Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la proposition de résolution de M. André Chassaigne tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid19 (n° 2817) (M. Pierre Dharréville, rapporteur)              2

   Examen de la proposition de loi visant à mettre en place pendant deux ans un dispositif « zéro charge » pour l’embauche de jeunes de moins de 25 ans (n° 2989)              11

   Informations relatives à la commission.....................21

  – Présences en réunion.................................22

 

 

 

 


Mercredi
3 juin 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
présidente

 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 3 juin 2020

La séance est ouverte à 9 heures 35.

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La commission procède à l’examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la proposition de résolution de M. André Chassaigne tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du Covid‑19 (n° 2817) (M. Pierre Dharréville, rapporteur)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) a fait usage du « droit de tirage » conféré par l’article 141 du Règlement aux groupes d’opposition ou minoritaires, qui leur permet de demander la création d’une commission d’enquête une fois par session ordinaire. Conformément aux dispositions de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, notre commission doit donc vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies.

M. Pierre Dharréville, rapporteur. Vous connaissez les règles qui président à la création d’une commission d’enquête. Elles résultent des dispositions spécifiques de l’ordonnance du 17 novembre 1958, ainsi que du Règlement de notre assemblée. De manière générale, il appartient à la commission permanente compétente au fond d’examiner les conditions de recevabilité de la proposition de résolution et l’opportunité de la création de la commission d’enquête. Cependant, en application de l’article 141 de notre Règlement, chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, la création d’une commission d’enquête. Ce droit est communément appelé « droit de tirage ».

Dans une lettre adressée le 10 avril au Président de l’Assemblée nationale, André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, a fait part de son intention d’y recourir pour la présente proposition de résolution. Compte tenu du sujet, il était naturel que la commission des affaires sociales en soit saisie. En application de l’article 140 du Règlement, il lui revient désormais de vérifier que « les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité ». Aucun amendement n’est recevable.

Ces conditions de recevabilité sont énoncées aux articles 137 à 139 du Règlement. L’article 137 prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion. En l’occurrence, l’article unique crée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du covid-19 en France, de les évaluer et d’en tirer les conséquences afin que notre pays soit, à l’avenir, en mesure d’affronter une autre pandémie.

Les faits auxquels la commission d’enquête doit s’intéresser sont établis, et nombre de nos concitoyens souhaitent que toute la lumière soit faite. Il n’est pas question de juger de la pertinence de l’objet de la commission : l’Assemblée nationale n’a pas d’autre choix que de créer cette commission d’enquête. Nul ne disconvient que la crise fut inédite, soudaine, grave, et qu’il n’était pas aisé d’y faire face. Mais nul ne saurait détourner le regard des dysfonctionnements et de leurs causes. Nous nous devons d’enquêter et d’analyser, pour tirer toutes les leçons de cette expérience. C’est d’autant plus indispensable que le Parlement a créé, adopté et prolongé, l’état d’urgence sanitaire, conférant des pouvoirs extensibles au Gouvernement.

L’objet est clair et précis : la gestion sanitaire de la crise. Il ne s’agit pas de passer au scanner tous les champs de l’activité humaine pour faire le tour de l’action gouvernementale, mais de se concentrer sur le cœur de la crise, afin de faire la lumière sur tous les dysfonctionnements observés depuis le début.

Parler de la gestion sanitaire, c’est d’abord se pencher sur les pénuries, chercher à comprendre comment nous en sommes arrivés à être aussi démunis ; c’est remonter la chaîne des décisions pour y faire face, s’interroger sur les retards, sur l’organisation et la coordination de la commande publique, etc. Ainsi, le ministre de la santé a déclaré le 21 mars que des masques avaient été commandés dès janvier : comment alors expliquer la pénurie ? Il faudra aussi nous interroger sur le stock de masques, et son évolution depuis 2010. Il est absolument incompréhensible que nous ne disposions plus que de 117 millions de masques chirurgicaux en mars, contre plus de 700 millions en 2017.

De même, le 27 janvier, le directeur général de la santé expliquait qu’un test rapide serait vite disponible pour la population ; le 28 mars, le ministre de la santé annonçait avoir commandé 5 millions de ces tests. Comment expliquer ce délai et la mobilisation tardive des laboratoires de biologie médicale publics et vétérinaires ? Nous pourrions également nous pencher sur les respirateurs, les tensions et pénuries de médicaments et de produits de santé indispensables.

Deuxième aspect, la stratégie de lutte contre le virus : quelle a été l’action du pouvoir politique et des organismes publics ? Il conviendra d’examiner les effets du choix du registre guerrier, du recours à des politiques de contrôle et de surveillance, de la parole publique avec ses consignes contradictoires. La gestion du confinement, la préparation du déconfinement devront être disséquées. Nous devrons chercher à comprendre les relations avec les laboratoires, le refus d’agir pour maintenir l’activité d’unités de production menacées. Il faudra également se pencher sur le soutien à la recherche de traitements et de vaccins : pourquoi a-t-il été si tardif, si incertain ? Pourquoi avoir arrêté des essais cliniques, alors que nous avons besoin de réponses claires ?

Enfin, l’organisation de l’hôpital public face à la crise mérite nos investigations. Nous avons tous en mémoire les débats parlementaires de l’automne dernier, alors que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie hospitalier était à nouveau largement insuffisant par rapport aux besoins réels. Nous avons également en tête la politique de réduction du nombre de lits, conduite sans relâche. Il faudra aussi analyser le rôle joué par les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La commission d’enquête permettra d’identifier les liens de causalité entre les décisions passées et les difficultés rencontrées lors de la crise. Pénurie, stratégie, service public constituent trois axes – non exclusifs – de travail pour la commission d’enquête. Vous le constatez : les faits visés sont précis et identifiés, comme le requiert l’article 137 de notre Règlement.

L’article 138 de ce même Règlement rend irrecevable la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une commission d’enquête ou une mission d’information disposant des mêmes pouvoirs, ayant achevé ses travaux depuis moins d’un an. Sur ce point, nous allons devoir opérer des clarifications. Notre proposition de résolution a été déposée le 8 avril, il y a quasiment deux mois. La décision de faire usage du droit de tirage est intervenue deux jours plus tard, le 10 avril. Mais c’est seulement maintenant, 3 juin, que la proposition de résolution est examinée : plus d’un mois s’est écoulé entre la réponse de la garde des sceaux, le 24 avril, et l’inscription de la proposition de résolution à l’ordre du jour. Pourtant, la commission des affaires sociales s’est déjà réunie, le 20 mai par exemple.

Il n’aura échappé à personne que des mouvements tectoniques se sont produits ces derniers jours. Une mission d’information avait été créée par la majorité sous l’égide du président de l’Assemblée nationale afin de suivre l’action du Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire. La Conférence des présidents avait indiqué au cours de sa réunion du 24 mars que la phase consacrée au contrôle de l’état d’urgence sanitaire, qui devait commencer les jours suivants durerait aussi longtemps qu’il serait en vigueur. Or il ne prendra fin que le 24 juillet prochain. Pourtant, la mission vient d’être transformée en commission d’enquête ! Elle avait jusque-là effectué un travail assez formel, constituant surtout une tribune supplémentaire pour les ministres, servant – au mieux – à faire entendre les difficultés rencontrées. Soudain, par un hasard qui ne doit rien au hasard, elle s’est métamorphosée hier en commission d’enquête, visant à analyser tout ce qui s’est passé pendant la crise, dans tous les domaines. La convocation de la mission de la semaine dernière ne le précisait pourtant pas, et les rapporteurs se sont livrés à une restitution sans que nous puissions véritablement échanger. Emballez, c’est pesé !

