Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la sincérité, l’exhaustivité et l’exactitude de l’étude d’impact relative aux projets de loi organique relatif au système universel de retraite (n° 2622) et de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623) au regard des dispositions de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 2666) (M. Boris Vallaud, rapporteur)              2

  – Présences en réunion.................................23

 

 

 


Mercredi
4 mars 2020

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 36

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
Présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 4 mars 2020

La séance est ouverte à dix heures trente.

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  La commission examine, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la sincérité, l’exhaustivité et l’exactitude de l’étude d’impact relative aux projets de loi organique relatif au système universel de retraite (n° 2622) et de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623) au regard des dispositions de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 2666) (M. Boris Vallaud, rapporteur).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution de Valérie Rabault et plusieurs de ses collègues.

Le groupe Socialistes et apparentés a fait usage à cette occasion du droit de tirage que lui confère l’article 141 du Règlement, qui permet aux groupes d’opposition ou minoritaires de demander la création d’une commission d’enquête une fois par session ordinaire. Notre commission est donc réunie ce matin afin de vérifier, conformément aux dispositions de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies.

Mercredi dernier, la commission a désigné Boris Vallaud comme rapporteur.

M. Boris Vallaud, rapporteur. Les règles de création des commissions d’enquête sont soumises aux dispositions spécifiques de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ainsi qu’au Règlement de notre assemblée.

Il appartient à la commission permanente compétente au fond, d’examiner les conditions de recevabilité de la résolution, donc de la création de la commission d’enquête.

À titre liminaire, je vous rappelle les dispositions de ce Règlement qui régissent l’examen en commission de cette recevabilité. Il s’agit d’un examen qui porte sur des points précis inscrits aux articles 137 à 139 de notre Règlement.

Aux termes de l’article 140, dans le cadre du droit de tirage auquel le groupe Socialistes et apparentés a recouru ici, notre commission doit vérifier si « les conditions requises pour la création de la commission sont réunies, sans se prononcer » – j’insiste – « sur son opportunité ». C’est à ce titre, également, qu’aucun amendement n’est recevable.

L’article 51, alinéa 2, de la Constitution, renvoie à la loi la détermination des règles d’organisation et de fonctionnement des commissions d’enquête et au Règlement les conditions de création des commissions d’enquête.

Une appréciation en opportunité de la création de la commission d’enquête que je vous présente ce matin ne serait donc pas fondée en droit et serait une violation du Règlement de notre assemblée, mais aussi une entorse aux règles constitutionnelles.

La proposition concerne l’étude d’impact de deux projets de loi, organique et ordinaire, examinés au sein d’une commission spécialement désignée à cet effet. Néanmoins, compte tenu des compétences de la commission des affaires sociales de notre assemblée, c’est cette dernière qui a la charge, aujourd’hui, d’examiner cette résolution.

C’est en application de l’article 141 de notre Règlement, selon lequel chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient de droit, une fois par session ordinaire, la création d’une commission d’enquête, que ma collègue, et présidente du groupe, Valérie Rabault a manifesté au Président de l’Assemblée nationale le 10 février dernier son intention d’exercer son droit de tirage sur le sujet qui nous occupe.

Le constat réalisé par la commission des affaires sociales de la satisfaction des conditions de recevabilité devra permettre la création rapide de la commission d’enquête par la Conférence des présidents.

Les articles 137 à 139 du Règlement fixent trois conditions et je les examinerai ici successivement.

L’article 137 prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion. En l’espèce, l’article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête pour s’assurer de la sincérité, de l’exhaustivité et de l’exactitude de l’étude d’impact relative au projet de loi instituant un système universel de retraite.

Les faits visés par la commission d’enquête sont donc très clairs. Ils portent sur les modalités de construction du document de 1 029 pages supposé éclairer notre assemblée sur les deux projets de loi, dont l’un est encore en cours d’examen, en particulier sur sa conformité avec les objectifs fixés à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34, alinéa 1, 39 et 44 de notre Constitution.

Cette commission d’enquête ne vient donc pas remettre en cause le principe constitutionnel de liberté de légiférer du Gouvernement. Des précédents en la matière sont connus. Au Sénat, par exemple. Jean Arthuis a été rapporteur d’une commission d’enquête chargée de recueillir des éléments d’information sur les conséquences de la décision de réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail. Cette résolution a été adoptée le 11 décembre 1997, alors que le projet de loi avait été déposé la veille sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Le précédent du contrôle parlementaire de l’état d’urgence est peut-être plus éclairant encore. Le Gouvernement a été contrôlé en continu par la commission des lois exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête pendant six mois. Cela n’a en rien empêché ni le Gouvernement de mettre en œuvre l’état d’urgence, ni de continuer à légiférer sur ce sujet afin de proroger l’état d’urgence. Un contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement n’interfère donc pas avec sa liberté de légiférer.

Par ailleurs, le pouvoir de contrôle de l’action du Gouvernement, confié au Parlement à l’article 24 de la Constitution, n’est aucunement limité à un contrôle ex post mais peut tout à fait s’exercer ex ante.

La proposition de résolution précise qu’il s’agira d’évaluer la sincérité, l’exhaustivité et l’exactitude de l’étude d’impact.

La sincérité renvoie à la communication de bonne foi par le Gouvernement d’éléments d’information susceptibles d’éclairer le législateur sur les conséquences économiques, sociales et financières des lois examinées. La sincérité du débat parlementaire est un élément constitutionnel et le Conseil constitutionnel a, en 2010, censuré des mesures contenues dans la loi relative à l’entrepreneur individuel : il ne saurait y avoir de débat sincère qui puisse s’appuyer sur des données faussées.

L’exhaustivité est également un impératif propre aux études d’impact puisque la loi organique du 15 avril 2009 prévoit la présentation précise d’un ensemble d’items pour informer les parlementaires, donc les citoyens, sur les projets de loi examinés. Cette liste comprend entre autres l’état du droit, les conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des dispositions présentes dans le projet de loi, ainsi que les coûts et les bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales, en indiquant la méthode de calcul retenue et l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public.

L’exactitude est consubstantielle à l’idée même d’une étude d’impact. Les données présentées par le Gouvernement fondent l’intervention des parlementaires et leur vote. Des données inexactes fournies de bonne foi sont également de nature à altérer la sincérité des débats parlementaires.

Ces faits ont été fortement soulevés dans l’avis du Conseil d’État sur les projets de loi dont il est question. Malgré les compléments apportés à l’étude initiale, le Conseil d’État constate que les projections financières transmises restent lacunaires : dans certains cas, « cette étude d’impact reste en deçà de ce qu’elle devrait être ».

Ces points ont également été évoqués dans de nombreuses interventions d’universitaires dans le débat public. Lors de l’examen des projets de loi en commission spéciale et en séance, ils ont fait l’objet de multiples observations adressées par les députés de tous les bancs aux représentants du Gouvernement.

La résolution le mentionne avec précision, il conviendrait notamment de vérifier la sincérité et l’exactitude de l’étude d’impact quant aux conséquences des mécanismes de transition sur les 10,7 millions de Français nés entre 1963 et 1975 ; les mécanismes des calculs et des flux financiers liés à ces mêmes périodes de transition et des dispositifs de compensation ; les conditions d’éligibilité à la retraite minimale, fixées à 85 % du SMIC, en particulier pour les agriculteurs, et l’évolution de ces montants de pension du fait des coefficients d’actualisation.

