Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

– Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, sur l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen              2


Mercredi 2 octobre 2019

Séance de 18 heures 45

Compte rendu n° 4

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de Mme Barbara Pompili,

Présidente


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, sur l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen.

Mme la présidente Barbara Pompili. Mes chers collègues, j’ai souhaité organiser rapidement l’audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, pour faire le point sur l’incendie qui s’est produit à l’usine Lubrizol de Rouen et sur la situation actuelle. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu favorablement et dans des délais très brefs à cette demande ; votre venue était souhaitée par l’ensemble des groupes de notre assemblée. Un consensus s’est d’ailleurs dégagé ce matin lors de la Conférence des présidents pour qu’une mission d’information soit rapidement créée : dans une telle situation, il est légitime et nécessaire que le contrôle parlementaire s’exerce. L’audition d’aujourd’hui constitue la première étape de ce processus.

La situation actuelle suscite une réelle inquiétude quant à l’impact sanitaire et environnemental du sinistre. Les riverains sont alarmés des conséquences que celui-ci pourrait avoir sur la qualité de l’air, des eaux et des sols et s’inquiètent de la présence de suies et de pluies noires. L’impact sur les activités agricoles est d’ores et déjà important, puisqu’il n’est plus possible de récolter ni de laisser paître des élevages sur les terres qui ont été souillées. L’éventualité de conséquences sanitaires suscite des interrogations auxquelles les pouvoirs publics doivent répondre.

Si nous souhaitons être éclairés sur tous ces aspects, il nous importe également d’être informés sur les mesures immédiates qui ont été prises pour gérer cet accident industriel, tant par l’industriel lui-même que par les pouvoirs publics, que ce soit en termes d’alerte ou de gestion du sinistre. Se pose incidemment la question de la culture du risque en France. Il semble en effet, et nous l’avions déjà observé l’année dernière lors de la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, que les populations soient insuffisamment informées et que les exercices en « grandeur nature » soient trop peu fréquents. Comment avancer sur cette thématique pour tous les types de sites dangereux ? Par ailleurs, qu’en est-il des pollutions diffuses générées par cet événement sur un temps plus long et des outils dont nous disposons pour les évaluer ? L’association des populations au travail d’évaluation peut encore être améliorée.

Enfin, cet accident met en lumière les problèmes que soulève l’implantation des usines Seveso sur le territoire, certaines d’entre elles étant quasiment « imbriquées » dans une ville. Le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) du site Lubrizol avait été approuvé en 2014 ; au vu des conséquences immédiates subies par les riverains, on peut s’interroger sur sa pertinence. Une réflexion sur ce type de dispositifs mériterait sans doute d’être menée.

Madame la ministre, je vous cède la parole pour nous éclairer sur tous ces points.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous aujourd’hui sur la catastrophe industrielle qui touche depuis jeudi les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà. Son déclenchement résulte de l’incendie qui s’est déclaré sur deux sites industriels, les entreprises Lubrizol et Normandie Logistique.

Nous comprenons l’émotion et l’inquiétude que vivent tous les habitants touchés par cette catastrophe. Il est de notre devoir d’y répondre. Le Premier ministre a pris à cette fin devant la représentation nationale un engagement de transparence absolue. En effet, notre rôle n’est pas, comme je l’entends parfois, de rassurer coûte que coûte, mais bien de dire la vérité. Toutes les informations, toutes les données scientifiques seront donc rendues publiques au fur et à mesure que nous en disposerons. La présente audition participe de cette volonté de transparence.

Je veux souligner la totale mobilisation du Gouvernement et de l’ensemble des services de l’État pour faire face à cette crise aux côtés des Rouennais : le ministère de l’intérieur, en charge de la gestion de crise ; le ministère de la santé, s’agissant des impacts sanitaires ; le ministère de l’agriculture, pour les impacts sur les productions agricoles ; le ministère de l’éducation nationale pour les écoles ; le ministère du travail s’agissant de la protection des travailleurs, en particulier de ceux qui interviennent en ce moment même sur le site. Quant au ministère de la transition écologique et solidaire, sur de telles installations, il est plus particulièrement chargé de la prévention des risques industriels et, en cas d’accident, il lui appartient de prévenir tout risque de suraccident, de contrôler la réalisation par l’exploitant des opérations de dépollution et de superviser l’évaluation à court, moyen et long termes de l’impact environnemental. Le ministère remplit ses missions en s’appuyant sur l’expertise des agences de l’État spécialisées et en s’assurant que les industriels assument toutes les responsabilités qui sont les leurs.

La mobilisation du Gouvernement s’est traduite dès le début de ce très grave incendie pour prévenir tout risque pour les populations pendant la crise. Permettez-moi de rappeler les faits : l’incendie s’est déclaré jeudi matin vers deux heures quarante à Rouen sur les sites des deux entreprises. L’une d’elles, Lubrizol, produit des additifs pour lubrifiants et est classée Seveso seuil haut. Dès la survenue de l’incendie, les sapeurs-pompiers sont intervenus et ont mobilisé des moyens extrêmement importants ; au total, 200 sapeurs-pompiers venus de six départements, renforcés par des moyens nationaux de la sécurité civile ont pris part aux opérations. Ils ont par ailleurs été appuyés par des moyens d’extinction supplémentaires mis à disposition par les principaux exploitants des sites Seveso du département. Je tiens à saluer ici l’engagement sans faille des services de secours malgré les risques et leur grand professionnalisme, qui ont permis de maîtriser le sinistre dès jeudi en début d’après-midi, et surtout d’écarter tout risque de suraccident. Je voudrais aussi rendre hommage aux équipes de mon ministère, en particulier à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de la région Normandie, qui est mobilisée jour et nuit depuis la survenue du sinistre.

En complément, des moyens exceptionnels, issus notamment du plan POLMAR, ont été mobilisés pour écarter le risque de pollution de la Seine lié au débordement des eaux fortement polluées, les eaux d’extinction du site. Des barrages flottants ont permis de les confiner avant qu’elles ne soient pompées.

La protection des populations a immédiatement été au cœur de l’attention des services de l’État. Très vite, et par précaution, un périmètre de sécurité a été mis en place dans un rayon de 500 mètres autour du site. Les établissements scolaires ont été fermés dans douze communes situées sous les fumées et des consignes ont été passées afin d’inviter chacun à limiter ses déplacements. Par précaution également, la qualité de l’air a été mesurée en urgence. Des prélèvements ont ainsi été réalisés en grand nombre par les services de secours dès le début de l’incendie. Ils ont porté sur les polluants habituellement produits lors de ce type d’incendies. Ces premières analyses ont été complétées par des mesures exceptionnelles réalisées par l’association agréée de surveillance de la qualité de l’air Atmo Normandie, association indépendante. Les résultats qui nous sont parvenus et qui ont été rendus publics vendredi et samedi derniers font apparaître un état habituel de la qualité de l’air sur le plan sanitaire en dehors du site. Des analyses plus poussées ont été menées pour détecter des polluants plus spécifiques et potentiellement dangereux, notamment les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et le benzène. Les résultats, eux aussi mis en ligne samedi dernier, démontrent que, hormis pour le benzène, les taux mesurés de ces polluants sont inférieurs aux seuils à l’intérieur du site même de Lubrizol. Enfin, s’agissant de l’amiante, les derniers résultats mis en ligne hier soir montrent qu’aucune fibre n’a été détectée dans les prélèvements de surface réalisés dans un rayon de 300 mètres autour du site ; pour l’heure, les concentrations sont inférieures au seuil de recherche dans les bâtiments. Le périmètre des analyses a été étendu à des zones plus éloignées. Des morceaux de la toiture ayant pu être éjectés en dehors du site, des consignes ont été passées sur les précautions à prendre pour les récupérer, c’est-à-dire en faisant appel à des entreprises spécialisées.

Concernant les suies, des préconisations ont également été formulées par les autorités sanitaires sans attendre le résultat des analyses ; il convient de manipuler ces dépôts avec des gants et de nettoyer les surfaces touchées. Les analyses réalisées visent à rechercher les polluants dangereux les plus habituellement produits par ce type d’incendies ; métaux et HAP. Leurs résultats, mis en ligne samedi, ne mettent pas en évidence de pollution particulière hormis des traces de plomb qu’il n’est pas possible de différencier de la pollution de fond ni d’imputer à l’accident. Je tiens à souligner devant vous que les analyses ont été réalisées le plus précocement possible pour déterminer les impacts environnementaux et sanitaires de cet accident ; ces prélèvements et analyses se poursuivront aussi longtemps que nécessaire.

Nous n’ignorons pas les odeurs incommodantes qui perdurent et avons conscience qu’elles gênent et inquiètent les populations. Les résultats connus des mesures d’air permettent néanmoins aux autorités sanitaires d’indiquer que les odeurs ne présentent pas de risque pour la santé. Les services de l’État ont fixé deux priorités claires à l’exploitant dès l’extinction de l’incendie : mettre en sécurité le site pour éviter tout risque de suraccident et traiter les sources d’odeurs. Cela passe par le nettoyage des résidus de combustion sur le site – ces derniers sont sans doute à l’origine de cette impression de vivre dans une station-service, relatée par un certain nombre d’habitants – et par l’évacuation des 1 000 fûts endommagés, dont 160 susceptibles d’être à l’origine d’émanations. Le préfet a validé hier soir le protocole de traitement, qui prévoit notamment le confinement de cette pollution sous une tente, et nous avons demandé très fermement à l’exploitant de le mettre en œuvre dans les meilleurs délais.

