Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition de M. Cédric Dugardin, président-directeur général de Presstalis 2

– Informations relatives à la Commission....................11

 


Mercredi
10 juin 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


–  1  –

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Mercredi 10 juin 2020

La séance est ouverte à onze heures.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

————

La commission procède à l’audition, en visioconférence, de M. Cédric Dugardin, présidentdirecteur général de Presstalis.

M. le président Bruno Studer. Je souhaite la bienvenue à M. Cédric Dugardin, président-directeur général de Presstalis. Je vous remercie d’avoir répondu rapidement à notre demande d’audition.

La crise sanitaire et les mesures de confinement ont été fatales à une société aussi fragile depuis longtemps. Presstalis s’est déclarée en cessation de paiement le 20 avril auprès du tribunal de commerce de Paris. Les éditeurs actionnaires ne sont pas parvenus à s’entendre sur une reprise commune et seuls les quotidiens se sont engagés sur un plan de sauvetage pour la seule activité de niveau 1, avec une réduction significative des effectifs. Le tribunal de commerce a placé Presstalis en redressement judiciaire avec poursuite d’activité et décidé d’une période d’observation de deux mois. Il a liquidé ses deux filiales de niveau 2, la SAD et la Soprocom.

La distribution des quotidiens et magazines est depuis très fortement perturbée du fait d’actions de blocage décidées par les salariés des filiales. Toute la filière se trouve aujourd’hui dans une situation critique, suscitant notre inquiétude.

L’État avait déjà soutenu Presstalis à hauteur de 33 millions d’euros pendant le confinement et un nouveau prêt de 35 millions d’euros lui a été octroyé le 13 mai. Un énième apport d’argent public ne suffira pas à sortir la société d’une situation de crise depuis longtemps structurelle.

Votre audition doit nous permettre de prendre connaissance des détails du plan de sauvetage proposé et de la situation actuelle. Un accord avec les magazines est-il encore possible ? Quel est l’avenir des filières régionales sans Presstalis ? Que répondre aux inquiétudes des diffuseurs de presse ?

M. Cédric Dugardin, président-directeur général de Presstalis. J’ai été nommé en février à la présidence de Presstalis en remplacement de M. Dominique Bernard, démissionnaire. Il s’agissait d’élaborer avec les actionnaires, les pouvoirs publics et les organisations syndicales une solution garantissant la continuité de la distribution de la presse quotidienne et magazine en France.

Presstalis évolue au sein d’un marché structurellement déficitaire, perdant 8 à 10 % chaque année. Les tentatives successives de retournement ne lui ont pas permis de renouer avec la profitabilité. Presstalis s’est trouvé face à une impasse de trésorerie de près de 40 millions d’euros.

Depuis mon arrivée, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les services de l’État pour limiter les conséquences sociales d’une restructuration et proposer un schéma satisfaisant pour les quotidiens et magazines, sur la base du principe de solidarité de filière. Près de dix plans de reprise ont été proposés, mais aucun n’a reçu l’assentiment de tous les éditeurs. Les difficultés de ces discussions sont liées aux différences d’appréciation des besoins de distribution et à la défiance qui peut exister entre les actionnaires. Certains ont manifesté la volonté de s’extraire de toute solidarité de filière, voire ont soutenu un plan proposé par un concurrent. Ces désaccords nous ont fait perdre du temps et la situation de trésorerie de l’entreprise a continué à se détériorer.

La crise sanitaire est ensuite intervenue. Au plus fort de la crise, le nombre de points de vente fermés représentait 19 % du chiffre d’affaires de Presstalis. La baisse des « fournis » a atteint près de 66 % pour certains trimestriels. Presstalis a maintenu son activité grâce au soutien financier de l’État.

À la veille d’une audience déterminante au tribunal de commerce, la coopérative des quotidiens, représentant 27 % de l’actionnariat de Presstalis, a proposé un plan de reprise reposant sur un volume d’affaires limité aux seuls groupes de presse quotidienne et quelques groupes de magazines. Cette offre repose sur un périmètre d’activité largement inférieur à l’existant. Le plan de restructuration est donc socialement plus lourd que prévu.

J’ai dû demander au tribunal un redressement judiciaire pour la société Presstalis et cinq de ses filiales et une liquidation judiciaire sans poursuite d’activité pour les sociétés SAD et Soprocom, dépositaires en région dits de niveau 2, pour lesquels nous n’avions ni offre de reprise ni capacité à financer une éventuelle période d’observation.

