Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition de Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie, sur le projet de loi de finances pour 2020.

 

 


Mercredi
9 octobre 2019

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 06

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à onze heures cinq.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Madame la directrice générale, mes chers collègues, avant de démarrer la présente audition je voudrais tout d’abord souhaiter la bienvenue à M. Pierre Venteau qui vient de rejoindre notre commission.

Nous avons le plaisir de recevoir ce matin Mme Alice Guitton, directrice des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). La DGRIS est souvent présentée comme assurant le pilotage de la diplomatie et de la défense, soit un petit Quai d’Orsay à elle toute seule, avec son réseau d’attachés de défense et de représentations militaires répartis dans le monde entier. Nous comptons sur vous pour nous expliquer en quoi consiste l’originalité des analyses de la DGRIS, les raisons de la prégnance croissante de son rôle et comment le prisme « stratégie et défense » se distingue et constitue un « plus » par rapport aux analyses du Quai d’Orsay, que vous connaissez bien pour en être vous-même issue.

Vous nous direz également le rôle joué par la DGRIS dans la préparation de l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) prévue en 2021 et quelles évolutions vous avez identifiées dans l’environnement stratégique depuis la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 : par exemple comment vous envisagez les conséquences du Brexit sur la défense européenne, ce qu’il faut attendre de l’Initiative européenne d’intervention (IEI) ou encore quelle est selon vous la bonne stratégie à adopter face à la montée en puissance de la Chine.

En tant que directrice générale, vous êtes responsable du programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » qui assure notamment le financement de l’innovation, avec les études amont, et de nos capacités de renseignement. Vous voudrez bien aussi nous présenter les priorités de ce programme pour l’année à venir.

Le nouveau rapporteur de notre commission, M. Didier Baichère, n’a pas pu être présent ce jour. Il m’a succédé à cette fonction à laquelle j’ai renoncé avec regret en prenant mes nouvelles fonctions de présidente.

Puisque nous avons la chance de recevoir une spécialiste de la prospective, nous sommes intéressés par les principales leçons que vous tirez de toutes vos analyses. Nous souhaiterions savoir notamment si vous estimez les moyens de nos armées adaptés aux menaces du futur, compte tenu des nouveaux domaines de conflictualité que sont le cyber et l’espace. La manière dont la défense appréhende les défis de l’intelligence artificielle compte aussi parmi nos préoccupations majeures.

Nous serions enfin heureux de partager votre appréciation sur les débuts de l’Agence de l’innovation de défense (AID) créée en 2018.

Je crois que nous aurons de nombreuses questions à vous poser, car vous êtes au cœur des sujets d’actualité.

Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie. Vous m’avez fait l’honneur de m’accueillir il y a un an alors que je venais de prendre mes fonctions à la tête de la DGRIS. Aujourd’hui, au terme d’une année marquée par d’intenses bouleversements et évolutions stratégiques, c’est avec un grand plaisir mais aussi avec le même sens aigu des responsabilités que je reviens m’exprimer devant votre commission.

En ma qualité de directrice générale des relations internationales et de la stratégie, j’assume effectivement la responsabilité du programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense ». Je vous présenterai plus loin les orientations liées à ses trois domaines d’action que sont le renseignement, la prospective de défense et les relations internationales.

Préalablement je souhaiterais, ainsi que vous m’y avez invitée, revenir sur la valeur ajoutée de la DGRIS, son positionnement et ses missions au sein du ministère des Armées et en interministériel tels que je les conçois au bout d’un an d’activité. Un rôle de la DGRIS qui me semble, face à un contexte stratégique et de défense complexe et menaçant, plus sollicité plus que jamais, et dont il faut consolider la progression vers ce que j’appellerais une véritable maturité institutionnelle, dans le prolongement de la réforme qui a conduit à sa création en 2015.