Nous procéderons pour la phase post-accidentelle qui vient de débuter avec le même niveau d’exigence et de transparence. L’objectif de cette phase est clair : procéder à l’évaluation la plus précise possible des conséquences de cette catastrophe, dans la durée, sur l’environnement et sur la santé. Le protocole suivi par les services de l’État est très rigoureux. Il faut d’abord affiner le recensement des substances susceptibles d’avoir été émises dans l’environnement. Alors que nous avons ciblé dans la phase de crise les principaux polluants, nous recherchons dès à présent des polluants émis en plus petite quantité ou ayant des effets potentiels à plus long terme. Comme nous nous y étions engagés, les substances stockées sur le site ont été rendues publiques. Nous avons saisi l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) afin qu’ils nous aident à identifier les polluants formés lors de la combustion de ces substances, les plus pertinents à rechercher dans le cadre de la surveillance de l’environnement. Ces données approfondies permettront d’affiner la surveillance de l’ensemble des impacts environnementaux dans l’eau, l’air, les sols et les produits agricoles. Cette surveillance qui a été prescrite à l’exploitant Lubrizol s’appuiera également sur les résultats des analyses déjà engagées. Enfin, cette cartographie de la pollution de l’environnement permettra la réalisation de l’étude de risques sanitaires demandée par les autorités sanitaires. Le Gouvernement est par ailleurs favorable à la mise en place d’un suivi médical de long terme qui sera engagé par les autorités sanitaires locales.

Nous portons également une très grande attention au transfert des contaminants potentiels vers la chaîne alimentaire. C’est pourquoi, dans le même esprit de responsabilité, les préfets et le ministère de l’agriculture ont pris très rapidement des mesures de précaution consistant à édicter le confinement des productions agricoles dans l’attente des résultats d’analyses. Le Gouvernement, bien conscient que la consignation de leur production constitue une épreuve difficile pour les agriculteurs et les éleveurs, qui sont attachés à la qualité sanitaire de leurs produits, les accompagnera.

Si nous sommes déterminés à faire la pleine lumière sur les conséquences de cet accident, nous souhaitons également une transparence totale sur ses causes. Dès jeudi dernier, j’ai annoncé le lancement d’une enquête administrative qui complétera l’enquête pénale en cours. Aujourd’hui, de nombreuses zones d’ombre demeurent, à commencer par l’origine même de l’incendie. Le site faisait en effet l’objet d’une surveillance rigoureuse des services de l’inspection des installations classées de la DREAL : depuis le précédent accident survenu en 2013, près de trente-neuf inspections ont été réalisées, les dernières datant de juin et septembre 2019. Un plan de prévention des risques technologiques a en outre été approuvé en 2014. Nous ne disposerons d’une analyse plus précise des causes que d’ici à quelques semaines, mais j’ai d’ores et déjà saisi l’ensemble des préfets afin qu’ils demandent aux exploitants des sites Seveso de renforcer leur vigilance et d’interroger leurs propres systèmes et procédures de gestion des risques au regard de cet incendie.

Parmi les retours d’expérience, madame la présidente, vous avez mentionné l’insuffisante information des citoyens. Alors que de nombreuses fausses informations sont diffusées depuis jeudi, nous devons travailler à renforcer l’information des populations en amont de la crise pour développer une culture du risque, mais aussi pendant et après la crise. Je souhaite que nous travaillions sur ce sujet avec le ministère de l’intérieur en nous appuyant sur les enseignements de cette catastrophe.

Vous l’aurez donc constaté : le Gouvernement et les services de l’État sont depuis les premières heures pleinement mobilisés pour protéger les Rouennais, et plus généralement les Français. Ils continueront d’œuvrer avec une transparence totale, et la lumière sera faite, y compris sur les causes de cette catastrophe, car c’est ce que nous devons aux Français et à la représentation nationale.

Mme la présidente Barbara Pompili. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.

Mme Stéphanie Kerbarh. Madame la ministre, au nom de mes collègues du groupe La République en marche, je souhaite vous remercier d’être venue et d’accepter de répondre aux inquiétudes légitimes des habitants de Seine-Maritime.

L’accident suscite un certain nombre d’interrogations. Tout d’abord, les autorités publiques ont-elles accès à la liste des produits entreposés dans tous les sites Seveso implantés en France ? Dans l’affirmative, les demandes d’analyses auprès de l’INERIS ont-elles dès le début de l’incendie été basées sur la composition de ces produits ?

Ensuite, concernant le cycle de l’eau, des mesures de surveillance ont été prises par l’agence régionale de santé (ARS) de Normandie, notamment le renforcement de l’analyse de la qualité de l’eau sur le long terme. Je salue à cette occasion l’action de l’ARS, qui a renforcé ses contrôles. Est-il prévu d’établir une cartographie des nappes phréatiques afin de rassurer les habitants sur la qualité de l’eau ? Vous avez par avance répondu à cette question, mais que pensez-vous de la mise en place d’un registre visant à recueillir sur une période étendue un maximum d’informations pour cerner les effets sanitaires à court et à long termes sur la santé ? J’associe à cette question mon collègue M. Jean-Luc Fugit, qui n’a pu être présent aujourd’hui.

La zone industrielle où est implantée l’usine de Lubrizol est soumise à la réglementation en vigueur. Les plans de prévention des risques technologiques, notamment, mis en place à partir de 2003 à la suite de l’accident industriel de l’usine AZF à Toulouse, permettent aux riverains d’être accompagnés dans la sécurisation de leur habitation, et plus généralement de réduire les sources de risque. En tant qu’établissement classé Seveso seuil haut, le site de Lubrizol a fait l’objet d’un PPRT approuvé par arrêté préfectoral le 31 mars 2014. Y a-t-il un protocole de gestion du risque en cas de survenue d’un accident ? Le cas échéant, que prévoit-il sur la conduite à tenir des populations et sur leur information ?

J’aimerais également savoir si des véhicules spécialisés contre les risques nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) ont été utilisés par les pompiers lors de l’incendie. Si c’est bien le cas, quelles sont les premières conclusions ? Seront-elles transmises au public ?

Enfin, un comité local d’information et de concertation (CLIC) a été institué pour cette zone industrielle par un arrêté préfectoral du 4 août 2005. Il s’agit d’une instance de dialogue entre les autorités, les industriels, les élus et les associations de riverains sur la prévention des risques. Ne pensez-vous pas que, en cas d’accident ou de crise, ce comité pourrait voir ses attributions étendues et se muer en un organe de communication entre les différentes parties prenantes, de façon à rendre les échanges plus fluides avec la préfecture, notamment, dans le but de mieux informer les populations ? Après la forte émotion de ces derniers jours, il est temps aujourd’hui d’examiner la situation avec un peu plus de recul pour trouver les leviers d’action idoines. Je salue à ce titre la constitution d’une mission d’information à l’Assemblée nationale qui permettra de tirer les enseignements de cet incident industriel.

M. Jean-Marie Sermier. Je tiens tout d’abord à exprimer la solidarité du groupe Les Républicains envers la population, les riverains, les élus directement concernés, et témoigner toute sa gratitude aux pompiers et à l’ensemble des services de l’État qui ont été les premiers sur le site et sont restés présents malgré la dangerosité de la situation.

Cet incendie a marqué par les images qui en ont été diffusées dans les différents médias, notamment celles, inquiétantes, de cette fumée noire sortant de l’usine pour se diriger vers la population et se répandre sur plusieurs dizaines de kilomètres. Vous affirmez que des analyses ont été réalisées ; dont acte. D’après vos propos, il n’y aurait à cet instant aucune analyse justifiant d’une pollution de l’air en dehors du site ; pouvez-vous nous le confirmer ? Pouvez-vous également nous confirmer que des analyses des nappes phréatiques et de l’eau de la Seine ont été réalisées, et qu’elles amènent à des conclusions identiques ?

S’il importe que les riverains et les citoyens soient bien informés de l’évolution de la situation, les professionnels dont les activités sont directement affectées par le sinistre doivent également faire l’objet de toute notre attention. Je pense en particulier aux retombées qu’il a pu y avoir sur les véhicules, sur les commerces, dont certains ont dû fermer, ainsi que sur les parcelles agricoles ; les cultures de maïs touchées par les retombées de suie, par exemple, ne pourront pas être utilisées pour nourrir les animaux. Pouvez-vous nous confirmer que l’État prendra directement en charge l’ensemble des retombées économiques, notamment sur le secteur agricole, sans attendre les décisions des assureurs, afin d’éviter aux différentes entreprises des difficultés de trésorerie ?

Ce qui nous importe donc aujourd’hui, c’est que l’État continue de faire toute la lumière sur la situation, que les informations soient diffusées dans les médias avec la plus grande clarté, que les actions soient menées dans la transparence la plus totale et prennent en compte les personnes et les biens, c’est-à-dire l’économie de ce territoire, comme il se doit.

