Compte rendu

Commission
des affaires économiques

– Examen du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire (n° 3298) (M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur)              2


Mercredi
23 septembre 2020

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 78

session extraordinaire de 2019-2020

Présidence
de M. Roland Lescure,
Président
 


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La commission des affaires économiques a procédé à lexamen du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire (n° 3298) (M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur).

M. le président Roland Lescure. Nous examinons cet après-midi le projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire, sur le rapport de M. Grégory Besson-Moreau. Je vous rappelle qu’il sera discuté en séance publique le lundi 5 octobre à partir de 16 heures.

Ce texte, qui autorise les dérogations à l’interdiction d’utilisation des produits contenant des néonicotinoïdes ou des substances similaires, suscite de nombreux débats, souvent passionnés, dans cette enceinte et à l’extérieur. Je souhaite que, comme d’habitude, chacun puisse s’exprimer et faire valoir ses arguments. La discussion générale, en présence de M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, de Mme Véronique Riotton, présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et de Mme Claire O’Petit, rapporteure pour avis de cette même commission, ainsi que l’examen des 59 amendements encore en discussion devrait offrir à chacun la possibilité d’intervenir et de défendre pleinement ses idées.

Je laisserai donc le débat se dérouler librement, tant que les interventions ne dissimulent pas d’éventuelles velléités d’obstruction. Ainsi, à titre d’exemple, même si l’article 100, alinéa 5, du règlement m’autoriserait à ne donner la parole qu’à un seul orateur d’un même groupe présentant des amendements identiques, j’accepterai que plusieurs amendements de suppression déposés par les membres d’un même groupe soient tous défendus par l’un de leurs signataires mais à une condition : que cette défense ne dépasse pas deux minutes par amendement.

Après l’intervention du ministre, nous entendrons notre rapporteur puis prendront ensuite la parole, pour quatre minutes chacun, la rapporteure pour avis et les orateurs des groupes. Pour les séries de questions, vous disposerez de deux minutes.

Je précise qu’un amendement de Mme Géraldine Bannier, du groupe Mouvement démocrate (MoDem) et démocrates apparentés, a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 et que, conformément à la règle que j’avais présentée au bureau de la commission le 16 septembre, j’ai également déclaré irrecevables, cette fois au titre de l’article 45, six amendements présentés par le groupe Socialistes et apparentés n’ayant pas de lien, même indirect, avec l’objet de l’article unique du présent projet de loi.

Je vous rappelle que les conditions sanitaires sont strictes et que le port du masque est obligatoire, même lorsque vous vous exprimez.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Je suis très heureux que nous abordions la discussion de ce projet de loi en commission des affaires économiques, dont nous avons déjà très longuement discuté hier en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

La jaunisse de la betterave est provoquée par un puceron qui inocule un virus modifiant le métabolisme de la plante : il stoppe la photosynthèse, détruit la chlorophylle et fait donc jaunir les feuilles. Dès lors, la betterave produit beaucoup moins de sucre, ce qui met en péril les rendements.

Les récoltes commencent à peine dans certains territoires mais cette maladie frappe un nombre très conséquent de champs de betteraves. À cela s’ajoute les difficultés du secteur sucrier suite à des décisions qui ont été prises pendant la dernière décennie, dont la fin des quotas. Le secteur de la betterave dépend de surcroît, en aval, de l’industrie sucrière – nous comptons vingt-et-une sucreries en France – dont le point d’équilibre chute en cas de rendements insuffisants, entraînant ainsi la fermeture de ces usines. Il en va donc de notre souveraineté.

Nombre de planteurs, en ce moment même, hésitent à replanter des betteraves : outre la maladie de la jaunisse, un effondrement du rendement implique un manque conséquent de revenus. Si les sucreries ferment, c’est toute la filière de la betterave qui peut disparaître en une ou deux saisons. Il est donc urgent d’agir avec responsabilité et courage en reconnaissant d’abord que nous nous trouvons devant une impasse, la recherche scientifique et agronomique, publique ou privée, n’ayant pu trouver à ce jour une solution alternative à l’usage des néonicotinoïdes.

La première alternative envisagée consisterait à placer l’ensemble de la filière sous perfusion économique jusqu’à ce que l’on trouve une solution agronomique, or, les règles européennes sont très claires et nous interdisent d’indemniser à 100 % les agriculteurs. Une indemnisation maximale, à hauteur du régime de base, qui est de 65 %, voire la présentation, à Bruxelles, d’un nouveau régime qui s’élèverait à 80 %, ne changerait rien.

Les alternatives dites chimiques, quant à elles, existent depuis 2018. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a autorisé en 2018 la mise sur le marché d’autres substances, notamment le Teppeki et le Movento, pour pallier l’arrêt des néonicotinoïdes enrobés pour la betterave mais leurs effets ne sont pas du tout à la hauteur du problème que nous rencontrons aujourd’hui et, parfois, leurs conséquences sur l’environnement sont significatives puisque leur diffusion répétée peut entraîner leur rémanence dans les sols voire une infiltration dans les nappes phréatiques.

Enfin, nous avons recherché une alternative agronomique.

Premier volet : la sélection génétique. Il s’agit d’identifier des semences qui réagiraient différemment au virus inoculé par ce puceron sans modifier le métabolisme de la plante. À ce jour, nous n’en avons pas trouvé. J’ai encore discuté hier avec les équipes de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), selon lesquelles quelques semences ont été identifiées mais pour faire face à seulement un ou deux types de virus sur les quatre existant.

Deuxième volet : la biosécurité. Il s’agit de favoriser la présence d’auxiliaires dans nos champs comme, par exemple, les coccinelles, prédateurs naturels de ces pucerons. Des recherches intéressantes sont en cours mais nous devons créer un écosystème – le gîte et le couvert ! – de ces auxiliaires, ce qui implique de planter des haies et de créer des zones d’accueil, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain.

Troisième volet : les pratiques culturales, à mes yeux les plus prometteuses. Il s’agit d’adapter la taille des parcelles ou d’autres facteurs de gestion des cultures. Par exemple, comme l’a montré une expérimentation dans l’Oise, le semis d’avoine aux côtés de la betterave pourrait avoir un effet répulsif pour les pucerons, sans que cela ait été toutefois confirmé à ce jour.

J’évoquais donc notre souveraineté. Si la filière sucrière s’effondre en deux ans, plus question de transition agroécologique ; de plus, onze producteurs européens sur quatorze – c’est notamment le cas des Polonais, des Belges et des Allemands – ont utilisé des dérogations à l’utilisation des néonicotinoïdes et utilisent même parfois des produits interdits en France. Voulons-nous pérenniser la filière sucrière en l’aidant à passer cette période difficile et en accélérant sa transition ou considérons-nous qu’elle ne fait plus partie des objectifs de la politique agricole française, que ce n’est pas grave pour notre souveraineté, que ce n’est pas grave si 46 000 emplois sont concernés ? En tout cas, dans deux ans, nous, vous, vos enfants continueront à consommer du sucre et ce serait alors du sucre polonais, belge, allemand.

Face à cette question de souveraineté, le Gouvernement propose un plan d’ensemble dont l’un des principaux volets est le projet de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre cet après-midi. Son article unique vise à donner la possibilité à la France d’utiliser la même règle de dérogation que nos onze partenaires européens. Une loi est nécessaire parce que la loi de 2016 sur les néonicotinoïdes en interdit l’utilisation et interdit toute possibilité de dérogation. Il ne nous est donc pas possible d’utiliser l’article 53 du Règlement européen, fondement juridique sur lequel s’appuient nos partenaires pour demander des dérogations à ces interdictions.

Vous le constatez, j’insiste exclusivement sur la question de la souveraineté : depuis que je suis en fonction au ministère de l’agriculture et de l’alimentation, c’est elle qui m’obsède. Je suis convaincu que notre agriculture est confrontée à ce défi de l’indépendance. Je suis convaincu que la force d’une société et d’une civilisation – c’est vrai depuis 2 000 ans – dépend de la puissance de son agriculture. Lorsqu’un pan entier de notre agriculture est en danger et qu’il faudrait se résoudre à importer du sucre en provenance d’autres pays européens, qui plus est produit dans des conditions qui n’ont rien à voir avec celles qui sont en vigueur chez nous, alors, notre souveraineté est profondément atteinte.

Politiquement, ce texte emporte des conséquences. Il ne constitue en rien un renoncement écologique mais il incarne une volonté de souveraineté. Je rappelle d’ailleurs que la loi de 2016 a mis fin à 92 % des usages de néonicotinoïdes. Or, la politique, c’est aussi avoir le courage et l’humilité de reconnaître les impasses et d’y faire face en sachant que la poursuite de la transition agroécologique implique d’abord de disposer de filières vivantes.

En outre, il faut faire des comparaisons à partir des référentiels actuels. L’ANSES a ainsi autorisé l’utilisation d’autres produits mais qui ont des conséquences sur l’environnement, en particulier lorsqu’ils sont utilisés au-delà des doses initialement prévues faute d’avoir les effets escomptés.

Jamais je ne me cacherai derrière mon petit doigt : les néonicotinoïdes ont des conséquences sur l’environnement que je ne cherche en rien à minimiser. Dans « transition agroécologique », il y a d’abord « transition », et elle prend parfois du temps. En politique, il faut avoir le courage de l’affronter, et c’est le sens de ce projet qui sera complété par des engagements de la filière elle-même en termes de prévention, des engagements de la recherche, avec 5 millions financés par l’État, et un suivi dont nous allons débattre, lequel doit être fort, aigu, et associer la représentation démocratique afin de trouver les alternatives nécessaires d’ici à trois ans, délai posé par cette loi.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. « Nous ne devrions pas être là aujourd’hui mais pas parce qu’être avec vous me serait désagréable. Nous ne devrions pas être là si nous n’étions pas tenus par des décisions passées » : j’ai eu l’occasion de le dire lors de chaque audition que j’ai menée avec les organisations syndicales, les associations, les représentants de la filière, les ministres de la transition écologique et de l’agriculture, mais aussi à chaque visite sur le terrain, qui est la bonne école pour appréhender la détresse du monde agricole et, plus particulièrement, des planteurs de betteraves.

En réponse à ces mots, un seul constat : nous sommes face à une impasse technique suite à des dérives passées dont nous partageons la responsabilité. Une seule solution : un projet de loi qui remettra tout le monde dans le droit chemin.

Je n’aurai de cesse de le répéter : la transition agroécologique consiste à mettre en cohérence les temps de la politique, de la science, de l’agriculture, et la loi de la nature, mais l’analyse du passé ne résoudra pas à elle seule les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Ce projet vise à mettre rapidement un terme à l’usage des néonicotinoïdes sans pour autant sacrifier les filières et la protection de l’environnement. Je souhaite rappeler ce qu’il est et, surtout, ce qu’il n’est pas.

Ce projet de loi n’est pas une autorisation de mise sur le marché, pas plus qu’il n’introduit l’utilisation d’un nouveau pesticide : il met un terme à l’usage des néonicotinoïdes. Je le dis fermement car il faut que les choses soient claires pour tout le monde : ce texte n’encourage pas l’agriculture française à revenir aux pesticides, bien au contraire.

Un peu de bonne foi et de recul montre que, grâce au projet de loi de 2016 sur la biodiversité défendu par la ministre d’alors, Barbara Pompili, l’utilisation de 92 % des néonicotinoïdes a été supprimée en quatre ans. Ce projet de loi permettra donc d’en finir avec ces derniers 8 % qui embarrassent la filière de la betterave, ce qui mérite toute notre attention et nécessite des moyens d’accompagnement plutôt que de laisser cette culture souveraine sur le bas-côté, comme le souhaitent nombre de détracteurs politiques.

Nous nous devons de relever le défi du virage écologique et d’une agriculture durable et pérenne. C’est lui que nous prenons et que nous encourageons à suivre. Ce texte ne s’oppose en rien avec une telle vision de la société et les adaptations que nous lui apporteront ne le réduiront pas à un chèque en blanc. Il garantit que, pendant trois ans, notre agriculture se focalisera sur la fin des néonicotinoïdes. Il garantit que, dans nos territoires, nous aurons toujours des champs de betteraves pour alimenter des sucreries car, le ministre l’a rappelé, il en va de notre souveraineté économique, alimentaire, et, me semble-t-il, de notre capacité à accélérer la transition agroécologique.

Ce projet de loi ne constitue pas non plus une régression pour le droit de l’environnement, ce qui serait bien évidemment inconstitutionnel : il s’inscrit dans le droit européen tel qu’il est en vigueur et prolonge le régime d’interdiction qui était le nôtre depuis 2018, avec des possibilités de déroger strictement encadrées.

D’un point de vue social, il s’agit surtout de ne pas tuer des exploitations betteravières et de ne pas mettre au chômage des femmes et des hommes qui travaillent dur depuis des années dans l’espoir, souvent, de transmettre leurs exploitations aux générations futures.

Ce texte ne vient pas d’en-haut mais il émane de nos territoires ruraux.

Enfin, ce débat n’oppose aucunement les pro- et anti-néonicotinoïdes pour la bonne et simple raison que tous, ici, faisons partie de la seconde catégorie. Personne ne nie les dangers de cette substance, ni le Gouvernement ni moi-même. Dans mon rapport, j’ai exposé avec beaucoup de sincérité de tels risques. Les acteurs de la filière non plus ne considèrent pas les néonicotinoïdes comme une solution durable et tous souhaitent en sortir. Le recours aux néonicotinoïdes est en l’occurrence une solution d’urgence, le seul moyen de faire face à une situation intenable pour la filière betteravière et sucrière.

Souhaitons-nous conserver notre place de leader européen ou la laisser à d’autres par dogmatisme, pour ensuite compenser cette perte de leadership par l’importation de sucre étranger dont la production ne respecte pas nos propres normes ? L’égoïsme écologique du « plus vert que vert chez moi et tant pis pour les autres » ne résoudra pas les problèmes.

Ce texte répond à deux objectifs.

Tout d’abord, sécuriser la production française de sucre, qui a une importance économique réelle, en particulier dans nos territoires ruraux, et qui a contribué à la souveraineté alimentaire et énergétique française. En raison d’un hiver exceptionnellement doux, certaines régions ont subi des attaques massives de pucerons verts qui ont transmis aux plantes le virus de la jaunisse – en fait, quatre virus différents, ce qui complique considérablement la recherche d’alternatives.

Cette jaunisse, qui empêche la photosynthèse et le développement normal des betteraves, a entraîné de très fortes pertes de rendements avec, pour conséquence, des pertes de revenus mais aussi le risque que les agriculteurs renoncent à planter des betteraves.

Si la production française diminue, les sucreries ne disposeront plus de la matière première dont elles ont besoin pour produire et être rentables. À très court terme – deux ans – cela signifierait des fermetures d’usines, donc des suppressions d’emplois, mais aussi un amoindrissement de notre souveraineté alimentaire et énergétique.

Ensuite, accompagner la transition d’une filière. Le texte s’inscrit en effet dans le cadre d’un plan d’action plus large destiné à assurer sa pérennité et sa durabilité. Ce plan prévoit notamment l’application de plans de prévention des infestations par les ravageurs par les professionnels, le renforcement des efforts de recherche avec 5 millions supplémentaires mobilisables dès 2021, une indemnisation des pertes les plus importantes résultant de la jaunisse au cours de la campagne 2020 ainsi que des engagements des industriels sur la pérennisation de la filière sucrière.

Pour atteindre cet objectif de sauvegarde de la filière betteravière et sucrière, le texte propose un dispositif simple de dérogation, strictement limité et encadré sur les plans européen et français. L’article unique permet aux ministres de l’agriculture et de la transition écologique d’octroyer par arrêté des dérogations à l’interdiction d’utiliser des produits phythopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes jusqu’au 1er juillet 2023.

Une telle possibilité est encadrée par des conditions strictes de délivrance, que je rappelle : l’autorisation de déroger ne peut excéder 120 jours et la mise sur le marché est destinée à un usage limité et contrôlé qui ne peut intervenir qu’en raison d’un danger ne pouvant être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables.

Comment pouvons-nous améliorer ce dispositif pour renforcer encore les garanties offertes par ce texte ? Vos amendements sont autant d’occasion d’en discuter mais il me semble très important de pouvoir « cranter » les objectifs en matière de recherche et d’assurer un contrôle parlementaire fort afin qu’en 2023, nos agriculteurs disposent d’alternatives aux néonicotinoïdes respectueuses de l’environnement et efficaces. Je vous proposerai un amendement en ce sens.

Christian Huyghe, directeur scientifique « Agriculture » à l’INRAE, a tenu à nous rappeler que la sortie des néonicotinoïdes ne passera pas par une solution unique mais par la combinaison de plusieurs évolutions, dont certaines relèvent d’un changement de pratiques culturales et de « culture », au sens large, qui doit conduire à repenser la question des équilibres au sein des parcelles en favorisant l’installation d’auxiliaires naturels prédateurs des pucerons ainsi que de bandes enherbées et de haies. Il nous a ainsi rappelé la nécessité de « remettre de la complexité » dans les parcelles. C’est cette complexité que je vous invite à assumer aujourd’hui dans le cadre de nos échanges car je suis convaincu que la situation à laquelle nous faisons face ne trouvera de solution apaisée que par le dialogue, le respect mutuel et le refus des positions dogmatiques.

Mme Claire OPetit, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de laménagement du territoire. Ce projet s’inscrit dans un contexte particulier et fait suite à l’interdiction de l’utilisation des produits phyto contenant des néonics à compter de 2018.

Vous le savez, la filière de la betterave sucrière a fait face en 2020 à une invasion de pucerons verts qui ont contaminé les cultures et ont provoqué la jaunisse de la betterave. Selon les régions, comme en Île-de-France et en Centre-Val de Loire, les pertes économiques peuvent dépasser 30 %. C’est sur la base de ces chiffres que les agriculteurs décideront ou non de planter des betteraves l’an prochain.

Ils ne sont pas les seuls touchés par cette crise. L’industrie sucrière dépend fortement des récoltes de betteraves dont les usines ont besoin pour couvrir leurs coûts fixes et être rentables.

Pour autant, cette crise ne doit pas nous conduire à donner un chèque en blanc pour utiliser les néonics sans restriction. Le projet de loi maintient la règle générale d’interdiction de ces substances et permet des usages dérogatoires limités : les dérogations ne sont en effet possibles que jusqu’en juillet 2023 et seront encadrées par le Règlement européen. Le Gouvernement s’est également engagé à les limiter aux seules cultures de betteraves et je le lui fais pleinement confiance sur ce point. Néanmoins, je comprends et partage l’idée qu’une telle précision doive être inscrite dans la loi. La commission du développement durable a adopté deux amendements en ce sens.

J’entends aussi les risques constitutionnels que cela peut soulever et c’est pour cela que j’ai proposé une rédaction alternative. En vue de la séance publique, il conviendra de parvenir à une rédaction commune visant à les limiter.

Il convient également de demander des contreparties à la filière, d’où l’adoption par la commission du développement durable de mon amendement visant à interdire de planter des cultures attirant les abeilles après l’utilisation des néonics.

Enfin, la commission du développement durable a adopté un amendement, que je défendrai,  restreignant les dérogations à 2022 au lieu de 2023. Il importe également d’inscrire dans la loi certaines garanties environnementales, notamment, la restriction du champ de la dérogation.

J’espère donc que les travaux de la commission des affaires économiques permettront de modifier le projet de loi en ce sens.

M. Jean-Baptiste Moreau. Je ne reviendrai pas sur ce que M. le rapporteur vient de dire excellemment.

Ce projet requiert et mérite une étude et une analyse pragmatiques, au-delà des avis simplistes et des démagogies. Je me félicite des discussions qui ont eu lieu dans le cadre de la commission du développement durable et qui ont débouché sur son adoption.

La filière de la betterave sucrière se trouve en effet aujourd’hui dans une impasse technique, laquelle s’ajoute à la baisse de 35 % des revenus des agriculteurs depuis 2016-2017, le prix d’achat de la betterave ayant diminué de 20 %. Ces difficultés se sont elles-mêmes ajoutées à la crise provoquée par la fin des quotas sucriers.

Depuis son application en 2018, la loi « biodiversité » interdit l’utilisation des néonicotinoïdes mais, deux ans après, force est de constater que nous avons collectivement échoué à trouver une alternative : échec du législateur, qui a légiféré avant même que des progrès aient été obtenus, échec scientifique car, malgré le travail accompli, aucune alternative suffisamment efficace et économiquement viable n’a été trouvée.

Le constat est clair : aujourd’hui, nous n’avons pas d’alternative et la filière se trouve face à une situation qui pourrait entraîner sa disparition. On entend ici et là que les pertes de rendement sont en deçà des chiffres avancés mais je vous prie de prendre le problème sous l’angle structurel : si certaines régions semblent en effet plus ou moins épargnées par la jaunisse, à l’instar des Hauts-de-France et de la Normandie, les pertes de rendement atteindraient 40 % voire 70 % dans les régions du Centre, au sud de Paris ou au sud de la Champagne. Par ailleurs, d’années en années, les zones atteintes pourront varier en raison du changement climatique.

Il importe de faire preuve de pédagogie et de pragmatisme en rappelant qu’il n’est pas question de réintroduire des néonicotinoïdes mais d’autoriser une dérogation pour la filière, comme c’est le cas chez de nombreux voisins européens grâce à l’article 53 que vous avez évoqué.

J’ajoute que 90 % des usages de néonicotinoïdes ont disparu et qu’ils ne reviendront pas avec cette dérogation.

Autre point : si, les récoltes n’ayant pas commencé, les chiffres que nous avons donnés ne sont qu’indicatifs et s’il est assez difficile d’évaluer précisément les pertes de rendement et les pertes économiques, il est en revanche certain que la survie de la filière est en jeu, alors que nous devons collectivement œuvrer en faveur de notre souveraineté alimentaire, nationale et européenne, et alors même que la France est le premier producteur mondial de sucre de betteraves et le premier producteur de sucre en Europe. Ce que nous ne produirons plus sur notre sol, nous l’importerons, et nous n’aurons aucun contrôle sur les produits utilisés ou la qualité des produits importés.

J’ajoute que la diversification du secteur est déjà effective avec les biocarburants ou le gel hydro-alcoolique – dont le champion européen de la production est en France.

Ce projet de loi permet d’encadrer strictement la dérogation, limitée à la culture de la betterave sucrière et jusqu’en 2023. Il est nécessaire parce que le recours aux indemnisations ne suffit pas, celles de l’Union européenne ne permettant jamais d’indemniser complètement les agriculteurs. Notre objectif n’est pas de pérenniser l’utilisation des néonicotinoïdes mais si nous ne faisons rien, les planteurs risquent d’opter pour d’autres cultures et d’abandonner une filière qui fait la fierté de notre pays.

M. Julien Dive. Il est difficile de dissocier le département de l’Aisne de la culture de la betterave puisqu’il en est le premier producteur en France : sa forme même ressemble à une betterave ! Le député de l’Aisne que je suis n’est pas né dans un champ de betterave mais presque. Pour avoir parcouru ces champs en long et en large dans ma jeunesse et pour avoir l’amitié de nombre de planteurs, je connais les difficultés auxquelles ces derniers sont confrontés.

Pourquoi parlons-nous des betteraves alors que ce texte pourrait fort bien prévoir une délégation pour d’autres types de cultures puisque, avant 2016, les néonicotinoïdes étaient également utilisés ailleurs ? Tout simplement parce que cette filière est en grande difficulté, qu’elle est menacée, et que ce texte la concerne elle seule.

Je suis très heureux que Jean-Baptiste Moreau ait évoqué la construction du prix dans la filière de la betterave, qui subit de plein fouet la fin des quotas, les betteraves étant en effet aujourd’hui achetées en-dessous du seuil de rentabilité. Votre ministère, monsieur le ministre, devra remettre un rapport au Parlement avant le 31 décembre à ce sujet suite à l’adoption d’un amendement que j’avais défendu dans la loi ÉGALIM.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Que j’avais soutenu !

