Compte rendu

Commission
des affaires économiques

– Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer.........2

– Informations relatives à la commission...................19

 


Mardi
22 septembre 2020

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 75

session extraordinaire de 2019-2020

Présidence
de M. Roland Lescure,
Président
 


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La commission des affaires économiques a auditionné Mme Annick Girardin, ministre de la mer.

M. le président Roland Lescure. Nous poursuivons aujourd’hui notre cycle d’auditions des ministres dont le portefeuille relève des nombreux champs de compétences de la commission des affaires économiques. Après avoir entendu M. Bruno Lemaire, Mme Agnès Pannier-Runacher, M. Alain Griset, Mme Emmanuel Wargon et M. Julien Denormandie, nous avons repris en cette rentrée ces auditions en accueillant la semaine dernière Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Sont d’ores et déjà programmées les auditions de Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, le mardi 6 octobre, et celle de M. Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, le mardi 27 octobre.

Aujourd’hui, nous recevons, sur un sujet qui nous est cher à tous et à toutes – les chalutiers de Dieppe affichés sur le mur en témoignent –, Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la ministre, nous vous souhaitons la bienvenue, ainsi qu’à vos équipes. Je dois confesser une proximité géographique entre nous, puisque, ayant vécu pendant une dizaine d’années au Québec, je n’étais pas loin de voir à l’œil nu votre ancienne circonscription.

Votre portefeuille recoupe plusieurs matières qui intéressent tout particulièrement les membres de cette commission : en premier lieu la pêche, qui a fait l’objet l’an dernier d’un rapport de Mme Annaïg Le Meur et de M. Sébastien Jumel, secteur d’activité pour lequel le Brexit est source de nombreuses interrogations ; le tourisme, secteur très affecté par la crise sanitaire, avec probablement des nuances suivant les professions et les zones littorales ; le transport maritime, domaine qui ne relève pas pleinement du champ de notre commission, mais qui donnera certainement lieu à des interrogations ; la plaisance, qui est, elle aussi, affectée par la crise, comme l’illustre l’annonce récente de suppressions d’emplois chez le groupe Bénéteau ; l’énergie, en raison de l’implantation d’éoliennes en mer et d’hydroliennes ; enfin, les outre‑mer, un sujet que vous connaissez parfaitement. D’autres thématiques seront certainement abordées par les membres de la commission ; auparavant, je vous cède la parole, Madame la ministre, pour un exposé liminaire.

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation. J’ai participé à de nombreuses auditions au sein de cette maison, d’abord en tant que députée, puis en tant que, successivement, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, ministre de la fonction publique et ministre des outre-mer. Mon émotion, aujourd’hui, est toute particulière : cette première audition comme ministre de la mer constitue un événement, puisque cela faisait trente ans que la France ne disposait pas d’un tel ministère. Cette visibilité a été souhaitée par le Président de la République, et c’est pour moi un honneur d’accepter une mission d’une telle envergure.

Nombre d’entre vous ont milité pour la création de ce ministère. Dès ma nomination, j’ai souhaité qu’il couvre un maximum de champs, en liaison avec les autres ministères. Le décret d’attribution indique clairement que le ministère de la mer travaillera en lien étroit avec eux, notamment avec le ministère de l’agriculture et de l’alimentation et avec le ministère de la transition écologique, également chargé des transports – pour ne citer que les principaux. J’ai une longue expérience du travail interministériel, puisque 80 % des dossiers que j’ai traités en tant que ministre des outre-mer étaient interministériels. N’ayez donc aucune crainte, nous pourrons travailler tous ensemble. Seuls, nous allons très vite, mais à plusieurs, nous allons bien plus loin : telle a toujours été ma devise.

La responsabilité du ministère est de renforcer la place de la mer dans le quotidien des Français et d’atteindre les objectifs du développement durable, en suivant les trois lignes de fond que je vais vous présenter.

Nous devons d’abord répondre au défi du siècle, le défi de l’environnement. La biodiversité marine doit être préservée et valorisée durablement. La mer est un bien commun. Certains ici présents en ont fait leur combat. La préserver est plus qu’un devoir, il s’agit tout simplement d’une question de survie. L’atteinte du quatorzième objectif de développement durable des Nations Unies relatif aux océans, aux mers et aux ressources maritimes structure mon action. Aujourd’hui, comme beaucoup d’entre vous, je porte un pins qui rappelle les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies. J’ai une pensée pour tous ceux qui ont travaillé à leur élaboration ; d’ailleurs, j’étais alors présente à New‑York en tant que secrétaire d’État chargée du développement. Je fus en outre l’une des chevilles ouvrières de la COP21, portant notamment la voix des États insulaires. Ces fonctions ont nourri mes convictions sur les questions maritimes.

Nous devons ensuite faire rayonner la France par la mer. Chaque Français doit comprendre à quel point la mer compte dans l’avenir de notre pays, dans l’avenir de l’humanité. La refondation du ministère de la mer a été saluée très largement au plan national, européen et international. La voix de la France doit, aujourd’hui, devenir encore plus forte.

Enfin, nous devons faire de la France une puissance économique océanique, en accompagnant le développement et la transformation de la filière maritime. Malgré les 91 milliards d’euros de chiffre d’affaires et les 400 000 emplois dans l’industrie et les services que représente la filière, la croissance bleue n’est pas encore une réalité suffisante, aujourd’hui, en France. D’ici à 2022, elle devra constituer un véritable levier de richesse collective, encore plus important qu’elle ne l’est actuellement, reposant sur un modèle plus juste, plus durable et capable de répondre aux enjeux de compétitivité internationaux. Comme je l’ai souvent dit ici, la France possède le deuxième domaine maritime mondial, mais quand sera-t-elle une véritable puissance maritime ? Au-delà des chiffres, l’économie maritime joue un rôle structurant pour nos territoires littoraux, comme dans les territoires ultramarins, et elle constitue dans tout le pays des chaînes de valeur incluant des industriels de premier rang et des pépites que nos concitoyens ne connaissent pas toujours. Mon travail consiste aussi à rendre les Français plus fiers de ce que représentent ces richesses maritimes, souvent ignorées.

Le monde maritime se transforme. Je souhaite que nos industries accompagnent cette transformation et en profitent pour se développer. Les acteurs ont commencé à se structurer, notamment dans la filière des industries de la mer, l’une des dix-huit filières stratégiques du Conseil national de l’industrie, que suit le ministère chargé de l’industrie. Ils ont pris des orientations fortes en matière de navires verts et de numérisation des processus, ce qui conditionne un autre volet très important de la question, celui de la formation, sur lequel nous reviendrons par la suite.

Ces orientations sont en ligne avec le plan de relance, dans lequel l’économie maritime a toute sa place. La mer fait partie des secteurs d’avenir qui ont été identifiés. L’écologie est un des piliers de France relance ; dans ce domaine, l’État donnera l’exemple, en amorçant le verdissement de la flotte relevant des affaires maritimes. Deux volets ont été identifiés comme appelant une action spécifique du ministère de la mer, même si la relance maritime ne se limite pas à eux deux. L’effort décidé par le Gouvernement en faveur du trafic transmanche, par exemple, prouve qu’au‑delà du plan de relance, nous accompagnons chaque filière de manière spécifique. De nombreuses mesures du plan de relance ont vocation à soutenir l’économie maritime dans son ensemble. Mon ministère accompagnera les porteurs de projets et les territoires dans tous les domaines, du tourisme à l’industrie, en passant par les actions au profit de la préservation de l’environnement. Pour prendre un exemple concret, les actions conduites au profit de l’assainissement dans les zones côtières auront un effet positif sur les activités conchylicoles et sur le tourisme. Si, dans le plan de relance, certaines mesures sont colorées en bleu, d’autres ont aussi une influence sur les questions maritimes ; les mesures sont en réalité bien plus larges, et nous devons montrer à l’ensemble des Français les aspects positifs de toutes ces actions. Comme l’ont souhaité le Président de la République et le Premier ministre, chaque ministère dispose d’un conseiller chargé de la relance et d’un autre chargé des territoires. C’est le cas au sein de mon cabinet, qui est à votre disposition pour continuer à travailler avec vous dans les jours et les semaines à venir.