M. Bruno Millienne. Madame la ministre, je vous remercie de vous être rendue disponible aussi rapidement pour cette audition sur l’accident industriel de Rouen. Le groupe MODEM apporte son soutien plein et entier aux populations victimes de cette catastrophe, et je tiens à remercier les services de l’État, car il est difficile dans ce type de situations d’agir avec efficacité et d’informer rapidement la population sans ajouter à son inquiétude. Il me semble que le séquençage retenu était le bon. La publication de la liste des produits chimiques conservés sur le site n’est pas de nature à rassurer les habitants, et ces derniers attendent maintenant le résultat des analyses et de connaître les éventuels effets « cocktail » qui pourraient constituer un danger pour leur santé. En ces temps où la machine médiatique s’emballe pour le moindre événement, la situation me paraît avoir été bien maîtrisée. S’agissant des éléments communiqués immédiatement après l’accident, en revanche, ils auraient pu être à la fois plus clairs et plus rassurants ; il faudra travailler sur ce point.

Il me semble qu’après les interventions de la présidente et de mes deux collègues, nous avons fait le tour des questions à poser. Je voudrais donc simplement rendre hommage aux agriculteurs, en particulier aux producteurs de lait qui ont consenti à vider leurs tanks pour éviter toute contamination sanitaire, nouvelle preuve, s’il en fallait, que nos agriculteurs sont soucieux de la santé de leurs concitoyens, et que la vague de dénigrement dont ils sont la cible ces derniers temps est intolérable et illégitime.

J’aimerais pour conclure vous faire part d’une préoccupation pour le futur, madame la ministre. J’ai cru comprendre que de nouvelles habitations allaient être construites à proximité de l’usine Lubrizol, classée Seveso, autrement dit un site hautement dangereux. Ne peut-on éviter que de tels projets soient inscrits dans les plans d’urbanisme à l’avenir ?

M. Christophe Bouillon. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation aussi rapidement. Si nous sommes réunis ici, c’est en raison de la gravité de l’événement, qui s’apparente à une véritable marée noire sur terre. Vous avez évoqué la peur de la population ; or le meilleur remède à la peur est la transparence. La transparence n’est pas une faveur : elle est inscrite dans notre Constitution, à l’article 7 de la Charte de l’environnement. C’est donc aller dans le bon sens que d’apporter aux habitants des informations claires et concrètes.

Lors de la séance de questions au Gouvernement de cet après-midi au Sénat, le Premier ministre a reconnu : « Nous ne savons pas tout aujourd’hui. » Ce qui justifie à la fois l’application du principe de précaution, les analyses qui ont été demandées, l’enquête interne, l’enquête administrative et, bien évidemment, l’enquête judiciaire. Puisque c’est vous qui avez demandé cette enquête administrative, madame la ministre, pourriez-vous nous préciser dans quel délai ses conclusions seront connues ? Quant à la procédure judiciaire, comme chacun l’imagine, elle risque d’être très longue : celle qui a été lancée pour l’usine AZF n’a pas encore abouti aujourd’hui.

Le groupe Socialistes et apparentés a formulé une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe technologique. Pourquoi ? Parce que, comme l’ont dit mes collègues, l’incendie a entraîné de nombreux désagréments et dégâts pour les habitants de ce territoire, pour les écoliers, les commerçants, les agriculteurs. Et les assureurs répondent qu’ils ne peuvent rien faire tant que ce régime n’aura pas été mis en œuvre. Créé par la loi du 30 juillet 2003 dite « loi Bachelot » à la suite de l’explosion de l’usine AZF, l’état de catastrophe technologique a d’ailleurs été fortement inspiré par les conclusions d’une commission d’enquête parlementaire. Le Parlement a en effet un rôle important à jouer dans ces circonstances, tant par le recueil des retours d’expérience que par la formulation de propositions pour l’avenir.

Je voudrais vous interroger, madame la ministre, sur l’application du principe pollueur-payeur. La loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale, qui est une transposition d’une directive européenne, a institué un régime de réparation des dommages écologiques reposant sur l’exploitant. Je crois que nous sommes clairement dans une situation de crise écologique, ou en tout cas d’événement écologique majeur, nécessitant que vous fassiez en sorte que le préfet utilise son pouvoir de police administrative pour contraindre l’exploitant à mettre en œuvre dès aujourd’hui des mesures de prévention et de réparation, sans attendre la fin de la procédure judiciaire. J’espère avoir votre appui sur cette question. Vous savez qu’il y a une attente très forte de la population, qui veut savoir si l’État est à ses côtés pour l’accompagner.

M. Matthieu Orphelin. Merci beaucoup, madame la ministre, pour les éléments que vous nous avez communiqués. Il est important de chercher, sur un tel sujet, à comprendre collectivement ce qui s’est passé et surtout de tirer les enseignements de ce grave accident. Il est bon qu’une mission d’information ait été créée par la Conférence des présidents – on aurait pu penser à une commission d’enquête, mais l’important est de s’inscrire, au-delà des clivages, dans une recherche collective de ce qu’on doit apprendre de ce grave accident à Rouen.

Merci d’avoir rappelé qu’un suivi médical de long terme sera instauré pour les personnes qui ont été les plus exposées, celles et ceux qui sont intervenus sur le site, les pompiers et d’autres agents publics, mais aussi pour les publics les plus sensibles – les enfants et les personnes âgées. Il faut un suivi rigoureux sur le long terme.

Nous devons arriver à tirer ensemble les leçons de ce qui s’est passé et à faire évoluer les pratiques. Une des grandes questions qui se posent concerne l’information et plus globalement le dialogue avec les citoyens : il ne suffit pas d’informer. Ils ont eu droit pendant les premières heures à une communication très rassurante, peut-être trop, et ils n’y ont pas cru, car ils sentaient une sorte de dissonance entre ce qu’on leur disait et ce qu’ils vivaient, en particulier ce panache de fumée, ces suies et toutes ces mesures de précaution pour les produits alimentaires, etc. Dans quelles conditions pourrait-on travailler, à l’avenir, avec des experts indépendants ou encore des médiateurs ? L’information donnée hier soir sur les 5 000 tonnes de produits qui ont brûlé sur le site est très compliquée à comprendre pour les citoyens : il faut que l’on arrive à instaurer de nouvelles conditions de dialogue avec eux, avec le concours d’experts indépendants.

Il faudra ensuite voir comment faire évoluer la réglementation. Premièrement, doit-on se poser la question des moyens de l’État, notamment humains, pour le contrôle des installations ? Les 1 500 inspecteurs actuels suffisent-ils ? Deuxièmement, les évolutions récentes de la législation sur les installations classées ont-elles pu avoir ou non un lien direct ou indirect avec ce qui s’est passé ? On a autorisé des augmentations des capacités de stockage et de production sur le site. On doit s’interroger sur ce point.

Comment fait-on évoluer la responsabilité de l’industriel, comme l’a demandé M. Christophe Bouillon, afin que le principe pollueur-payeur soit appliqué le plus rapidement possible ?

Comment fait-on évoluer, par ailleurs, des notions telles que l’état de catastrophe technologique ? On voit bien qu’il devrait s’appliquer à la catastrophe de Lubrizol ; mais ce n’est pas aussi simple quand on regarde la définition. Une évolution s’impose sûrement en la matière.

Beaucoup de questions appellent réponse. Sachons tirer collectivement toutes les leçons de ce grave accident.

Mme Caroline Fiat. « Lubrizol coupable, l’État complice » ont scandé hier 2 000 Rouennais devant leur préfecture. Comment ne pas les entendre et les comprendre, quand 5 253 tonnes de produits chimiques sont parties en fumées et en suies noires, soit l’équivalent de 276 camions de marchandises de 19 tonnes ? C’est une marée noire sur les têtes, les nôtres et celles de nos enfants.

L’État doit assumer sa responsabilité. La réalité est que votre gouvernement affaiblit les normes et diminue les contrôles en supprimant des effectifs dans les ministères compétents. Comment une usine classée Seveso et située au cœur d’un bassin de vie de 700 000 habitants, en bord de Seine, a-t-elle pu bénéficier en 2019 d’au moins trois arrêtés lui permettant d’augmenter ses capacités de stockage de produits chimiques sans évaluation environnementale préalable ? Comment expliquer que vous ayez mis cinq jours à rendre publique la liste des produits qui ont brûlé ? Qu’il me soit permis d’espérer qu’il existe encore une puissance publique ne se soumettant pas au bon vouloir d’industriels inconscients.

D’après le règlement européen qui classe les produits selon leur niveau de toxicité, ce sont majoritairement des produits dangereux par aspiration et très toxiques pour les organismes aquatiques qui ont brûlé. Assumez-vous toujours de dire que tous les produits ne sont pas dangereux et que la qualité de l’air est habituelle ? Quel est le vrai bilan sanitaire ? Quels sont les vrais effets sur la qualité de l’air, de l’eau et des sols ? La transparence la plus totale doit être faite tant sur les dysfonctionnements que sur les conséquences réelles de cette catastrophe industrielle.