C’est pourquoi mon groupe a fait valoir les dispositions de l’article 145-3 du Règlement qui permettent à un président de groupe de s’opposer à une telle décision. Cela a donné lieu hier en séance à un échange sommaire de 10 minutes entre André Chassaigne et Éric Ciotti. L’Assemblée a ensuite été invitée à se prononcer sur la dotation de pouvoirs de commission d’enquête à la mission d’information. Vous en conviendrez, ce scénario est grossier ! Il n’est pas sérieux et n’honore pas notre institution.

La procédure paraît entachée d’irrégularité. Tout d’abord, Mme la garde des sceaux a probablement répondu au Président de l’Assemblée nationale, mais je n’ai pas eu connaissance de la réponse. En outre, hier soir, sur le site de l’Assemblée nationale, la mission d’information n’apparaissait toujours pas dans la liste des commissions d’enquête. Enfin, l’objet de la commission précitée – et précipitée – ne répond pas aux critères de l’article 137, sauf à les considérer de façon très élastique ! Comment pourra-t-elle moissonner un tel champ d’investigations ? Enfin, pourquoi attribuer à un groupe une forme de deuxième droit de tirage, au détriment d’un autre ? Le groupe Les Républicains affirme avoir été le premier à demander la création de la commission d’enquête, mais il n’en avait pas les moyens ! La transformation de la mission résulte d’un arrangement entre les deux groupes les plus nombreux de l’Assemblée nationale. Au Sénat, une commission d’enquête est également pilotée par le groupe Les Républicains : au regard des enjeux, nous plaidons pour plus de pluralisme !

Je suis désolé d’être désagréable, mais ce qui est en train de se passer va l’être de toute façon ; il n’y a aucune raison pour que ce ne le soit que pour moi ! Nous nous sentons au moins aussi fondés que d’autres à exercer cette responsabilité, d’autant que nous n’avons pas participé à l’exercice du pouvoir depuis 2002. Il ne s’agit donc pas pour nous de régler des comptes, mais d’établir les causes et de tirer les conséquences de la crise. Pourtant, visiblement, nous gênons dans votre scénario...

Notre proposition permettrait à tous les groupes d’être représentés, ce qui n’est pas le cas avec la transformation de la mission d’information. En résumé, vous avez le pouvoir d’affirmer la liberté du Parlement, ou bien de refuser pour la deuxième fois en quatre mois à un groupe d’opposition – après le refus signifié au groupe Socialistes et apparentés concernant l’étude d’impact de la réforme des retraites – l’exercice de son droit de tirage. Cela risque d’apparaître comme une fâcheuse tendance à écarter les travaux de contrôle qui ne vous arrangent pas ! Marx écrivait que l’histoire se répète la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce. L’impression de vivre une farce sur un sujet aussi dramatique et sensible est plus que désagréable ! Le droit de tirage est, comme son nom l’indique, un droit, et non une simple possibilité. Le bafouer avec cette constance pose un problème démocratique grave.

Sur le plan juridique, il n’y a aucune raison d’opposer à notre demande une quelconque antériorité de la commission d’enquête de la majorité, dont la constitution est intervenue bien après le dépôt de notre proposition de résolution, le 8 avril, et notre demande de faire usage du droit de tirage, le 10 avril. Si la mission d’information estime ensuite que des sujets d’enquête ne sont pas couverts alors qu’ils mériteraient de l’être, elle pourra s’en saisir.

En conclusion, la condition posée par l’article 138 est bien vérifiée : il vous revient de le confirmer, tout simplement parce que ce sont les faits, et il reviendra à la Conférence des présidents d’en tirer, le cas échéant, toutes les conséquences.

Enfin, l’ordonnance du 17 novembre 1958 et l’article 139 du Règlement précisent qu’une commission d’enquête parlementaire ne peut pas être créée lorsque des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition. Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale, Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, a fait la réponse suivante par lettre du 24 avril 2020 : « la commission d’enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir pour partie plusieurs procédures judiciaires en cours » et, selon une formule rituelle, « appelle ainsi son attention sur l’articulation de l’enquête parlementaire avec ces procédures judiciaires ». Cette réponse classique ne fait pas, en soi, obstacle à la constitution de la commission d’enquête. Nous serons attentifs à ce que ses travaux n’entrent pas en conflit avec ceux menés par l’autorité judiciaire. Du reste, l’objet de cette commission d’enquête ne sera pas d’établir des responsabilités pénales, mais bien de comprendre tous les mécanismes par lesquels cette crise est survenue.

La période que nous vivons nous appelle à faire pleinement vivre le débat démocratique et nous enjoint de prendre de la hauteur. Pour cela, le respect des règles communes est un prérequis.

Mes chers collègues, compte tenu des éléments exposés, je vous propose de constater que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par l’ordonnance du 17 novembre 1958 et par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale et qu’aucun élément de droit ne fait obstacle à sa constitution.

Mme Monique Iborra. Dans ce contexte anxiogène, permettez-moi de saluer les professionnels, mais aussi les citoyens, nombreux, à s’être investis par solidarité et responsabilité dans cette crise que personne n’avait prévue. Mes pensées vont vers ceux – résidents des EHPAD, familles, soignants – qui ont vécu des drames familiaux et des décès brutaux, dans des circonstances inédites, que nous n’aimerions pas voir se reproduire.

Pour autant, la situation ne saurait être exploitée à des fins politiques. Elle nécessite des investigations – il s’agit de nos prérogatives parlementaires – auxquelles nous sommes prêts à répondre. Nous devons à tous une analyse sans complaisance, totalement transparente, une analyse à laquelle nous procéderons avec humilité en ce qui nous concerne, mais sans céder à des penchants politiciens. Il ne s’agira pas de chercher des coupables avant même d’examiner les faits.

C’est dans cet esprit que, dès le 17 mars, la Conférence des présidents a créé une mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de covid-19. Elle a organisé seize auditions publiques, dont celle des ministres – quoi de plus normal ?

En outre, au sein de la commission des affaires sociales, des rapporteurs de la majorité et de l’opposition ont suivi six thématiques en relation avec l’état d’urgence sanitaire. Vous y avez largement participé, monsieur le rapporteur. De notre côté, avec Caroline Fiat, nous avons rendu un rapport commun sur la situation des EHPAD.

Lors de la mise en place de la mission d’information par le Président de l’Assemblée, à la demande de plusieurs groupes, il avait été acté que, dans une second phase, ses travaux seraient élargis à l’évaluation de la crise et de ses conséquences économiques, budgétaires, sociales, culturelles, et même internationales. Il avait également été convenu – et donc accepté – qu’un nouveau rapporteur général serait nommé, issu du groupe d’opposition le plus nombreux – Les Républicains en l’occurrence – ainsi qu’un corapporteur de la majorité, et que cette mission serait dotée des prérogatives d’une commission d’enquête.

Le 26 mai, M. Ciotti a demandé que la mission soit dotée des prérogatives d’une commission d’enquête. Ses déclarations à la presse devraient vous rassurer : il n’aura aucune complaisance à l’égard du Gouvernement, que vous condamnez dans l’intitulé de votre proposition de résolution, avant que la commission d’enquête n’ait débuté ! Vous condamnez avant d’enquêter. Certes, c’est votre culture mais nous ne la partageons pas.

Je regrette d’avoir à vous le rappeler : toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 du Règlement, ou qu’une commission d’enquête antérieure, est irrecevable avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre. Nous ne pourrons donc pas adopter votre proposition de résolution.

M. Bernard Perrut. La proposition de résolution que nous examinons est intéressante : elle vise à faire apparaître les dysfonctionnements liés à la gestion de la crise du covid-19. Par la même occasion, elle met en lumière toute l’ampleur du travail parlementaire. Nous en sommes parfaitement conscients : dès le 4 mars, vingt députés Les Républicains avaient déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête afin d’évaluer la gestion de la pandémie et d’en tirer des enseignements, pour que notre stratégie soit plus efficace si une nouvelle pandémie venait à se déclarer.

