Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition du général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de finances pour 2020.

 

 


Mercredi
2 octobre 2019

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 04

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


  1  

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Françoise Dumas. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir pour la première fois le général Thierry Burkhard, le nouveau chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT). Le général Jean-Pierre Bosser a quitté l’uniforme au mois de juillet dernier. Le 5 juin, au cours d’une dernière audition, nous avions salué la force de son engagement, ainsi que sa disponibilité à l’égard de notre commission. Nous lui souhaitons de réussir dans ses nouvelles fonctions, ce dont je ne doute pas au regard de ses qualités et de ses convictions.

Général, nous sommes ravis de vous accueillir. Nous espérons tisser avec vous les mêmes liens de confiance qu’avec votre prédécesseur. Après l’audition de la ministre des armées hier soir et celle de la secrétaire d’État ce matin, vous inaugurez le cycle des auditions consacrées aux enjeux budgétaires. Je souhaite que cette première rencontre soit l’occasion de nous présenter votre vision de l’armée de Terre, ainsi que vos priorités et vos points de vigilance. Votre expérience à la tête du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) vous confère une expertise très fine de nos engagements opérationnels. Nommé inspecteur de l’armée de Terre en 2018, vous en avez une connaissance particulièrement approfondie.

Un triple défi vous attend : le défi opérationnel ; celui de la fidélisation et de la montée en compétences ; et celui de la modernisation, avec l’arrivée des nouveaux matériels Scorpion. Nous n’ignorons pas que la montée en puissance décidée en 2015 dans un contexte opérationnel marqué par des engagements multiples, y compris sur le territoire national, impose à l’armée de Terre un effort de recrutement et de formation continue, alors même que vous faites face à un déficit de sous-officiers qualifiés, à la suite de la déflation organisée entre 2008 et 2015. Vous nous commenterez le projet de loi de finances pour 2020. Vous permettra‑t‑il de relever tous ces défis ? Sera‑t‑il conforme à la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 ? Après vous avoir laissé la parole, je laisserai à mes collègues le soin de vous poser toutes les questions qu’ils souhaiteront.

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Madame la présidente, Mesdames, Messieurs les députés, je suis un peu impressionné par cette première audition devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Je voudrais exprimer devant vous tout l’honneur que je ressens d’avoir été désigné chef d’état-major de l’armée de Terre. Je mesure combien la tâche est immense et difficile, mais, soyez-en sûrs, je suis prêt à relever le défi avec beaucoup de détermination et d’humilité. Je suis également très heureux et très fier de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui. À travers vous qui les représentez, c’est en fait à tous les Français que je m’adresse.

Avant de commencer, je souhaite vous présenter les deux officiers qui m’accompagnent : le colonel de la Regontais, chef du bureau finances – c’est lui qui répondra à toutes les questions un peu difficiles que vous me poserez (Sourires) – et le colonel Mabin, chargé des relations institutionnelles pour l’armée de Terre.

Mon objectif, pour ce premier contact avec vous, est de vous expliquer ma vision de l’armée de Terre, telle qu’elle est aujourd’hui, mais aussi telle qu’il faudrait qu’elle soit demain, pour relever les nombreux défis que nous aurons à affronter. Vous le savez, j’hérite du général Bosser d’une armée de Terre qui s’est collectivement appropriée le modèle « Au contact ». Ce modèle, qu’il a porté pendant cinq ans, montre toute sa pertinence.

Une belle maturité et une forte jeunesse, voilà ce qui caractérise notre armée de Terre. Une belle maturité tout d’abord, parce nous sommes engagés en opérations avec des succès reconnus. Mais, dans le domaine des opérations en particulier, les succès ne sont jamais acquis. Nous devons rester extrêmement vigilants, car nous avons, en face de nous, des ennemis qui ont tout autant envie de vaincre et qui ne nous font aucun cadeau. Belle maturité également, parce que nous avons une armée de Terre qui s’est adaptée aux opérations d’aujourd’hui, qui sait travailler en multinational et en interarmées, et pour qui le « agir ensemble » du Président de la République est vécu de manière concrète, au quotidien, en opérations, comme à l’entraînement.

L’armée de Terre, c’est aussi une forte jeunesse. C’est bien sûr notre ADN, car le combat Terrestre est éprouvant. Mais cette très forte jeunesse est aussi la conséquence de la remontée salutaire de nos effectifs depuis 2015. Elle se traduit par une baisse significative de l’âge moyen chez nos soldats, mais aussi chez nos cadres de contact. Il est donc impératif de faire progresser nos hommes en grade et en compétences.

Dans ce cadre, nous avons besoin de consolider notre modèle d’armée et de lui donner encore plus de force et d’efficacité. Mais j’estime que nous avons une LPM et un PLF très favorables qui nous en donnent les moyens. Le PLF confirme la trajectoire de remontée en puissance qu’il faut désormais tenir dans la durée. Comme moi, vous savez que nos soldats commencent à mesurer les efforts consentis par la nation. Je pense notamment à la préparation opérationnelle qui a repris depuis 2017. Vous l’avez constaté au contact de nos hommes : quand on aime son métier de soldat, on ne demande qu’une chose, c’est se préparer au combat, dans les meilleures conditions, avec du matériel performant.

Mais nos soldats et leurs chefs ont également bien compris l’exigence qui va de pair avec la confiance que la nation nous accorde. Nous devons rester exemplaires, et chaque euro dépensé doit être un euro bien utilisé. Rester exemplaires, c’est aussi nous inscrire pleinement dans les différents chantiers lancés par la ministre des armées. Je pense notamment à la modernisation de la maintenance et à l’amélioration des conditions de travail de nos hommes et des conditions de vie de nos familles.

Mon raisonnement est le suivant : le modèle « Au contact » est en place et confère une organisation stable et efficace à l’armée de Terre ; je ne souhaite pas changer de modèle, mais au contraire m’appuyer dessus pour consolider notre préparation opérationnelle ; c’est pourquoi j’ai ordonné la préparation d’un plan stratégique, qui sera diffusé en 2020 et qui vous sera présenté lorsque qu’il sera finalisé, si vous le souhaitez.

Néanmoins, certains constats peuvent d’ores et déjà être partagés. Il me semble important de vous associer à quelques-unes de mes premières réflexions.

Tout d’abord –et cela a été parfaitement décrit lors de l’université d’été de la défense–, nous vivons une mutation profonde de la conflictualité, mutation qui semble en accélération permanente. Le monde de ces trente dernières années, vous le connaissez comme moi, est celui des interventions dures, limitées dans l’espace et dans l’emploi des moyens, des guerres contre les organisations terroristes, des conflits généralement asymétriques, au pire dissymétriques, mais guère au-delà. Le monde dans lequel nous sommes en train de basculer est plus difficile à caractériser, mais certains signaux sont parfaitement clairs.

Premier constat : nous entrons dans une période de fortes turbulences marquée par l’incertitude et l’érosion de l’architecture de la sécurité collective. C’est l’ère des guerres indiscernables et soudaines.

Deuxième constat : les champs de la conflictualité s’élargissent rapidement et deviennent aussi plus flous. Les modes de recours à la force se diversifient. Les actions de force sous le seuil de violence ou non attribuables se combinent à la manipulation des perceptions et à la stratégie de l’ambiguïté.

En parallèle, l’accès à des capacités militaires de haute technologie – drones, missiles, roquettes de longue portée ou moyens de brouillage –, par des groupes irréguliers et par de nombreux États instables ou qui affichent des ambitions régionales, peut désormais remettre en cause la supériorité des armées occidentales. C’est ce que l’on a pu constater avec l’attaque des installations pétrolières saoudiennes, le 14 septembre dernier, mais aussi avec la guerre que se livrent pro‑Haftar et pro‑gouvernement d’entente nationale en Libye, à moins de 2 000 kilomètres de nos côtes. D’autres États que les États occidentaux sont désormais capables de réaliser des frappes chirurgicales.

Troisième constat : le milieu Terrestre ne sera peut-être pas systématiquement le lieu de l’éclosion des confits, comme la montée des tensions en mer de Chine nous le laisse entrevoir. Mais le milieu Terrestre restera celui où les guerres se fixent et se prolongent.

Quatrième constat, qui n’est pas nouveau, mais qui se vérifie davantage chaque jour : le milieu Terrestre est celui de la complexité, d’une complexité en trois dimensions. La première dimension est physique. Le milieu Terrestre est rugueux, hétérogène, difficile et cloisonné. Pour un soldat de l’armée de Terre, qui porte son sac et son équipement, qui dort dehors et qui mange une ration, même s’il n’est pas sous le feu de l’ennemi, il fera toujours trop chaud, trop froid ou trop humide. Le milieu terrestre est toujours exigeant.

La deuxième dimension est humaine. C’est dans le milieu Terrestre que vivent les populations et que se joue la guerre des perceptions, mais c’est là aussi que nos armées subissent l’essentiel de leurs pertes.

Enfin, la troisième dimension est temporelle. Les conflits s’étirent de plus en plus dans le temps et y trouvent de plus en plus difficilement une issue, car les victoires militaires peinent aujourd’hui à se traduire en solutions politiques.

Pour ajouter de la complexité, la couche Terrestre s’épaissit. La guerre se déroule également sous les pieds et les roues de nos soldats, dans les souterrains, comme à Mossoul en Irak. Elle se déroule également dans les airs, avec l’emploi des drones, des hélicoptères – et c’est aussi la zone où transitent nos obus et nos roquettes. Tout cela mérite d’être pris en compte et bien coordonné.

Au vu de ces constats, mon sentiment est que le spectre d’un conflit majeur, à tout le moins, la menace d’affrontements militaires encore plus durs que ceux que nous avons connus ces vingt dernières années, doivent être envisagés. Nous devons nous y préparer.

En ce qui concerne l’armée de Terre, nous ne pouvons pas exclure d’être surpris – notre ennemi fera tout pour que ce soit le cas –, mais nous n’avons pas le droit de ne pas être prêts, alors même que la menace est aujourd’hui très clairement perceptible. Ne voyez aucun catastrophisme dans ce constat, mais seulement la prise de conscience qu’il nous faut être prêts à cette éventualité. J’ai là aussi le sentiment que si nous sommes bien préparés, cela pourrait faire reculer ou détourner la menace et nous éviter de devoir engager un conflit majeur.

Le plan stratégique que nous préparons déclinera ainsi toutes les conséquences qu’implique l’évolution de la conflictualité dans le milieu Terrestre. Mais globalement, cela veut dire que nous allons devoir passer de la préparation d’une guerre ou de plusieurs guerres, bien définies, comme nous les menons aujourd’hui dans la bande sahélo‑saharienne ou en Irak, à La guerre – j’insiste sur ce « L ». Nous devrons être prêts à nous engager en permanence et sans préavis, avec l’ensemble de nos capacités et le meilleur niveau de préparation opérationnelle à l’instant T.

Pour cela, il nous faut une armée de Terre intégratrice. L’armée de Terre doit d’abord parfaitement maîtriser l’intégration de ses propres capacités. Je dois en effet pouvoir proposer au chef d’état­‑major des armées (CEMA) une large variété d’options militaires dans le milieu aéroterrestre, avec un panel de capacités combinant emploi de la force et actions dans les champs immatériels. Nous devons maîtriser tout l’éventail des capacités traditionnelles : renseignement technique et humain, combat grand froid, projection aéroportée ou amphibie, unités blindées à forte puissance de feu, aérocombat, mais également des capacités rares, telles que le nucléaire radiologique biologique ou chimique (NRBC) ou la livraison par air. Nous devons aussi continuer à investir de nouveaux champs : cyber, déception, résistance à la désinformation ou encore meilleure prise en compte de l’influence.

Être efficace tout seul n’a pas grand sens. Il nous faut également poursuivre nos efforts d’intégration interarmées. Nous avons beaucoup progressé, énormément même. C’est vrai pour Barkhane et pour Chammal, avec des résultats assez remarquables. Mais demain, le conflit majeur ne laissera aucun délai de préparation à ceux qui n’auront pas atteint un niveau suffisant d’intégration interarmées.

Je le répète souvent : l’armée de Terre ne peut imaginer combattre seule. Elle a besoin des autres armées, mais aussi des autres directions et des autres services, dès le temps de paix. Cela nous fera progresser dans la définition des normes et des procédures qui nous permettront de gagner, et de le faire ensemble.