Un nouvel incendie est à éteindre : celui des colères et des peurs légitimes, alimentées par les non-dits et par le grand écart entre les discours et ce dont les habitants sont témoins. La différence entre la catastrophe de Tchernobyl et aujourd’hui, c’est que les Français ne signeront pas un blanc-seing pour des déclarations sans preuves. Les Français attendent la vérité, madame la ministre ; encore faut-il que vous soyez tous prêts à la dire.

M. Hubert Wulfranc. Je rejoins totalement les propos de nos collègues MM. Christophe Bouillon et Matthieu Orphelin.

Élu de Rouen Sud, j’ai eu à connaître la situation de la commune du Petit-Quevilly, qui est comprise dans le premier secteur d’alerte. J’ai entendu les propos de son maire, lundi soir. Je suis également le député de la commune de Sotteville-lès-Rouen, où se développe le plus important marché de producteurs non sédentaires dans l’agglomération rouennaise, et j’ai entendu dimanche matin ce que disent les producteurs, maraîchers ou agriculteurs, et les consommateurs locaux sur la manière dont ils ont vécu la gestion de cette crise. Je suis l’élu de communes de périphérie, Quevilly-Couronne, où se concentre une grappe majeure d’usines Seveso dans la vallée de la Seine, avec le complexe industrialo-portuaire de Rouen : à Oissel même, à côté de chez moi, se trouve l’usine Yara. Je peux vous assurer, y compris à la lumière de ce que nous disent les salariés et leurs organisations syndicales et des banderoles qu’ils brandissaient lors de la manifestation d’hier, que la gestion de la crise a dysfonctionné.

Une mission d’information est utile pour se projeter sans attendre sur le terrain et pour recueillir des éléments éclairants sur ce qui s’est passé, ce qui se passe et ce qui va se passer, mais cela reste un cadre limité. Je revendique le droit à une commission d’enquête parlementaire. Il est indispensable, selon moi, de mener des investigations poussées auprès des interlocuteurs de terrain, avec toutes les prérogatives qui s’attachent à une commission d’enquête. Cela conduira sans doute très rapidement à des propositions pour améliorer très sensiblement la prévention des risques et la gestion de nouvelles crises. Dans ce genre d’entreprise, la coconstruction d’une exploitation sécurisée se fait avec la direction, mais également avec les salariés et leurs délégués. Tout cela est à refonder totalement. Les salariés sont les premiers experts d’usage de ce qui se passe dans leur entreprise. Par ailleurs, il faut s’interroger sur une réactualisation du rôle de l’autorité environnementale.

Se pose aussi la question de la sensibilisation et de l’information des habitants et de leurs associations : il faut bien avoir en tête que la culture du risque s’est affaiblie, y compris dans ces périmètres, du fait de la désindustrialisation. Auparavant, la culture du risque se transmettait de génération en génération : elle était vivante dans les familles et chez les salariés ; elle s’est peu à peu éteinte. Un gros travail s’impose dans ce domaine.

Enfin, il va bien falloir aborder un autre débat majeur : celui de la localisation des industries lourdes, à risque, et de la configuration habitat-industries dans le cadre de la construction progressive de la ville. Il y a matière à travailler.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Effectivement, madame Stéphanie Kerbarh, les autorités publiques ont accès à la liste des produits entreposés dans tous les sites Seveso. Les autorisations de ces installations comportent la liste des produits, de même que les quantités maximales, autorisés dans les sites.

Vous m’avez interrogée sur l’utilisation de ces informations. Les premières analyses, je l’ai dit, ont consisté à rechercher les produits que l’on trouve le plus couramment en cas d’incendie ; les recherches sont par ailleurs éclairées par l’étude de dangers qui incombe à l’industriel, en amont de l’autorisation des installations classées. Cette étude a pour but d’alerter sur les composants qui peuvent être rejetés dans l’atmosphère – le sulfure d’hydrogène, par exemple –, étant entendu qu’elle porte surtout sur le risque immédiat d’accident et de blessés. C’est sur la base de cette étude de dangers que les premières investigations et les premières analyses ont été réalisées. Au-delà, nous avons bien évidemment transmis la liste de l’ensemble des produits présents sur le site à l’INERIS et à l’ANSES, en leur demandant de nous indiquer s’il y a lieu de rechercher d’autres polluants qui ne font pas partie de ceux qui sont identifiés dans l’étude de dangers ou de ceux qui sont habituellement présents à la suite d’incendies de ce type.

S’agissant de la qualité de l’eau – M. Jean-Marie Sermier s’est également posé la question –, il a fallu traiter plusieurs sujets. Tout d’abord, les bassins de rétention prévus dans l’entreprise, notamment pour permettre que les eaux utilisées pour éteindre l’incendie ne polluent pas le fleuve et les nappes phréatiques, ont commencé à déborder au bout d’un certain temps. On a pu mobiliser très vite des barrages pour éviter que cette pollution, qui était arrivée jusqu’à la Seine, se propage dans le fleuve avant qu’on puisse organiser le pompage. Les précautions prises ont permis d’éviter des pollutions ; il y a eu quelques irisations qui ont pu être traitées grâce à des moyens de pompage. Voilà pour ce qui concerne la Seine. S’agissant des nappes phréatiques, la métropole de Rouen, sous le contrôle de l’ARS de Normandie, a pu rassurer les populations : la ville est alimentée par des nappes phréatiques profondes qui n’ont pas été affectées par la pollution de surface qui a pu se déposer à la suite du panache de fumée de plusieurs kilomètres. L’ARS va continuer à surveiller en permanence la qualité de l’eau. Néanmoins, compte tenu de l’origine de l’eau potable qui alimente la métropole de Rouen, on voit mal comment la pollution se diffuserait.

En ce qui concerne les dispositions prévues en cas d’accident, il y a les études de dangers et les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sur les sites. Il existe aussi des plans d’organisation interne (POI), mis en œuvre par l’exploitant : ce sont des mesures arrêtées à l’avance que l’exploitant doit appliquer en cas d’incident ou d’accident. Par ailleurs, un plan particulier d’intervention (PPI) est élaboré par le préfet pour anticiper et préparer la gestion de crise.

Je pense que nous devrons effectivement réfléchir, avec le ministère de l’intérieur, à la sensibilisation, à la mobilisation et à l’information des citoyens. Vous avez mentionné les comités locaux d’information et de concertation (CLIC) : ils permettent surtout de partager, à longueur d’année, une connaissance des sites et des produits qui s’y trouvent. Ce sont des lieux de concertation entre l’exploitant, les collectivités locales, les associations et l’État. Je ne suis pas sûre que la communication en direction des citoyens doit nécessairement passer par ces comités, mais on peut réfléchir à leur confier une mission de relais dans la mesure où ils réunissent autour d’une même table plusieurs partenaires qui connaissent les sites. Ces comités pourraient jouer un rôle : c’est un élément auquel on peut réfléchir quand on voit la difficulté à faire en sorte que l’information arrive bien aux citoyens et soit considérée comme crédible dans ce climat de suspicion généralisée – que certains d’ailleurs contribuent à alimenter.

Pour ce qui est des moyens mobilisés, je ne voudrais pas empiéter sur le champ de compétence du ministre de l’intérieur. Je ne pense pas que des camions NRBC aient été utilisés, mais j’ai vu sur le site des camions disposant d’équipements de mesure. Il faut souligner que cela est lié à un retour d’expérience consécutif à l’accident de 2013 : à l’époque, les services de secours ne disposaient pas d’autant de moyens de mesure. C’est une des premières crises où nous avons pu réaliser, dès le départ, des mesures de la qualité de l’air et des suies, des retombées du panache de fumée. Lors de précédents accidents, il avait fallu mobiliser des bureaux d’études, qui n’étaient pas forcément disponibles. Nous avons pu anticiper beaucoup plus largement que par le passé, grâce à des mesures effectuées dès le début de la crise.

En ce qui concerne les questions sanitaires, ma collègue Mme Agnès Buzyn a mis en place, par l’intermédiaire de l’ARS et avec Santé publique France, un dispositif de surveillance épidémiologique qui permet en particulier d’identifier les éventuels pics de consultation dans les hôpitaux et auprès de SOS Médecins. Ce système permet une évaluation rapide de l’impact sur les soins d’urgence. À plus long terme, Santé publique France étudie plusieurs scénarios de suivi sanitaire de la population. Ils pourront être ciblés en fonction de l’évaluation des impacts environnementaux à laquelle nous avons procédé sans attendre, mais qui va se prolonger dans le cadre de recherches dans tous les milieux, comme je l’ai indiqué.

Je me garderai bien, monsieur Jean-Marie Sermier, de tenir des propos définitifs et de dire qu’il n’y a strictement aucun polluant, d’aucune nature, dans l’air. Ce que l’on peut indiquer aujourd’hui est que toutes les mesures réalisées dans l’air et au sol sur les polluants qui ont pu être recherchés en fonction de ce qu’on trouve habituellement à la suite des incendies et de ce qui est signalé dans l’étude de dangers n’ont pas fait apparaître, jusqu’à présent, de teneurs anormales, voire mesurables. Nous continuons évidemment les prélèvements et nous mènerons, en partant de l’analyse de l’ANSES et de l’INERIS, le cas échéant, une recherche d’autres types de polluants. À ce stade, ni dans l’eau – j’ai répondu en ce qui concerne l’eau potable et la Seine –, ni dans l’air, ni dans les suies, on n’a identifié de teneurs anormales pour tous les produits qui ont été recherchés.