Enfin, je poursuivrai par un tour d’horizon des principaux enjeux de défense auxquels nous faisons face avec nos partenaires européens et Alliés, et pour lesquels la DGRIS s’efforce d’apporter des clés de décryptage, de compréhension, d’anticipation, de prévention, d’action et de préparation pour l’avenir.

Placée sous l’autorité directe de la ministre des Armées et de son cabinet, la DGRIS assume avec une grande détermination le large spectre des missions qui lui ont été confiées par le décret fondateur n° 2015-4 du 2 janvier 2015 fixant ses attributions et son organisation. Ces missions s’articulent autour de deux volets. Le premier, celui des relations internationales, conduit la DGRIS à agir en cohérence avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, à coordonner l’action internationale du ministère des Armées, à contribuer à la définition, y compris en interministériel, des positions de la France au sein des organisations internationales sur toutes les questions de défense, et à mener un dialogue politique et stratégique avec les directions homologues de nos alliés et de nos partenaires en appui des échanges menés au niveau ministériel.

Ces missions de pilotage et de coordination de l’action internationale se traduisent plus spécifiquement ensuite par la validation de plans de coopération et par la coordination des instructions adressées à nos attachés de défense et aux représentations militaires et de défense auprès des organisations internationales.

Pour la conduite des opérations des armées, le soutien aux opérations d’exportation et les coopérations en matière d’armement, la DGRIS intervient en appui de l’État-major des armées (EMA) et de la Direction générale de l’armement (DGA).

Le second volet des missions de la DGRIS est celui de la stratégie, le « S » de la DGRIS. Il recouvre le pilotage ministériel des travaux de prospective stratégique ainsi que la coordination des travaux préparatoires nécessaires à l’élaboration et à l’actualisation régulière du Livre blanc.

La DGRIS veille également, en liaison avec l’État-major des armées, la DGA et le Secrétariat général pour l’administration (SGA), à l’articulation efficace entre la stratégie de défense et la programmation militaire. C’est ainsi qu’elle a coordonné les travaux de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, dont les conclusions ont contribué à l’élaboration de la LPM.

Enfin, la DGRIS continue d’assumer son rôle important de pilote en matière de lutte contre la prolifération, de maîtrise des armements et de contrôle des transferts sensibles, qu’il s’agisse des matériels de guerre ou des biens à double usage.

Au-delà de la diversité des tâches assumées, que je viens de rappeler, je voudrais partager avec vous la manière dont je perçois la valeur ajoutée de la DGRIS dans un contexte de transformation et de modernisation en cours du ministère des Armées et de l’État.

La DGRIS, à périmètre de missions constant, doit être en mesure de jouer encore davantage, chaque jour, son rôle d’ensemblier, de catalyseur, d’intégrateur de la fonction « relations internationales et stratégie » au sein du ministère. Concrètement cela signifie être capable de lier efficacement et d’optimiser les ressources mobilisées en appui de nos relations de défense : des dialogues stratégiques et politiques, des coopérations militaires et opérationnelles et une coopération d’armement. De ce point de vue, j’observe des progrès prometteurs.

La DGRIS doit continuer à faire davantage pour que se diffuse au sein du ministère la culture stratégique indispensable à la bonne appréhension du monde actuel tel que nous l’observons, ses lignes de tension, ses fractures, mais aussi ses opportunités. En ce domaine, l’objectif est simple : conduire le ministère à être plus agile, en reliant les dynamiques de court et de long termes, et plus résilient, en étant capable d’anticiper les ruptures stratégiques et technologiques et de s’y préparer.

Pour y parvenir, il convient d’articuler plus étroitement et de manière continue la mise en œuvre de la LPM avec les travaux de doctrine ou de portée stratégique que nous menons. Parmi ces nombreux travaux, nous pouvons citer ceux réalisés sur la stratégie spatiale, le cyber, l’intelligence artificielle, ou encore ceux concernant la stratégie de défense en Indopacifique.

Tout cela doit nous conduire à relier nos objectifs stratégiques avec leurs déclinaisons concrètes.