Votre proposition de résolution intervient au moment où la mission d’information, qui poursuit ses travaux, vient d’être transformée en commission d’enquête. Par souci de cohérence, notre groupe ne peut donc l’adopter.

Il importe néanmoins de faire quelques constats. Nous pourrions évoquer l’impréparation matérielle et politique – le Gouvernement avait-il pris le danger au sérieux assez tôt ? Pour affronter la « guerre », déclarée par le Président de la République, les problèmes logistiques et administratifs n’ont pas manqué, entraînant un manque d’agilité de tous les professionnels de santé. Pendant des semaines, on nous a expliqué que la fermeture des frontières, le port du masque, la systématisation du dépistage étaient inutiles, voire contre-productifs. En outre, cette crise a révélé le manque de moyens alloués aux personnels de santé, le manque d’investissements de la France dans l’industrie médicale et pharmaceutique, sa dépendance aux autres pays pour se fournir en matériel, etc.

La commission d’enquête devra travailler sur ces constats – et non établir des responsabilités – afin d’en tirer le meilleur pour l’avenir et de nous permettre de prendre des mesures utiles à notre pays. Je pense à l’augmentation du nombre de lits de réanimation, à la mise en place d’hôpitaux de réserve, à l’équipement du personnel en matériel, en connaissances et en formation, à la constitution de stocks stratégiques de masques, de respirateurs, de médicaments.

Pour être plus efficace, notre stratégie doit être déclinée au niveau européen, afin d’améliorer la prévention du risque et de mettre en commun les ressources et les connaissances.

N’oublions pas non plus le suivi des autres pathologies et la poursuite des soins pour les autres patients. Pendant le confinement, nous aurions pu éviter des arrêts cardiaques et des morts.

Le chantier qui nous attend est important. Il nous amènera aussi à réfléchir à l’organisation territoriale de notre système de santé, actuellement centralisé et tentaculaire, qui n’est peut-être plus adaptée. Nous avons besoin de plus de souplesse et de réactivité. Lors de la crise, les établissements publics et privés, tout comme les professionnels de santé, ont su réagir, parfois en marge des règles habituelles, au service de la population.

M. Brahim Hammouche. Nous devons nous prononcer pour ou contre la proposition de résolution portée par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du covid-19.

Monsieur le rapporteur, tant sur le fond que sur la forme, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne vous apportera pas son soutien. Sur la forme, les hasards du calendrier font que la mission d’information précitée, créée au début de la crise sanitaire, s’est dotée des prérogatives d’une commission d’enquête hier soir en séance publique, afin de faire toute la lumière sur la gestion et les conséquences de la crise sanitaire. C’est l’objectif de l’ensemble des groupes de notre Assemblée. Il serait peu opportun que deux commissions d’enquête aient un objet strictement similaire. L’ordre du jour étant déjà surchargé, de grâce, épargnons-nous les redondances !

Sur le fond ensuite, l’intitulé de votre commission d’enquête me semble mal nommer l’objet du malheur qui nous touche. Or, monsieur le rapporteur, vous le savez : mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. Alors que l’objectif d’une telle commission est d’investiguer pour arriver à des conclusions, le titre de la vôtre laisse entrevoir que vous avez déjà les réponses... Le travail de la représentation nationale ne doit pas se transformer en une instruction à charge. Il n’est pas question de mettre en accusation telle personne ou telle administration, mais de comprendre et d’apprendre. Comprendre comment nous en sommes arrivés là, comment nous avons géré cette crise, comment elle aurait pu être anticipée – si tant est que l’inattendu et l’extraordinaire puissent être anticipés... N’oublions pas non plus les précédentes mandatures. Enfin, il s’agit d’apprendre – ne sommes-nous pas une Nation apprenante ? – puisque nous serons périodiquement confrontés à ce type de crise sanitaire. Il s’agit de porter un diagnostic partagé pour grandir ensemble.

M. Boris Vallaud. Déjà très insatisfaisantes en temps ordinaire, les conditions de travail de l’Assemblée nationale – et plus globalement du Parlement – pendant les mois du confinement se sont avérées désastreuses du point de vue de l’efficacité du débat démocratique : nous avons en effet vécu une sorte d’éclipse. Un groupe de travail a d’ailleurs été formé pour en tirer les leçons pour l’avenir.

Alors que nous sommes dans une guerre de modèles, que nous ne savons pas si le monde d’après sera celui des utopies ou celui des aspirations autoritaires, la question de la vitalité démocratique se pose de façon criante. Dans un tel contexte, toute commission d’enquête, tout travail de contrôle de l’Assemblée nationale sont les bienvenus.

Si la mission d’information a sans doute été utile, nous a-t-elle appris davantage que les journaux ou les chaînes d’information en continu ? Je ne le crois pas à vrai dire et, comme un certain nombre d’entre vous, je m’en désole.

Je soutiens donc évidemment la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête qui pourrait, si elle devait être formée, conclure à l’absence de dysfonctionnements. Rien ne permet en effet de préjuger de ses conclusions – sachant que la majorité y serait majoritaire.

Nous avions déjà pu éprouver votre défiance à l’égard des commissions d’enquête au moment de l’affaire Benalla, ou lorsque le groupe Socialistes et apparentés a demandé la constitution d’une commission d’enquête sur l’étude d’impact – la grande affaire ! – annexée au projet de loi instituant un système universel de retraite.

L’intervention de Mme Iborra m’a inquiété : la commission d’enquête d’ores et déjà prévue devra faire son travail jusqu’au bout sans que l’on cherche à l’escamoter, à la faire conclure prématurément, ou à empêcher certaines auditions, y compris de responsables politiques antérieurs, d’avoir lieu.

Cette commission d’enquête constituera une épreuve de vérité pour notre assemblée : soit elle sera efficace et mènera un véritable travail de contrôle, et le Parlement en sortira grandi, soit nous pourrons aller faire autre chose.

M. Philippe Vigier. Chaque fois que le Parlement a une occasion de créer une commission d’enquête, il doit s’en saisir. Telle a toujours été ma position, même lorsque Roselyne Bachelot était ministre de la santé et qu’il avait fallu enquêter sur les conditions de vaccination contre la grippe H1N1.

Notre groupe a donc soutenu la proposition d’Éric Ciotti au nom du groupe Les Républicains de constituer une commission d’enquête. Et nous soutenons la présente proposition de résolution. Il n’y a pas de concours de claquettes ! C’est le Parlement qui y gagnera. Le Sénat ne manquera pas d’ailleurs d’exercer ses prérogatives.

Lors des questions au Gouvernement, le Premier ministre a été très clair : il n’y a rien à cacher. Les dysfonctionnements qui pourraient apparaître au sein de certaines agences régionales de santé, en matière de sérologie ou de tests permettront de tirer des leçons pour l’avenir. Les pertes humaines ont été considérables. Nous ne sortirons pas de cette pandémie comme nous y sommes entrés : nous devons comprendre pour faire en sorte que la France soit mieux armée.

Je veux que cette commission, quelle qu’elle soit, nous permette de connaître la vérité de manière à être meilleurs à l’avenir : nous le devons à nos compatriotes. La transparence ne se fragmente pas, ne se divise pas : elle doit être totalement mise en œuvre par l’ensemble de la représentation nationale. Nous ne remplirions pas notre rôle de parlementaires en refusant cette proposition de résolution.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Tous les parlementaires ont envie de faire la lumière, cher collègue. Une commission d’enquête est déjà prévue. Il s’agit donc non pas d’entraver la création d’une commission d’enquête mais d’éviter la superposition de plusieurs commissions d’enquête car cela n’aurait aucun sens.