S’il n’est pas concevable de conduire des opérations hors de l’interarmées, il n’est pas non plus possible de le faire sans nos alliés. Personne n’imagine aujourd’hui conduire un engagement majeur au niveau national. L’interopérabilité avec les alliés de la France doit être technique mais aussi culturelle. Le partenariat stratégique Capacité Motorisée (CaMo), avec l’armée de Terre belge, constitue en cela une opportunité et un défi extraordinaires.

Je souhaite donc inscrire l’armée de Terre dans une dynamique permettant d’intégrer d’autres pays dans la communauté Scorpion. C’est comme cela que l’on contribuera à construire une culture de défense européenne. Je pense aussi à tout le bénéfice que cette dynamique apportera à l’initiative européenne d’intervention.

Enfin, l’armée de Terre doit, comme toujours, se tourner vers les Français, parce que nous avons un rôle à jouer dans la cohésion nationale qui est notre premier niveau de résilience. Je pense notamment à notre jeunesse, à qui nous pouvons le plus apporter – jeunesse qui est bien évidemment notre vivier de recrutement. À ce titre, le service national universel (SNU), qui est un projet de société ambitieux, concerne aussi l’armée de Terre qui y consacrera les moyens justement nécessaires, en veillant toutefois à ne pas obérer ses capacités opérationnelles.

Je vous propose maintenant de partager avec vous mes trois priorités.

Pour être à la hauteur des défis à venir, il nous faut d’abord une armée de Terre disposant des moyens matériels nécessaires et suffisants. Il nous faut aussi une armée de Terre qui rehausse son niveau d’exigence opérationnelle. Il nous faut surtout une armée qui valorise celles et ceux qui s’engagent pour leur pays.

En termes de moyens capacitaires, nos objectifs dans le cadre de la LPM 19-25 restent identiques : il s’agit d’achever la réparation et de poursuivre la modernisation de l’armée de Terre. C’est ce que permet parfaitement ce projet de loi de finances.

Sur le plan capacitaire, nous avons un dilemme à résoudre : comment surclasser un adversaire qui sera demain symétrique, tout en étant capables de nous opposer à un adversaire qui se fond dans la population et qui est doté de capacités dites nivelantes – roquettes ou engins explosifs improvisés.

Notre réponse, c’est le programme Scorpion, issu d’une réflexion de fond menée par l’armée de Terre depuis quinze ans sur le combat collaboratif. Pour l’expliquer de manière assez simple, il faut d’abord essayer d’imaginer ce qu’est le combat aéroterrestre aujourd’hui.

Comme vous le voyez sur l’image projetée à l’écran, le milieu Terrestre se caractérise par une dispersion doublement nécessaire. Elle est nécessaire pour couvrir et contrôler le terrain et échelonner les différents moyens de combat : les unités de mêlée et de renseignement de contact, avec des moyens d’appui très en avant – génie par exemple ; les unités d’appui légèrement en arrière, comme l’artillerie, les moyens de guerre électronique ou de renseignement ; les postes de commandement tactiques et les unités logistiques en attente ; les postes de commandement opératifs et les moyens de soutien plus lourds.

Mais cette dispersion est aussi nécessaire pour éviter d’être concentrés et de constituer une cible, dans la mesure où la guerre moderne devient une guerre de ciblage. Scorpion nous permettra de gagner dans ce type de guerre, grâce à la supériorité informationnelle, mais surtout grâce à notre supériorité décisionnelle.

Les véhicules de la gamme Scorpion sont des plateformes de haute technologie interconnectées qui nous feront entrer dans une nouvelle ère : celle du combat collaboratif, de la robotique et de l’intelligence artificielle. Ce web ou cette 5G du combat Terrestre va nous entraîner assez loin, notamment en termes de doctrine et de procédures. Nous avons encore beaucoup de choses à découvrir et à affiner dans ce domaine. Des structures comme le Battle Lab Terre, à Satory, et la Force d’expertise du combat Scorpion (FECS), à Mailly, sont essentielles.

Pour en terminer avec Scorpion, notre objectif est de déployer, sur un théâtre opérationnel, un premier groupement tactique interarmes pour la fin de l’année 2021. Pour cette raison aussi, il ne faut pas de retard dans les livraisons des nouveaux matériels.

Dans l’environnement aéroterrestre que je viens de vous décrire, les drones ont déjà toute leur place. L’armée de Terre, précurseur dans l’emploi des drones, renouvelle d’ailleurs son segment tactique avec le Patroller, de 18 mètres d’envergure, qui volera à 3 000 mètres, et élargit sa capacité jusqu’aux plus bas échelons avec les nano-drones du combattant comme le Black Hornet, qui pèsera 18 grammes pour quelques centimètres et volera jusqu’à 50 mètres d’altitude. En 2023, l’armée de Terre disposera d’une flotte d’environ 1 200 drones, pour moins de 200 aujourd’hui.

Mais une armée, et d’autant plus l’armée de Terre, c’est aussi un nombre considérable d’équipements qui protègent nos soldats, tout en augmentant leur capacité d’agression. Je pense au fusil d’assaut HK 416, aux jumelles de vision nocturne (JVN), au système modulaire balistique (SMB) ou encore au treillis F3. Ces équipements sont d’ailleurs d’emblée projetés en opérations, où ils apportent une plus-value immédiate face à une menace en constante évolution. C’est, je pense, la première chose que l’on doit à nos soldats : leur donner les moyens de réaliser leur mission.

Ma deuxième priorité est d’élever le niveau d’exigence de la préparation opérationnelle. Pour s’entraîner correctement, il faut du temps et du potentiel pour nos matériels majeurs. C’est ce que la LPM 19-25 prévoit, pour nous permettre d’atteindre, à terme, certains seuils minimums : 1 100 kilomètres par équipage de véhicule de l’avant blindé (VAB) ou de Griffon ; 110 coups pour les servants de CAESAR ; ou encore 200 heures de vol par équipage d’hélicoptère.

L’entrée dans Scorpion va augmenter le poids de la formation et de la préparation opérationnelle nécessaires, pour prendre en compte les nouveaux matériels, identifier de nouvelles tactiques, faire évoluer les procédures, ce qui va encore augmenter dans l’absolu le plan de charge des unités. Pourtant, les journées dureront toujours vingt‑quatre heures et il n’y aura que sept jours par semaine. Il nous faudra nous réorganiser pour gagner du temps. Je veux retrouver des marges de manœuvre, au profit de l’entraînement en garnison, en particulier.

Le plan stratégique devra apporter également des solutions à cette problématique, grâce à des mesures d’organisation et de simplification internes. C’est aussi tout l’apport des moyens modernes de simulation qui constituent des compléments indispensables à l’entraînement sur le terrain.

Ma troisième priorité, qui est la première en réalité, c’est le soldat de l’armée de Terre, qui constitue notre plus grande richesse. Je voudrais d’abord vous rappeler qui est le soldat de l’armée de Terre. Vous le connaissez bien, mais les Français un peu moins. Le milieu Terrestre, nous l’avons vu, est naturellement abrasif et rugueux. Dans le combat moderne, il faut rappeler une dimension supplémentaire que nous avons identifiée tout à l’heure : la dispersion. Par nature, le combattant Terrestre, quels que soient son niveau et sa fonction, se retrouve isolé, tout seul dans le pire des cas, avec son chef immédiat dans le meilleur, c’est-à-dire un caporal ou un sergent. C’est une dimension très forte, psychologiquement, moralement et intellectuellement. Ce soldat porte parfois à lui seul la réussite ou l’échec de la mission.

Il existe ainsi, structurellement, une grande décentralisation des responsabilités dans les unités de l’armée de Terre. Il faut par conséquent développer le sang-froid et l’intelligence de situation chez nos soldats. Il leur faut aussi une intelligence plus technique pour mettre en œuvre des systèmes d’armes de haute technologie.

Nos hommes, ce sont d’abord nos chefs. J’attache donc beaucoup d’importance à la qualité du commandement qui doit développer les forces morales, lesquelles sont un vrai facteur de supériorité opérationnelle. Le chef joue, plus que jamais, un rôle central dans une armée moderne.

Nous devons apprendre à nos soldats la ténacité, l’audace, le souci de l’autre et le courage physique et intellectuel. Les jeunes qui nous rejoignent ont aussi soif de sens et de repères. Nous devons leur donner ce qu’ils viennent chercher, en leur proposant un référentiel éthique fort.

C’est la raison pour laquelle l’armée de Terre doit être plus encadrée. Vous le savez, notre taux d’encadrement de 11,2 % est l’un des plus bas parmi les armées de Terre occidentales qui atteignent généralement les 15 %. Notre objectif est d’atteindre, dans un premier temps, les 13 %. Cet encadrement de qualité est aussi la clé de la formation et de la fidélisation de nos soldats. Efficace en termes de recrutement, parce qu’elle demeure attractive, l’armée de Terre réalisera ses effectifs en 2020, comme elle l’a fait en 2018 et s’apprête à le faire en 2019.

Néanmoins, cet équilibre est fragile. En effet, dans le monde de plus en plus concurrentiel dans lequel nous vivons, il est essentiel que l’armée de Terre ait les moyens de rester attractive, pour capter et savoir garder les compétences humaines et techniques de plus en plus pointues de nos soldats.

Pour cela, nos hommes ont besoin de considération, à la hauteur de leur engagement et de leur sacrifice. Vous les avez vus en garnison, à l’entraînement, sur les théâtres d’opération, et vous savez combien ils sont dévoués à leur pays et à leur armée. Bien sûr, il leur arrive de faire des erreurs, voire des fautes. Ils sont sanctionnés quand c’est le cas. Mais je regrette qu’ils souffrent parfois d’une image d’Épinal qui a la vie dure dans notre pays : celle d’exercer un métier facile et sous‑qualifié. C’est évidemment très loin de la réalité, et ils ne méritent pas cela.

Il faut donc veiller à bien les traiter, en se donnant notamment des moyens en termes de rémunération, de soutien aux blessés et d’infrastructures. C’est en cela que la volonté de la ministre des armées de nous redonner de la subsidiarité, par exemple avec le transfert d’une partie du budget infrastructures, est perçue de manière très positive et nous oblige en termes de résultat. Le plan Famille est aussi une belle opportunité qu’il nous faut mieux exploiter pour répondre aux fortes attentes : accompagnement de la mobilité, accompagnement des familles pendant l’engagement opérationnel. On peut demander beaucoup à nos soldats, mais ils aiment se sentir soutenus.

J’espère vous avoir permis de comprendre comment j’appréhende ma mission et quelle est ma perception des enjeux auxquels l’armée de Terre va devoir faire face. Vous savez également ce qui me tient à cœur. Je vous remercie pour votre attention.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, général, pour vos mots et la sincérité de vos derniers propos. Nous partageons tous ce profond respect pour vos hommes, où qu’ils soient.

M. Thomas Gassilloud. Mon général, c’est également un moment important pour nous de recevoir le nouveau CEMAT. Après deux ans de mandat parlementaire, chacun d’entre nous a une conscience aiguë de l’importance de l’armée de Terre et de ses fortes singularités. Nous sommes fiers de pouvoir compter sur une armée de Terre qui combine une grande maturité, qui se manifeste notamment par ses succès opérationnels et sa capacité à agir en coalition, à une forte jeunesse, la rusticité et l’esprit guerrier à la haute technologie. Si beaucoup a été fait pour accompagner la remontée en puissance engagée en 2015, les défis que vous avez à relever sont importants pour consolider les acquis et préparer l’avenir. Je profite de mon intervention pour vous manifester de nouveau toute notre confiance.

La fidélisation est un objectif prioritaire pour reconstituer un socle de sous‑officiers expérimentés. Pouvez-vous nous faire part de vos axes de travail à ce sujet ?

Sur le volet capacitaire, la question de la livraison des Griffon a été longuement abordée par notre ministre, hier soir. Le PLF 2020 prévoit la livraison d’un drone Patroller. Pouvez-vous nous faire un retour sur sa feuille de route en matière d’armement ?