Le développement de l’économie bleue suppose une industrie innovante pour relever les défis qui se présentent à elle. Qu’il s’agisse de l’exploration du milieu ou de la surveillance des dispositifs placés en mer en vue de produire de l’énergie renouvelable, de nouvelles problématiques mobilisent la robotique, le traitement des données massives ou l’intelligence artificielle. Ainsi, j’ai eu l’honneur de remettre tout récemment la première certification de navigation à un navire de services téléopéré : un commandement, à Paris, a pu piloter à distance un bâtiment qui quittait le port de Toulon. Il s’agit d’une première mondiale, s’agissant d’un bateau de plus de quatre-vingts mètres. La France continue donc à innover, et cette innovation doit être soutenue.

Dans tous ces domaines, qu’il s’agisse de l’industrie, du développement de l’offshore ou de l’importance accordée à l’export, nous travaillons au quotidien et apportons notre soutien à la recherche et développement et à l’innovation industrielle, notamment par l’intermédiaire du Conseil de la recherche et de l’innovation des industriels de la mer, le CORIMER. Le quatrième programme d’investissements d’avenir, que vient de lancer le Gouvernement, sera un outil important du plan de relance.

Les trois lignes de fond que je viens de vous présenter se traduisent par des actions concrètes que je souhaite articuler autour d’une seule et même idée : faire de ce ministère un ministère des usages et des usagers. Telle est la dynamique que doit créer ce ministère, qui est, en fin de compte, un ministère de planification, afin de trouver un équilibre entre les activités économiques en mer, les préoccupations sociales et la préservation de l’environnement marin.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les objectifs qui sont les nôtres. Nous pouvons les atteindre ensemble, si nous partageons une ambition très simple : faire en sorte que plus aucun gouvernement ne puisse se passer d’un ministère de la mer !

M. le président Roland Lescure. Merci, Madame la ministre, pour cet exposé efficace et néanmoins très complet. Le rapport, que je mentionnais tout à l’heure, de Mme Annaïg Le Meur et M. Sébastien Jumel proposait la création d’un ministère de la mer : nul doute qu’il a eu l’effet escompté !

M. Damien Adam (LaREM). Tout d’abord, je me félicite de la création d’un ministère de la mer, ou plutôt de la restauration de ce ministère, qui n’existait plus depuis 1991. C’est le temps d’une vie – en tout cas de la mienne, puisque j’ai à peine trente et un ans. (Sourires.) Cela témoigne de la volonté du Président de la République, du Gouvernement et de la majorité de faire de la mer une priorité et d’accélérer la mise en œuvre de la stratégie maritime que nous suivons depuis trois ans. La relance de notre économie maritime après la crise sanitaire est un enjeu majeur, qui fait d’ailleurs pleinement partie du plan de relance, puisqu’une enveloppe de 250 millions d’euros est prévue pour le secteur maritime. Cette crise sanitaire s’ajoute malheureusement aux nombreux problèmes que rencontrent notre industrie de la mer et nos ports, dont les grèves à répétition qui ont paralysé les infrastructures portuaires et ont réduit leur attractivité. Au Havre, les grèves du début de l’année ont eu des conséquences catastrophiques ; on en sentira malheureusement les effets sur le long terme, au détriment du territoire normand, de ses entreprises et de ses emplois.

La crise sanitaire a en outre provoqué une baisse du trafic maritime de voyageurs, notamment pour les traversées maritimes. La situation des ferries transmanche, notamment ceux assurant la liaison Dieppe‑Newhaven, inquiète les Normands et les Seinomarins. Cette ligne souffre énormément de la crise sanitaire et du Brexit, ainsi que de la quatorzaine imposée depuis quelques semaines aux personnes qui se rendent au Royaume‑Uni. Vous avez annoncé, il y a quelques jours, des mesures d’urgence pour les lignes transmanche, notamment l’accès au dispositif de chômage partiel, l’octroi de prêts garantis par l’État et le remboursement des cotisations sociales salariales. Qu’en sera-t-il pour cette ligne, exploitée dans le cadre d’une délégation de service public ? La question intéresse particulièrement les collectivités locales, l’exploitation de la ligne étant assurée en liaison avec la chambre de commerce et d’industrie et le département de la Seine-Maritime. La situation financière de l’entreprise, bien que moins dramatique que celle de Brittany Ferries, est néanmoins très inquiétante pour nos territoires.

Quant à Haropa, la fusion des trois ports de la vallée de la Seine – Le Havre, Rouen et Paris – est toujours en attente d’arbitrages, alors que le Premier ministre l’avait annoncée. Les acteurs de mon territoire sont inquiets quant à l’issue de cette fusion, aux conditions dans lesquelles elle se réaliserait et à l’implication des différents acteurs dans l’opération. Quand les arbitrages seront‑ils rendus et quand le lieu d’implantation du siège social du futur ensemble sera‑t‑il choisi ?

M. Jimmy Pahun (MoDem). Madame la ministre, je vous félicite, au nom du groupe MoDem, pour votre nomination au ministère de la mer, et vous adresse tous nos vœux de réussite dans vos nouvelles fonctions – avec une petite pensée pour Louis Le Pensec, qui a tant marqué ce ministère. Vous nous trouverez toujours à vos côtés.

S’agissant de la transition énergétique, le secteur du transport maritime a enclenché sa mue et évolue rapidement, au rythme des nouvelles réglementations de l’Organisation maritime internationale (OMI). Il faudrait toutefois aller encore plus vite, notamment, comme la France le demande, en matière de réduction de la vitesse des navires, ce qui permettrait de réduire aussi les émissions de gaz à effet de serre. Or le rapport remis à l’OMI dans le courant de l’été fait le constat d’une augmentation de ces dernières, notamment des émissions de méthane. Les trajectoires ne sont pas optimistes – surtout si l’on ne fait rien pour accentuer les efforts engagés. Il serait bon d’encourager le recours à des modes de propulsion qui n’émettent pas de gaz à effet de serre : propulsion électrique pour les petits bateaux, propulsion à hydrogène probablement pour ceux de taille un peu plus importante et propulsion vélique pour les grands navires transocéaniques. Il s’agit d’une innovation de rupture, que le plan de relance doit financer. On pourrait aussi adapter les certificats d’économies d’énergies afin de valoriser les économies réalisées en mer.

Concernant la biodiversité, nous nous sommes engagés, dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale pour les aires protégées, à placer 30 % de notre territoire en zone protégée et 10 % en zone de protection forte, soit un niveau de protection indispensable à la préservation des espèces. Pouvez-vous nous assurer, Madame la ministre, que ces objectifs seront atteints en mer en 2022 ? Nous devons être exemplaires dans nos eaux pour porter un message ambitieux sur la scène internationale, notamment dans le cadre des négociations actuellement menées sur la haute mer ; j’ai d’ailleurs, avec 204 de mes collègues, signé une proposition de résolution en ce sens. Serez-vous la voix de la France, Madame la ministre, à New York, pour cette négociation à très fort enjeu ?

Comment les négociations avec nos partenaires d’outre-Manche sur la pêche évoluent‑elles ? Le MoDem avait défendu, lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, un dispositif fiscal au profit de la pêche artisanale, afin d’aider les pêcheurs à se constituer une épargne de précaution, sur le modèle des agriculteurs. Nous présenterons à nouveau cette disposition cette année ; j’espère que nous obtiendrons votre soutien.

Pour terminer, je suis très heureux, Madame la ministre, de travailler avec vos services, le ministère de l’éducation nationale, le Cluster maritime français, la plateforme Océan et climat et la fédération française de voile, pour accompagner de beaux projets pédagogiques autour du Vendée Globe, qui va tous nous passionner à partir du 8 novembre prochain.