M. Julien Dive. Par ailleurs, monsieur le ministre, je salue votre courage. Dès le mois d’avril, lorsque la betterave commence à sortir de terre, les planteurs, les agriculteurs nous ont alertés sur l’arrivée précoce des pucerons verts. Les Républicains sont montés au créneau à plusieurs reprises et je vous ai saisi dès votre nomination. Vous m’avez alors fait part des difficultés pour autoriser une dérogation, la loi ne le permettant pas, et beaucoup de « diseux », comme on dit chez moi, auraient mis la poussière sous le tapis et ne se seraient pas risqués à rouvrir le dossier législatif. Vous l’avez fait et c’est tout à votre honneur : vous prenez des risques mais vous pouvez compter sur notre soutien.

Dans la filière betteravière, les néonicotinoïdes ne sont pas projetés à partir d’un tonneau avec un pulvérisateur, comme c’est parfois le cas dans d’autres pays. Il s’agit de semences enrobées, semées en terre, et donc d’un processus ciblé, à la différence des pulvérisations. Le Teppeki ou le Movento, quant à eux, ont été utilisés par défaut pour préserver des cultures mais leur pulvérisation touche également les insectes auxiliaires, si utiles pour lutter contre le virus.

Telle est la situation : nous parlons d’une filière qui est au bord du gouffre et si l’on souhaite sa fin, il faut l’assumer et ne pas se cacher derrière son petit doigt.

M. Bruno Millienne. Cette proposition ne coule pas de source et suscitera sans doute l’incompréhension de nos concitoyens ; il appartient donc aux responsables politiques que nous sommes d’expliquer en quoi elle s’impose. C’est d’abord une nécessité économique : nous ne pouvons pas nous résoudre à voir en 2021 les agriculteurs abandonner massivement la culture de la betterave, car cela entraînerait la fermeture de nombreuses sucreries et, à terme, la disparition de la filière. Or l’un des enseignements que nous pouvons tirer de la crise sanitaire est qu’il nous faut retrouver notre souveraineté alimentaire. La France est le premier producteur de sucre en Europe avec 21 sucreries ; le secteur emploie 46 000 personnes, dont 25 000 agriculteurs.

Ensuite, et d’un point de vue écologique, substituer au sucre français du sucre produit en Europe selon des normes moins exigeantes ne serait pas une avancée. Je rappelle aussi que depuis l’interdiction des néonicotinoïdes, les betteraviers se sont rabattus sur les pyréthrinoïdes. Or les pyréthrinoïdes ne sont pas utilisés sur la graine, mais pulvérisés. Plusieurs pulvérisations sont nécessaires, bien qu’insuffisantes, car les pucerons se trouvent sous les feuilles épaisses de la plante ; tous les insectes volants à proximité, comme les coccinelles, sont éradiqués, à la différence des pucerons qui, profitant de l’absence de prédateurs, continuent de se multiplier. Cette pratique est encore plus destructrice de la biodiversité et ce texte permettrait de la faire cesser.

Prévoir cette dérogation, c’est se replacer au même niveau que nos voisins européens, mais uniquement sur ce type de culture ; notre pays reste donc pionnier dans l’interdiction des néonicotinoïdes. Comme il l’a fait hier en commission du développement durable, mon groupe demande au Gouvernement d’explorer la piste des haies bocagères, réservoirs de biodiversité, abris des prédateurs de pucerons. La mortalité des abeilles étant due aussi à l’absence de fleurs, les haies bocagères peuvent offrir une diversité intéressante de pollens. Enfin, elles sont très efficaces pour limiter l’érosion des sols et favoriser l’infiltration des pluies dans les nappes phréatiques. Nous appelons donc le Gouvernement à travailler, dans le cadre de la réforme de la PAC, à réviser les aides relatives aux surfaces d’intérêt écologique (SIE) afin d’inciter à la plantation de haies bocagères autour des cultures.

Enfin, il est indispensable de proposer une politique globale de long terme, en soutenant et en restructurant la filière apicole. Nous importons une grande partie du miel que nous consommons, et sa provenance est parfois plus que douteuse. La création de sites Natura 2000, par exemple, permettrait l’installation de ruches et la production de miel français. L’un des enjeux de ce texte est de préserver la souveraineté française en protégeant la filière betterave ; nous devons faire preuve de la même volonté concernant la filière apicole.

M. Dominique Potier. Sans vous en faire le reproche, monsieur le président, je regrette la censure de la plupart des amendements du groupe Socialistes et apparentés au titre de l’article 45. Il est pour le moins ubuesque de les avoir écartés au motif qu’ils portaient sur la filière betterave et que n’y était pas spécifié le terme « néonicotinoïdes », alors qu’ils visaient précisément à circonscrire la portée de ce texte à la culture de la betterave. Admettez le paradoxe ! Nous espérons que vous ferez preuve de tolérance et nous accorderez un peu du temps de parole dont nous aurions dû disposer.

Je veux dire dans quel état d’esprit nous sommes à l’orée de ce débat qui nous occupera plusieurs heures ici, puis en séance, où nous pourrons être plus prolixes. Nous refusons les postures, la caricature, tout ce qui est à même d’exacerber les tensions entre l’agriculture et la société, entre le monde économique et l’ambition écologique. Nous nous situons clairement du côté de la responsabilité, de la dignité des travailleurs, employés des sucreries et paysans. Nous défendons la notion de contribution de la France à la sécurité alimentaire globale, plutôt que le concept de souveraineté alimentaire, rappelant que le capital de biodiversité est notre assurance-vie.

Nous chercherons à concilier les deux orientations en proposant, par des compensations économiques intelligentes, à engager – enfin ! – la transition vers des pratiques culturales, génétiques, agronomiques et commerciales. À cet égard, la haute valeur environnementale (HVE), que vous n’avez pas mentionnée, monsieur le ministre, pourrait devenir en ces temps de crise une ambition pour la filière betterave, voire un élément de négociation, à titre expérimental, pour les aides européennes. Cela constituerait une voie de sortie.

Cette dérogation, si elle devait être autorisée, ruinerait la parole publique, créerait des tensions dans le pays et marquerait un retour en arrière sur le plan de la biodiversité et des pollinisateurs. Les compensations économiques doivent être intelligentes et justes. Car cette question que nous posent les betteraviers, les éleveurs laitiers, les producteurs de colza ou encore les producteurs de fruits et de légumes pourront nous l’adresser demain. Le secteur de la betterave ne jouit pas de prérogatives singulières, les efforts à réaliser pour engager la transition écologique sont aussi importants ailleurs. Les efforts publics devront être justes et préfigurer un modèle de transition sociale et écologique pour le bien commun, qui accompagne les agriculteurs et tous les travailleurs concernés.

Monsieur le ministre, j’aimerais que nous tirions les leçons de nos échecs. Après des débats incroyablement difficiles sur le glyphosate – on a été jusqu’à nommer un préfet glyphosate ! –, des collègues s’apprêtent à proposer la création d’un comité spécial « néonicotinoïdes betterave ». Mais où va-t-on ? Le plan Écophyto, issu du Grenelle de l’environnement, est à l’arrêt depuis plusieurs années, sans pilote pour mobiliser les parties prenantes. Ce type d’écueil nous conduit à une guerre qui nous déchire. Nous devons nous attaquer aux dérégulations économiques mais aussi à la puissance publique, qui a fait preuve d’incurie ces dernières années. Pour éviter l’agribashing, il faudra réinsuffler de la démocratie, de la raison et de la justice.

M. Thierry Benoit. Pour tout vous dire, je suis très partagé, et inquiet. Je me souviens des débats de 2016 comme si c’était hier : je m’étais abstenu sur le texte défendu par Barbara Pompili, considérant qu’il fallait laisser passer l’interdiction des néonicotinoïdes. Il est vrai que l’interpellation des apiculteurs m’avait convaincu de la gravité de la situation.

Aujourd’hui, la seule chose qui me rassure est de vous savoir ministre de l’agriculture, monsieur le ministre – en tant qu’ingénieur agronome, vous pourrez nous aider à faire preuve de discernement –, et la seule chose dont je sois certain, c’est que trois ans, c’est beaucoup trop.

Jacques Chirac, à qui nous avons rendu hommage ce matin dans l’hémicycle, avait coutume de dire lorsqu’il se déplaçait dans les territoires : « c’est loin, mais c’est beau ! ». Je le paraphraserai en disant : « trois ans, c’est bien, mais c’est loin ! ». Le groupe UDI et Indépendants souhaite que la durée de cette dérogation – justifiée par la situation très préoccupante de la filière betteravière – soit réduite à un an. La France doit avoir la maturité politique pour évaluer chaque année la situation et débattre à nouveau de la question. Lorsque l’on parle de transition, il ne devrait pas y avoir de date butoir. Comme pour le glyphosate, nous devons être capables d’évaluer les évolutions de manière régulière. Par ailleurs, il faut mettre en place une stratégie au niveau européen – sans quoi on ne s’en sortira pas.

Je rebondis sur la proposition de Dominique Potier : nous devons travailler avec l’INRAE et les chambres d’agriculture pour activer le plan Écophyto et construire une stratégie, puisqu’il s’agit de crédits territorialisés, dépendant de la région et du type de productions.

Enfin, alors que la filière sucrière était jusqu’à une période récente plutôt dynamique et excédentaire, la filière apicole se porte mal : nous importons des miels de Roumanie et d’Europe de l’Est, qui n’ont de miel que le nom. J’aimerais que nous puissions présenter aux apiculteurs une stratégie de lutte contre le frelon asiatique et le varroa, ainsi qu’un plan de redynamisation et de revivification de la filière.

À ce stade, il faut que la dérogation soit limitée à un an, et qu’il soit prévu d’interdire, deux ans après les cultures de betterave, de planter des plantes mellifères. En effet, nous sommes tous circonspects, ou interrogatifs, sur la rémanence du produit dans les cultures futures.

M. Olivier Becht. J’essaierai d’apporter, dans un débat souvent passionné, une réponse pragmatique aux cinq questions que les citoyens qui nous regardent aujourd’hui peuvent se poser. Sommes-nous capables, face à l’invasion de pucerons, de cultiver des betteraves sans néonicotinoïdes ? Non. Pouvons-nous sauver les 46 000 emplois et les 25 000 agriculteurs qui vivent de la filière et la font vivre sans demander cette dérogation ? Non. En admettant l’abandon de la filière sucrière française, pourrions-nous importer et consommer du sucre plus sain, sans néonicotinoïdes ? Non. Allons-nous voter une dérogation non limitée dans le temps, avec les risques sanitaires que cela comporte ? Non. Cette dérogation s’appliquera-t-elle à d’autres plantes que la betterave ? Non.

Cette dérogation, indispensable pour sauver le sucre français et l’emploi, est limitée strictement dans le temps, limitée strictement à la betterave, et accompagné d’un effort de recherche pour aboutir d’ici à trois ans à un substitut biologique aux néonicotinoïdes. Bien sûr, ce n’est pas de gaîté de cœur que nous prenons une telle décision, nous aurions tous préféré disposer dès aujourd’hui de ce produit de substitution. Mais il ne faut pas se contenter de l’écologie de salon, et faire de l’écologie de terrain : les agriculteurs, qui sont les premiers concernés par les produits pesticides – car ils en sont aussi les premières victimes – posent des questions pragmatiques, auxquelles nous apportons des réponses pragmatiques. Il me semble que depuis quelques siècles, le choix en politique est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal. Pour l’heure, ce texte est le moindre mal et c’est pourquoi les députés du groupe Agir ensemble le voteront.

Mme Bénédicte Taurine. Ce projet de loi est déconnecté de l’urgence écologique à laquelle nous sommes confrontés, et que personne ne peut nier. Les néonicotinoïdes n’ont pas seulement en impact dramatique sur les abeilles sur les pollinisateurs, ces substances « à large spectre » ciblent tous les arthropodes sans distinction, y compris les insectes bénéfiques aux cultures. Les effets létaux de ces substances ont été mis en évidence sur une large gamme de micro-organismes d’invertébrés, de vertébrés terrestres et aquatiques. Dans ces conditions, il est inenvisageable de déroger à l’interdiction actuelle.

Le modèle agro-industriel, auquel souscrit une partie des agriculteurs et qui est soutenu par l’Union européenne via la PAC, est à bout de souffle et doit être remis en question. Plutôt que d’autoriser l’utilisation des néonicotinoïdes, le Gouvernement pourrait prendre la décision de débloquer des fonds d’urgence écoconditionnés en faveur des agriculteurs réellement touchés. La Fondation Nicolas Hulot indique que le coût d’un dédommagement total des betteraviers pour compenser les pertes de rendement s’élèverait au plus à 77,5 millions d’euros – montant alloué aux éleveurs lors de la grippe aviaire.

Cette filière est bien en difficulté, mais cela ne date pas d’aujourd’hui et n’a rien à voir avec l’interdiction, à compter du 1er septembre 2018, des produits phytosanitaires contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes. Les problèmes sont apparus dès 2017 avec la fin des quotas sucriers et du prix minimum garanti : ce sont bien la dérégulation et la concurrence mondiale qui affectent cette filière.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué hier que, sans dérogation, les agriculteurs pourraient bien cesser de planter des betteraves, ce qui entraînera, dans les deux ans, la fermeture des sucreries : c’est un chantage inacceptable. Quant à notre souveraineté alimentaire, elle n’est pas menacée : la France exporte près de la moitié de sa production de sucre ! Par ailleurs, votre ministère indique que ce ne sont pas 50 % des rendements qui sont touchés, mais 12,5 % par rapport à la moyenne 2015-2019. C’est un mensonge que de dire qu’une nouvelle autorisation des néonicotinoïdes permettra de sauver la filière !  En revanche, nous pouvons être sûrs que s’il n’y a plus de pollinisateurs, il n’y aura plus d’agriculture viable. D’autant que cette dérogation serait la porte ouverte à des demandes émanant d’autres filières, auxquelles il serait difficile d’opposer une fin de non-recevoir. Rappelons qu’en 2016, Barbara Pompili défendait avec force l’interdiction sans dérogation ; elle est aujourd’hui ministre de la transition écologique d’un gouvernement qui s’apprête à les autoriser à nouveau – où est la cohérence ?

On se retrouve ici dans la même situation qu’avec le glyphosate : alors que le président Macron avait annoncé l’interdiction du glyphosate dans les trois ans le 27 novembre 2017, le produit n’est toujours pas interdit à l’heure qu’il est. Tout cela est incompréhensible !

Mme Delphine Batho. Lorsque, le 1er septembre 2018, Emmanuel Macron a revendiqué la paternité de l’interdiction des néonicotinoïdes, des collègues députés en 2015 et 2016 se sont plaints de cette récupération. Je leur avais répondu qu’il fallait s’en réjouir, puisque cela rendrait la loi inattaquable.

Et pourtant, elle est aujourd’hui remise en cause. Non seulement vous revenez sur votre parole, mais vous faites un contresens historique. Nous assistons à un effondrement sans précédent et sans équivalent du vivant, avec des chiffres qui donnent le vertige : les populations d’insectes ont baissé de 85 % en France en vingt-trois ans, un tiers des oiseaux des champs ont disparu en quinze ans. Et dans ce contexte, vous proposez le retour des néonicotinoïdes, malgré le fait que la communauté scientifique internationale est unanime à 100 % sur la toxicité de ces substances et les ravages qu’elles entraînent.

Un orateur a expliqué que personne, ici, n’était pro-néonicotinoïdes. Mais ce que l’on nous demande, ce n’est pas de donner une opinion, mais d’assumer des responsabilités et des décisions. Il est surprenant, en 2021, d’entendre affirmer qu’il n’y a pas de problèmes avec les semences enrobées – toutes les conclusions scientifiques montrent le contraire –, d’entendre proposer d’installer les abeilles dans les sites Natura 2000 – ils sont eux-mêmes contaminés aux néonicotinoïdes.

Estimant que le législateur a fait l’erreur de croire que l’on pouvait se passer des néonicotinoïdes, vous mettez en avant une situation d’urgence, celle de la filière betterave. Il serait intéressant de commencer par déterminer de quoi cette filière est victime. Il semble que c’est la suppression des quotas européens, plus que le puceron, qui a entraîné la fermeture de quatre sucreries en France. Il semble que le changement climatique a aussi sa part dans les pertes de rendement : sur les 15 % de pertes cette année, 8,5 % seraient liés aux pucerons, le reste à la sécheresse et aux ravageurs – phénomène lui-même lié au changement climatique. Si vous additionnez les déserts biologiques nés de l’utilisation, des années durant, des néonicotinoïdes et de la disparition des auxiliaires prédateurs de pucerons et le changement des températures, cela donne la situation calamiteuse que connaissent un certain nombre de producteurs aujourd’hui.

Des solutions existent : le groupe Écologie Démocratie Solidarité propose d’indemniser les pertes et de garantir le revenu, en contrepartie d’une adaptation des pratiques agronomiques. Vous dites : « on est d’accord pour la transformation, mais plus tard ; remettons d’abord du poison, on verra ensuite ! ». Cette logique ne fonctionne pas ! L’INRAE nous l’a indiqué très clairement lors des auditions : dans trois ans, nous en serons strictement au même point.

Quant à la souveraineté et à la sécurité alimentaire de la nation, il faut savoir que l’effondrement de la biodiversité menace aujourd’hui les récoltes des autres filières agricoles : sans pollinisateurs, les rendements de colza chuteront de 70 %, ceux de tournesol de 50 %. Il existe des marges de manœuvre économiques pour apporter des solutions aux producteurs, sans retomber dans les néonicotinoïdes.

M. Olivier Falorni. Nous avons écouté vos arguments justifiant la réintroduction des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière – vous avez parlé de souveraineté alimentaire, de sauvegarde de l’emploi, de concurrence internationale – et ceux tendant à en minimiser les effets – l’absence de floraison, qui limiterait l’impact des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs, et une moindre nocivité que celle des insecticides foliaires, qui sont pulvérisés. Vous expliquez aussi que l’interdiction de plantations attractives pour les abeilles à proximité des champs de betteraves permettrait de limiter l’impact sur ces dernières.

Si nous avons décidé, il y a quatre ans, d’inscrire dans la loi l’interdiction de tous les néonicotinoïdes, c’est que nous souhaitions mettre fin à leurs effets dévastateurs, même à faibles doses, sur les pollinisateurs. Contrairement à ce que l’on a pu entendre, les pollinisateurs seront affectés par la réintroduction de l’insecticide, y compris en l’absence de floraison. Ensuite, la majorité du produit utilisé en enrobage reste dans les sols – on parle de 90 % du total utilisé – et persiste généralement pendant plusieurs années, contaminant durablement les champs traités et les cultures plantées les années suivantes, y compris lorsqu’elles n’ont pas été traitées. Pire, il peut être transporté par ruissellement dans les cours d’eau et polluer les nappes phréatiques.

Les risques liés à l’utilisation de ces substances demeurent tout aussi importants et justifient que nous maintenions leur interdiction pour la filière de la betterave sucrière. Il est vrai que les difficultés se sont accumulées pour ce secteur : n’oublions pas que la fin des quotas est survenue en 2017, au moment même où le marché entrait dans une phase de surproduction. Alors que les producteurs subissent l’écroulement des cours mondiaux – une baisse de 40 % du prix de vente, ce n’est pas rien –, l’épidémie de jaunisse s’étend, sans qu’il ait été trouvé de solution satisfaisante depuis la loi de 2016.

Mais cela ne justifie pas la réintroduction des néonicotinoïdes. L’exception qui serait faite pour les producteurs de betteraves ouvrirait une boîte de Pandore ; d’autres filières entrevoient la possibilité de dérogations analogues et en font déjà la demande. Plus globalement, cette nouvelle autorisation laisserait à penser que, pour ce gouvernement, l’impératif environnemental se dérobe face à la nécessité économique. Le groupe Libertés et Territoires ne peut accepter un tel renoncement écologique.

M. Robert Therry. Élu d’une circonscription qui compte une sucrerie et de nombreux agriculteurs betteraviers, je suis de ceux qui défendent avec force cette filière indispensable aux consommateurs. Mais je suis aussi apiculteur, peut-être le seul de l’Assemblée, et il serait incompréhensible que je ne défende pas ma corporation et les abeilles, tout simplement indispensables à la vie. Le varroa a été éradiqué par un insecticide naturel, respectant la vie des abeilles. Voilà vingt ans que nous savons que la nécessité absolue est de trouver un produit de substitution aux néonicotinoïdes, appelés aussi « insecticides tueurs d’abeilles ». Il faut mettre plus que jamais la pression auprès des industries chimiques pour sortir de cette impasse. Dans un rapport récent, la Cour des comptes a montré que l’action des pollinisateurs permettait de réaliser un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros dans le secteur agricole européen, dont plus de 2 milliards en France. Il faut sauver nos abeilles et la filière betteravière !

M. Charles de Courson. Lorsque l’interdiction totale a été discutée en 2016, le problème de la filière betteravière a été soulevé, et certains ont expliqué que cela pousserait à chercher une alternative. Cependant, et malgré les efforts des chercheurs, aucune solution permettant de venir à bout des pucerons n’a été trouvée. Nous examinons aujourd’hui un texte provisoire dont l’objectif est d’éviter l’effondrement. Ce qu’il faut, c’est développer la filière et aller un peu plus loin que l’amendement adopté cette nuit, en gérant mieux les assolements et en maintenant l’interdiction de planter, durant les deux ans qui suivent, des plantes mellifères. Enfin, cessons de croire, nous autres Français, que nous avons raison contre tous ! Si dix de nos voisins européens ont demandé et obtenu la dérogation en application du fameux article 53, c’est qu’ils ont un peu de bon sens !

M. Serge Letchimy. En 1972, nous avons connu, avec le débat sur la chlordécone, les mêmes arguments, les mêmes systèmes de pression. L’insecticide était alors présenté comme l’unique solution pour se débarrasser du charançon du bananier, selon une dynamique ultra-libérale très puissante, par des lobbies bien placés qui camouflaient la vérité, dans un contexte où des quotas étaient imposés. Cela a conduit à une catastrophe dont vous connaissez très bien tous les aspects, monsieur le ministre : les terres martiniquaises et guadeloupéennes sont polluées pour 700 ans, 93 % des Antillais sont contaminés et les cas de cancers, notamment de la prostate, se multiplient.

Je ne crois pas du tout au provisoire, monsieur le ministre. Comment trouver en un ou deux ans ce que l’on n’a pas réussi à élaborer en quatre ans ? Vous n’occuperez pas ce poste éternellement, et ceux qui vous succéderont trouveront d’autres arguments pour prolonger cette dérogation. Je vous demande de méditer sur cet exemple, et de ne pas prendre le risque de remettre en cause cette interdiction. Lutter contre l’effondrement du vivant est bien trop précieux, la décision était bien trop importante pour l’écologie, pour que vous preniez le risque, à votre niveau, de la remettre en cause pour des questions de rendement. Et si vous voulez augmenter la production de sucre, tournez-vous vers les pays d’outre-mer !

M. Rémi Delatte. Nous sommes tous conscients de la nécessité de limiter les intrants chimiques dans la production agricole, pour répondre aux enjeux de notre temps et surtout préserver le vivant. Nos agriculteurs le sont tout autant, et voient dans la transition agroécologique une opportunité autant qu’une responsabilité.