L’impact social est très lourd : 515 personnes pour les sociétés SAD et Soprocom et 130 personnes pour Presstalis, soit 645 départs sur 917 salariés. Je regrette l’absence d’accord avec les magazines qui aurait permis de limiter les conséquences sociales de la restructuration.

Pour assurer la distribution de la presse, nous avons mis en place une régie mobilisant des dépositaires indépendants et des prestataires logistiques en contrat avec Presstalis. Elle a démarré le 21 mai pour les magazines et le 25 mai pour les quotidiens. Cette solution est temporaire, en attendant la création de la nouvelle messagerie.

Ce plan fonctionne sur la quasi-totalité des territoires, sauf Lyon, Marseille et Toulon où des mouvements sociaux violents empêchent la distribution. La Corse, desservie par Marseille, est également touchée. Le plan permet de desservir 90 % des points de vente dans des conditions normales ou quasi-normales. Sur les 23 000 diffuseurs de presse en France métropolitaine, seuls mille ne reçoivent ni quotidiens ni publications. Nous recherchons activement des solutions.

L’offre de la coopérative des quotidiens prévoit la création d’une nouvelle messagerie qui conservera l’exclusivité de la distribution des quotidiens et qui restera ouverte aux magazines. Plusieurs grands éditeurs ont d’ores et déjà confirmé qu’ils la rejoindraient. Cette offre repose également sur un mécanisme innovant de sécurisation des créances des éditeurs. Elle prévoit une enveloppe de 38 millions d’euros pour l’accompagnement des salariés touchés par le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Le tribunal examinera les offres de reprises de Presstalis dans les jours qui viennent. Nous espérons que la nouvelle structure sera opérationnelle au plus tard début juillet. Plus agile, apurée des dettes du passé, cette structure sera aussi plus transparente pour les éditeurs et pour les pouvoirs publics.

La disparition de Presstalis aurait été catastrophique, car toute la distribution de la presse en France aurait été arrêtée. Le plan déployé est complexe, coûteux et douloureux, mais indispensable. Il garantit la distribution de la presse en France et restructure Presstalis d’une manière jamais faite auparavant. Il permet d’envisager l’avenir et d’inscrire la messagerie dans la réflexion sur la restructuration de la filière avec tous les acteurs, en attendant l’ouverture à la concurrence en 2023.

M. Éric Poulliat. L’histoire de Presstalis s’apparente à une longue descente aux enfers. Quelles garanties en matière d’organisation, de rationalisation et même d’éthique pouvez-vous donner aux pouvoirs publics et aux diffuseurs sur la gestion future de Presstalis ? Comment lutter contre la défiance vis-à-vis de Presstalis et contre son incapacité structurelle à s’organiser efficacement ? Pouvez-vous nous rassurer sur l’avenir des 60 salariés de la SAD de Bordeaux ?

Mme Virginie Duby-Muller. L’État a fortement soutenu Presstalis depuis plusieurs années. Quel est votre plan pour résorber vos fonds propres négatifs ? Pouvez-vous associer étroitement le Gouvernement et les parlementaires de cette commission en présentant notamment des garanties de gestion ?

Les deux filiales de niveau 2 comptent près de 515 salariés sur une quinzaine de sites. Quel plan avez-vous mis en place avec ces salariés ? Quel accompagnement des redéploiements sur d’autres zones de distribution ? Comment limiter l’hémorragie dans les territoires ?

Pouvez-vous en dire plus sur vos discussions avec les magazines ?

M. Laurent Garcia. Je m’associe aux questions qui viennent d’être posées. Quel est votre plan pour l’emploi, les salariés et Presstalis au sens large ?

Mme Michèle Victory. La mise en redressement de la société n’a pas été une surprise. Il est urgent de trouver une solution pour les 900 salariés de Presstalis et les 80 000 emplois indirects affectés. Plus de 6 500 marchands de presse sont aujourd’hui dans une situation économique fragile, alors qu’ils ont été pendant la crise plus qu’un simple commerce : un lieu d’échange.

Vous avez présenté une hypothèse permettant de retrouver un fonctionnement pérenne, mais une autre avait été mise sur la table, proposant une structure unique de distribution.

Que pensez-vous de la tenue d’États généraux de la distribution de la presse qui réuniraient tous les acteurs de la filière et pourraient rétablir la confiance dont ils ont besoin ?