Mme Caroline Fiat. Le droit de tirage d’un groupe d’opposition ne devrait pas faire l’objet d’une discussion. Le mot « dysfonctionnements », qui figure dans le titre de la proposition de résolution du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ne plairait pas : or même Emmanuel Macron l’a employé !

Certes, la mission d’information présidée par Richard Ferrand a nommé un rapporteur de droite. Mais souffrez qu’il existe d’autres oppositions et qu’elles jouissent de certains droits. Pourquoi donc discutons-nous de leur droit de tirage ?

Nous avons le droit de mener une enquête comme bon nous semble et d’auditionner qui bon nous semble. Qui a oublié le désastre de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire Benalla comparée à celle du Sénat ?

Puisque tous les parlementaires souhaitent faire la lumière sur tous ces événements, je ne vois vraiment pas pourquoi vous vous opposez à cette proposition de résolution. Arrêtez de vider ou de voler nos propositions de loi et de mettre en échec nos demandes de droit de tirage. Si vous ne supportez pas d’avoir une opposition, dites-le clairement ! Dites que vous ne voulez plus d’opposition en France !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je ne peux pas laisser dire n’importe quoi : l’opposition est représentée dans toutes les commissions d’enquête et participe à toutes les auditions. 

Mme Martine Wonner. La crise sanitaire sans précédent due au covid-19 a, en quelques semaines, paralysé tout le pays et le Gouvernement a œuvré, à sa façon, pour faire face aux multiples problématiques.

La plus grande erreur serait sans doute de sortir de cette crise en faisant comme si rien ne s’était passé. Les politiques ont le devoir d’informer les citoyens et de poser les questions qui permettront d’obtenir les réponses qu’ils attendent. L’ensemble des groupes s’accorde sur ce point.

Pour en ressortir mieux préparés et grandis, il faut tirer les bons enseignements de la crise. Loin de critiquer systématiquement sa gestion par le Gouvernement, nous nous interrogeons cependant, comme tous les Français, sur de nombreux points. Le premier porte sur les masques, inutiles dans un premier temps, puis indispensables dans un second, ils sont le reflet d’une incohérence profonde. Leur cruelle pénurie a montré en outre avec brutalité la fragilité de notre autonomie en matière de santé.

Cette crise a également mis en lumière l’intolérable manque de moyens de la santé publique, comme l’importance de l’hôpital, mis sur la touche depuis plusieurs années, et celle des soignants, depuis trop longtemps malmenés. Son budget doit donc être réévalué afin de nous prémunir contre une nouvelle catastrophe. Le groupe Écologie Démocratie Solidarité sera particulièrement attentif à l’impact de la crise sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Toutes les directives, trop souvent contradictoires, ont suscité de nombreuses interrogations et les tests ont également fait grandement défaut.

Le confinement constitue par ailleurs une source d’interrogations, notamment dans ses délais. Il y a enfin le vaste problème des médicaments : comment expliquer la pénurie ayant affecté certains d’entre eux et la gestion très administrative à la fois de celle-ci et du droit de prescrire – ou non ?

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ayant demandé, dès le 8 avril, la création d’une commission d’enquête, il eût été plus respectueux de la part de la majorité de laisser aboutir cette initiative. Doter la mission d’information existante des prérogatives d’une commission d’enquête ne nous semble pas la meilleure méthode. Nous souhaitons dans tous les cas qu’une nouvelle répartition des sièges intervienne afin de respecter celle des groupes et de prendre notamment en compte la création récente de deux nouveaux groupes.

Considérant que nous devons mener un travail de fond et que la création d’une commission d’enquête constitue donc une priorité, le groupe Écologie Démocratie Solidarité soutiendra la proposition de résolution défendue par Pierre Dharréville.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. La mission d’information mise en place au début de la crise se transforme en commission d’enquête : est-il par conséquent oui ou non raisonnable et lisible d’en créer une autre sur le même sujet en parallèle ? Le groupe Agir ensemble pense que non. Cette commission accomplira en effet – je l’espère – le travail nécessaire en vue de répondre à toutes les questions qui doivent être posées et d’en tirer toutes les conclusions.

Notre groupe ne votera donc pas cette proposition de résolution. Mais je forme également le vœu que tous les groupes soient représentés au sein de la commission d’enquête.

M. le rapporteur. J’ai le sentiment qu’il n’a pas été répondu de façon satisfaisante à mes arguments en faveur de la proposition de résolution.

Madame Iborra, vos propos à mon égard m’ont paru un peu déplacés et relevant du procès d’intention. Que savez-vous de ma culture ? Notre intention véritable est en effet d’enquêter sur les dysfonctionnements et d’en tirer, comme tout le monde le souhaite, toutes les leçons. Et nous serions sans doute en désaccord sur un certain nombre de sujets.

Cher collègue Brahim Hammouche, il ne s’agit pas ici d’apporter votre soutien, ni sur la forme, ni sur le fond, mais de vérifier que les conditions de création de la commission d’enquête sont réunies.

L’ampleur des événements auxquels nous avons été confrontés mériterait plusieurs commissions d’enquête qui pourraient se partager le travail sans que leurs tâches ne se chevauchent, madame Firmin Le Bodo. Le champ d’investigation est en effet extrêmement vaste et notre proposition ne traite que de la question sanitaire.

Je remercie Boris Vallaud, Caroline Fiat, Philippe Vigier et Martine Wonner d’avoir, par leurs arguments, étayé notre proposition. Nous discutons en fait du scénario. Vous avez à juste titre rappelé, cher Bernard Perrut, que votre groupe avait déposé le 4 mars dernier une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, même s’il n’a pas pu faire usage de son droit de tirage.

Chers collègues de la majorité, il va vous falloir assumer un choix que certains auraient espéré faire en catimini. Je m’honore d’avoir provoqué ce débat, car la responsabilité de chacun va se trouver engagée et certains des éléments évoqués ce matin pourront peut-être s’avérer utiles à une commission d’enquête jouant pleinement son rôle.

Avec le sentiment d’avoir été mené en bateau pendant toute la période qui vient de s’écouler, je suis tenté de dire en conclusion : bourreau, fais ton office !

La commission, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, estime que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements dans la gestion sanitaire de la crise du covid19 ne sont pas réunies.

Puis la commission examine la proposition de loi visant à mettre en place pendant deux ans un dispositif « zéro charge » pour l’embauche de jeunes de moins de 25 ans (n° 2989).

M. Guillaume Peltier, rapporteur. Merci de m’accueillir au sein de votre commission. Cette proposition de loi entre particulièrement dans le champ des compétences de la commission des affaires sociales en matière de travail, d’emploi et de cotisations.

Nous sommes confrontés à une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent et nous découvrons chaque jour des chiffres terribles. Nous sommes en pleine récession : 8 points de la richesse nationale perdus, soit pire qu’en 1870 et en 1914 ! En 1944, seulement ce fut plus tragique, avec 15 points de moins.

Au mois d’avril, le chômage a ainsi augmenté de 23 %, soit 843 000 Français de plus laissés au bord du chemin. Chez les jeunes, la hausse a été de 29 %, touchant 150 000 d’entre eux, évolution d’autant plus terrible qu’ils étaient déjà très touchés par ce phénomène, avec un taux de chômage avant la crise de 20 %, contre environ 8,5 % pour l’ensemble de la population active, et que près de 2 millions supplémentaires vont arriver sur le marché du travail au cours des trois prochaines années.

Une génération de 700 000 jeunes, tous diplômes confondus, dont près de 200 000 issus des lycées professionnels, s’interroge sur son premier emploi, sur son entrée dans la vie active.