Il s’agit de faits précis sur lesquels la commission d’enquête s’attachera à recueillir des éléments de nature à éclairer l’avis de l’ensemble des parlementaires.

Le choix de recourir à une commission spéciale a privé nos travaux de la nomination de droit d’un rapporteur d’application qui aurait eu la faculté, en première lecture, de mener un travail d’analyse de l’étude d’impact, comme cela est prévu à l’alinéa 7 de l’article 86 du Règlement. Le groupe Socialistes et apparentés avait saisi la présidence de notre assemblée d’une demande de nomination d’un rapporteur d’application pour cette première commission spéciale constituée depuis la réforme de notre Règlement. Cela nous a été refusé.

Il n’a pas non plus été décidé, ni par la présidente de la commission des affaires sociales, qui préside également la commission spéciale, ni par le Président de l’Assemblée, qui avait également la possibilité de recourir à la faculté ouverte par l’article 146-5 de notre Règlement, de saisir le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques pour qu’il donne son avis sur les documents rendant compte de l’étude d’impact au bénéfice de l’information de la Conférence des présidents et de la commission spéciale.

Ainsi, un travail d’analyse au fond d’une étude d’impact est une compétence explicite de notre assemblée qui n’a pas été exercée sur celle qui est visée ici.

Ce faisant, la constitution d’une commission d’enquête ne contrevient pas à l’avis exprimé par la Conférence des présidents, au regard de l’article 47-1 du Règlement, selon lequel l’étude d’impact dont nous parlons n’a pas méconnu les conditions normales de présentation des projets de loi.

En effet, cet avis est rendu sur la base d’une vérification formelle et non sur une vérification au fond telle que l’absence de recours aux facultés précédemment mentionnées, ainsi que du référé du 22 juin 2018 de la Cour des comptes sur les études d’impact législatives dans les ministères sociaux, qui indique que les différents contrôles institutionnels exercés en amont du dépôt du projet de loi portent sur le respect formel des dispositions de la loi organique et non sur sa pertinence ni sur les cohérences de l’étude d’impact présentée.

Notre résolution définit donc clairement les faits sur lesquels portera la commission d’enquête.

L’article 138 du Règlement rend irrecevable la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une commission d’enquête ou une mission d’information disposant des mêmes pouvoirs, ayant achevé ses travaux depuis moins d’un an.

Dans le cas présent, l’Assemblée nationale ne s’est pas penchée sur la sincérité, l’exhaustivité ou l’exactitude d’une étude d’impact depuis le début de l’actuelle législature. Dès lors, aucune commission d’enquête, ni aucune mission d’information ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois n’avait le même objet.

Enfin, l’ordonnance du 17 novembre 1958 et l’article 139 du Règlement précisent qu’une commission d’enquête parlementaire ne peut pas être créée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, lui a fait savoir par lettre du 24 février 2020, qu’elle n’avait pas connaissance de poursuites judiciaires en lien avec le sujet ayant motivé le dépôt de cette procédure de résolution.

Cette réponse claire permet donc d’écarter tout risque d’obstacle à la création de cette commission d’enquête.

En conséquence, mes chers collègues, je vous propose de constater que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par l’ordonnance du 17 novembre 1958 et par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale et qu’aucun élément de droit ne fait obstacle à sa constitution.

Mme Monique Limon. Conformément à l’article 140 de notre Règlement, il revient à notre commission de vérifier, sans se prononcer sur son opportunité, si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête demandée par le groupe Socialistes et apparentés sont ou non réunies.

Or, il est manifeste qu’elles ne le sont pas. En réalité, et vous le savez bien monsieur le rapporteur, une commission d’enquête ne sert pas et ne doit pas servir à enquêter sur une étude d’impact. Il s’agit là d’un détournement de procédure qui se vérifie à plusieurs étapes de l’examen de recevabilité.

Premièrement, une commission d’enquête ne peut être créée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, conformément à l’ordonnance de 1958 et à l’article 139 de notre Règlement. Vous dites que cette condition est remplie. En fait, elle est sans objet puisqu’il est strictement impossible d’engager des poursuites judiciaires sur une étude d’impact. Cette demande rend donc absurde la procédure prévue pour la recevabilité des commissions d’enquête et n’est donc pas adaptée.

Deuxièmement, les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. Or, cette demande de commission ne porte sur aucune des trois possibilités. Comme l’a souligné la garde des Sceaux, il s’agit plutôt d’un sujet, celui de la sincérité, de l’exhaustivité et de l’exactitude de l’étude d’impact du projet de loi et non d’un fait déterminé. Cette demande est, sur ce point aussi, clairement irrecevable.

Par ailleurs, lors de nos longues heures de débats, des réponses ont été apportées sur tous les éléments que vous citez dans votre rapport – les mécanismes de calcul, les flux financiers liés aux périodes de transition et leurs conséquences, les dispositifs de compensation ou encore les conditions d’éligibilité à la retraite minimale à 85 % du SMIC et l’évolution de ce montant de pension.

Troisièmement, votre demande porte sur un élément de procédure législative. Or ce sujet ne peut donner lieu à enquête. Nous sommes ici au cœur de notre Constitution : les commissions d’enquête s’inscrivent dans le cadre de l’article 51, alinéa 2, de la Constitution pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques et de l’action du gouvernement après le vote de la loi. En revanche, le vote de la loi est régi par l’article 24 de la Constitution.

Vous le savez, une étude d’impact peut être contrôlée et contestée, mais par une procédure spécifique. Tout d’abord, il revient au Conseil d’État d’exercer un contrôle approfondi du respect des dispositions de la loi organique de 2009, en particulier de la sincérité et du caractère complet des études d’impact. S’il juge qu’il y a des insuffisances, il peut demander au Gouvernement de compléter l’étude d’impact et, en cas d’insuffisance avérée sur un point significatif, peut être conduit à surseoir à l’examen au fond en retenant l’avis dans l’attente d’une régularisation. En cas d’absence ou de carences graves dans l’étude d’impact, il peut même rejeter le projet de loi et il l’a déjà fait.

Ce n’est absolument pas le cas pour ces deux projets de loi. Pour ces textes, le Conseil d’État a demandé au Gouvernement de compléter certains points. Le vice-président du Conseil d’État a d’ailleurs rappelé que ce n’était pas la première fois qu’il invitait un gouvernement à compléter une étude d’impact et que cet épisode n’avait rien d’exceptionnel. Ce que vous prêtez au Conseil d’État dépasse donc la réalité.

Il existe une autre procédure pour contester une étude d’impact en amont du vote de la loi, conformément à l’article 39 de la Constitution, à l’article 9 de la loi organique de 2009 et à l’article 47, alinéa 1, de notre Règlement.

En effet, si l’on juge que la présentation d’un texte ne respecte pas les exigences de la loi, il est possible de s’opposer à son inscription à l’ordre du jour en saisissant la Conférence des présidents dans un délai de dix jours à compter du dépôt du projet de loi.

En cas de désaccord avec le Gouvernement, le Président de l’Assemblée peut ensuite saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il se prononce sur la conformité de l’étude d’impact en question. Cette procédure, vous la connaissez puisque vous l’avez mise en œuvre le 28 janvier dernier pour ces textes relatifs aux retraites. La Conférence des présidents n’y a pas fait droit. Vous n’êtes peut-être pas d’accord avec cette décision, mais elle respecte la procédure parlementaire.

