et je vous saurais gré de bien vouloir transmettre cet éclaircissement aux intéressés.

Les chiffres relatifs au budget de l’Alliance française pourraient eux aussi être mal interprétés : la baisse d’un million d’euros est concomitante de l’achèvement du plan de sécurisation des alliances françaises. Ce plan avait été engagé pour préserver et sécuriser ces outils dans les zones à risque. Un plan de sécurisation globale s’appuie par ailleurs sur un compte spécial, hors budget donc, pour renforcer la sécurité de l’ensemble de nos outils diplomatiques à l’étranger au sein de l’Alliance française. S’agissant des activités, des prestations et du fonctionnement des alliances françaises, leurs crédits demeurent inchangés, conformément aux engagements que j’ai pris. Comme tous les ministres, j’aimerais disposer d’un montant de crédits plus important, mais telle est la réalité des chiffres, et il est de mon devoir de dissiper toute ambiguïté quand ceux-ci sont erronés.

J’en viens aux industries culturelles et créatives (ICC), qui sont l’objet de la question de Mme Calvez. Le préalable à toute action est que la profession s’organise, car ses acteurs sont aujourd’hui éparpillés, ce qui dessert un outil pourtant très valorisant pour la France. C’est le message qui a été transmis aux intéressés lors de l’ouverture des états généraux des industries culturelles et créatives en présence de Franck Riester et Bruno Le Maire. La profession doit se structurer pour disposer d’une capacité d’exportation significative. Dès lors que la filière aura été créée, le développement à l’international pourra constituer un axe majeur du contrat de filière.

La place des ICC doit être renforcée dans trois secteurs aujourd’hui sous-exploités : la musique, les jeux vidéo et l’architecture. À cette fin, j’ai désigné trente-sept pays où nous avons intérêt à renforcer prioritairement la présence des industries culturelles et créatives françaises. Les ambassadeurs concernés sont chargés d’élaborer un plan d’action et de désigner un référent qui sera l’interlocuteur de la filière dans le pays quand celle-ci se sera structurée. Les professionnels concernés partagent cet objectif qu’il faut à présent concrétiser, car les ICC sont un pilier de notre influence et leur développement constitue un objectif stratégique essentiel.

Dans ce secteur hautement concurrentiel, nous disposons d’un avantage qualitatif considérable par rapport aux pays tiers. Je considère qu’il s’agit de l’enjeu le plus important de la mission qui m’est confiée, tant en matière culturelle qu’au plan économique. Une telle ambition implique d’aider les PME culturelles exportatrices à développer leur potentiel à l’export. C’est la raison pour laquelle Bpifrance vient d’annoncer la mise en œuvre d’un fonds de soutien aux ICC qui contribuera en particulier à la projection à l’international de ces industries essentielles pour notre pays.

J’aimerais préciser quelques éléments sur l’apprentissage du français à l’étranger. L’objectif, annoncé par le Président de la République dans son discours du 20 mars 2018 à l’Institut de France, est de doubler le nombre d’apprenants d’ici à 2030. La dynamique s’est déjà enclenchée : depuis cette annonce, nous sommes passés de 495 à 522 établissements homologués, qui reçoivent 37 000 élèves, soit 15 000 de plus qu’en 2018. Certes, l’objectif est un peu ambitieux, mais pour aboutir à ce résultat nous nous appuyons sur quatre leviers. Le premier est de renforcer l’attractivité de l’enseignement de nos propres établissements. Le second est de faciliter l’ouverture de nouveaux établissements, notamment par des investisseurs désireux de créer des outils pédagogiques, toujours selon la procédure d’homologation consacrée, à laquelle participe notamment l’AEFE. Le troisième est d’assurer la formation des enseignants à partir des viviers locaux, qu’il faut développer. Le quatrième est la création de 2 000 postes d’enseignants supplémentaires, dont la vocation principale sera d’encadrer les enseignants des établissements nouvellement ouverts.