Nous n’avons pas encore les résultats en ce qui concerne les dioxines, qui constituent un sujet important pour l’agriculture. Nous disposons de premiers éléments, très partiels, sur quelques points de mesure, mais dont il n’est pas possible de tirer des conclusions à ce stade : on se retrouve en fait avec des teneurs proches du prélèvement témoin. Par ailleurs, les services compétents sont en train de consulter toute la bibliographie sur le sujet : il existe des valeurs limites pour les dioxines dans les aliments, mais il n’y a pas de valeurs de référence dans l’environnement. À ce stade, les premiers éléments n’ont pas permis d’identifier de risque en la matière, mais ils sont trop partiels. Ils méritent d’être confortés par d’autres analyses, notamment celles qui portent spécifiquement sur les productions de lait et de miel ou sur le fourrage.

Pour ce qui est de l’impact sur les acteurs économiques, je n’ai pas connaissance d’acteurs qui auraient dû interrompre leur activité après que leurs véhicules ont été souillés par des retombées de suies. Des recommandations, et même des prescriptions, ont été émises dès le départ, notamment par l’ARS, sur la façon de nettoyer les suies. Un certain nombre d’entreprises ont arrêté leur activité, en particulier sur le site lui-même. Le ministère du travail a mis en place des mesures de chômage partiel qui permettent d’accompagner les entreprises concernées. Le secteur dont l’activité est la plus affectée est évidemment l’agriculture, compte tenu des précautions très larges qui ont été prises non seulement en Seine-Maritime mais aussi dans plusieurs départements des Hauts-de-France. M. Didier Guillaume verra, selon les résultats des analyses, si l’on peut restreindre les interdictions de commercialisation qui ont été adoptées pour l’instant. Une indemnisation sera clairement assurée, mais, rappelons-le, ce n’est pas à l’État mais à l’industriel qu’il reviendra de payer toutes les indemnisations qui résulteront de ce qui s’est passé sur son site.

En ce qui concerne la communication de crise, je redis que c’est un sujet qu’il faut examiner en lien avec le ministère de l’intérieur. Je pense qu’on peut retenir l’idée qu’on doit pouvoir faire mieux. La priorité pour les services de l’État a été d’assurer la sécurité dans le cadre d’une crise très grave : il y a eu la période de l’incendie et il a aussi fallu gérer le risque de suraccident – le préfet a eu l’occasion de dire qu’il y a 1 000 fûts sur le site, dont 160 peuvent produire des émanations, notamment très pénibles en termes d’odeur. La priorité très claire a été que l’industriel assure la sécurisation du site, prépare le traitement et l’évacuation de tous les polluants et s’occupe de résorber les hydrocarbures qui se sont diffusés dans le site. On pourra peut-être retenir, en effet, que l’on aurait pu, ou dû, mieux associer les élus ou des associations environnementales. Il faudra réfléchir à cette question et peut-être prendre appui sur les commissions locales d’information et de concertation.

L’enquête administrative ne pourra pas aboutir indépendamment de l’enquête judiciaire, monsieur Christophe Bouillon. Ce que je peux dire, c’est que ce qui s’est passé n’est pas normal : c’était un site extrêmement surveillé, où des inspections réalisées en 2017 avaient conduit à mettre en demeure l’industriel de renforcer son système de protection contre les incendies. On avait pu constater en 2018 que cela avait été fait et le site a de nouveau été inspecté en 2019. Ce hangar était équipé de dispositifs de protection contre les incendies a priori très puissants, des « sprinklers ». On ne comprend pas, à l’heure actuelle, pourquoi ces dispositifs n’ont pas permis d’éviter l’incendie alors qu’ils sont dimensionnés pour le faire. Il existe toutes sortes d’hypothèses sur l’origine de l’incendie dans lesquelles je n’entrerai pas ; mais pour que l’enquête administrative puisse avancer et que l’on en tire les conséquences, éventuellement en renforçant les prescriptions en vigueur, il faut commencer par comprendre ce qui s’est passé. L’enquête judiciaire permettra sans doute de nous éclairer sur l’origine et les causes de l’incendie.

S’agissant de l’état de catastrophe technologique, je comprends très bien que les Rouennais, les populations de la métropole et au-delà, ont vécu une catastrophe industrielle. On peut donc se dire qu’il faut déclarer l’état de catastrophe technologique. Or cela renvoie à la situation que l’on avait connue après l’explosion du site d’AZF : je crois qu’il y avait alors 26 000 logements endommagés, dont les vitres étaient brisées et les toits abîmés, et 1 200 totalement inutilisables. Malgré ce que le terme utilisé peut laisser penser, l’état de catastrophe technologique donne seulement la possibilité de lever les franchises des assurances pour le type de dommages que je viens d’évoquer ; en aucun cas il ne permet d’assurer une prise en charge pour des activités telles que celle des agriculteurs. Il faudra évaluer les dommages causés par l’incendie, pour lesquels je répète que le principe pollueur-payeur s’applique totalement dès aujourd’hui. Tous les nettoyages réalisés peuvent être mis à la charge de l’exploitant, de même que les prélèvements et l’intervention des entreprises chargées de s’occuper des morceaux de toit amiantés. On pourra regarder s’il y a des dommages qui ne sont pas bien couverts aujourd’hui, mais le principe pollueur-payeur est ce qui guide la législation sur les installations classées. L’état de catastrophe technologique, tel qu’il est actuellement défini, ne semble pas la réponse adaptée à la situation, même si je suis bien consciente que les populations touchées vivent une catastrophe industrielle.

Je partage totalement l’idée, monsieur Matthieu Orphelin, qu’il y a une forte dissonance entre les messages et la perception qu’en ont les citoyens. On ne cherche pas à rassurer coûte que coûte : on dit la vérité, on essaie de la dire au mieux, en l’état des informations dont on dispose, avec les scientifiques. Il se trouve que les analyses réalisées à ce jour ne font pas apparaître de polluants au-delà des seuils habituels ; pour la plupart des polluants, les quantités ne sont pas mesurables. Et dans le même temps, nos concitoyens ont vu un énorme panache de fumée et respirent une odeur épouvantable… Je suis parfaitement consciente que cela crée une dissonance qui peut conduire, en effet, à un doute sur la parole publique. Je pense qu’on aura à réfléchir, peut-être d’une manière approfondie, à la question de savoir qui peut s’exprimer et délivrer l’information. On pourra aussi réfléchir à la manière dont on pourrait mieux acter les difficultés que nos concitoyens sont en train de vivre. En tout cas, je peux vous assurer que le Gouvernement est parfaitement conscient du paradoxe qui peut exister quand on dit à des gens qui respirent une odeur épouvantable qu’il n’y a pas de pollution dans l’air. Je n’ai pas de réponse à vous apporter à ce stade, mais je pense qu’il faudra qu’on réfléchisse à ces sujets.

On pourra aussi regarder la question des moyens humains dans le cadre de votre mission d’information. Je voudrais juste souligner qu’il y a eu trente-neuf inspections sur ce site depuis 2013, dont dix au cours des deux dernières années : je ne pense pas qu’il y ait eu une insuffisance de contrôles. En tout cas, rien ne me permet de le penser à ce stade.

En ce qui concerne les évolutions récentes de la législation, la philosophie n’est absolument pas de revenir sur les études de dangers ou les règles de sécurité. Ce sont surtout les modalités de consultation en vue de la délivrance des autorisations qui ont pu évoluer. On constate parfois que les procédures d’enquête publique mobilisent assez peu nos concitoyens et que l’exploitant et les fonctionnaires chargés de surveiller les installations classées passent davantage de temps dans les procédures que dans l’instruction de fond des dossiers. Ce sont des sujets dont on peut débattre.

S’agissant de l’état de catastrophe technologique et de la responsabilité de l’industriel, je redis que celle-ci est pleine et entière, conformément à la législation en vigueur.

Je vais maintenant répondre à Mme Caroline Fiat et à M. Hubert Wulfranc…

M. Hubert Wulfranc. Répondez, s’il vous plaît, à l’une et à l’autre de nos interventions.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Elles étaient complémentaires.

Je vais commencer par vous répondre, monsieur Hubert Wulfranc. Je vous entends quand vous dites que « la gestion de la crise a dysfonctionné ». Cela mérite que l’on s’y arrête un instant. Il faut toujours réfléchir à la façon dont on pourrait, ou dont on aurait pu, faire mieux, mais je voudrais quand même redire que cet incendie, dont on ne sait pas encore pourquoi il a pu se déclencher dans un bâtiment équipé d’un système de « sprinklage » très puissant, a pu être maîtrisé grâce à l’intervention des services de secours, avec l’appui des inspecteurs des installations classées. Cela peut paraître le minimum ; reste que cet incendie a été maîtrisé et il n’y a pas eu de suraccident.