Dans ces conditions, et au regard du caractère manifestement irrecevable de cette commission d’enquête – ce n’est pas à vous que je vais apprendre la procédure, vous la connaissez parfaitement – comment ne pas considérer cette demande comme une nouvelle manœuvre politique qui n’a qu’un seul but : que la réforme des retraites n’aboutisse pas ?

Vous savez parfaitement que la création d’une commission d’enquête portant sur le contenu de l’étude d’impact d’un projet de loi la conduirait à s’immiscer dans la procédure parlementaire, en dehors de toute base constitutionnelle, organique ou réglementaire. Nous ne pouvons l’accepter.

Aussi, pour le respect de nos institutions et de la procédure parlementaire, au nom du groupe La République en Marche, j’appelle l’ensemble des membres de cette commission à constater l’irrecevabilité de cette demande de commission d’enquête.

M. Stéphane Viry. L’analyse en droit de notre collègue Monique Limon, qui représente le groupe majoritaire, ne résiste pas à l’analyse et les arguments avancés ne peuvent emporter notre conviction en application des règles de procédure qui nous obligent.

Je ferai deux observations liminaires, au nom du groupe Les Républicains. Tout d’abord, si l’article 49, alinéa 3, de la Constitution est une arme atomique constitutionnelle et que le Gouvernement est en droit d’en faire usage – nous le déplorons vigoureusement, et avons exprimé notre opposition par une motion de censure – je considère que l’Assemblée nationale a tout autant ses droits et ses obligations constitutionnelles.

L’équilibre des pouvoirs, les bases de l’État de droit, la place et la fonction du législatif dans le champ institutionnel fixent le principe du contrôle. La capacité à exercer ce pouvoir de contrôle est pour l’Assemblée nationale le signe d’une vitalité démocratique. Cela implique des investigations et la recherche des éléments permettant d’instituer l’État de droit.

Ma deuxième observation porte sur le sujet des retraites. Quelles que soient nos divisions, il est primordial. C’est un élément du pacte national, utile pour lier la nation, à un moment où le pays est profondément divisé et fracturé.

Nous parlons d’un système de répartition intergénérationnel : ce n’est pas rien ! De 320 milliards d’euros : ce n’est pas rien ! Ce sujet doit être appréhendé avec gravité. Cette réforme est présentée par la majorité comme la plus importante du quinquennat et l’on ne peut que déplorer son adoption sans vote.

Le travail de contrôle de l’Assemblée nationale nous oblige à être très libres et audacieux sur un sujet comme celui-ci. Notre rôle est de vérifier les choix de l’exécutif, ses politiques publiques et sa façon d’administrer le pays. Nous devons, dans l’intérêt de chacun, agir sans aucune contrainte.

L’étude d’impact traite de données financières déterminantes. Nous devons disposer d’éléments financiers crédibles, cohérents, sincères. Il s’agit de questions d’équilibre, de financement, de cotisations, d’âge de départ, d’âge d’équilibre, d’âge pivot, de montant des pensions, toutes éminemment importantes pour chacun de nos concitoyens.

Au-delà de la question des retraites, cette évolution provoque un big bang total du système de protection sociale ; cela implique d’aller au bout du sujet.

L’avis du Conseil d’État doit également appeler notre attention et nous avons déjà évoqué les éléments d’insincérité, d’insuffisance et les projections financières lacunaires.

Une étude d’impact n’est pas un document de forme ou un élément accessoire. Elle est aussi importante que le projet de loi car nous devons légiférer en toute connaissance de cause, en conscience, en mesurant les conséquences de nos discussions et de nos votes. Des éléments concrets nous éclairent, renforcent notre capacité à faire la loi et, surtout, renforcent la crédibilité du Parlement.

En l’espèce, nous avons eu un projet de loi sans financement car une conférence dédiée au financement traite le sujet à côté. Nous avons eu un projet de loi avec vingtneuf ordonnances. L’étude d’impact devait corriger certains éléments. Or, elle est manifestement empreinte de soupçon. Il y a des doutes. Dans l’intérêt de chacun, ils doivent être levés.

Si nous n’allions pas « au bout du bout », nous fragiliserions la question des retraites. Cette commission d’enquête est utile pour répondre aux critiques et aux interrogations et les conditions sont donc réunies pour que nous votions la proposition de résolution.

Mme Nathalie Elimas. La recevabilité de la constitution de la commission d’enquête trouve son origine dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et sa traduction dans plusieurs articles du Règlement de notre assemblée. Or les conditions nécessaires à la recevabilité de cette proposition de résolution ne sont pas réunies pour que le groupe du Mouvement démocrate et apparentés y apporte son soutien.

L’objectif d’une commission d’enquête est de recueillir des éléments d’information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales.

En l’espèce, la proposition de résolution vise à recueillir des éléments de sincérité, d’exhaustivité et d’exactitude d’une étude d’impact. Il ne s’agit pas de rechercher des faits déterminés sur un service public ou sur une entreprise nationale. Il semble plutôt que le groupe Socialistes utilise son droit de tirage pour contester la qualité d’un document dont l’objectif est, depuis la révision constitutionnelle de 2008, « de définir les objectifs poursuivis par le projet de loi, recenser les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposer les motifs du recours à une nouvelle législation ».

Il s’agit donc d’un acte préparatoire à un texte de loi, qui l’accompagne pour aider à sa compréhension. Les missions de contrôle parlementaires n’ont pas vocation à s’exercer a priori de la loi, mais éventuellement a posteriori. C’est l’esprit de la Constitution et des ordonnances de 1958. Par ailleurs, le groupe Socialistes appuyé, comme à l’accoutumée par les groupes La France insoumise et par celui de la Gauche démocrate et républicaine, a d’ores et déjà utilisé l’outil de procédure adéquat pour contester l’étude d’impact via l’article 9 de la loi organique de 2009, en demandant que les projets de loi soient désinscrits de l’ordre du jour. C’était le 28 janvier dernier devant la Conférence des présidents, qui n’a pas accepté cette demande.

Dès lors, la présente résolution poursuit un objectif politique et non juridique : il s’agit bien de se prononcer sur la recevabilité juridique et non sur l’opportunité d’une telle commission d’enquête.

Il est regrettable qu’un parti dit « de gouvernement » tente de détourner des procédures parlementaires afin de tirer son épingle du jeu dans l’opposition politique. Les outils de procédure parlementaire ne doivent pas être dévoyés à des fins politiciennes. Pour toutes ces raisons, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera contre cette proposition de résolution.

M. Hervé Saulignac. Mes chers collègues, le sort de cette commission d’enquête vous appartient. Votre conscience individuelle est interrogée et la question est probablement plus morale que politique. J’imagine que la recherche de la vérité intéresse chacun d’entre vous. L’occasion vous est donnée de faire toute la lumière sur cette étude d’impact et de faire triompher la vérité. Dans quelques minutes, nous saurons si vous le souhaitez.

Pour compléter les propos de notre collègue et rapporteur Boris Vallaud, j’aimerais insister sur un précédent. Il élimine toute critique portant sur le contrôle de la qualité d’une étude d’impact, rédigé par le Gouvernement et ses services et montre qu’il ne saurait y avoir, comme je l’ai entendu, ni détournement de procédure ni irrecevabilité.

Ce précédent, c’est que cette assemblée a contrôlé en continu l’exercice par le Gouvernement d’un pouvoir régalien exceptionnel assis sur la loi du 3 avril 1955 qui fonde l’état d’urgence. À l’initiative du président de la commission des lois de l’époque, Jean‑Jacques Urvoas, une majorité parlementaire a décidé de donner à la commission des lois la plénitude des pouvoirs d’une commission d’enquête pour contrôler et évaluer le Gouvernement dans la totalité de ses usages de la loi instaurant l’état d’urgence.