Mme Béatrice Descamps. Lors des questions d’actualité au Gouvernement, le 29 avril, le ministre de la Culture, interrogé sur la distribution de la presse, a rappelé l’importance des droits voisins dans le renouvellement de son modèle économique.

Quel dispositif à court terme et stratégie à long terme pensez-vous pouvoir mettre en place pour lever l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la messagerie de presse ? Êtes‑vous prêts à voir arriver de nouveaux acteurs dans le secteur ?

M. Michel Larive. La distribution de la presse n’a pas été empêchée par les mouvements sociaux, mais par le licenciement des personnes qui l’assuraient.

Dans une interview au Monde, vous avez appelé l’État à montrer la voie. Or, la dernière initiative de l’État en la matière a été d’affaiblir la loi Bichet, d’organiser l’ouverture du marché et la mise en concurrence des coopératives de distribution de presse.

Face à l’urgence de reprendre la distribution de la presse, nous proposons que les salariés qui veulent créer une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) puissent reprendre l’activité et la sauver. Y êtes-vous favorable ?

Mme Albane Gaillot. Le confinement pourrait marquer la victoire du numérique sur le papier. Comment envisagez-vous la reconstruction de cette nouvelle messagerie et son intégration dans un monde numérique ?

M. Pierre-Yves Bournazel. La préservation de notre système de distribution de la presse doit intégrer la revalorisation du travail des vendeurs de presse, le renforcement de l’accès du public à la presse et une réflexion sur la réutilisation des invendus, pour minimiser leur impact écologique. Quelles sont vos mesures à ce sujet ?

Mme Elsa Faucillon. Portez-vous dans vos discussions avec l’État la proposition d’une SCIC pour la gestion de niveau 2, avancée par les salariés et leurs organisations ?

M. Cédric Dugardin. Arrivé en février, je ne porterai aucun jugement sur la gouvernance passée. Le plan de restructuration mis en place est drastique, avec une refonte complète de l’organisation et de la manière d’envisager le marché. Sans Presstalis, pas de quotidien et quasiment pas de « flux chauds ». Presstalis est le seul à pouvoir le faire. Il a laissé croître dans son ombre un concurrent qui a prospéré sur des flux froids, sur des barèmes différents, alors que Presstalis portait l’essentiel des coûts.

Pour l’avenir, le plan de restructuration est recentré sur les flux chauds : quotidiens, magazines d’actualité comme Le Canard enchaîné et Paris Match. Notre stratégie de court terme est de créer une nouvelle messagerie sur des bases saines, avec des barèmes définis avec l’Autorité de régulation des communications, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). À moyen terme, l’ouverture à la concurrence en 2023 et la baisse tendancielle et chronique du volume de papier mettent la filière en difficulté. Nous sommes favorables à un adossement de Presstalis à un acteur de la logistique ou de la distribution pour pérenniser le système.

La presse écrite s’est plutôt bien portée pendant le confinement : les quotidiens, en dehors de l’Équipe et de la presse hippique, ont plutôt eu des volumes stables, voire en augmentation.

Notre objectif est de sécuriser les flux financiers pour les éditeurs, afin d’éviter un nouveau naufrage. Ce redressement judiciaire, avec la création d’une nouvelle entité, permettra d’apurer le passif de Presstalis, qui repartira sur des bases saines.

Nous avons demandé la liquidation sans période d’observation ni poursuite d’activité pour les sociétés SAD et Soprocom en l’absence d’accord entre la coopérative des quotidiens et celle des magazines. Une poursuite d’activité aurait entraîné un coût de 20 millions d’euros. 515 salariés sont concernés par cette liquidation. La coopérative des quotidiens inclut dans son offre une enveloppe de bonification des enveloppes de garantie des salaires (AGS) de 38 millions d’euros, dont la moitié pour le niveau 1 et l’autre pour le niveau 2. Nous avons commencé les discussions avec des dépositaires indépendants ou des logisticiens en région intéressés par la reprise des activités de dépositaire. Nous privilégierons les candidatures permettant de reprendre le plus grand nombre de salariés. Les lettres d’intention font état de plus d’une centaine de postes ouverts ; nous espérons parvenir à 120 ou 130.

