Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi, rejetée par le Sénat, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (n° 967) (M. André Chassaigne, rapporteur)               2

  – Examen de la proposition de loi de M. Alain Bruneel en faveur d’une loi de programmation pour l’hôpital public et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (n° 3004) (M. Alain Bruneel, rapporteur))              14

   Information relative à la commission.......................23

  – Présences en réunion.................................24

 

 


Mercredi
10 juin 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 44

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 10 juin 2020

La séance est ouverte à neuf heures trente

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La commission examine, en deuxième lecture, la proposition de loi, rejetée par le Sénat, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer (n° 967) (M. André Chassaigne, rapporteur)

M. André Chassaigne, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission, quarante mois après l’adoption à l’unanimité de cette proposition de loi, à la fin de la législature précédente. Le constat dressé en 2017 n’a pas changé : un chef d’exploitation à carrière complète vit sous le seuil de pauvreté et ne peut pas prétendre à une retraite supérieure à l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Je ne reviens pas non plus sur la navette parlementaire mouvementée, qui contraste avec l’exceptionnel soutien de tous les groupes.

L’examen en deuxième lecture nous donne l’occasion de concrétiser enfin la promesse faite aux retraités agricoles, celle d’une retraite décente, comme reconnaissance de la nation adressée aux agriculteurs ayant consacré leur vie à nourrir le pays et à préserver nos territoires ruraux. La crise que nous venons de traverser a d’ailleurs rappelé l’engagement quotidien et sans relâche des travailleurs de la terre. C’est la promesse également d’une égalité territoriale et sociale, en direction de nos compatriotes agricoles ultramarins trop souvent oubliés et qui ne bénéficient toujours pas, en Guadeloupe et à La Réunion, d’une retraite complémentaire.

Pour concrétiser ces engagements, j’ai choisi de renouer avec la démarche retenue en 2017, la seule à même de construire l’unanimité au sein de notre assemblée. Il s’agit d’abord d’une démarche d’ouverture, associant tous les députés intéressés par les retraites agricoles à mes travaux. La présence de nombreux parlementaires issus de plusieurs groupes lors des auditions traduit bien la force d’un engagement qui relève d’une conviction profonde bien davantage que d’un accord de façade. Le fils d’ouvrier que je suis a souvent été ému par vos témoignages.

Il s’agit également d’une démarche de concertation, en nourrissant un dialogue continu avec l’Association nationale des retraités agricoles de France (ANRAF), les organisations représentatives du monde agricole et les caisses de retraites concernées. Je remercie, à ce titre, la Mutualité sociale agricole (MSA) et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) pour leur réactivité dans ces temps compliqués, notamment après la découverte d’un amendement que je n’attendais pas. Il s’agit enfin d’une démarche de responsabilité, en prévoyant des mesures de financement, tout en laissant au Gouvernement la possibilité de lever le gage, s’il estime que d’autres ressources seraient plus adaptées.

Si la démarche est identique, le contexte a en revanche substantiellement changé depuis 2017. Nous devons porter une attention renforcée aux conjoints des chefs d’exploitation, ainsi qu’aux aides familiaux. L’application combinée de l’article 40 de la Constitution et de la règle de l’entonnoir en deuxième lecture ne m’a pas permis d’introduire cette extension aux conjoints par un amendement. Mais nos débats seront l’occasion, je l’espère, de prendre des engagements clairs à l’égard de ces ouvriers agricoles trop longtemps oubliés par notre droit. Ils permettront également d’aborder l’épineuse question de l’écrêtement.

Notre assemblée est le lieu de la confrontation d’analyses dans le respect mutuel, mais encore doit‑on le faire de manière éclairée. Concrètement, si nous adoptons la rédaction proposée par notre collègue Damaisin, le nombre de bénéficiaires de la garantie de retraite minimale passera de 290 000 à moins de 200 000. Les conséquences défavorables de l’écrêtement avaient jusqu’ici toujours empêché son adoption, que ce soit dans la loi Touraine de 2014 ou dans le projet de loi instituant un système universel de retraite. La MSA elle-même a toujours souligné les difficultés pratiques et opérationnelles d’un tel écrêtement, qui imposerait de recalculer en permanence le montant des droits ouverts. Adopter l’écrêtement, c’est exclure plus d’un retraité sur trois de la garantie « 85 % du SMIC » et mettre fin à son universalité.

Au-delà de cet enjeu délicat, je ne peux que me réjouir de notre accord sur les autres dispositions. L’accès élargi des agriculteurs ultramarins à la retraite minimale et la possibilité pour l’État de reprendre la main en cas de carence des partenaires sociaux pour étendre l’AGIRC-ARRCO à tous les salariés agricoles ultramarins sont des avancées réelles, qui concrétisent l’engagement continu de notre collègue Huguette Bello.

La revalorisation des retraites agricoles et la poursuite du progrès social ne s’achèveront toutefois pas avec cette proposition de loi. Nous ne prétendons pas régler en une discussion l’ensemble des difficultés : les retraites des agricultrices, qui restent les parents pauvres de notre assurance vieillesse ; l’insuffisante indexation des pensions versées, qui conduit à un décrochage du niveau de vie.

René Char nous avait porté chance en 2017, quand l’impossible nous servait de lanterne. Je m’en remets une fois de plus à la magie de sa poésie, en partageant avec vous son invitation lumineuse : « Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. » N’ayons pas le souffle court, rendons enfin aux paysans de France la lumière qu’ils méritent, et faisons‑le en gardant à l’esprit une autre des fulgurances du poète : « L’inaccompli bourdonne d’essentiel. »

M. Olivier Damaisin. Le groupe La République en Marche connaît bien les difficultés que vous avez relevées. Il est à l’écoute du monde agricole, comme il l’a montré en proposant d’intégrer, dans le cadre du régime universel de retraite, les retraités agricoles à un système plus protecteur, avec une garantie de retraite à 85 % du SMIC, et pérenne. Il l’a également montré, dans la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, avec des mesures en faveur d’une plus juste rémunération des agriculteurs. Comme vous, nous pensons qu’il est nécessaire d’améliorer la situation des retraités agricoles. Mais vous conviendrez que votre dispositif, qui se borne à reproduire le régime actuel, est insuffisant. Nous proposerons un amendement pour corriger ses inégalités, tout en confirmant la garantie de retraite à 85 % du SMIC. Il subordonnera le bénéfice du complément de retraite agricole à la demande de l’ensemble des droits à retraite et prévoira, dans un objectif de justice sociale, un écrêtement en fonction du montant de retraite tous régimes confondus, afin d’assurer une équité entre assurés monopensionnés et polypensionnés. Nous aurons également un débat sur le financement de la mesure, votre solution n’étant pas consensuelle et ne pouvant être votée en l’état.

Notre groupe votera votre proposition, sous réserve de rendre son dispositif plus juste et d’en modifier le financement. Je suis heureux que nous puissions enfin concrétiser une ambition ancienne, qui n’est qu’une étape vers l’universalité. Je salue Lionel Causse et Nicolas Turquois, en charge d’une mission sur les petites retraites, qui pourront nous éclairer sur les moyens de poursuivre la réflexion.

M. Arnaud Viala. Pour préparer la réunion, j’ai repris mes notes d’il y a quarante mois ; malheureusement, rien n’a changé. Les exploitants agricoles et leurs conjoints à la retraite vivent le plus souvent dans une très grande précarité, avec des revenus inférieurs aux minima sociaux. Ils ne survivent que grâce à quelques à‑côtés et à une maison familiale. Alors que la crise a montré à quel point ces professions sont capitales, nous ne pouvons pas différer davantage le moment d’envoyer un signal de solidarité nationale à nos paysans retraités.

La réforme des retraites, qui est suspendue, ne traitait pas de la question du stock des retraités, mais seulement de celle du flux, ce que vient réparer la proposition de loi. Nous ne voulons pas d’un nouveau report, après l’épisode douloureux du Sénat. Nous voterons ce texte. Nous sommes défavorables au report en 2022 et au refus de traiter uniformément la question de l’augmentation de la pension minimale. Nous avons toujours une réserve sur le mode de financement ; mais le cheminement législatif avait permis de le corriger en 2017.

M. Nicolas Turquois. Je salue André Chassaigne pour sa constance et sa détermination. La proposition de loi vise à réparer deux injustices : la faiblesse des pensions de retraite versées aux agriculteurs ; la situation spécifique d’une partie des outre‑mer – j’ai découvert avec stupéfaction que les salariés agricoles de La Réunion et de Guadeloupe n’ont toujours pas de couverture complémentaire. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne peut que partager vos objectifs.