La contribution de la DGRIS à ces différents travaux est importante. Elle doit s’accompagner, plus encore aujourd’hui, d’une communication stratégique appropriée. Il s’agit d’un point essentiel, qui correspond au besoin croissant que j’identifie de convaincre au moins autant que d’agir pour fédérer nos partenaires à nos initiatives. J’ai à l’esprit notamment l’exemple de la notion d’autonomie stratégique européenne portée par la France ou encore l’initiative européenne d’intervention (IEI) à laquelle vous faisiez référence, Madame la présidente, dont les termes ont pu susciter quelques inquiétudes ici ou là et qu’il nous faut continuer d’expliquer.

À ce titre, nous devons renforcer nos capacités à mobiliser tous nos leviers d’influence de manière mieux coordonnée au sein du ministère et plus réactive : depuis la conception et le pilotage au niveau de l’administration centrale, jusqu’à la mise en œuvre au niveau local par le biais du réseau des missions de défense, sans oublier nos instituts de recherche stratégique ainsi que les think tanks, et les milieux académiques et de recherche. Il convient donc de décliner une stratégie d’influence internationale.

Par ailleurs, notre domaine d’analyse, l’environnement de sécurité et de défense, apparaît de plus en plus complexe, car il met en jeu un grand nombre d’acteurs et recouvre des problématiques de plus en plus globales. De plus, le spectre d’expertises à mobiliser est de plus en plus large et pointu. Un sujet quel qu’il soit ne peut plus être traité isolément. Il s’inscrit dans une pluralité de problématiques qui s’alimentent. Confrontation de puissances, ruptures et tensions stratégiques, alliances et partenariats, multipolarité nucléaire, prolifération, maîtrise des armements, terrorisme, migrations – tous ces sujets, sur différents points du globe, se mêlent et doivent être analysés selon les différents angles en même temps. La transversalité des approches et la fluidité des échanges d’informations doivent donc prévaloir.

C’est dans ce contexte que je m’efforce aussi de renforcer la coordination confiante et efficace avec le Quai d’Orsay.

Le besoin accru en experts et analystes de grande qualité et spécialisés, doit entraîner la constitution d’un vivier d’experts pérenne, au sein duquel le ministère – DGRIS, Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), État-major des armées – sera en mesure de puiser des forces vives. Un vivier également susceptible de se nourrir de la recherche stratégique que nous encourageons directement. Un vivier enfin, qui permette de renforcer notre présence dans les organisations internationales pertinentes. Je songe notamment à l’actualité de la mise en place de la direction générale chargée de l’industrie de la défense et de l’espace au sein de la Commission européenne, mais aussi, bien sûr, à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).

Nous avons aussi besoin de nous exporter, avec des experts, vers nos partenaires externes, qu’ils soient privés – think tanks – ou publics – laboratoires de recherche universitaires.

Pour être à la hauteur de l’ensemble de ces défis et ambitions, nous devons également pouvoir continuer à nous appuyer sur un réseau diplomatique de défense solide, ciselé au plus juste de nos ambitions et de nos moyens. Nous devons aussi pouvoir compter sur le déploiement d’officiers de liaison et d’échange, des actions de formation de militaires étrangers en France, ainsi que d’information et de rayonnement variées dont le programme des « personnalités d’avenir défense » (PAD) que pilote la DGRIS.

À cet égard, je souhaiterais vous communiquer quelques chiffres afin d’illustrer les moyens humains et les leviers dont nous disposons et qu’il convient de consolider.

Notre réseau diplomatique de défense comprend aujourd’hui 89 missions de défense couvrant 166 pays dont 77 suivis en non-résidence, ainsi que les représentations militaires et de défense et les conseillers militaires auprès des organisations internationales.

La réforme interministérielle engagée en 2018 sur les réseaux de l’État à l’étranger entraînera pour le ministère des Armées une déflation nette de 5 % soit 17 postes sur notre réseau d’ici 2022, mais nous préservons globalement la couverture d’universalité de notre dispositif qui reste comparable à celui du Royaume-Uni et qui nous place au troisième rang après les États-Unis et la Chine.