Nous ne sommes pas opposés à la SCIC proposée par les salariés de Lyon et Marseille. Les discussions sont en cours entre les organisations syndicales et la coopérative des quotidiens et les Messageries lyonnaises de presse (MLP). Si un accord est trouvé, nous serions disposés à confier le mandat de dépositaire de Lyon et celui de Marseille à ces entités, sous réserve que les conditions soient acceptables.

La situation de la régie n’est pas satisfaisante. Sur les 10 000 points de vente précédemment livrés, 1 116 ne sont pas livrés à Lyon et Marseille et 1 000 à 1 200 le sont partiellement, en fonction des blocages. La Corse n’est pas livrée en quotidiens depuis près de deux mois.

L’important est de trouver un maximum de repreneurs pour les ex-salariés de la SAD et et de la Soprocom. Pour le niveau 1, nous recourons essentiellement à des mesures d’âges et des départs volontaires, avec très peu de licenciements contraints.

Mme Aurore Bergé. Je m’étonne que vous reprochiez aux magazines d’avoir fait un choix de liberté.

Pouvez-vous garantir que les nouveaux fonds attribués par l’État seront bien dirigés vers les restructurations et qu’ils ne financeront pas de nouvelles pertes d’exploitation ? Les créances dues aux médias leur seront-elles payées ?

M. Cédric Dugardin. Je ne conteste pas le choix de liberté de certains éditeurs mais leur volonté de ne pas assumer leurs responsabilités passées. Il s’agit là de grands groupes de presse et non de petits éditeurs indépendants.

Le financement promis par l’État portera sur les aspects sociaux de la restructuration et le démarrage de la nouvelle structure.

Les créances des éditeurs s’élevaient à 118 millions d’euros à fin avril. Compte tenu de la liquidation, elles sont totalement perdues.

M. Jean-Jacques Gaultier. Les marchands de presse espéraient avec la réforme de la loi Bichet une amélioration dans la gestion des approvisionnements et des invendus, mais la situation a même empiré. Il s’y ajoute des difficultés de financement et de remboursement : Presstalis doit l’argent des invendus.

Quel avenir pour Presstalis et les éditeurs après le 15 juillet ? Quelles aides spécifiques pour les marchands de presse qui risquent de disparaître ?

M. Cédric Dugardin. Certaines zones sont sous contrainte en matière d’approvisionnement. Beaucoup d’éditeurs ont réduit les quantités mises à disposition du réseau, compliquant énormément le réglage, c’est-à-dire l’allocation des titres point de vente par point de vente.

Nous avons décalé plusieurs fois les paiements de décade pour permettre aux diffuseurs de faire face à leurs échéances. La gestion des invendus est extrêmement compliquée en période de confinement, puisqu’il faut remonter le papier, d’autant que le cours du vieux papier est actuellement négatif.

Mme Sophie Mette. Une mutualisation des divers réseaux de distribution est-elle envisageable ? Peut-on penser une distribution plus écologique de la presse ?

M. Cédric Dugardin. La mutualisation des réseaux, avec la Poste ou le portage des abonnements par exemple, permettrait de réaliser de grandes économies. Nous y travaillons.

Une distribution plus écologique serait évidemment souhaitable, mais nous avons des contraintes extrêmement lourdes de transport.

Mme Sophie Tolmont. Les éditeurs indépendants ont subi tous les aléas liés à la gestion déficiente de Presstalis alors qu’ils n’y ont jamais été associés, avec des variations de barèmes toujours plus lourdes et des retards de paiement allant jusqu’à 180 jours pour les trimestriels. Si leurs recettes ne leur sont pas versées, nombre de titres risquent de disparaître à court ou moyen terme. L’enjeu n’est pas seulement sectoriel, mais démocratique. Où en sont vos échanges avec l’État concernant le paiement de ces créances ?

M. Cédric Dugardin. En 2019, 229 éditeurs représentaient moins de 5 millions d’euros de ventes « montant fort » pour l’année sur un total de 120 millions d’euros. Ils n’ont pas participé à la gouvernance de Presstalis et beaucoup ont été un soutien dans cette crise. En concertation avec eux, nous avons proposé aux pouvoirs publics un schéma pour les indemniser en tout ou partie. Ces discussions sont en cours avec Bercy et la rue de Valois. Nous les suivons de loin et soutenons leur démarche.

Le délai de 180 jours de paiement est logique pour un trimestriel, puisqu’il n’est payé que lorsque tous les exemplaires sont remontés. Inversement, les éditeurs reçoivent une avance allant jusqu’à 70 % des ventes estimées lorsqu’ils mettent en vente une parution.