Mais une réflexion sérieuse et une démarche durable ne peuvent s’affranchir du temps long. La mutation profonde qu’implique l’arrêt des produits phytopharmaceutiques ne peut se faire en tuant des exploitations ; elle appelle un effort de recherche conséquent. Le plan de relance doit y contribuer – vous nous avez rassurés sur ce point, monsieur le ministre. Il faut des alternatives solides, efficaces et abordables : nous ne les trouverons pas demain, comme en attestent les grands organismes scientifiques. Dans l’immédiat, face à l’urgence vitale pour la filière betterave – les filières colza et moutarde connaissent des pertes de rendement semblables, mais elles ne sont pas concernées par le texte car il s’agit de plantes mellifères – et pour conserver notre souveraineté alimentaire, le sens des responsabilités doit l’emporter sur les pressions et l’irrationnel. Comme mes collègues Les Républicains, je soutiendrai ce texte. Le courage ne se décrète pas, il se trouve, et lorsque le courage est là, il ne se dénie pas, il s’accompagne.

Mme Christine Pires Beaune. Merci de m’accueillir dans votre commission. Comme Olivier Becht, je répondrai à plusieurs questions. Est-ce que la loi biodiversité de 2016 portée par Ségolène Royal et Barbara Pompili est une bonne loi ? Oui. Est-ce que la bataille fut rude ? Oui, elle s’est jouée à quelques voix. Cette loi est-elle contestée ? Oui, elle l’a été dès son adoption et l’est depuis lors. Les néonicotinoïdes, qui attaquent le système nerveux des insectes, notamment des abeilles, sont-ils dangereux ? Oui, ils le sont pour la biodiversité et pour la qualité des sols. Existe-t-il des alternatives pour sauver la filière betterave ? Oui, on peut prévoir des indemnités, un soutien fort, et une accélération de la recherche. Est-ce que le Gouvernement fait le mauvais choix avec ce texte ? Oui, car il ouvre la boîte de Pandore. Le Gouvernement agit-il dans la précipitation ? Oui, le bons sens aurait voulu que l’on attende l’avis que rendra l’ANSES en janvier pour avoir toutes les cartes en main. Vous l’aurez compris, pour moi, ce sera « non » !

M. Matthieu Orphelin. Il y a des arguments que l’on ne peut entendre, à commencer par celui du nivellement par le bas, qui consiste à dire que si d’autres pays le font, la France devrait aussi le faire. Cela nous conduirait à baisser le pavillon sur tous les sujets environnementaux et à abandonner définitivement la partie. S’agissant de la moindre toxicité en raison de la floraison retardée de la betterave, les scientifiques sont unanimes : ces substances imprègnent les sols et l’eau à plus de 80 %, et leurs effets n’ont rien à voir avec les doses ou la technique utilisées. Nous pensons, au groupe EDS, qu’il existe d’autres solutions : nous avons proposé notamment un dispositif d’assurance récolte garanti par l’État, une couverture jusqu’à 100 % des pertes pendant trois ans. À ce sujet, je m’interroge, monsieur le ministre : si les betteraviers ne cotisent pas au fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), n’est-ce pas parce que les néonicotinoïdes constituent en quelque sorte leur assurance ? Enfin, l’argument de la pénurie de sucre sera sûrement repris : il convient de répondre que 24 % des betteraves sucrières produites en France sont utilisées pour fabriquer des agrocarburants.

C’est sans doute la dernière fois, au cours de ce quinquennat, que les députés seront appelés à se prononcer sur un texte sur la biodiversité. Notre groupe a donc écrit hier à Richard Ferrand, pour lui demander d’organiser un vote solennel. Ainsi, les 577 députés pourront exprimer leur vote !

M. Fabien Di Filippo. Je suis contre les interdictions qui interviennent avant que l’on ait trouvé une alternative. Et je suis contre les interdictions qui ne concernent pas nos voisins. Le risque, aujourd’hui, ce n’est pas le recul écologique, mais la disparition pure et simple d’une production française. Plus que jamais, nos concitoyens cherchent à consommer français et local : il faut préserver nos filières.

C’est à l’État et à la recherche fondamentale de trouver des alternatives pour demain. Il existerait déjà quelques pistes, dont certaines sont expérimentées par nos voisins européens : des variétés de betteraves résistantes au puceron, des plantes répulsives que l’on pourrait introduire dans l’inter-rang afin d’éloigner les pucerons ou, a contrario, des plantes attractives que l’on placerait en bordure des cultures, pour y capter les pucerons. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous dire un mot de ces alternatives ? Cela permettrait sans doute d’apaiser le débat.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur Dive, vous avez rappelé que ce texte concerne uniquement la betterave sucrière et je le confirme.

Monsieur Millienne, je vous remercie d’avoir expliqué que depuis l’interdiction des néonicotinoïdes, les betteraviers se sont rabattus sur les pyréthrinoïdes, qui ne sont pas sans danger. Je suis, comme vous, convaincu de l’utilité des haies. Je le suis tellement que, dans le plan de relance, une ligne de crédits de 50 millions sera destinée à accélérer leur plantation. Mais vous savez que cela ne se fait pas en un été… S’agissant des pollinisateurs, je me suis engagé, dès le 6 août, à lancer un plan de pollinisation, que je présenterai avec Barbara Pompili avant la fin de l’année : j’aurai plaisir à associer l’ensemble de la représentation parlementaire à ces travaux. Il faut mener une politique proactive : pourquoi, par exemple, ne pas utiliser une partie des nombreux terrains inoccupés gérés par nos établissements publics fonciers (EPF) pour y installer nos abeilles ?

Monsieur Potier, je vous remercie pour votre appel à la responsabilité, que je partage. Vous avez prononcé un mot essentiel, celui de « nutrition », dont on oublie trop souvent qu’elle est le cœur de l’agriculture et de l’alimentation. Je crois beaucoup aussi à la notion de « haute valeur environnementale » : le plan de relance prévoit d’ailleurs un crédit d’impôt HVE, que vous aviez vous-même appelé de vos vœux – il sera introduit dans la prochaine loi de finances. Cette notion de haute valeur environnementale est également au cœur des écoschémas – ou ecoschemes – qui sont en cours de finalisation au titre de révision de la politique agricole commune (PAC).

Il faut effectivement tirer les leçons du passé. Vous avez évoqué le plan Écophyto : même s’il ne fonctionne peut-être pas aussi bien qu’on le souhaiterait, je tiens à saluer le ministre Stéphane Travert pour son action. Il est vrai que la place des parlementaires dans le suivi du plan doit sans doute être renforcée, d’autant plus qu’à l’initiative des ministres Stéphane Travert, puis Didier Guillaume, la contribution nationale au plan Écophyto – on en est maintenant au plan Écopyhto 2+ – est de 41 millions d’euros, à quoi s’ajoutent 30 millions au niveau régional. Les parlementaires doivent avoir un rôle de suivi.

Monsieur Benoit, la loi de 2016 a permis de mettre fin à l’utilisation de 92 % des néonicotinoïdes. Je ne minimise nullement les problèmes que pose la dérogation à cette interdiction pour les cultures betteravières. Vous noterez d’ailleurs que je n’ai jamais utilisé l’argument environnemental, même si l’on m’a prêté des propos que je n’ai pas tenus. J’en appelle à votre sagesse de parlementaire. Mettez-vous à ma place : pouvez-vous imaginer un seul instant que si j’avais connaissance d’une solution, je serais devant vous aujourd’hui ? À l’évidence, non. Vous avez cité le président Chirac. On lui prête aussi ces mots – même si je crois qu’ils sont en réalité de Richelieu : « La politique, c’est de rendre possible ce qui est nécessaire. » Oui, il est nécessaire de sortir des néonicotinoïdes, mais l’humilité m’oblige à dire que la filière de la betterave, à l’heure qu’il est, n’est pas encore prête pour cette transition.

La question n’est pas celle du rendement des sucreries ou de l’outil industriel. La question, c’est celle que se pose individuellement chaque planteur. Depuis vingt ou vingt-cinq ans, les betteraviers ne font plus de la monoculture : la plupart d’entre eux font 10, 15 ou 20 % de betterave. Ils ont donc le choix, dans leur assolement, de mettre de la betterave ou des céréales.

Aujourd’hui, si vous étiez betteravier, vous ne planteriez pas de betterave, d’abord à cause de ce puceron, ensuite parce que, contrairement à ce qui a été dit, il n’existe aucun moyen d’indemniser les agriculteurs à 100 % au titre de la jaunisse. Je peux vous dire, en tant qu’ingénieur agronome, que lorsqu’un agriculteur voit l’une de ses cultures dépérir, ça le prend aux tripes. En plus, il perd de l’argent. S’il a la possibilité de semer une céréale plutôt que de la betterave, c’est le choix qu’il fera ! N’importe qui, parmi nous, ferait le même choix s’il était dans cette situation. La difficulté, c’est que cette décision individuelle a des effets en cascade : le volume qui arrive à la sucrerie diminue et c’est tout l’appareil industriel qui est mis à mal et qui risque de fermer. Or, le jour où il n’y aura plus de sucrerie, il n’y aura plus de plantations de betteraves.

Comme j’ai l’intime conviction que nous allons quand même continuer à manger du sucre, nous allons donc devoir importer du sucre polonais, belge et allemand. La politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire, mais en reconnaissant avec humilité les moments où l’on se trouve dans une impasse. Il faut du courage pour le reconnaître et je salue les députés qui auront le courage de soutenir ce projet de loi. Il est beaucoup plus facile d’être dans l’injonction ou dans l’incantation et de répéter qu’il suffirait de faire autre chose. Mais lorsque cette « autre chose » n’existe pas, ces discours n’ont aucun sens ! Pour que la filière de la betterave réalise sa transition agroécologique, il faut passer un cap difficile, qui pourra durer quelques années, le temps que la recherche trouve une solution. À cet égard, je partage votre point de vue, monsieur Becht.

Madame Taurine, vous avez qualifié mes propos de mensongers. Nous avons beaucoup travaillé ensemble sur la question du logement, je sais que vous êtes une femme de dossier, alors tenons-nous en, s’il vous plait, au fond du débat et à l’échange d’arguments. J’ai, pour ma part, un problème de fond avec l’argument que certains membres de votre groupe ont exposé hier et que vous venez de reprendre. Il consiste à dire que, puisque la France exporte la moitié du sucre qu’elle produit, une chute de rendement ne serait pas un gros problème, puisqu’il suffirait de ne plus exporter. J’avoue que cette vision de l’économie me dépasse un peu. J’ai suggéré hier à vos collègues Mathilde Panot et Loïc Prud’homme de se rendre sur les sites industriels de Renault et PSA pour expliquer aux salariés que le plus simple, du point de vue écologique, c’est d’arrêter d’exporter des voitures. Je ne suis pas sûr que vous recevrez un accueil très chaleureux. La question n’est pas de savoir ce qui va se passer à la sortie des sucreries sur le plan économique. La question qui nous réunit aujourd’hui est la suivante : comment convaincre les betteraviers de planter de la betterave dans notre pays pour que toute la chaîne puisse tenir ?

Madame Batho, vous assénez depuis hier soir le même argument : il existerait des solutions. Le fait de le répéter n’en fait pas une vérité. Je l’ai dit, en politique, il faut parfois savoir reconnaître qu’on se trouve dans une impasse. L’INRAE dit lui-même qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucune solution – qu’elle soit financière, agronomique ou culturale. Si une solution existait, je ne serais pas devant vous cet après-midi. Je rappelle en effet que je ne peux utiliser l’article 53 du règlement européen que parce qu’il n’existe aucune alternative. Si une alternative existait, ce projet de loi serait caduc, et vous le savez très bien. Vous dites que la filière de la betterave à sucre souffre moins du puceron, que de la fin des quotas européens. Permettez-moi de rappeler que la fin des quotas a été votée en décembre 2013 : on ne peut pas m’en tenir pour responsable.

Monsieur Orphelin, l’indemnisation de la filière est évidemment la première solution que nous avons envisagée. Nous nous sommes immédiatement demandé s’il était possible de mettre l’ensemble de la filière sous perfusion en attendant de trouver une solution agronomique ou culturale. Hélas, le règlement européen nous interdit d’indemniser nos betteraviers à 100 %. Vous avez évoqué le FMSE : le problème, c’est que l’État ne peut y contribuer qu’à hauteur de 65 %. Je vous invite, une fois encore, à vous mettre à la place d’un betteravier : si l’on vous dit que vous devrez financer vous-même le potentiel risque à hauteur de 35 %, vous planterez autre chose ! Vous pouvez continuer d’asséner qu’une solution existe, mais ce n’est pas vrai. S’il était possible de mettre les gens sous perfusion financière le temps de trouver une solution, j’aurais été le premier à le faire. Le problème, c’est que les règles de la concurrence et du marché commun au niveau européen ne permettent pas à un État de soutenir une filière à 100 %.

Monsieur Falorni, je ne minimise en rien les conséquences de la réintroduction des néonicotinoïdes, mais si nous voulons accompagner la filière de la betterave dans la transition agroenvironnementale, encore faut-il que cette filière continuer d’exister ! Il faut avoir le courage de reconnaître qu’à l’heure actuelle, cette filière n’est pas prête pour la transition. Dès que nous aurons une solution, nous la mettrons en œuvre et nous pourrons continuer de produire du sucre français.

Monsieur Letchimy, je connais votre engagement sur la question de la chlordécone et je répète que je ne minimise pas l’impact de la mesure que nous prenons.

L’écologie que nous appelons de nos vœux est-elle une écologie du « chacun pour soi » ou une écologie solidaire ? J’ai été surpris d’entendre certains d’entre vous dire que, dans le pire des cas, on n’avait qu’à arrêter de produire du sucre en France et que ce ne serait pas si grave. Mais si on arrête de produire du sucre dans notre pays et qu’on continue d’en consommer, il va bien falloir en importer ! L’écologie a-t-elle des frontières ? Importer du sucre de pays qui ne respectent en rien notre agroécologie, n’est-ce pas un problème ? Dans ce débat, il y a ceux qui pensent qu’il suffit de dire qu’une solution existe pour qu’elle existe et ceux qui, parce qu’ils ont compris qu’elle n’existe pas, déplacent simplement le problème dans d’autre pays ! Cette écologie du « chacun pour soi », cette écologie qui n’est pas solidaire, ce n’est pas celle que je souhaite pour notre société.

Monsieur Di Filippo, vous avez évoqué plusieurs alternatives et je pense effectivement que la solution viendra de la combinaison de trois facteurs : la recherche de nouvelles semences, le volet agroécologique, autour du biocontrôle, et l’évolution des pratiques culturales.

Article unique : Article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime

La commission examine les amendements identiques CE1 de Mme Delphine Batho, CE9 de Mme Yolaine de Courson, CE13 de M. Matthieu Orphelin, CE17 de M. Loïc Prudhomme, CE29 de M. Dominique Potier et CE47 de M. Olivier Falorni.

Mme Delphine Batho. Monsieur le ministre, pour la qualité de notre débat, je propose que certains arguments soient définitivement écartés. Vous ne pouvez pas continuer à agiter le spectre d’une pénurie de sucre, alors que la récolte de l’année 2020 va être à peu près équivalente à celle de l’année 2015, dont la moitié avait été exportée. Par ailleurs, vous avez dit à plusieurs reprises que la loi de 2016 avait mis fin à 92 % des usages des néonicotinoïdes, alors qu’elle les a totalement interdits. Elle a même été complétée par la loi de 2017 : au cours de son examen, Jean-Baptiste Moreau avait justement rappelé aux agriculteurs qu’il ne peut pas y avoir d’agriculture sans pollinisateurs.

Vous annoncez un plan de pollinisation, mais les pollinisateurs ne sont pas des syndicalistes ! Vous ne pouvez pas négocier avec eux un plan de pollinisation en échange de la réintroduction des néonicotinoïdes ! Si vous voulez vraiment aider les pollinisateurs, il faut tout simplement renoncer aux néonicotinoïdes.

Je regrette que personne, dans ce débat, ne soit revenu sur la question du changement climatique, car ce qui nous arrive en est la conséquence. Or celui-ci va hélas s’accélérer. Le cocktail associant l’effondrement de la biodiversité et l’accélération du changement climatique est destructeur pour notre agriculture, pour notre souveraineté alimentaire et pour la sécurité d’un certain nombre de filières. Et votre seule réaction, face à ce cocktail destructeur, c’est de réintroduire de la chimie et de fermer les yeux ? Aujourd’hui, vous cédez à la filière de la betterave, demain vous céderez à d’autres filières, et c’est une catastrophe. Non seulement on prend du retard, mais on aggrave les problèmes.

Oui, monsieur le ministre, des alternatives existent. Elles sont minoritaires, puisqu’elles ne représentent que 1000 hectares, mais elles existent. Il faut donc arrêter de dire qu’on est dans une impasse et qu’on ne peut rien faire.

Mme Yolaine de Courson. Emmanuel Macron avait dit qu’avec lui, il n’y aurait pas de lois de circonstance. Quand il y a eu des manifestations, on a fait la loi anticasseurs ; aujourd’hui, il y a un puceron, et on fait une loi contre le puceron. C’est un constat d’échec.

Les scientifiques sont unanimes pour dire que les néonicotinoïdes sont une catastrophe pour l’environnement 7 000 fois plus puissante que le DDT, qui a été interdit en France il y a des années. C’est une véritable bombe atomique, puisque seulement 20 % du produit reste dans la plante et que les 80 % restants partent dans les sols, l’eau et les nappes phréatiques.

L’association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS) a indiqué, dans le plan de prévention qu’elle a remis le 22 septembre, que les pertes représentaient 15 % de la production. Cela signifie que 85 % des cultures ne sont pas impactées. C’est donc pour préserver 15 % des cultures seulement que nous allons introduire une véritable bombe dans nos sols, sans nous soucier des générations futures ? Les 65 % d’aides de l’État ne suffiraient-elles pas à compenser ces 15 % de pertes ?

Je rappelle que le mot « betterave » n’apparaît pas dans le projet de loi qui nous est soumis. Il y a quelques jours, soixante-dix jeunes agriculteurs sont venus à mon domicile pendant la nuit, en disant que s’attaquer aux néonicotinoïdes, c’était s’attaquer à l’agriculture. Chez moi, on cultive du colza, de la moutarde et nombre de filières sont, elles aussi, en difficulté. Alors que, partout en France, on signe des contrats de transition écologique pour accompagner chacune de nos filières en tenant compte de ses spécificités, vous envoyez un très mauvais signal. Dans trois ans, que va-t-il se passer ? L’un de nos collègues, ici présent, qui est agriculteur, a affirmé que trois ans ne suffiraient pas à régler le problème. Pour toutes ces raisons, je propose de supprimer cet article.

M. Matthieu Orphelin. Je veux d’abord vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir dénoncé hier l’intrusion qu’a subie à son domicile notre collègue Yolaine de Courson. J’aurais aimé que la présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) prenne elle aussi position. Pour ma part, je dénonce bien volontiers, à chaque fois qu’elle me le demande, les messages antispécistes que des militants inscrivent sur les exploitations agricoles de notre beau département du Maine-et-Loire.

Si je demande la suppression de cet article unique, c’est parce que rien n’indique qu’il ne s’appliquera qu’à la betterave. Vous avez certes pris des engagements oraux, monsieur le ministre, mais vous comprendrez qu’après trois ans de mandat, au cours desquels nous avons entendu tout et son contraire sur de nombreux sujets – le glyphosate, mais aussi l’interdiction de produire en France des pesticides interdits à la vente dans notre pays, sans parler des tentatives de régression du Gouvernement à chaque projet de loi de finances sur l’huile de palme –, nous ne pouvons pas nous contenter d’un engagement oral. Dans sa rédaction actuelle, ce projet de loi concerne toutes les filières et, dès les auditions, certaines d’entre elles ont demandé des dérogations. C’est pourquoi il convient selon nous de supprimer cet article.

Mme Bénédicte Taurine. L’interdiction des néonicotinoïdes, qui a été votée en 2016, est un acquis précieux pour la préservation de l’environnement. Accorder une dérogation aux producteurs de betteraves n’est pas une bonne solution. En effet, elle ne sera pas efficace pour sauver ce secteur, mais elle sera très efficace pour détruire les écosystèmes. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

M. Dominique Potier. Monsieur le ministre, le courage, ce pourrait être de trouver à tout prix, dans les heures ou les jours qui viennent, une forme de compensation et d’accompagnement économiques de la filière, sans régresser sur le plan écologique.

Si l’État peut compenser 65% des 15 ou 20 % de pertes, seuls 5 à 10 % des pertes ne seront pas compensés. Je suis certain que des mesures agroenvironnementales territoriales, le plan HVE que vous allez financer dans le cadre du plan de relance, ainsi que d’autres investissements industriels permettront de sortir de cette crise par le haut et que nous pourrons arriver à 100 % de compensation et d’accompagnement pour cette filière. Le courage, ce pourrait être de continuer à chercher une solution d’accompagnement économique qui soit digne des producteurs – et je ne fais pas de distinction entre les producteurs des sucreries et les producteurs de betteraves eux-mêmes.

Pour revenir au plan Écophyto, la mise à l’écart des parlementaires n’est pas le seul problème. Ce qui est problématique, c’est que l’on imagine de créer des comités ad hoc dès qu’il y a un problème – hier avec le glyphosate, aujourd’hui avec les néonicotinoïdes – alors que nous avons un plan stratégique global. Il faut réinstaurer une gouvernance et une politique publique de prévention à la hauteur des enjeux. Sinon, nous irons de crise en crise.

La disparition des pollinisateurs a un coût économique considérable, que l’on évalue à 150 milliards. Mais la mesure que vous prenez nuit aussi à la réputation et à l’image du monde paysan. En accédant aux demandes pressantes d’une filière, nous ne rendons pas service à l’ensemble de l’agriculture. Nous nuisons à l’image que, depuis plusieurs années, elle essaie de forger dans l’opinion publique, en s’engageant dans la transition écologique.

M. Olivier Falorni. J’ai déjà exposé toutes les raisons qui me poussent à demander la suppression de cet article unique, et qui pousseront probablement la grande majorité de mon groupe à voter contre ce texte. J’ajoute qu’il est inutile de nous faire le coup de l’urgence puisque, en raison de leurs modalités d’application, les néonicotinoïdes ne seront d’aucun secours cette année.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Mes chers collègues, je vous ai écoutés attentivement. Aucun de vous n’a évoqué les 46 000 emplois de la filière, dont la disparition ne serait peut-être pour vous que l’un des effets collatéraux du rejet de ce texte. Vous ne parlez pas du fait que, lorsqu’un agriculteur cultive de la betterave, 80 % du résultat net de son exploitation sont dus à cette culture. Vous ne dites rien non plus de ce que souhaitent les agriculteurs. Vous ne dites pas que la vie d’un agriculteur consiste à semer, récolter, transformer, être fier de ce qu’il fait et vivre dignement de son travail. Un agriculteur ne demande pas un chèque, et c’est ce que vous lui proposez. Vous omettez en outre de dire que, derrière ce chèque, il faut une taxe… Pour toutes ces raisons, j’émettrai un avis défavorable sur ces amendements.

Vous ne dites rien non plus de votre vision de la transition agroécologique. Élargissons la focale et remontons un peu dans le temps : en 2016, on a réuni tout le monde dans une salle, on a décidé d’interdire les néonicotinoïdes et on s’est donné rendez-vous quatre ans plus tard, sans aucun suivi. C’est ainsi que les choses se sont passées, au détour d’un amendement et sans aucune étude d’impact ! Aujourd’hui, il faut s’occuper du dernier de la classe – car la filière betteravière est bien le dernier de la classe. Elle n’a sans doute pas assez travaillé, c’est vrai, mais on ne peut pas la laisser sur le côté. Avec ce texte, nous allons accompagner la filière, tout en lui mettant la pression. Nous allons l’aider à se battre pour venir à bout des 8 % de néonicotinoïdes encore utilisés. C’est notre devoir et c’est cela, le courage politique !