Mme Sereine Mauborgne. Général, s’agissant de la formation des caporaux et des sergents, dont nous avons tant besoin, vous fixez un objectif d’encadrement à 13 %. Il est important que l’armée de Terre demeure cet ascenseur social, qui permet à des jeunes d’accéder à des niveaux d’instruction et de responsabilité, essentiels dans notre société. Êtes-vous suffisamment équipés pour accueillir ces futurs élèves ? De quoi avez-vous besoin pour aider les jeunes à monter en grade ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Mon général, je tiens avant toute chose à vous apporter les respectueuses salutations du pilote tandem Roger Jacquet, du 2e régiment étranger de parachutistes (REP), avec lequel j’ai eu l’honneur de sauter à Calvi ce week-end, pour la Saint Michel. Je crois que vous le connaissez bien !

Quel est selon vous l’impact de la cuvette capacitaire, dans laquelle se trouve l’aviation de transport tactique, sur la tenue du contrat opérationnel des troupes aéroportées ? En effet, j’ai cru comprendre que l’A400M était enfin qualifié pour le largage para des deux côtés…

D’autre part, où en sommes‑nous dans la dotation en HK ? Nos forces ont besoin d’un HK par homme dans les régiments d’infanterie, avec suffisamment de munitions pour s’entraîner. Vous me répondrez sans doute que tout le monde sera servi en temps voulu… Le renouvellement des fusils permettra­‑t‑il de rompre avec cette pratique que l’on a pu observer avec le FAMAS, consistant à les mutualiser plutôt qu’à binômer chaque homme avec son arme ?

Enfin, l’organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) du fusil se fait-elle avec plus de fluidité ? L’industriel sous pression risque d’être plus accaparé par la production que par le MCO, moins bien payé.

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Mon général, si vous avez mentionné Mossoul, tout à l’heure, pour ses souterrains, j’aurais souhaité parler, quant à moi, de la place de l’artillerie dans le combat et du retex du 11e régiment d’artillerie de marine (RAMA). Dans un moment de haute intensité, on a vu qu’il nous fallait plus d’obus traditionnels, avec un réceptacle plus large, d’ailleurs, pour en mettre quelques-uns dans le panier, comparativement aux Excalibur qui sont, eux, téléguidés. Après avoir interrogé régulièrement votre prédécesseur, la direction générale des armées (DGA) et Nexter sur ce sujet, j’ai vu que les choses évoluaient. Est‑ce que, sans dénaturer le rôle de l’artillerie, vous vous inscrivez dans cette évolution, afin de disposer de munitions plus précises ?

M. Fabien Gouttefarde. Mon général, je vous félicite pour votre nomination et votre parcours ! Mon collègue ayant eu la même idée de question que moi, je vais la reformuler. Plusieurs puissances, comme les États-Unis, l’Australie ou l’Allemagne, ont doté leurs canons d’obus de précision, ce qui n’est, à ma connaissance, pas le cas de la France. Nous savons que le potentiel des CAESAR, très utilisés ces derniers temps, n’est paradoxalement pas suffisamment exploité, faute de pouvoir utiliser des obus de précision, notamment pour appuyer nos unités de combat, lorsqu’elles sont imbriquées en zone urbaine, et pour éviter les effets collatéraux – une priorité pour nos armées. L’année dernière, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, le général Bosser nous avait dit que le sujet de l’acquisition de telles munitions était à nouveau sur la table, dans le cadre de la remontée en puissance. Pourriez-vous nous préciser où nous en sommes et quels sont les éventuels problèmes budgétaires qui se posent ?

M. Joachim Son-Forget. Mon général, nous sommes heureux de faire votre connaissance. On a pu lire dans la presse des articles sur l’épuisement des jeunes militaires engagés en opex et dans l’opération Sentinelle. Souhaitez-vous nous faire un retour à ce sujet ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les JVN, qui représentent un véritable défi eu égard à leur coût. Des progrès industriels ont également été réalisés en matière de jumelles télémétriques. Des armées étrangères ont commandé des JIM LR, alors que vous ne disposez pas, à l’exception de quelques échantillons, des modèles plus avancés. Le budget prévu dans le cadre de la LPM vous permet-il d’assurer un renouvellement technologique ?

M. Bastien Lachaud. Mon général, j’aimerais vous interroger sur deux éléments. D’un point de vue strictement budgétaire, et sous réserve d’un examen plus approfondi de l’annexe qui n’a été publiée qu’hier, l’action 2, relative à la préparation des forces terrestres[DLB1], du programme 178 « Préparation et emploi des forces », voit une hausse de crédit de 21 millions d’euros. À l’inverse, l’action 55 du programme 212 « Soutien de la politique de défense » subit une baisse de 155 millions d’euros, alors que les plafonds d’emplois passent de 102 902 à 105 426. Pouvez-vous nous expliquer la logique à l’œuvre ?

Par ailleurs, d’un point de vue plus doctrinal, la ministre a récemment annoncé la création d’une task force verte. Ces questions d’écologie ont-elles été budgétées dès cette année ? Comment l’armée de Terre entend-elle contribuer aux réflexions au sein de ce groupe de travail ?

M. Yannick Favennec Becot. Mon général, le projet de loi de finances pour 2020 engage des crédits pour l’entretien programmé des matériels. Des contrats pluriannuels ont été conclus, lesquels se traduisent par des engagements importants. En 2020, la contractualisation concernera notamment les chars Leclerc ou les matériels FÉLIN. Quel est votre avis sur la signature de tels contrats ? La contractualisation répond-elle pleinement aux attentes de nos armées ?

S’agissant des blessés, quels moyens sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2020, afin de gérer leur rapatriement et d’assurer leur suivi, notamment en cas de syndrome post‑traumatique ?

M. André Chassaigne. Général, je voudrais vous interroger sur les emplois qui ont effectivement été créés dans l’armée de Terre sur le budget pour 2019, dans le cadre de ce qui avait été attribué à l’armée. Sur le chiffre de 466 dont je dispose, combien ont concerné l’armée de Terre et de quel type d’emploi s’agit-il ? De même, quels sont les emplois prioritaires parmi ceux qui sont annoncés pour 2020 ?

Concernant le taux d’attrition des contrats, nous avons eu vent de nombreuses démissions qui nous interrogent. On reproche, par exemple, au centre d’information et de recrutement des forces armées de vendre du rêve aux nouvelles recrues, qui se retrouvent ensuite à faire des activités qui ne correspondent pas aux contrats signés, ce qui crée beaucoup de frustration et les conduit souvent à cesser ces activités. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Merci beaucoup pour toutes vos questions.

Monsieur Gassilloud, s’agissant de la fidélisation des sous‑officiers, comme vous le savez, le rôle de l’encadrement est essentiel. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, le rajeunissement a eu un impact fort sur nos sous‑officiers, en particulier sur nos cadres de contact. Dans nos sections, nous avons des sous‑officiers adjoints. L’adjoint étant capable de remplacer le chef de section, cette fonction représente une étape très importante pour les sous‑officiers en termes de qualification. Ils doivent détenir un brevet, le brevet supérieur de technicien de l’armée de Terre (BSTAT). Or, aujourd’hui, 50 % de ceux qui occupent la fonction de sous‑officier adjoint ne le possèdent pas. Quand j’étais chef de section, une telle situation était inconcevable. C’est la preuve d’une moindre expérience dont il faut être conscient, ce qui ne signifie pas, pour autant, que cela ne marche pas.

Pour rattraper cela, il faut d’abord du temps. Cela signifie qu’il est important de fidéliser nos sous‑officiers. Il existe un système de prime de lien au service qui a été instauré pour inciter nos hommes à prolonger leur contrat et à occuper des postes à responsabilité. Mais c’est aussi une question, comme je l’ai dit, de qualité du commandement. Le chef sera toujours responsable de tout. C’est un principe fort. Bien évidemment, l’incitation pécuniaire et les primes de lien au service sont importantes. Mais je pense que nous devons également donner toujours plus de perspectives à nos hommes et des emplois toujours plus intéressants. Cela suppose aussi d’augmenter la part de l’entraînement opérationnel. C’est un tout et c’est un véritable défi, hérité de la remontée en puissance de 2015. Les sous‑officiers les plus anciens commencent à partir, il nous faut donc impérativement faire monter en qualification les plus jeunes sous‑officiers pour occuper leur place.

Cela soulève aussi d’autres questions. Il y a toujours une forme d’inertie dans les ressources humaines. Mais vous comprenez bien qu’il faut aussi être capable[DLB2] d’imaginer, pour ces sous‑officiers que l’on fait progresser plus vite, une deuxième partie de carrière, un peu différente de celle de leurs prédécesseurs. Quoi qu’il advienne, Scorpion nous forcera certainement à redistribuer les cartes en termes de répartition des responsabilités. Il y aura probablement de nouveaux postes et de nouveaux emplois à pourvoir. Ces sous‑officiers, mis très tôt en situation de responsabilité, constitueront, à mon avis, la ressource humaine dont nous avons besoin pour Scorpion.

M. Jean-Jacques Ferrara, une livraison de 10 000 HK416 est prévue l’année prochaine. Chaque année, la même quantité d’armes sera livrée dans les régiments. Vous m’avez demandé si la livraison était assez rapide : je vous répondrai que ce serait encore mieux si tous nos fusils étaient livrés l’année prochaine ! Mais il faut être raisonnable et un véritable effort a d’ores et déjà été accompli. Le général Bosser avait très bien expliqué que le maintien d’armes anciennes coûtait plus cher que l’achat d’armes neuves. A ce stade, les capacités de production de l’industriel et ses livraisons nous satisfont.

Il est certain que nos soldats, dans leurs régiments, sont très contents de voir arriver le HK416, comme ils le sont chaque fois que du matériel neuf est livré. Hier, j’ai pu voir au 1er Régiment d’Infanterie de Marine trois pelotons qui revenaient du CEITO, le Centre d’entraînement de l’infanterie au tir opérationnel, sur le plateau du Larzac. Deux pelotons étaient équipés du HK416, un du FAMAS, et les premiers ont obtenu de bien meilleurs résultats, en particulier lors des tirs de nuit. L’apport est bien réel.

M. Thomas Gassilloud. Quid de l’armement du Patroller ?

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Un système doit être livré l’année prochaine. Vous l’avez compris, ces équipements seront livrés au 61e régiment d’artillerie (RA). Ce matériel apportera une plus-value extraordinaire et s’intègrera parfaitement dans la bulle info-valorisée Scorpion.

Une partie du travail consistera à former les opérateurs – les pilotes de systèmes de drones. Mais le vol n’est qu’une première étape : il faut aussi une parfaite intégration en termes de coordination 3D avec aussi les différents intervenants des armées et principalement avec l’armée de l’air. Ce n’est pas tout, il est également essentiel de bien orienter ces capteurs, dans les bonnes zones. Il y a également le travail d’analyse des images qui nécessite toute une chaîne d’exploitation.  Le 61e RA maîtrisera la totalité de ces capacités et de ces compétences, depuis la formation des pilotes et des équipages de pistes jusqu’aux parties orientation du capteur, exploitation des images et production de renseignement. Je suis confiant, et nous serons très vigilants.

À mes yeux, la question de l’armement du Système de drone tactique (SDT) est réglée. Dès lors qu’il est jugé logique, raisonnable et efficace d’armer les Reaper, la réponse va de soi pour les autres drones. Dans le combat moderne, il importe de traiter rapidement des objectifs très furtifs. Dès lors, il serait tactiquement absurde que nous ayons un capteur capable de surveiller une grande zone et de détecter l’objectif recherché et de faire appel à d’autres moyens, souvent éloignés, pour le détruire. Cela étant, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, le Patroller ne sera pas un moyen d’appui sur le champ de bataille, il n’est pas fait pour cela, mais qu’il ne puisse pas traiter instantanément un objectif à haute valeur ajoutée n’aurait pas de sens.

Mme Sereine Mauborgne, la formation de nos caporaux et de nos sergents, contribue à augmenter le taux d’encadrement. Notre institution se caractérise d’abord par le fait de placer nos hommes en situation de pouvoir remplacer leur chef. C’est un peu ce qui caractérise l’armée de Terre : un soldat a vocation à devenir caporal, un caporal, sergent, et ainsi de suite. C’est un processus finalement assez puissant, qui nécessite de bien former les gens et de toujours leur donner une perspective d’avenir.