Néanmoins, des enjeux plus complexes se cachent derrière votre proposition. La faiblesse des retraites agricoles est la conséquence directe de la faible rentabilité de l’agriculture, sur laquelle la puissance publique doit davantage se pencher. Cela étant, cette rentabilité doit être appréciée en regard de la constitution d’un patrimoine professionnel substantiel. Les agriculteurs ont une retraite largement inférieure à la moyenne de nos concitoyens, mais un patrimoine significativement supérieur. Par souci d’équité, nous ne devons pas éluder cette question.

D’autre part, la revalorisation des pensions agricoles à 85 % du SMIC pose nécessairement la question de l’égalité de traitement avec les autres pensions. La réforme des retraites, à laquelle le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’est fermement opposé, visait à instaurer une retraite minimale à 85 % du SMIC pour tous, à carrière complète. Le Premier ministre nous a confié à Lionel Causse et moi‑même une mission sur les petites retraites, dont nous remettrons le rapport à la rentrée. Le groupe MoDem et apparentés soutiendra l’esprit de votre proposition de loi, qui traduit une véritable avancée pour les retraites agricoles. Avec les autres groupes de la majorité, nous défendrons un amendement précisant les modalités de mise en œuvre de cette revalorisation, pour en assurer la réalisation effective et la rendre plus juste.

M. Boris Vallaud. Je remercie le rapporteur pour sa pugnacité. Les paysans que je croise dans ma circonscription me demandent toujours où nous en sommes avec la « loi Chassaigne ». J’espère pouvoir leur annoncer une bonne nouvelle ! Les deux dernières revalorisations des retraites agricoles ont eu lieu en 2000, sous Lionel Jospin, puis en 2013, sous Jean‑Marc Ayrault. En 2017, il y avait eu unanimité dans l’hémicycle pour soutenir cette proposition de loi, à laquelle le Gouvernement a fait obstacle ensuite au Sénat. Depuis lors, nous avons déposé des amendements pour remettre cette proposition de justice sur le tapis, en vain. La condition paysanne est le fait de la rentabilité de l’agriculture. Or, s’il fallait réfléchir en termes d’utilité sociale, il nous faudrait voter la proposition sans amendement. En 2017, ni le ministre de l’agriculture, ni le rapporteur n’avaient d’ailleurs suggéré d’amendements. Je suggère qu’elle soit adoptée en l’état.

M. Thierry Benoit. Le groupe UDI soutiendra, comme en 2017, la proposition de loi. Ce débat sur les petites retraites, qui dure depuis trois législatures, vaut d’ailleurs pour un certain nombre d’artisans, de commerçants et d’indépendants. Les députés sont interpellés tous les ans par les retraités agricoles ! Saisissons l’occasion de revaloriser leurs pensions. La proposition de loi doit s’appliquer dans les meilleurs délais. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement pour appuyer la démarche d’André Chassaigne et rendre opérationnel le dispositif dès janvier 2021. Que ce soit par la porte, la fenêtre, le soupirail ou le velux, le Gouvernement doit trouver les moyens pour que les chefs d’exploitation aient accès à une retraite de 1 000 euros.

M. Adrien Quatennens. Je remercie André Chassaigne et son groupe. Ce texte, voté à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée en février 2017, puis en commission des affaires sociales au Sénat, avant d’être rejeté en séance en mars 2018, a été torpillé par le Gouvernement, qui avait déposé à la dernière minute un amendement, assorti d’une procédure de vote bloqué, repoussant la valorisation à 2020 au moins. Un enterrement de première classe !

En moyenne, un agriculteur touche 855 euros de retraite. Outre‑mer, une grande majorité des 15 000 retraités agricoles de La Réunion perçoivent seulement 320 euros. La crise économique et sociale n’épargne pas les agriculteurs : un agriculteur se suicide tous les deux jours ; près de 20 % d’entre eux ont déclaré un revenu nul voire un déficit de leur exploitation en 2017 ; plus de 20 % vivent sous le seuil de pauvreté. La population agricole décline, le nombre d’agriculteurs en activité baissant continuellement, de 1,5 à 2 % par an ; un tiers des paysans français ont plus de 50 ans ; la moitié a disparu en vingt ans ; et la moitié des agriculteurs actuels partiront à la retraite d’ici à six ans.

En mai 2018, le Gouvernement avait refusé de voter l’amendement Chassaigne visant à faire passer la retraite agricole minimale à 85 % du SMIC, au prétexte que cela devait être traité dans la réforme globale des retraites. Mais le projet de loi qui promettait 1 000 euros de retraite aux agriculteurs, alors que le seuil de pauvreté est à 1 040 euros, en concernait en réalité bien peu. Nous défendons une refonte du modèle agricole, permettant à tous de vivre décemment, face aux bouleversements climatiques : relocalisation des productions, circuits courts, prix planchers, sortie planifiée des pesticides, qui ont un coût, soit tout l’inverse de la politique du Gouvernement, qui continue de signer des accords de libre échange et de se reposer sur les mécanismes du marché. La proposition de loi doit trouver force de loi. Notre groupe la soutient absolument.

Mme Annie Chapelier. Du plus profond de mon cœur, je remercie André Chassaigne, pour sa pugnacité. La question de la revalorisation des retraites agricoles relève de la dignité nationale. Au fond, elle pose cette autre question : la retraite doit‑elle être la récompense d’une vie de travail ou de cotisations ? Je remercie également André Chassaigne d’avoir évoqué les revenus connexes prétendument substantiels issus du patrimoine, qui tiennent surtout du fantasme. La situation des retraités agricoles ultramarins est largement ignorée en métropole, d’autant que ces inégalités varient encore en fonction des territoires. Notre groupe votera le texte et espère que la semaine à venir verra l’aboutissement de la loi.

M. Paul Christophe. Plus de trois ans après son adoption par l’Assemblée nationale, la proposition de loi nous revient. Les pensions des exploitants agricoles, des conjoints et des aides familiaux sont, à durée d’activité comparable, plus faibles que celles des autres retraités, même s’il faut prendre en compte que nombre d’entre eux sont polypensionnés. Une telle situation illustre avant tout la faiblesse des revenus agricoles. Elle tient aussi à la mise en place tardive de certains éléments fondamentaux de la couverture sociale, comme le régime complémentaire obligatoire, institué seulement en 2003. La crise sanitaire démontre avec force l’importance considérable de ces professions, qui nous permettent de produire notre propre alimentation. Si elle nous a conduits à nous recentrer sur les besoins fondamentaux de notre pays, le secteur de l’agriculture y occupe sans conteste une place essentielle.

En tant que représentants de la nation, nous avons le devoir d’écouter ceux qui nourrissent nos concitoyens et de les sortir de la précarité. Lors du débat sur la réforme des retraites, nous avions déjà souligné la nécessité de revaloriser les pensions des agriculteurs, comme celles des travailleurs indépendants. Le groupe Agir ensemble est donc favorable à cette proposition de loi. Dans un objectif de justice sociale, il nous semble toutefois important de garantir l’équité entre retraités monopensionnés et polypensionnés en tenant compte du cumul éventuel de plusieurs régimes. Enfin, nous devrons prêter à l’avenir une attention particulière à la situation des conjoins collaborateurs, qui sont souvent des femmes.

M. Pierre Dharréville. Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont toujours défendu le droit à la retraite, qui a été très abîmé et qui doit être amélioré. Nous sommes convaincus que la solution ne réside pas dans un reformatage libéral. Le projet de réforme des retraites ne comprenait aucune mesure en faveur des retraités agricoles actuels. La majorité propose d’introduire un écrêtement : c’est difficile à comprendre, parce que la mesure proposée ne constitue pas un droit exorbitant et, surtout, parce que cet écrêtement ne figurait pas dans le projet de réforme du Gouvernement.

Garantir aux agriculteurs une retraite à 85 % du SMIC est une mesure de justice et de dignité : nous refusons qu’ils se retrouvent dans le dénuement après une vie de travail marquée par les aléas et les incertitudes. Il reste fort à faire pour rémunérer correctement leur travail tout au long de leur vie active mais cela n’empêche pas de prendre des mesures pour les retraités actuels. Il faut respecter la terre et celles et ceux qui nous nourrissent : tel est l’objet de cette proposition de loi, que nous défendrons avec beaucoup de cœur, en espérant qu’elle trouvera très vite une traduction concrète dans la vie de ces femmes et de ces hommes.