Je vais illustrer mon propos de deux expériences récentes, l’une à Tunis, l’autre à Mexico. J’ai inauguré voilà quelques jours à Tunis une école française créée par des Tunisiens avec un encadrement français. D’autres projets de ce type sont en préparation. On autorise désormais les Tunisiens à investir dans des locaux, dans un système de formation, sous réserve toujours de l’obtention du label de l’AEFE et d’un accompagnement, même réduit à l’essentiel, dans l’enseignement en français. C’est un moyen d’élargir l’offre de façon significative. J’ai constaté qu’à Mexico, où la demande des jeunes Mexicains pour l’apprentissage du français est forte, le lycée franco-mexicain assurait la formation d’enseignants mexicains en français, comme nous le faisons dans nos écoles normales. Voilà aussi une façon de rendre l’enseignement du français attractif aux yeux des apprenants mexicains.

Ces deux exemples montrent qu’il n’y a pas une seule ligne d’action, et qu’il faut pouvoir s’adapter au système éducatif de chaque pays. La dynamique est désormais lancée, et les résultats que je vous ai donnés montrent qu’elle suscite l’adhésion. Les deux établissements dont je viens de parler n’ont d’ailleurs pas encore été comptabilisés dans les nouvelles ouvertures.Telle est la volonté qu’a impulsée le Président de la République par son discours, et j’ai bon espoir que nous atteindrons l’objectif fixé, même s’il est très ambitieux, car l’enjeu est considérable pour notre influence.

Je précise que les lycées français n’accueillent pas que des enfants de compatriotes : la part moyenne des élèves de la nationalité du pays concerné est d’environ deux tiers. Ces structures d’enseignement ont évidemment pour vocation la formation des jeunes Français à l’étranger au sein du système d’éducation national, mais l’ouverture à l’extérieur est essentielle, même si elle varie d’un pays à l’autre. J’étais à Alger hier où cette question a été évoquée directement avec le nouveau Président de la République algérien, après une période pourtant un peu compliquée. Il existe une vraie demande pour le français, ce qui est enthousiasmant pour nous, à condition de pouvoir y répondre.

Vous m’avez interrogé sur les frais d’inscription dans les établissements français à l’étranger. Il faut bien faire la distinction entre le coût de la scolarité et le prélèvement effectué par l’AEFE sur les établissements homologués. Il avait été décidé en 2017 une ponction qui revenait à faire passer de 6 à 9 % le taux de prélèvement de l’AEFE sur les recettes des établissements ; j’ai souhaité la supprimer. La contribution des établissements à l’AEFE est donc revenue à 6 %. Parce que le fonctionnement de ces derniers est en grande partie lié à la contribution des parents, mais aussi du fait de l’inflation mondiale, le coût de la scolarité a augmenté d’environ 3 % au cours des trois dernières années. L’autre décision que j’ai prise a été d’allouer 25 millions d’euros supplémentaires à l’AEFE chaque année pour lui permettre d’assumer ses nouvelles fonctions de renforcement des réseaux et d’accompagnement des nouveaux apprenants du français dans les établissements. Et ce montant ne vient pas couvrir l’annulation de 33 millions d’euros en 2017, qui a été compensée en interne.

Vous m’avez interrogé sur la Francophonie, madame Buffet. Il me semble qu’elle se porte bien : le sommet d’Erevan, dernier en date, s’est déroulé dans de bonnes conditions et a vu l’augmentation du nombre de pays membres observateurs. Son cinquantième anniversaire est en préparation : il aura lieu à Tunis au mois de décembre. La nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) fait montre de beaucoup d’allant et de détermination, d’un enthousiasme appuyé dans ses différents déplacements, ce qui laisse augurer la grande réussite de cet événement. Ce sommet n’est pas uniquement celui de la langue française : il promeut aussi des valeurs, et l’OIF joue un rôle politique d’accompagnement de plusieurs pays vers la démocratie, une des valeurs au cœur du concept de Francophonie.