La politique des ressources humaines (RH) implique toutefois que cela corresponde aussi à des emplois – former un caporal et ne pas lui donner des responsabilités de son niveau a un effet déstructurant, qui est mal ressenti par tout le monde. Il convient de bien organiser la formation de nos hommes, d’avoir un flux régulier et de confier des responsabilités en correspondance avec le grade.

Vous avez parlé d’ascenseur social mais je préfèrerais plutôt parler d’escalier social car il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton : nos hommes doivent faire des efforts pour s’élever ! C’est le cas. Une grande part de nos sous-officiers est issue du rang, les proportions ont été complètement inversées par rapport à ce que l’on connaissait il y a sept ou huit ans. Il en est de même pour les officiers, où le recrutement semi-direct constitue la majeure partie de l’encadrement.

M. Jean-Jacques Ferrara[DLB3], vous m’avez interrogé sur les conséquences de la « cuvette » et du manque de moyens de largage pour la formation de nos parachutistes. C’est un vrai problème qui illustre à quel point l’armée de Terre ne peut pas faire la guerre toute seule et qui illustre à quel point nous avons besoin des autres armées.

Il n’est pas possible d’acquérir un savoir-faire technique tel que le parachutisme sans un entraînement soutenu. C’est d’autant plus important que ce type de missions ne se passe jamais comme prévu. Ce fut le cas à Kolwezi où les parachutistes étaient bien plus nombreux dans les avions qu’ils n’auraient dû l’être. L’inspection au sol et dans l’avion n’a donc pas été possible, les soldats étant trop serrés. Pour autant, il n’y a pas eu d’accident au moment du saut parce que les sections ne sautaient pas seulement trois ou six fois dans l’année mais dix ou quinze fois. C’est cet entraînement qui permet, lorsqu’une opération est déclenchée, d’aller un peu plus loin et de gagner.

C’est bien pour cela que l’arrivée trop lente de l’A400M nous met en difficulté. J’estime que nous pouvons y faire face en raison de notre savoir-faire mais… pas longtemps. Nous sommes descendus au seuil limite de six sauts par an lequel, selon moi, est à peine suffisant pour maintenir les qualifications. Avec une moyenne de six sauts par an, nous sommes obligés de faire du chiffre et nous ne faisons pas de la qualité : soit les parachutistes sautent, non-équipés, à 70 dans l’avion, soit ils sont équipés et ils sautent à 40. Lorsqu’il faut faire passer un maximum de gens avec six sauts, ils sont non-équipés or, en mission, les parachutistes le sont forcément. La qualification technique est donc maintenue au détriment de la formation tactique. Il n’est pas possible de procéder ainsi indéfiniment.

Le bout du tunnel se profile, mais les difficultés ne sont pas encore terminées. J’ajoute qu’un contrat d’externalisation est à l’étude avec une société civile pour des sauts à partir d’un avion de largage CASA, ce qui redonnera un peu d’air à la qualification « Troupes aéroportées » (TAP).

M. Michel-Kleisbauer[DLB4], vous avez raison : le retour d’expérience du 11e régiment d’artillerie de marine à Mossoul a clairement montré l’intérêt des munitions de précision. Nous n’avions pas véritablement besoin d’aller là-bas pour nous en rendre compte mais rien ne vaut l’expérience du terrain. La précision permet d’éviter les dommages collatéraux et notamment en zones urbaines. Elle permet aussi de réduire l’empreinte logistique : tirer un obus de précision pour traiter une cible qui demandait 24 obus traditionnellement permettra donc de réduire le volume de munitions à transporter et mettre en place.

Nous devons donc continuer à développer les munitions de précision qui vont apporter des capacités supplémentaires, dès lors que les industriels auront surmonté les difficultés de conception qui retardent leurs livraisons. Il faut noter que le coût des munitions augmente inéluctablement du fait des évolutions technologiques. A ressources financières équivalentes, les stocks seront inférieurs aux besoins d’un engagement majeur, même s’ils resteront suffisants pour la situation opérationnelle de référence. Il est donc primordial que les industriels restent en mesure d’augmenter leurs capacités de production en cas de remontée en puissance.

M. Yannick[DLB5] Favennec Becot, vous m’avez demandé si nous avions besoin des contrats pluriannuels sur le char Leclerc et le programme FELIN – Fantassin à équipements et liaisons intégrés ? Oui. Le char Leclerc a été conçu dans les années 1990. Si la modernisation du segment médian, avec Griffon et Jaguar, est déjà bien engagée, la relève du Leclerc et du segment lourd c’est le MGCS, Main ground combat system. Le projet avance, le dialogue entre la Direction générale de l’armement et son homologue allemand a déjà bien progressé. Il faut donc y croire et continuer à aller de l’avant. Néanmoins, même si le programme MGCS avançait très vite, le Leclerc doit être rénové à mi-vie, afin d’intégrer, en particulier, ce que l’on appelle la « couche Scorpion ». Le programme Scorpion concerne bien évidemment les véhicules Griffon et Jaguar mais le plus important reste la « couche SICS », le système d’information et de communication Scorpion reliant les engins entre eux, grâce aux postes radios de dernière génération Contact. Nous ne pouvons pas avoir dans l’armée française une configuration où une partie des forces serait reliée entre elles par le système de communication Scorpion et l’autre non. Une partie de la revalorisation des chars Leclerc passe donc par l’intégration des postes Contact. C’est indispensable. Ne pouvant parier sur une arrivée anticipée du MGCS, la rénovation à mi-vie du Leclerc est donc absolument nécessaire.

S’agissant du rapatriement stratégique des blessés, nous disposons de petits avions, des jets, particulièrement opérationnels. Le kit MORPHÉE des C135-FR, en cas de pertes plus importantes, permet de rapatrier plusieurs blessés, ce que permet également l’avion MRTT Phénix.

Dans le suivi des blessés, deux acteurs jouent un rôle principal : au premier chef, le régiment, avec, en appui, la CABAT, la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre. Je tiens à lui rendre hommage car elle fait un travail extraordinaire. Du fait du nombre de blessés important qu’elle a dû traiter, elle a acquis une véritable expertise. Psychologiquement, il est assez rude de s’occuper de blessés ou de personnes décédées. S’occuper des familles l’est encore plus. Il faut pouvoir leur expliquer comment les choses se passeront, etc. Ces professionnels sont très attentionnés et très impliqués alors que la charge émotionnelle est très lourde. Je leur tire mon chapeau car ils font des choses extraordinaires.

M. Joachim Son[DLB6]-Forget, quelques 2 000 nouvelles jumelles de vision nocturne (JVN) seront livrées en 2020. Il est toujours possible d’en avoir plus mais un effort considérable a d’ores et déjà été consenti et nous conservons de surcroît une supériorité technologique dans ce domaine. Je serais heureux que nos forces conventionnelles soient aussi bien équipées que nos forces spéciales mais je suis raisonnable et je considère que l’équilibre auquel nous sommes parvenus est correct. Outre l’efficacité et les savoir-faire des forces spéciales, l’un de leurs rôles importants, à mon sens, est aussi d’être une avant-garde pour développer des matériels qui, ensuite, après un inévitable petit décalage, seront déclinés dans les forces conventionnelles.

M. André Chassaigne[DLB7], le budget pour l’armée de Terre, c’est zéro homme supplémentaire, et ce n’est pas une surprise. Mais je ne peux pas me contredire : l’armée de Terre a besoin de tout le monde et profite également des hommes supplémentaires recrutés dans la partie « cyber » et renseignement. L’armée de Terre bénéficiera en fin de LPM – en 2024 et 2025 - d’un total de 461 hommes supplémentaires.

Vous avez fait part de la déconvenue de certains soldats par rapport à ce qui leur est dit dans les CIRFA, les Centres d’information et de recrutement des forces armées. La vérité se situe probablement entre les deux discours. Il faut bien comprendre la situation un peu particulière des armées : aucune entreprise ne repose sur un modèle comparable.

Quelqu’un se présente dans une entreprise et annonce les compétences qu’il propose. Il est alors recruté ou non. Or, ce n’est pas ainsi que nous procédons. Notre métier n’existant pas, ou peu, hors de nos structures, le défi de l’armée de Terre consiste à expliquer à un volontaire que, compte tenu de son profil psychologique et de ses aspirations, il peut faire ceci ou cela. Il y a, d’une part, des individus qui expriment leurs aspirations et ce qu’ils imaginent pouvoir faire. Il y a, d’autre part, les besoins de l’armée qu’il faut honorer.

Le recruteur essaie en toute honnêteté de comprendre les souhaits du volontaire et de détecter ses capacités tout en les mettant en adéquation avec les besoins de l’armée de Terre. Qu’un jeune soit quelquefois orienté vers une spécialité qui, au final, ne l’intéressera pas est malheureusement inévitable. Il faut travailler pour que ce soit le cas le moins souvent possible, bien évidemment, mais je ne veux pas laisser penser que le recruteur mentirait ou « vendrait du rêve ». Il sait qu’il faut recruter quelqu’un et… le garder, et non pas quelqu’un qui dans deux ou six mois voudra s’en aller. Pendant cette période, en effet, on l’aura formé, hébergé, nourri, on lui aura consacré des moyens et s’il part, il faudra recommencer avec quelqu’un d’autre. Ce n’est pas notre objectif.

Que nous ne parvenions pas à réussir à 100 %, j’en conviens, et il serait utopique qu’il en soit autrement. Je suis néanmoins d’accord : nous avons encore besoin de progresser. Un vrai dialogue est nécessaire avec ceux qui souhaitent s’engager.

M. Bastien Lachaud[DLB8], s’agissant de la Task force verte, je souhaite dire tout d’abord que si l’une des trois armées est doublement « verte », c’est bien l’armée de Terre. Le soldat de l’armée de Terre vit en effet dehors et il sait que c’est dur : il pleut, il fait chaud, il marche… Cette armée est en contact avec la nature, qui est son milieu naturel. Fondamentalement, l’armée de Terre ne peut que comprendre les intérêts écologiques. C’est peu connu mais nous luttons également pour la préservation de la biodiversité en Guyane, dans le cadre de l’opération Harpie. Les orpailleurs polluent la forêt avec du  mercure et c’est l’une des raisons premières de notre lutte contre leurs exploitations illégales.

Au-delà, je dirais que la transition écologique, la moindre consommation d’énergie, ont d’abord des retombées logistiques. Si, dans le Nord du Niger, nous n’avions que des panneaux solaires et de l’eau recyclée, nous aurions quasiment résolu la moitié des problèmes logistiques. Des recherches sont effectuées dans ce domaine-là et l’armée de Terre est très attentive aux avancées qui lui permettront de réduire son empreinte logistique. Des travaux ont également cours dans le domaine des véhicules hybrides car, là encore, le carburant est très pondéreux. La propulsion électrique est tactiquement intéressante, y compris parce qu’elle est silencieuse, mais elle soulève les mêmes problèmes que dans nos villes : il faudra installer des prises de rechargement. Quoi qu’il en soit, nous sommes attentifs à ces avancées-là.

Par ailleurs, des groupes de travail et des protocoles sont organisés, comme dans le cadre de Natura 2000, nos camps de manœuvre constituant des « espaces verts » assez importants. Nous contribuons ainsi à la protection et à la préservation de l’environnement, par exemple, lorsque des espèces rares sont identifiées.

M. Bastien Lachaud. Quid des programmes 178 et 212 ?

Colonel Ronan Haicault de la Regontais, bureau Finances. Les 155 millions du projet annuel de performances (PAP) relèvent d’un ajustement technique qui permettra un alignement sur ce qui sera effectivement réalisé en 2020. Il y avait une sur-dotation structurelle de l’action 55 dans les PAP, qui posait un problème en termes de rapprochement avec les RAP. La correction opérée vise à la remettre au bon niveau.

En fin d’année 2018 et 2019, les effectifs de l’armée de Terre sont réalisés et tel est également l’objectif de 2020. Le pilotage de la masse salariale, globalement, est « sur le trait » pour l’armée de Terre, ce dont nous sommes plutôt satisfaits.

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. J’en viens à la question de l’épuisement des forces engagées dans l’opération Sentinelle. Nos soldats ne font pas un métier facile, je l’ai dit. Des gens fatigués à la fin de la journée, il y en aura toujours, c’est un peu la règle. Sentinelle contribue-t-elle pour autant à un épuisement supplémentaire ?