M. Hubert Wulfranc. Cela paraît, en effet, le minimum !

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. J’entends bien, monsieur le député, mais c’est tout de même important. Par ailleurs, nous avons mis en place, d’une façon très précoce et sans doute inédite, une mesure systématique de la qualité de l’air et des retombées de suies. Nous avons entamé des prélèvements sur les plantes, nous avons contenu un risque de pollution dans la Seine et nous avons commencé à mettre en place un recueil systématique de mesures de l’impact environnemental, ce qui va contribuer à la réalisation d’une étude sanitaire de long terme. J’entends ce que vous dites sur les dysfonctionnements dans la gestion de la crise – c’est une appréciation qui vous appartient. L’information n’a peut-être pas été la bonne…

M. Hubert Wulfranc. Je pourrais préciser ma pensée, madame la ministre.

Mme la présidente Barbara Pompili. Vous le ferez après, si vous voulez.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Néanmoins, vis-à-vis de tous ceux qui sont extrêmement mobilisés pour gérer au mieux cette crise, vos propos me semblent un peu durs. La mission d’information ou la commission d’enquête – si vous décidez d’en créer une – pourra effectivement nous éclairer.

Vous avez posé la question de la présence de ces sites industriels dans des zones urbanisées. Nous savons tous que, dans la plupart des cas, il s’agit de sites industriels qui ont été rejoints par l’urbanisation. La France est un des seuls pays d’Europe à s’être dotée, au travers des PPRT, créés à la suite de l’accident d’AZF, de dispositions visant à éviter que l’urbanisation ne rejoigne les sites industriels et à prendre en compte, le cas échéant, l’urbanisation qui a pu se développer autour d’eux. Les démarches prévues dans le cadre des PPRT consistent à demander à l’industriel de faire une étude de dangers et de mettre en œuvre tout ce qu’il peut faire pour réduire le risque à la source. Ensuite, une fois que l’on a constaté qu’il peut y avoir un risque – étant précisé que les études de dangers concernent des risques immédiats, comme celui d’avoir des blessés ou des morts, par exemple lors d’une explosion –, on peut exproprier les habitations et faire jouer au besoin un droit de délaissement au bénéfice des propriétaires.

Quand on voit toute la zone touchée par ce panache et ces suies – dans lesquelles, je le redis, les analyses dont nous disposons n’ont pour l’heure pas relevé de teneurs de polluants anormales, mais elles vont évidemment se poursuivre –, l’idée d’y interdire toute urbanisation ou, inversement, d’en éloigner de 20 ou 100 kilomètres les usines, serait à mon sens assez compliquée à mettre en pratique… Mais votre mission d’information pourra continuer à réfléchir à cette question.

M. Hubert Wulfranc. J’ai également parlé de la création d’une commission d’enquête.

Mme la présidente Barbara Pompili. Ce n’est pas à la ministre de répondre à cette question.

M. Hubert Wulfranc. Nous en rediscuterons.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Enfin, madame Caroline Fiat, c’est effectivement une catastrophe industrielle, une crise très grave, qui a été vécue par les habitants de l’agglomération rouennaise, et au-delà. Je regrette certains propos très généraux et la suspicion généralisée autour de l’idée que l’on ne donnerait pas les informations, que l’on cacherait la vérité. J’ai essayé d’expliquer ce que nous faisons ; peut-être doit-on faire mieux, vous aurez à en juger, mais l’incendie a été contenu, il n’y a pas eu de suraccident et la mobilisation des services de l’État demeure extrêmement forte pour éviter que cela se produise alors que des produits sont encore sur place. Tout le monde est mobilisé pour retirer les polluants présents sur le site. Il y a eu, par ailleurs, un nombre très important de prélèvements dans l’air, dans l’eau, sur les sols et sur les végétaux, qui sont systématiquement analysés, avec des contre-analyses de l’INERIS, pour s’assurer qu’il n’y a pas de polluants anormaux. Si, face à cela, vous tenez à alimenter une suspicion générale, c’est évidemment votre droit, mais je le regrette.

Je crois avoir répondu à la question portant sur le délai de cinq jours qui a précédé la mise à disposition des informations sur les produits concernés dans la zone incendiée. Il existe, comme je l’ai indiqué, une liste des produits et des quantités maximales qui sont permis sur le site dans le cadre de la procédure d’autorisation. Ces informations ne sont plus publiques, pour des raisons de sûreté. Nous n’avions pas, a priori, d’informations sur les produits contenus dans un périmètre particulier. Nous avons donc posé la question à l’exploitant, et nous avons obtenu la liste hier. Nous avions suggéré d’essayer de rendre cette liste lisible – vous pourrez constater en lisant le document en ligne que ce n’est pas très « grand public ». En tout cas, nous avons rendu la liste publique quand nous l’avons eue.

Nous n’avons jamais dit que tous les produits n’étaient pas dangereux. Nous avons toujours indiqué qu’il restait des produits dangereux sur ce site. C’est pour cette raison que des précautions extrêmes sont prises pour les évacuer – il s’agit d’éviter que des travailleurs aient à manipuler les fûts endommagés dans l’incendie. Ce que nous disons, simplement, est que les mesures réalisées aujourd’hui, sur la base des produits recherchés, n’ont pas fait apparaître de polluants anormaux. Vous nous dites qu’il y a beaucoup de craintes chez nos concitoyens, mais je ne pense pas que le fait de tenir des propos alarmistes…

M. Bruno Millienne. Et non étayés !

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. … et de créer une suspicion générale soit le meilleur moyen de dissiper les craintes.

Mme la présidente Barbara Pompili. Nous allons passer à une nouvelle série de questions.

Mme Annie Vidal. Merci, madame la ministre, d’être allée rapidement sur le site. Il s’agit d’un accident de grande ampleur, qui nous a heurtés de plein fouet. Dans ma circonscription, pas moins de 43 communes sont concernées par les mesures de mise en consigne de productions. C’est une pollution visible et la situation est humainement extrêmement difficile.

Je voudrais me faire le relais de questions provenant du monde agricole. Elles sont peut-être très pragmatiques, mais aussi très anxiogènes. Si je peux aussi être un relais pour des réponses, ce sera une bonne chose.

Les collecteurs de lait ne passent plus, ce qui constitue un sujet d’inquiétude majeur. Les producteurs sont obligés de jeter leur lait. Est-il possible d’inciter, voire de contraindre, les collecteurs à prendre part à la gestion de la situation en maintenant leurs passages ? Par ailleurs, quels pourraient être les risques pour l’environnement d’un trop grand rejet de matières organiques ?

Des prélèvements ont été réalisés sur des végétaux, du lait, du miel, des œufs et des poissons d’élevage. Si mes informations sont bonnes, les analyses sont en cours de réalisation dans un laboratoire spécialisé à Nantes. Avez-vous une idée des délais ?

M. Pierre Vatin. Vous avez déjà dit beaucoup de choses à propos des mesures envisagées, madame la ministre.

Par rapport aux périmètres qui semblaient avoir été définis au départ, de nombreuses communes continuent à être répertoriées dans les arrêtés préfectoraux – plusieurs l’ont été aujourd’hui encore, notamment dans l’Oise et dans l’Aisne. Ma circonscription, située dans l’Est de l’Oise, n’est pas touchée pour l’instant. Certaines communes éparses ne figurent pas encore dans les arrêtés préfectoraux alors que des traces de suies ont pu y être constatées. Des analyses ou des démarches sont-elles entreprises dans les zones avoisinant les communes touchées afin de rassurer les populations ?

D’après la connaissance et l’expérience que j’ai des commissions qui concernent des entreprises de sites Seveso, il me semble en effet que ces instances n’ont pas pour vocation de communiquer en direction du public : elles servent à organiser des réunions de travail entre l’État, les entreprises, les élus, les salariés, etc. En parallèle, ne pourrait-on pas trouver un moyen pour délivrer des informations aux habitants de façon beaucoup plus régulière, plus institutionnelle et à titre préventif ?

Mme Sira Sylla. Merci pour votre présence parmi nous, madame la ministre. Je voulais vous interroger sur la création d’une cellule de suivi, mais la décision a été prise et je m’en félicite. Pourquoi est-ce nécessaire ? Si aucun problème n’a été décelé dans l’air à ce jour, la combustion de cocktails de molécules chimiques présents au sein de l’usine Lubrizol pourrait créer de nouvelles particules dont on ignore pour l’instant la dangerosité – et même l’existence. Il est essentiel d’assurer un suivi médical de la population dans tous les territoires concernés et de faire des comparaisons avec les données nationales pour des maladies telles que le cancer. Ce suivi devrait naturellement porter en premier lieu sur les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées, mais aussi sur les ménages à faible revenu, dont l’accès aux soins est limité.

M. Patrick Loiseau. Madame la ministre, je vous remercie pour votre disponibilité et vos explications.

Alors que l’on suspend la mise sur le marché de productions végétales et animales en contrepartie d’indemnisations pour les agriculteurs, les pouvoirs publics se veulent rassurants face au phénomène de pollution largement constaté sans attendre le résultat des analyses définitives. Cela me conduit à une réflexion plus globale sur la coexistence entre habitations et industries dangereuses ainsi que sur l’application du principe de précaution en direction des habitants. Si le risque zéro n’existe évidemment pas, il est impératif d’avoir une parfaite connaissance du potentiel danger afin de prévenir au mieux les risques encourus.