M. Serge Letchimy (Soc). Madame la ministre, j’irai droit au but : vous venez d’indiquer qu’une refondation du ministère de la mer avait eu lieu ; mon vœu serait d’assister aussi à une refondation de la politique de l’outre-mer. Et comme vous êtes passée du ministère des outre-mer à celui de la mer, je pense que le lien pourrait être établi de la manière la plus positive possible – vous êtes bien placée pour comprendre ce que je veux dire.

Le domaine maritime français est, à 97 %, lié aux outre-mer. Si la France est la deuxième puissance maritime après les États-Unis, c’est parce que c’est le seul pays au monde où le soleil ne se couche jamais, puisqu’il est présent sur les trois océans. De plus, 80 % de la biodiversité française, y compris la biodiversité marine, se trouve dans les outre-mer. J’espère que votre nomination va contribuer à une prise de conscience : comment concevoir que les politiques de développement liées à la puissance et à la diplomatie maritimes soient inversement proportionnelles à ce que représentent les outre-mer dans la richesse nationale et européenne ?

Je constate en effet qu’il n’existe aujourd’hui aucune politique maritime intégrant le développement des outre-mer – à l’inverse de ce qui se passait à l’époque de l’empire colonial français. Pour quelle raison n’existe-t-il pas d’université de la mer en Polynésie, ni d’université de la biodiversité en Guyane ? Voilà qui constituerait une véritable politique de reconnaissance de ces territoires ! Ne pourriez-vous pas modifier la politique menée en matière de trafic de marchandises, les paquebots n’exportant que des bananes et n’important que des produits de consommation, alors qu’il conviendrait de développer une stratégie transfrontalière dans chaque bassin maritime, de sorte que ces territoires puissent se connecter entre eux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ? Pour quelle raison ne disposerions-nous pas d’une politique spécifique en matière de pêche, de tourisme, de développement économique, d’innovation, de recherche, ce qui permettrait à tous ces pays de sortir de leur économie d’habitation, de plantation, d’importations massives, et de trouver des voies innovantes en matière d’organisation du développement ? Ainsi pourrions-nous sortir du marasme économique dans lequel nous nous trouvons.

Je vous lance là une invitation ; je suis prêt à vous aider et à vous accompagner. Vous pourriez relever un défi assez exceptionnel, après votre brillante trajectoire ministérielle de l’outre-mer à la mer. Je vous souhaite bonne chance !

M. Philippe Huppé (Agir ens). La France est le deuxième pays maritime du monde. Cependant, à quoi cela sert‑il de détenir cette place si c’est en raison de la seule superficie de notre territoire maritime et que l’on n’a pas une ambition forte ? Il me semble que cette ambition, vous l’avez. Elle doit certes être économique, avec le plan de relance auquel participera votre ministère et les projets qui permettront d’imaginer la France maritime de demain, mais la France maritime, c’est aussi la préservation du domaine maritime et de la vie, notamment des phytoplanctons. Or, par endroits, ceux-ci sont en train de disparaître complètement, à cause du réchauffement climatique et de la modification des courants marins, tandis que, sur certaines côtes, ils se développent et deviennent une pollution. La vie est issue des phytoplanctons, et ils capturent le CO2 en quantité beaucoup plus importante que la forêt mondiale, notamment amazonienne. Nous pleurons – à juste titre – chaque fois que l’Amazonie brûle, mais nous ferions aussi bien de pleurer sur la disparition massive de phytoplanctons dans certaines zones maritimes. En même temps, ils dégradent certaines côtes.

Il nous faut imaginer des solutions pour préserver la vie dans la mer. Les océans couvrent 70 % de notre planète, il nous faut les préserver. Si la mer devient une autoroute à bateaux et que nous tuons 70 % de notre planète, quel est l’intérêt ? Grâce aux zones de protection qu’elle a développées en Nouvelle-Calédonie, notamment autour de la barrière de corail, la France a son mot à dire. Si elle est suivie et entendue, nous saurons naviguer et utiliser la mer pour nous enrichir, tout en la préservant.

M. Olivier Falorni (LT). Voilà près de trente ans que la mer avait disparu de la liste des portefeuilles ministériels. Je me réjouis à mon tour que la création d’un ministère spécifique mette fin à une absence dommageable pour notre pays. Il était grand temps de redonner aux acteurs du secteur un interlocuteur identifié et les moyens de mettre en œuvre une véritable stratégie maritime, d’autant que les acteurs maritimes sont confrontés à de multiples défis.

Le Brexit est le plus immédiat. La filière halieutique redoute une modification des accords de pêche en sa défaveur. Pourriez-vous, Madame la ministre, nous éclairer sur l’état des négociations sur l’accès des navires de pêche aux eaux territoriales britanniques ? Quelle position défend la France concernant les modalités de définition et les volumes des totaux admissibles de capture, ainsi que sur les méthodes de pêche autorisées dans les eaux de chacune des deux parties ?

Quelles pistes explorez-vous pour revaloriser les métiers de la pêche, actuellement en déshérence ? Allez-vous allouer davantage de moyens budgétaires à la formation professionnelle ?

Quant à la transition environnementale, le plan de relance prévoit 250 millions d’euros d’investissements, dont 200 millions d’euros consacrés au verdissement des ports et 50 millions d’euros aux activités de pêche et d’aquaculture. Quels bénéfices pourront en tirer les ports qui ont déjà mené des actions en faveur de la transition écologique – je pense par exemple au grand port maritime de La Rochelle ? Les moyens prévus sont-ils suffisants pour permettre une transformation en profondeur de ces ports et des activités de pêche ?

Où en est l’idée de taxe européenne sur le transport maritime ? Les armateurs français proposent de réduire la vitesse pour diminuer les émissions de CO2. Cette idée vous semble‑t‑elle intéressante ?

M. Sébastien Jumel (GDR). Madame la ministre, mercredi dernier, dans votre ministère de plein exercice – dont Mme Annaïg Le Meur et moi avions, dans un rapport commun, demandé la création –, nous avons longuement échangé sur la pêche. Après avoir vu l’image du port de Dieppe affichée au mur, vous viendrez forcément inaugurer avec nous le bateau‑école du lycée Anita-Conti ! (Sourires.)

Cet après-midi, je vous ai interpellée sur la question des liaisons maritimes transmanche ; ce soir, je souhaite appeler votre attention sur la nécessité d’établir une stratégie portuaire nationale. Michelet a dit : « C’est par la mer qu’il convient de commencer toute géographie ». Les enjeux dans ce domaine sont multiples.

La crise sanitaire a percuté de plein fouet nos ports et ce secteur économique important nécessite des investissements majeurs, concernant le fret, le désenclavement ferroviaire autour de nos ports, etc. Se pose ainsi la question de l’État planificateur, de l’État stratège, de l’État aménageur, d’un État qui garantisse les équilibres territoriaux des grands ports maritimes, mais aussi des ports d’intérêt régionaux ou départementaux pour mailler le territoire. Les enjeux industriels, économiques et territoriaux des questions portuaires appellent à une plus grande cohérence, à l’organisation d’une stratégie de la propriété publique de l’ensemble des infrastructures portuaires. La question centrale, aujourd’hui, est celle de l’aménagement du territoire et de la nécessité d’un outil de planification pour désamorcer les projets déraisonnables et accompagner certains ports dans la transition écologique, quand ils se sont construits autour des énergies fossiles.

Madame la ministre, votre souhait est celui d’un ministère de plein exercice qui travaille de manière transversale avec les autres ministères, ceux chargés des transports, de l’environnement, de l’économie. Allez-vous nourrir une véritable stratégie portuaire nationale pour le littoral français ?