Nous soutenons bien entendu les Jeux de la Francophonie, une initiative portée par l’OIF, et espérons que cette manifestation très importante se déroulera dans les meilleures conditions en République démocratique du Congo (RDC), le prochain pays hôte. La RDC, qui rencontre de nombreuses difficultés et doit faire face en ce moment même à une épidémie d’Ebola, a en effet besoin de stabilité.

Quant au lycée français de Ramallah, nous lui apportons notre soutien et continuerons de le faire. Deux professeurs français expatriés y enseignent, en dépit d’une situation politique très difficile ; le Président de la République, qui se rend à Ramallah demain, aura l’occasion de s’en rendre compte, et les autorités palestiniennes ne manqueront pas de la lui faire observer.

Vous m’avez fait plusieurs propositions sur l’audiovisuel extérieur. Je ne me prononcerai pas sur celles-ci pour le moment, et laisserai le Parlement user librement de ses prérogatives et délibérer sur le sujet lorsque le projet de loi sera soumis à son examen. Sachez néanmoins que nous nous sommes battus pour que le ministère des affaires étrangères soit présent dans la nouvelle holding France Médias afin de préserver les intérêts de France Médias Monde (FMM), notamment en s’assurant de l’affectation d’une part de la redevance au fonctionnement des outils de l’audiovisuel extérieur que sont les chaînes de télévision France 24 et les radios Radio France internationale (RFI) et Monte Carlo Doualiya (MCD).

Il faut bien comprendre que l’influence par les vecteurs audiovisuels n’est pas uniquement liée à la langue. J’ai eu l’occasion, en Amérique du Sud, de regarder France 24 en espagnol. On pourrait émettre des doutes sur la pertinence de diffuser cette chaîne dans d’autres langues que le français, mais l’influence de France 24 repose aussi sur une conception propre de l’information, qu’il est très important de pouvoir produire dans les langues aujourd’hui proposées, à savoir, outre l’espagnol, l’anglais et l’arabe.

Lors de la discussion du projet de loi, vous serez amenés à vous interroger sur les moyens de garantir la pérennité des financements de France Médias Monde, ce à quoi je serai très vigilant. Je m’appuierai pour ce faire sur notre présence dans la holding, qui aura pour vertu par ailleurs d’assurer la cohérence globale de l’audiovisuel public français à l’international et d’établir des liens avec ses partenaires.

S’agissant du versement d’une subvention à l’audiovisuel extérieur par l’Agence française de développement (AFD), je n’y suis pas favorable, car ce serait une confusion des genres. En revanche, je suis prêt à examiner une contribution par projets, dès lors que ceux-ci seraient bien identifiés, par exemple sur le Sahel, un sujet lourd d’actualité. Je m’en suis déjà ouvert à Mme Marie-Christine Saragosse, la présidente du groupe France Médias Monde.

M. le président Bruno Studer. Lors du déplacement d’une délégation de la commission en Tunisie, nous avons effectivement pu constater la dynamique créée par le projet Tunisie Pilote, qui permet à des Tunisiens d’obtenir l’homologation française pour des établissements d’enseignement ouverts avec des financements tunisiens pour des élèves tunisiens.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Permettez-moi d’ajouter quelques mots sur la Tunisie car c’est un sujet important. Je m’y suis rendu régulièrement depuis que j’occupe cette fonction ministérielle. Il y a environ un an et demi, j’ai rencontré différents porteurs de projets tunisiens qui avaient pour ambition de créer une école maternelle, une école primaire, un collège, un lycée. Ils disposaient de financements, et le public intéressé était là, mais le dispositif jusqu’alors en place ne leur permettait pas de faire aboutir leur initiative. C’est désormais possible, et j’ai eu le plaisir d’inaugurer la première école de ce type il y a quelques jours.