Tout d’abord, on ne choisit pas nos missions, et surtout pas en fonction du degré d’épuisement qu’elles engendrent. De plus, Sentinelle a beaucoup évolué. Les missions, aujourd’hui, sont beaucoup moins statiques, ce qui rend l’opération beaucoup moins épuisante, au moins psychologiquement.

En outre, les conditions d’hébergement ont été considérablement améliorées : en janvier 2015, nous ne disposions évidemment pas de tous les points nécessaires à l’hébergement de nos 10 000 hommes qui étaient déployés dans les rues de France. Nous avons beaucoup progressé mais je n’embaucherai pas quelqu’un, dans un CIRFA, en lui disant de s’engager dans l’armée de Terre et qu’il ne sera pas fatigué à la fin de la journée : ce serait lui mentir !

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous reprenons un cycle de questions.

M. Jacques Marilossian. Je vous remercie, général, pour votre exposé et vos réponses. Permettez-moi de réitérer mes félicitations pour vos nouvelles fonctions !

Dans le cadre de l’examen de la loi de programmation militaire 2019-2025, j’avais interrogé le général Bosser sur la fameuse nécessité de « réparer l’existant », notamment, les infrastructures d’hébergement et de fonctionnement. Je me suis en particulier interrogé sur la protection des infrastructures hébergeant nos soldats de l’opération Sentinelle, les centres situés en France ou sur les sites d’opérations extérieures.

Ma question est simple : le projet de loi de finances pour 2020 répond-il d’après vous suffisamment à la nécessité de mieux protéger de telles infrastructures ? Le budget et le rythme envisagé sont-ils suffisants en France et en OPEX ?

M. Patrice Verchère. Je souhaite vous poser une question sur les conséquences du SNU, mon général. Le Gouvernement annonce qu’il coûterait environ 1,5 milliard par an, sans parler de sa mise en place, qui nécessitera un investissement. Nombreux sont ceux qui pensent que de telles sommes auraient été beaucoup plus utiles aux armées, d’autant que, nous l’apprenons, le surcoût des OPEX est évalué à 300 millions.

Au-delà de cet aspect financier, combien de militaires de l’armée de Terre seront-ils mobilisés pour encadrer ces dizaines de milliers de jeunes Français ? Quel impact cela aura-t-il sur leur entraînement et leur récupération après leur retour d’OPEX qui implique, comme vous l’avez rappelé, un entraînement opérationnel exigeant mais, aussi, de retrouver des marges de manœuvre pour ce faire ? Les journées n’ayant que 24 heures, entre Sentinelle et SNU, comment organiser tout cela ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Permettez-moi, général, de saluer tout d’abord la qualité de votre intervention.

Vous avez évoqué le développement programmé du parc de drones dans l’armée de Terre. Il est vrai qu’en la matière, la France avait pris du retard et que la LPM s’attache à le combler. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre stratégie capacitaire en matière de drones ? Quels en sont, à grand trait, les caractéristiques mais, surtout, quels sont les emplois opérationnels respectifs des nano, micro et mini-drones ainsi que des drones de type Patroller ?

Par ailleurs, dans cet espace que l’on appelle la 3D, comment s’organise la coordination avec l’armée de l’air ? Je ne pense pas seulement aux aspects opérationnels mais, aussi, aux aspects organiques, notamment, à la formation des opérateurs de drones et, peut-être, à certains points de doctrine. Dans quelle mesure faut-il que les trois armées s’organisent pour assurer une formation cohérente à leurs opérateurs de drones respectifs ? Avec quel matériel ? À l’inverse, y aurait-il un intérêt à mettre en place une formation plus ou moins interarmées pour des nano et micro-drones qui n’ont vocation à être employés qu’à une toute petite échelle, celle d’un groupe de combat ou d’une équipe de visite de bateaux ?

M. Alexis Corbière. Toutes mes félicitations, mon général, pour votre nomination.

Je me suis engagé à vous poser une question à l’occasion d’un déplacement, l’année dernière, sur la base de Niamey, où plusieurs soldats m’ont fait part de leur regret de ne disposer que de 2 Go de données internet par mois, ce qui les empêche de communiquer avec leur famille, sauf à leurs frais. Lorsque nous leur avons demandé ce dont ils avaient besoin, c’est cette réponse très concrète et pratique qui revenait le plus souvent, et nous comprenons combien cela peut être important, en particulier pour leur confort psychologique.

L’entreprise Wifirst, filiale du groupe Bolloré, assure sur son site avoir déployé 650 bornes wifi, 80 kilomètres de fibre, etc., mais ce problème, m’a-t-on dit, persiste. Quels moyens sont-ils prévus dans le PLF 2020 pour y remédier ? Que regard portez-vous sur ce problème, dont je ne doute pas que vous l’ayez identifié ? Pensez-vous qu’il puisse être assez rapidement résolu ?

M. Jean-Louis Thiériot. Mon général, je m’associe évidemment au salut de tous mes collègues : la représentation nationale est heureuse de saluer la présence de la France combattante parmi nous !

Nous savons combien la question des réserves est importante dans l’armée de Terre. Estimez-vous que les personnels, aujourd’hui, y soient assez nombreux, de même que les jours soldés et de formation disponibles ? Vice-président de la commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité intérieure, je sais qu’il s’agit d’un problème récurrent dans la gendarmerie. La situation est-elle comparable dans l’armée de Terre ?

Question connexe : l’armée de Terre possède cet établissement exceptionnel qu’est l’École supérieure des officiers de réserve spécialistes d’état-major. Des trois armées, elle est la seule à disposer d’une institution de cette nature. Vous avez évoqué la question interarmées : à ce stade, réfléchit-on à ce que des officiers de marine ou de l’armée de l’air puissent bénéficier d’une formation état-major comme elle existe aujourd’hui à l’École de guerre ?

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Je répondrai peut-être d’abord à la question de M. Corbière.

Il s’agit d’un point qui remonte fréquemment des théâtres d’opérations. Nous devons essayer de faire mieux et je crois que c’est ce que fait Wifirst, mais il faut tenir compte des différentes situations et des effectifs présents sur le site.

Nous faisons de gros efforts, et c’est normal, pour faciliter la vie de nos militaires en opération, en particulier sur les sites où ils ont accès à des moyens de communication qui les mettront en relation avec leur famille. Celui qui se trouve au milieu du désert comprend qu’il ne peut pas appeler sa famille. Celui qui est à Niamey, non, et il a raison.

Plus nos soldats sont connectés avec leur famille mieux c’est, même si cette modernisation et ce lien accru n’est pas sans soulever certains problèmes. Il y a vingt ans, celui qui partait en opération attendait quatre mois avant de revoir sa famille, il donnait des nouvelles par courrier. Les moyens modernes de communication permettent de faire beaucoup mieux.

M. Alexis Corbière. J’avais promis de vous poser la question !

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Nous avons évoqué la fidélisation des recrues. Elle repose sur de nombreux paramètres mais il apparaît que la question de l’infrastructure et celle de la considération arrivent en tête de leurs préoccupations. Je ne parlerai pas de l’infrastructure opérationnelle, qui ne pose pas de réelles difficultés. Les infrastructures liées au programme Scorpion sont bien lancées. Nous pouvions néanmoins craindre un décalage par rapport à l’infrastructure d’hébergement mais le plan hébergement a permis qu’il n’en soit rien. Des sommes conséquentes sont prévues – un milliard sur la LPM, dont 670 millions pour l’armée de Terre, ce dont je ne peux que me féliciter.

Vous le savez comme moi, la construction ou la rénovation des infrastructures prennent du temps. Bien souvent, le temps requis excède presque la durée de contrat de nos militaires. Ces 670 millions seront très utiles mais ils ne produiront pas pour autant leurs effets l’année prochaine. Il n’en reste pas moins que des rénovations et des réalisations concrètes ont lieu ou sont en cours. Le Service d’infrastructure de la défense fait du mieux possible mais il faut encore améliorer la réactivité et l’efficacité en ciblant mieux les besoins, sans se disperser. Pour nos soldats, nous devons être capables d’aller plus vite, même si nous devons rester conscients qu’un bâtiment ne sort pas de Terre en quatre mois.

Objectivement, de vrais moyens seront mis à notre disposition dans le PLF 2020 même si, je le répète, il faut que les résultats soient plus immédiats pour nos soldats.

M. Patrice Verchère[DLB9], concernant les conséquences du SNU, au-delà de l’aspect financier et en tant que citoyen soucieux de la jeunesse, je considère qu’il est logique que les armées soient, pour partie, concernées par ce projet.

Mme Sereine Mauborgne. Bravo !

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. De surcroît, sans fragiliser la capacité opérationnelle de l’armée de Terre, notre investissement dans le SNU pourrait nous permettre d’en exploiter toutes les opportunités, notamment dans le domaine du recrutement. En effet, les jeunes qui réaliseront la phase 2 du SNU dans l’armée de Terre auront, pour certains, une vision plus claire du métier militaire. Pour d’autres, cela pourrait susciter des vocations. Combien cela nous coûtera-t-il ? Le Président de la République a dit : « Je compte sur vous ». Je comprends que ce n’est pas seulement à l’armée de Terre que s’adresse le Président mais à toutes les armées et aussi aux autres ministères.

Le budget de la JDC sera affecté au SNU mais une vraie question d’encadrement se pose d’ores et déjà. L’encadrement de contact en phase une n’a pas vocation à être militaire car le SNU n’est pas un nouveau service militaire. En revanche, le véritable apport des armées réside dans la formation des encadrants qui œuvreront, eux, auprès des jeunes Français. C’est ce que nous avons joué, dans le cadre de la préfiguration, à Coëtquidan, au printemps dernier.

Vous, députés, avez également un vrai rôle à jouer s’agissant des conditions d’organisation du SNU, car il faudra bien examiner ce qu’elles seront. Je m’explique. Si je pars sur une base de 1 000 jeunes à former en une seule séquence, il faudra un nombre d’encadrants importants. Si, pour le même volume, il y a quatre sessions, il faudra un encadrement pour 250 jeunes. Le nombre de personnes à impliquer est déjà divisé par quatre ; s’il y a dix sessions, il sera divisé par dix.

M. Jacques Marilossian. Et les locaux !

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. En effet !

Un cadre civil à qui l’on proposera dix séquences dans l’année sera sans doute plus intéressé que celui à qui l’on proposera une unique formation de quinze jours.

Un allégement de la charge rendra les choses plus opérationnelles. Combien cela coûtera-t-il ? Une partie de la réponse repose sur les modalités d’organisation, qui changeront considérablement la donne.

Mme Aude Bono-Vandorme[DLB10], pour l’armée de Terre, l’utilisation des drones dépend de la profondeur d’engagement souhaité et du type de renseignements recherché. Vous l’avez bien compris, le Patroller ira plus loin que le nano-drone, qui vole à cinquante mètres du sol et dont l’objectif est de voir ce qui se passe entre 50 et 500 mètres. Le Patroller, lui, ira à plus de 150 kilomètres avec une très grande autonomie.

Le programme Scorpion, là encore, confèrera un avantage assez important. Auparavant, les processus étaient assez segmentés, les renseignements stratégiques restaient souvent au niveau stratégique même s’ils intéressaient les niveaux tactique ou opératif. Ce que verra le Patroller sera partagé avec le bataillon en première ligne. Il disposera donc certainement de renseignements utiles sur l’ennemi, des éléments que nous pouvons connaître aujourd’hui mais qui ne profitent pas encore suffisamment à l’échelon tactique.

Je l’ai dit, la formation mais aussi la coordination dans le ciel sont capitales. Je ne suis pas inquiet sur ce deuxième point. Un autre retour d’expérience de Mossoul montre, en effet, que des coordinations de plus en plus complexes sont possibles – je songe à l’utilisation de la Strike Cell, qui gère un grand nombre de patrouilles aériennes, d’hélicoptères, de drones, des trajectoires d’obus et les tirs de roquettes. Nous savons déjà travailler ainsi avec l’armée de l’air.