Nous, députés de la nation, sommes donc incontestablement face à une génération qui, si nous ne faisons rien, sera sacrifiée. Au-delà des chiffres, nous rencontrons chaque jour dans nos permanences des visages, des parcours et des détresses. Je pense à en cet instant à Kevin, l’étudiant, à Farida, la programmatrice en alternance, à Cédric, qui finit son certificat d’aptitude professionnelle de conducteur d’engins, à Charlotte, l’apprentie qui, comme tous les jeunes Français que Salomé Berlioux et Erkki Maillard ont particulièrement bien dépeints dans l’excellent livre Les Invisibles de la République, s’inquiètent. Près de 60 % des moins de 25 ans vivent non pas dans des métropoles mais dans les territoires oubliés, au sein de la France rurale et périurbaine, où ils sont trop souvent assignés à résidence.

Au-delà des tendances politiques et du fait que cette proposition de loi est présentée par le groupe Les Républicains, nous devons donc avoir l’audace d’agir vite, sans quoi nous nous exposerions à trois risques majeurs, d’ordre économique, social et politique.

Risque économique tout d’abord : les entreprises pourraient demain ne pas avoir les moyens d’embaucher les jeunes talents dont elles ont pourtant besoin pour se développer.

Risque social ensuite : la France pourrait gâcher tous les moyens investis collectivement dans l’éducation de notre jeunesse, accroître les inégalités entre surqualifiés et non diplômés et rompre ainsi le contrat tacite entre les jeunes et la société.

Risque politique enfin : ne faisons pas en sorte d’être accusés, après-demain, de non-assistance à jeunesse en danger. La défiance ne cesse en effet de grandir dans notre pays à l’égard de l’action publique et des responsables politiques. Or notre jeunesse, éprise d’idéal, attend des actes forts, simples et concrets. Sur cette question centrale, moins encore que sur d’autres, nous n’avons le droit de nous payer de mots.

La proposition de loi vise donc à exonérer de cotisations toute embauche d’un jeune de moins de 25 ans au sein d’une entreprise, d’une association, d’une collectivité entre le 15 juin 2020 et le15 juin 2022. Elle se veut ambitieuse et juste. Il ne s’agit pas en effet d’un contrat au rabais puisque l’exonération en question serait conditionnée à la conclusion d’un contrat à durée indéterminée (CDI), à la transformation d’un CDD en CDI ou à la conclusion CDD d’une durée minimale de six mois. À rebours des dispositifs mis en place ces dix dernières années, la condition d’une embauche pérenne nous semble indispensable pour incarner l’idéal de justice sociale auxquels nous sommes très attachés.

La proposition de loi est crédible : depuis douze ans, d’abord à la suite de la crise financière de 2008, puis à nouveau en 2012, et enfin dans de nombreux territoires grâce au dispositif « zéro chômeur de longue durée », les politiques de l’emploi actives ont en effet montré leur supériorité sur les politiques passives.

Je renvoie ceux qui en douteraient à la très intéressante étude Alléger le coût du travail pour augmenter l’emploi : les clefs de la réussite, publiée par les économistes Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, qui montre qu’une baisse de 1 % du coût du travail peut entraîner un accroissement de 2 % de l’emploi.

Notre objectif, compte tenu des succès obtenus en 2008, 2010 et 2012, est de permettre à un grand nombre de jeunes – entre 50 000 et 100 000 – de trouver un emploi, pour un coût de 200 à 400 millions d’euros. Prenons le cas d’un jeune Français embauché à 1 500 euros nets, soit 1,2 SMIC – 75% des jeunes de moins de 25 ans percevant, au maximum, cette rémunération à l’embauche, ce qui est, notons-le, très insuffisant. À ce niveau de salaire, le coût cumulé des cotisations patronales et salariales atteint le chiffre substantiel de 7 000 euros. À 1 800 euros nets, soit 1,5 SMIC, le gain direct pour l’employeur serait de 693 euros par mois, soit 8 500 euros par an, et, si l’on accomplissait également un effort en direction des cotisations salariales, le jeune percevrait 261 euros nets mensuels supplémentaires. De fait, contrairement à ce qu’on entend souvent, les cotisations sociales ne sont pas nulles à 1,2 ou 1,5 SMIC. Pour avoir été chef d’entreprise pendant huit ans, je peux vous assurer que 8 500 euros représentent une somme substantielle, surtout dans une période de tension sur les trésoreries.

Cette proposition de loi ne prétend pas résoudre toutes les difficultés liées à l’emploi, ni être la réponse absolue, unique et ultime à la désespérance de notre jeunesse. Elle est perfectible. Toutefois, elle offre une réponse extrêmement claire, lisible, simple et forte, d’application immédiate – puisqu’elle prendrait effet au 15 juin – pour les 700 000 jeunes qui sont en train d’achever leur période de qualification et qui vont entrer sur le marché du travail, ainsi que pour les entrepreneurs. On sait que 50 000 apprentis devraient être licenciés d’ici au 1er septembre, compte tenu des immenses inquiétudes des entrepreneurs, des artisans et des commerçants. Il y a urgence à agir ; n’attendons pas septembre. Nous devons, au-delà de nos sensibilités partisanes, adresser, au nom de l’Assemblée nationale tout entière, un message très fort et une réponse très concrète à notre jeunesse. Oui, nous sommes du côté de l’emploi et du travail, nous avons entendu l’inquiétude et la souffrance des jeunes, et nous leur apportons une réponse d’ampleur, qui a déjà fait ses preuves il y a douze ans, lors de la crise bancaire.

Si les primes, les allocations, les contrats au rabais, évoqués par certains, peuvent parfois se révéler légitimes, ne cultivons pas pour autant l’esprit de défaite. Qui peut prétendre qu’on grandit sans travail, sans effort, sans abnégation ? Qui peut grandir aujourd’hui en France avec, pour seul horizon, les minima sociaux, le revenu de solidarité active et les allocations chômage ? Nous devons arborer un esprit de conquête. La jeunesse, dans les principes de notre patrie, n’est pas un prolongement indéfini de l’enfance, mais la conquête de l’autonomie, de la dignité, dans l’égalité des chances. Les jeunes doivent pouvoir réaliser leurs rêves d’ascension sociale. Notre responsabilité, ce n’est pas de leur permettre de rester jeunes le plus longtemps possible, mais de leur offrir la possibilité de devenir des adultes pour, un jour, accomplir leurs rêves d’enfant.

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Les jeunes, quel que soit leur niveau de formation, sont les premiers affectés lorsque survient une crise économique. De fait, la rentrée de septembre sera difficile pour les 700 000 jeunes diplômés. Les jeunes peu ou pas qualifiés, déjà confrontés aux difficultés d’insertion professionnelle et au chômage, affronteront une situation encore plus ardue. Les petites et moyennes entreprises, davantage centrées sur leur survie que sur le renouvellement des compétences, seront également à la peine.

Votre proposition reprend un dispositif de soutien appliqué après la crise de 2008 aux très petites entreprises, qu’elle étend non seulement à toutes les entreprises, mais aussi à tous les jeunes diplômés de moins de 25 ans. Cette mesure risque de ne pas avoir l’efficacité attendue, du fait des politiques de baisse du coût du travail appliquées depuis 2014, qui ont permis de réduire considérablement les charges sur les rémunérations inférieures à 2,5 SMIC et, en particulier, sur celles en deçà de 1,6 SMIC. L’exonération que vous proposez sera vraisemblablement plus coûteuse, tant du point de vue de la dépense globale que du coût par emploi créé. Par ailleurs, elle profiterait aux plus diplômés, qui rencontrent souvent moins de difficultés. Votre proposition pourrait aussi engendrer un effet d’aubaine notable pour les employeurs qui embauchent des jeunes salariés qualifiés.