Mme Annick Girardin, ministre. Monsieur Adam, il a été décidé d’intervenir auprès de l’ensemble des compagnies de ferries, en Manche et en Méditerranée. Des mesures d’urgence ont été prises, notamment l’application au secteur du dispositif de chômage partiel et des prêts garantis par l’État. Il s’agit ensuite d’accroître la résilience du secteur du transport transmanche, qui doit faire face à la crise sanitaire, à l’exigence de quatorzaine imposée par le Royaume-Uni et aux angoisses et aux inquiétudes des marins et de leurs familles liées au Brexit. Les compagnies ont perdu jusqu’à 80 % de leur chiffre d’affaires par rapport à 2019. Il est essentiel que nous soyons à leurs côtés. Pour assurer la résilience du secteur, il nous a fallu apporter des réponses supplémentaires, annoncées la semaine dernière, dans l’hémicycle, par le Premier ministre, notamment l’élargissement des exonérations de charges sociales, qui constituent une aide directe à l’emploi. Le Premier ministre a souhaité que les ministères concernés réunissent ensuite l’ensemble des acteurs, afin de leur présenter ce dispositif, pour l’heure décidé pour 2021, et qui devrait représenter un engagement de 30 millions d’euros par an.

Nous avons débattu avec eux de ces questions, ainsi que des dispositifs consacrés à la formation et de la relance du tourisme grâce à des campagnes de publicité et à l’accès au prêt garanti par l’État « saison ». Les compagnies sont inquiètes, car les banques semblent ne pas les suivre pour l’octroi de ce prêt, par manque de visibilité. Nous verrons, après cette période de résilience, combien de temps durera la crise et comment nous accompagnerons les compagnies ; le plus important est de travailler dans la durée. Je pense en particulier qu’il importe d’ouvrir un chantier sur l’attractivité du pavillon France. J’ai proposé la création rapide d’un groupe de travail ; dès qu’il sera opérationnel, nous le ferons savoir à l’ensemble des parlementaires pour que ceux qui veulent travailler sur la question puissent le rejoindre.

En revanche, l’aide ne concerne pas les délégations de service public. Nous poursuivons néanmoins nos discussions avec les compagnies.

S’agissant d’Haropa, initiative portuaire d’envergure internationale lancée en 2018, la fusion des ports de l’axe Seine – Le Havre, Rouen et Paris – reste notre objectif. Nous avions annoncé qu’elle serait définitive, avec une gouvernance opérationnelle, au 1er janvier 2021. La crise sanitaire exige de laisser un peu plus de temps. L’État devra rendre ses arbitrages rapidement, car il semble que la dynamique faiblisse et que l’inquiétude grandisse. De nouvelles annonces seront faites dans les prochaines semaines, probablement lors d’un prochain Comité interministériel de la mer.

Pour ce qui concerne la réduction des gaz à effet de serre dans le transport maritime, je souhaite que, au-delà de ce qui est fait en Manche et en mer du Nord, on conduise une action plus stricte en Méditerranée. Sur ce plan, la France ne peut agir seule, et nous devons porter ce dossier devant l’OMI. Auparavant, il nous faudra persuader nos voisins ainsi que l’Union européenne. Le travail a déjà commencé et nous passons à la vitesse supérieure. Je sais pouvoir compter sur nombre d’entre vous. Les armateurs ont proposé une réduction de la vitesse des navires ; la France a soutenu cette proposition et elle la soumettra à l’OMI, où je ferai entendre sa voix.

Nous serons au rendez-vous des aires marines protégées. Je ne peux que confirmer la stratégie nationale pour 2020-2030, qui prévoit la création ou l’extension de seize réserves naturelles nationales maritimes et terrestres. Dans le plan de relance, 60 millions d’euros sont attribués aux aires marines et terrestres protégées, ce qui nous permettra d’avancer plus rapidement et d’être dans les temps. Cela est conforme à l’engagement du Président de la République, que je ne peux que réaffirmer ici. Avec Mmes Barbara Pompili et Bérangère Abba, nous sommes totalement impliquées dans ce dossier.

Je serai présente à New York pour participer à la session de la conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ) des Nations Unies. Comme je l’ai déjà souvent fait par le passé, je porterai la voix de la France, qui doit être davantage entendue. Nous devons mener le combat pour la reconnaissance de l’océan comme un bien commun de l’humanité. Il nous faut convaincre la Commission européenne, ce qui ne va pas de soi, et apporter des réponses aux pays en développement, qui s’interrogent sur la notion de bien commun de l’humanité et craignent de voir la haute mer accaparée, comme d’autres espaces ont pu l’être. Nous aurons l’occasion d’en reparler.

S’agissant du Brexit – dossier majeur pour mon ministère –, sur le volet pêche comme sur le volet transmanche, la task force dirigée par M. Michel Barnier mène les négociations dans le cadre fixé par l’Union européenne. Ce cadre est immuable. Nous ne bougerons pas d’un iota concernant le mandat de négociation donné à M. Michel Barnier. Le Président de la République et moi-même le lui avons redit : sans accord sur la pêche, il n’y aura pas d’accord global. Il n’empêche qu’il faut aussi, comme je l’ai indiqué aux pêcheurs la semaine dernière, nous préparer à l’éventualité d’un Brexit sans accord. Nous avons commencé à travailler sur le sujet avec le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) ; ce travail doit être conduit de manière apaisée, afin de répondre aux angoisses des marins-pêcheurs français et européens.

Le transport maritime est déjà éligible aux certificats d’économies d’énergie, Monsieur Pahun, mais les acteurs demandent une bonification, car les investissements sont très lourds. Le principe d’une bonification n’est pas aberrant, mais le niveau des demandes est élevé ; nous devons engager une négociation, poursuivre le travail en cours avec le ministère de la transition écologique et définir la bonification appropriée. Le dossier est sur mon bureau.

S’agissant de l’épargne de précaution, je soutiens cette idée. Dans le contexte de l’épidémie de covid-19 et du Brexit, les incertitudes sont grandes et nous nous devons d’apporter des réponses. J’ai demandé à mes services de vous rencontrer, Monsieur Pahun, pour travailler sur le sujet afin que nous puissions annoncer rapidement des mesures.

J’en viens aux phytoplanctons. C’est effectivement une question de survie. Les jeunes générations nous le rappellent et nous disent que nous ne pouvons tergiverser. La France possède le deuxième domaine maritime mondial : sa responsabilité est donc immense. Les océans sont des capteurs de CO2 tout autant que les forêts – d’ailleurs, je n’oppose pas les uns aux autres. La France ayant, avec les outre-mer, des forêts, des océans et des littoraux sur l’ensemble du globe, cela nous oblige à porter des messages forts en la matière. L’océan est un régulateur du climat et de la biodiversité. Nous ne devons pas hésiter à travailler sur ces sujets et à faire des annonces. Oui, l’océan souffre, nous le savons tous. Il importe que nous prenions connaissance de l’ensemble des données disponibles. Il nous en manque cependant, et je souhaite que nous fassions un effort supplémentaire en matière scientifique et que l’on étudie les réponses à apporter et les solutions à proposer. La mer est certes en danger, mais elle est aussi un extraordinaire gisement de solutions potentielles pour le monde. C’est pourquoi nous devons traiter les océans comme un bien commun – ce qui rejoint le combat mené par nombre d’entre vous. Nous avons besoin d’une voix qui se fasse entendre davantage.

Concernant le Brexit, chacun d’entre nous doit mesurer les difficultés à venir, Monsieur Falorni. Il y a encore des manques. Par exemple, je ne dispose pas encore d’une cartographie précise de nos ressources maritimes qui indiquerait leur état, les types de pêches pratiquées, les bassins concernés, les résultats économiques, le nombre de navires et de marins concernés, leur pavillon… J’ai demandé qu’on y remédie, mais je ne dispose pas encore de cette vision globale, qui me permettrait de rassurer les marins-pêcheurs quant à l’accord que nous sommes en train de négocier, les éventuelles concessions envisageables, les lignes rouges à ne pas franchir ou ce qui se passerait en cas d’absence d’accord.