Mme Jeannine Dubié. On ne peut ignorer plus longtemps les difficultés que connaissent de nombreux exploitants et salariés agricoles, des hommes et des femmes isolés qui ne comptent pas leurs heures et qui ne peuvent vivre de leur travail. Les retraites agricoles sont parmi les plus faibles : elles ne dépassent pas 750 euros par mois en moyenne, contre 1 390 euros pour la moyenne nationale. Ce montant est bien en deçà du seuil de pauvreté et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.

L’argument avancé par le Gouvernement et par la majorité pour rejeter le texte au Sénat ne tient plus, puisque l’épidémie de covid-19 a suspendu la réforme des retraites. Nous avions été nombreux à déposer des amendements reprenant le contenu de cette proposition de loi et son adoption est plus urgente que jamais. Nous approuvons également le volet relatif à l’outre-mer, car les difficultés des agriculteurs et des éleveurs ultramarins sont encore aggravées par le prix des intrants et par l’éloignement.

Le 13 avril, le Président de la République a dit vouloir rebâtir notre indépendance agricole. Il serait incompréhensible que nous ne votions pas ce texte, qui améliorera les retraites de celles et ceux qui font vivre notre agriculture et qui nous nourrissent.

M. Sébastien Chenu. La revalorisation des retraites des agriculteurs est une demande ancienne et nous soutiendrons la proposition de loi d’André Chassaigne, qui a toujours été bloquée par ce gouvernement.

Améliorer les petites retraites de nos agriculteurs, c’est d’abord un devoir de notre société envers eux. « Une vie de labour pour une pension de misère » : c’est l’un des slogans que l’on pouvait lire dans les manifestations d’agriculteurs.

C’est ensuite un enjeu d’avenir. Cette profession souffre beaucoup, les suicides y sont nombreux et il faut envoyer un signal positif aux jeunes qui souhaiteraient encore s’installer – je rappelle qu’un tiers des exploitations ne sont pas reprises.

Il faut en finir avec un modèle qui laisse s’effondrer l’agriculture française, qui laisse se développer une concurrence déloyale et dans lequel des normes hallucinantes imposées par Bruxelles avec l’accord docile de ce gouvernement mettent nos agriculteurs dans les pires difficultés. Cette proposition de loi est la bienvenue, en ce qu’elle annonce le monde d’après.

M. Bernard Perrut. « Non, non, rien n’a changé » : cet air est bien connu. Après avoir travaillé avec acharnement toute leur vie, les agriculteurs perçoivent des pensions de retraite trop faibles, les plus faibles de notre pays, avec 780 euros par mois pour les hommes et 580 euros pour les femmes. Cela n’est pas admissible et il est urgent d’agir.

La réforme des retraites, qui promettait une pension minimale à 85 % du SMIC, a été repoussée. Du reste, elle ne concernait pas les retraités actuels – pas plus que leurs conjoints ou les aides familiaux. Le Gouvernement a commis une erreur en s’opposant à votre proposition de loi, qui avait le soutien unanime des députés et des sénateurs. Unissons-nous autour de ce texte, qui est important pour ceux qui font vivre la ferme France. Les beaux épis font les belles récoltes. Puisse votre proposition de loi produire enfin du grain !

M. le rapporteur. Monsieur Damaisin, nous débattrons sur le fond de votre amendement, qui vise à introduire un écrêtement, mais ce qui m’a contrarié, et même blessé, c’est que vous l’ayez déposé au dernier moment, sans avoir évoqué ce sujet pendant les trois semaines qu’ont duré nos auditions, lesquelles se sont déroulées dans un climat extraordinaire, amical et confiant. Nous avons reçu les retraités agricoles, les organisations syndicales, la MSA, et j’en passe : nous aurions pu débattre de votre amendement avec eux afin d’en mesurer l’impact, mais vous n’en avez rien dit et c’est dommage.

Monsieur Viala, votre soutien ne m’étonne pas, puisque vous aviez déjà soutenu le texte en 2017 et que je connais votre attachement au monde rural. Comme vous, je pense qu’il serait très regrettable de repousser la réforme à 2022, alors que la MSA nous a dit qu’elle peut s’appliquer dès janvier 2021. Je sais d’ailleurs que ce texte sera inscrit à l’ordre du jour du Sénat dans des délais satisfaisants. Je partage votre réserve sur le mode de financement de cette mesure – une taxe sur les transactions financières – mais je signale qu’il pourra être supprimé, puisque le Gouvernement s’est engagé à lever le gage.

Monsieur Turquois, il est vrai que le fond du problème, c’est la faible rémunération des agriculteurs, qui les empêche d’avoir un niveau de cotisations suffisant, ce qui nécessite de faire appel à la solidarité nationale. Je suis en désaccord avec vous sur la question du patrimoine des agriculteurs : cette fixette relève du fantasme et il ne faut pas généraliser à partir de quelques cas isolés. Le débat me semble mal posé.

Monsieur Vallaud, vous avez raison de rappeler que nous devons des avancées importantes aux différentes majorités socialistes et je tiens à saluer Germinal Peiro pour sa pugnacité : je n’ai fait que prolonger son travail.

Monsieur Benoit, nous avons des sensibilités très proches et nous nous sommes souvent retrouvés sur les questions touchant à la ruralité. Comme vous, je suis convaincu de l’urgence de la réforme et nous avons d’ailleurs déposé des sous-amendements identiques pour garantir l’entrée en vigueur de cette mesure au 1er janvier 2021.

Monsieur Quatennens, les chiffres que vous avez rappelés illustrent la précarité des retraités agricoles et c’est une bonne chose qu’ils figurent au compte rendu. J’ajouterai qu’un agriculteur sur trois a une retraite inférieure à 350 euros par mois. Notre proposition de loi ne concerne que les agriculteurs qui ont une carrière complète mais il y aura encore fort à faire pour les autres dans les années à venir.

Madame Chapelier, notre objectif, vous l’avez dit, est bien de garantir une retraite digne et décente aux agriculteurs, en témoignage de la reconnaissance de toute la nation. Les agriculteurs nous nourrissent, ce qui est déjà considérable, mais ils contribuent aussi à l’entretien des territoires, au développement local, au maintien de la biodiversité et à la transition écologique – ce que les économistes appellent des externalités.

Monsieur Christophe, la crise sanitaire a effectivement mis en lumière le rôle essentiel des agriculteurs : ils font partie des « premiers de cordée », ce que l’on avait tendance à oublier. Je ne partage pas en revanche votre conception de la justice sociale, qui justifie selon vous l’introduction d’un écrêtement. J’espère vous convaincre que ce dispositif aggraverait la précarité des retraités agricoles.

Madame Dubié, nous avons souvent lutté ensemble contre la précarité des retraités et je vous rejoins sur l’idée qu’il faut garantir un niveau de vie digne.

Je remercie enfin M. Sébastien Chenu, qui partage notre constat, et M. Bernard Perrut, qui s’est lui aussi engagé avec une grande constance pour l’amélioration des retraites agricoles. J’espère, comme lui, que nous n’aurons plus à entonner le refrain des Poppys.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

TITRE IER
Garantir un niveau minimum de pension à 85 % du SMIC et de nouvelles recettes pour le financement du régime des non-salariés agricoles

Article 1er : Mise en place d’une garantie « 85 % du SMIC »

La commission examine l’amendement AS11 de M. Olivier Damaisin, qui fait l’objet des sous-amendements identiques AS12 de M. André Chassaigne et AS14 de M. Thierry Benoit, ainsi que du sous-amendement AS13 de M. André Chassaigne.

M. Olivier Damaisin. Tout en confirmant le principe d’une garantie portée à 85 % du SMIC, le présent amendement subordonne le bénéfice du complément de retraite agricole au fait d’avoir demandé l’ensemble de ses droits à retraite et prévoit, dans un objectif de justice sociale, un écrêtement en fonction du montant de retraite tous régimes afin d’assurer une équité entre assurés monopensionnés et polypensionnés. Afin de laisser le temps nécessaire aux travaux techniques permettant à la MSA de reliquider toutes les pensions de retraite concernées, il décale également au 1er janvier 2022 l’entrée en vigueur de la proposition de loi.

M. le rapporteur. Si vous le permettez, madame la présidente, je donnerai mon avis sur cet amendement tout en présentant mes deux sous-amendements. Je tiens également à m’excuser : je suis tellement fusionnel avec Pierre Dharréville que j’ai oublié de le remercier pour son intervention.