Avant de répondre aux autres questions, je dois vous informer qu’il me faut être impérativement à treize heures à un déjeuner officiel.

M. le président Bruno Studer. J’invite donc les commissaires à poser leurs questions de la façon la plus synthétique possible. Si le ministre ne dispose pas du temps nécessaire pour y répondre, elles lui seront transmises au moyen du compte rendu écrit.

M. Yannick Kerlogot. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la politique d’influence de la France passe par la diplomatie culturelle. Celle-ci intègre-t-elle à vos yeux l’enjeu de la restitution des œuvres d’art à l’Afrique et, si oui, quel sens lui donnez-vous ? Partagez-vous l’idée qu’il s’agit d’une tardive repentance de l’ère postcoloniale, d’un droit au patrimoine pour la jeunesse africaine ?

Dans le rapport de M. Selwin Sarr et de Mme Bénédicte Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain remis au Président de la République en novembre 2018, il est rappelé que la quasi-totalité du patrimoine matériel des pays d’Afrique situés au sud du Sahara se trouve hors du continent africain. En conclusion de leur travail, les auteurs appellent de leurs vœux une réparation, un rééquilibrage de la géographie culturelle, un nouveau départ fondé sur une autre éthique relationnelle.

Pensez-vous que ces restitutions intéressent d’une manière générale les populations d’Afrique noire ? Je conclurai sur l’exemple du Bénin, qui ne peut pas accueillir les vingt-six œuvres d’art restituées par la France avant un délai de deux ans nécessaire à la construction du musée d’Abomey. La population ne voit d’ailleurs pas forcément d’un bon œil ces restitutions, qui posent des problèmes politiques.

M. Maxime Minot. Monsieur le ministre, vous voulez faire de l’enseignement du français à l’étranger un instrument stratégique de notre diplomatie d’influence, et je ne peux que partager cet objectif. Le Gouvernement a présenté en octobre dernier un plan ambitieux pour répondre à l’engagement présidentiel de doubler d’ici 2030 le nombre d’élèves accueillis dans le réseau d’enseignement français. Ma question porte sur le recours aux contrats de droit local pour les enseignants, qui sont sans doute moins lourds pour le budget de l’État que les détachements. Pouvez-vous nous assurer qu’ils sont néanmoins aussi protecteurs ? Il y va en effet de l’attractivité des postes d’enseignants.

M. Philippe Berta. Le rayonnement universitaire scientifique international est au cœur de la diplomatie culturelle et d’influence de la France. Quelles sont vos priorités stratégiques dans ce domaine, monsieur le ministre ? Vous le savez, nous travaillons sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Pensez-vous pouvoir utiliser ce véhicule législatif pour renforcer la diplomatie universitaire et scientifique de la France ?

Enfin, vous n’êtes pas sans connaître la situation de nos collègues retenus prisonniers en Iran, à qui j’apporte mon soutien : Fariba Adelkhah, qui reste emprisonnée alors que les accusations d’espionnage dont elle faisait l’objet ont été levées après qu’elle a entamé une grève de la faim, et Roland Marchal. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Mme Agnès Thill. Monsieur le ministre, comment comptez-vous orienter la France dans la bataille culturelle, peut-être en lien avec le ministère de la culture et le monde du cinéma, afin que rayonne aux yeux du monde son image d’un pays riche d’une grande histoire et d’un avenir prometteur ?

France Télévisions, M6 et TF1 se sont alliés dans un projet de Netflix à la française baptisé Salto. Pouvez-vous nous assurer que cette structure aura notamment pour rôle de promouvoir l’image de la France à l’international ? La nouvelle plateforme ne pèse que 50 millions d’euros, alors qu’une entreprise comme Netflix investit de 5 à 8 milliards de dollars par an dans la création de contenus. Comment la France peut-elle être compétitive dans ce champ de la bataille culturelle avec une telle asymétrie dans les moyens engagés ?