Notre législation ne mériterait-elle pas d’être renforcée, en particulier en matière d’information obligatoire des riverains pour permettre une protection optimale de ceux qui habitent près des installations classées Seveso ? Sur quelle base les périmètres géographiques de sécurité sont-ils définis ? Cette méthode ne devrait-elle pas faire l’objet d’une réévaluation ?

M. Damien Adam. Je vous remercie, madame la ministre, pour vos réponses qui éclaireront le quotidien des Rouennais qui souffrent actuellement.

Je suis surpris de ne trouver aucune information sur les conséquences que peut avoir la suie résultant de la combustion de substances chimiques. Pourquoi ce sujet n’est-il pas traité dans les PPRT ?

Ma seconde question concerne la proximité de sites Seveso avec d’autres sites industriels d’où pourraient se propager des incendies. Faut-il sécuriser le périmètre extérieur des sites Seveso pour empêcher les incendies de s’étendre jusqu’à eux, de la même manière qu’il existe des périmètres de sécurité dans le Sud de la France pour éviter que des feux de forêt ne parviennent jusqu’aux habitations ?

M. Guillaume Garot. Je suis, comme tous mes collègues ici, frappé par le climat de doute et de suspicion qui entoure cet accident industriel. Comment retrouver confiance dans la parole publique ? C’est également un vrai enjeu démocratique qui est posé à travers la gestion de cet accident industriel. On sait bien que la meilleure réponse, c’est la transparence, c’est la clarté, c’est de dire que l’on n’a rien à cacher, ce que vous ne cessez de répéter, madame la ministre.

Il a été convenu ce matin qu’une mission d’information serait créée à cet effet à l’Assemblée. Mais comme l’a dit M. Christophe Bouillon à de nombreuses reprises, nous avons vraiment besoin d’une commission d’enquête pour aller au fond des choses. Il faut bien mesurer quel est aujourd’hui l’impact auprès des Français d’un tel accident, comparable à celui d’AZF. Nous avons besoin de travailler sur la clarté et la compréhension de l’information. Madame la ministre, quel est votre avis sur la création d’une commission d’enquête à laquelle Mme Agnès Buzyn s’est dite favorable ?

Mme la présidente Barbara Pompili. Je rappelle que ce n’est pas au Gouvernement de décider à la place des parlementaires comment ils doivent mener leur travail de contrôle. Je suis très attachée à la séparation des pouvoirs.

M. Guillaume Garot. Cela n’empêche pas de connaître son avis !

Mme la présidente Barbara Pompili. Mais, bien évidemment, la ministre dira ce qu’elle veut.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame Annie Vidal, monsieur Pierre Vatin, vous m’avez interrogée sur les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs. Je ne suis pas la mieux placée pour vous répondre, mais je ne doute pas que votre mission d’information vous permettra d’entendre mon collègue ministre de l’agriculture. M. Didier Guillaume a parfaitement conscience que la non-commercialisation des produits agricoles et le stockage du lait peuvent poser des problèmes. Je sais qu’il a demandé aux collecteurs de continuer à collecter le lait et qu’il est très mobilisé sur cette affaire. Effectivement, nous n’entendons pas laisser les agriculteurs avec des produits interdits à la commercialisation sur les bras. Cela vaut aussi pour la liste des communes concernées : les services de l’État, en l’occurrence les directions départementales de la protection des populations (DDPP) sont très mobilisés pour s’assurer que les communes touchées par des retombées de suies sont bien intégrées dans les périmètres qui font l’objet d’une interdiction de commercialisation.

Par ailleurs, les analyses visant à rechercher les polluants qui posent problème dans l’alimentation, notamment les dioxines, prennent du temps ; les résultats seront communiqués par vagues, si j’ai bien compris, d’ici à la fin de la semaine. En tout cas, le Gouvernement est bien conscient des difficultés que rencontre le monde agricole, de la nécessité de s’assurer que les collectes sont effectuées et d’accompagner les agriculteurs qui subissent un préjudice important. Le dispositif d’ensemble devrait être présenté prochainement par M. Didier Guillaume.

Je vous confirme que nous allons réaliser, au-delà des mesures effectuées en urgence, des analyses complémentaires. Nous allons mettre en place un suivi systématique à moyen terme sur l’environnement, auquel pourront être adossées la surveillance sanitaire et des études épidémiologiques, Mme Agnès Buzyn ayant indiqué que les autorités sanitaires les mettront en place.

La philosophie des PPRT est de gérer les risques de dangers pour la vie, les risques de blessures immédiates, d’explosion, de diffusion de produits toxiques ayant un effet immédiat sur la santé. C’est dans cette logique que les études de dangers sont réalisées, pas nécessairement dans l’hypothèse du suivi : en tout cas, les zones prises en compte n’intègrent pas un suivi à moyen terme sur l’environnement. On retrouve des traces du panache de fumée à Valenciennes, et je crains qu’il ne se soit pas arrêté à la frontière… Du coup, cela modifie quelque peu la nature des études et des dispositions que l’on pourrait être amené à prendre pour apprécier un impact global de ce type. Quoi qu’il en soit, je vous confirme que les études de dangers intègrent l’analyse des produits et des polluants qui en ont résulté et qui ont un impact immédiat sur la santé. Sans doute pourra-t-on voir le sens dans lequel on peut progresser, tout en sachant que traiter la zone jusqu’à Valenciennes serait compliqué…

Les autres installations doivent être prises en compte dans les PPRT. Les règles sont différentes entre les installations économiques et les habitations. Les habitations sont bien plus strictement interdites dans les périmètres. D’autres activités économiques peuvent être implantées, dès lors qu’il y a une coordination entre les entreprises dans leur plan d’intervention. L’impact qu’un site peut avoir sur un autre est normalement pris en compte dans les PPRT, mais je ne suis pas en mesure de vous dire de quelle manière cela a été fait dans le cas qui nous occupe. Cela fait partie des analyses qu’il faudra mener lorsque nous disposerons d’éléments sur les causes de l’incendie et ses modalités de propagation.

Mme Bérangère Abba. Madame la ministre, je vous remercie à mon tour pour avoir répondu aussi rapidement à notre invitation, et je remercie à nouveau Mme la présidente pour avoir défendu auprès de la Conférence des présidents la demande de création, à tout le moins, d’une mission d’information.

Je suis de ceux qui pensent que les procédures ont été a priori respectées dans la gestion de cette crise. Si la catastrophe industrielle de Lubrizol doit nous conduire à les réévaluer, il conviendra surtout de revoir le décret du 11 août 2016 qui a fait basculer les établissements classés du régime d’autorisation obligatoire à celui d’un examen au cas par cas et qui fait que toute modification d’une installation n’est pas automatiquement soumise à autorisation de l’autorité environnementale. En la matière, il semble que nous soyons face à une situation de ce type. Je vous demande donc de bien vouloir envisager avec nous la réévaluation, au regard de la directive « Seveso 3 », des études environnementales et des études de dangers.

M. Emmanuel Maquet. Madame la ministre, les agriculteurs sont les premières victimes de cette catastrophe industrielle. C’est sur eux que pèse l’effort financier en attendant les indemnisations qui promettent, comme toujours en France, des procédures et des délais conséquents.

Dans la Somme, et en grande partie dans ma circonscription, trente-neuf communes sont concernées par l’interdiction de commercialiser les produits agricoles. Il suffit de regarder une carte pour constater qu’elles semblent avoir été choisies pour le moins étrangement : la commune d’Airaines, par exemple, est sur la « liste noire », alors qu’aucun des huit villages limitrophes n’y figure. Ces prélèvements semblent avoir parfois été organisés comme une vaste loterie avec une chance aléatoire de trouver des traces de suies, selon l’endroit du village où le prélèvement est effectué. Quelle méthodologie avez-vous utilisée pour choisir les communes concernées par ces interdictions ?

M. Jean-Claude Leclabart. Madame la ministre, je vous remercie pour votre présence. Je m’associe bien volontiers aux propos que vient de tenir mon collègue M. Emmanuel Maquet. Dans cette affaire, les agriculteurs sont victimes de produits chimiques que, pour une fois, ils n’ont pas épandus… Comprenne qui pourra !

Combien de communes, combien d’exploitations agricoles et combien de familles d’agriculteurs sont concernées par les mesures qui ont été prises ? Comme l’a indiqué M. Emmanuel Maquet, dans la Somme, trente-neuf communes ont été répertoriées, dont treize dans ma circonscription. Comment se passe la communication des préfets dans les départements vis-à-vis des maires et des agriculteurs touchés ? J’essaie d’avoir des informations, mais en vain. J’espère en avoir demain matin…

M. Bertrand Pancher. Comme à chaque fois dans ce genre de controverses, nos concitoyens ont l’impression d’une vérité tronquée et ne croient plus en la parole publique. Ajoutez à cela la perte de repères, qui traduit la perte de confiance en soi et par conséquent une perte de confiance dans les autres ; on n’a pas d’alternative que de retravailler en permanence sur les méthodes de concertation et d’expertise.