Monsieur Damaisin, cela fait trois ans que je travaille avec vous sur la question des retraites agricoles et vous m’avez fait une entourloupette en déposant votre amendement au dernier moment : j’espère vous convaincre de le retirer.

Premièrement, votre amendement remet en cause le caractère universel de la garantie de retraite minimale, qui traduit la reconnaissance de la nation envers les agriculteurs qui consacrent leur vie à nourrir le pays. L’écrêtement que vous proposez revient à supprimer l’accès universel à cette garantie, puisqu’un agriculteur bénéficiant d’une autre pension pourra s’en voir privé : entre deux agriculteurs ayant exactement la même carrière, vous introduisez une inégalité.

Deuxièmement, l’écrêtement a déjà été envisagé à plusieurs reprises mais il n’a jamais résisté à l’analyse. Il ne figure ni dans la loi fondatrice de Germinal Peiro du 4 mars 2002, qui a posé les fondations d’une retraite complémentaire obligatoire pour les agriculteurs, distincte des autres régimes de sécurité sociale et destinée à supprimer les petites retraites, ni dans la réforme des retraites de 2014, dite « réforme Touraine », qui a introduit la garantie d’un niveau minimum de pension à 75 % du SMIC, sans prendre en compte les autres retraites. Enfin, pour rendre à Jupiter ce qui est à Jupiter, le projet de loi instituant un système universel de retraite, adopté au mois de mars, ne prévoit pas davantage la prise en compte des autres ressources. Et vous, vous voudriez introduire cet écrêtement ! Le dispositif que vous proposez serait plus dur et plus restrictif que tout ce qui a pu être envisagé jusqu’ici.

Il aurait été intéressant de demander une étude d’impact à la MSA et de débattre de votre proposition avec les organisations syndicales agricoles ou avec les représentants des retraités agricoles au cours des trois semaines de travail que nous avons eues avec eux. Comme cela n’a pas été fait, je me suis chargé, avec un administrateur que je tiens à remercier, de produire cette étude d’impact. Permettez-moi de vous montrer concrètement l’effet qu’aurait l’adoption de votre amendement.

La MSA a chiffré ma proposition : le nombre de bénéficiaires de la garantie de retraite minimale passerait de 230 000 à 290 000, pour un coût supplémentaire de 407 millions d’euros à compter de 2021 – qui ce montant ira en diminuant. Le dispositif que vous proposez réduirait significativement le nombre de bénéficiaires, qui passerait de 290 000 à 196 000 : c’est 100 000 bénéficiaires de moins que ce que prévoyait le dispositif adopté en 2017, et c’est moins que le nombre de bénéficiaires actuels de la garantie à 75 %. Le coût de la mesure passerait en conséquence de 407 à 255 millions d’euros, soit une économie de 140 millions environ. Le gain moyen de la garantie baisserait également. Avec ma proposition de loi, le gain moyen serait de 114 euros par mois ; avec votre amendement, on descendrait à 104 euros par mois.

L’adoption de votre amendement entraînerait donc un recul social historique. Vous parlez de justice sociale mais, en réalité, ce serait une injustice. Pourquoi pénaliser davantage les polypensionnés du monde agricole que ceux des autres professions ?

Mon sous-amendement AS12 propose de ramener à 2021 la date d’entrée en vigueur de cette proposition de loi, dont vous voulez repousser l’application à 2022. Le dispositif adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale en février 2017 prévoyait une entrée en vigueur de cette garantie dès 2018. Un nouveau report serait incompréhensible. Je suis évidemment favorable au sous-amendement AS14 de M. Thierry Benoit, qui est identique au mien.

Le sous-amendement AS13 vise à supprimer le dernier alinéa de votre amendement, qui introduit un écrêtement : je n’y reviens pas.

M. Thierry Benoit. Le groupe UDI a déposé ce sous-amendement car nous parlons des retraités actuels, que ce débat est dans tous les esprits depuis des années, et qu’il nous a paru mesquin de reporter l’application de la mesure à 2022. Je soutiens le projet de loi instaurant un régime universel de retraite par points : lorsqu’il entrera en vigueur, tous les agriculteurs percevront 1 000 euros minimum pour une carrière complète, mais il s’agit ici de traiter la situation de ceux qui sont déjà à la retraite.

Mme Mireille Robert. L’écrêtement introduit par l’amendement ne remet pas en cause la garantie d’une retraite égale à 85 % du SMIC pour une carrière complète d’exploitant agricole mais constitue une mesure permettant de mettre en œuvre de manière équitable cette avancée dont le coût conséquent sera assumé par la solidarité nationale. Cet écrêtement est une garantie d’équité entre monopensionnés et polypensionnés, afin que le complément différentiel ne favorise pas injustement ces derniers.

Le minimum de pension dont bénéficient les salariés du secteur privé, salariés du régime général mais également salariés agricoles, ainsi qui celui couvrant la retraite de base des non-salariés agricoles, font déjà l’objet d’un écrêtement en fonction du montant des retraites. Enfin, il n’y a aucune impossibilité d’ordre technique, puisque les caisses de MSA mettent déjà en œuvre les écrêtements existants.

M. Arnaud Viala. Certains arguments sont fallacieux. On ne peut pas dire qu’il s’agit de privilégier des retraités alors qu’il est question de hisser des retraités en situation de précarité à un niveau loin d’être mirobolant. Nous connaissons tous les causes de cette situation. Il faut à présent décider : soit nous décidons enfin de faire un acte de solidarité envers des personnes auxquelles il n’a pas été demandé de cotiser davantage et qui subissent donc la situation, soit nous disons sans nous cacher derrière notre petit doigt que nous ne voulons pas le faire. Mais nous ne saurions l’écrêter ni le repousser.

Je suis très surpris, voire choqué, monsieur Turquois, que vous introduisiez dans le débat la notion de patrimoine, qui ne concerne pas du tout les Français auxquels s’adresse ce texte. Le patrimoine agricole est un patrimoine professionnel que l’on ne peut considérer comme une richesse acquise par celui qui a contribué à la faire fructifier, car le souci permanent de ces gens est de transmettre l’outil d’exploitation aux générations suivantes. Il faudra d’ailleurs légiférer un jour pour distinguer entre l’outil d’exploitation et le patrimoine familial, car les autres ayants droit, qui ne restent pas sur la ferme, ont besoin eux aussi de recevoir une forme d’héritage, ce qui crée une énorme difficulté pour la pérennité de notre agriculture.

M. Nicolas Turquois. Je perçois beaucoup d’émotion et de passion, comme si l’on ne pouvait pas avoir sur ce sujet un regard de raison. Non, le monde agricole n’est pas uniforme. Et il faudra aussi faire évoluer le statut des conjoints, qui n’est pas évoquée ici. Au sujet des commerçants et des artisans, la passion n’est pas aussi sensible, et pourtant des solutions doivent être apportées là aussi. Nous avons l’image d’Épinal d’un agriculteur qui a commencé agriculteur et fini agriculteur, mais de nombreux agriculteurs ont aussi été autre chose – parfois même députés – et il serait surprenant de prévoir un complément de retraite différentiel pour des personnes qui perçoivent d’autres pensions d’un niveau élevé. L’écrêtement ne concerne pas l’agriculteur modeste, mais bien des situations particulières ; c’est juste, et cela permettra en outre d’élargir votre proposition à d’autres professions, commerçants et artisans, notamment.

M. Pierre Dharréville. Cette proposition de loi concerne précisément les agriculteurs modestes : il n’y a donc pas de distinction à faire parmi les bénéficiaires. J’ai le sentiment que vous voulez attendre une hypothétique mise en œuvre du système universel de retraite, qui ne vise d’ailleurs pas les retraités agricoles actuels. Pour ces derniers, il s’agit d’une véritable urgence sociale.

Par votre amendement, vous proposez de fait qu’aucun droit ne soit ouvert sur l’activité qu’aurait pu exercer un agriculteur pour compléter ses revenus. C’est un problème.

Enfin, les salariés aussi, quand ils le peuvent, se constituent un patrimoine. Dans le cas des agriculteurs, cela pose la question de la transmission et de notre capacité collective à faire face aux enjeux de la production agricole.

M. Olivier Damaisin. Cela ne fait pas trois semaines que nous travaillons ensemble, monsieur le rapporteur, mais trois ans, et nous avons parcouru beaucoup de chemin. Il n’y a aucune carabistouille. Vendredi dernier, vous m’avez dit en commission que vous n’aviez toujours pas de solution pour le financement. Ce que propose cet amendement, c’est une solution. Ce texte, que nous voterons tous, je l’espère, est le premier étage d’une fusée ; ensuite ce sera les conjointes, puis les aidants familiaux.