Alors que la France faisait face à la pire menace terroriste depuis la Seconde Guerre mondiale, la majorité parlementaire d’alors a armé le Parlement, pour ne rien céder au pouvoir exécutif, au moment où celui-ci s’attribuait des prérogatives exorbitantes du droit commun.

Le Parlement, et plus particulièrement la commission des lois de notre assemblée, a produit pendant toute la période de l’état d’urgence, les données statistiques et qualitatives les plus sincères, les plus exhaustives, les plus exactes sur les mesures prises. Cela a concerné les perquisitions, leur ciblage, leur déroulement, ses acteurs, les lieux, les horaires, le traitement des mineurs mais aussi le ciblage des personnes assignées à résidence.

Tous ces éléments ont été contrôlés sur pièces et sur place. Notre assemblée est allée chercher l’ensemble de ces données auprès des services concernés, alors même que l’administration centrale du ministère de l’intérieur ne procédait pas de manière aussi systématique à cette centralisation.

Pendant que le Gouvernement faisait usage des pouvoirs que lui confère cet état d’exception, notre assemblée a convoqué et entendu sous serment tous les acteurs de l’état d’urgence. Le Gouvernement a ainsi pu conduire sa mission de prévention et de sécurité. Il a également pu exercer sa faculté d’initiative législative en faisant proroger l’état d’urgence à plusieurs reprises.

À qui voulez-vous faire croire que le Parlement ne peut pas contrôler la qualité d’une étude d’impact ? Assumez votre forfaiture ! Assumez votre arbitraire ! Mais épargnez‑nous ces faux arguments !

Non contents d’avoir applaudi debout le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, vous vous apprêtez à réduire les pouvoirs du Parlement, à vous asseoir sur les droits élémentaires de l’opposition et à dire que la démocratie ne s’impose pas à vous. Si cette majorité refuse au Parlement la création de cette commission d’enquête, alors la funeste démonstration sera faite.

Le groupe Socialistes et apparentés soutient pleinement la proposition de notre rapporteur. Il ne s’agit pas d’un soutien partisan mais du fruit d’une analyse juridique imparable construite par notre rapporteur, avec l’appui des administrateurs de notre commission, dont nous connaissons la valeur.

Mes chers collègues, pour une fois dans cette législature, tenez compte de l’histoire de nos institutions et de notre démocratie. Songez à ceux qui viendront après vous, dans cinq ans ou dans vingt ans. Imposer le fait majoritaire à la simple application de notre Constitution, serait le franchir le Rubicon pour nous conduire vers un terrain dont nous pourrions difficilement revenir. Quelles conséquences une telle jurisprudence pourrait avoir demain si le Rassemblement national venait au pouvoir, perspective que votre politique rend chaque jour plus plausible ? J’en appelle, au-delà des clivages partisans, à votre responsabilité morale devant notre Constitution.

Cette commission d’enquête n’a pas vocation à empêcher votre projet de réforme de notre système de retraite. Si vous êtes certains de la qualité de votre étude d’impact, alors cette création devrait être vue comme un moyen de renforcer votre projet de loi. Vous êtes face à l’histoire et elle finira tôt ou tard par en juger.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Il revient à notre commission de se prononcer sur la recevabilité de cette proposition de résolution, c’est-à-dire de vérifier si elle remplit bien les conditions requises pour sa création de cette commission d’enquête.

Pour rappel, les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics et entreprises nationales.

À l’évidence, cette proposition de résolution ne concerne ni la gestion d’un service public ou d’une entreprise nationale, ni des faits précis.

Au-delà des conditions formelles, cette proposition de commission d’enquête participe, comme dans l’hémicycle, à une stratégie de contournement de notre institution. Il s’agit tout bonnement de créer une situation de blocage pour, ensuite, en déplorer les conséquences et continuer le travail d’obstruction si jamais cette demande venait à être refusée.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants partage bien sûr la volonté d’accroître les capacités de contrôle et d’évaluation du Parlement. Lors de la réforme du Règlement, nous avions proposé d’augmenter le nombre de commissions d’enquête ou de missions d’information proposées par les groupes minoritaires ou d’opposition au titre de leur droit de tirage en les portant d’une à trois par session.

Cette demande de commission d’enquête relève à l’évidence d’un contournement de procédure plutôt que de la nécessité d’évaluer le fonctionnement de nos services publics et le service rendu à nos concitoyens. Les règles pour contester la présentation de l’étude d’impact existent. Cette contestation passe par notre Règlement et non par la création d’une commission d’enquête.

Nous considérons donc que les conditions juridiques et réglementaires ne sont pas réunies pour que la création de cette commission soit jugée recevable. Et non, monsieur Saulignac, nous n’avons pas de problème avec notre morale !

Mme Jeanine Dubié. Nous ne discutons pas de l’opportunité, mais de la recevabilité de créer une commission d’enquête sur la sincérité, l’exhaustivité et l’exactitude de l’étude d’impact relative aux projets de loi organique et ordinaire relatifs au système universel de retraite.

Le groupe Socialistes et apparentés fait usage de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, aux termes duquel chaque groupe d’opposition ou minoritaire peut obtenir la création d’une commission d’enquête, une fois par session. Le groupe Libertés et Territoires considère que ce droit de tirage est un droit parlementaire et nous ne souhaitons pas y faire obstacle.

Nos collègues de La République en Marche, du MoDem et de l’UDI considèrent que cette demande ne correspond pas aux critères réglementaires puisque la commission d’enquête ne vise pas des faits. Pourtant, le futur système de retraite relève bien des politiques publiques et nous sommes donc légitimes à faire valoir sur ces textes nos outils de contrôle de l’action publique.

De plus, le Gouvernement ayant fait le choix de recourir à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, donc de faire cesser nos débats prématurément, nous avons encore besoin de lever des doutes et nous sommes en attente de réponses aux nombreuses questions restées en suspens.

Je pense aux vingt-neuf ordonnances, aux soixante-dix-neuf amendements déposés par le Gouvernement que nous n’avons pu examiner et à l’avis du Conseil d’État qui dénonce la perte de visibilité d’ensemble de cette réforme.

Je pense à l’avis du Conseil supérieur de la fonction militaire, qui a également émis beaucoup de réserves sur le financement, sur la valeur du point adossé à un indice qui n’existe pas encore – même si on aura jusqu’en 2045 pour le créer...

Je pense aux revalorisations salariales des fonctionnaires, sujet qui aurait dû être traité avant la mise en œuvre de la réforme, notamment pour les primes.

Je pense aux négociations sur la pénibilité.

Pour toutes ces raisons, cette commission d’enquête est nécessaire et utile. Je trouve dommage que le groupe majoritaire ne se saisisse pas de cette occasion de renouer le lien de confiance avec nos concitoyens sur ce projet de réforme.

Toutes les projections de l’étude d’impact se basent sur un âge d’équilibre à 65 ans en 2037 mais ignorent que cet âge d’équilibre a vocation à reculer. Cela relativise quand même beaucoup votre affirmation selon laquelle les femmes percevront une retraite plus importante puisque celles qui ont élevé des enfants partent en retraite plus tôt, grâce aux trimestres de bonification.

Pour toutes ces raisons, le groupe Libertés et Territoires votera cette proposition de résolution.