S’agissant de la formation, il convient de faire preuve de pragmatisme. Le métier d’un pilote de Patroller sera à peu près identique à celui d’un pilote de Reaper. Concernant le Black Hornet, on ne parlera d’ailleurs pas de pilote. L’opérateur sera un combattant qui utilisera ponctuellement un drone tiré de son sac à dos !

On ne va donc pas entreprendre de former au même endroit tous les pilotes de drone, du nano-drone au drone MALE, mais il y a là, effectivement, un segment haut auquel il faut réfléchir pour trouver les meilleures synergies. L’armée de l’air et l’armée de Terre devront nécessairement partager leurs visions. Je comprends que l’armée de l’air, par construction, considère les pilotes de drones comme des pilotes à part entière, très autonomes dans leur cabine. L’armée de Terre, pour sa part, du fait de sa culture, estime que le pilote de Patroller est totalement intégré à la manœuvre se déroulant au sol avec laquelle, au travers de son chef se trouvant derrière lui, il doit être en mesure d’interagir en permanence. Il faudra donc trouver un équilibre mais, quoi qu’il en soit, je le répète, nous devons réfléchir à la manière dont nous pourrons œuvrer ensemble et parvenir à une solution commune.

M. Jean-Louis[DLB11] Thiériot, en ce qui concerne les réservistes, l’armée de Terre ne serait pas en mesure de fonctionner sans eux. Vous l’avez vu, et je l’ai moi-même constaté hier encore en inspection à Angoulême, objectivement, dans le régiment, on ne sait plus qui est réserviste et qui est d’active. C’est pour moi une grande satisfaction. Les uns et les autres sont habillés de la même manière, se comportent de la même façon ; il y a une grande homogénéité. Je pense que c’est une grande force. On parle souvent du lien entre l’armée et la nation : le réserviste y concourt directement.

Pour ce qui est des effectifs, nous avons quasiment atteint notre cible cette année, à savoir 23 000 hommes environ sur les 24 000 que nous visons. Nous engageons 500 réservistes par jour sur le territoire national, dont 20 % servent dans le cadre de missions intérieures, le reste consistant en compléments individuels, ce qui est plus facile. Il y a eu un véritable coup de fouet depuis 2015. On est entré véritablement dans une logique d’emploi, ce qui a été bien perçu par les réservistes : désormais, ces derniers exécutent les mêmes missions que les militaires d’active sur le territoire national, ce qui est très valorisant pour eux.

Cela dit, il faut que nous réfléchissions à la manière dont nous pourrions faire évoluer notre modèle, dans le cadre de la redéfinition du plan stratégique : dans la perspective de la préparation à un conflit majeur, il faut probablement que nous soyons en mesure de demander un peu plus à nos réservistes. Toutefois, nous allons procéder de manière séquencée. Je vous ai expliqué l’effort que nous devions produire pour augmenter le taux d’entraînement et améliorer la formation de l’armée d’active ; en réalité, l’armée de Terre ne peut pas produire simultanément un effort identique pour la réserve. Nous allons donc procéder en deux étapes. Il faut d’abord poursuivre l’effort en direction de l’armée d’active, avant de renforcer la réserve. Celle-ci intervient dans ce que l’on appelle les missions communes de l’armée de Terre : elle participe à l’opération Sentinelle, ou encore fait des contrôles de zones simples. Si on veut aller plus loin, il faudra l’équiper et la former davantage. C’est notre objectif mais, encore une fois, l’armée de Terre n’est pas actuellement en mesure de fournir simultanément les deux efforts que je décrivais.

En ce qui concerne l’ouverture aux autres armées de la formation des officiers de réserve spécialistes d’état-major (ORSEM), je commencerai par dire qu’il est essentiel pour l’armée de Terre de former ces officiers afin qu’ils puissent exercer des postes en état-major. Ce sont des gens de grande qualité, qui n’ont souvent pas grand-chose à envier aux officiers d’active. Cela suppose de leur part un investissement important pour lequel je suis extrêmement admiratif. Dans l’armée d’active, nous avons notre famille et notre métier ; eux, ils ont leur famille, leur métier et la réserve. Ce sont vraiment des gens admirables. Pour ce qui est d’ouvrir la formation aux autres armées, cela ne pose pas de problème et c’est du reste déjà une réalité, au cas par cas : l’ESORSEM reçoit régulièrement des officiers de marine, des aviateurs, des commissaires, des médecins et même des étrangers. En gros un stagiaire sur cinq n’est pas terrien. Beaucoup de réservistes servent déjà en état-major. Au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), par exemple, j’en ai croisé un grand nombre, appartenant à toutes les armées, même si on ne leur avait pas donné la possibilité de suivre une formation comme le font nos ORSEM, ce qui apporte effectivement une haute valeur ajoutée.

Mme Séverine Gipson. L’armée de Terre, comme toutes les autres armées, est actuellement confrontée à un défi de taille en matière de ressources humaines : recruter et fidéliser davantage. À chaque audition, nous suivons avec attention les évolutions des ressources humaines des armées. Ma question s’inscrit donc dans la perspective de ce suivi attentif. Pour tenter de répondre au défi, un dispositif avait été prévu dans la LPM : il s’agit, à titre expérimental, pour certaines régions en déficit, d’avoir recours aux contractuels locaux. Pouvez-vous nous faire un retour sur ce dispositif et nous indiquer si, à ce jour, il a permis de gagner des effectifs lors des recrutements – et, si oui, pour quels postes ?

Mme Patricia Mirallès. Je voulais vous apporter un témoignage. Au mois d’août, je suis allée à la rencontre d’une centaine de jeunes des quartiers de ma circonscription, dans une colonie. J’ai échangé avec eux pendant trois heures sur la commission de la défense. Il en est ressorti quelque chose qui m’a beaucoup touchée, et dont je voulais témoigner : ils m’ont dit toute l’admiration qu’ils avaient pour nos soldats, ainsi que leur envie de s’engager pour trouver une communauté humaine qui ne laisse personne au bord du chemin – en quelque sorte une famille. Je pense donc qu’il y a de l’espoir avec notre jeunesse ; il faut simplement aller la voir plus souvent.

M. Jean-Charles Larsonneur. Général, je tiens tout d’abord à vous féliciter à mon tour très chaleureusement de votre nomination, à vous assurer de notre soutien et de notre confiance et à vous remercier d’avoir noué un dialogue étroit avec les rapporteurs de notre commission dès le 17 septembre, soit peu après votre prise de fonctions.

Dans le prolongement de l’exercice franco-belge Celtic Uprise, je souhaiterais vous interroger sur la promotion du modèle français de combat collaboratif, que vous avez évoqué dans votre propos liminaire, à travers le programme Scorpion, et plus particulièrement le système d’information et de commandement Scorpion (SICS). Depuis le 17 septembre, nous produisons les postes de radio Contact, successeurs des postes de radio de quatrième génération (PR4G), qui équipent nos forces depuis de nombreuses années. Avec ce programme, mais aussi à travers le partenariat CaMo, la France a l’occasion de développer un nouveau standard d’interopérabilité au niveau européen. Ma question est donc la suivante : le SICS n’est-il pas, au fond, la brique essentielle pour promouvoir la doctrine française de combat collaboratif et renforcer les capacités de défense européennes ? Est-il envisageable, grâce à ce système, d’élargir le club Scorpion à d’autres pays – je pense, par exemple, à certains de nos partenaires tels que l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, voire la Suisse ? Quelles sont, enfin, les articulations du programme avec l’IEI, que vous avez citée, ou encore avec la coopération structurée permanente ? L’une et l’autre pourraient en effet venir nourrir ce programme.

M. Joaquim Pueyo. Général, je voudrais vous remercier moi aussi pour votre propos liminaire. Vous avez rappelé les trois priorités, avec lesquelles, je crois, nous sommes tous d’accord, car elles sont consensuelles. S’agissant de la troisième, vous avez parlé de la valorisation des militaires à travers le plan Famille, mais aussi des mesures destinées à fidéliser ou attirer davantage. Ma question porte sur un corps de l’armée de Terre qui dispose d’un commandement particulier, à savoir la Légion étrangère, que vous connaissez bien – il me semble que vous y avez exercé des responsabilités à deux reprises : au 2e régiment étranger de parachutistes (REP) à Calvi et à Djibouti. Les légionnaires bénéficient-ils de tous les plans qui visent à améliorer les conditions d’exercice des militaires, qu’il s’agisse de l’hébergement ou de leur vie de famille ? Le sujet m’intéresse.Lorsque Jean-Jacques Bridey présidait notre commission, j’avais d’ailleurs souhaité que nous créions une mission d’information sur la Légion étrangère. En effet, ce corps compte 9 000 à 10 000 hommes, que nous applaudissons beaucoup sur les Champs-Élysées, mais j’ai l’impression que le nom de « Grande Muette » s’applique particulièrement à eux, car on ne les entend pas beaucoup, même s’ils jouent un rôle important.

M. Jean-Michel Jacques. Général, je voudrais vous présenter toutes mes félicitations pour votre nomination et vous remercier pour la générosité et la sincérité de vos réponses. Vous avez projeté une très belle image qui montrait bien les Griffon, les Jaguar et les Serval, les robots sherpas, ou encore les drones, dont il a été question tout à l’heure. En ce qui me concerne, j’aimerais que vous nous fassiez entrer un peu plus dans la bulle, en quelque sorte : imaginons le sergent Jacquet et le lieutenant Burkhard au milieu du dispositif. (Sourires.) Qu’est-ce qu’il implique concrètement sur le champ de bataille ?

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. En ce qui concerne le défi en matière de ressources humaines, je tiens à souligner que l’armée de Terre ne rejette personne. Elle recrute sur l’ensemble du territoire national, à travers les centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA). Quand quelqu’un s’engage dans l’armée de Terre, il peut indiquer une préférence géographique, mais son affectation dépend des postes disponibles. En revanche, là où vous avez raison, c’est qu’on s’aperçoit qu’il s’agit là d’un facteur important pour ce qui est de fidéliser les militaires : au bout de plusieurs d’années, un certain nombre d’entre eux souhaitent en effet retourner chez eux. Quand un soldat qui voulait devenir parachutiste est affecté à Pamiers alors qu’il est originaire de Lille, même s’il peut être très content d’avoir passé onze ou quinze ans là-bas, on peut effectivement comprendre qu’au bout d’un moment il souhaite revenir plus près de sa région d’origine. Mais, au bilan, quand une personne se présente dans un CIRFA, la priorité n’est pas de satisfaire une demande d’implantation géographique. La priorité est bien de répondre au choix de spécialité de l’individu, tout en satisfaisant les besoins des armées.

Mme Patricia Mirallès. J’avais promis que je vous transmettrais le message.

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Donnez-nous l’adresse et nous enverrons le CIRFA. (Sourires.)

Mme Patricia Mirallès. Ces jeunes se sont déjà adressés au CIRFA et cela s’est très bien passé.

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Merci de le dire.

En ce qui concerne la Légion étrangère, dans la mesure où elle fait partie de l’armée de Terre, les plans qui s’appliquent à cette dernière, dans son ensemble, valent également pour la Légion. Cela dit, vous avez raison de souligner que la Légion est forcément un peu différente, non parce qu’elle voudrait l’être mais parce que, structurellement, quand 80 % des soldats viennent des quatre coins du monde, cela donne nécessairement quelque chose de différent – et suppose, dès le départ, d’avoir une approche différente. Un jeune Français s’engage pour son pays, quand un légionnaire s’engage pour la France ; ce n’est pas exactement la même chose. Comme vous le savez, sur les drapeaux de l’armée française, il est écrit : « Honneur et patrie » tandis que sur les drapeaux des régiments de la Légion étrangère, il est écrit : « Honneur et fidélité ». Cela n’enlève rien au « contrat » que signent les légionnaires : ils s’engagent pour défendre la France ; mais, au départ, ce sont quand même des étrangers qui rejoignent nos rangs pour une multitude de raisons différentes. Vous avez évoqué à leur propos, monsieur Pueyo, la « Grande Muette » C’est peut-être parce qu’ils parlent un peu moins bien le français (Sourires) – encore que ce ne soit pas tout à fait vrai, car beaucoup s’expriment très bien dans notre langue.