M. Julien Denormandie, ministre. Je suis moi aussi défavorable à ces amendements.

Madame la ministre Batho, je crois que si nos pensées n’arrivent pas à se rejoindre, c’est parce que vous raisonnez à partir des débouchés de la filière – vous dites en substance que, les pertes étant peu importantes, on ne manquera pas de sucre. Ce que je vous demande, c’est de vous mettre à la place d’un agriculteur : que feriez-vous à la place d’un agriculteur ? Aujourd’hui, notre droit ne nous permet pas d’imposer à un agriculteur de semer de la betterave – et je crois que c’est une très bonne chose. Or la monoculture betteravière, qui existait il y a encore vingtaine d’années, a disparu : les agriculteurs qui cultivent de la betterave n’y consacrent que 15 à 20 % de leur exploitation. Ils ont donc la liberté du choix. Ce n’est pas du libéralisme : c’est la liberté de choisir ce qu’ils veulent planter.

Or nous devons nous assurer que les agriculteurs vont bien planter de la betterave cette année car s’ils ne le font pas, ce sont nos sucreries qui fermeront l’année prochaine, et vous pourrez dire adieu à toute la filière de la betterave. Je vous le répète : mettez-vous à la place d’un agriculteur, au lieu de multiplier les injonctions.

Plusieurs d’entre vous ont soulevé la question de la compensation financière. Nous avons déjà beaucoup réfléchi à cette question et je suis prêt à continuer à le faire, mais il y a plusieurs difficultés. D’abord, le FMSE est financé à 65 % par l’État et à 35 % par les agriculteurs eux-mêmes. Ensuite, les betteraviers ne cotisent pas à ce fonds. Enfin, la maladie de la jaunisse n’est pas éligible à ce fonds. Il faudrait donc modifier les règles à Bruxelles, ce qui est compliqué et ne pourra pas se faire cette année.

Il existe une autre difficulté, que M. Jean-Baptiste Moreau a bien expliquée. Cette année, il existe un gradient très fort de la maladie du Sud vers le Nord. L’année dernière, il était moins prononcé et il allait de l’Est vers l’Ouest. Autrement dit, l’état de la science ne permet de prévoir ni le lieu ni l’époque où ces pucerons attaquent. Si je suis bien votre raisonnement, monsieur Potier, vous dites que si 35 % des pertes sont à la charge de l’agriculteur, mais que ces pertes ne représentent que 20 % de sa production, alors il n’a en réalité que 5 % de pertes. Le problème, c’est que certains d’entre eux peuvent avoir 50 % de pertes. À vous, je ne vais pas demander de vous mettre à la place d’un agriculteur … Nous avons vraiment essayé de trouver une solution, mais je crois qu’il n’y en a pas.

M. Matthieu Orphelin. Monsieur le rapporteur, je vous prie de ne pas tomber dans la caricature, car nos débats méritent mieux que cela. Le discours selon lequel les écologistes seraient contre l’emploi est certes très à la mode, mais il est vraiment trop caricatural. Veillons à garder un débat de bonne tenue.

Nous proposons une couverture des pertes à 100 % : 65 % par l’État et 35 % par les cotisations des agriculteurs. En moyenne, cette cotisation représente aujourd’hui 20 euros par exploitant. Pour couvrir le risque que représente la jaunisse, il suffirait d’augmenter de quelques dizaines d’euros le montant de la cotisation – on resterait bien loin du coût des néonicotinoïdes.

Vous avez fait le choix d’écarter cette solution, monsieur le ministre, mais nous aurions souhaité qu’elle figure dans l’étude d’impact. Nous avons donc écrit au Président de l’Assemblée nationale pour lui indiquer que l’étude d’impact, sur les volets environnementaux et économiques, nous semblait incomplète. La discussion que notre collègue Dominique Potier a ouverte mériterait d’être approfondie, car il existe effectivement des solutions. Vous avez-vous-même évoqué la possibilité de renégocier, au niveau européen, le champ d’application du FMSE : c’est donc qu’il existe une solution économique, qui permettrait aux planteurs de planter des betteraves l’année prochaine.

 M. Nicolas Turquois. Je veux d’abord assurer notre collègue Yolaine de Courson de mon soutien : ce qu’elle a subi est absolument insupportable.

Je n’ai entendu que des choses justes au cours de la discussion générale. Il est vrai que la betterave subit à la fois une baisse des prix, les conséquences de la sécheresse et l’attaque du puceron. Je partage aussi le constat de l’effondrement de la biodiversité : chaque jour nous le confirme.

L’interdiction des néonicotinoïdes en 2016 a été un acte fort. Il ne s’agit pas aujourd’hui de revenir sur cette décision, mais d’admettre qu’elle a été prématurée pour une petite partie de nos cultures : remettons bien les choses en perspective.

S’agissant des moyens de compenser les pertes, il faut bien avoir à l’esprit que l’outil industriel de la betterave est assez spécifique. Si l’on a des pertes dans la culture du blé, on peut les compenser, car le blé se transporte très bien, étant relativement peu volumineux. La betterave, en revanche, est très difficile à transporter et doit donc se trouver à proximité de l’outil industriel. Si, dans un secteur, les sucreries disparaissent, alors la culture de la betterave disparaîtra, elle aussi.

Mme Delphine Batho. Monsieur le ministre, ce ne sont pas les emplois que vous défendez, mais bien les intérêts des industriels du sucre. Lorsque des emplois ont été supprimés dans les quatre sucreries françaises qui ont fermé du fait de la disparition des quotas européens, je ne vous ai pas entendu crier.

Où sont les engagements des industriels du sucre quant au maintien des emplois, en contrepartie de votre projet de loi sur les néonicotinoïdes ? Nulle part ! Ce sont de faux engagements, comme ceux de General Electric par le passé ; et plus tard, vous n’aurez que vos yeux pour pleurer, car cette filière est confrontée à des problèmes structurels qui vont bien au-delà d’un problème de pucerons.

N’oublions pas ensuite que la betterave, c’est une culture sous contrat. Or, lorsqu’il se retrouve à essuyer des pertes, l’agriculteur n’est pas indemnisé ; ce n’est pas acceptable. Que la filière betterave-sucre ne cotise pas au FMSE, ce n’est pas acceptable non plus ; que la jaunisse de la betterave ne figure pas sur la liste des maladies ouvrant droit, cela ne l’est pas davantage. Dans de telles conditions, je comprends que des agriculteurs ne veuillent pas continuer à planter des betteraves. Ils doivent donc être indemnisés.

Mais les agriculteurs doivent également bénéficier d’une garantie de revenus en cas de changement de pratique culturale. S’agissant d’une culture sous contrat, c’est tout à fait possible : c’est ce que l’on a fait avec le maïs en Italie. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire en France pour la betterave.

M. Dominique Potier. Moi non plus, je n’ai pas goûté la caricature consistant à opposer emploi et écologie. Cela n’est pas de bonne méthode, Monsieur le rapporteur.

Par ailleurs, vous avez été très dur avec la ministre de la transition écologique, en disant qu’elle a éteint la lumière après avoir fait voter la loi biodiversité en 2016. Vous auriez pu lui apporter votre soutien. D’autant que ce n’est pas ce qu’elle a fait.

Si vous suivez un peu l’actualité des questions de politique phytosanitaire, vous savez qu’un rapport, dont j’étais l’auteur, a été rendu la même année par la mission relative aux pesticides installée par Matignon, dont l’objet était de préparer le plan Ecophyto 2 et notamment le dispositif des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), qui visait à créer une dynamique interactive au sein des filières et des territoires et à trouver des solutions au fur et à mesure. Cette dynamique de retrait, positive et entrepreneuriale, qui pouvait représenter une véritable alternative, a été tout bonnement supprimée – sans doute le regrette-t-il aujourd’hui – par le gouvernement que vous soutenez, au profit d’une séparation, dans les établissements vendant des produits phytosanitaires, entre vente et conseil, instituée de façon peu courtoise dans le cadre de la loi ÉGALIM. Au demeurant, un recours a été formé devant le Conseil d’État, visant à déterminer si cette suppression des CEPP, qui ne dit pas son nom, ne constitue pas un abus de pouvoir du Gouvernement.

Ainsi, nous ne sommes pas restés inactifs au cours de cette période, qui a même été assez prospère pour l’agro-écologie, notamment grâce à un ministre qui pendant cinq ans a porté l’idée de l’agro-écologie sur le plan de la bataille culturelle. Des actions ont été menées, des efforts sincères ont été consentis. Il est donc faux de dire que Mme Barbara Pompili a éteint la lumière en 2016 et que nous n’avons rien fait par la suite. Il faut rétablir la vérité sur ce point.

Pour être précis, j’indique que, pour ma part, je n’avais pas voté l’interdiction des néonicotinoïdes dans les modalités prévues, car j’aurais préféré prévoir deux années supplémentaires, et recourir non à des dérogations mais à des expérimentations en plus grand nombre, dans l’idée de parvenir au même résultat en 2020. Cela me semblait une voie plus sage. Refusons la caricature et revenons à un dialogue plus constructif dans la recherche des solutions.

M. Jean-Baptiste Moreau. Je vais revenir sur la technique agronomique, même si j’ai moins de talent que M. le ministre – j’étais moins bon que lui à l’école, mais je suis tout de même ingénieur agricole ! (Sourires.) Je tiens à démentir certaines contre-vérités que j’ai entendues à plusieurs reprises hier, en suivant de la réunion de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Les néonicotinoïdes sont des organochlorés : en tant que tels, ils présentent une certaine rémanence. Mais s’ils sont rémanents, ils ne peuvent pas se retrouver dans les eaux – c’est ou l’un, ou l’autre. Les organochlorés se fixent sur l’argile des sols ; pour les rendre solubles, il faut dépasser la capacité de rétention en eau du sol. Je ne dis pas que ces produits ne sont pas dangereux, mais ils ne peuvent pas tout à la fois être rémanents et se trouver dans les eaux.

Pour ce qui est de la rémanence, le temps de mi-vie, est en fonction de la température et du potentiel hydrogène (pH) du sol considéré, entre 100 et 228 jours. Il faut donc, comme M. le ministre s’y est engagé, qu’une culture de betterave soit suivie d’une ou deux rotations sans plantes susceptibles de fleurir et d’attirer les pollinisateurs qui pourraient entrer en contact avec des néonicotinoïdes. Mais il est faux de dire qu’ils sont rémanents à vie et qu’on les trouve dans les eaux, voire ailleurs : par le fait qu’ils s’attachent à l’argile du sol, ils ne peuvent pas être lessivés.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques CE2 de Mme Delphine Batho, CE7 de M. Cédric Villani et CE10 de Mme Yolaine de Courson.

Mme Delphine Batho. Je tiens à remercier M. le rapporteur de sa sincérité : si j’en crois ses propos, il considère que le Parlement, en 2016, a fait n’importe quoi et légiféré n’importe comment, à la légère, et que telle est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Je n’ai rien dit de tel !

Mme Delphine Batho. Car ce projet de loi ne se contente pas d’introduire une dérogation pour la betterave ; il revient totalement sur la loi de 2016 en transférant la décision d’interdire les néonicotinoïdes du pouvoir législatif au pouvoir réglementaire, ce qui permettra au Gouvernement d’autoriser, en France, l’usage de substances jusqu’à présent interdites par la loi. Mon amendement CE2 vise donc à empêcher ce recul inacceptable

En 2015 et en 2016, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages avait fait l’objet de pas moins de sept lectures au Parlement, et suscité un travail intense, sous la forme d’auditions de scientifiques et de représentants des filières agricoles. Au début, nous n’étions que 3 à soutenir l’interdiction des néonicotinoïdes ; au fil des auditions, nous avons été 29, puis 120, jusqu’à devenir finalement majoritaires. Plus nos collègues, de toutes formations politiques, s’informaient sur les néonicotinoïdes, plus ils étaient convaincus qu’il fallait dire stop, tout en offrant un délai de prévenance aux filières agricoles.

M. Dominique Potier. C’est vrai !

Mme Delphine Batho. Un épisode, évoqué hier par notre collègue Martial Saddier, a été particulièrement déterminant. Le groupe Les Républicains avait présenté un amendement visant à supprimer l’article prévoyant l’interdiction des néonicotinoïdes, avant de le retirer de crainte que cette proposition ne soit interprétée comme niant leurs effets sur les pollinisateurs et les vers de terre. Mais aujourd’hui, c’est à un recul spectaculaire que nous assistons.

Je suis désolée de vous contredire, cher Jean-Baptiste Moreau : l’imidaclopride est le douzième pesticide le plus détecté dans les cours d’eau français. Soutenir devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale que les néonicotinoïdes ne posent aucun problème parce qu’ils ne passent pas dans l’eau, c’est dire exactement le contraire de ce qui se passe réellement : les néonicotinoïdes sont rémanents et passent dans l’eau. Dans les Deux‑Sèvres, on trouve de l’imidaclopride et du thiaméthoxame sur des parcelles qui ont toujours été cultivées en bio : c’est bien la preuve que ces substances circulent par l’eau.

M. Cédric Villani. Mon amendement CE7 a le même objet. Cette discussion est pleine de flou, mais également d’arguments assénés et de contre-arguments. Nous venons d’en avoir un exemple : « Les néonicotinoïdes ne se trouvent pas dans les eaux », vient-on de nous dire. Eh bien si… De nombreux articles ont été publiés à ce sujet, dont un l’an dernier, sur la présence d’imidaclopride et autres molécules du même type dans le Danube.

Le problème avec les néonicotinoïdes, c’est précisément qu’ils se répandent partout. Cela commence par l’enrobage de la semence, qui aboutit à larguer l’essentiel de la substance dans le sol : seule une proportion de 2 % à 20 % traite la plante, le reste va un peu partout. C’est précisément cette remarquable combinaison de toxicité, de grande stabilité et de capacité à se diffuser partout qui en fait un outil extraordinaire dans sa capacité de destruction, beaucoup trop efficace.

Monsieur le ministre, je vous ai interrogé hier à ce sujet, et je vous remercie de votre réponse. Vous nous expliquez que nous allons préparer le recours futur aux bonnes pratiques et dans le même temps revenir sur la loi adoptée en 2016 et accorder une dérogation. Mais cela n’a rien à voir avec la stratégie évoquée tout à l’heure par M. Dominique Potier, dans laquelle on avait commencé par donner deux années supplémentaires avant d’abandonner les néonicotinoïdes. Mais là, on a commencé par les interdire, et maintenant, on revient sur cette interdiction ! C’est bel et bien une régression. Comment la justifiez-vous à l’aune du principe de non-régression de la protection de l’environnement, inscrit à l’article L. 110-1 du code de l’environnement ?

Par ailleurs, j’appelle votre attention sur le respect de la Charte de l’environnement. Nous ne traitons pas d’une pollution parmi d’autres, mais du sujet le plus emblématique qui soit en écologie. Vous le savez : la publication de Printemps silencieux par Rachel Carson en 1962 a amorcé la lutte contre le DDT ; c’est le livre fondateur de l’écologie. Nous traitons ici du sujet le plus emblématique qui soit en termes d’empoisonnement de l’écosystème.

Mme Yolaine de Courson. Sur le fond, il me semble que nous avons une réelle divergence de vues avec le Gouvernement et M. le rapporteur. Pendant soixante-quinze ans, on s’est inscrit dans une logique d’exploitation minière des sols : on extrait, on exploite, on épuise, et si cela ne fonctionne pas, on redouble d’efforts. Cela a fonctionné, cela a payé ; mais à présent, la logique du « toujours plus » ne fonctionne plus. Certains cultivateurs de ma circonscription en sont au dixième traitement cette année.

Nous devrions consacrer les cent prochaines années à adopter une logique de construction, de réparation, de recréation et de valorisation des sols. Pour ce faire, les contrats de transition écologique, que ce gouvernement a mis en place, fonctionnent très bien ; ils permettent même de fermer des usines à charbon. Il faut donc élaborer un contrat de transition écologique betteravier et sucrier, et non adopter des dérogations qui tuent tout. Voilà pourquoi je propose par mon amendement CE10 de supprimer les alinéas 1, 2 et 4.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Madame Batho, je n’ai jamais dit que le Parlement était inutile. Je dis simplement que depuis 2016, nous avons vu le mur se rapprocher. Nous savions que la filière betterave-sucre allait connaître des difficultés. Nous avons tous été alertés. Mais il faut regarder la vérité en face : nous ne l’avons pas accompagnée.

Madame de Courson, je vous rejoins totalement : nous avons bel et bien une différence de points de vue. Mon objectif, en tant que rapporteur du texte, est de ne pas répéter les erreurs du passé, ce qui suppose de déterminer comment accompagner les agriculteurs afin de supprimer les 8 % de néonicotinoïdes encore utilisés. Telle est la vision dont procède l’amendement que je présenterai à cette fin. Nous devons tous – parlementaires, chercheurs, représentants des filières, responsables d’organisations non gouvernementales (ONG) – nous asseoir autour de la table et nous rencontrer régulièrement afin que l’on avance. Or mon regret, c’est que nous votions des textes de loi sans en vérifier l’application. Notre rôle de législateurs est certes de légiférer, mais aussi de contrôler l’application de la loi. Si nous débattons aujourd’hui de ce sujet en commission des affaires économiques, c’est parce que nous nous prenons le mur de plein fouet. Le choix est le suivant : ou bien nous laissons les agriculteurs concernés sur le bas-côté, ou bien nous les accompagnons. Je choisis de les accompagner.

Avis défavorable sur ces amendements.

M. Julien Denormandie, ministre. J’émets aussi un avis défavorable. Pour la clarté et la pertinence de nos débats, il me semble nécessaire de poser les questions simplement. Il ne s’agit pas de savoir si l’on est pour ou contre les néonicotinoïdes ; tout le monde ici est contre, me semble-t-il. N’entrons donc pas dans un débat de savoir si les néonicotinoïdes sont ou non une bonne chose, puisque nous sommes tous d’accord pour les interdire. Maintenant, est-on pour ou contre le sucre ? À l’exception peut-être de quelques-uns, nous voulons tous avoir la possibilité d’en manger…

Au regard de la situation actuelle, qui ne nous offre, je le répète, aucune alternative, les termes du débat sont les suivants : ou bien nous jouons la facilité – j’emploie le mot à dessein : au fond, tout cela ne serait pas grave, la France cessera de produire de la betterave sucrière et son propre sucre, et nous le ferons venir d’autres pays ; ou bien nous admettons qu’une transition est nécessaire, en reconnaissant avec humilité qu’elle n’a pas encore abouti et qu’elle prendra encore un certain temps, qui n’est pas celui qu’avait prévu la loi de 2016. Il faut donc avoir le courage de considérer que, pour que cette transition réussisse, il faut sauver la filière dès à présent, tout en faisant pression sur elle pour intensifier les efforts de recherche et d’adaptation.

Maintenant, existe-t-il ou non des solutions alternatives ? C’est là que nous avons une divergence de vues. Je constate que même les opposants au projet de loi n’avancent aucune solution. Nous pouvons donc tomber d’accord, me semble-t-il, sur le fait que, pour l’heure, il n’existe aucune solution alternative d’échelle du point de vue agronomique – qu’il s’agisse des semences, de la biosécurité ou du volet culturel.

Vous soutenez, Madame Batho, qu’il existe une solution économique alternative, sous la forme d’une compensation à 100 % des pertes essuyées par les agriculteurs concernés. Vous avez été ministre, vous connaissez comme moi les règles en vigueur, vous y avez été confrontée. Dans le cas italien, il s’agissait d’un fonds de mutualisation coopératif. Du reste, les règles assurantielles, par principe, prévoient toujours une quotité à charge de celui qui finance l’assurance, et, de façon singulière, s’agissant du secteur agricole, elles sont soumises au respect des divers règlements européens, qui ne permettent pas de verser aux agriculteurs une compensation à 100 %. On peut le répéter le contraire pendant des heures, cela n’en fera pas une vérité.

M. Thierry Benoit. J’aimerais interroger le Gouvernement sur la question de la rémanence, après avoir entendu l’observation notre collègue Jean-Baptiste Moreau. Peut-on nous dire si, oui ou non, la question de la rémanence ne se pose que pour les sols ou les semis qui succéderaient à la récolte de betteraves ? Peut-on confirmer ou infirmer les observations de M. Jean-Baptiste Moreau au sujet des traces de molécules présentes dans l’eau ? M. le ministre est entouré de compétences, issues notamment de l’ANSES et de l’INRAe ; en tant que député, je souhaite obtenir une réponse claire à cette question avant d’arrêter mon vote dans l’hémicycle. Ce débat sous-jacent me semble important.

M. Frédéric Descrozaille. Ce débat est très intéressant. Je soutiens le projet de loi, mais c’est très respectueusement que j’écoute les arguments de ceux qui s’y opposent.

Madame Batho, je suis, au fond, tout à fait d’accord : on peut reprocher à la filière betterave-sucre de n’avoir pas suffisamment anticipé la fin des quotas. Elle en paie le prix aujourd’hui, car les scientifiques, ceux des instituts techniques comme ceux de l’INRAe, ne peuvent encore promouvoir des techniques alternatives faute de les maîtriser suffisamment.

Certaines formules, telles que la rotation des cultures, font florès. En réalité, le changement de modèle suppose aussi que chaque entreprise vende sa production à davantage d’acheteurs. Les modèles alternatifs fonctionnent deux ou trois fois sur quatre, mais on ne sait pas bien pourquoi ; on ne sait pas davantage pourquoi ils ne fonctionnent pas. Par conséquent, aucun scientifique ne prendra jamais la responsabilité d’en promouvoir un auprès des agriculteurs, car il est incapable de l’expliquer. Pour paraphraser Théodore Monod, ce que nous savons est le principal obstacle à l’acquisition de ce que nous ne savons pas… Cette affaire promet de durer longtemps !

En attendant, économiquement, la filière doit s’organiser pour pallier les chutes de rendement qu’elle connaît, inévitables compte tenu de ce qu’on leur demande depuis 2016. De deux choses l’une : ou bien on lui dit que c’est tant pis pour elle, elle n’avait qu’à ; ou bien on lui tend la main en lui expliquant que l’on va l’aider, tout en renforçant encore nos exigences pour suivre d’un peu plus près la façon dont elle va s’adapter, techniquement et économiquement. C’est là où nos points de vue diffèrent. Pourquoi renoncer à aider la filière ? Cela ne change rien à l’orientation fondamentale. Mais on peut admettre que cela prend du temps, techniquement et économiquement.

M. Nicolas Turquois. J’aimerais répondre à l’argument de non-régression de la protection de l’environnement avancé par M. Villani. Cher collègue, vous avez entièrement raison. Je m’adresse ici au scientifique que vous êtes.

Cette année, en l’absence de néonicotinoïdes sur les semences utilisées, les agriculteurs ont réalisé trois, voire quatre épandages par pulvérisation de pyréthrinoïdes ou autres insecticides. Si la plante ne recouvre pas totalement le rang, le produit tombe en partie sur le sol, où il est inutile ; si la plante recouvre totalement le rang, il fonctionne comme une bombe à mouches, tuant tous les insectes présents, sauf ceux qui sont les mieux cachés, précisément les pucerons… C’est un phénomène très connu en agriculture : on détruit les prédateurs des pucerons, notamment les coccinelles, car ils sont très mobiles, mais pas les pucerons, cachés sous les feuilles. Du coup, on éradique la faune auxiliaire susceptible de les détruire et leur nombre explose… Ce phénomène est très documenté dans le cas du maïs où le puceron n’est théoriquement pas un problème. Mais les bidons des produits destinés à lutter contre la pyrale comportent cette mise en garde : « Attention, risque de populations de pucerons ».

Ainsi, l’application du principe mal compris de non-régression de la protection de l’environnement peut aboutir, à court terme, à une augmentation des traitements chimiques combinés à une efficacité moindre. En l’espèce, nous proposons une solution pour trois ans, et non dix, assortie d’une obligation de résultat.