Comme vous, le Gouvernement et la majorité font de l’emploi des jeunes la priorité nationale. L’exécutif annoncera dans les prochains jours des mesures de soutien à l’apprentissage. Après une année 2019 record, 2020 aurait dû être une année exceptionnelle, grâce à une nouvelle augmentation du nombre d’apprentis et à l’ouverture de centres de formation d’apprentis dans les entreprises. Une concertation préalable à l’élaboration d’un plan de soutien à l’emploi sera lancée ce mois-ci avec les partenaires sociaux. Des propositions alternatives concrètes sont à l’étude, comme une aide forfaitaire à l’embauche, ciblée sur des jeunes peu diplômés – jusqu’à bac + 2 –, et pour les entreprises de moins de 250 salariés, qui ont les difficultés de trésorerie les plus prononcées. Nous faisons le choix d’une politique plus générale d’accompagnement des jeunes. Je suivrai personnellement la question du chômage des jeunes en ma qualité de vice-présidente de l’Union nationale des missions locales et d’élue en charge de la jeunesse depuis dix ans. Nous faisons confiance au dialogue social et souhaitons donc que les mesures prises en faveur de l’embauche soient discutées avec les partenaires sociaux.

Pour toutes ces raisons, le groupe La République en Marche votera contre la proposition de loi.

M. Bernard Perrut. D’ici à la fin de l’année, la France devra affronter la vague destructrice du chômage et des faillites. La rentrée de septembre sera d’une gravité inédite sur le plan du chômage, en particulier pour les jeunes. Il faut éviter qu’une génération soit sacrifiée, en prenant des mesures incitatives et spécifiques ; on sait que 700 000 jeunes, qui terminent cette année leur formation initiale, risquent de se trouver sans emploi, compte tenu de l’augmentation des défaillances d’entreprises et du gel des embauches. Cette proposition de loi est donc essentielle, qui vise à instituer un dispositif tremplin pour tous les jeunes qui terminent leurs études et entrent sur le marché du travail. Elle prévoit en effet une exonération totale de cotisations sociales patronales pour les entreprises qui s’engagent à conclure un CDI ou un CDD d’une durée minimale de six mois.

Notre groupe soutient ce texte volontariste. Je vous rappelle qu’un dispositif de même nature, appliqué en 2008, avait été couronné de succès. Pourriez-vous nous indiquer en quoi votre proposition diffère de ce dernier ?

Il pourrait être envisagé que les cotisations salariales des jeunes diplômés embauchés en entreprise soient prises en charge, au cours des six premiers mois, par l’État.

Compte tenu de l’importance de l’apprentissage pour l’emploi et le pouvoir d’achat des jeunes, que pensez-vous de la proposition d’extension du « zéro charge » aux entreprises qui embauchent des apprentis ? Par ailleurs, estimez-vous souhaitable d’inciter les entreprises à ouvrir leurs propres écoles de formation par le versement direct d’aides de l’État ? Enfin, pensez-vous que la régionalisation de l’apprentissage – débat récurrent qui mérite d’être poursuivi – serait favorable à l’essor de ce dernier et à l’insertion des jeunes dans le monde du travail ?

Mme Nathalie Elimas. Nous examinons cette proposition de loi dans un contexte de forte tension sur le marché du travail. Depuis avril, le nombre de demandeurs d’emploi a connu la hausse la plus forte jamais enregistrée. Si elle touche toutes les tranches d’âge, cette évolution frappe d’abord les moins de 25 ans : au sein de cette catégorie, le nombre de chômeurs s’accroît de près de 30 %. Ces chiffres très inquiétants ne sont pas dus à une vague de licenciements mais à un blocage des embauches et des renouvellements de contrats courts, consécutif à la contraction massive de l’activité économique.

Pour y répondre, le texte nous propose d’instaurer un mécanisme d’exonération de charges patronales, afin d’inciter les entreprises à embaucher les jeunes. Si, de prime abord, cette initiative semble pertinente, elle comporte toutefois de nombreux biais. En premier lieu, une étude d’impact aurait permis de rapporter les coûts aux bénéfices de la mesure ; n’en disposant pas, il nous est difficile de nous prononcer. En deuxième lieu, le périmètre de l’exonération – qui s’étend jusqu’à 4,5 SMIC – nous semble dénué de sens. En effet, quel jeune de moins de 25 ans signe aujourd’hui un contrat à plus de 5 000 euros par mois ? Nous serions ravis que cela se pratique mais, en tout état de cause, il ne nous paraîtrait pas pertinent d’exonérer de charges une entreprise capable de verser une telle rémunération. En troisième lieu, si le recours à ce type d’exonérations a constitué le principal outil pour répondre à la crise de 2009, celle que nous connaissons aujourd’hui ne présente pas du tout les mêmes caractéristiques et n’appelle donc pas l’application des mêmes recettes.

Afin de répondre aux préoccupations soulevées par le texte, le Président de la République doit présenter demain un plan d’envergure visant à pérenniser les excellents résultats obtenus depuis deux ans en matière d’apprentissage. Dans le même temps, une série de concertations avec les partenaires sociaux doit s’engager pour définir les moyens les plus adaptés à la relance de la dynamique des embauches.

Si nous saluons l’objectif poursuivi, il nous semble opportun d’attendre les annonces et de laisser le temps à ces processus d’aboutir.

M. Boris Vallaud. Chacun a conscience de la situation particulière des jeunes Français se présentant sur le marché du travail. Il y a un peu plus d’un an a été supprimé le dispositif d’aide à la recherche du premier emploi (ARPE), qui assurait un soutien financier pendant une durée maximale de quatre mois. De manière symétrique à l’accès au marché du travail se pose la question du financement de la protection sociale. Une partie de la dette, qui aurait dû rester à la charge de l’État, a été transférée à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), ce qui a réduit d’autant les marges de manœuvre de la protection sociale. Or, des financements supplémentaires vont se révéler nécessaires, en particulier pour l’hôpital et la prise en charge de la perte d’autonomie. L’exonération de cotisations proposée ne paraît donc pas la meilleure réponse pour inciter à l’embauche des jeunes. De surcroît, la mesure est soumise à un plafond de 4,5 SMIC et ne cible pas de secteurs ou de publics spécifiques. Il est donc difficile de la soutenir.

M. Philippe Vigier. Nous avons tous conscience de notre responsabilité en matière de chômage des jeunes. Le chiffre de 850 000 chômeurs supplémentaires au mois d’avril, dans un contexte marqué par de nombreux freins à l’embauche, donne le vertige. On ne peut que déplorer la casse sociale considérable qui va survenir dans les prochaines semaines. Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit que les jeunes n’ont pas bénéficié de la très forte baisse du chômage que connaît la France depuis trois ans.

Si la proposition de loi a le mérite de mettre les problèmes sur la table, son application pourrait se traduire par plusieurs effets d’aubaine. Premièrement, le plafond de 4,5 SMIC paraît excessif. Deuxièmement, je préférerais que la condition de durée du CDD soit supérieure à six mois. La discussion pourrait nous permettre d’avancer sur ce point. Enfin, les organisations patronales nous ont alertés sur le drame qui va frapper le secteur de l’apprentissage et de l’alternance. Quand on s’occupe d’une mission locale, on sait ce que cela signifie. Il faut donc instituer un dispositif puissant en faveur de l’emploi des jeunes, comme on l’a fait, dans d’autres domaines, depuis le début de la crise. On ne peut se contenter de mesures édulcorées d’accompagnement. Il faut frapper très fort. Les signes de confiance qu’une société adresse à sa jeunesse sont en effet essentiels. Un jeune de 23 ou 24 ans qui s’engage sur le chemin difficile de la recherche d’emploi est aussi en quête de dignité.

La proposition de loi mérite d’être considérée, sous réserve des problèmes que j’ai mentionnés. On a connu les emplois jeunes et les emplois francs, qui étaient soutenus par des majorités différentes. Nous devons tous apporter une réponse circonstanciée à ces difficultés. Nous avons une responsabilité à assumer face à la casse sévère qui nous attend.