Concernant le respect des lignes rouges, nous resterons fermes. Le cadre fixé devra être stable, car les entreprises de pêche ont besoin de stabilité et de prévisibilité. La filière devra être examinée dans son ensemble, ce qui inclut, au-delà de la pêche, les activités de transformation, ainsi que l’aménagement des territoires et la vie dans ceux-ci – nous en parlions tout à l’heure dans l’hémicycle avec M. Jumel. La question de la soutenabilité économique doit être posée : l’accord devra être équitable pour tous. Voilà ce que nous défendons. En cas d’absence d’accord, nous aurons besoin de données ; dès que j’en disposerai – ce qui ne saurait tarder –, je les communiquerai à l’ensemble des pêcheurs, des organisations concernées et des parlementaires.

La formation va de pair avec ces interrogations. Préparer la pêche et le transport durables de demain suppose un investissement en la matière. Nous devons mieux adapter l’offre à la demande. Nous devons réduire la part de postes non pourvus dans la pêche, le commerce et l’industrie. Si nous n’augmentons pas la quantité de Français formés, le pavillon France sera contraint d’embaucher des marins qui ne seront pas français, y compris aux commandes des navires. Il est donc nécessaire de consolider les formations et les réseaux des lycées professionnels maritimes. J’ai travaillé avec le ministre de l’éducation nationale en ce sens et pour faire de l’École nationale supérieure maritime (ENSM) une école d’excellence tournée vers le futur et vers les métiers d’ingénieurs maritimes. Enfin, le statut des professeurs doit être clarifié, car des ambiguïtés subsistent, ce qui fait que les choses ne se passent pas aussi bien que je le souhaiterais.

Nous souhaitons également lancer une vaste campagne de communication quand nous serons en mesure d’accueillir dans nos établissements davantage de jeunes. Ces métiers sont durs, mais valorisants, et ils offrent – bien que je sache que les pêcheurs n’aiment pas trop le dire, comme d’ailleurs d’autres corps de métier – des rémunérations intéressantes. Nous devons le souligner pour que les jeunes s’engagent dans ces filières.

MM. Falorni et Jumel ont évoqué la stratégie nationale portuaire. Les ports français sont créateurs de richesse et d’emplois sur l’ensemble du territoire national, hexagonal et ultramarin. La crise sanitaire mondiale a touché le système portuaire français, qui a su cependant résister. Dès les premiers jours de ma prise de fonction, j’ai remercié les ports, les armateurs, les pêcheurs, qui, pendant la crise, ont ravitaillé la France.

M. Jean-Luc Bourgeaux. Il y a aussi les dockers !

Mme Annick Girardin, ministre. Les dockers aussi, ainsi que tous ceux qui travaillent dans les ports. Tous ont répondu présents. Certes, ils font parfois grève, et l’image de nos ports peut en être dégradée, mais nous pouvons compter sur eux. Disposer de ports plus attractifs, d’armements plus attractifs, d’une pêche plus attractive, voilà le travail que nous devons mener. Nous avons besoin d’une stratégie française des ports, articulant de grands ports avec des ports décentralisés ; pour l’heure, cette stratégie n’existe pas. Il nous faudrait un instrument de souveraineté économique, porté par une stratégie globale, pour tous les ports de France, c’est-à-dire sur toutes les mers.

Dans cette optique, mon rôle est de fixer un cap à l’ensemble des ports français, de créer de l’emploi – cela reste la priorité du Gouvernement, donc la mienne dans le périmètre de mon ministère –, d’augmenter significativement la part des moyens de transport massifiés, de contribuer à atteindre l’objectif de neutralité carbone des transports et d’accélérer la fluidité du passage portuaire. J’espère pouvoir présenter cette stratégie au prochain Comité interministériel de la mer, en tout état de cause assez rapidement.

Dans le plan de relance, une enveloppe budgétaire de 200 millions d’euros a été attribuée aux ports. Est-ce suffisant ? Je l’ignore. Ce qui est certain, c’est que les projets qui seront soutenus trouveront des financements. Voilà ce que je retire de mon expérience gouvernementale : les projets doivent remonter du terrain ; avec les élus locaux et les organisations professionnelles, nous devons, dans les différents territoires, identifier les bons projets puis les accompagner. C’est pourquoi chaque cabinet ministériel dispose d’un conseiller « relance » qui travaille en liaison avec les conseillers territoires. Nous devons construire ensemble les projets. Je ne crois pas qu’il ne s’agisse que d’une question d’argent ; l’enjeu est l’accompagnement des projets : il faut que l’État ait la capacité de s’allier, dans les territoires, aux élus et à l’ensemble des acteurs socioprofessionnels puis de mener, à l’échelon national, le travail complémentaire nécessaire.

Le renforcement de la compétitivité économique des ports s’accompagnera d’une démarche exemplaire en matière d’environnement. Le plan de relance prévoit le développement d’infrastructures portuaires et d’équipements en faveur de la transition énergétique, ainsi que l’aménagement d’infrastructures fluviales ou ferroviaires ; cela rejoint les différents axes de la stratégie portuaire dont je vous ai parlé. L’électrification des quais est également attendue, tout comme la création de points d’avitaillement en gaz naturel liquéfié.

Monsieur Letchimy, si la France dispose d’un tel domaine maritime, c’est en effet grâce à sa présence dans l’ensemble des bassins maritimes, dans l’océan Indien, l’océan Pacifique, les Antilles, en Guyane – c’est grâce à nos territoires ultramarins. C’est un aspect déterminant de la politique que nous voulons mener. Une vision sans les outre-mer, cela n’existe pas. Pour ma part, je ne suis pas née dans les outre-mer, mais à Saint-Malo ; je suis d’origine normande et basque, et j’ai toujours vécu à Saint-Pierre-et-Miquelon : quel mélange !

M. le président Roland Lescure. En effet !

Mme Annick Girardin, ministre. Si la France peut avoir une stratégie géopolitique, c’est grâce à La Réunion, à la Martinique, à la Polynésie, à la Nouvelle-Calédonie… Sans ces territoires, sa voix ne serait pas aussi forte. Si elle l’est, c’est parce que nous sommes présents dans tous les bassins maritimes, sur tous les océans, et que nous pouvons nous adresser à de nombreux voisins. C’est à mes yeux extrêmement important.

Quand j’ai pris mes fonctions au ministère des outre-mer, j’ai découvert qu’il n’existait pas un seul lycée de la mer dans les territoires ultramarins, ce qui m’a fâchée.

M. Serge Letchimy. Ni une seule université !

Mme Annick Girardin, ministre. L’université, c’est encore un autre problème. Nous souhaitons élaborer une plateforme de recherche qui travaille en liaison avec les universités, bassin maritime par bassin maritime. Avec Mme Frédérique Vidal, nous avons engagé ce travail quand j’occupais mes précédentes fonctions ; nous nous sommes vues la semaine dernière pour le poursuivre avec le nouveau ministre des outre‑mer, et ainsi accélérer le processus.

En matière d’innovation, il faut mettre en lumière les pépites du territoire ultramarin et les richesses qui ne sont pas suffisamment valorisées. Nous devons valoriser les universités, les plateformes, les formations, les hommes et les femmes de ces territoires, car ce sont eux qui trouveront des solutions. Celles-ci n’arrivent pas que de Paris, elles se construisent dans tous les territoires, dans les outre-mer, sur le bord de la Méditerranée ou à La Rochelle. Je ne lâcherai rien sur le volet outre-mer. Je compte sur vous, et je ne manquerai pas de faire appel à vous, car je sais quelle est votre vision du développement économique des territoires ultramarins – en particulier du vôtre, Monsieur le député.