Mme Delphine Batho. La politique, notamment dans le domaine de l’écologie, n’est pas faite de convictions intimes ; à un moment donné, il faut des actes. J’affirme donc que les parlementaires qui envisagent, comme c’est leur droit, de voter pour le présent projet de loi sont pour le rétablissement de l’autorisation des néonicotinoïdes en France. On ne peut pas dire qu’on est contre les néonicotinoïdes si l’on vote le texte.

Ensuite, il est inexact d’affirmer que rien n’a été fait depuis 2016. En réalité, la filière betterave-sucre était opposée à la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Et comme elle savait qu’il y aurait des élections de 2017, elle espérait bien qu’elle serait supprimée. C’est si vrai qu’un avant-projet de loi avait été rédigé en juin 2017 : il s’agissait de miser sur un nouveau produit, le sulfoxaflor. Du reste, lors des auditions que vous avez menées, Monsieur le rapporteur, auxquelles vous avez bien voulu nous associer, les représentants de la filière ont admis qu’ils s’étaient contentés d’attendre un nouveau produit.

Finalement, cet avant-projet de loi n’a pas prospéré : le sulfoxaflor a été bloqué par la justice avant d’être prohibé, à juste titre, par la loi ÉGALIM, grâce à des dispositions que nous avons élaborées et votées ensemble. En réalité, la filière n’a jamais accepté l’interdiction des néonicotinoïdes ni travaillé à leur abandon. Et manifestement, il ne s’est trouvé personne pour la rappeler à l’ordre. En tout cas, il ne faut pas inverser les responsabilités.

Enfin, je vous confirme, Monsieur le ministre, que les responsabilités gouvernementales que j’ai exercées m’ont amenée à plusieurs reprises dans le bureau du commissaire européen chargé des aides d’État pour les négocier.

M. le président Roland Lescure. Merci de conclure, chère collègue.

Mme Delphine Batho. Monsieur le président, j’aimerais pouvoir répondre lorsque je suis mise en cause personnellement.

M. le président Roland Lescure. Vous aurez tout le temps pour ce faire dans la suite des débats.

Mme Delphine Batho. Je souhaite néanmoins achever ma phrase, dès lors que j’ai été mise en cause.

M. le président Roland Lescure. Vous n’avez pas été mise en cause. M. le ministre et vous-même avez un débat sur ce qu’il est possible de faire lorsqu’on est ministre. Je n’y vois aucune mise en cause personnelle. J’aimerais que le débat se poursuive dans la tonalité qu’il a eue jusqu’à présent, selon les règles que j’ai indiquées, et que je me permets de vous rappeler, exerçant mes prérogatives sans la moindre mise en cause personnelle.

Mme Delphine Batho. Je vous remercie, Monsieur le président, mais j’aimerais pouvoir finir ma phrase.

M. le président Roland Lescure. Achevez-la, mais rapidement !

Mme Delphine Batho. Visiblement, comme hier soir, M. le ministre…

M. le président Roland Lescure. Vous n’achevez pas la phrase que vous aviez commencée ! Vous en étiez au bureau du commissaire européen chargé des aides d’État.

Mme Delphine Batho. J’y viens, Monsieur le président. Le principe de la volonté politique, c’est de changer les choses, et non de se résigner lorsque l’administration dit que c’est impossible. Dans ma circonscription, des cas de tremblante de mouton et de grippe aviaire ont fait l’objet d’une indemnisation à 100 %. C’est donc possible.

M. Julien Dive. Si je disais que nos collègues opposés au texte sont favorables à la suppression des emplois de l’industrie sucrière, ils m’accuseraient de caricaturer et pousseraient des cris d’orfraie, et à raison. De même, lorsque Mme Delphine Batho dit qu’être favorable aux dérogations prévues par ce texte dans un contexte particulier équivaut à être favorable aux néonicotinoïdes, je me permets de dire que c’est de la caricature, et je pense avoir raison.

M. Frédéric Descrozaille. Bravo !

M. Julien Dive. M. Martial Saddier, cité tout à l’heure, n’est pas là pour préciser les raisons de la position adoptée par notre groupe il y a quatre ans ; je tâcherai de le faire le mieux possible.

Personne ici n’envisage de défendre ou de promouvoir les néonicotinoïdes, compte tenu de leurs effets néfastes dont chacun a conscience. Toutefois, si la loi de 2016 avait résolu les problèmes posés par les néonicotinoïdes en France, cela se saurait depuis bien longtemps. Par exemple, les colliers antipuces destinés aux animaux de compagnie regorgent de néonicotinoïdes ; les insecticides destinés à éradiquer les fourmis des maisons également. Les néonicotinoïdes sont donc encore largement utilisés.

Sans vouloir faire offense aux promoteurs de la loi biodiversité, j’estime qu’elle est imparfaite, comme de nombreuses lois applicables à la filière betterave-sucre. La situation actuelle résulte du fait que nous avons assigné à la filière des objectifs d’abandon des produits phytopharmaceutiques, notamment ces fameux néonicotinoïdes, sans l’accompagner ni aller plus loin. À présent, nous tentons de recoller les morceaux afin d’éviter qu’elle ne meure, ce qui nous contraindrait à importer des milliers de tonnes de sucre par supertankers, avec toute la pollution qui va avec…

M. Cédric Villani. Nous venons d’entendre une très belle description des traitements par pulvérisation, des horribles conséquences qu’ils peuvent avoir en matière de destruction de la biodiversité et surtout de leur absurdité, comme vous l’avez très bien dit, cher collègue Turquois, puisque l’on en vient à détruire ses alliés et non ses ennemis…

Ce constat peut-il amener à se demander si la loi biodiversité, telle qu’elle a été adoptée en 2016, était une régression ? On ne peut pas raisonner ainsi. Lors de l’adoption de la loi, l’étude de l’ANSES indiquait qu’il était inacceptable d’utiliser des néonicotinoïdes, et préconisait de les remplacer par d’autres produits – tout en prévenant des terribles conséquences qui pourraient résulter des surdosages ou des mauvaises utilisations.

Mais, plus que cela, le principe de la loi biodiversité était remarquable : c’était l’interdiction de tous les néonicotinoïdes. Auparavant, on se contentait d’interdire une substance ; on mettait alors un autre néonicotinoïde sur le marché, et c’était autant de temps gagné pour les pesticides. C’est exactement le cas du sulfoxaflor dont vient de parler Mme Delphine Batho : les industriels se sont dit qu’ils allaient pouvoir se débrouiller avec cela. Mais la loi biodiversité interdit tous les néonicotinoïdes, et c’était un progrès en matière environnementale. Car les néonicotinoïdes forment une classe de pesticides à nulle autre pareille, emblématique, et d’une efficacité initialement insoupçonnée. Une étude publiée dans la revue Science prouve qu’une dose infime, de l’ordre du milliardième de gramme, suffit pour dérégler le comportement des abeilles : c’était la première fois que des travaux de détection conduisaient à descendre à une partie pour un milliard. Le pouvoir de létalité de ces substances était tel que le législateur a jugé important de bannir toute cette classe d’insecticides. Il s’agit d’une avancée ; leur réintroduction est incontestablement un recul.

S’agissant de leur présence dans l’eau ou ailleurs, je vous renvoie à une étude publiée au mois d’avril 2019 par l’université de Neuchâtel. Dans 90 % des champs cultivés selon les méthodes de l’agriculture biologique étudiés, des néonicotinoïdes ont été détectés.

M. Julien Denormandie, ministre. Avant de répondre à M. Benoit, j’aimerais préciser deux points.

Nous avons à nouveau entendu dire que certains ici essaieraient de justifier la pertinence des néonicotinoïdes. Sortons de ce débat ! Madame Batho, ne faites pas dire de ceux qui soutiennent le projet de loi qu’ils sont convaincus de la vertu des néonicotinoïdes ! C’est absurde !

Prenons la question dans l’autre sens : vous pouvez « transitionner » avec vous-même, il n’en résultera aucune transition. « Transitionnez » avec vous-même, mais dites aux Français qu’ils devront arrêter de manger du sucre ! « Transitionnez » avec vous-même, mais dites aux représentants de la filière sucrière que vous les laissez tomber ! « Transitionnez » avec vous-même, mais faites comprendre aux Français que vous prônez une écologie du chacun pour soi et de l’injonction !

Comme je le disais en réponse à M. Thierry Benoit tout à l’heure, la politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire. Oui, une transition est nécessaire. Est-elle possible à l’heure où nous parlons ? Non, et j’en suis le premier chagriné. Cela m’aurait privé de cet après‑midi avec vous, mais peut-être permis de travailler sur d’autres sujets.

Il faut aussi être sincère dans les questions et les réponses. Madame la ministre Batho, vous évoquez l’indemnisation à 100 % des cas de grippe aviaire. Mais il s’agissait d’abattages sur ordre administratif. Vous oubliez le libre choix de l’agriculteur, lequel peut planter qui des betteraves, qui des céréales, qui autre chose. Ce seul état de fait empêche d’obtenir de Bruxelles une indemnisation à 100 %, vous le savez très bien. Le seul autre mécanisme que les parlementaires connaissent, ce sont les aides de minimis, qui sont capées à 20 000 euros sur trois ans, comme vous le savez très bien aussi.

Nous pouvons donc sortir de ce débat une bonne fois pour toutes, au lieu de nous attacher à tel ou tel cas particulier. Vous avez évoqué l’Italie : la filière y est organisée selon un système mutualiste et coopératif, financé comme tel en partie par ses membres. Si cette solution économique avait existé, j’aurais été le premier à l’adopter.

Sortez de ce débat, et surtout ne le réorientez pas comme vous le faites lors de chacune de vos prises de parole, pour faire croire que la majorité présidentielle aurait pour seule volonté de réintroduire les néonicotinoïdes en les parant de telle ou telle vertu. Si nous mettons en place cette dérogation, c’est seulement pour permettre à la filière de faire sa transition agro‑écologique. Le courage, en politique, cela consiste à affronter le temps, et parfois l’impasse, en ayant l’honnêteté de le reconnaître.

Monsieur Benoit, la rémanence dépend du produit et du sol. On la calcule à partir du temps de demi-vie dans le sol. Un document publié par l’ANSES indique que, dans le cas des deux molécules de néonicotinoïdes les plus utilisées pour l’enrobage des semences avant 2016, l’imidaclopride et le thiaméthoxame, cette durée, mesurée en laboratoire, est en moyenne de 118 jours pour le premier et de 156 jours pour le second.

La grande difficulté, c’est que la rémanence dans le sol dépend de sa nature : argileux ou non, pH élevé ou non, présence d’un biotope ou non. Autrement dit, selon les sols, la durée de demi-vie peut être supérieure ou inférieure à la durée mesurée en laboratoire. Ce qui est sûr, c’est que ces produits présentent une rémanence dans le sol.

M. Thierry Benoit. Et dans l’eau ?

M. Julien Denormandie, ministre. Moins la rémanence dans le sol est forte, plus la transmission dans l’eau est importante, et vice versa, comme l’a expliqué M. Jean-Baptiste Moreau tout à l’heure.

Enfin, comme l’a rappelé M. Nicolas Turquois, il faut toujours, en matière d’écologie, tenir compte du référentiel dans lequel on s’inscrit. À l’heure actuelle, l’ANSES préconise d’utiliser des produits évoqués tout à l’heure par M. Dive, notamment le Movento et le Teppeki, qui contiennent des pyréthrinoïdes. Malheureusement, on les utilise au-delà des doses recommandées par l’ANSES, et on ferait tous la même chose, parce que passage après passage, c’est de moins en moins efficace… Ces produits ont aussi une rémanence, qui elle aussi dépend du sol, et sont susceptibles de contaminer les cours d’eau.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle examine ensuite les amendements CE18 et CE19 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine. Dans votre modèle économique, il est inconcevable, à modèle constant, de diminuer les exportations, comme vous l’avez dit vous-même, Monsieur le ministre. Mais vous savez très bien vers quel modèle nous souhaitons tendre. Nous soutenons qu’il est envisageable de se libérer de la contrainte des exportations sans porter pour autant préjudice aux employés de Renault ou de Sanofi.

Nous considérons que le modèle en vigueur incite à la surproduction et qu’il faut en sortir. Dès que l’on propose de mettre un terme à l’utilisation de pesticides, tels que le glyphosate ou les néonicotinoïdes, le secteur agro-industriel s’efforce de faire peur aux gens et d’exercer des pressions, en brandissant la menace de pertes d’emplois et d’une catastrophe économique. Mais quel risque fait-on peser sur les gens et sur les emplois en autorisant l’utilisation de pesticides qui nuisent à la santé et à la biodiversité ? On ne peut pas appréhender les choses de cette façon.

Le rétablissement l’autorisation d’utilisation des néonicotinoïdes nuira au vivant, mais aussi aux agriculteurs. Nous considérons qu’il est urgent de changer radicalement de modèle agricole, afin que chacun de ses acteurs puisse vivre décemment et développer une résilience face aux bouleversements climatiques que nous allons subir.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Je perçois l’amorce d’une suite logique dans ces amendements, qui consiste à supprimer l’alinéa 1, puis l’alinéa 2, et sans doute les alinéas 3 et 4 dans ceux qui viendront ensuite…

L’amendement CE18 vise à supprimer ce que l’on appelle le « chapeau » de l’article. Comme tel, il n’est pas opérant, d’où mon avis défavorable. L’amendement CE19 vise à supprimer l’alinéa 2, relatif à l’interdiction des néonicotinoïdes et non à la possibilité d’en faire usage par dérogation. Je doute que tel soit votre propos, chère collègue. Je suggère donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Julien Denormandie, ministre. Même avis.

La commission rejette les amendements.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CE3 de Mme Delphine Batho et CE11 de Mme Yolaine de Courson.

Mme Delphine Batho. Je reviendrai ultérieurement sur le débat relatif aux dérogations, qui consistent en fait à autoriser en France des produits interdits en Europe. Mais là, il s’agit de réautoriser en France, l’utilisation de substances qui y étaient interdites jusqu’à présent tout en étant autorisées en Europe. Autrement dit, l’alinéa 2, visé par l’amendement CE3, détricote complètement la loi de 2016 par le biais d’une astuce, en introduisant un décret là où il n’y en avait pas. Il s’agit d’une remise en cause frontale de la loi de 2016.

Le courage politique, à mes yeux, consiste à ne pas céder à la pression. Quant à l’écologie, elle se situe en rupture avec l’égoïsme qui amène à considérer qu’un monde sans papillons, sans libellules et sans abeilles, celui dans lequel pourrait vivre nos enfants, ce n’est pas grave ; elle élargit la prise en compte de l’altérité à l’ensemble du vivant.

Le modèle agro-écologique que nous défendons, c’est par exemple celui des exploitations des producteurs de betteraves bio que nous avons auditionnés : ils emploient deux fois plus de personnes que les exploitants conventionnels, et dégagent 80 à 85 euros à l’hectare, contre 20 euros pour les autres. Certes, ils sont soumis à plusieurs freins, tels que la date des semis exigée par les sucreries et le coût de la main-d’œuvre. Il faut les lever, mais on ne peut pas affirmer qu’un tel modèle n’existe pas. Des solutions alternatives existent, nous l’avons vérifié.

Mme Yolaine de Courson. Le texte comporte une disposition de nature à intriguer les législateurs que nous sommes. Mon amendement CE11 vise à supprimer les mots « précisées par décret », qui à eux seuls privent le pouvoir législatif de son rôle. En effet, le texte prévoit de modifier par décret une loi votée par le Parlement. Notre rôle s’en trouve minimisé. Dans trois ans, le ministre de l’agriculture aura peut-être changé. Certains collègues me soufflent que je le serai peut-être, mais cela m’étonnerait !

M. le président Roland Lescure. Nous verrons bien ! La liste est longue ! (Sourires.)

Mme Yolaine de Courson. Monsieur le ministre, vous ne m’avez pas répondu au sujet des contrats de transition écologique. Dans ce cadre, nous aurions pu construire une assurance privée, un fonds coopératif. Une telle solution aurait été préférable aux dérogations, s’agissant de produits très toxiques.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Je serai un peu long, mais cela me paraît nécessaire.

Cette question a été soulevée hier en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie pour avis. La rédaction du projet de loi maintient l’inscription dans la loi de l’interdiction générale des néonicotinoïdes. Cependant, la mention exacte des substances interdites sera déterminée par décret. Ce changement opéré dans la rédaction de l’article répond uniquement à un objectif juridique : il s’agit d’en assurer la conformité au droit de l’Union européenne. Ainsi que le ministre l’a rappelé hier soir, la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages n’a pas été notifiée à la Commission européenne. C’est pour cette raison qu’un décret avait été pris à l’époque, le décret du 30 juillet 2018 relatif à la définition des substances actives de la famille des néonicotinoïdes présentes dans les produits phytopharmaceutiques, lequel a été notifié.

C’est ce décret qui a été attaqué par l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) devant le Conseil d’État ; je suis donc assez étonné que des amendements de votre groupe viennent défendre la position de cette association, chères collègues. Statuant au contentieux, le Conseil d’État a décidé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, qui n’a pas encore statué, mais dont l’avocat général a rendu ses conclusions le 4 juin dernier.

La question préjudicielle portait sur la régularité de la notification du décret à la Commission européenne, initiée le 2 février 2017, qui n’avait pas été opérée sur le fondement de l’article 71 du règlement européen de 2009. Dès lors, la rédaction du premier alinéa du II de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime pose problème : selon les termes de l’avis du Conseil d’État, « on ne peut dès lors écarter la possibilité, même si les décisions prises ces deux dernières années au niveau européen tendent à proscrire progressivement les néonicotinoïdes, que les futures décisions de la Cour de justice de l’Union européenne puis du Conseil d’État statuant au contentieux remettent en cause le maintien d’une interdiction de portée aussi générale et absolue ». La nouvelle rédaction vise donc à anticiper cette éventualité, et le Conseil d’État, dans son avis, s’est dit satisfait de la solution choisie par le Gouvernement.

Je suis donc défavorable à ces deux amendements.

M. Julien Denormandie, ministre. Mon avis est également défavorable.

Madame Yolaine de Courson, je suis le premier à défendre la nécessité d’opérer une transition, et je l’ai dit près de cent cinquante fois depuis hier soir. Mais pour ce faire, j’ai besoin d’une filière. Et contrairement à vous, je ne cède pas à la facilité consistant à affirmer que la filière s’en sortira quoi qu’il arrive. Le problème de fond, c’est précisément qu’elle est dans une impasse ; et si elle disparaît, elle ne pourra pas faire de transition.

Madame la députée Batho, vous arguez que la filière bio existe. Premièrement, le Gouvernement, la majorité présidentielle n’ont en rien à rougir de l’action qu’ils mènent pour promouvoir la filière bio. Le ministre Stéphane Travert avait prolongé et revalorisé le crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique ; nous renforçons le fonds avenir bio, et sommes en train créer le crédit d’impôt pour les exploitations certifiées haute valeur environnementale (HVE), que M. Dominique Potier appelait de ses vœux depuis bien longtemps. Nous n’avons donc aucune leçon à recevoir sur ce terrain-là.

Deuxièmement, vous affirmiez hier que les betteraves bio ne sont pas touchées par la jaunisse, ce qui est faux. M. Christian Huygue pourrait vous le confirmer : nous avons fait des vérifications sur site, elles sont bien attaquées par le virus.

Vous évoquiez le courage, qui s’assimile selon vous à la conviction. À mes yeux, le courage est plutôt du côté de la majorité présidentielle, de Mme Barbara Pompili, dont je tiens à saluer le travail, ainsi que celui de nos deux ministères pour permettre cette transition.

Ces deux amendements sont surprenants, car le projet de loi vise à s’assurer que ni la Cour de justice de l’Union européenne, ni le Conseil d’État ne viennent défaire la portée de la loi de 2016. Celle-ci n’avait pas été notifiée aux autorités européennes ; c’est le décret de 2018 qui l’a été. Aux termes de l’article 71 du règlement n° 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui prévoit une clause de sauvegarde, un État peut interdire des substances actives que la Commission européenne aurait autorisées. Il appartient donc à l’État français de compléter la liste des substances déjà interdites au niveau européen. Ces éléments ont été développés officiellement par le Conseil d’État et rendus publics, et nous attendons encore la décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

Voter ces amendements reviendrait en réalité à défaire ce que la loi de 2016 permet.

M. Nicolas Turquois. Madame Batho, vous voudriez renvoyer de nous l’image d’ardents défenseurs des néonicotinoïdes, œuvrant pour que ces produits soient à nouveau autorisés. Moi qui suis agriculteur, et qui les ai utilisés, je pourrais endosser ce mauvais rôle. Mais pas les collègues qui m’entourent : s’ils sont présents et mènent ce combat, c’est bien parce qu’ils se rendent compte qu’une transition est nécessaire.

En tant qu’agriculteur, je suis multiplicateur de semences. J’ai donc besoin des abeilles, et chaque année je les observe, au printemps, lors de la floraison. Bien sûr, j’ai utilisé des traitements. Je constate cependant une importante différence des populations d’abeilles entre les zones où il y a une diversité génétique, où l’on voit des haies et des marais, notamment, et les zones de plaines céréalières, caractérisées par une pauvreté génétique. S’il faut considérer le problème des traitements, ainsi que celui du varroa, évoqué par notre collègue Robert Therry, le vrai enjeu c’est que, entre la floraison du colza aux mois de mars et avril et la floraison du tournesol au mois de juillet, les abeilles n’ont rien à se mettre sous la dent.

M. Julien Denormandie, ministre. Exactement !

M. Nicolas Turquois. Sans un suivi précis des apiculteurs pour les déplacer ou les nourrir, les colonies d’abeilles sont décimées. Il faut retrouver une large variété génétique de floraison dans nos campagnes, en replantant des haies bocagères, qui feront également revenir non seulement les abeilles et les oiseaux, mais nombre de petits mammifères et d’autres insectes. C’est comme ça qu’on fera progresser la biodiversité. La majorité, et plus largement l’ensemble des parlementaires doivent mener ce combat. Mais pour le très court terme, l’enjeu de la dérogation pour les néonicotinoïdes, c’est tout simplement celui de la survie d’une filière et de la possibilité de sa transition.

Mme Delphine Batho. Chers collègues, évitons tout malentendu : je ne veux vous coller aucune image. Ce n’est pas moi qui ai inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale un projet de loi qui, d’une part, vise à réautoriser l’utilisation de certaines substances néonicotinoïdes sur tout le territoire, et, d’autre part, accorde des dérogations pour la betterave en permettant l’utilisation de 80 à 100 tonnes d’imidaclopride et de thiaméthoxame sur 450 000 hectares en France ! C’est votre texte, ce n’est pas le mien. Je n’ai pas décidé d’être ici en cette fin de septembre et ce début d’octobre à discuter de la remise en cause de la loi de 2016, qui comportait un principe de non-régression, c’est-à-dire l’idée qu’il était impossible de revenir en arrière s’agissant de toute mesure de progrès pour la protection de l’environnement.

Monsieur le rapporteur, concernant le décret, la réalité est exactement l’inverse de ce que vous dites : la loi de 2016 a volontairement interdit non pas des substances, mais des produits contenant une famille de substances, précisément par souci de conformité au droit européen. La notification n’est donc pas un sujet, parce que les autorisations de mise sur le marché sont délivrées non par l’Union européenne, mais des autorités nationales. C’est la raison pour laquelle le texte ne prévoyait pas de décret, et c’est pourquoi il ne faut pas que la loi renvoie à un décret. Avec cette nouvelle rédaction, le Gouvernement supprime un principe d’interdiction des néonicotinoïdes de portée générale et absolue décidée par le législateur et confie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les substances interdites en France. Le Gouvernement pourra donc, à l’avenir, modifier cette liste et, par exemple, décider de réautoriser l’acétamipride, au motif que ce produit est autorisé en Europe.

Nous ne sommes pas d’accord, et nous considérons qu’il s’agit d’une remise en cause du principe d’interdiction générale posé par la loi de 2016.