Mme Céline Calvez. Quelles leçons retenez-vous de l’évolution des usages des médias par les Français pendant la crise ? Ceux qui continuent à consulter et acheter les versions papier ont exprimé une envie de local et de solutions à portée de main. Sachant que la Corse, faute d’avion, n’a plus de titres de presse quotidienne nationale, ne faudrait-il pas que les éditeurs s’engagent dans l’impression de proximité ?

M. Cédric Dugardin. La situation corse est assez dramatique : aucune solution ne permet de livrer la presse nationale le jour J, seulement à J+1. Je vous suis favorable à la création de circuits courts, qui nécessiteraient des modes d’impression différents, plus numériques.

Je ne suis pas du tout convaincu de la disparition de la presse papier. Les marchands de presse ont été pendant le confinement un point de vente de proximité très important, notamment à Paris.

Mme Emmanuelle Antoine. Vous affirmez dans Le Monde : « Aujourd’hui, certains souhaitent la disparition de Presstalis afin de ne pas assumer le passif social qu’ils ont contribué à créer. Je les soupçonne de jouer la montre et de pousser à la liquidation. » La situation actuelle est-elle le résultat d’un système schizophrène où les clients de Presstalis en étaient en même temps les administrateurs ?

M. Cédric Dugardin. Les systèmes où les clients sont les actionnaires sont très compliqués à gérer, surtout dans la presse. Je ne renie pas mes propos dans Le Monde. Grâce à des éditeurs courageux, nous sommes capables de mettre en place une solution alternative et dégradée. Si certains grands éditeurs de presse avaient joué le jeu, nous n’aurions pas perdu trois mois en discussions vaines et infructueuses.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Dans votre futur modèle, la préoccupation écologique passera-t-elle aussi par une réduction du nombre d’invendus ?

M. Cédric Dugardin. Les invendus sont d’abord liés aux difficultés de réglage auprès des 23 000 points de vente, sachant qu’ils augmentent avec la durée de parution. Ensuite, la publicité est souvent calculée sur le nombre de titres imprimés ou diffusés et encourage donc à l’impression. Le recyclage du vieux papier est important, mais nous avons été heurtés de plein fouet par la chute du cours. Le coût de traitement et de ramassage devient prohibitif. Nous sommes donc partisans de la réduction du volume d’invendus.

Mme Muriel Ressiguier. Quelles solutions envisagez-vous pour l’avenir de votre groupe ? Quel doit être selon vous le rôle de l’État ?

M. Cédric Dugardin. L’État a un rôle clef dans la restructuration de Presstalis, mais aussi dans la réorganisation de la filière, qui compte aujourd’hui trop d’imprimeries, de dépôts et doit rendre ses flux plus efficaces. Un Presstalis restructuré et réorganisé permettra d’y réfléchir.

M. François Cormier-Bouligeon. Quelles mesures préconisez-vous pour contrer les problèmes d’approvisionnement persistants, qui nuisent aux diffuseurs de presse et à la population de nos départements hors Île-de-France ? Comment pourrait fonctionner la future messagerie qui succéderait à la régie ?

M. Cédric Dugardin. Les problèmes d’approvisionnement sont dus à trois facteurs. D’abord, certains éditeurs ont réduit leurs « fournis » depuis le début de la crise de Presstalis, probablement pour anticiper le redressement judiciaire. La crise sanitaire y a également poussé les éditeurs, diminuant de fait les invendus mais créant parfois des ruptures. Enfin, il s’agit de problèmes de réglage. La plupart sont temporaires et nous espérons revenir à la normale dès la mise en place de la nouvelle messagerie.

Mme Marie-George Buffet. Avez-vous déjà des contacts avec des opérateurs comme La Poste et Géodis ? Avez-vous un projet précis en la matière ?

M. Cédric Dugardin. Mes prédécesseurs avaient déjà pris des contacts avec La Poste et Géodis. Notre intention aujourd’hui est de reprendre ces discussions. Le nouveau Presstalis, allégé et restructuré, devrait faire moins peur à ces acteurs.

Mme Valérie Bazin-Malgras. Les difficultés actuelles ne tiennent-elles pas à l’absence de prise en compte des fonds propres négatifs ?

M. Cédric Dugardin. Ils ont été absorbés par les apports de l’État et les contributions des éditeurs. La difficulté aujourd’hui tient à la trésorerie. Le nouveau Presstalis démarrera avec un nouveau bilan et une trésorerie positive.