M. le président Roland Lescure. Nous passons à une seconde série de questions.

M. Stéphane Travert. Quel plaisir et quel bonheur de vous voir à ce poste, Madame la ministre ! Nous apprécions votre côté normand : nous avons la mer en commun, l’eau salée dans les veines.

On constate, dans le domaine conchylicole, une diminution du nombre d’exploitants et de la surface exploitée. Si la France reste le premier producteur d’huîtres et le deuxième de moules, nous devons éviter un décrochage européen. Il nous faut étudier la possibilité d’augmenter les surfaces de production afin de répondre à plusieurs enjeux : des enjeux économiques, des enjeux de sécurité alimentaire – pour consommer plus de produits venus de nos mers et de nos territoires, et moins de produits importés –, des enjeux de sécurité sanitaire et nutritionnelle, c’est-à-dire la reconquête de la qualité des eaux, des enjeux techniques et technologiques. Que diriez-vous d’expérimenter en France la conchyliculture et l’algoculture offshore, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays, notamment la conchyliculture sur les corps-morts, par exemple au pied des parcs éoliens offshore existants ?

Ne pensez-vous vous pas qu’avant de réfléchir à de nouvelles implantations de parcs éoliens offshore, comme c’est le cas actuellement en Manche Est, il serait nécessaire de disposer d’un retour d’expérience sur les éoliennes programmées depuis 2009 et qui ne sont toujours pas sorties de l’eau, comme le parc de la baie de Seine ou celui du Tréport ? Comment développer ces énergies renouvelables, nécessaires pour un bon mix énergétique, tout en menant un dialogue serein avec les professionnels de la pêche et en se fondant sur leurs retours d’expérience ?

Mme Annaïg Le Meur. J’étais à Brest, chez le préfet maritime, quand le plan de relance a été annoncé. Les pêcheurs sont ravis de constater que les ports, la pêche et l’aquaculture sont pris en compte dans ce plan à hauteur de 250 millions d’euros.

Cependant, nous n’avons pas assez de marins. Comment la campagne de communication prévue sera-t-elle menée ? Pendant la période de la crise sanitaire, des messages ont été diffusés pour inciter à manger plus de poisson, faisant prendre conscience à nos concitoyens que nous importons de très grandes quantités de produits de la mer : presque 80 % de notre consommation.

Nous ne sommes que quelques députés présents à cette audition. Comment mobiliser davantage sur les questions maritimes et former de nouveaux marins ? Les patrons pêcheurs nous indiquent qu’ils acceptent peu de stagiaires à bord et d’apprentis, du fait des contraintes horaires et de la difficulté qu’il y a à les laisser assumer certains postes. Comment faire évoluer l’apprentissage et alléger ces contraintes ?

Enfin, une expérience m’a marquée. Nous nous trouvions ensemble au CNPMEM, Madame la ministre, et j’ai constaté la détresse des marins pêcheurs face à des sujets d’actualité, notamment l’échouage des cétacés. Comme les agriculteurs, ils subissent des pressions importantes, notamment sur les réseaux sociaux, visant parfois leurs familles. Nous devons valoriser ces métiers ; ils réalisent de grands efforts pour la transition écologique, par exemple en installant à bord des dispositifs visant à éloigner les cétacés. Quelle est votre position sur le sujet ?

M. Éric Pauget. En Méditerranée, la pêche est essentiellement le fait de petits artisans : 90 % des 1 500 navires qui constituent la flotte mesurent moins de douze mètres. Ils ont été fortement touchés par la crise sanitaire. C’est en particulier le cas à Antibes, où les pêcheurs vendent le produit de leur activité soit sur les marchés, qui ont été fermés ou ont connu une baisse de leur fréquentation, soit à des restaurants, notamment en zone touristique. Ces petits patrons se trouvent en grande difficulté. Quelles mesures votre ministère a-t-il prévues, en liaison avec le reste du Gouvernement, pour soutenir et aider cette activité, qui, au-delà des aspects économiques, constitue le patrimoine de certains ports et certaines villes côtières, comme Antibes, Golfe-Juan ou Cannes ? Ces villes touristiques emblématiques ont en effet réussi jusqu’à présent à maintenir une activité de pêche professionnelle qui fait l’attrait et la spécificité des côtes françaises et méditerranéennes.

Mme Marie Lebec. Ma question porte sur le plan de relance, l’aménagement des ports et les mesures à prendre en matière d’intermodalité pour moderniser notre outil de production. Les entreprises d’export souhaiteraient des infrastructures de qualité, plus fluides. Des mesures sont-elles prévues en ce sens ?

Mme Graziella Melchior. La compagnie Brittany Ferries, basée à Roscoff, dans le Finistère, subit une double peine : la crise sanitaire et le Brexit. La compagnie n’a transporté que 200 000 passagers en juillet-août 2020, contre 780 000 un an plus tôt. Elle estime à 100 millions d’euros ses pertes depuis le mois de janvier ; s’y ajoutera à partir de janvier 2021 le remboursement des 117 millions d’euros de prêts garantis par l’État, qui lui ont permis de passer un premier cap. En parallèle, la direction de la compagnie a mis en œuvre un plan interne pour dégager 15 millions d’euros d’économies ; grâce au Gouvernement, elle a bénéficié d’une exonération des charges sociales et vient d’obtenir le déblocage d’une nouvelle enveloppe de 15 millions d’euros supplémentaires. Cet effort important est à saluer.

Cela pose néanmoins la question de la compétitivité du transport maritime français par rapport à ses voisins européens. Un débat sur le net wage est nécessaire, à savoir sur le fait que les armateurs n’aient à supporter que le salaire net de leurs marins, comme c’est le cas dans les autres pays de l’Union européenne. Toutefois, cela ne saurait suffire. Quelles sont, selon vous, les pistes à explorer afin de rendre nos entreprises maritimes plus compétitives ? Devons-nous demander aux armateurs des contreparties en termes d’emploi, et si oui, dans quel cadre et suivant quel calendrier ?

M. le président Roland Lescure. Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Luc Bourgeaux, qui succède à M. Gilles Lurton, élu maire de Saint-Malo, la ville qui a vu naître Mme la ministre.

M. Jean-Luc Bourgeaux. Je suis moi-même né à Saint-Malo, et je représente aujourd’hui ce territoire. Je n’ai pas réussi à aller ailleurs, d’autant que – double peine ! – je suis agriculteur.

M. le président Roland Lescure. Un bien noble métier !

M. Jean-Luc Bourgeaux. Je souhaitais moi aussi évoquer le Brexit et vous faire part de l’inquiétude des pêcheurs, légitime quand on connaît la proximité des eaux territoriales des îles anglo‑normandes.

Je veux aussi vous alerter sur les nombreuses réglementations qui empêchent pratiquement toute implantation ou développement d’entreprises conchylicoles sur les côtes françaises. Ces professionnels se sentent abandonnés. Ils sont ravis de la création de ce ministère de la mer et comptent beaucoup sur vous pour qu’une réflexion soit engagée sur les problèmes spécifiques à cette profession. Mon collègue Stéphane Travert l’a évoqué, ces métiers pourraient pourtant connaître un fort développement et représenter une ressource économique appréciable pour les territoires concernés.

M. Jean-Hugues Ratenon. Madame la ministre, votre nomination et la relance du ministère de la mer pourraient être une chance pour l’outre-mer. La Réunion, notamment, souhaite développer son économie bleue. Vous connaissez les qualités sous-exploitées de ce département. La Réunion est un formidable carrefour, un lieu de passage obligé pour certains navires internationaux. Son écosystème est riche et l’île apporte à la France un large territoire dans l’océan Indien. Pourtant, ses littoraux sont peu protégés. Je m’en suis ému auprès de la ministre de la transition écologique, mais je n’ai pas eu de réponse de sa part. L’échouement du MV Wakashio, à l’île Maurice, montre pourtant que nous encourons des risques de pollution grave, un nombre croissant de navires internationaux transportant des marchandises dangereuses et polluantes passant quotidiennement à proximité de notre île. Comment comptez‑vous assurer la protection et la sauvegarde des écosystèmes marins et des littoraux de l’île ?