Mme Caroline Fiat. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de nous permettre de débattre de la situation plus que préoccupante des jeunes, qui n’ont d’autre aide que les revenus du travail. Toutefois, la solution que vous proposez ne me plaît guère. Gérald Darmanin rappelait hier que le déficit de la sécurité sociale allait atteindre 52 milliards. Faut-il vider encore plus les caisses en réduisant les cotisations – et non, comme on le dit à tort, les charges – sociales ? On peut d’autant moins accepter votre proposition qu’elle s’appliquerait jusqu’à 4,5 SMIC. En revanche, nous nous accordons sur le fait qu’il faut trouver des solutions pour permettre aux jeunes de trouver un emploi.

M. Guillaume Chiche. Monsieur le rapporteur, vous mettez en lumière le sujet essentiel de la lutte contre le chômage des jeunes de moins de 25 ans. L’exonération des charges sur les bas revenus existe déjà : le dispositif « zéro cotisation URSSAF » réduit significativement les cotisations patronales jusqu’à 2,5 SMIC. Les très petites entreprises, petites et moyennes entreprises et les entreprises des secteurs à bas salaires en bénéficient au premier chef. Votre proposition, qui vise à exonérer de cotisations patronales jusqu’à 4,5 SMIC, soit 6 939 euros bruts par mois, nous éloigne de l’expérience vécue par les jeunes de moins de 25 ans exposés au chômage. Vous évoquiez les territoires ruraux. Dans la première circonscription des Deux-Sèvres, où j’ai été élu, bien rares sont les jeunes, notamment les apprentis, à être recrutés à ce niveau de salaire – peut-être cela existe-t-il ailleurs... Il est essentiel que les employeurs financent, par leurs cotisations, la sécurité sociale des salariés. Nous sortons d’une crise sanitaire qui a mis en exergue la nécessité d’un grand plan d’investissement pour nos hôpitaux, la revalorisation des personnels de santé, avant d’éventuelles réformes d’ampleur concernant la dépendance, le sort de nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Nous avons besoin de financements robustes reposant sur les cotisations des entreprises au profit de la sécurité sociale. Alors que nous allons débattre de l’imputation des dettes dues au coronavirus à la CADES, il serait dangereux pour notre système de sécurité sociale d’adopter votre proposition de loi, à laquelle nous nous opposerons.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Le chômage des jeunes, qui paient le plus lourd tribut aux crises, est un problème récurrent. Nous devons lui apporter des solutions, étant rappelé que 700 000 jeunes arriveront sur le marché du travail en septembre. Votre proposition de loi apporte une réponse partielle. La question est de savoir s’il faut accompagner toutes les entreprises. Nous sommes assez unanimes pour estimer que le plafond de 4,5 SMIC n’est pas raisonnable. On mesure, à l’examen d’une proposition comme la vôtre, l’intérêt de l’étude d’impact. Par ailleurs, l’avantage que vous proposez pourrait être conditionné à l’embauche en CDI. En effet, il faut accompagner les jeunes vers l’embauche ou le retour à l’emploi sans créer d’effet d’aubaine. Si nous nous accordons sur l’objectif, nous attendons des avancées avant de pouvoir envisager un vote favorable.

M. Pierre Dharréville. La situation des jeunes, notamment de ceux qui cherchent un premier emploi, suscitait déjà, avant la crise, une vive inquiétude. C’est un sujet sur lequel nous avons tous envie d’agir. Cela étant, la proposition qui nous est présentée pose un certain nombre de problèmes. D’abord, nous ne sommes pas favorables à l’idée de manier à tour de bras le levier de l’exonération de cotisations, comme cela a beaucoup été fait ces derniers temps – d’autant plus que, l’année dernière, une partie des pertes de recettes n’a pas été compensée. Ensuite se pose le problème de l’ouverture des droits : lorsqu’on entre dans l’emploi, on doit pouvoir bénéficier de tous les droits attachés au travail salarié. Par ailleurs – c’est l’argument principal –, cette mesure entraînerait l’assèchement des recettes de la sécurité sociale, alors qu’on a un besoin criant de ressources pour garantir l’exercice des droits, notamment le droit à la santé. Enfin, les effets d’aubaine potentiels sautent aux yeux, même si leur ampleur serait limitée par l’abaissement considérable des cotisations déjà intervenu. On ne peut pas encourager des acteurs à profiter d’aides publiques sans répondre réellement au problème posé.

Il faut inscrire l’action en faveur de l’emploi des jeunes dans le cadre d’une politique globale de l’emploi. Il convient de revenir sur la suppression de l’ARPE. Par ailleurs, il faut remédier à la précarisation galopante de notre jeunesse, qui ne doit pas subir ce mal plus encore que la génération précédente. Il faut répondre aux nouveaux besoins qui s’expriment en matière d’emploi et élaborer, avec les organisations de jeunesse, des réponses qui correspondent aux aspirations.

Enfin, il a été fait état de l’intervention du Président de la République. J’ai l’impression que, sur tous les sujets, le Président livre la feuille de route, fait des annonces que nous n’aurions qu’à suivre. C’est une conception des institutions assez problématique.

Pour toutes les raisons indiquées, nous ne soutiendrons pas la proposition de loi.

Mme Fiona Lazaar. Si nous ne faisons rien, la jeunesse risque de faire partie des premières victimes du cataclysme économique et social. Nous devons donc élaborer des mesures fortes, en nous assignant comme priorité l’emploi car 700 000 jeunes arriveront en effet sur le marché du travail en septembre. Si cette proposition de loi soulève de vraies difficultés, elle constitue aussi, en quelque sorte, le copier-coller d’un mécanisme créé sous Nicolas Sarkozy, dans le contexte très différent de la crise de 2008. Depuis lors, le coût du travail a largement baissé grâce, notamment, à l’action que la majorité a engagée, depuis 2017, pour soutenir l’activité. Il faudra certainement actionner le levier fiscal, mais il devra être accompagné de mesures de lutte contre le décrochage scolaire, d’actions – qui seront prochainement appliquées – en faveur de la formation et de l’apprentissage, et de dispositifs de protection des jeunes les plus vulnérables. Il faut faire preuve de réalisme, sans aucun esprit de défaite. La défaite consisterait à se contenter de belles recettes éprouvées, de slogans. La réalité est que 26 % des jeunes de moins de 30 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Il va falloir miser sur ces jeunes exclus et leur assurer l’accès à l’autonomie que vous évoquiez, monsieur le rapporteur. Il faudra prendre des mesures allant au-delà de la simple baisse du coût du travail. C’est l’objet du plan de relance qui doit être élaboré et présenté d’ici à la rentrée, après consultation des partenaires sociaux.

M. Dominique Da Silva. L’objectif de réduction du chômage des jeunes, que nous partageons, monsieur le rapporteur, ne doit pas être poursuivi au détriment de l’emploi d’autres classes d’âge. Les seniors – c’est-à-dire, les personnes âgées de 50 ans et plus –, doivent bien souvent venir en aide à leurs enfants avant qu’ils occupent leur premier emploi. Or, parmi les chômeurs inscrits à Pôle emploi, en avril, en catégorie A – autrement dit, ceux n’ayant aucune activité –, on compte deux fois plus de personnes âgées de 50 ans et plus que de jeunes de moins de 25 ans. L’exonération que vous proposez jusqu’à 4,5 SMIC, c’est-à-dire plus de 5 000 euros nets, conduirait les employeurs à ne plus embaucher de seniors hautement qualifiés, voire à les licencier. Cette proposition me semble donc contreproductive.