Mme Fabienne Colboc. Quelles seraient les évolutions souhaitables pour consolider l’implantation des marchands de presse sur nos territoires ?

M. Cédric Dugardin. À l’instar des débits de tabac, il devient de plus en plus difficile pour eux de vivre d’une mono-activité. L’enjeu est de les aider à devenir de véritables commerces de proximité.

Mme Constance Le Grip. Pouvez-vous nous éclairer sur l’affacturage chez Presstalis ?

M. Cédric Dugardin. Il a été mis en place il y a bien longtemps et a atteint des montants importants avant de revenir à des niveaux réduits : il restera encore 5 millions d’euros fin juin et un million fin juillet. Nous avons décidé de les apurer et de les épuiser progressivement, car il s’agit d’un risque pour les éditeurs.

M. Bertrand Sorre. Pouvez-vous nous rassurer sur la distribution de la presse jusqu’au fin fond de nos villages ?

M. Cédric Dugardin. Notre priorité est de livrer la presse sur tous les territoires, y compris les plus isolés et reculés. La Corse en particulier nous préoccupe beaucoup : il n’est pas normal qu’elle soit privée de quotidiens nationaux. Le réseau de dépositaires permettra une distribution optimale.

Mme Frédérique Meunier. A la suite de votre redressement judiciaire, les MLP ont mis en place un plan d’accueil pour les éditeurs et la distribution de leurs titres, ce qui fonctionne.

Le Syndicat de l’association des éditeurs de presse (SAEP) relève qu’il serait illicite au regard du Code de commerce de laisser la Coopérative de distribution des quotidiens (CDQ), gérante de fait de la faillite de Presstalis, reprendre ses actifs au détriment de ce créancier.

M. Cédric Dugardin. Je n’ai pas connaissance de cet argument du SAEP. Il me paraît juridiquement vide. Les MLP travaillent essentiellement en flux froids. Leur plan de secours ne fonctionne pas à Lyon et Marseille, pas plus que le nôtre.

Mme Danièle Cazarian. Quelles mesures comptez-vous prendre pour débloquer la situation à Lyon, Toulon et Marseille ?

M. Cédric Dugardin. La situation sur ces deux zones est extrêmement complexe, puisque les acteurs qui auraient pu prendre le relais des entités SAD ont décliné par crainte de représailles ou de dégradations. La mise en place d’une société reprenant le mandat à très court terme est la seule solution qui permettra de reprendre une distribution efficace, même si nous tentons de mettre en place des solutions dégradées.

Mme Florence Provendier. Comment voyez-vous l’avenir de la distribution de la presse à la lumière du désaccord majeur entre quotidiens et magazines ?

M. Cédric Dugardin. Les flux froids sont de plus en plus inconciliables avec les flux chauds, qui concernent les quotidiens et les hebdomadaires d’information politique et générale. La plus grande partie des mensuels, trimestriels ou bimestriels n’ont pas besoin de cette distribution coûteuse et contraignante. De très nombreux éditeurs refusent de payer les surcoûts nés de cette mutualisation. Ces flux feront probablement à terme l’objet de systèmes de diffusion différents.

Mme Cathy Racon-Bouzon. Avez-vous travaillé à des pistes d’optimisation de la remontée des invendus ?

M. Cédric Dugardin. La refonte de ce système de remontée, complexe et coûteux, fait partie de nos priorités. Nous évoluerons probablement vers une décentralisation vers le niveau des dépositaires. Restera le problème de la collecte et de la centralisation de ce papier, qui relève plus des filières de retraitement et de recyclage que du métier de distribution de presse. La plupart des diffuseurs peuvent aujourd’hui déclarer leurs invendus sur leurs terminaux de caisse ou sur internet. Nous souhaitons accélérer ce processus pour déconnecter le traitement physique du traitement financier.

M. le président Bruno Studer. Je vous remercie. Je vous souhaite bonne chance pour accomplir cette tâche immense. Nous comptons sur vous et votre équipe. Nous serons attentifs à ce que l’État tienne ses engagements. Nous espérons vous retrouver d’ici quelques temps pour faire un point d’étape.

 

 

La séance est levée à douze heures quarante.

______

 


Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné Mme Fabienne Colboc, rapporteure de la mission flash sur le financement des CROUS, en remplacement de Mme Anne Brugnera.