Je soutiens le projet d’un réseau de transport maritime afin de désengorger les routes de l’île, qui atteindra en 2025 le million d’habitants. À La Réunion, le poids de l’économie bleue n’est que de 2,1 %. En donnant aux Réunionnais la possibilité de se tourner vers la mer, nous renforcerions cette économie. Nous pourrions développer les structures marines, comme le propose le plan de relance, notamment des gares maritimes ; nous pourrions innover et investir le secteur marin et le littoral, tout en menant une politique protectrice de l’environnement. Pensez-vous que ce soit possible ? Seriez-vous prête à accompagner une telle évolution ?

Enfin, quelle est votre vision pour l’aquaculture ? Êtes‑vous prête à soutenir un grand projet de formation dans le domaine de l’économie bleue ?

M. Jimmy Pahun. Je voudrais soulever la question de la déconstruction des navires de plaisance et de la filière à responsabilité élargie du producteur (REP) de la plaisance. Tout est en place pour que cette REP fonctionne ; c’est la seule qui soit entièrement financée par l’État. Toutefois, ceux qui en étaient chargés n’ont pas tout à fait répondu aux objectifs qui leur étaient fixés. Que pouvons‑nous faire pour simplifier les choses en ce qui concerne le dernier kilomètre ? Tout est en place, sauf l’acheminement des épaves chez les déconstructeurs, qui sont au nombre de quatorze en France. Je souhaiterais m’investir dans ce domaine, car des épaves en plastique traînent sur nos littoraux – sans parler des ports –, alors que tout a été fait pour régler le problème. Les douanes ont légèrement augmenté le droit annuel de francisation et de navigation de la plaisance, nous avons simplifié les autorisations d’enlèvement, et pourtant les choses n’avancent pas comme elles le devraient.

Mme Annick Girardin, ministre. Monsieur Travert, la conchyliculture et, plus largement, l’aquaculture sont des secteurs très importants. La France doit davantage s’investir dans cette filière très porteuse. Les Français consomment trente-quatre kilos de produits de la mer par an, et nous en importons 80 %, notamment de la crevette et du saumon. Nous avons pourtant l’espace pour développer une production nationale. Je soutiens donc son développement.

La crise sanitaire a touché fortement la filière. Nous avons aidé l’ensemble des secteurs à la traverser, et je souhaite moi aussi que nous travaillions davantage sur des produits sains et de qualité. Les investissements engagés en matière d’assainissement nous permettront d’avoir des eaux mieux exploitables par l’aquaculture et la conchyliculture. Nous devons également travailler sur l’aquaculture en mer, pour mieux la positionner. Il s’agit d’une question de planification. Mon ministère est, non le ministère de la pêche ou des ports, mais un ministère de planification des territoires, des usages et des usagers. Nous devons accomplir ce travail tous ensemble, et il me semble que j’ai un rôle à jouer en la matière, aux côtés de Mme Barbara Pompili et des autres ministres concernés.

Les parcs éoliens peuvent être une chance pour l’aquaculture, mais il faut que nous puissions le démontrer grâce à des modèles scientifiques ; nous y travaillons, en vue de soutenir les innovations futures.

Pour ce qui est des parcs éoliens offshore attribués en 2012 et qui ne sont toujours pas opérationnels, nous devons nous poser un certain nombre de questions. Les concertations n’ont pas toujours été menées comme nous l’aurions souhaité. Sans doute seraient‑elles conduites différemment aujourd’hui, car nous disposons de plus d’éléments. Il faut définir l’ensemble des zones concernées et les étapes de la planification, sans y revenir ensuite. Il convient aussi de s’appuyer sur les retours d’expérience : la qualité des politiques publiques dépend de notre capacité à les évaluer, à identifier les éventuels freins et à apporter des solutions. Les concertations sur l’éolien en mer auront lieu, notamment en Méditerranée, et feront l’objet de plusieurs mois d’échanges et de travail.

L’éolien en mer est une chance. Nous devons nous engager dans cette voie. S’alimenter en électricité par la mer, ce n’est pas une idée de « fada », c’est une vraie solution technique – par exemple pour la Bretagne, qui, se trouvant en bout de réseau, subit des coupures électriques. On doit aller en mer, non parce qu’il n’y aurait plus de place sur terre, mais parce que cela donne de meilleurs rendements et de meilleurs résultats. Tant qu’à investir, autant avoir le meilleur retour sur investissement possible ! Les éoliennes en mer doivent néanmoins être pensées dans le cadre d’un écosystème global, avec l’ensemble des usagers. J’ai demandé que le ministère de la mer soit associé aux discussions. Nous avons des responsabilités partagées en la matière, et nous devons tous être présents dans le débat public. Certes, l’État mène le jeu, mais il faut travailler davantage avec les collectivités territoriales et les élus.

Concernant l’apprentissage, une ordonnance sera présentée en conseil des ministres cette semaine afin de simplifier les stages à bord et proposer des marées découvertes. Cela offrira de nouvelles possibilités pour embarquer des jeunes sur les navires, leur faire découvrir ces métiers, et les encourager ainsi à s’y former. Si l’on veut avoir plus de marins, il faut attirer et former plus de jeunes.

Quel est le mode de communication le plus pertinent ? Je l’ignore. Nous sommes en train d’y travailler. Nous devons le faire en liaison avec les professionnels, car c’est à eux de s’adresser aux jeunes. Qui peut mieux donner envie que ceux qui exercent ce métier ? Nous avons créé deux nouveaux brevets de technicien supérieurs (BTS) maritimes, et il faut s’en féliciter. Ces projets ont été conduits avant ma prise de fonction, mais j’ai le plaisir de les voir aboutir – une ministre n’aime rien de plus que des actions tangibles.

J’en viens aux mesures du plan de relance en faveur de l’attractivité. Le rapport que vous avez rédigé avec M. Jumel fait partie des travaux retenus pour avancer sur ces sujets, Madame Le Meur, et je souhaite vous associer au volet communication. Nous devons aussi faciliter les projets, afin d’encourager le retour à l’emploi dans la pêche et l’aquaculture. Je crois vraiment à l’aquaculture, et je me demande si la France ne pourrait pas défendre au plan européen des obligations de production aquacole. Il nous faut être moteur en la matière.

Le plan de relance comprend une enveloppe de 200 millions d’euros pour les ports, les industries innovantes etc., et de 50 millions d’euros pour la pêche. Nous devons mobiliser les acteurs autour de ces questions.

La capture accidentelle de cétacés a fait l’objet d’un échange avec les marins pêcheurs. Soyons clairs : c’est un réel problème, surtout dans le golfe de Gascogne. Dans la Manche, il se pose pour les marsouins, dans le golfe de Gascogne, pour les dauphins. Il peut y avoir des solutions différentes, même si une solution commune serait d’équiper les navires de pingers. C’est un effort que le secteur de la pêche doit faire. Les échouages étant toujours aussi nombreux, la France a été mise en demeure par l’Europe de prendre des mesures complémentaires. Nous en avons proposé, ainsi que le Portugal et l’Espagne, notamment l’équipement des bateaux en pingers dans le golfe de Gascogne. Cependant, comme cela implique une fermeture temporaire de deux semaines, il faut mettre en place un système de rotation pour que la filière ne soit pas totalement interrompue, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour elle. C’est ce que j’ai expliqué au commissaire européen, et nous attendons la réponse de la direction générale des affaires maritimes et de la pêche de la Commission européenne. Des demandes complémentaires nous seront très probablement adressées, mais le problème, c’est que je n’ai pas encore toutes les données en ma possession, notamment concernant la population de cétacés, leurs trajets, les périodes durant lesquelles ils sont présents dans nos eaux, les effets du changement climatique et l’impact économique sur la filière. Il faudrait que je dispose de toutes ces données pour pouvoir défendre notre position devant la Commission et prendre les décisions adéquates. Si nous avons la volonté d’agir, et d’agir le plus vite possible – il n’est pas question pour nous de ne pas protéger les cétacés –, il ne faut pas pour autant décider dans l’urgence.