M. Dominique Potier. J’ai deux questions à poser au ministre, qui s’attache toujours à nous répondre.

La première porte sur le champ du décret. Lors des débats de la loi de 2016, Mme Barbara Pompili déclarait très précisément que chaque dérogation accordée dans la période intermédiaire devait s’appuyer sur un bilan établi par l’ANSES. Quand le rapporteur et moi‑même avons reçu le directeur général de cette agence, il a affirmé n’avoir pas été questionné de façon suffisamment précise pour répondre sur la dangerosité des substances, ce qui est pourtant capital. Si par malheur ce projet de loi était voté, la garantie de l’ANSES serait-elle maintenue ?

Vous affirmez que la transition agro-écologique nécessite trois années, Monsieur le ministre. Depuis 2016, donc, elle aurait pu être effectuée. Pouvez-vous nous donner la trace, dans l’ensemble des dispositifs gouvernementaux et dans la gouvernance du plan Écophyto, des actions de prévention entreprises pour éviter un retour aux néonicotinoïdes ?

M. Julien Dive. Il est clair que, sur le bio, la filière betterave a des efforts à fournir, et les premiers concernés le reconnaissent eux-mêmes : moins de 1 % des betteraves en France sont issues de l’agriculture biologique. Heureusement, des dispositifs existent pour converger vers le bio. Il faut toutefois prendre garde de ne pas produire trop de bio trop rapidement, car cela pourrait perturber un marché spécifique à l’équilibre déjà précaire et, à terme, le détruire. Il faut donc y aller progressivement.

Et je ne suis pas contre le bio, Madame Batho ; cessez donc de hocher la tête, c’est pénible !

Mme Delphine Batho. C’est seulement que nous en importons d’Allemagne !

M. Julien Dive. Cela rejoint donc ce que je disais à l’instant ! Nous devons néanmoins faire attention à ce que nous faisons.

Je tiens à préciser que, si la réautorisation des néonicotinoïdes dans le cadre de ce texte s’applique au périmètre national, l’engagement donné – et une parole est une parole – est qu’elle ne sera utilisée que pour la betterave, une culture qui ne concerne que certains territoires.

Je ne veux pas vous répondre à la place du ministre, Monsieur Potier. Je suis néanmoins dans la recherche, et j’ai rencontré les semenciers. Des projets financés par le programme d’investissements d’avenir (PIA) ont été engagés. Il faut toutefois plus de trois ans pour trouver des solutions réelles et pérennes.

Mme Yolaine de Courson. Vous insistez sur la nécessité de s’appuyer sur une filière, Monsieur le ministre, mais elle est là ! On ne cesse de le répéter, pour que cela finisse par infuser : selon les chiffres de l’interprofession, seulement 15 % de la filière est touché, et c’est pour cette part qu’on est en train de se battre – il faut dire la vérité. Pour ces 15 %, on peut faire quelque chose, et on verra dans trois ans. Vous vous arrêtez à cette limite des trois ans comme si c’était la fin du monde ! Et dans trois ans, la question sera de nouveau posée, et une nouvelle dérogation sera autorisée… Voilà ce qui me dérange.

M. le président Roland Lescure. Vous serez alors ministre, Madame de Courson ! (Sourires.)

M. Jean-Baptiste Moreau. Madame Batho, le débat sur le sulfoxaflor et les autres substances ayant le même mode d’action que les néonicotinoïdes, nous l’avons mené ensemble dans le cadre de la loi ÉGALIM : je m’étais engagé auprès de vous en commission en tant que rapporteur, et j’ai tenu mes engagements en séance. Je ne suis donc pas un farouche défenseur des néonicotinoïdes, et je ne nie pas leur dangerosité.

Pour prendre ses décisions, le législateur doit mesurer le rapport bénéfice-risque. Or la filière qui nous occupe est dans une impasse : il faut, certes, ne pas minimiser le risque de pollution de l’environnement, mais les producteurs, les agriculteurs doivent pouvoir tirer un bénéfice de leur travail. C’est dans ce sens que le ministre s’est engagé, notamment avec les rotations et les bandes mellifères.

Concernant le système assurantiel, pour ma part, je ne connais pas d’assurances privées disposées à couvrir un risque à la survenue très probable en facturant des cotisations modiques. La logique assurantielle veut que les cotisations augmentent avec le risque, car l’assureur privé doit pouvoir rentrer dans ses frais. Qu’il soit assumé par l’agriculteur ou par l’État, il y aura toujours un coût supplémentaire.

M. Julien Denormandie, ministre. Madame de Courson, je comprends votre raisonnement, mais il ne vaut qu’à condition de pouvoir prédire où se situent les 15 % des surfaces qui seront très durement frappées. Or les agriculteurs n’en savent rien. En 2019, la maladie progressait de l’est vers l’ouest. En 2020, les pucerons remontent du sud vers le nord, avec un important gradient nord-sud ; on ignore toutefois si leur trajectoire est verticale ou si elle bifurque pour revenir à l’horizontale, et on ne sait pas même où les pucerons sont infectés par le virus. En d’autres termes, il est impossible de prédire où la situation va sévèrement se dégrader. Et c’est bien le problème : je ne peux pas dire qui fera partie des 15 % d’agriculteurs qui vont mal et régler la situation avec vous. Chaque agriculteur se dit que cela peut lui arriver, et à l’évidence aucun n’est prêt à prendre le risque de perdre 50 % de sa production. Ni vous, ni moi ne le ferions ! Si la proportion de 15 % semble simple à prendre en charge sur le papier, elle ne l’est pas en réalité, car on ne sait pas comment elle sera distribuée sur les surfaces cultivées.

Madame Batho, vous réfutez les arguments du rapporteur au motif qu’il méconnaîtrait la distinction entre l’autorisation des substances et leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Je vous renvoie à un avis public du Conseil d’État, émis lors de sa séance du 29 mai 2019 : « En défense, le ministre de l’écologie se borne à soutenir que la loi ne régit que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (PPP) contenant ces substances et n’aurait donc porté atteinte ni aux règlements d’approbation de la Commission, ni aux AMM de ces produits. Disons-le sans détours : cette argumentation n’est pas convaincante ». Le Conseil d’État met donc à mal votre argumentation. Vous pouvez donc me croire, tout ministre que je suis, quand je vous dis que le projet de loi vise à conforter la loi de 2016, comme le Conseil d’État l’y a appelé à la suite d’une requête en annulation de l’UIPP contre le décret à présent examiné par la Cour de justice de l’Union européenne ! C’est l’unique objectif du texte. Et je me tiens évidemment à votre disposition pour vous transmettre tous ces documents qui, au demeurant, sont consultables sur internet.

S’agissant de l’ANSES, elle a publié en mai 2018 le deuxième tome de son rapport sur la viabilité des alternatives aux néonicotinoïdes. Nous avons demandé à l’agence de produire, avant la fin du mois de novembre, un nouvel avis sur les conditions d’utilisation et les mesures de gestion des néonicotinoïdes qui pourraient être introduits au titre de la dérogation – en d’autres termes, sur le type de plantes et le délai de rémanence. Cet avis sera librement consultable dès sa publication. La ministre Mme Barbara Pompili et moi-même avons fixé cette date butoir de façon à en disposer avant de prendre les arrêtés de mise sur le marché à la fin de l’année.

Un deuxième avis a été demandé pour le début de l’année prochaine. Il s’agit de l’actualisation de l’étude publiée en 2018, car deux produits présentés comme des alternatives n’avaient alors pas été pris en compte – le Movento et le Teppeki – et n’ont pas été évalués, alors qu’ils ont depuis lors été utilisés.

Qu’est-ce qui a été fait depuis trois ans ?

M. Dominique Potier. Pas grand-chose !

M. Julien Denormandie, ministre. Des actions ont été menées ; elles sont résumées par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) dans le plan national de recherche et d’innovation (PNRI) qui m’a été remis hier et que je vous transmettrai.

Concrètement, l’effort de recherche se traduit par un premier projet, ABCD-B, de 200 000 euros, un deuxième projet, ExTraPol, de 80 000 euros, un troisième projet, MoCoRIBa, de 430 000 euros, et un quatrième projet de grande envergure, AKER, dont les résultats ont été remis hier, et qui porte sur la génétique de la betterave, et non pas à proprement parler sur la jaunisse. Mes services estiment que depuis 2016, 700 000 euros de subventions publiques ont été alloués à ces projets ; j’ai annoncé hier un financement public additionnel pour le PNRI de 7 millions d’euros sur trois ans, dont 5 millions d’euros financés par mon ministère pour que j’entre dans la gouvernance de la recherche publique et de la recherche privée.

J’espère avoir répondu précisément à vos questions ; je vous transmettrai l’ensemble de ces documents.

Mme Delphine Batho. Les personnes de l’ANSES que nous avons auditionnées n’ont pas été très élogieuses au sujet de l’Institut technique de la betterave (ITB), qui du reste ne dépend pas de vous. Il y a là matière à s’interroger, notamment par rapport à ce que je disais tout à l’heure au sujet de la filière.

J’ai été très surprise de lire dans le plan de recherche de la filière et de l’INRAe qu’un des objectifs est le recueil de données : cela montre assez clairement la fragilité des éléments sur lesquels se fondent le projet de loi et nos débats. Nous discutons de l’impact de la jaunisse sur les cultures et de la localisation des pucerons, mais les informations dont nous disposons sur les ravages provoqués par ces insectes sont loin d’être complètes.

Monsieur le président, je souhaite, pour le bien-être de tous, auquel je suis très sensible en temps qu’écologiste, solliciter une courte suspension de cinq minutes.

La commission rejette successivement les amendements CE3 et CE11.

La réunion, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures vingt.

La commission examine les amendements identiques CE4 de Mme Delphine Batho, CE12 de Mme Yolaine de Courson, CE20 de Mme Mathilde Panot et CE30 de M. Dominique Potier.

Mme Delphine Batho. Avant de refermer la parenthèse, je tiens à préciser à l’adresse de notre collègue Jean-Baptiste Moreau, afin que cela apparaisse au compte rendu, que ce que nous proposons n’est pas du tout un système d’assurance privée.

L’amendement CE4 vise à supprimer le dispositif des dérogations. Nous considérons en effet que les dérogations qui ont été accordées par plusieurs États membres à la suite de l’interdiction par l’Europe, dans le sillon de la loi française, des trois principaux néonicotinoïdes que sont l’imidaclopride, le thiaméthoxame et la clothianidine sont scandaleuses. Et nous reconnaissons qu’elles posent un problème de concurrence déloyale pour la filière française. Nous souhaitons donc que le mécanisme des dérogations soit combattu à l’échelle européenne. J’ai évoqué hier le rapport spécial de la Cour des comptes européenne de juillet dernier, qui les dénonce ; la Commission européenne a elle-même directement alerté plusieurs États membres pratiquant ces dérogations, et l’un d’entre eux serait sur le point d’y renoncer en raison d’une pression citoyenne contre l’utilisation des néonicotinoïdes. Nous proposons que la France obtienne l’arrêt de ce système de dérogations à l’échelle européenne.

Concrètement, la dérogation envisagée consiste à autoriser l’utilisation de trois produits interdits en Europe sur 450 000 hectares de cultures de betteraves. Aujourd’hui, 20 à 30 % de ces surfaces – les chiffres restent à préciser – seraient concernées par la jaunisse. Sans même savoir s’il y aura l’année prochaine un problème de jaunisse, des conditions climatiques favorisant l’arrivée précoce d’un ravageur susceptible d’être porteur du virus, on prévoit de mettre partout des semences enrobées de néonicotinoïdes ! Nous ne sommes pas d’accord avec cette logique.

Mme Yolaine de Courson. Mon amendement CE12 a le même objet. Vous m’avez objecté qu’il n’était pas possible de savoir où se situeraient les 15 % de surfaces gravement touchées, Monsieur le ministre, en employant la notion de risque. Ce dernier terme renvoie en réalité à une logique assurantielle : comme on ne sait pas, on va diffuser ces substances partout. C’est très inquiétant, surtout quand on a à l’esprit l’infographie comparant la population d’abeilles avant et après l’usage de néonicotinoïdes que nous ont montrée les apiculteurs auditionnés en commission du développement durable.

Des actions de l’État sont extrêmement efficaces dans l’accompagnement à la prévention. Grâce au plan Écoantibio, par exemple, qui s’appuie sur l’accompagnement conjoint des vétérinaires et de l’État, l’objectif de moins 25 % en cinq ans a été dépassé dans certaines filières, où la réduction atteint 40 %.

M. Dominique Potier. L’amendement CE30 vise à promouvoir en lieu et place de la réintroduction des néonicotinoïdes un système de régulation. Le groupe socialiste vous a adressé l’été dernier un courrier pour réunir la filière et l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) afin d’envisager une solution économique de compensation qui permette, sur les bases coopératives d’un système mutualiste, la compensation d’un producteur à l’autre, d’une région à l’autre. Vous avez en effet bien expliqué ces déplacements de pucerons est-ouest et nord-sud qui affectent les productions de manière totalement aléatoire.

Je suis convaincu que cette solution serait un bon investissement pour assurer la transition écologique qui, adossée à une montée en gamme de type HVE sur le sucre français, nous mettrait en situation d’ici un ou deux ans de conquérir un marché spécifique à valeur ajoutée. À défaut, nous devrons nous contenter de rejoindre nos concurrents sur un marché mondial où nous pouvons demain être écrasés, même après avoir réintroduit des solutions chimiques.

Mme Bénédicte Taurine. Avec les néonicotinoïdes, nous nous retrouvons dans la même impasse qu’avec les antibiotiques en raison des résistances qui apparaissent. On estimait en 2008 que plus de 550 espèces d’insectes – dont, de mémoire, le puceron vert des pêchers – étaient devenues résistantes à plusieurs insecticides.

Par ailleurs, l’ANSES admet dans son rapport de 2018 sur les néonicotinoïdes qu’il n’y a pas d’impasse technique pour la culture de la betterave, puisque des produits homologues existent. Par conséquent, continuer à utiliser ces substances, c’est aller dans le mur. D’où mon amendement CE20.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. L’avis est défavorable.

Sur la baisse de rentabilité, qui serait de 15, 20 ou 30 %, il faut bien comprendre qu’une sucrerie a un rendement, un résultat net, extrêmement faible de l’ordre de 2 ou 3 %. Or ces industriels ont des coûts fixes, des charges fixes par définition incompressibles. Il leur a été demandé d’avoir une démarche RSE, de faire des plans de rénovation, de réduire leur consommation énergétique. Ces exigences, auxquelles ils se sont pliés, ont un coût qui est amorti sur 15 ou 20 ans. Il est donc difficile d’entendre qu’une perte de 10 à 25 % de rentabilité n’est pas très grave.

Assurer le planteur, comme vous le suggérez, est une possibilité. Il faudrait toutefois également une assurance pour le sucrier, l’industriel du sucre. En tant qu’élu de l’Aube, où il y a beaucoup de vignes, je connais bien le fonctionnement des assurances privées. L’indemnisation fonctionne la première fois ; la fois d’après, il faut payer un peu plus cher ; et au troisième problème, l’assureur refuse de vous couvrir. C’est aussi simple que cela.

Mme Delphine Batho. Nous avons bien précisé tout à l’heure qu’il ne s’agissait pas d’assurances privées !

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Quant à une assurance publique, encore faut-il pouvoir la financer. Et, de toute façon, il ne peut y avoir de prise en charge à 100 %, ce qui conduira certains agriculteurs à arrêter de planter, et on retrouve la spirale infernale : la réduction des matières premières qui risque de mener droit dans le mur l’industrie complète du sucre en vingt-quatre à trente-six mois. Le texte a pour unique objectif d’arrêter cette spirale.

Vous avez évoqué l’agriculture biologique. Les représentants de la filière que nous avons reçus en audition veulent tous s’engager pour le bio et multiplier par deux, trois ou quatre le nombre de parcelles cultivées en bio. Cependant, quand vous décidez de faire du bio dans une sucrerie, vous êtes obligés de nettoyer toutes les machines, ce qui a également un coût. Et ces coûts fixes, incompressibles, il faut pouvoir les amortir.

Durant ces trois ans, nous devons donc accompagner la filière dans la recherche de solutions alternatives et l’amener vers le mode de production biologique, auquel je crois, mais cela demande du temps. L’objet de ce texte n’est autre que de laisser à une filière en pleine crise le temps de s’adapter.

M. Julien Denormandie, ministre. L’avis est également défavorable.

Je suis convaincu de la nécessité du volet HVE, Monsieur Potier. Le crédit d’impôt HVE est inscrit dans le projet de loi de finances, et doté de moyens conséquents puisque le plan de relance a prévu, de mémoire, plus de 70 millions d’euros pour ce dispositif.

Un débat très important a lieu par ailleurs au sujet de la politique agricole commune : l’enjeu est d’inclure la HVE dans les conditionnalités renforcées d’obtention des aides du premier pilier, qu’elle soit considérée comme équivalente à une démarche « éco-scheme ». Comme toujours, le diable se niche dans les détails : il faudra en particulier déterminer si l’on retient le niveau 2 ou le niveau 3 de la certification HVE, sachant que la différence entre ces deux niveaux est très significative.

Dans toutes ces discussions, on oublie le rôle du consommateur : qu’il s’agisse du bio ou de la certification HVE, il faut qu’en fin de chaîne le consommateur paye le prix qui correspond à cette création de valeur. Or, c’est un véritable défi aujourd’hui. S’il y a eu un changement de paradigme grâce à la loi ÉGALIM défendue par le ministre Stéphane Travert, beaucoup reste à faire. La valeur créée par la culture en bio et la certification HVE n’est pas reconnue pour le sucre, par exemple, et le consommateur n’est pas prêt à en payer le prix.

Nous avons donc trois éléments à prendre en compte ensemble : le niveau national, le niveau européen et le consommateur.

M. Jean-Claude Leclabart. J’aimerais ajouter un point technique sur la certification HVE. J’ai dans ma circonscription une exploitation agricole certifiée HVE3 ; elle applique donc les mêmes exigences pour toutes ses cultures, y compris celle de la betterave sucrière. Ils en sont cette année, ce qui est tout à fait anormal, à deux traitements de pyrèthre, comme on dit chez nous, chez les paysans. Ce que j’entends par-là, c’est que si sur le terrain nous sommes tous d’accord pour avancer, nous sommes à un moment donné confrontés à la réalité de la nature. Venez donc visiter les exploitations et vous verrez les dégâts lors des pesées, il en est encore temps.

Certes, Mme Batho a raison, la sécheresse vient s’y ajouter. Cependant, après les premiers arrachages cette semaine dans nos régions, le résultat est presque divisé par deux : il est de 35 tonnes, contre 55 tonnes l’année dernière. Très vite va se poser la question des réensemencements pour l’assolement de 2021. Et s’il faut prendre le risque de produire 50 tonnes de betteraves à 23 euros la tonne au mieux, puisque le cours mondial ne remonte pas ou très peu, le calcul sera vite fait, et les exploitants vont immédiatement changer de production. En effet, dans les systèmes non coopératifs, les contrats avec les sucreries sont à échéance d’un ou trois ans, et le plus souvent d’un an, ce qui permet au paysan de reculer tout de suite. Dans ce cas, les fermetures d’usines seront elles aussi immédiates.

Mme Delphine Batho. On aborde des sujets intéressants, mais il aurait été bon de se concentrer sur les dérogations puisque c’est l’objet de ces amendements. Les semences enrobées de néonicotinoïdes, ce n’est pas mieux que le pyrèthre. Je n’ai jamais pensé que le pyrèthre était l’alternative à la sortie des néonicotinoïdes. C’est l’alternative proposée dans le rapport de l’ANSES, mais que je n’ai jamais défendu. Avec les semences enrobées de néonicotinoïdes, on met partout un produit chimique dans des circonstances que l’on ne connaît pas – on ne sait pas s’il y aura des ravageurs, si l’hiver sera froid ou non, si le printemps arrivera tôt, s’il y aura ou non des pucerons et s’ils auront ou n’auront pas le virus –, sachant que 80 à 98 % de chaque semence va dans le sol et dans l’eau et tue le vivant. On ne peut pas considérer que c’est écologiquement mieux ou moins mauvais que le pyrèthre. Je suis totalement d’accord avec ce qu’ont dit le rapporteur et le ministre sur l’eau et la santé humaine, mais on ne peut pas laisser entendre que la réintroduction des néonicotinoïdes ne serait pas une catastrophe écologique. On voit bien qu’il n’y a pas de solution dans la direction du maintien d’une dépendance à la chimie. Il est absurde de penser que le fait de réintroduire pendant un, deux ou trois ans, des néonicotinoïdes permettra de changer de pratique plus tard, parce que pendant ces deux ou trois ans on va continuer à tuer tous les auxiliaires, par exemple les vers de terre, et donc à construire un désert écologique. Je reconnais qu’un retard a été pris, et donc la difficulté dans laquelle nous sommes collectivement, mais la solution n’est pas dans la dérogation.

M. Frédéric Descrozaille. Une usine sucrière tourne au mieux quatre mois par an. En dessous de cent dix jours, l’équilibre financier est rompu, en calculant sur la base d’un prix du sucre à la tonne de 400 euros sur le marché international. Or il est tombé à 300 euros, contre 500 euros en 2017 à la fin des quotas. Une usine qui tourne cent vingt jours par an ne parvient pas à gagner de l’argent avec un sucre à 300 euros la tonne. L’approvisionnement en betteraves est fondamental pour qu’une usine puisse tourner cent vingt jours. En 2019, il y avait 480 000 hectares de betteraves, contre 423 000 hectares aujourd’hui. Quand un agriculteur qui cultive seize hectares de betteraves voit que le prix de la tonne est tombé à 23 euros, alors qu’il était auparavant de 30 euros et qu’il a entre 20 et 50 % de risques sur ses rendements, il arrête sa petite production au profit du blé, du chanvre, du colza. Mais quand ces micro-décisions individuelles se cumulent, au final il manque des millions de tonnes aux sucreries. Et un an plus tard, on risque une casse industrielle.

On peut toujours répondre que la filière n’avait qu’à anticiper la fin des quotas, en proposant des contrats d’approvisionnement pluriannuels, en couvrant les incertitudes sur les rendements à cause de la fin des néonicotinoïdes avec des systèmes assurantiels privés de type interprofessionnel. Mais elle ne l’a pas fait. On peut considérer que l’on n’a pas suffisamment fait pression sur elle. On peut même se dire qu’on va les punir : tant pis pour eux, ils le méritent. Vous ne l’avez pas dit, Madame Batho, mais je l’entends un peu. Ce n’est pas ce que je pense. Je regrette que la filière n’ait rien fait, mais elle subit une pression maximum et la situation est catastrophique au plan industriel. Je crois donc qu’il faut lui tendre la main pour que les solutions économiques accompagnent les incertitudes techniques.

M. Julien Denormandie, ministre. Très bien !

M. Nicolas Turquois. Madame Batho, vous avez raison, le pyrèthre n’est pas mieux que les néonicotinoïdes et vice versa. C’est un mal pour un mal. Malgré tout, on a moins besoin de quantité à l’hectare de néonicotinoïdes quand on les applique sur la graine plutôt qu’en pulvérisation. En effet, lorsque vous appliquez l’insecticide sur la graine, il se diffuse dans la plante, tandis que lorsque vous faites un traitement aérien vous pulvérisez partout pour toucher la zone infectée.