M. Adrien Quatennens. Pour le groupe La France insoumise, la bataille des retraites n’est pas terminée et la nuit que nous avons vécue n’en constitue absolument pas l’épilogue. Ce matin, aux premières heures de nos travaux, nous en parlons de nouveau et nous continuerons cet après-midi.

Cette nuit, sans gloire, dans une ambiance crépusculaire, en pleine crise du coronavirus, par un recours détourné et abusif à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, le texte sur les retraites a été adopté en première lecture.

Je l’ai dit hier au Premier ministre, en 2016, il avait pourtant expliqué que l’usage de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, avait vocation à museler la majorité et non l’opposition. S’il est toujours en accord avec ses propos de 2016, c’est donc qu’il a souhaité museler la majorité. Peut-être craignait-il les effets d’un vote qui aurait donné à voir au grand public, l’érosion en cours du groupe majoritaire qui a connu de nombreuses défections ces dernières semaines et encore depuis le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Pourtant, le Premier ministre l’a dégainé seul contre tous : seul contre la représentation nationale, seul contre la majorité de Français opposés à ce texte de loi, seul contre les manifestants et les grévistes venus hier sous les fenêtres de l’Assemblée nationale, seule contre les engagements du Président de la République. Rien, absolument rien, de ce projet de loi ne correspond aux engagements du programme présidentiel que vous avez défendus et qui devraient vous donner cette légitimité dont vous vous prétendez vous parer. D’ailleurs certains de vos soutiens viennent de vous lâcher car ils contestent votre usage de cet outil de la Constitution.

Pour notre part, nous sommes en règle avec le mandat qui nous a été confié : nous opposer et proposer.

On parle d’obstruction parlementaire. Chacun conviendra qu’avec 41 000 amendements déposés par l’ensemble des groupes, nous étions loin des grandes heures de l’obstruction. Je pense aux 137 000 amendements déposés au moment de la privatisation de Gaz de France et aux deux mois pleins de discussion sur la privatisation de TF1.

Vous prétendez que nous avons empêché le débat de fond, mais nous n’avons rien fait d’autre que de déposer des amendements de forme pour débattre du fond. Ce bilan me semble d’ailleurs positif puisque de nombreux lièvres ont été levés, en commission spéciale comme dans l’hémicycle.

En mettant en cause l’étude d’impact, nos collègues socialistes proposent de poursuivre la discussion. À plusieurs reprises, nous vous avons dit que cette étude était truquée. Elle gèle l’âge d’équilibre et rend l’écart type faussé. Elle favorise largement des carrières dont beaucoup de Français rêveraient de bénéficier.

Cependant, vous êtes apparus dans le débat très sûrs de vous sur la sincérité de cette étude d’impact. Par conséquent, cette commission d’enquête, c’est vous qui auriez dû la demander afin de clore la polémique. Pour clore la polémique, et parce que vous avez toute confiance dans votre texte, je ne doute pas que vous permettrez la création de cette commission d’enquête.

Je termine en balayant d’un sévère revers de la main les arguments juridiques contestant la création de cette commission d’enquête : avez-vous oublié qu’une commission d’enquête étudie actuellement la prolifération des moustiques ?

M. Pierre Dharréville. Les démonstrations de nos collègues opposés à la création de la commission d’enquête sont à l’image de l’étude d’impact : très fragiles et truffées d’éléments de langage. En réalité, leurs motivations sont uniquement politiques alors qu’il nous est proposé de vérifier la sincérité, l’exhaustivité, l’exactitude de l’étude d’impact. C’est pourtant le fondement du travail législatif.

Plus que légitime, à nos yeux, ce travail est nécessaire pour faire la lumière sur les lacunes de cette étude d’impact et sur les conditions de sa réalisation. Cette étude a été beaucoup critiquée. Dans son avis, en indiquant que les documents doivent répondre aux exigences générales d’objectivité, de sincérité des travaux procédant à leur élaboration, le Conseil d’État a adressé un rappel à l’ordre au Gouvernement.

L’étude d’impact a aussi été critiquée par les organisations syndicales. Hier encore, François Hommeril, dirigeant de la CFE-CGC tweetait : « Je lance un appel. Est-ce qu’il existe une seule étude un peu sérieuse qui confirme les affirmations du Gouvernement sur son projet ? ».

Cette étude est carencée, orientée, trompeuse et une étude d’impact sérieuse nous a fait défaut dans les débats, car elle aurait délégitimé de nombreux arguments employés par le Gouvernement et la majorité pour justifier la réforme.

Par courrier en date du 27 janvier 2020, nous avons demandé au Président de l’Assemblée nationale le report de l’inscription des deux projets de loi au motif que cette étude d’impact méconnaissait les exigences posées par l’article 8 de la loi organique de 2009, qui découle elle-même de l’article 39 de la Constitution. Nous regrettons qu’il n’y ait pas été fait droit.

Pour nous, il n’existe aucun obstacle juridique à la création de cette commission d’enquête. La séparation des pouvoirs est parfaitement respectée. Des commissions d’enquête ont déjà mené leurs travaux sur des lois en cours de discussion.

Cette demande est précise, comme cela est imposé par l’article 137 du Règlement. Elle respecte l’article 138 puisqu’aucune précédente commission d’enquête n’a porté sur le même objet. Elle satisfait à l’article 139 qui précise qu’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ne peut être discutée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur des faits ayant motivé le dépôt de la proposition.

Vous voudriez que tout cela n’intervienne qu’a posteriori, lorsqu’il sera trop tard. Nous pensons que le rôle du Parlement n’est pas d’obtempérer et de protéger le Gouvernement. Rejeter cette proposition reviendrait à nier les droits du Parlement et des minorités parlementaires. Les droits de l’opposition ne sauraient être réduits au nom de considérations politiques. Or ce droit de tirage est un droit fondamental, un outil essentiel pour contrôler l’action du Gouvernement ; en refuser l’exercice le rendrait partiel, soumis à votre volonté et à des contingences politiques. Cela ne serait pas acceptable.

À la suite de ce débat tronqué, le texte reviendra à l’Assemblée pour une lecture définitive. Cette commission d’enquête est bien nécessaire pour que nous disposions alors d’éléments supplémentaires pour fonder nos décisions.

Avec l’examen du projet sur les retraites, les conditions du travail parlementaire ont été dégradées. Nous avons eu le sentiment de légiférer à l’aveuglette puis, avec le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, de pas légiférer du tout.

Si vous refusiez cette commission d’enquête, vous vous rendriez coupable d’un nouvel acte d’autoritarisme. Après la négation de la fonction législative du Parlement, ce serait la négation de sa fonction de contrôle de l’action du Gouvernement. Il faudrait y voir comme un aveu que le Gouvernement a quelque chose à cacher : s’il était irréprochable, vous n’auriez rien à craindre. Si vous décidiez de refuser la création de cette commission d’enquête, vous auriez au final coché toutes les cases d’un passage en force et d’une forfaiture.

M. le rapporteur. Aucune des objections soulevées ne me paraît fondée en droit et c’est en fait sur le terrain de l’opportunité que se sont placés les groupes qui ont annoncé qu’ils voteraient contre cette résolution, en parlant de manœuvres politiques ou de détournement de procédure. Ces appréciations sur la recevabilité de cette étude d’impact sont interdites par notre Règlement et, je veux le rappeler solennellement, elles n’auraient donc pas dû trouver leur place dans vos argumentations, qui m’ont en outre paru bien légères.

Il y a quelque confusion, Madame Elimas, à évoquer la nécessité de viser des faits déterminés relatifs aux services publics. Ce n’est pas ainsi qu’est rédigé notre Règlement qui mentionne, de façon alternative, soit des faits précis, soit des entreprises ou des services publics clairement déterminés.