Vous savez que des gens qui perçoivent des retraites agricoles de 75 % touchent parfois de bonnes retraites à côté. C’est un fait. Ne vaut-il pas mieux concentrer l’aide sur ceux qui en ont besoin ?

J’ai eu hier au téléphone le président de la MSA, qui ne m’a pas du tout dit la même chose que vous : au contraire, il n’a aucune certitude d’être prêt au 1er janvier 2021. C’est pourquoi nous avons proposé ce report à 2022.

M. Boris Vallaud. À vous entendre, on croirait que nous sommes en train de créer une retraite chapeau pour les agriculteurs ! Mais il ne s’agit pas de cela : nous parlons de retraités pauvres avec des carrières complètes. En outre, les auteurs de l’amendement n’apportent aucune étude d’impact, et c’est André Chassaigne qui nous informe des effets : 100 000 bénéficiaires en moins, coût divisé d’un tiers, baisse du niveau moyen des pensions supplémentaires distribuées. C’est s’arrêter à la moitié du chemin. Je suggère que l’amendement soit retiré.

Mme Jeanine Dubié. Ce sujet est dans les tuyaux du Parlement depuis 2016 – j’y ai travaillé sous la précédente législature –, et l’on ne me fera pas croire qu’on ne peut pas trouver une solution quand il existe une volonté politique. L’amendement est réducteur et limite la portée des intentions du texte. Si des ajustements sont nécessaires, nous avons encore le temps d’ici à la séance publique. Le moment est venu d’apporter une réponse à ces exploitants agricoles, et 85 % du SMIC ce n’est pas non plus une retraite de chef d’entreprise du grand capital.

M. Thierry Benoit. Je veux à tout prix faire avancer la cause : cette proposition de loi en est l’occasion. Il faut d’ici à la séance éclaircir le sujet de l’écrêtement, en distinguant la question des retraites et celle des ressources, ainsi que le sujet des polypensionnés. Si, dans cette législature, nous réglons la question des chefs d’exploitation avec de petites retraites et si nous amorçons le traitement de celle des conjoints, nous pourrons regarder dans les yeux les retraités agricoles actuels. Il nous reste jusqu’au 18 juin. Le chiffre de 400 millions d’euros, avancé par le rapporteur, doit être mis en regard des plus de 300 milliards de versements des retraites. Je me rappelle aussi ce que nous avons mobilisé pour les « gilets jaunes », et nous connaissons tous les sommes en jeu dans l’actuelle crise sanitaire.

Mme Annie Chapelier. Je suis étonnée que nous cherchions encore à glisser sous le tapis ce sujet récurrent depuis des années. Durant la crise sanitaire, les agriculteurs n’ont jamais failli, ils se sont montrés à la hauteur des besoins. C’est parce que les agriculteurs, depuis la fin de la guerre, ont assuré ce qu’on appelle la sécurité alimentaire que la France est devenue un pays riche et développé. Or ces retraités qui ont travaillé depuis les années 1950 vivent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté. Le Président de la République a dit pendant la crise que nous y ferions face « quoi qu’il en coûte » : la survie de notre agriculture fait peut‑être partie de ce « quoi qu’il en coûte », et 400 millions d’euros c’est peu. Quant au patrimoine, je rappelle qu’il y a 3,3 millions de résidences secondaires en France, contre 500 000 agriculteurs.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Le postulat, c’est que ce matin, tout le monde défend les retraités agricoles. Le débat parlementaire consiste parfois à amender les textes, pour trouver un équilibre. C’est ce que nous sommes en train de faire. Il faut accepter cette idée et arrêter de dire, chaque fois que nous avons à examiner une proposition de loi, qu’amender ne viserait qu’à détruire.

M. le rapporteur. Les agriculteurs qui ont eu une autre activité durant leur carrière sont ceux qui ont connu les plus grandes difficultés, ceux qui n’arrivaient pas à s’en sortir et étaient obligés pour vivre d’avoir un revenu complémentaire, dans une commune comme employé communal, dans une station de ski, dans une petite entreprise locale... Cette autre pension n’en fait pas des privilégiés, et l’écrêtement n’est donc nullement une mesure de justice sociale.

J’ai lu ce que la MSA a écrit dans son avis du 3 octobre 2019 relatif au projet de loi de financement de la sécurité sociale : elle appelle l’attention sur la forte demande des retraités agricoles d’une revalorisation de leurs retraites dès janvier 2020, sans attendre le portage à 85 % annoncé dans le cadre de la réforme des retraites. La MSA ne sera pas en mesure d’assurer le suivi s’il y a écrêtement car la mesure comporte des risques considérables, représentant une complexification substantielle du système du fait d’un recalcul permanent des montants. L’écrêtement créerait une telle complexité que je ne suis pas sûr que la MSA pourrait répondre même en 2022.

Nous n’avons pas eu d’étude d’impact car l’amendement m’est tombé dessus samedi. Il conviendrait de le retirer et je suis prêt à auditionner la MSA avec ceux avec qui je travaille depuis trois semaines.

Enfin, je ne crois pas à l’argument selon lequel l’économie de 140 millions d’euros viserait à mieux traiter ensuite la question des conjoints et des collaborateurs, car la prise en compte des collaborateurs, à laquelle je suis favorable, coûtera, en fonction des critères retenus, entre 1,7 et 2,4 milliard d’euros.

La commission rejette les sous-amendements AS12 et AS14, puis le sous-amendement AS13.

Puis elle adopte l’amendement AS11.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements AS6 de M. Didier Le Gac et AS9 de Mme Annie Chapelier tombent.

Article 1er bis : Demande de rapport sur la revalorisation de la garantie minimale de retraite agricole

La commission adopte l’article 1er bis sans modification.

Article 2 : Création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières affectée au régime de retraite complémentaire obligatoire

La commission est saisie de l’amendement AS10 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article cohérent avec l’amendement AS9 que j’avais déposé à l’article 1er : je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission rejette l’article 2.

TITRE II
Dispositions en faveur de la revalorisation des pensions de retraites agricoles dans
les départements et régions d’outre-mer

Article 3 : Élargissement de l’accès à la garantie « 75 % du SMIC » outre-mer

La commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 : Extension des régimes de retraite complémentaire aux salariés agricoles ultramarins

La commission adopte l’article 4 sans modification

Article 5 : Compensation financière des organismes de sécurité sociale

La commission adopte l’article 5 sans modification.

Enfin, elle adopte la proposition de loi modifiée.

M. le rapporteur. Je vous remercie pour cet excellent et très intéressant débat que nous allons poursuivre.

La commission en vient à l’examen de la proposition de loi de M. Alain Bruneel en faveur d’une loi de programmation pour l’hôpital public et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (n° 3004).

M. Alain Bruneel, rapporteur. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la crise sanitaire que nous avons traversée au cours des derniers mois a mis en lumière ce que nous devons aux personnels de nos hôpitaux et de nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Pourtant, cette amère piqûre de rappel n’a rien d’une révélation : nous connaissons depuis beaucoup trop longtemps la dure réalité vécue par ces personnels, parmi lesquels beaucoup de femmes, souvent précaires et qui travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles. La commission des affaires sociales a d’ailleurs eu l’occasion de souligner la souffrance au travail et le manque cruel d’effectifs dans plusieurs rapports sur les EHPAD puis sur les hôpitaux psychiatriques.

Le temps n’est plus aujourd’hui aux applaudissements, aux grands mots, aux hommages, aux rapports ni aux concertations multiples : il doit désormais être aux actes concrets en direction de nos hôpitaux publics, de nos EHPAD, de ceux qui y travaillent et de ceux qui y sont pris en charge.

C’est pourquoi l’article unique de la proposition de loi prévoit l’adoption, avant le 1er octobre 2020, d’une loi de programmation pluriannuelle pour l’hôpital public et les établissements médico-sociaux, en particulier les EHPAD, qui devra faire l’objet d’une révision tous les cinq ans. Elle devra notamment fixer des objectifs relatifs au nombre d’établissements publics de santé sociaux et médico-sociaux nécessaires pour répondre à l’évolution des besoins de la population sur l’ensemble du territoire, aux dépenses de fonctionnement et d’investissement dans le secteur hospitalier et le secteur médico-social, et, enfin, à l’organisation et au financement des urgences hospitalières ainsi qu’à la création de lits d’hospitalisation.