Mme Florence Provendier. Depuis quelques années, nous assistons à une prise de conscience grandissante de la valeur économique, sociale et identitaire des industries créatives et culturelles dans l’Union européenne. On comprend mieux ce phénomène lorsque l’on sait que les ICC représentent 4,2 % du PIB européen. Leur croissance est dynamisée par les industries françaises, qui rivalisent dans de nombreux domaines avec les puissantes firmes américaines.

Si les ICC sont étroitement liées à l’Union européenne sur le plan économique, elles le sont aussi sur le plan légal. En effet, le cadre légal est en grande partie fixé par Bruxelles, à l’image des directives sur le droit d’auteur et sur les services de médias audiovisuels (SMA). Je sais quel a été votre engagement, celui de la France sur ces deux textes pour défendre notre exception culturelle. Toutefois, à la veille de l’examen d’une réforme cruciale pour l’audiovisuel à l’heure du numérique, des obstacles demeurent pour faire vivre pleinement notre ambition, notamment sur le statut des plateformes et leur participation équitable à l’effort fiscal. Pourrions-nous avoir votre éclairage, monsieur le ministre ?

Mme Constance Le Grip. Monsieur le ministre, nous prenons acte des précisions que vous nous avez apportées sur la sanctuarisation des crédits budgétaires du programme 185, en particulier concernant l’Institut français et les Alliances françaises. Nous resterons vigilants à l’avenir pour nous assurer qu’on ne s’en tient pas simplement à gérer la pénurie, mais qu’on se donne réellement la capacité de mettre en cohérence notre discours très ambitieux, très volontariste et nos moyens pour combler le décalage.

Vous avez rapidement évoqué le fonds de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH). La France agit à Mossoul pour le patrimoine irakien, l’université, la bibliothèque. À votre connaissance, d’autres projets sont-ils en cours de réalisation ou d’instruction par cette fondation dont la France a été à l’initiative aux côtés des Émirats arabes unis ?

M. Cédric Roussel. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur la nécessité de concevoir une diplomatie sportive au service de l’attractivité de notre pays. L’économie du sport représenterait aujourd’hui près de 2 % du PIB mondial. Le secteur sportif génère 1,8 % du PIB en France ; il représente environ 275 000 emplois et un chiffre d’affaires de 37 milliards d’euros. Ces chiffres le montrent : alors qu’il a été longtemps ignoré ou sous‑estimé, le sport est un véritable levier du rayonnement économique et de l’attractivité de la France, et devrait à mon sens être davantage considéré comme un véritable outil de politique extérieure. La Russie, notamment avec les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014, a voulu démontrer sa grandeur en rappelant le visage de la grande Russie. Le Qatar a quant à lui fait du sport l’un des piliers de sa stratégie nationale, Qatar national vision 2030.

En prévision des Jeux olympiques de Paris 2024, je souhaiterais donc savoir quelles sont les orientations prévues dans le cadre de la diplomatie culturelle et d’influence de notre pays concernant le sport.

M. Sébastien Nadot. Je vous remercie de votre présence devant notre commission, monsieur le ministre, car les liens entre diplomatie, culture et éducation sont très importants.

Vous avez évoqué tout à l’heure la situation de l’audiovisuel, et nous aurons bientôt à statuer sur les prochaines transformations de ce secteur. France 24 émet effectivement dans quatre langues différentes et constitue à ce titre un outil exceptionnel de diplomatie culturelle. La chaîne est aujourd’hui très dynamique, puisqu’en 2019, elle a comptabilisé plus d’un milliard de vidéos vues sur internet, avec un temps moyen de visionnage de plus de cinq minutes, ce qui donne une idée de la qualité des programmes diffusés. Ces résultats sont à mettre au crédit de l’approche éditoriale de la chaîne : un certain regard porté sur le monde, le temps laissé à l’analyse. Dans le cadre de la réforme à venir, France 4 est appelée à disparaître, ce qui libère un canal prépondérant en termes d’audience. Quel est votre avis sur un éventuel passage de France 24 sur le canal 14 de la TNT ?