Les faits précis, je les ai abordés en détail dans ma présentation initiale. Ils portent sur la sincérité, l’exhaustivité, l’exactitude et j’en ai évoqué plusieurs : les conséquences du mécanisme de transition, les mécanismes de calcul, les flux financiers, les périodes de transition, le dispositif de compensation, les conditions d’éligibilité à la retraite minimale, l’évolution du montant de pension dans le temps du fait des coefficients d’actualisation.

Je voudrais vous rappeler des exemples de faits que vous avez admis comme précis pour la création d’autres commissions d’enquête.

Ainsi, pour la commission d’enquête de l’UDI sur la fraude aux prestations sociales, on s’est contenté de mentionner comme fait « un état des lieux des pratiques » : on est bien loin de la précision des faits que je viens de citer.

Pour la commission d’enquête sur l’alimentation industrielle, les faits étaient rédigés ainsi : « augmentation de la consommation de produits alimentaires industriels ». Là encore, la précision est bien moindre.

Prétendre que les faits sont insuffisamment déterminés à l’appui de notre proposition, alors qu’ils l’ont été avec une très grande précision, relève donc d’une extraordinaire mauvaise foi.

Pour contester notre demande, on a aussi évoqué la possibilité de nommer un rapporteur pour avis ou de saisir le comité d’évaluation des politiques publiques. Mais j’ai bien fait état de ces deux procédures et nous avons formulé ces demandes. C’est donc seulement s’il leur avait été fait droit que la demande de création d’une commission d’enquête aurait été sans fondement. Ce n’est pas le cas et, l’étude d’impact n’ayant donc fait l’objet d’aucune évaluation ou appréciation, il est bien possible de créer une commission d’enquête.

Vous prétendez par ailleurs qu’il s’agirait d’un élément de la procédure législative en cours qui, à ce titre ne saurait être examiné par une commission d’enquête, ou seulement ex post. Avec les exemples de deux procédures antérieures, j’ai montré le contraire.

Vous avez par ailleurs une conception très restrictive des pouvoirs de contrôle et d’évaluation des politiques publiques constitutionnellement garantis au Parlement. C’est bien parce qu’il jouit de telles des possibilités qu’il est apte à créer des commissions d’enquête. Le pouvoir de contrôle ne porte pas seulement sur les fonctions exécutives du Gouvernement, mais sur toutes ses fonctions, y compris sur la préparation des lois qui, en dernier ressort, relèvent Parlement.

Votre conception de la séparation des pouvoirs est aussi bien étroite : refuser cette séparation, c’est accepter la concentration des pouvoirs dans une seule main, une seule institution, une seule autorité. Dans notre pratique institutionnelle, dans notre tradition parlementaire, rien ne fait obstacle à ce qu’il y ait à la fois séparation des pouvoirs et responsabilité du Gouvernement devant la représentation nationale.

L’argument que vous invoquez ne tient pas le moins du monde. Des précédents, cela a été rappelé avec force détails par Hervé Saulignac, ont permis de démontrer qu’une commission d’enquête n’entravait en rien la liberté de légiférer de l’exécutif ou l’exercice de prérogatives de puissance publique, parfois exorbitantes. Tel a été le cas pour l’état d’urgence et pour la commission d’enquête de Jean Arthuis sur les conséquences des 35 heures : alors que le projet de loi n’avait alors pas encore été discuté et venait d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, il n’y a eu aucune entrave ou obstruction.

Une commission d’enquête a vocation à recueillir des informations et à nous les fournir. Ce faisant, elle concourt à éclairer la représentation nationale ; c’est une exigence que nous devrions tous partager, d’autant que cette réforme est d’une grande complexité et que nous devons voir clair sur ses tenants et ses aboutissants.

Les mots du Conseil d’État et l’appréciation de nombreux experts font peser un soupçon d’inexactitude, d’imprécision, d’insincérité. Au motif de cette étude d’impact, des économistes proches de la majorité ont pris du champ.

En droit, ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé. Or les cas dans lesquels une commission d’enquête ne peut être constituée sont clairement déterminés par la loi et par la Constitution, ce sont l’existence de poursuites judiciaires. Une autre limitation est posée par l’alinéa 7 de l’article 6 de l’ordonnance de 1958, aux termes de laquelle « les rapporteurs sont habilités à se faire communiquer tout document de service, à l’exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure de l’État et sous réserve du respect du principe de séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs ». Tout le reste est autorisé et vous n’avez ainsi aucun argument de droit, tiré de quelque disposition constitutionnelle, organique, législative ou réglementaire que ce soit, qui permette de dire l’inverse.

Je terminerai par le respect des droits de l’opposition. Ils ne devraient pas se discuter. La dictature de la majorité commence dans la contestation des droits de l’opposition. (Protestations.) Les mots ont un sens, je les prononce à dessein.

Chacun, en conscience, doit savoir ce qu’il en est de cette commission d’enquête. La majorité la présidera et pourra décider par un vote de rendre ou non le rapport public. Refuser cette commission d’enquête ne respecterait pas les droits de l’opposition et entraverait la vitalité du débat démocratique. Ce serait aussi l’aveu que vous avez un doute quant à la sincérité et l’exhaustivité de cette étude d’impact.

M. Bernard Perrut. L’obligation d’étude d’impact a été décidée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 « en vue d’améliorer la qualité de la loi en même temps que renforcer le Parlement ». La loi organique de 2009 a même précisé qu’il s’agissait de l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales ainsi que des coûts et bénéfices des dispositions envisagées.

Aussi, comment accepter que nous puissions travailler sur un texte d’une telle envergure, qui concerne l’ensemble des Français, sans une étude sincère et de qualité, dont la Conférence des présidents aurait d’ailleurs pu demander qu’elle soit améliorée ?

Je ne tiendrais pas ces propos si le Conseil d’État ne nous avait pas renforcés dans nos convictions. Les projections financières transmises sont en deçà de ce qu’elles devraient être. Il incombait au Gouvernement de préciser l’étude d’impact. Cela n’a pas été fait, ce qui nous a empêchés de disposer de tous les éléments nécessaires à la discussion de ces textes.

Mme Monique Iborra. Même si vous n’y croyez pas, notre objectif n’est pas de minimiser le rôle du Parlement. Mais les propos outranciers du représentant du groupe Socialistes témoignent du désespoir dans lequel se trouve son groupe et ne grandissent pas le Parlement, que leur démarche réduit à une question de procédure. Qui plus est, un tel détournement de cette procédure n’est guère qu’une manœuvre, comme l’avis dit Lionel Jospin, dans une situation similaire.

Vos propos – c’est ce qui nous attriste – témoignent d’un conservatisme qui tolère les injustices et les inégalités de la loi actuelle, tout en prétendant les combattre. Les Français ne s’y tromperont pas : parler de procédure au lieu de proposer une alternative, c’est l’aveu d’un échec.

M. Sébastien Jumel. En développant des arguments différents, nous avons, les uns et les autres, dit que la République était abîmée, le Parlement était affaibli, notre démocratie parlementaire déstabilisée. La commission d’enquête qui nous est proposée, avec des arguments juridiques irréfragables, solides, étayés, nous offre l’occasion de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Dans ces conditions, ma question est presque biblique : de quoi avez-vous peur avec cette commission d’enquête ? Soit l’étude d’impact que vous avez présentée pour votre projet de loi est solide et la commission d’enquête le démontrera, soit elle est lacunaire, pipée, pipotée, et le Parlement sera rehaussé.