Contrairement à ce que vous pensez peut-être, cette proposition de loi ne s’inscrit pas dans une démarche d’opposition ou de concurrence par rapport à celle engagée par le « Ségur de la santé ». Malgré les échos négatifs que nous avons malheureusement eus de son déroulement par de nombreuses personnes auditionnées, j’essaye pour ma part de rester optimiste et de croire que ce « Ségur » débouchera véritablement sur quelque chose. En effet, il représente peut-être notre dernière chance de sauver notre système public de santé du naufrage.

Toutefois, cet optimisme forcé ne peut pas être un chèque en blanc signé au Gouvernement. Notre proposition de loi est donc une main tendue tant à ce dernier qu’à la majorité. Elle offre un outil juridique pour ancrer les mesures envisagées dans le marbre de la loi.

Nous considérons qu’il est temps que le Gouvernement porte ses propositions dans l’arène du débat parlementaire pour que celles-ci fassent l’objet d’un véritable débat national. La crise sanitaire l’a bien montré, la santé ne concerne pas que le ministère, les agences régionales de santé (ARS) et les professionnels de santé, mais bien tous les citoyens. La représentation nationale doit donc être au cœur de ces débats d’autant que les attentes sont considérables.

Notre proposition de loi invite le Gouvernement à s’engager sur le long terme pour répondre enfin aux constats connus depuis trop longtemps, et pas seulement dans la seule perspective court-termiste de l’après-crise. Dans le contexte que nous connaissons, nos débats de ce matin ne peuvent et ne doivent donc pas devenir une occasion manquée.

Je souhaiterais tout d’abord rappeler brièvement pourquoi nous demandons une telle loi de programmation.

Notre vie parlementaire est aujourd’hui rythmée par l’adoption de lois de programmation des finances publiques, de lois de programmation militaire, de lois de programmation pour la justice ou pour la recherche. La santé, qui apparaissait avant même la crise sanitaire comme la priorité n° 1 des Français, doit évidemment faire, elle aussi, l’objet d’une planification à plus long terme.

Cette programmation nationale, qui devra fixer les grandes lignes et les grands objectifs pour la santé publique de demain, devra évidemment faire l’objet de déclinaisons régionales, au plus près des bassins de vie. Les schémas régionaux de santé devront notamment être révisés à l’aune de cette loi de programmation.

Pourquoi doit-elle être adoptée avant le 1er octobre 2020 ? Parce que nous pensons fermement qu’elle doit l’être avant la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, qui sera un PLFSS majeur.

Les choix politiques forts que nous devons faire dans les mois à venir doivent en effet déterminer le cadre budgétaire qui les accompagnera, et non l’inverse. Trop souvent, ces vingt-cinq dernières années, nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire à l’hôpital public avec nos objectifs budgétaires. Nous devons maintenant nous demander : quel budget faut-il prévoir pour l’hôpital public, pour répondre à nos objectifs sanitaires ?

Le Gouvernement a facilement su mettre 7 milliards d’euros sur la table pour Air France, et 8 milliards d’euros pour l’automobile. Je suis certain que pour la santé de tous les Français, nous pouvons également faire passer la volonté politique avant les considérations comptables.

Qu’attendons-nous d’une telle loi de programmation ? Les règles fixées par l’article 40 de la Constitution nous empêchent malheureusement, en tant que parlementaires, de proposer nous-mêmes une loi qui augmenterait massivement les salaires et les effectifs au sein de l’hôpital public et dans les EHPAD. C’est pourtant ce que nous attendons évidemment du Gouvernement dans le cadre de cette future loi de programmation.

La première des priorités doit être le recrutement massif de personnels soignants, tant à l’hôpital public qu’en EHPAD : ils devront donc bénéficier des financements correspondants à ces ouvertures de postes. C’est aujourd’hui la revendication première des personnels, qui souhaitent avant toute chose être en mesure de faire leur travail correctement auprès des patients et des résidents.

Nos collègues Monique Iborra et Caroline Fiat proposaient en 2018, dans leur rapport sur les EHPAD, de rendre opposable une norme minimale d’encadrement en personnel au chevet, c’est-à-dire en aides-soignants et infirmiers, de 60 équivalents temps plein pour 100 résidents, dans un délai de quatre ans maximum, ce qui revient à doubler le taux d’encadrement actuel. Cette proposition est très intéressante et nous pensons qu’elle devrait être inscrite dans la future loi de programmation aux côtés d’un ratio similaire pour les hôpitaux publics.

La deuxième priorité de cette future loi de programmation 2020-2025 devra être l’augmentation structurelle des rémunérations, aujourd’hui scandaleusement basses dans ce secteur. Pas plus que les applaudissements, les « primes covid » ne suffiront pas à boucler les fins de mois : les salaires des soignants doivent donc être revalorisés sur le long terme.

La France est en effet l’un des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui rémunère le plus mal ses infirmiers et infirmières à l’hôpital par rapport au salaire moyen, devançant seulement la Finlande, la Hongrie et la Lettonie. En parité de pouvoir d’achat, le niveau de rémunération des infirmiers à l’hôpital est également inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Cette situation est inadmissible et ne peut plus durer.

Dans les métiers du grand âge, c’est encore pire : les salaires de base des premiers niveaux d’emploi sont inférieurs au SMIC dans plusieurs conventions du secteur médico-social. Comment, dans ces conditions, peut-on espérer valoriser ces métiers ?

La loi de programmation devra également définir un plan de titularisation des contractuels, qui représentent aujourd’hui une fraction – 23 % – de la fonction publique hospitalière de plus en plus précaire.

Enfin, nous pensons que cette loi de programmation devra permettre de mettre fin au paradigme actuel du gigantisme hospitalier et aux fermetures de lits et de maternités que nos concitoyens n’acceptent plus car elles accroissent les inégalités géographiques de santé et le renoncement aux soins.

En acceptant que l’on cesse de parler restructurations et Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a-t-il changé de paradigme ou a-t-il simplement décidé de mettre sous le tapis ces restructurations et fermetures de services pendant quelques mois en faisant profil bas ? Je crains malheureusement que ce ne soit la seconde hypothèse, et que nos demandes d’un moratoire n’aient pas été entendues.

Mes chers collègues, je sais que nous ne partageons pas l’ensemble de ces diagnostics, et encore moins l’ensemble des remèdes proposés pour l’avenir de notre système public de santé. En revanche, je suis certain que nous pouvons nous mettre d’accord sur la nécessité d’une telle loi de programmation, et je souhaite vivement débattre avec vous de son contenu.

Mme Monique Iborra. Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi de programmation pluriannuelle pour l’hôpital public et les EHPAD est, certes, d’actualité. De nombreux acteurs attendent en effet, de façon tout à fait légitime, des réformes substantielles que nous-mêmes défendons. Elle s’avère cependant décevante tant sur la forme que sur le fond. Les six pages d’exposé des motifs, réquisitoire sans concession à l’encontre des politiques et des réformes menées de longue date, contrastent avec l’article unique. Si nous pouvons nous accorder sur certaines de vos critiques, cela nous est impossible lorsque vous feignez avec une réelle mauvaise foi d’ignorer que ce Gouvernement a depuis 2018 mené des réformes qu’il a voulues en rupture avec celles menées antérieurement.

Ainsi, la campagne tarifaire et budgétaire de 2019 rompt avec le long cycle de baisses tarifaires que les établissements ont connu ces dernières années ; le protocole d’accord signé avec les fédérations d’établissements de santé, qui prévoit pour la première fois, dans une logique pluriannuelle que vous semblez appeler de vos vœux, la progression des ressources ; le rachat de la dette des hôpitaux et la progression depuis 2018 de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) hospitalier.

Alors si, comme le Président de la République l’a dit, nous aurions dû aller plus fort et surtout plus vite, et rendre plus lisible notre politique, il est faux de prétendre que n’avons rien fait. C’est pourquoi nous corrigeons la méthode et nous engageons dans le « Ségur de la santé ».

Votre projet déçoit également parce qu’il paraît opportuniste au moment où le ministre de la santé met en place ce rendez-vous qui vise les objectifs prônés par votre article unique, comme la revalorisation salariale ou le recrutement de personnels dans les hôpitaux et les EHPAD.

Enfin, votre exercice de planification ne tient compte que du secteur public : or une telle loi de programmation ne peut ignorer les autres acteurs. Si l’hôpital et les EHPAD publics doivent en effet former la colonne vertébrale des politiques de santé et de l’autonomie et si ce secteur doit exercer un véritable leadership, il faut reconnaître la place de chacun – établissements privés, médico-sociaux, médecine de ville – et mettre en place des politiques à visée coopérative, à l’image de celles nées pendant la crise sanitaire et que nous appelons de nos vœux dans le cadre du plan « Ma santé 2022 ».