Plusieurs solutions sont évoquées. Par exemple mon collègue M. Dominique Potier est très branché HVE, alors que je suis plutôt branché haies. Je crois que ces deux éléments sont importants, sauf qu’une transition est nécessaire. Il ne faut pas que le projet de loi donne un mauvais signal à la filière en lui laissant croire qu’elle est tranquille pour trois ans et qu’au bout de cette période elle pourra remettre la pression et recommencer. J’appelle le ministre et ses services à la vigilance pour que les solutions commencent à être mises en œuvre. L’implantation de haies et la HVE font partie d’un ensemble d’éléments permettant de résoudre le problème, car au fond, c’est davantage la perte de la biodiversité que les néonicotinoïdes qui nous inquiète. Je suis convaincu que la perte de biodiversité est liée à l’appauvrissement général de nos plaines céréalières et qu’il faut réintroduire de la diversité, soit par les haies, soit par les prairies, soit pas un ensemble de pratiques culturales. C’est ce que j’appelle de mes vœux auprès du ministère de l’agriculture.

M. Julien Dive. Monsieur le ministre, peut-on préciser dans la loi que l’autorisation ne vaudrait que pour l’enrobage des semences ? Si je dis cela, c’est parce que certains pays comme l’Allemagne autorisent à la fois la technique de l’enrobage et celle de la pulvérisation, bien plus néfaste.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur Dive, je pense que votre demande est satisfaite puisque le texte de loi précise que les dérogations sont limitées à l’utilisation de semences traitées.

Sur les onze autorisations accordées en Europe, dix concernent des semences traitées, quatre des pulvérisations. Si dix plus quatre ne font pas onze, c’est parce que certains États ont autorisé les deux pratiques.

Mme Delphine Batho. Il est parfaitement faux de considérer que la pulvérisation serait pire que l’enrobage. Ce n’est pas moi qui le dis, mais des études scientifiques. Avec l’enrobage, vous êtes dans un traitement préventif systématique, c’est-à-dire que toutes les parcelles de la même culture sont traitées. Avec la pulvérisation, vous intervenez seulement là où il y a un problème. Cela fait une grande différence. Par ailleurs, j’appelle votre attention sur le fait que la dérogation allemande ne porte ni sur l’imidaclopride, ni sur le thiaméthoxame, ni sur la clothianidine. Elle ne concerne pas l’enrobage de semences, mais seulement l’acétamipride en pulvérisation. Mais la filière française considère que l’acétamipride, ce n’est pas assez puissant…

Le groupe auquel j’appartiens a proposé des solutions. Je ne suis donc pas du tout dans une logique de punition. Nous aurons un problème avec cette filière tant qu’elle continuera à nier – ce qu’elle fait dans le document remis au ministre mardi – l’impact écologique destructeur des néonicotinoïdes en enrobage de semences. On ne peut pas avancer sur la base de la négation des conclusions de très nombreuses études scientifiques sur l’enrobage de semences. La filière betterave doit comprendre qu’il faut en finir avec cette logique.

M. Stéphane Travert. Il ne s’agit pas de dire qu’un traitement est mieux qu’un autre. Aujourd’hui, les semences enrobées, ce sont 90 grammes à l’hectare – ce sont des données de la filière, des professionnels. Lorsque l’on se passe de la semence enrobée, deux, trois voire quatre passages d’insecticides sont nécessaires, qui sont fonction de l’évolution de la jaunisse sur les betteraves. Et avec ces épandages, on ne tue pas les pucerons, mais toute la biodiversité. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de remplacer les néonicotinoïdes par des passages d’insecticides, mais d’une dérogation encadrée, accompagnée à la fois d’un contrôle scientifique et d’une évaluation et d’un contrôle parlementaire et d’une évaluation. Cela permettra de trouver dans les trois ans des solutions sur lesquelles on travaille depuis 2016. Je fais partie de ceux qui ont voté la loi 2016, mais il n’y a pas ici les amis et les ennemis des néonicotinoïdes : nous sommes tous engagés pour une agriculture plus saine, plus sûre et plus durable. C’est le sens de l’action que nous menons ici. Cela étant, cette filière ne peut pas répondre en moins de trois ans à une injonction politique, même si l’on y est parvenu dans d’autres. C’est pourquoi nous essayons aujourd’hui de trouver des solutions encadrées qui nous permettront de ne pas y revenir dans trois ans.

La commission rejette les amendements CE4, C12, CE20 et CE30.

Puis elle étudie les amendements CE21 de M. Loïc Prudhomme et CE22 de Mme Mathilde Panot.

Mme Bénédicte Taurine. La rédaction proposée ne circonscrit pas la dérogation aux seuls betteraviers, mais la rend possible pour d’autres cultures. En accordant cette dérogation, la France ouvrirait la voie à des demandes émanant d’autres filières, dont les maïsiculteurs par exemple. Comment le Gouvernement pourrait-il justifier ensuite une fin de non-recevoir à leur endroit ?

Les connaissances scientifiques et techniques du moment confirment que des alternatives existent et qu’il faut les mettre en œuvre. Comme le précise la Confédération paysanne, ces alternatives nécessitent de repenser les modes de production en plaçant les cultures dans un écosystème comportant des ravageurs mais aussi des alliés. La santé des plantes ne peut être pensée de façon isolée. Haies, rotations assez longues, taille raisonnable des parcelles, diverses méthodes de lutte biologique dont la conservation des habitats des auxiliaires, biostimulants, etc. peuvent permettre de mieux réguler les populations de pucerons.

Le système actuel est à bout de souffle et il est nécessaire de transformer notre modèle en une agriculture plus moderne et durable. C’est tout le sens de ces deux amendements.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Le contenu de l’amendement CE21 n’a pas de rapport avec les arguments que vous développez pour le défendre… Quand à l’amendement CE22, il aurait pour conséquence de créer une possibilité de dérogation prévue à la première phrase qui serait plus faiblement encadrée que ce que nous prévoyons.

Avis défavorable.

M. Julien Denormandie, ministre. Défavorable.

La commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle examine lamendement CE64 de la commission du développement durable.

Mme Claire OPetit, rapporteure pour avis. Cet amendement raccourcit la durée des dérogations à 2022 au lieu de 2023. Il n’est pas certain que des alternatives satisfaisantes seront trouvées d’ici à 2022, mais limiter la dérogation à 2022 permet d’abord d’inciter la filière à accroître ses efforts de développement alternatif. C’est pourquoi la commission du développement durable a adopté cet amendement. Cette restriction dans le temps doit aussi s’accompagner d’autres garanties. C’est l’objet des autres amendements adoptés par ma commission.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Avis défavorable.

J’ai exposé dans mon rapport les nombreux travaux de recherche commencés aux niveaux français et européen. Ils exigent du temps pour aboutir et je crois que la durée de trois ans est raisonnable. Pour mémoire, je rappelle qu’il faut environ cinq ans pour mettre sur le marché une variété reconnue tolérante. Si l’on parle de cinq ans alors que l’objectif est de trois ans, c’est parce que des projets sont en cours. Il est vrai que la filière a pris beaucoup de retard et nous sommes unanimes pour dire qu’il faut maintenir la pression sur elle et l’accompagner. Mais elle a tout de même démarré des programmes, comme le programme AKER, lancé en 2012 qui s’achève cette année. On va donc dans le bon sens.

Je précise que le texte, tel qu’il est rédigé, ne prévoit pas une dérogation de trois ans pour trois ans, mais de trois ans en trois fois un an. Autrement dit, on va peut-être trouver des solutions alternatives dans certaines zones, certaines régions, ce qui fera que d’autres dérogations seront accordées en 2021 ou 2022. Les auditions que j’ai menées avec bon nombre d’entre vous ont clairement montré que cette période de trois ans est nécessaire.

M. Julien Denormandie, ministre. J’ai émis hier, en commission du développement durable, un avis défavorable sur cet amendement pour deux raisons.

Premièrement, contrairement à d’autres recherches scientifiques, la recherche agronomique a besoin, à la fin, d’être testée in situ. Ce n’est pas comme en laboratoire, il ne s’agit plus de mettre des drosophiles dans une boîte de Petri, il faut trouver la semence, semer la haie et que la condition météorologique soit la bonne. Bref, il faut qu’un ensemble de conditions soient réunies. On dit souvent qu’un agriculteur a dans sa vie la possibilité de faire quarante‑deux tests, pas davantage. Cela correspond tout simplement au nombre d’années pendant lesquelles il est en activité. S’il en fait plus, c’est parce qu’il ne part pas à la retraite…

Deuxièmement, le projet de loi nous permet d’utiliser des dérogations au titre de l’article 53 du règlement européen : « Une dérogation peut être utilisée lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ». Dit autrement, la responsabilité du Gouvernement serait engagée s’il utilisait cet article 53 alors qu’une alternative existerait. L’année 2023 est un maximum, sachant que si une alternative est trouvée avant cette date, je n’aurai pas la possibilité d’utiliser l’article 53 du règlement européen. J’ai proposé hier – je parle sous le contrôle de la présidente de la commission du développement durable – de donner à l’ensemble des membres le détail de cette analyse juridique en amont de l’examen du texte en séance publique.

M. Bruno Millienne. Je voudrais simplement qu’on se remémore ce qui s’est passé depuis 2016. À cette époque, je n’étais pas député, mais conseiller régional et j’ai applaudi des deux mains le vote de cette loi. Avec un petit bémol toutefois, parce que certains réclamaient déjà des dérogations pour la culture des betteraves – on savait à l’époque qu’il n’existait pas d’alternatives et que le pyrèthre n’était pas la bonne solution, comme vous l’indiquez Madame Batho, aux néonicotinoïdes et aux semences enrobées. Si l’on en est à trois ou quatre passages, c’est parce que les pucerons se mettent sous les feuilles, qui les protègent. Mais tous les autres insectes volants, dont les ravageurs des pucerons, meurent à chaque épandage, ce qui pose un vrai problème en matière de biodiversité. Donc on tue autant, voire davantage, la biodiversité en épandant qu’en utilisant des semences néonicotinoïdes.

Ce que je viens de dire ne satisfait évidemment personne. Or vous voulez fixer une nouvelle fois une date alors que la recherche a peut-être besoin de plus de temps. En fait, vous répétez aux Français le même mensonge qu’en 2016, où on leur avait fait croire qu’en 2018 on aurait trouvé la solution.

M. Dominique Potier. Pour le glyphosate, c’est la même chose !

M. Bruno Millienne. Effectivement.

Si on en est là aujourd’hui, c’est justement parce que la technique, les recherches n’ont pas abouti. Je ne sais pas si c’est parce qu’on n’a pas mis suffisamment la pression sur la profession, mais aujourd’hui il est impératif de la mettre sur les recherches pour qu’elles aboutissent. On a des solutions, mais cela prend du temps. Les haies bocagères, cela peut être efficace, mais cela ne pousse pas en trois semaines. Et ce n’est pas non plus en trois semaines, Monsieur Potier, que l’on peut passer d’une agriculture conventionnelle à la HVE.

Vous voulez continuer à mentir aux gens, ce qui nous amènera à revenir en 2023 dans l’hémicycle pour recommencer le même cinéma. On se fout des citoyens et des agriculteurs. C’est insupportable !

M. Dominique Potier. Monsieur Millienne, vous m’avez donné de l’élan pour redire ici que si l’on avait suivi le rapport Écophyto produit en 2014, et si une forme d’incurie publique n’avait pas été poursuivie sous l’autorité de cette majorité, on aurait aujourd’hui un processus permanent de régulation de sortie des produits phytopharmaceutiques. L’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), l’INRAe et le CIRAD nous disent qu’on peut avoir une Europe sans pesticides en 2050, nourrir l’Europe, exporter en Méditerranée et être dans des échanges justes avec le monde et nourrir le monde. Faire des polémiques molécule par molécule est une mauvaise méthode. Il faut laisser les instituts sanitaires nous dire ce qui est propre, interdit et pas interdit, ne pas faire de l’idéologie ni de l’agribashing, mais travailler sur des processus permanents. Or ce sont ceux que vous avez interrompus en 2017 – je sais, Monsieur le ministre que ce n’est pas de votre faute – avec ce leurre qu’est la séparation de la vente des produits phytopharmaceutiques et du conseil, et alors que nous avions un dispositif qui commençait à faire ses preuves, notamment sur le colza, et qui permettait de réconcilier l’agriculture avec la société.

Tout à l’heure, en pointant le pyrèthre, ma collègue Delphine Batho a évoqué des questions très précises. L’agriculture de précision, autrement dit le fait d’intervenir seulement lorsque c’est nécessaire, fait au final moins de dégâts écologiques qu’un enrobage des semences à effet systémique. Je précise qu’en disant cela je ne défends pas les produits chimiques.

Monsieur Travert, on ne raisonne pas aujourd’hui en grammes ou en kilos – je crois que certains lobbies essaient de remettre l’indice de quantité de substances actives (QSA) comme critère d’Écophyto – mais en nombre de doses unités (NODU) sur la toxicité et la portée globale de la toxicité du produit. Ce n’est pas le poids qui compte, mais son effet sur les milieux.

Enfin, je fixe un horizon pour la conversion de la filière betteravière cohérente avec ce qu’on a voté, cher Stéphane Travert, dans la loi ÉGALIM : 50 % de produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) ou HVE3, dont 20 % de produits bio. Ce n’est pas de la compensation, mais un investissement d’avenir sur les marchés du futur.

Enfin, Monsieur Millienne, je sais de quoi je parle : quand vous êtes en polyculture élevage avec des systèmes diversifiés et que vous passez en agriculture biologique, vous ne le faites pas en vingt ans mais en deux ans et vous réussissez.

Mme Delphine Batho. Un rappel factuel : en 2018, le Gouvernement a refusé la dérogation de deux ans demandée par la filière betterave. Aujourd’hui, on nous parle de 2023. Mais qui nous garantit que ce ne sera pas 2026 ou 2029 ? Reprendre les néonicotinoïdes n’incite pas particulièrement au changement…

On ne peut pas dire dans un débat que l’usage des néonicotinoïdes en enrobage de semences ne serait que sélectif sur le puceron ou ne produirait pas une contamination généralisée des milieux naturels avec des conséquences en perte de biodiversité massives. Si je dis cela, c’est parce que c’est le cœur de l’argumentation de la filière betterave qui explique que les néonicotinoïdes sont une solution efficace et respectueuse de l’environnement pour lutter contre la jaunisse virale.

M. Julien Dive. Cela n’a jamais été dit !

M. Bruno Millienne. Aucun de nous n’a dit cela !

Mme Delphine Batho. Tant que l’on en restera à des arguments obscurantistes en réponse aux conclusions des études scientifiques, on ne pourra jamais avancer.

M. le président Roland Lescure. Madame Batho, ici la parole est libre et je n’ai pas entendu d’obscurantisme à ce stade. Mais je ne suis pas le plus grand spécialiste. Merci d’avoir rappelé les arguments de la filière. Ce sont les leurs ; mais nous sommes ici entre parlementaires.

M. Thierry Benoit. J’ai envie de dire à nos collègues qui demandent toujours plus de temps que l’agriculture écologiquement intensive ne date pas d’hier. Il y a plus de dix ans, à cette table, M. Michel Barnier parlait déjà d’agriculture écologiquement intensive, tout comme M. Stéphane Le Foll il y a huit ans. Qu’on soit éleveur, céréalier, ou maraîcher, on doit comprendre que ce ne sont pas que des mots. Il faut trouver une solution pour celle et ceux qui sont dans l’impasse. On l’a compris, les betteraviers, la filière sucrière et l’industrie du sucre sont dans l’impasse. Monsieur le ministre, vous nous proposez de sortir de cette impasse. Pour ma part, j’aurais souhaité une dérogation très encadrée, limitée à une année d’évaluation, puis un débat pour voir si l’ITB a fait des propositions, et comment l’ANSES et l’ensemble des acteurs avancent sur le sujet.

Je trouve la proposition de la commission du développement durable raisonnable. Ce qui met les agriculteurs dans une impasse, c’est lorsqu’on décrète une date, comme on l’a fait pour le glyphosate. C’est nous, les parlementaires, qui l’avons fait.

J’étais présent dans l’hémicycle, comme d’autres ici, lorsqu’on a voté l’interdiction du glyphosate. On porte encore aujourd’hui cette charge dans nos campagnes.

M. le président Roland Lescure. Certains ici l’ont votée, à quatre reprises.

M. Dominique Potier. Moi je ne l’ai pas votée !

M. Thierry Benoit. Il faut une dérogation très encadrée, limitée dans le temps et renouvelable, mais pas trois fois. À cet égard, la proposition de la commission du développement durable me semble raisonnable.

M. Yves Daniel. Je voudrais vous faire part de la réalité du terrain. Quand on passe en agriculture biologique, et je sais de quoi je parle, on s’engage dans un système où il n’y a pas d’alternative. Pourtant, depuis plus de vingt ans, on est capable d’apporter la preuve que les alternatives se construisent sur le terrain. Les paysans sont capables de construire les alternatives malgré un système de recherche qui ne les accompagne pas suffisamment. On se trompe de cible : ce n’est pas à la filière qu’il faut demander des compensations, mais à notre système de recherche.

On se trompe aussi de cible en donnant la priorité à la souveraineté alimentaire. La priorité devrait être plutôt la souveraineté de la santé, de la planète et du vivant, des humains. Je vous l’ai dit, Monsieur le ministre, il est essentiel de considérer l’agriculture comme la porte d’entrée de la santé de la planète et de la santé du vivant. Je ne peux donc pas voter ce projet de loi. La santé doit être la priorité.

M. Jean-Baptiste Moreau. Je suis d’accord avec Mme Yolaine de Courson lorsqu’elle parle d’Écoantibio : l’utilisation des antibiotiques en santé vétérinaire a été diminuée de 35 %, ce qui réduit considérablement les risques d’antibiorésistance. Mais cela s’est fait dans le temps et en accompagnant, non en fixant de façon abrupte des deadlines sans aucune alternative possible. Lorsqu’on a interdit les antibiotiques, il y avait déjà d’autres possibilités pour soigner les animaux : la prévention, la vaccination, etc.

Monsieur Potier, si je partage avec vous certains points de vue, je suis en désaccord avec vous en ce qui concerne les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) qui, à vous entendre, sont une usine à gaz et qui ne fonctionnent pas. Mais c’est mon avis.

Mme Delphine Batho. Sur ce point, je suis d’accord avec M. Moreau.

M. le président Roland Lescure. Ce sera noté au procès-verbal ! (Sourires.)

M. Jean-Baptiste Moreau. Le plan Écophyto est effectivement resté en rade. Il faut le réactiver et l’amplifier. Cela dit, il a donné quelques résultats puisque certaines molécules ont été interdites. Les volumes globaux n’ont pas diminué dans les proportions attendues, mais on a enlevé certaines molécules efficaces pour les remplacer par d’autres dont l’utilisation nécessite des concentrations beaucoup plus faibles.

Les problèmes des sucreries ne se résument pas à la libéralisation et à la fin des quotas. Ce qui les affecte, c’est aussi le changement climatique. Si la sucrerie de Bourdon, à côté de Clermont-Ferrand, a fermé l’année dernière, c’est parce que les betteraviers ont été incapables de cultiver des betteraves à cause de la sécheresse qui a sévi du mois de mai au mois de septembre. Le changement climatique est effectif et il continue à s’amplifier, ce qui pénalise l’agriculture. Mais l’agriculture n’est pas forcément la cause du changement climatique et de la chute de la biodiversité.

M. Julien Denormandie, ministre. Je partage les propos de M. Stéphane Travert. Il y a effectivement un débat sur les semences enrobées versus la pulvérisation. Lorsque des pucerons arrivent sur un champ, il faut appliquer l’insecticide seulement là où on en voit – c’est même écrit sur la notice. Mais dans les faits, on passe sur tout le champ, car on sait bien qu’une seule piqûre de puceron suffit pour que la plante attrape la jaunisse. La grande difficulté de ces comparatifs environnementaux, comme l’a dit M. Nicolas Turquois, réside dans le référentiel : il ne faut pas raisonner au vu de la durée de demi-vie relevée dans un sol dit de laboratoire, mais en fonction de la manière dont c’est appliqué sur le terrain, et cela rend les débats diablement compliqués. Le comparatif doit être fait par rapport aux comportements observés et non simplement par rapport aux analyses chimiques.

Monsieur Daniel, Monsieur Potier, malheureusement le bio ne résout pas le problème de la jaunisse dans la mesure où même les parcelles bio sont touchées par cette maladie. Ce qui veut pas dire qu’il ne faut pas accélérer la conversion vers le bio et la HVE. En fait, ce sont deux débats différents.

Je partage ce qu’a dit M. Daniel sur la recherche. Comme je l’ai dit tout à l’heure à M. Potier, alors qu’on a consacré 700 000 euros à la recherche depuis 2016, on va affecter 7 millions d’euros dans les trois ans qui viennent. La recherche est une responsabilité publique avec l’INRAe, et une responsabilité privée avec l’ITB. Si j’ai décidé de consacrer 7 millions d’euros à la recherche, c’est pour que la pression « dans le tube », soit totale. Cela me permet par ailleurs d’entrer totalement dans la gouvernance de cette recherche. C’est trop facile de dire que tout repose sur le comportement de l’agriculteur et pas suffisamment sur celles et ceux qui sont censés l’accompagner.

Je suis très attaché à l’approche par la santé. Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, la question qui se pose est celle de la consommation de sucre. Vous avez bien compris que l’objectif c’est d’avoir une filière sucre forte, et que la France devienne le leader mondial de l’agro-écologie sucrière. Pour réussir cette transition, on a besoin de sortir la filière de l’ornière, sinon on mangera du sucre importé dont le bilan nutritionnel n’est pas à envier.

Enfin, Monsieur Benoit, l’architecture que je propose comporte deux niveaux. D’abord, une évaluation fine sera faite tous les ans. Un amendement du rapporteur proposera une évaluation encore plus fine, tous les trois mois, avec un comité de suivi associant les chercheurs en présence non seulement du Gouvernement, mais également des parlementaires afin de conforter leur rôle de contrôle. Je le répète, l’architecture même de l’article 53 du règlement européen m’interdit d’avoir recours à la dérogation sitôt qu’existe une alternative crédible. Comme je l’ai dit hier devant la commission du développement durable, la Commission européenne, à la demande de mon ministère, a reproché dernièrement à deux pays, la Roumanie et la Lituanie, de faire une utilisation abusive de ce règlement. On a observé en effet que ces pays multipliaient des demandes récurrentes sans jamais justifier le pourquoi du comment.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie. Quelques mots sur cet amendement que je sais controversé.

Monsieur le ministre, pourquoi cette dérogation est-elle accordée pour trois ans et non pour cinq ans et, de fait, pourquoi ne pas la ramener à deux ans ? J’aimerais que ce point soit éclairci. Si par hasard cet amendement n’était pas adopté, ce que je ne souhaite pas, cela nous permettrait de comprendre quels sont les enjeux sur la période qui nous est donnée pour cette dérogation.

M. Julien Denormandie, ministre. Comme je l’ai dit tout à l’heure à Monsieur Potier, il est certain que la solution n’est pas chimique. Vous avez compris que nous avons beaucoup cherché : elle n’est pas non plus économique. La solution ne peut être qu’agronomique et elle comporte trois volets : la sélection de la semence, le biocontrôle et la pratique culturale.

La sélection de la semence nécessite de reprendre le phénotype de toutes les semences. Or il existe une banque de semences de betterave – c’est d’ailleurs un des atouts du programme AKER que j’ai évoqué tout à l’heure en réponse à M. Dive. Parmi les phénotypes déjà réalisés, quelques semences seraient vraisemblablement résistantes à un ou deux virus sur les quatre qui sont inoculés par le puceron. La sélection de la semence va nécessiter du temps, mais ce sera probablement la voie la plus rapide.