Je vous mets en garde : le refus politique, voire politicien, de la constitution d’une commission d’enquête peut être un élément d’inconstitutionnalité de plus dans la fabrication de ce mauvais projet.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Soyons simples et parlons vrai ! Quel est l’objectif de cette demande de commission d’enquête ? Éclairer les députés, faire la lumière sur la réalisation de cette étude d’impact, vérifier sa qualité, enquêter, auditionner ? Non ! Il s’agit d’une manœuvre du groupe Socialistes pour se démarquer, lui qui a du mal à exister au milieu de l’obstruction insoumise et communiste.

À chacun son rôle. Aux communistes et aux insoumis, l’obstruction ! À vous, les procédures ! Votre objectif est d’interférer dans le processus législatif et d’utiliser toutes les procédures pour le faire.

Profondément attachés au respect de notre institution, nous jugeons cette démarche inappropriée et refusons de dévoyer de la sorte les outils notre assemblée.

Mme Isabelle Valentin. L’exposé des motifs de cette proposition souligne la hâte et la précipitation qui caractérisent l’examen de la réforme des retraites.

En effet, l’étude d’impact est insuffisante. Les projections financières sont lacunaires et le recours à vingt-neuf ordonnances sur soixante-cinq articles est injustifié.

Une des missions des députés est bien de contrôler le Gouvernement. Or nous n’avons eu ni le temps, ni les moyens d’examiner ce texte dont les conséquences financières sont encore méconnues. Nous n’avons jamais vu un projet de réforme d’une telle importance soumis à l’examen du Parlement sans que le moindre chiffrage soit rendu public et sans que la moindre réponse soit apportée à nos questions. Il serait donc bienvenu que nous puissions bénéficier des compétences propres à une commission d’enquête pour remédier aux manquements de l’étude d’impact.

Enfin, puisqu’aucun élément de droit ne semble faire obstacle à sa création, il serait souhaitable qu’elle se réunisse, ne serait-ce que pour redonner tout son rôle au Parlement.

M. Régis Juanico. Cela fait treize ans que je suis député. J’ai été dans la majorité, j’ai été dans l’opposition, j’ai même été dans l’opposition de la majorité... Eh bien, je n’ai jamais vu les droits de l’opposition et du Parlement bafoués à ce point. Vous créez un précédent fâcheux.

Alors que l’article 24 de la Constitution dispose que le Parlement vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement, évalue les politiques publiques, votre texte sur les retraites a été adopté sans vote. À deux reprises, en commission spéciale et en séance publique, vous avez interrompu la discussion. Et voilà que vous vous apprêtez à aggraver votre cas en refusant à l’opposition un droit de tirage pour la création d’une commission d’enquête.

C’est un deuxième 49-3 ! C’est une deuxième censure politique alors que le contrôle de la qualité des études d’impact est une mission fondamentale de contrôle du Gouvernement, d’autant qu’elles sont préparées pas les services du ministère, qui sont donc juge et partie.

Tous les rapports parlementaires et les révisions du Règlement auxquels nous avons procédé ces dernières années donnent à l’opposition un rôle de contrôle, de contre‑expertise de l’étude d’impact, que mentionne l’article 145-7.

En fait, la vérité vous fait peur : si l’étude d’impact était si parfaite, vous n’auriez rien à craindre de cette commission d’enquête.

M. Guillaume Chiche. Rien ne s’oppose juridiquement à la création de cette commission d’enquête, qui entre dans le cadre de l’ordonnance de 1958, et, pour cette raison, est soumise à l’appréciation pleine et entière de notre commission.

Le droit de tirage, une fois par session ordinaire pour les groupes d’opposition ou les groupes minoritaires est constitutif du droit des oppositions, aux termes de l’article 141, alinéa 2, du Règlement de notre assemblée.

L’usage de ce droit, n’aura pas d’effet suspensif vis-à-vis de nos travaux et de la bonne conduite de la réforme des retraites.

Au-delà des aspects juridiques, je veux m’exprimer en tant que parlementaire. En séance, les groupes d’opposition n’ont cessé de taxer cette étude d’impact de truquée et d’insincère. Or, ce projet souffre des obstructions. Afin de toutes les lever, il y a un bien‑fondé à créer cette commission d’enquête. C’est pourquoi, avec plusieurs de mes collègues, je voterai en faveur de sa création.

M. Jean-Carles Grelier. On a beaucoup parlé de détournement de pouvoir, mais le détournement de pouvoir, c’est la confusion entre recevabilité et opportunité. Or ce qui nous a été servi ce matin, ce sont des arguments factuels et politiques, qui relèvent de la plus stricte opportunité.

A contrario, traiter de la recevabilité, c’est faire du droit. Or, je n’ai pas entendu d’argument juridique de nature à s’opposer à la démonstration faite par le rapporteur.

C’est la raison pour laquelle je lui apporte tout mon soutien. J’ai le sentiment, avec ce que j’ai entendu ce matin, qu’on est en train de nous rejouer l’argument de triste mémoire « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ».

Mme Clémentine Autain. C’est le pouvoir législatif et non l’opposition que vous êtes en train de mettre en pièces. Cette étude d’impact est la risée de tous. Même le Conseil d’État n’est pas en mesure de la cautionner. Dans cette étude, on a un âge d’équilibre immuable à 65 ans, un taux de croissance immuable de 1,3 %, un début de carrière à 22 ans, que l’on soit ouvrier ou magistrat. On y trouve des cas complètement loufoques. Je pense à Marie, l’infirmière au salaire de 2 500 euros, des cas manquants, notamment les femmes avec enfants. Les flous y sont aussi nombreux que dans votre texte au nombre hallucinant d’ordonnances. Cette étude n’est donc pas sincère.

Vous nous dites qu’il n’y a pas de faits précis à l’appui de la proposition. Mais, mes chers collègues, le fait déterminé, c’est la mauvaise qualité d’une étude d’impact partielle et partiale, qui pourrait d’ailleurs engager la responsabilité du Gouvernement pour défaut de qualité de la loi car nous ne sommes pas correctement éclairés. Si le cadre de la commission d’enquête ne convient pas, dites-nous quel est le moyen législatif de contester le fait qu’une étude faussée soit soumise à notre assemblée.

Le Gouvernement se gargarise de lutter contre les fake news mais, en même temps, il défend bec et ongles un rapport tronqué. Ne voyez-vous pas le problème ?

Mme Catherine Fabre. Vous dites, monsieur le rapporteur, que nous nous positionnons en opportunité, mais 100 % des arguments donnés par Mme Limon sont fondés sur la recevabilité.

Vous prétendez que vous avez été extrêmement précis. Mais nous ne vous reprochons pas de ne pas être précis, nous vous disons que votre commission d’enquête ne porte pas sur des faits advenus.

Vous affirmez que l’on ne respecte pas les droits de l’opposition et vous vous laissez même aller à des excès indignes de votre parcours en parlant de dictature de la majorité. Or nous faisons exactement le contraire : nous cherchons à renforcer les pouvoirs du Parlement et à respecter les droits de l’opposition et les règles. Vous, vous souhaitez contourner, détourner l’esprit de ces règles. C’est cela qui affaiblit les institutions.

Un député ne peut s’affranchir des règles. Le droit de tirage n’est pas absolu ; il s’exerce dans les conditions fixées par l’article 140 de notre Règlement, c’est-à-dire une fois passée la question de la recevabilité. Votre demande ne passera donc pas cette étape et, en la rejetant, nous nous montrons respectueux du Parlement.