Plus sérieusement, et même s’il est vrai qu’ils vivent de manière un peu particulière, les légionnaires disent ce qu’ils ont à dire, même s’il leur faut parfois un peu de temps pour se livrer, parce qu’il faut d’abord qu’ils aient confiance. Ils ont aussi des préoccupations particulières, ce qui fait la richesse de la Légion étrangère : il y a de grandes différences culturelles. Je l’ai vu pendant les années où j’y ai servi : après la chute du Mur de Berlin, les engagés originaires d’Europe de l’Est arrivaient avec un plan de carrière beaucoup plus établi que, par exemple, les Britanniques, que l’on avait vus arriver en nombre quelques années auparavant. Ces derniers étaient plutôt des aventuriers, quand les hommes venant d’Europe de l’Est voulaient faire venir leur femme et s’installer en France. Et les Chinois auront d’autres motivations. C’est cela, la diversité de la Légion étrangère. Il faut certes répondre aux aspirations des uns et des autres, mais aussi les canaliser, car cela ne peut pas partir dans toutes les directions. Quoi qu’il en soit, la Légion étrangère n’est en aucun cas exclue des différents plans : elle en bénéficie.

L’un d’entre vous évoquait l’infrastructure : j’ai oublié à ce propos de mentionner la convention de soutien de proximité de l’infrastructure pour les réparations, les aménagements légers et l'entretien (SPIRALE). Il s’agit non pas de nouvelles constructions mais d’effectuer des travaux sommaires sur les bâtiments existants, où sont installées les troupes : on leur fournit du matériel et elles font elles-mêmes les rénovations. Les légionnaires le font assez facilement, car presque tous ont eu des expériences professionnelles antérieures, une première vie : on trouve toujours parmi eux un maçon ou un peintre. Construire leur casernement, cela fait pour ainsi dire partie de leur culture. Des plans comme celui-ci marchent donc très bien dans la Légion. Au-delà donc des petites différences qui peuvent exister, la Légion, je le répète, appartient à l’armée de Terre ; elle a les mêmes objectifs et bénéficie des mêmes moyens.

M. Joaquim Pueyo. C’est normal.

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Tout à fait.

M. Joaquim Pueyo. La Légion représente quand même 10 % de l’armée de Terre.

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Des questions ont été posées à propos du programme CaMo et de la communauté Scorpion, et, s’agissant de celui-ci, de la manière dont on peut se représenter le combat avec Scorpion et de ce qu’il apportera à l’avenir. Effectivement, c’est un peu plus qu’une affaire de matériel – qu’il s’agisse de Griffon, de Jaguar ou d’autres systèmes qui verront le jour. Pour vous expliquer de quoi il retourne, je pense qu’il faut partir de l’image du champ de bataille avec une répartition dans la profondeur : les unités au contact, puis leurs moyens d’appui, les postes de commandement et, encore plus à l’arrière, les PC opératifs. En définitive, l’objectif du combat, aujourd’hui comme dans le passé, est de neutraliser l’ennemi. Or il n’est plus possible d’obtenir la victoire en détruisant en totalité l’adversaire. L’idée est donc de considérer l’ennemi comme un système – ce qu’il est effectivement. Si on le compare à un être humain, les PC sont le cerveau, les axes logistiques sont les veines, les systèmes de communication sont le système nerveux, les bras sont les unités de mêlée.

Dans cette perspective, l’objectif du combat va être de détruire le centre de gravité ou certains nœuds de l’ennemi pour désorganiser l’ensemble de son dispositif. Non seulement vous aurez du mal à détruire un par un les chars de l’escadron de tête sur la ligne de contact, mais l’adversaire cherchera à faire la même chose. Il vaut donc mieux, si vous êtes en mesure de le faire, localiser et détruire le convoi de carburant ou de munitions, ce qui empêchera l’escadron de chars de combattre. Vous pouvez aussi détecter le PC et casser les relais de transmission pour qu’ils cessent de commander. En attaquant ainsi différents nœuds du système adverse, vous pouvez désagréger son dispositif et obtenir la victoire plus facilement. Or il est assez compliqué de détecter un convoi de munitions, des centres de transmission ou des PC. Pour y parvenir, il faut avoir analysé le champ de bataille, disposer de capteurs de renseignement bien placés et bien orientés, et avoir des moyens d’agression ou de destruction à portée, prêts à intervenir pour détruire le convoi ou le PC en question. Il faut aussi disposer d’unités au contact qui confirment que le PC ennemi a été détruit ou que les communications sont brouillées, et qu’il y a donc une plage de trois, quatre, cinq ou six heures pour intervenir en profitant de la désorganisation.

Scorpion va précisément permettre de relier l’ensemble des capteurs – je vous renvoie au drone Patroller, qui aura un rôle, au niveau opératif et au niveau tactique – de façon à donner une meilleure compréhension du champ de bataille. L’accélération du tempo, la capacité à gagner la bataille du processus décisionnel en augmentant la rapidité de la décision sont probablement ce qui permettra, en définitive, de détruire le système adverse, par une attaque contre son centre de gravité, contre les nœuds du dispositif. Pour recourir à une autre analogie, c’est un peu comme si, aujourd’hui, on combattait avec un Minitel, alors que, demain, on se battra avec un smartphone ; et, toutes proportions gardées, le SICS est un peu comme la 5G, il assure le lien entre les différents éléments. L’accélération rendue possible grâce à la technique est évidente : on prend une photo et on l’expédie directement sur les réseaux sociaux alors que, il y a de cela quelques années à peine, on devait d’abord transférer la photo sur son ordinateur pour l’envoyer à quelqu’un. De la même façon, Scorpion va permettre d’accélérer le processus d’observation, de connexion et de décision sur le champ de bataille.

Comme je l’ai dit, cela aura aussi des conséquences importantes quant au rôle du chef. La décision sera probablement décentralisée vers l’avant – même si, bien sûr, on créera des systèmes de contrôle. Nous sommes en train d’explorer ces nouveaux domaines avec le Battle Lab Terre de Satory et la Force d’expertise du combat Scorpion (FECS), installée à Mailly, qui testent les procédures de ces nouveaux modes d’action, pour voir jusqu’où ce type de combat va nous mener, dans quelle mesure il va falloir modifier la formation de nos cadres, quelle autonomie nous devrons leur donner et comment nous retranscrirons les ordres. Tout cela est assez excitant, mais ce ne sera pas simple.

Je relie ces enjeux à la question concernant le programme CaMo, qui résulte d’un partenariat stratégique avec la Belgique. Un tel accord est inédit et nous avons de la chance de l’avoir conclu avec les Belges car ce sont des partenaires avec lesquels il est assez facile de partager : nous avons une culture et une approche communes de la manière dont on conduit les opérations. L’objectif est d’avoir non seulement les mêmes matériels, mais aussi la même couche SICS et, de fait, de travailler ensemble pour établir les nouvelles doctrines qui pourront être mises en œuvre avec Scorpion.

M. Jean-Michel Jacques. Cela suppose aussi de la formation.

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Tout à fait : il faut de la formation, des échanges. De mon point de vue, ce partenariat stratégique avec les Belges porte vraiment bien son nom : il est stratégique car il pourrait déboucher sur d’autres partenariats. Plus encore que les actions que nous pourrions entreprendre à cette fin, c’est le témoignage des Belges qui nous permettra de bâtir le club Scorpion. Je souhaite qu’ils puissent expliquer à d’autres partenaires européens ce qu’ils ont fait avec nous, jusqu’où nous sommes allés ensemble. Le partenariat avec nos amis Belges revêt donc une importance majeure. Il faut vraiment que nous nous y investissions autant que possible : c’est une priorité.

Vous me demandiez s’il s’agissait d’une porte ouverte vers l’IEI. La réponse est oui. L’IEI, dans le domaine opérationnel, pourrait effectivement se concrétiser sur cette base. Le partenariat avec les Belges est, je le répète, inédit : je ne suis pas sûr que beaucoup de pays aient été capables d’aller aussi loin. J’ai lu récemment une interview du colonel Monin, qui s’occupe du partenariat CaMo du côté belge. Il souligne que les Belges travaillent beaucoup avec les Néerlandais, lesquels sont très liés aux Allemands. Ainsi, de proche en proche, le programme pourrait effectivement permettre de créer une synergie ; en tout cas, nous allons tout faire pour.

Mme Anissa Khedher. En juin dernier, j’ai participé à la troisième édition de la journée nationale des blessés de l’armée de Terre. Cette journée témoigne de la reconnaissance et du respect de l’armée de Terre et de la Nation envers les militaires blessés et leurs familles – c’est ainsi que le général Bosser l’avait pensée. Parce qu’il permet d’exprimer la fraternité d’armes au sein de l’armée de Terre, ce rendez-vous est très apprécié des blessés et de leurs familles. Nous savons également que l’armée de Terre développe des actions de sensibilisation à la blessure psychique, dans le but de mieux prévenir celle-ci, de la détecter au plus tôt quand elle survient, et ainsi d’en limiter les conséquences sur nos soldats. Je citerai également le projet de création de la Maison du vétéran, que votre prédécesseur a initié. Vous avez déjà évoqué l’évacuation stratégique (STRATEVAC) avec le Multi Role Transport Tanker (MRTT), et le rôle essentiel de la cellule d’assistance aux blessés de l’armée de Terre (CABAT). Aussi, pouvez-vous nous dire quelles actions et quels moyens vous envisagez de déployer à l’avenir autour de la prévention de la blessure et en faveur des blessés et de leurs familles ?

M. Loïc Kervran. Si vous me le permettez, général, je souhaiterais revenir, dans le prolongement des questions de mes collègues Thomas Gassilloud et Sereine Mauborgne, sur le taux d’encadrement, pour aller un peu plus loin dans le chiffrage. Il me semble que le taux que vous nous avez donné – 12 % environ – est global, mais j’entends dire que, dans les régiments, il est encore plus faible. Pourriez-vous nous dire ce qu’il en est ? De combien d’officiers supérieurs parle-t-on ? Quelle est la différence entre le besoin et l’existant ?

Mme Carole Bureau-Bonnard. Général, toutes mes félicitations pour votre nomination. Le sujet sur lequel je voulais vous interroger a déjà été abordé pour partie : il s’agit de notre coopération avec d’autres pays. Au-delà de la Belgique, avons-nous engagé des coopérations avec d’autres pays européens, mais aussi en dehors de l’Europe ? Si oui, quelles sont les particularités dont il faut tenir compte, aussi bien sur le plan technique – car le matériel utilisé n’est pas obligatoirement le même – que dans le domaine de la langue, notamment ?

M. Claude de Ganay. Merci, tout d’abord, général, pour l’échange que nous avons aujourd’hui. Je voulais rebondir sur les propos de mon excellent collègue au sujet de la réserve. Le décret no 2019-1 009 du 30 septembre 2019 – c’est donc très récent – vise, au moins en théorie, à simplifier et valoriser les activités des réservistes militaires. Or il prévoit une augmentation de leur présence effective, qu’il fait passer de 10 à 40 jours. Je m’en étonne : pourquoi multiplier le nombre par quatre alors même que l’on connaît les réticences auxquelles se heurtent les réservistes, aussi bien dans la fonction publique qu’en entreprise, quand ils demandent à faire leurs journées ? Cela ne risque-t-il pas de les dissuader ? Mais peut-être la finalité est-elle financière, inspirée par votre chef de bureau chargé des finances ?

M. Philippe Folliot. Général, je m’associe aux propos qui ont été tenus pour vous féliciter de votre prise de fonctions. Quitte à vous surprendre, je ne vous interrogerai ni sur les unités parachutistes, car la question a déjà été posée, ni sur l’OTAN. On dit souvent : « loin des yeux, loin du cœur ». Je souhaite donc vous interroger sur nos forces de souveraineté, afin que vous nous rassuriez, car elles constituent un élément très important pour notre pays, ne serait-ce que parce qu’elles sont parfois prépositionnées pour intervenir dans le cadre d’OPEX, mais aussi d’opérations de sécurité civile et de soutien, quand survient un cataclysme. Pouvez-vous nous dire quelle est la stratégie que vous souhaitez mettre en œuvre concernant ces forces ? Par ailleurs, existe-t-il un cadre, des éléments spécifiques pour le recrutement de personnes issues de nos départements et collectivités d’outre-mer – aussi bien pour les forces de souveraineté que, plus généralement, pour nos forces armées ?