Quant aux deux autres volets, si l’on veut être certain qu’ils fonctionnent, il est obligatoire de faire des tests in vivo, grandeur nature. Ce qui est compliqué avec le biocontrôle, c’est qu’il faut toujours trouver une cinétique entre le ravageur et celui que vous voulez manger : en fait, il ne suffit pas d’introduire la coccinelle ou la mini-guêpe, encore faut-il que ces insectes arrivent lorsque le puceron est déjà présent pour pouvoir se nourrir, mais qu’ils grandissent plus vite que le puceron pour pouvoir l’anéantir… Cela exige un écosystème très précis. Si, l’année où vous effectuez les tests, les conditions climatiques ne sont pas les bonnes, vous ne pourrez pas en tirer de conclusions. Du coup, cela ne laisse que deux années et demi de tests, si je puis dire.

C’est la même chose en ce qui concerne les pratiques culturales. Une des pistes consiste à réduire la taille des parcelles. Mais certains soutiennent que cela ne marche pas, d’autres qu’on peut réduire la taille de la parcelle à condition qu’elle soit beaucoup plus longue que large, ou encore que cela peut marcher si l’on y met de l’avoine… Tout cela nécessite des tests.

Mais, je le répète, le jour où on trouvera une solution, de facto je ne pourrai plus utiliser l’article 53 du règlement européen. Voilà pourquoi je propose ces trois années, avec ce cadre de suivi tel que va le proposer le rapporteur.

M. le président Roland Lescure. Je pense que notre commission est suffisamment éclairée. Nous allons donc pouvoir passer au vote.

La commission rejette lamendement CE64.

Puis elle étudie lamendement CE43 de Mme Laure de La Raudière.

M. Olivier Becht. Nous étions convenus que ce texte ne concernait que les semences de betteraves. C’est bien en le disant, mais c’est mieux en l’écrivant.

M. le président Roland Lescure. Je précise que d’autres amendements ont été déposés, mais qu’ils ne pouvaient pas être présentés en discussion commune parce qu’ils ne portent pas sur les mêmes alinéas. Nous allons donc commencer la discussion sur la définition de la betterave et des plantes mellifères et nous la poursuivrons au gré des amendements.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Monsieur Becht, vous avez parfaitement raison de vous attarder sur cet aspect des choses que le groupe majoritaire a toujours défendu depuis le début. Nous devons encadrer au maximum ce projet de loi en direction de la filière betterave, mais plus spécialement de la filière betteravière. Mais il ne faut pas oublier que cette limitation pourrait être perçue comme une rupture d’égalité devant la loi. Aussi vous inviterai-je à retirer cet amendement au profit de l’amendement CE67 de la rapporteure pour avis, encore plus restrictif que le vôtre puisqu’il traite de semences de betteraves sucrières. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Julien Denormandie, ministre. Je demande moi aussi le retrait de cet amendement. Il est bien entendu que les dérogations ne concerneront que les betteraves sucrières. Au-delà de cet objectif politique se pose une vraie question de rédaction légistique qui nécessite d’être travaillée.

M. Olivier Becht. Qui peut le plus peut le moins. Je suis d’accord pour qu’on précise qu’il s’agit des betteraves sucrières. Je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La commission examine lamendement CE53 de M. Pierre Person.

M. Pierre Person. Cet amendement, qui tire les conclusions de l’étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État, vise à circonscrire le champ d’application du texte à la seule culture de la betterave sucrière. Le Conseil d’État estime en effet qu’en l’état du projet de loi, le régime de dérogation serait extensif et susceptible, en cas de besoin, de s’appliquer à d’autres cultures.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable : comme pour l’amendement précédent, je vous renvoie à l’amendement de la commission du développement durable, qui va dans le même sens.

M. Julien Denormandie, ministre. Même avis, pour la même raison.

Lamendement est retiré.

La commission passe à lamendement CE57 de Mme Charlotte Lecocq.

Mme Charlotte Lecocq. Il s’agit, conformément au souhait du rapporteur, d’accompagner la filière tout en lui fixant certaines exigences. En l’occurrence, il est proposé de préciser dans la loi qu’un décret sera pris pour interdire la culture de plantes mellifères sur les parcelles concernées dans l’année qui suit l’utilisation de néonicotinoïdes. On éviterait ainsi que les pollinisateurs n’absorbent les résidus.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable : cet amendement va dans la bonne direction, mais la commission du développement durable – pardonnez moi de faire du teasing – a adopté hier un amendement visant le même objectif et dont la rédaction me paraît plus précise.

M. Julien Denormandie, ministre. Nous avons déjà eu ce débat hier soir. Le projet de loi se fonde sur l’article 53 du règlement européen du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui permet à la ministre de la transition écologique et au ministre de l’agriculture de prendre un arrêté de mise sur le marché exceptionnelle. L’amendement adopté par la commission du développement durable, qui sera examiné tout à l’heure, renvoie la fixation des conditions auxquelles seront soumises les dérogations non à un décret en Conseil d’État, mais à l’arrêté évoqué à l’alinéa 2 de l’article unique du projet de loi.

Mme Charlotte Lecocq. Dans la mesure où vous m’assurez que mon amendement est satisfait, je le retire. Teasing réussi : j’ai hâte de découvrir celui de la commission du développement durable !

M. le président Roland Lescure. Nous allons justement y venir, après toute cette précampagne publicitaire…

Lamendement est retiré.

La commission est saisie de lamendement CE65 de la commission du développement durable.

Mme Claire OPetit, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à interdire les cultures attirant les abeilles après l’usage de néonicotinoïdes. Il est essentiel de prendre une telle mesure. La durée de cette interdiction sera précisée dans les arrêtés portant dérogation, de même que son étendue géographique et les cultures concernées.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Sans surprise, j’émettrai un avis favorable sur cet amendement.

M. Julien Denormandie, ministre. Même avis. J’en profite pour remercier la présidente de la commission du développement durable et la rapporteure pour avis pour la qualité de nos débats hier soir.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie. Je précise que la commission du développement durable a aussi adopté un autre amendement qui devrait répondre aux attentes de nos collègues, puisqu’il tend à limiter les possibilités de dérogation aux seules betteraves sucrières. Nous l’examinerons un peu plus tard.

Mme Delphine Batho. Le présent amendement a ceci de positif qu’il reconnaît qu’on est confronté à un phénomène de contamination. Le problème, c’est que les néonicotinoïdes ne sont contrôlables ni dans le temps, ni dans l’espace. Des travaux scientifiques montrent que l’on retrouve dans les parcelles des traces de ces produits plus de cinq ans après leur utilisation ; pour certains, la durée de rémanence est de vingt ans, avec des mécanismes d’accumulation des substances en fonction du pH, de la météo, etc. Considérer qu’il suffirait de surveiller la parcelle où ont été utilisées les semences enrobées est absurde, d’autant que cet amendement aurait une autre conséquence sur les pollinisateurs, puisqu’il les priverait de nourriture. Or, parmi les causes de l’effondrement des populations de pollinisateurs, il y a certes l’utilisation des produits chimiques et des néonicotinoïdes, mais aussi le manque de nourriture.

Bref, vous aurez beau chercher des solutions, quand on introduit dans un milieu naturel un produit extrêmement toxique à faible dose, rémanent et très contaminant, il est impossible de protéger les insectes, les pollinisateurs et les vers de terre. C’est un mouton à cinq pattes !

M. Nicolas Turquois. Chère collègue, premièrement, dans 95 % des cas, les cultures qui suivent les cultures de betterave sont des cultures de céréales : blé si la récolte est faite en septembre, orge si elle survient en décembre. Or les céréales ne fleurissent pas : on ne priverait donc pas plus qu’aujourd’hui les abeilles de nourriture.

Deuxièmement, bien sûr que ces produits laissent des traces : on trouve aujourd’hui encore des traces d’atrazine, un herbicide dont l’interdiction doit remonter à la fin des années 1990 ! Si l’on cherche, on trouvera toujours des doses infinitésimales des produits qui ont été utilisés.

Cela ayant été précisé, je voudrais faire une remarque sur l’amendement. Il est indiqué dans l’exposé sommaire que les modalités de cette interdiction devront être précisées par voie réglementaire, notamment « son étendue géographique autour des surfaces où des semences enrobées de néonicotinoïdes ont été semées » : il me semble difficile d’étendre l’interdiction au-delà de la parcelle concernée, car un producteur peut difficilement être tenu responsable des choix de culture de son voisin.

La commission adopte lamendement.

Puis, suivant lavis défavorable du rapporteur, elle rejette lamendement CE23 de M. Loïc Prudhomme.

Elle adopte les amendements rédactionnels identiques CE62 du rapporteur et CE66 de la commission du développement durable.

Elle examine ensuite, en discussion commune, lamendement CE63 du rapporteur, qui fait lobjet des sous-amendements CE69 et CE70 de Mme Géraldine Bannier, lamendement CE52 de M. Pierre Person et lamendement CE56 de Mme Charlotte Lecocq.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. L’amendement CE63 tend à créer un conseil de surveillance chargé du suivi de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques comportant des néonicotinoïdes. Les membres de ce conseil exerceront leurs fonctions à titre gratuit – il est important de le signaler. Il serait inscrit dans la loi que ce conseil comprendra quatre députés et quatre sénateurs désignés par les commissions permanentes compétentes en matière d’agriculture et d’environnement de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le conseil comprendra aussi le délégué interministériel pour la filière sucre et des représentants des ministères chargés de l’environnement et de l’agriculture, du Conseil économique, social et environnemental, des associations de protection de l’environnement, des syndicats agricoles, des filières de production et de transformation concernées, de l’Institut technique de la betterave et des établissements publics de recherche. Il se réunira trimestriellement pour assurer le contrôle des avancées en matière de recherche et de mise en œuvre d’alternatives aux produits néonicotinoïdes.

En résumé, le conseil de surveillance assurera non seulement le suivi, mais aussi le contrôle du dispositif retenu et pourra formuler des avis.

Mme Géraldine Bannier. Les deux sous-amendements déposés par les membres du groupe MODEM visent à préciser et renforcer les missions du conseil de surveillance, en indiquant, pour le sous-amendement CE69, que le conseil est chargé de contrôler non seulement les avancées, mais aussi l’efficacité des tests en matière de recherche et de mise en œuvre d’alternatives aux néonicotinoïdes et, pour le CE70, qu’il suivra l’état d’avancement du plan de prévention mis en œuvre par la filière de production betteravière.

M. Pierre Person. Je retire mon amendement CE52 au profit de l’amendement du rapporteur. Il serait en outre nécessaire que l’on rende régulièrement compte à nos concitoyens de la situation de la filière.

Mme Charlotte Lecocq. L’amendement CE56 va dans le même sens. Il est impératif d’évaluer l’avancée de la recherche et de mettre chaque année la pression sur la filière. Dans la Pévèle, dans ma circonscription, on trouve à la fois des producteurs de betteraves, des semenciers et des industries sucrières : toute la filière est représentée. Si je sais donc quel est l’enjeu pour elle, cela n’exclut pas qu’on réitère chaque année nos exigences et qu’on lui mette la pression pour s’assurer de son engagement. À défaut, la concurrence jouant, les producteurs risquent d’être plus ou moins actifs et certains pourraient faire preuve de mauvaise volonté… Il reviendrait au conseil de surveillance d’assurer le suivi de la recherche, de contrôler l’impact des dérogations sur les pollinisateurs, notamment les abeilles, et de vérifier que l’on ne cultive pas des plantes mellifères à la suite des betteraves traitées.

M. le président Roland Lescure. Acceptez-vous néanmoins de retirer votre amendement au profit de celui du rapporteur ?

Mme Charlotte Lecocq. Oui, dans la mesure où l’objectif est atteint.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Avis favorable sur les sous-amendements.

M. Julien Denormandie, ministre. L’amendement présenté par le rapporteur est extrêmement important. C’est une des pierres de l’édifice que nous sommes en train de bâtir. Son adoption permettrait d’assurer le respect des engagements pris, de suivre l’avancée de la recherche d’alternatives aux néonicotinoïdes et de pleinement associer la Représentation nationale. J’y suis par conséquent très favorable, ainsi qu’aux deux sous-amendements présentés par le groupe MODEM, qui viennent préciser les missions de ce conseil de surveillance.

Mme Delphine Batho. Pour ma part, je ne suis pas adepte des comités Théodule. Il y a le Parlement, et le Gouvernement a déjà la possibilité de faire un certain nombre de choses.

D’autre part, ce conseil devra travailler, notamment rédiger un rapport annuel ; cela suppose la mobilisation de fonctionnaires. L’amendement crée donc une charge. Dans la mesure où il provient du Parlement et non du Gouvernement, est-il recevable au titre de l’article 40 de la Constitution ?

M. le président Roland Lescure. La commission des finances, chargée d’examiner la compatibilité des amendements avec l’article 40, l’a jugé recevable, dans la mesure où tout sera fait à titre gratuit, comme c’est mentionné dans l’exposé sommaire.

Mme Delphine Batho. Certes, mais le temps de travail des fonctionnaires n’est pas gratuit !

Cependant, dont acte : je prendrai cet amendement comme modèle pour la rédaction des nôtres. On ne pourra plus nous opposer l’article 40 !

M. le président Roland Lescure. Exactement. C’est simple : il faut juste que les fonctionnaires ne soient pas payés ! (Sourires.)

M. Vincent Thiébaut. Je me félicite du dépôt par le rapporteur de cet excellent amendement. C’est un point qui tient à cœur aux commissaires du développement durable, en particulier à ceux du groupe La République en Marche : assurer non seulement le suivi, mais aussi le contrôle du dispositif.

Une question toutefois, Monsieur le ministre : l’amendement mentionne le délégué interministériel pour la filière sucre parmi les membres du conseil. Or la création de ce poste est une promesse que le Président de la République a faite à la filière. Rien ne dit qu’il sera maintenu jusqu’en 2023. N’est-il pas problématique de l’inscrire dans la loi ?

Mme Bénédicte Taurine. Tout à l’heure, M. Potier disait que le conseil de surveillance du plan Écophyto ne se réunissait jamais. Pourquoi créer un nouveau conseil, réservé à une culture spécifique, alors qu’il suffirait peut-être de réactiver celui-ci ?

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Le conseil de surveillance ne sera pas un comité Théodule, Madame Batho. Vous le savez, puisque vous avez suivi – de même que M. Villani – la totalité des auditions que nous avons menées : personne ne nous a indiqués ne pas vouloir siéger à ce conseil. Pourquoi ? Parce qu’il y a un cruel manque de communication entre les acteurs. À chaque audition, le message qui nous a été délivré, c’est que c’est toujours la faute aux autres… Les ONG nous ont dit : « En 2016, nous avons commencé à discuter ensemble, mais il n’y avait aucune obligation à le faire et en 2017 nous avons coupé court à toute communication avec l’industrie sucrière et avec les planteurs de betteraves ». Même son de cloche du côté des planteurs de betteraves, qui estiment que les ONG se radicalisent et qu’elles ne veulent plus discuter avec eux. Par conséquent, l’objectif, aujourd’hui, n’est pas de créer un comité Théodule, il est de constituer un conseil de surveillance, qui évaluera les avancées en cours et vérifiera tous les trois mois que le plan d’action présenté par la filière est bien suivi. J’ai peut-être été un peu virulent tout à l’heure, mais la réalité, c’est que le mur devant lequel nous nous trouvons aujourd’hui, nous ne l’avions pas aperçu à l’époque. Ce que je ne souhaite pas, c’est qu’on éteigne la lumière et qu’on se retrouve dans trois ans à procéder à de nouvelles auditions et à refaire le débat. Le conseil de surveillance permettra de veiller à ce que l’on ne s’engage pas dans une autre impasse et de suivre les avancées techniques et scientifiques qui permettront l’essor de nouvelles pratiques culturales.

M. Julien Denormandie, ministre. Madame Taurine, le conseil de surveillance Écophyto comprend quatre ministres et se réunit, de mémoire, une fois par an, alors que ce que propose le rapporteur, c’est de réunir tous les trimestres l’ensemble des acteurs concernés par le sujet. La même question s’était posée hier en commission du développement durable à propos du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Pour ma part, il me paraît plus pertinent d’avoir un conseil réunissant en son sein les représentants de l’ensemble des experts, chercheurs et professionnels concernés, ainsi que ceux des associations environnementales et des pouvoirs publics, au premier rang desquels les parlementaires.

Monsieur Thiébaut, le délégué interministériel pour la filière sucre a été institué par décret le 14 septembre et nommé le 16 septembre : il s’appelle Henri Havard. Son existence est donc légistiquement reconnue, si je puis dire, ce qui permet de le mentionner dans la loi.

Mme Delphine Batho. Premièrement, je voudrais appeler l’attention des collègues sur le fait que, parallèlement, un autre projet de loi dit « ASAP » – dont je ne pense pas nécessairement du bien – supprime une ribambelle de comités de ce genre.

Deuxièmement, le contrôle de la feuille de route du Gouvernement est une prérogative du Parlement.

Troisièmement, si l’objectif est de créer une structure afin de réunir les acteurs concernés, cela peut se faire par voie réglementaire.

Dans la mesure où que je suis opposée à la réautorisation des néonicotinoïdes, je ne peux pas être pour le comité de suivi. En revanche, je serais favorable à la création d’un comité stratégique sur l’évolution de la filière betterave-sucre – mais cela ne relève pas du domaine de la loi.

Les amendements CE52 et CE56 sont retirés.

La commission adopte successivement les deux sous-amendements CE69 et CE70.

Puis elle adopte lamendement CE63 sous-amendé.

Elle adopte enfin larticle unique du projet de loi, modifié.

Après larticle unique

La commission est saisie de lamendement CE67 de la commission du développement durable.

Mme Claire OPetit, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à limiter les possibilités de dérogation aux cultures de betterave sucrière. Ce serait cohérent avec l’engagement du Gouvernement de n’en accorder qu’à la filière betterave-sucre. Nous proposerons tout à l’heure un amendement CE68 sur le titre, qui va dans le même sens.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Nous en avons parlé tout à l’heure. S’il est vrai qu’il est impératif de restreindre le champ d’application du projet de loi à la betterave sucrière, des juristes m’ont signalé qu’il y aurait un risque juridique à inscrire le terme « betterave sucrière » dans le texte. Néanmoins, je serais favorable à un meilleur encadrement du dispositif ; cela permettrait de rassurer les ONG, les associations et l’ensemble de nos concitoyens. Avis de sagesse.

M. Julien Denormandie, ministre. La confiance n’exclut pas le contrôle, comme dirait l’autre… Je comprends donc que la Représentation nationale souhaite inscrire dans la loi que les possibilités de dérogation ne concernent que la betterave sucrière.

Je le répète : pour déroger à l’interdiction, le projet de loi recourt à l’article 53 du règlement européen du 21 octobre 2009. Il faut pour cela que les ministres chargés l’écologie et de l’agriculture et de l’alimentation prennent des arrêtés. Je m’engage – ce sera inscrit au compte rendu – à ce que ces arrêtés ne concernent que la betterave sucrière.

Le rapporteur y a fait allusion : l’inscrire dans la loi ferait courir au texte un risque d’inconstitutionnalité au titre du principe de l’égalité devant la loi – c’est en tout cas l’analyse du Conseil d’État. Je reconnais que j’ignorais que le principe de l’égalité devant la loi, auquel je suis profondément attaché pour les humains, s’appliquât également aux betteraves, navets, salades ou autres, mais il semblerait que ce soit le cas… La meilleure solution serait donc que vous accordiez votre confiance au Gouvernement sur la base d’un engagement inscrit au Journal officiel. Je m’en remettrai néanmoins à votre sagesse.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie. Monsieur le ministre, si nous avons pris bonne note de vos objections – que vous aviez déjà exprimées hier devant la commission du développement durable –, il nous semble essentiel de clarifier le texte pour nos concitoyens. La Représentation nationale doit pouvoir le faire sans se voir opposer un risque d’anticonstitutionnalité. Nous souhaitons maintenir cet amendement.

Mme Delphine Batho. Je ne veux pas relancer le débat, mais la betterave sucrière, c’est déjà considérable… De surcroît, cet article additionnel sera probablement censuré par le Conseil constitutionnel. Je vous le dis, Madame Maillart-Méhaignerie – qui serez bientôt présidente de la commission du développement durable : ce que vous proposez là, c’est un jeu de dupes ! Cela va vous permettre de dire aux collègues qui sont inquiets du risque d’extension des dérogations à d’autres cultures : « Ne vous inquiétez pas, il y a l’article additionnel » – mais l’article additionnel a toutes chances de ne pas figurer dans la loi promulguée. Il faut que ce soit clair pour tout le monde !

La commission adopte lamendement.

Les amendements CE59 et CE58 de Mme Charlotte Lecocq sont retirés.

Titre

La commission examine, en discussion commune, lamendement CE25 de M. Loïc Prudhomme, lamendement CE24 de Mme Mathilde Panot et lamendement CE68 de la commission du développement durable.

Mme Bénédicte Taurine. À travers l’amendement CE25, nous proposons d’intituler ce texte : « Projet de loi relatif à la prolongation de l’usage des néonicotinoïdes ».

Une autre possibilité serait : « Projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques sur demande des lobbies ». C’est l’objet de l’amendement CE24.

Mme Claire OPetit, rapporteure pour avis. L’amendement CE68 vise à préciser dans le titre que le projet de loi ne concerne que les betteraves sucrières. Ce serait la conséquence logique de l’adoption de l’amendement CE67.

M. Grégory Besson-Moreau, rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement CE25 : non, il ne s’agit pas de prolonger l’usage des néonicotinoïdes, nous souhaitons au contraire assurer les conditions d’une sortie définitive des néonicotinoïdes pour notre agriculture.

L’amendement CE24 m’apparaît plutôt comme une provocation – qui, de surcroît, utilise un anglicisme. Avis défavorable.

En revanche, je pense que Mme O’Petit a raison. Avis favorable sur l’amendement CE68.

M. Julien Denormandie, ministre. Même avis – nous avons beaucoup discuté du dernier amendement en commission du développement durable, hier soir.

Je tiens à vous remercier pour la tenue de ce débat. Ce sont des questions complexes, qui mettent en jeu à la fois des considérations politiques et des convictions personnelles. Organiser des débats de cette qualité est tout à l’honneur de la Représentation nationale. Merci donc à toutes et à tous, et tout particulièrement au président et au rapporteur.

La commission rejette successivement les amendements CE25 et CE24 et adopte lamendement CE68.

Enfin, elle adopte lensemble du projet de loi, modifié.

M. le président Roland Lescure. Nous avons achevé l’examen du texte. Merci à tous et à toutes, et un grand merci au ministre pour sa présence continue en commission aujourd’hui et hier.

Je vous donne rendez-vous pour l’examen du texte en séance publique le lundi 5 octobre à seize heures. J’espère vous y retrouver nombreux.

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 15 heures

Présents.  M. Damien Adam, M. Patrice Anato, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Bruno Bonnell, M. Éric Bothorel, M. Jean-Luc Bourgeaux, Mme Pascale Boyer, Mme Anne-France Brunet, M. David Corceiro, M. Yves Daniel, M. Rémi Delatte, M. Nicolas Démoulin, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Frédéric Descrozaille, M. Fabien Di Filippo, M. Julien Dive, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Kasbarian, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Frédérique Lardet, M. Roland Lescure, M. Serge Letchimy, M. Richard Lioger, M. Didier Martin, Mme Graziella Melchior, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Denis Sommer, Mme Bénédicte Taurine, M. Robert Therry, Mme Huguette Tiegna, M. Stéphane Travert, M. Jean-Pierre Vigier, M. Cédric Villani

Excusés.  Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Alain Bruneel, M. Antoine Herth, Mme Laure de La Raudière, M. Max Mathiasin

Assistaient également à la réunion.  Mme Valérie Beauvais, M. Olivier Becht, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Charles de Courson, Mme Yolaine de Courson, M. Jean-Luc Fugit, M. Jean-Claude Leclabart, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Emmanuelle Ménard, M. Bruno Millienne, Mme Claire O’Petit, M. Matthieu Orphelin, M. Pierre Person, Mme Christine Pires Beaune, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois, M. Jean-Marc Zulesi, M. Michel Zumkeller