Votre projet est décevant parce qu’il est réducteur et centralisateur et parce qu’il ignore les réalités des territoires et des organisations existantes que nous souhaitons voir coopérer. Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons pas voter votre proposition de loi.

M. Alain Ramadier. Nous avons tous conscience de la gravité de la crise de notre système de santé, qui ne peut plus assurer pleinement ses missions, et de nos hôpitaux : l’épidémie de covid-19 n’a fait que révéler ce que nous savions déjà. Le manque de moyens financiers, de personnels et d’infrastructures de qualité, notamment, ont abouti à une situation alarmante décriée par l’ensemble des professionnels du secteur de la santé : nous partageons très largement un tel constat.

La proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine vise à mettre en place une loi de programmation pluriannuelle pour l’hôpital public ainsi que pour les EHPAD fixant leurs objectifs et leurs moyens humains et matériels notamment en matière de création de lits d’hospitalisation, d’évolution des formations médicales et de hausse des salaires. Notre système de santé nécessite en effet une vision de long terme susceptible de répondre enfin à ses besoins ainsi qu’à ses enjeux.

La proposition délaisse néanmoins un pan entier du système de santé, le secteur privé, alors que nous estimons qu’une stratégie globale incluant tous les acteurs, publics ou privés, doit être mise en œuvre.

Par ailleurs, l’élaboration d’une loi de programmation dans le domaine de la santé publique implique de prendre en considération la prévention : or cette dimension n’apparaît pas dans le texte. Allouer des moyens financiers à un pilotage stratégique de la prévention est en effet une condition essentielle de la refonte d’un système de santé en désuétude. L’absence d’un tel volet empêche toute mise en place d’une politique de santé structurée, coordonnée et pérenne.

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains n’est pas favorable en l’état à la proposition loi.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Les moyens de l’hôpital public et des EHPAD nous préoccupent tous mais notre objectif premier est la santé des Français. Or celle-ci passe par la prévention pour éviter précisément de devoir aller à l’hôpital. La Cour des comptes nous a ainsi récemment indiqué que le nombre de personnes en insuffisance rénale en phase terminale, c’est‑à‑dire nécessitant des dialyses, qui était de 87 275 en 2015 avait progressé de 14 000 en cinq ans.

Notre priorité n’est-elle pas de limiter le nombre de malades chroniques, qui ne fait qu’augmenter, engendrant souffrance, prise de médicaments, complications et augmentation des dépenses de santé et hospitalières ? Pour bien soigner, il faut faire le bon diagnostic. Connaissons-nous le réel état de santé des Français ? Pas assez. D’où notre préoccupation relative au recueil des données de santé, dans le cadre scolaire, universitaire et professionnel ou auprès des personnes âgées. Je présenterai d’ailleurs prochainement au nom de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale un rapport relatif au dossier médical partagé et aux données numériques de santé.

Nous sommes bien évidemment d’accord sur la nécessité d’allouer des moyens tant à l’hôpital qu’aux EHPAD. C’est la raison pour laquelle nous avons voté, lors de l’examen du dernier PLFSS, des mesures allant dans ce sens. S’il faut disposer d’une feuille de route claire et précise et faire évoluer les dépenses, le recours à une loi de programmation ne nous semble pas opportun. Nous sommes battus pour que les établissements de santé bénéficient désormais d’un budget pluriannuel. Par ailleurs, la question de la rémunération et de l’organisation du temps de travail des personnels soignants est actuellement à l’ordre du jour du « Ségur de la santé ».

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés y fera des propositions en vue de « désadministrer » l’hôpital, de faire converger l’ensemble des établissements de soins, grâce à des objectifs et des moyens, et en recourant à la contractualisation.

Enfin, la réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie et de la dépendance est d’ores et déjà à l’ordre du jour, une première étape ayant été franchie au travers des projets de loi relatifs à la dette sociale et à l’autonomie actuellement en discussion qui visent à créer la cinquième branche de la sécurité sociale, avec un premier financement de 2,3 milliards d’euros.

Pour toutes ces raisons, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne soutiendra pas cette proposition de loi.

M. Boris Vallaud. Nul ne disconvient que, depuis 2002, les efforts demandés à l’hôpital, aux soignants et aux assurés sociaux ont été considérables. La grève des personnels hospitaliers, avant la pandémie, a montré qu’un point de rupture avait été atteint tant la charge du nombre d’actes par soignant était pesante. Le groupe Socialiste et apparentés a formulé un certain nombre de propositions lors de l’examen du PLFSS dont un plan d’urgence pour l’hôpital que la majorité a balayé d’un revers de la main. Si le « Ségur de la santé » reprend quelques-unes d’entre elles, tant mieux.

En tout cas, il est nécessaire de répondre à des demandes urgentes en matière de rémunération, de personnel, de nombre de lits et à des questions structurelles sur la place de l’hôpital et son articulation avec la médecine de ville, la gouvernance et les investissements. Il importe donc de se donner de la visibilité avec une loi de programmation, principe que nous soutenons. Prenons des engagements qui survivent aux alternances et donnons aux Françaises et aux Français l’occasion de faire le lien entre les cotisations qu’ils paient et la qualité de service public qu’ils reçoivent !

Mme Jeanine Dubié. Le groupe Libertés et Territoires partage le constat du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sur la nécessité d’une loi de programmation pluriannuelle pour les hôpitaux publics et les établissements médico-sociaux mais celle-ci devrait être élargie à l’ensemble des établissements de santé, publics et privés, qui participent à une mission de service public.

Les établissements de santé nous alertent régulièrement sur leur absence de visibilité. Lors de la discussion du dernier PLFSS, nous avions d’ailleurs pointé une incohérence de notre système : alors que les politiques de santé s’inscrivent dans une logique pluriannuelle – je pense au plan « Ma santé 2022 » – les établissements ne peuvent pas connaître précisément le montant des ressources qui leur sera alloué pour l’année en cours avant que celle-ci ne soit terminée. Une loi de programmation pluriannuelle pour la santé serait donc le gage d’une meilleure efficacité. Nous y serions d’autant plus favorables que cette proposition de loi énumère un certain nombre d’objectifs, notamment en matière de revalorisation des carrières ou de recrutement de personnels.

Il convient néanmoins d’avoir une vision plus globale en y incluant le secteur privé, de même que les questions de la gouvernance et de la coordination territoriale du système de santé et du décloisonnement du système médico-social. En l’état, nous ne pouvons donc pas pleinement et entièrement soutenir la proposition de loi.

Mme Caroline Fiat. Souffrance, maltraitance : combien de temps ces mots seront‑ils encore associés à nos EHPAD et à nos hôpitaux ?

Depuis trois ans, je dénonce la situation sans que le Gouvernement ait engagé quoi que ce soit. Depuis trois ans, le groupe La France insoumise réclame par voie d’amendements des moratoires sur la fermeture de lits, l’arrêt des regroupements hospitaliers, la revalorisation des métiers du soin. Depuis trois ans, nous réclamons un ratio suffisant de soignants par résident en EHPAD et le recrutement de personnels hospitaliers. Depuis trois ans, nous demandons que le financement de l’hôpital augmente suffisamment pour pallier le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques.

J’entends que cela agace les députés de la majorité mais, pendant la crise sanitaire, les EHPAD ont connu une véritable hécatombe et, à ce jour, les personnels hospitaliers n’ont pas de masques FFP2, vont manquer de gants et travaillent dans des sacs poubelle. En vingt ans, 40 % des maternités ont fermé ; en quinze ans, 60 000 lits ont été supprimés. Au début de la crise, il y en avait trois fois moins par habitant qu’en Allemagne. Le dévouement des personnels a des limites. Ils en ont assez d’être pris pour des idiots.

Les enjeux identifiés par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine sont en l’occurrence les bons : de combien d’établissements avons-nous besoin, de quelles dépenses d’investissement et de fonctionnement, de lits, de personnels supplémentaires ? Comment revaloriser les carrières, titulariser, former en nombre suffisant les soignants ? Un débat doit être mené et des engagements doivent être pris. Nous voterons en faveur de cette proposition de loi et nous ne comprenons pas qu’elle ne fasse pas consensus.