M. Stéphane Testé. Aujourd’hui, un élève étranger qui a réalisé tout ou partie de sa scolarité dans un établissement français à l’étranger et qui justifie d’un baccalauréat français ne reçoit pas un traitement identique aux étudiants français ou européens quand il choisit de poursuivre ses études supérieures en France. Cette situation n’incite pas les étrangers à intégrer nos établissements français de l’étranger. Quelle solution peut-on donc envisager afin que tous les élèves ayant étudié dans un établissement français puissent bénéficier du même traitement dans la poursuite des études supérieures en France, quelle que soit leur nationalité ?

M. Jean-Jacques Gaultier. J’aimerais revenir sur la Tunisie, qui poursuit sa transition démocratique et qui accueillera fin 2020 le sommet de la Francophonie. La langue française est encore assez parlée à Tunis mais elle l’est de moins en moins à mesure qu’on se déplace vers le sud du pays. Entrent en jeu l’arabisation de l’enseignement et les efforts importants des Anglais pour promouvoir la langue anglaise. Plusieurs ministres que nous avons rencontrés avec le président Studer nous ont fait part de leur crainte de voir le français disparaître à l’horizon de dix ans si rien n’est fait. Pourtant le français est obligatoire dans les écoles primaires, et même un an plus tôt que par le passé. Il est également obligatoire à l’université mais on nous a signalé un niveau insuffisant des enseignants tunisiens en français.

Même si nous nous sommes fixé l’objectif de doubler le nombre d’élèves dans nos établissements français, et que nous parvenons à 20 000 élèves, ce qui serait très bien, il faut mettre ce chiffre en regard des 2 millions de petits Tunisiens pour lesquels le français est obligatoire mais enseigné par des professeurs dont le niveau est insuffisant. Comment relever ce défi ?

Mme Sandrine Mörch. La culture est l’une des armes de prévention du terrorisme : c’est la conclusion très claire à laquelle nous avons abouti, Michèle Victory et moi-même, à l’issue de notre mission flash sur la prévention de la radicalisation à l’école. Pour porter leurs fruits, les réponses sécuritaires doivent impérativement être étayées d’activités de prévention dans l’éducation et la culture. À défaut, elles peuvent s’avérer totalement contre-productives.

Le potentiel antiterroriste de la culture tient à ce qu’elle permet de nouer des liens, d’exercer une influence certaine sur le plan spirituel. La culture peut endiguer l’intolérance et déstabiliser la haine, car elle provoque le choc des pensées et le contre-argument, tout en étant associée au plaisir. C’est donc une arme de destruction massive de l’obscurantisme, mais encore faut-il le reconnaître officiellement, lui redonner ses lettres de noblesse et lui allouer des moyens jusque dans les plus petits interstices géographiques où elle sait si bien se glisser, par exemple une association de quartier talentueuse, à la fois en France et à l’étranger.

Quand elle était à la tête du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), Muriel Domenach s’est appuyée sur des acteurs et metteurs en scène hors pair, plus efficaces les uns et que les autres, pour agir dans les collèges et dans les lycées. Comment convaincre tous les ministères de l’importance cruciale de la culture ?

Mme Elsa Faucillon. Nous débattons ici de l’action culturelle de la France à l’étranger, et chacun conviendra que cette dernière doit être liée à l’action diplomatique dans son ensemble, notamment en matière d’influence, pour défendre et promouvoir les droits fondamentaux et les valeurs démocratiques.