Mme Delphine Bagarry. Je ne voterai pas aujourd’hui car je ne suis plus membre de la commission des affaires sociales. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec vous et ma décision de quitter hier le groupe La République en Marche a été difficile.

La création de la commission d’enquête me semble être un outil pour nous éclairer en tant que législateur afin d’avoir un vote final argumenté, notamment sur l’aspect financier. C’est une proposition que je soutiens entièrement.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Monsieur Vallaud, vous, qui nous avez habitués à plus de rigueur dans vos travaux, défendez une demande qui ne respecte même pas les règles de recevabilité. J’y vois là, la frustration du leadership perdu d’un groupe réduit, sans pouvoir exister, à observer insoumis et communistes détourner les procédures parlementaires. Mais courir de la sorte après les extrêmes est bien triste.

Mais il y a plus incompréhensible : votre incohérence et votre manque d’humilité. L’incohérence d’abord. Vous qui aimez vous poser en défenseur de la fonction publique, voilà que vous remettez en cause son travail, sa sincérité, et lui préférez une expertise extérieure privée.

Le manque d’humilité, ensuite. En droit français, c’est le Conseil d’État qui est en charge du contrôle des études d’impact et il a validé cette étude. Las, vous prétendez faire mieux que lui !

Les insoumis ont abîmé le débat parlementaire et vous voulez désormais remettre en cause ce que font les fonctionnaires. Cessez cette mascarade et retournons au travail !

M. Brahim Hammouche. Avec cette proposition de commission d’enquête, comme depuis le début de nos travaux sur cette réforme des retraites, la méthode utilisée par l’opposition est symptomatique d’une volonté de contester tout et n’importe quoi ! Après avoir contesté la sémantique, l’universalité, la sincérité, voilà qu’on vient contester les instances !

Finalement, cette commission d’enquête va mettre le doigt sur des choses qui sont constatées par le Conseil d’État. Votre objectif est-il donc de remettre en cause le Conseil d’État ?

M. Thibault Bazin. Merci de m’accueillir dans votre commission. Nous tenions à être présents ce matin car il s’agit d’un sujet de fond et d’une promesse du nouveau monde, celle de pouvoir évaluer et contrôler nos politiques publiques. Nous sommes pleinement dans notre fonction, sans confusion des rôles.

Un sujet de fond est posé. L’étude d’impact a fait l’objet de polémiques. Créer une commission d’enquête ferait honneur à la mission qui est la nôtre et il faut soutenir pleinement cette proposition.

M. le rapporteur. On me dit que je vous ai habitués à mieux, on conteste ma présentation, on m’accuse de douter de la compétence du Conseil d’État. Je sais trop bien le travail de la haute fonction publique pour ne pas la respecter. Si j’ai choisi dans ma carrière le service du bien public, ce n’est pas par hasard. Si je considère toujours que l’on ne sert pas l’État comme on sert une entreprise privée, c’est parce que j’ai le respect de l’institution publique. Pour votre part, c’est peut-être parce que vous n’avez pas suffisamment confiance dans vos fonctionnaires que vous confiez à des cabinets privés le soin de réaliser certaines études d’impact.

C’est aussi parce que je respecte le Conseil d’État et son avis que je me préoccupe de son appréciation. Or il a été le premier à mettre en cause publiquement la piètre qualité de cette étude d’impact.

Je n’ai entendu chez les adversaires de notre proposition aucun argument fondé, juridiquement solide. Quant à leur appréciation des faits précis, eh bien je les renvoie à celles qui avaient été les leurs à l’occasion de la création d’autres commissions d’enquête.

À nos collègues de l’UDI et de La République en Marche, je rappelle que notre résolution est infiniment plus précise sur les faits requis à l’appui de la recevabilité d’une étude d’impact que ce n’avait été le cas pour la commission d’enquête sur la fraude aux prestations sociales et celle sur l’alimentation industrielle. Dire l’inverse relèverait de la pure mauvaise foi et je vous alerte quant au risque de censure d’un texte au cours de l’examen duquel il est fait obstacle aux droits de l’opposition.

Vous n’avez développé aucun argument juridique sérieux, mais vous n’avez pas ménagé poncifs et caricatures pour vous prononcer sur l’opportunité de créer une commission d’enquête. Ce n’est vraiment pas à la hauteur de l’idée que je me fais de l’honneur exigeant de représenter les Françaises et les Français. Car la question qui se pose à nous, en conscience, dans le secret du vote, c’est bien celle de l’idée que nous nous faisons de nos fonctions. Voulez-vous informer nos concitoyens ou être les valets impuissants d’un exécutif qui vous dicte la conduite à tenir ?

En refusant de vous confronter à la sincérité de cette étude d’impact, vous signez un forfait ; vous vous rendez complices de ce qui apparaîtra comme un mensonge en bande organisée.

Vous avez le choix : vous grandir de faire grandir le Parlement où préférer la résignation, l’abdication, l’impuissance et, après le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, un coup d’État institutionnel.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je laisse chacun responsable de ses propos.

Nous allons maintenant passer au vote.

Je rappelle qu’en application de l’article 140, alinéa 2 du Règlement, la commission doit vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies. Je vais donc interroger la commission.

Le groupe Les Républicains a demandé un scrutin secret.

M. Stéphane Viry. Ce n’était pas ma demande. L’article 44 de notre Règlement mérite interprétation puisqu’il dit que « les votes en commission ont lieu à main levée ou par scrutin ». Il n’est pas précisé si ce scrutin est public et si l’on peut comptabiliser le nombre de votes.

M. Pierre Dharréville. Pour ma part, je demande bien un vote à bulletin secret.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous voterons à bulletin secret.

Ceux qui estiment que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies voteront « oui », et ceux qui estiment que ce n’est pas le cas voteront « non ».

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Votants : 58

Bulletins blancs ou nuls : 0

Suffrages exprimés : 58 dont

 Oui : 23

 Non : 35

En conséquence, la commission, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, estime que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur la sincérité, l’exhaustivité et l’exactitude de l’étude d’impact relative aux projets de loi organique relatif au système universel de retraite (n° 2622) et au projet de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623) au regard des dispositions de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ne sont pas réunies.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8835967_5e5672fb06ea0.commission-des-affaires-sociales--nomination-d-un-rapporteur-commission-d-enquete-sur-la-sincerite-26-fevrier-2020

 

 

La séance est levée à douze heures dix.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 4 mars à 10 heures 30

Présents. - M. Joël Aviragnet, M. Didier Baichère, M. Thibault Bazin, M. Belkhir Belhaddad, Mme Brigitte Bourguignon, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Blandine Brocard, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Guillaume Chiche, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine‑Domeizel, M. Éric Girardin, Mme Perrine Goulet, Mme Carole Grandjean, M. Jean‑Carles Grelier, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac‑Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, Mme Florence Lasserre, Mme Fiona Lazaar, Mme Charlotte Lecocq, Mme Monique Limon, Mme Aude Luquet, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, M. Bruno Millienne, Mme Cendra Motin, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, Mme Claire Pitollat, M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Hervé Saulignac, M. Aurélien Taché, Mme Marie Tamarelle‑Verhaeghe, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner

Excusés. - Mme Claire Guion-Firmin, M. Gilles Lurton, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer

Assistaient également à la réunion. - Mme Clémentine Autain, Mme Delphine Bagarry, M. Guillaume Larrivé