M. le rapporteur. La proposition de loi est évidemment perfectible. Je suis tout à fait ouvert à un abaissement du plafond de la rémunération. J’ai choisi le niveau de 4,5 SMIC en hommage, pour ainsi dire, à la majorité parlementaire, puisque le Gouvernement avait retenu ce plafond pour l’octroi du chômage partiel. Il est cocasse de voir que vous refusez, au sujet de l’emploi des jeunes, ce que vous approuvez au titre du chômage partiel.

Bien sûr, la jeunesse est en difficulté. Nous savons tous que 75 % de nos jeunes gagnent moins de 1 500 euros. Dans un premier temps, nous avons voulu ouvrir le débat en reprenant votre idée d’un seuil à 4,5 fois le SMIC, sans établir de différence au sein de notre jeunesse.

Si vous en êtes d’accord, et afin d’adopter cette proposition de loi, je suis disposé à déposer un amendement en séance visant à abaisser ce seuil. Encore faut-il que nous débattions afin d’en déterminer un nouveau. Si nous choisissons 1,5 ou 2 fois le SMIC, que répondrons-nous à ceux qui gagnent 1,6 ou 2,1 fois le SMIC ? Je suis ouvert à la discussion, mais le plus raisonnable serait un seuil de 2 fois le SMIC.

Je partage la philosophie qu’a exprimée Philippe Vigier s’agissant à la fois des seuils et des contreparties. Nous devons absolument éviter les effets d’aubaine, et tout faire pour aboutir à un CDI. La proposition de loi évoque d’ailleurs l’idée qu’un CDD transformé en CDI ouvre droit au dispositif.

Compte tenu de la violence de la crise, nous avons voulu élargir le dispositif à la conclusion d’un CDD d’au moins six mois, soit six fois plus que le dispositif antérieur. Dans cette période de grande difficulté, un CDD de six mois est préférable à pas de travail du tout. Je reste toutefois ouvert à l’idée de réserver le dispositif aux seuls CDI.

Pour ce qui concerne les études d’impact, j’aurais souhaité pouvoir étudier les incidences d’une telle proposition de loi en quelques heures ou quelques jours mais, contrairement au Premier ministre, je ne dispose pas d’une administration à mon service.

En revanche, vous l’avez dit, nous nous sommes appuyés sur des dispositifs antérieurs similaires, qui ont fait leurs preuves. Entre 2008 et 2010, la crise n’était certes pas de même nature, mais la jeunesse a également été confrontée à des difficultés d’embauche et d’emploi. La proposition qu’a défendue le Gouvernement en 2008 présentait deux différences avec le dispositif proposé, puisqu’elle ne concernait que les petites entreprises et considérait comme une embauche la conclusion d’un CDD d’au moins un mois. Nous n’avons pas voulu établir de distinction entre les entreprises. Quant au CDD, nous l’avons porté à au moins six mois.

Plus largement, nous sommes très ouverts à un élargissement du dispositif aux apprentis – si l’on en croit les chiffres parus cette semaine, 50 000 d’entre eux risquent d’être licenciés d’ici à septembre. Nous sommes favorables aux écoles de formation ainsi qu’à une rerégionalisation de l’apprentissage. La nationalisation de l’apprentissage avait entraîné de nombreux débats. Les bons chiffres obtenus dans ce domaine sont essentiellement dus aux travaux remarquables des territoires et des collectivités au cours des dernières années.

À ce titre, nous attendons avec beaucoup d’impatience le discours qu’Emmanuel Macron tiendra demain. Nous restons cependant vigilants car le Président de la République nous a habitués à de bons discours, oubliant qu’un discours ne fait pas une réforme. La parole publique a besoin d’actes concrets. Depuis trois ans, nous entendons de nombreuses propositions qui, hélas, ne voient pas le jour.

La présente proposition de loi ne suffira certes pas à répondre à l’ensemble des problèmes que soulève la situation actuelle. Elle a toutefois l’avantage d’être concrète, simple, immédiatement applicable. Parce qu’elle a fait ses preuves dans le passé, elle est une réponse forte à tous les entrepreneurs, les artisans et les commerçants, qui nous interrogent sur le poids des charges.

À cet égard, contrairement à certains, je considère que, pour un salaire de 1,2 SMIC, 7 000 euros de cotisations ne sont pas négligeables. Leur exonération donnerait à nombre de nos entrepreneurs une volonté supplémentaire d’embaucher. Pour un salaire mensuel de 1,5 SMIC, les cotisations patronales sont de 693 euros, et les cotisations salariales de 261 euros. Une exonération ferait une grande différence pour un entrepreneur, un artisan, un commerçant. 700 euros par mois – 8 500 euros par an –, cela n’est pas rien. De même, pour un jeune salarié, toucher 260 euros nets chaque mois est très significatif.

Même si des efforts ont été faits, ne disons pas qu’aucune cotisation ne pèse sur les salaires entre 1,2 et 1,5 SMIC. Cela n’est pas vrai car les montants cités sont élevés.

Quant au sujet crucial du financement de la sécurité sociale, nous avons en effet besoin de financer le modèle social français, qui sera pérennisé si davantage de jeunes sont au travail qu’au chômage. L’exonération de cotisations vaut donc la peine, d’abord parce que la collectivité souffre moins si la jeunesse travaille.

Ensuite, comme le prévoit une autre proposition de loi, nous avons un immense combat à mener contre les fraudes fiscale et sociale. Il est anormal que, chaque année, près de 100 milliards d’euros échappent à nos compatriotes, à nos finances publiques et à l’équilibre de nos comptes sociaux car, tout en haut ou tout en bas de l’échelle, certains abusent. Outre les fraudes fiscales qui s’élèvent à environ 60 milliards par an, selon Pascal Brindeau, rapporteur de la commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, le montant annuel de ces fraudes aux allocations atteint 15 à 45 milliards.

Plutôt que de faire peser le financement de notre modèle social sur les salariés français, qui n’en peuvent plus de percevoir des salaires aussi misérables, ainsi que sur nos entrepreneurs, nos artisans et nos commerçants, asphyxiés de charges, de taxes et d’impôts, finançons-le demain en étant plus fermes et intraitables à l’égard de ceux qui, tout en haut et tout en bas, abusent et contournent les règles du système. Nous ferions collectivement œuvre utile.

Cet argument n’est donc pas recevable. Nous devons adresser un message fort à nos apprentis, à nos alternants, à nos étudiants, à notre jeunesse par une proposition concrète, ici et maintenant, non à l’automne.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Exonération de cotisations sociales pour les jeunes de moins de 25 ans

La commission rejette l’article 1er.

Article 2 : Gage financier

La commission rejette l’article 2.

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejeté, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

 

La réunion s’achève à 11 heures 15.

 

 

 


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Informations relatives à la commission

   

   

  La commission des affaires sociales a désigné :

   M. Guillaume Peltier rapporteur sur la proposition de loi visant à mettre en place pendant deux ans un dispositif « zéro charge » pour l’embauche de jeunes de moins de 25 ans (n°°2989) ;

   M. Alain Bruneel sur la proposition de loi en faveur d’une loi de programmation pour l’hôpital public et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (n° 3004) ;

   M. Gabriel Serville sur la proposition de loi visant l’instauration d’une garantie salaire-formation au service de la transition écologique et sociale de l’économie (n° 3007).


Présences en réunion

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 9 heures 30

Présents. - M. Belkhir Belhaddad, M. Christophe Blanchet, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Dominique Da Silva, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Véronique Hammerer, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, Mme Caroline Janvier, Mme Fiona Lazaar, Mme Charlotte Lecocq, M. Thomas Mesnier, M. Guillaume Peltier, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, Mme Claire Pitollat, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier

Excusés. - Mme Justine Benin, Mme Jeanine Dubié, M. Gilles Lurton, M. Patrick Mignola, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, Mme Laurence Vanceunebrock, M. Stéphane Viry

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Dharréville, Mme Martine Wonner