Je me permets donc de vous interroger sur la situation inquiétante d’une enseignante française qui travaille en Égypte dans un lycée français géré par la Mission laïque française, Céline Lebrun. Ses droits consulaires ont été bafoués par les autorités égyptiennes après l’arrestation de son mari Ramy Shaath, lequel est emprisonné depuis 200 jours. Beaucoup d’autres défenseurs des droits humains qui ont été des acteurs de la révolution égyptienne en 2011 sont détenus dans des conditions absolument catastrophiques. Quelles initiatives diplomatiques peuvent être prises pour assister la citoyenne française Céline Lebrun ainsi que les détenus d’opinion en Égypte ?

Mme Danièle Hérin. Les initiatives dans l’enseignement supérieur en Afrique sont un atout majeur de la diplomatie d’influence. Développer à côté des campus d’enseignement supérieur des espaces d’innovation pour les start-up serait un moyen de renforcer cette diplomatie et de développer par complémentarité notre influence économique. Est-il prévu dans la politique d’influence de faire jouer les synergies entre nouvelle économie et enseignement supérieur ?

Mme Danièle Cazarian. Monsieur le ministre, le 13 janvier dernier, M. Riester et vous-même réunissiez le quatrième conseil d’orientation stratégique de l’Institut français. L’objectif était de fixer les grandes orientations du projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Institut pour la période 2020-2022. Parmi les pistes avancées par ce conseil stratégique, on retrouve la diffusion de la langue française dans le cadre de la mise en œuvre du plan pour la promotion de la langue française et du plurilinguisme présenté par le Président de la République en mars 2018. Pouvez-vous nous préciser les nouvelles stratégies retenues lors de cette rencontre commune avec le ministre de la Culture, notamment sur la promotion et le rayonnement de la langue française dans le cadre du plan de 2018 ?

Mme Béatrice Piron. Monsieur le ministre, j’ai bien noté votre engagement pour assurer la présence de votre ministère dans la gouvernance de France Médias ; en tant que corapporteure du projet de loi qui encadrera la réforme de l’audiovisuel public, j’y serai vigilante. Vous avez évoqué votre souhait de veiller au maintien du budget de France Médias Monde. Chez nos voisins britanniques, le ministère des affaires étrangères verse une partie de l’aide publique au développement à BBC World. Pouvez-vous nous confirmer que des subventions de cette nature sont susceptibles d’être versées pour des projets ciblés de France Médias Monde ?

M. le président Bruno Studer. Monsieur le ministre, nous avons fait le choix de maintenir cette audition, en dépit de sa durée très courte, car il a été difficile de convenir d’une date compte tenu de votre agenda. Pourriez-vous vous engager à revenir rapidement devant notre commission afin de répondre à toutes les questions qui ont été posées ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Sachez que je suis très heureux d’avoir pu participer à cette réunion. Elle devait initialement se tenir plus longuement hier, mais j’ai dû me rendre en Algérie pour rencontrer le nouveau Président de la République algérienne. Je suis prêt à revenir devant vous pour répondre aux questions, car beaucoup de sujets passionnants ont été abordés, et je ne pourrai leur accorder le temps nécessaire.

Je répondrai sur quelques points qui peuvent être traités rapidement dans les minutes qui me restent.

L’ALIPH est parvenue à soulever 80 millions de dollars de fonds, et la France y contribue à hauteur de 30 millions. Les 42 projets identifiés sont donc situés dans toutes les zones où des conflits ont entamé ou détruit des éléments de patrimoine, notamment en Irak, au Yémen, en Afghanistan, au Mali. Les premiers projets concernent Mossoul, ce qui est symboliquement très fort, et porteront à la fois sur une mosquée et sur une église chrétienne, si mes souvenirs sont bons. Cette action est vouée à se poursuivre sur le long terme, en partenariat avec les Émirats arabes unis, qui en sont des contributeurs significatifs.