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Tout d’abord, Madame Khedher, en ce qui concerne la journée nationale des blessés, à laquelle vous avez participé, je vous remercie beaucoup du soutien que vous manifestez envers nos blessés. C’est effectivement un rendez-vous très apprécié. Cette année, la première partie de la journée était consacrée à la blessure psychique, cette blessure invisible qui est effectivement l’une de nos préoccupations, au même titre que la blessure physique. Une véritable sensibilisation a eu lieu à ce sujet, et la perception a complètement changé. Comme vous le savez, il y a quelques années, cette blessure invisible était aussi un peu une blessure honteuse. Il me semble que ce n’est plus le cas : on a dépassé ce stade, et c’est très bien. Plus personne n’a peur de dire qu’il souffre d’une blessure psychique – en dehors, bien sûr, de ceux qui sont dans le déni. À cet égard, nous avons donc beaucoup progressé.

Maintenant, il faut aussi progresser en matière de prévention des blessures psychiques. Je parlais d’un renforcement des forces morales : cela doit y contribuer. Toutefois, il est certainement plus compliqué de se prémunir d’une blessure psychique que d’une entorse ou d’un claquage musculaire, parce que cette blessure-là prend racine au plus profond de soi, et personne ne peut dire qu’il ne sera jamais concerné. C’est très compliqué à prendre en charge. Cela dit, il existe des études, et des méthodes ont été élaborées. Là aussi, quitte à me répéter, je pense que le rôle du commandement est essentiel : le premier conseiller, le premier soutien psychologique, c’est le chef, et celui-ci doit tenir son rôle. Nous travaillons également avec le service de santé des armées (SSA), dont la directrice centrale veut renforcer la place des psychologues dans les unités, ce qui est effectivement très important. Les blessures psychiques sont-elles suffisamment prises en compte ? En tout cas, nous avons la volonté de le faire et de continuer à progresser en la matière. Vous l’aurez compris, c’est un sujet qui nous préoccupe.

Il y a ensuite ce qui concerne la Maison du vétéran, dont l’idée avait été avancée par le général Bosser. Pour les soins médicaux apportés aux blessés, nous avons la chance de disposer d’un service de santé vraiment remarquable. À cet égard, comme je le disais à sa directrice, le premier défenseur du SSA est l’armée de Terre, car celle-ci ne peut tout simplement pas s’en passer. Quant au dispositif de reconversion, qui est mis en œuvre une fois que le blessé est guéri – qu’il reste dans les armées ou qu’il parte dans le civil –, il donne relativement satisfaction, même si la reconversion est toujours un défi compliqué. Entre les deux, il y a le blessé convalescent, qui n’est plus directement traité par le service de santé mais n’est pas encore capable de voler de nouveau de ses propres ailes. D’où l’idée de créer une « maison du vétéran », même si cette dénomination ne sera peut-être pas retenue. Nous devons d’ailleurs nous dépêcher d’en trouver une qui exprime bien ce que nous voulons faire. Il faudra aussi trouver une manière de financer le projet. L’idée est de créer un établissement pilote et de voir comment on peut le faire fonctionner, mais cela n’a pas encore été complètement validé.

En matière de taux d’encadrement, vous avez raison, Monsieur Kervran[DLB12]. Lorsque l’on évoque un taux d’encadrement de 15 % pour les armées occidentales, il s’agit d’un taux global, qui prend en compte aussi bien les officiers en états-majors que dans les régiments. Or, comme vous le disiez, nous avons un véritable problème au niveau des régiments. J’évoquais précemment que nous avons diminué le niveau d’expérience requis pour l’encadrement dans les compagnies ou les escadrons, avec des sous-officiers adjoints (SOA) qui n’ont pas – ou pas encore – le brevet supérieur de technicien de l’armée de Terre (BSTAT). Il nous faut également renforcer les passerelles régimentaires, c’est-à dire l’équipe d’officiers qui entoure les chefs de corps pour concevoir, organiser, planifier et contrôler à leur niveau l’entrainement des unités. Au bureau opérations et instruction (BOI) et au bureau de la maintenance et de la logistique (BML), nous avons perdu sept à huit officiers, par rapport à l’époque où j’étais moi-même en régiment, chef du BOI. Ce n’est pas négligeable, d’autant que, bien évidemment, les charges n’ont pas baissé, bien au contraire.

À ce niveau, nous avons une véritable fragilité. D’une manière générale, nos états-majors sont moins fournis que ceux d’autres armées occidentales. Cela dit, nous disposons quand même de beaucoup de postes, que nous honorons, au sein de l’OTAN et de l’Union européenne, ce qui est important car c’est là que nous pouvons défendre nos conceptions, essayer d’influencer les choses et peser sur les décisions. Quoi qu’il en soit, il nous faut absolument traiter cette question de l’encadrement. Globalement, nous estimons qu’il nous manque entre 900 et 1 000 officiers. L’objectif de l’armée de Terre est de retrouver cette marge, d’obtenir ce supplément en termes d’organisation. C’est ce que nous défendons actuellement auprès de la direction des ressources humaines du ministère des armées (DRH MD). Nous faisons valoir nos droits et essayons de retrouver un taux d’encadrement plus élevé, en particulier au niveau des PC régimentaires. En effet, c’est au niveau du régiment que s’exercent toutes les pressions car c’est là que se concentre in fine un certain nombre de problèmes – ce qui ne veut pas dire que les échelons au-dessus n’en ont pas leur part. C’est également dans le régiment que se construit l’identité du soldat, c’est là qu’est sa maison. Il est donc essentiel de renforcer les passerelles régimentaires.

Oui, nous avons en effet engagé des coopérations avec des pays hors d’Europe, à commencer par les États-Unis, qui sont un partenaire majeur et assurent, comme vous le savez, une coopération opérationnelle très forte. Je reviendrai après sur les pays d’Europe. S’agissant des coopérations avec les pays non européens – et cela rejoint un peu la question de M. Folliot –, nos plateformes outre-mer y contribuent. C’est le cas, par exemple, de notre coopération avec le Brésil pour tout ce qui concerne la protection de la frontière en Guyane. De la même façon, je pourrais citer notre coopération, à partir de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie, avec les Australiens, les Néozélandais et d’autres pays de la zone Pacifique – tout en sachant que notre coopération avec l’Australie est importante, en termes de moyens que nous devons y consacrer ; j’y reviendrai plus tard.

Pour ce qui est de la coopération avec les pays européens, il y a bien évidemment les partenaires majeurs, ou en tout cas moteurs, que sont l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Belgique. Nos liens politiques avec l’Allemagne sont très forts, mais notre coopération militaire l’est également. Certes, pour diverses raisons, sur le plan opérationnel, il est plus compliqué de la mettre en œuvre, mais nous avons, par exemple, la brigade franco-allemande (BFA) qui est un bel exemple d’intégration. J’ai participé récemment à la célébration de son 30e anniversaire. La BFA a d’ailleurs projeté de manière simultanée ses unités, françaises et allemandes, dans la bande sahélo-saharienne (BSS) : les unités françaises intervenaient dans le cadre de Barkhane, et les unités allemandes au sein de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et de la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM Mali). Cette coopération fonctionne donc assez bien. De même, il existe plusieurs types de coopération avec les Britanniques : nous opérons conjointement en Estonie, au sein de la mission Lynx, qui est une opération de l’OTAN au profit des pays Baltes. Les Britanniques ont également envoyé des hélicoptères lourds dans le cadre de Barkhane à Gao. Il s’agit donc, là aussi, d’une coopération assez forte.

Monsieur Folliot[DLB13], force est d’abord de constater que, grâce à nos forces de souveraineté et à nos forces de présence, nous avons un dispositif singulier, probablement même unique, qui nous permet d’être présents aux quatre coins du monde et nous donne des capacités de réaction assez inédites, en tout cas hors normes au regard de la taille de notre pays. Beaucoup nous les envient, ce qui veut dire que nous devons les préserver. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elles ont été mises à mal par les lois de programmation précédentes…

M. Philippe Folliot. Si, il faut le dire !

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. …mais enfin le dispositif a été taillé au plus juste, et on voit bien les limites d’une telle démarche. D’ailleurs, nous avons déjà pris des mesures pour y remédier, par exemple aux Antilles : le dispositif a été réduit mais, quand arrive la période des cyclones, il est renforcé, au moins qualitativement, par l’envoi d’unités spécialisées du génie. Ainsi, vous avez vu qu’après le passage du cyclone Dorian aux Bahamas, c’est une unité du 17e régiment du génie parachutiste (RGP) qui est intervenue à la place de l’unité de protection terrestre[DLB14] (PROTERRE) qui s’y trouve normalement, pour fournir ses moyens et son savoir-faire, en coopération avec les Pays-Bas, d’ailleurs.

Si, en Amérique du Sud, nos forces sont parfaitement dimensionnées et disposent des moyens nécessaires, avec le 3e régiment étranger d’infanterie (REI) et le 9e régiment d’infanterie de marine (RIMA) - qui coopèrent avec le Brésil et le Suriname pour protéger nos frontières - ce n’est pas le cas dans le Pacifique. Le matériel dont disposent nos forces n’y est pas suffisant et pas à la hauteur de notre coopération avec les Australiens. Or j’estime, et vous pouvez le constater aussi bien que moi, que le niveau de menace augmente sur l’ensemble de la planète. Il convient donc, dans ce domaine, d’être particulièrement vigilant. C’est pour cela qu’il est prévu de moderniser les matériels mis à la disposition de nos forces de souveraineté. La mise en place des Griffon, pour ne citer que cet exemple, doit permettre de libérer des véhicules de l’avant blindés (VAB) Ultima qui seront envoyés en Nouvelle-Calédonie ou à La Réunion. Les forces de souveraineté sont peut-être loin des yeux, mais certainement pas loin du cœur. Elles ne sont pas oubliées.

S’agissant de ce que nous faisons pour la jeunesse des départements et territoires d’outre-mer, il y a d’abord le service militaire adapté (SMA), qui est, là aussi, un dispositif exceptionnel, probablement même inédit, et dont l’apport est considérable. En outre, l’armée de Terre recrute un nombre assez important de jeunes hommes et de jeunes femmes de qualité qui sont originaires d’outre-mer.

Monsieur Claude de Ganay, le nombre moyen de jours d’emploi des réservistes est de 37 par an, sachant que le minimum pour être noté est de 10. Autrement dit, pour celui qui sert moins de 10 jours, l’année est considérée comme blanche et n’est donc pas retenue pour sa progression. Nous visons effectivement 40 jours sachant que, si la moyenne est de 37 jours, certains réservistes servent moins de 10 jours, quand d’autres en font 100 : il existe de grandes disparités. Il faut bien comprendre que chaque réserviste est différent, que tous n’ont pas le même temps à consacrer à la réserve. Certains peuvent servir 30 jours mais seulement pendant l’été ; d’autres viennent tous les week-ends. Voilà pourquoi il me paraît inévitable qu’il y ait des disparités, et cela d’autant plus que notre système est relativement peu contraignant envers les employeurs. Je discutais hier encore avec des réservistes à Angoulême : certains cachent leur activité à leur employeur, de peur que cela leur porte préjudice. Il y a donc encore des choses à faire dans ce domaine, mais c’est plutôt vous qui pouvez agir.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, général, pour toutes ces explications ; le temps que nous avons passé avec vous était très précieux et très intéressant. Nous aurons plaisir à vous revoir bientôt.

*

*      *

La séance est levée à dix-neuf heures.

*

*      *

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Joachim Son-Forget, M. Jean-Louis Thiériot, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Olivier Becht, M. Sylvain Brial, M. Luc Carvounas, M. Jean-Baptiste Djebbari, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Benjamin Griveaux, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, M. Thierry Solère, Mme Laurence Trastour-Isnart

 

Assistait également à la réunion. - M. Ian Boucard

 


[DLB1]La majuscule ne se justifie pas

[DLB2]Pas de s

[DLB3]Pas en gras

[DLB4]Pas en gras

[DLB5]Pas en gras

[DLB6]Pas en gras

[DLB7]Pas en gras

[DLB8]Pas en gras

[DLB9]Pas en gras

[DLB10]Pas en gars

[DLB11]Pas en gras

[DLB12]Pas en gras

[DLB13]Pas en gars

[DLB14]Pas de majuscule