Pour ce qui est de la concertation, lorsque des difficultés surgissent, il faut affronter directement les gens ; c’est le problème de l’organisation de l’État déconcentré. Quoi qu’il en soit, il faudra tirer les leçons de tout cela.

Pour ce qui est de l’expertise, on ne s’en sortira pas si, à un moment ou à un autre, l’on n’évoque pas la question du financement des contre-expertises. Les organisations non gouvernementales locales s’engagent dans des contre-expertises ; on serait bien inspiré de financer ces contre-expertises, de façon que l’expertise officielle ne soit pas systématiquement remise en cause.

Mme Delphine Batho. Pour faire progresser la transparence et la vérité, je me concentrerai sur des questions factuelles, notamment sur la liste des produits.

Madame la ministre, le Gouvernement a indiqué hier que cette liste n’était pas donnée pour des raisons de sûreté. Or, ce matin, vous avez déclaré que le Gouvernement n’avait eu cette liste qu’hier, et vous avez semblé décrire des difficultés pour l’obtenir auprès de l’exploitant. Pouvez-vous détailler ces difficultés dans l’attitude de l’exploitant ?

Il semble que cette liste comporte des zones d’ombre : les dix produits indiqués ne représentent que 18 % du tonnage qui a brûlé. On ne sait pas lesquels des autres produits mentionnés dans le tableau Excel sont concernés.

Par ailleurs, le tableau de l’exploitant fait état du nom des substances composant le produit et non de toute la composition du produit. On sait qu’un certain nombre de toxicologues travaillent sur les effets cocktails ; confirmez-vous ce que dit un expert de l’INERIS dans un article du Figaro, à savoir que le secret industriel fait obstacle à ce qu’un certain nombre d’informations soient rendues publiques ? Pouvez-vous nous dire si, malgré ce secret industriel, l’État a en sa possession ces informations et si elles ont été transmises à l’ANSES et l’INERIS ?

À la suite du décret de 2018, Lubrizol a bénéficié d’une augmentation de ses capacités de stockage pour 1 598 tonnes, sans étude d’impact environnemental. Y a-t-il eu une révision de l’étude de dangers ?

M. Xavier Batut. Madame la ministre, je vous poserai une question assez pragmatique, dans la continuité de celle de Mme Annie Vidal.

Trente communes de ma circonscription sont touchées par les mesures de protection qui ont été prises en ce qui concerne la commercialisation des produits agricoles, d’élevage et de maraîchage. De nombreux citoyens m’ont interpellé s’agissant de la consommation de gibier et de poissons sauvages – le sanglier mange du maïs toutes les nuits, par exemple. Sans aller jusqu’à interdire la pêche et la chasse dans les territoires en question, des mesures me paraissent s’imposer afin de prévenir la consommation de ces produits, en application du principe de précaution. Or la direction départementale de la protection des populations (DDPP) et le réseau SAGIR n’ont toujours pas donné d’informations aux diverses fédérations. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Hubert Wulfranc. Lundi soir, M. le préfet a assumé, ce qui est tout à fait responsable, le déroulement heure par heure de la crise, telle qu’il l’a gérée, devant le conseil métropolitain, devant les maires de la métropole. Les maires ont vécu cette crise avec leurs administrés. Certains d’entre eux ont dit leur sentiment d’avoir été livrés à eux-mêmes pendant un temps trop long.

Au-delà du préfet, c’est vous et vos collègues qui sont venus sur le site qui êtes responsables de la parole publique. Êtes-vous disposée à recevoir les treize maires qui ont été directement affectés par le premier périmètre de sécurité installé dans la matinée ?

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame Bérangère Abba, l’examen au cas par cas ne vaut que pour les études d’impact. Les études de dangers sont réalisées systématiquement. C’est tout le sens de la réforme qui a été mise en œuvre. Telle est ma compréhension du sujet, mais je vérifierai.

Mme Bérangère Abba. Ce sera tout l’objet de la mission d’information.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. En tout état de cause, madame Delphine Batho, l’étude d’impact avait bien été réalisée préalablement aux arrêtés délivrés par le préfet, l’arrêté autorisant l’augmentation de la capacité n’ayant pas par ailleurs été mis en œuvre.

Mme Delphine Batho. À en croire la fiche d’information Seveso de Lubrizol, l’étude d’impact révisée date de 2015.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Nous croiserons cette information avec celle donnée par la DREAL.

De nombreuses questions concernent l’impact de cet accident pour les agriculteurs. Je ne suis pas directement compétente sur ce sujet. La méthodologie utilisée pour définir les communes s’appuie sur un principe de précaution maximale. On a sollicité les élus, les services, la gendarmerie, les agriculteurs eux-mêmes pour signaler les éventuelles retombées de suies dans des communes. Cette méthode n’est pas systématique, ce qui peut expliquer que certains signalements aient été faits et d’autres pas. Sans préjuger de ce que décidera le ministère de l’agriculture, tout porte à croire que le dispositif pourra être adapté en conséquence. En tout cas, c’est à la suite de signalements de traces de suies que des communes ont été intégrées dans le périmètre d’interdiction de la commercialisation de produits agricoles.

Monsieur Bertrand Pancher, il faudrait effectivement pouvoir financer des contre-expertises, mais tout un chacun pourrait le demander… Cela supposerait de créer une structure de dialogue et de concertation qui pourrait être chargée de se prononcer sur le financement des contre-expertises. C’est en tout cas une piste qu’il faudra certainement creuser pour s’assurer que la transparence que nous revendiquons se fonde sur les analyses de bureaux d’études contrôlées par l’INERIS qui sont les meilleurs experts dont nous disposons en France.

Madame Delphine Batho, la liste exhaustive des produits…

Mme Delphine Batho. Je parle de la liste des produits qui ont brûlé.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. … et des quantités maximales, qui figure dans les autorisations d’installations classées est différente de la liste, que nous avons demandée à l’exploitant, de produits présents sur les 15 % de son site qui a subi l’incendie. C’est cette liste que l’industriel nous a donnée hier, dans une forme qui n’est sans doute pas très lisible pour le grand public, puisqu’elle contient des codes et non le nom exhaustif des produits. Je ne suis pas en mesure de vous indiquer si tous les composés chimiques détaillés étaient présents sur le site. C’est en tout cas ce que nous avons demandé, et nous vérifierons que c’est bien ce que l’industriel nous a transmis.

Monsieur Xavier Batut, vous m’interrogez sur l’impact de l’accident de Rouen sur le gibier et les poissons. On voit là que l’on passe des analyses réalisées en urgence, en post-crise immédiate, à l’analyse d’ensemble qui sera conduite pour mesurer son impact général sur l’environnement. À ce stade, nous n’avons pas encore commencé à effectuer des prélèvements, mais il y en aura par exemple dans les forêts, sur les champignons, etc. Cela fera partie du plan de surveillance général de l’environnement. Pour le moment, aucune recommandation particulière sur la chasse n’a été émise : chacun a entendu que les mesures prises pour les produits alimentaires pourront s’appliquer également pour gibier.

Monsieur Hubert Wulfranc, je suis, sur le principe, tout à fait d’accord avec vous. Vous aurez noté que je n’ai pas toutes les réponses, notamment s’agissant de l’agriculture, de la gestion de crise ou de tout suivi sanitaire. Mais je recevrai avec plaisir les maires des communes concernées pour discuter avec eux des sujets sur lesquels je suis à même de répondre.

Mme la présidente Barbara Pompili. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir pris le temps de cet échange qui, comme on l’a vu, était nécessaire. Comme il reste encore beaucoup de questions, le travail se poursuivra à plusieurs niveaux, ici même ainsi que dans le cadre de la mission d’information dont la création a été décidée ce matin.

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Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

 

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 18 h 45

 

Présents. - Mme Bérangère Abba, M. Christophe Bouillon, Mme Danielle Brulebois, M. Lionel Causse, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Vincent Descoeur, M. Loïc Dombreval, M. Guillaume Garot, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Jean-Claude Leclabart, M. Patrick Loiseau, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Emmanuel Maquet, M. Bruno Millienne, M. Adrien Morenas, Mme Claire O'Petit, M. Matthieu Orphelin, M. Jimmy Pahun, Mme Zivka Park, M. Alain Perea, M. Patrice Perrot, Mme Barbara Pompili, Mme Véronique Riotton, Mme Nathalie Sarles, M. Jean-Marie Sermier, M. Vincent Thiébaut, M. Pierre Vatin, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi

 

Excusés. - Mme Ericka Bareigts, Mme Nathalie Bassire, Mme Bérangère Couillard, Mme Jennifer De Temmerman, M. Philippe Dunoyer, M. Jean-Luc Fugit, M. François-Michel Lambert, M. David Lorion, Mme Mathilde Panot, M. Jean-Luc Poudroux, Mme Laurianne Rossi, M. Gabriel Serville

 

Assistaient également à la réunion. - M. Damien Adam, Mme Sophie Auconie, Mme Delphine Batho, M. Xavier Batut, Mme Caroline Fiat, M. Bertrand Pancher, Mme Sira Sylla, Mme Annie Vidal