Monsieur Minot, si nous voulons réussir le pari d’atteindre le chiffre de 700 000 apprenants – et nous en avons déjà gagné 20 000 depuis que le Président de la République a pris cet engagement, il est impératif que nous recrutions des enseignants locaux, à condition qu’ils soient formés. C’est toute l’importance des outils de formation que nous allons mettre en place sous le contrôle de l’AEFE. Il est également essentiel que ce soit l’Agence qui homologue les établissements : pour qu’une école française soit ouverte, il faut que la qualité de l’encadrement et des enseignants soit reconnue. Les parents ne scolariseraient pas leurs enfants dans un établissement qui ne serait pas labellisé. Dans certains pays, la procédure commence à être rodée, et la Tunisie en est l’illustration, mais il faut poursuivre nos efforts.

Sur l’audiovisuel, notamment Salto et France 24, je répondrais de manière complète à une autre occasion.

S’agissant de la restitution des œuvres d’art, elle a déjà commencé. Je me trouvais voilà quelques jours avec le Premier ministre à Dakar, où nous avons remis le sabre d’El Hadj Oumar Tall aux autorités sénégalaises.

Vous m’avez interrogé sur les vingt-six œuvres d’art qui attendent d’être restituées au Bénin, monsieur Kerlogot. Le Président de la République s’est engagé à une politique patrimoniale de restitution des biens culturels non pas par repentance, mais par coopération. Une première difficulté est d’ordre juridique : un acte législatif, un accord de coopération culturelle ad hoc serait nécessaire pour chaque œuvre restituée, dans un cadre législatif modifié. Nous allons donc engager cette procédure. L’autre difficulté est de s’assurer de la coopération du pays demandeur pour que les objets concernés soient visibles dans un cadre muséal et culturel, ce qui pose problème pour le Bénin. Nous travaillons avec l’AFD à financer la construction d’un musée dans le nord de ce pays pour accueillir les œuvres d’art restituées.

Quant à la restitution des restes humains identifiés, qui sont généralement conservés au Museum national d’histoire naturelle, nous sommes en train d’élaborer avec le ministère de la culture un dispositif législatif pour la rendre possible ; ceci concernerait non seulement l’Algérie, mais aussi l’Australie et l’Argentine. Il appartiendra évidemment à la représentation nationale de légiférer pour toute restitution vers le pays d’origine. Nous en avons d’ailleurs discuté hier avec les Algériens, et un tel accord devrait normalement faire prochainement l’objet d’un texte de loi.

Je m’en tiendrai là, mais je m’engage à revenir devant vous pour répondre à l’ensemble des questions posées. Le problème, vous l’aurez compris, est que mon agenda est aléatoire.

M. le président Bruno Studer. Nos secrétariats respectifs se chargeront de trouver le moment idoine, monsieur le ministre. Je vous remercie d’être venu.

 

La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 22 janvier à 11 heures 30

Présents. Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Stéphanie Atger, Mme Géraldine Bannier, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Philippe Berta, M. Bruno Bilde, M. Pascal Bois, M. Ian Boucard, M. Pierre-Yves Bournazel, Mme Anne Brugnera, Mme Marie-George Buffet, Mme Céline Calvez, M. Michel Castellani, Mme Danièle Cazarian, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Elsa Faucillon, M. Alexandre Freschi, M. Bruno Fuchs, M. Laurent Garcia, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Florence Granjus, M. Pierre Henriet, Mme Danièle Hérin, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Michel Larive, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, M. Paul Molac, Mme Sandrine Mörch, M. Sébastien Nadot, M. Guillaume Peltier, Mme Bénédicte Pételle, Mme Maud Petit, Mme Béatrice Piron, M. Éric Poulliat, Mme Florence Provendier, M. Pierre-Alain Raphan, M. Frédéric Reiss, Mme Muriel Ressiguier, Mme Cécile Rilhac, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Agnès Thill, Mme Michèle Victory, M. Cédric Villani

Excusés.  M. Bertrand Bouyx, M. Bernard Brochand, Mme Sylvie Charrière, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, Mme Cécile Muschotti, Mme Cathy Racon-Bouzon, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Patrick Vignal