Il faut aussi le faire de manière apaisée, et je n’accepte pas que des marins pêcheurs soient menacés sur les réseaux sociaux et leur nom et leur adresse divulgués au prétexte qu’ils s’en prendraient volontairement aux cétacés. Ils ont tout mon soutien et j’agirai en leur faveur. Certains actes sont inacceptables. Les pêcheurs doivent montrer leur bonne volonté, et nous devons tous travailler de manière apaisée pour apporter une réponse – nécessaire – à ce problème.

Les mesures pour aider les marins en Méditerranée sont identiques à celles prises pour les pêcheurs de l’Hexagone ou des outre-mer, Monsieur Pauget : arrêt temporaire et chômage partiel. J’ai eu l’occasion d’échanger avec certains d’entre eux à Paris et je serai présente au salon du littoral mardi prochain ; une nouvelle rencontre est prévue avec les pêcheurs de Méditerranée pour évoquer les spécificités de leur situation et envisager d’éventuels accompagnements complémentaires.

La compétitivité des ferries est une question européenne. La France fera des propositions en vue de les accompagner davantage à l’occasion de sa présidence de l’Union européenne. Pour défendre le pavillon France, nous devons travailler sur les normes, le volet social et les contraintes vertes : il nous faut obtenir des allègements dans certains cas et des contraintes plus fortes dans d’autres. Les pavillons français – registre international français (RIF), terres australes et antarctiques françaises (TAAF), Wallis-et-Futuna, etc. – doivent en outre évoluer. Il faudrait qu’une task force travaille sur le sujet – mais nous en reparlerons ultérieurement. Pour construire le monde maritime de demain, nous devons disposer de toutes les données nécessaires sur la période 2020-2030, conformément au cap fixé par les Nations Unies dans le cadre des objectifs de développement durable de l’Agenda 2030.

Monsieur Bourgeaux, je souhaite effectivement développer le potentiel de la conchyliculture. Les réglementations actuelles sont trop complexes, et nous devons lever un certain nombre d’obstacles. Pour cela, il nous faut fixer une stratégie et mener un travail collectif. Mon cabinet et l’ensemble des professionnels, des directions et des acteurs concernés doivent travailler ensemble afin de faire bouger les lignes et rendre les dispositifs plus flexibles. Tel a toujours été le souhait du Président de la République, dans chaque filière et pour chaque secteur d’activité.

Monsieur Ratenon, je partage l’analyse que vous faites de l’accroissement des risques dans le voisinage de La Réunion. Nous devons garantir que l’État a les moyens d’agir en cas de crise. Nous avons démontré, cet été, que nous étions capables d’aider nos voisins quand ils étaient touchés ; il est vrai que la question a pu se poser de notre capacité à protéger dans le même temps notre propre territoire, en l’espèce La Réunion. Dans tous ses bassins maritimes, la France a des responsabilités à assumer. Elle est entourée de pays en développement, dans l’océan Indien, dans le Pacifique, dans les Antilles, en Guyane… ; elle se doit d’être davantage présente, à la fois pour ses populations, mais aussi pour celles des pays en développement voisins. Nous devons travailler avec le ministère des affaires étrangères, afin que cette stratégie s’intègre dans les politiques de développement.

Deux kilomètres et demi de barrages, des experts et du matériel ont été déployés cet été : les moyens existent, ils sont opérationnels. Comment les répartir entre La Réunion et Mayotte ? Vu de Paris, ces deux territoires semblent très proches, mais, une fois sur place, on comprend que ce n’est pas si simple. La crise sanitaire l’a aussi montré : si les territoires doivent se soutenir, il n’est pas toujours facile de répondre aux spécificités de chacun. Je serai à vos côtés pour que nous menions ce travail ensemble. Notre expertise et nos moyens doivent être maintenus dans la région, pour nos territoires comme pour nos voisins.

J’en viens à la protection du littoral et à la protection de la biodiversité, extrêmement riche dans nos territoires ultramarins, puisque, M. Letchimy le rappelait, 80 % de la biodiversité française se trouve dans les territoires ultramarins ou dans les bassins maritimes. Je l’avais déjà dit lorsque j’étais ministre des outre-mer : peut-être pourrions-nous investir davantage dans ce domaine ? Nous devons protéger davantage les littoraux des territoires ultramarins et la biodiversité de ces bassins. De nouveaux patrouilleurs outre-mer vont être armés par la marine nationale ; deux seront basés à La Réunion. J’ai été ministre des outre-mer, et ce n’est pas parce que j’ai laissé « l’outre » derrière moi que je n’y pense pas en permanence. (Sourires.)

Quant à la filière REP de la plaisance, elle est en place depuis mars 2019. Elle se fonde sur la responsabilité des propriétaires. Nous devons construire avec eux un système encore plus performant, qui soit également reconnu au niveau européen. Je garde en mémoire cette image du port de Saint-Martin, avec tous ces bateaux de plaisance, qui, trois ans après, sont encore là, faute de moyens de déconstruction. Il est urgent de mettre en place un tel dispositif, car la réponse que nous apportons actuellement n’est pas suffisante, j’en conviens. C’est ce que nous allons faire dans les jours à venir – nous aurons certainement l’occasion d’en reparler.

M. Robert Therry. En vous écoutant, Madame la ministre, je pense à un éleveur de bovins du Pas-de-Calais dont les vaches sont malades en raison de la présence d’un parc éolien au voisinage de son exploitation ; certaines d’entre elles sont mortes. Le lien est reconnu. L’aquaculture ne courra-t-elle pas le même risque en s’installant sous des parcs éoliens ?

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Pour pouvoir répondre avec certitude à cette question, il faudrait des études supplémentaires. Néanmoins, je pense, à titre personnel, qu’il est envisageable de permettre à certaines espèces de se reproduire dans le pied des éoliennes ; je l’ai d’ailleurs vu faire dans d’autres domaines que l’aquaculture et dans d’autres pays. Les études demandées, qui sont en cours, nous diront jusqu’où l’on peut aller et nous permettront de prendre les décisions idoines.

M. le président Roland Lescure. Madame la ministre, nous vous remercions.

M. Jimmy Pahun. Rendez-vous au Vendée Globe !

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*    *

Informations relatives à la commission

La commission des affaires économiques examinera, le jeudi 1er octobre prochain, la proposition de loi relative à de premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers (n° 3293). M. Cédric Villani est nommé rapporteur.

Mme Anne-France Brunet est nommée rapporteure pour avis sur la première partie du projet de loi de finances, pour les dispositions relatives au plan de relance (article 3). Mme Anne-France Brunet est également désignée rapporteure budgétaire pour avis sur la nouvelle mission budgétaire « Plan de relance », qui devrait être créée au sein de la seconde partie du projet de loi de finances.


 

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 22 septembre 2020 à 17 h 30

Présents. – M. Damien Adam, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Bruno Bonnell, Mme Anne-France Brunet, M. Sébastien Cazenove, M. Dino Cinieri, M. David Corceiro, M. Olivier Falorni, M. Philippe Huppé, M. Sébastien Jumel, M. Guillaume Kasbarian, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Marie Lebec, Mme Annaïg Le Meur, M. Serge Letchimy, Mme Graziella Melchior, M. Éric Pauget, Mme Nathalie Porte, M. Robert Therry, M. Stéphane Travert, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. – M. Alain Bruneel, M. Antoine Herth, Mme Laure de La Raudière, M. Max Mathiasin

Assistaient également à la réunion. – Mme Patricia Mirallès, M. Jimmy Pahun, M. Jean-Hugues Ratenon