Mme Annie Chapelier. Cette crise sanitaire a de nouveau mis en évidence les difficultés que rencontre le personnel hospitalier. Selon le groupe Écologie Démocratie Solidarité, cette proposition de loi constitue une réponse intéressante. Les pistes qu’elle ouvre seront utiles au « Ségur de la santé ». La prise en compte des moyens dont disposent les EHPAD dans la réflexion sur le financement de l’hôpital permet en outre de se préparer aux défis du grand âge. Nous la voterons, même si elle pourrait être étoffée, car elle donne à l’hôpital une véritable visibilité.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Le titre de cette proposition de loi est prometteur mais son contenu l’est un peu moins. « Toujours plus », oui, il faudra faire plus, sans aucun doute, mais « Faire mieux », ici, fait défaut. Quid de l’articulation entre les secteurs public et privé, des actes inutiles – 30 % des dépenses de l’hôpital –, de la gouvernance, de la prévention ? En l’état, le groupe Agir ensemble ne la votera pas.

M. Pierre Dharréville. Je salue le travail d’Alain Bruneel.

Nul ne peut nier que nous sommes dans une crise aiguë et durable de l’hôpital public. Les personnels, la population jugent sévèrement l’état dans lequel il se trouve. Il faut regarder les choses en face, sans que nos désaccords puissent être attribués immédiatement à de la mauvaise foi. L’objectif de cette proposition de loi est très clair et il ne s’agit pas de se substituer à la stratégie de santé.

Le secteur privé, évoqué par plusieurs orateurs, n’est pas de même nature que l’hôpital public. Nous avons besoin d’une stratégie offensive, déterminée, de long terme, d’une visibilité réelle de gestion qui ne soit pas guidée par un objectif de maîtrise annuelle des dépenses. La question des moyens ne doit pas être contournée. Nous cherchons des leviers d’action et cette loi de programmation, selon le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, en est un.

Mme Geneviève Levy. Je salue le travail de notre collègue Bruneel qui, avec beaucoup de conviction, a démontré les carences de l’actuelle majorité. Il convient en effet d’avoir une vision globale de la politique de santé. Nous partageons les questionnements soulevés mais pas les solutions envisagées car une réflexion sur la santé à travers le prisme exclusif de l’hôpital public ne nous paraît pas pertinente.

Il est impérieusement nécessaire de soutenir et de faciliter la création de structures de médecine de ville telles que les maisons de santé ou les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour lutter contre les déserts médicaux. La crise sanitaire nous a montré à quel point une médecine de proximité est essentielle.

Mme Mireille Robert. Pour m’être personnellement engagée dans les questions liées au grand âge et à la perte d’autonomie, je ne peux que vous remercier de votre implication, monsieur le rapporteur.

Le vieillissement massif de la population requerra de nouvelles offres et de nouveaux financements. C’est pour cela que nous avons acté la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale. Il conviendra également de revaloriser les métiers au sein des EHPAD mais, aussi, les interventions à domicile et l’accueil familial. Le secteur médico-social s’appuie sur les groupements hospitaliers de territoire, dont la vocation est d’équilibrer l’offre au plus près de la demande ; or, votre argumentaire ne tient pas compte de cette organisation. Vous ne dites rien non plus des CPTS, dont l’ambition est de fédérer les professionnels de santé dans chaque territoire pour rationaliser l’offre. Comment insérez-vous vos propositions dans cette architecture ? Sur quels financements vous appuyez-vous?

M. Brahim Hammouche. Je vous remercie pour cette proposition de loi, monsieur le rapporteur. Si je partage sa finalité – la seule doctrine de réduction des dépenses n’est en effet pas tenable – je ne vous rejoins pas pour autant complètement.

Vous ne tenez pas suffisamment compte des leçons de la crise sanitaire, dont la coopération entre les secteurs public et privé. Dans le Grand Est, 32 % de la prise en charge du covid-19 ont été assurés par le privé. La revalorisation des salaires et l’amélioration des conditions de travail des soignants doivent être étendues aux deux. D’après le ministère de la santé, une infirmière gagnait en moyenne, en 2018, 2 296 euros par mois – 1 800 euros en début de carrière – et un agent de service hospitalier 1 780 euros, contre 4 600 euros brut en début de carrière pour une infirmière au Luxembourg.

Après l’état des lieux, il faut avoir l’ambition de financer un nouveau modèle de santé lisible et favorisant la coopération entre les différentes structures, au-delà des statuts. Votre proposition de loi est ambitieuse mais elle pâtit de ne pas prendre en compte la diversité de notre offre de soins.

M. le rapporteur. Je vous remercie de vos contributions.

Il est certes toujours possible de trouver qu’il manque ceci ou cela mais l’urgence est de mettre enfin le pied à l’étrier. Nous sommes d’accord sur le constat, le covid-19 ayant de surcroît rappelé la dure réalité vécue par les soignants et les patients dans les établissements de santé mais aussi, à domicile. Comment changer la donne ?

Madame Iborra me reproche de me montrer très critique mais cela participe du débat politique. Je rappelle que nous avons voté quatre projets de loi de juillet à octobre 2019 et que la situation ne s’est pas arrangée. Et voilà que se profile le « Ségur de la santé » parce que nous aurions encore besoin d’y voir plus clair ! Augmenter les salaires et le nombre de personnels ? C’est le Gouvernement qui décide ! Peut-être pourrait-on d’ailleurs discuter d’une loi accordant cette faculté au Parlement...

Comme l’a très bien dit mon collègue Dharréville, le secteur privé, ce n’est pas le secteur public. Qu’une coordination soit nécessaire, soit ! Nous pouvons réfléchir à un schéma de santé global mais il faut bien commencer par quelque chose et pourquoi pas par le secteur public ? Pendant ce temps, les patients et les soignants manifestent, comme ils le feront encore le 16 juin.

Une loi de programmation a le mérite de mettre tout à plat. Que fera-t-on jusqu’au 31 décembre 2020 ? Quelles seront les priorités essentielles ? Nous l’ignorons. Il a été question d’une revalorisation des salaires et d’une augmentation des effectifs mais à quelle hauteur ? Bien des personnes que nous avons auditionnées ont fait part de leur déception.

M. Mesnier a commis un rapport « Pour un pacte de refondation des urgences » avec le professeur Carli, lequel en avait d’ailleurs déjà rédigé un. Les rapports se succèdent ! Quand arrêtera-t-on d’en pondre ? Nous savons parfaitement ce qui se passe ! Maintenant, il est temps d’agir.

Cette proposition de loi n’est pas parfaite mais elle a le mérite de poser la question des priorités. Le « Ségur de la santé » débouchera-t-il sur une loi ? Nous l’ignorons. Qu’en sera‑t‑il du PLFSS et de l’ONDAM ? Une loi de programmation ne règlerait pas tout mais elle permettrait peut-être de fixer des priorités en faisant en sorte que le PLFSS et l’ONDAM s’y conforment.

Les regards ont changé, y compris dans la majorité, et c’est une bonne chose.

Les rapports Libault et El Khomry nous invitent également à changer notre regard sur les personnes âgées mais la question demeure : comment fait-on ensuite ?

Je suis certes déçu de votre vote à venir mais je pense qu’une loi de programmation sera néanmoins nécessaire car les professionnels, les syndicalistes, disent tous qu’ils ont besoin d’y voir clair.

Article unique : Pour une loi de programmation pour l’hôpital public et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

La commission rejette l’article unique et, ce faisant, rejette la proposition de loi.

La séance est levée à 12 heures.

 

 


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Informations relatives à la commission

   

   

  La commission des affaires sociales a désigné :

   M. Daniel Labaronne rapporteur sur la proposition de loi relative à la déshérence des contrats de retraite supplémentaire (n° 2782) ;

   M. Stéphane Viry, rapporteur sur la proposition de loi visant à élargir de manière provisoire le champ de compétences de la gouvernance des établissements publics de santé (n° 3041) ;

   M. Gilles Lurton, rapporteur sur la proposition de loi visant à assurer le versement de la prime de naissance avant la naissance de l’enfant (n° 1160) ;


Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 juin 2020 à 9 h 30

Présents. - M. Thierry Benoit, Mme Brigitte Bourguignon, M. Sébastien Chenu, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Josiane Corneloup, M. Olivier Damaisin, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, M. Daniel Labaronne, Mme Geneviève Levy, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, M. Philippe Vigier, Mme Corinne Vignon

Excusés. - Mme Gisèle Biémouret, M. Gérard Cherpion, M. Patrick Mignola, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Stéphane Viry

Assistaient également à la réunion. - Mme Annie Chapelier, M. Pierre Cordier, M. Didier Le Gac, M. Arnaud Viala