Deuxième levier : 268 officiers dans 28 pays assurent aujourd’hui des liaisons avec les forces armées avec lesquelles nous sommes engagés dans des actions opérationnelles en cours ou futures. 61 officiers d’échange sont directement intégrés et travaillent au contact des forces armées de sept pays partenaires. Ces officiers de liaison et d’échange, dont certains sont insérés dans des états-majors multinationaux, relèvent certes de l’État-major des armées, mais ils sont répartis et mis en place en concertation avec la DGRIS et ils opèrent localement en étroite coordination avec nos attachés de défense.

Troisième levier : 49 dialogues stratégiques ont été conduits en 2018 au niveau ministériel et des directions politiques de défense, 118 plans de coopération bilatéraux sont mis en œuvre et déclinés au jour le jour, et plus de 550 militaires étrangers sont accueillis dans les organismes de formation du ministère des Armées – qu’ils suivent des formations longues (École de l’air, École navale, Saint-Cyr, École de guerre, écoles d’application) ou discontinues, pour des formations très spécialisées.

Tous ces chiffres montrent que le volume d’activités s’accroît en raison de la hausse de la demande qui s’adresse à nous. Cette demande repose sur des équipes compactes au sein de la DGRIS : 211 personnes, hors Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) dont les effectifs sont de 37 personnes, et un réseau extérieur rationalisé au maximum comme je l’indiquais.

Mais ces chiffres seraient inertes si je ne pouvais vous assurer avec conviction et sans hésitation de l’engagement plein et entier, de la motivation et des compétences des équipes en place dont les profils sont très variés. La DGRIS est en effet composée pour moitié de civils et pour moitié de militaires. C’est sur ces talents que je m’appuie pour progresser sur les différents axes que j’ai mentionnés : la transversalité, l’anticipation, la fluidité du partage d’informations, la réactivité, qui sont indispensables à l’intelligence collective et à l’efficacité de notre ministère.

J’en viens à présent au programme 144, dont vous m’avez demandé de rendre compte. Le périmètre budgétaire de ce programme est plus large que celui des missions de la DGRIS, mais il s’inscrit en parfaite cohérence avec ce dernier.

C’est un programme qui bénéficie d’une hausse continue de ses crédits dans la LPM 2019-2025, conformément aux conclusions de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui placent l’innovation et le renseignement au cœur de la fonction « connaissance et anticipation » du Livre blanc. Au Projet de loi de finances (PLF) 2020, le programme 144 se voit doté en crédits hors titre 2 de 1 766 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE), soit une hausse de 8,5 %, et de 1 548 millions d’euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 5 %, ce qui représente un accroissement substantiel.

Le programme 144 contient trois actions dont la conduite est répartie entre la DGRIS, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD), la DGA et l’État-major des armées : l’action 3 intitulée « recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la Défense », l’action 7 sur la prospective de défense et l’action 8 sur les relations internationales et la diplomatie de défense.

L’action 3 couvre les besoins de la DGSE et de la DRSD. Ses crédits s’élèvent à 399 millions d’euros en AE et à 365 millions d’euros en CP, soit une augmentation respective de 14 % et de 1,7 %.

La DGSE bénéficie de 376 millions d’euros en AE et de 348 millions d’euros en CP et dispose d’un champ de compétences global couvrant les champs sécuritaire, politique et économique des enjeux internationaux.

La DGSE s’est engagée à poursuivre des développements capacitaires sur ses dispositifs techniques au bénéfice de l’ensemble de la communauté du renseignement ainsi que sur la cyberdéfense, et à garantir une autonomie technique et un renseignement stratégique de qualité. En outre, la DGSE renforcera, grâce à ses moyens, ses capacités allouées à l’appui aux opérations – liaison tactique, équipement – afin d’améliorer le soutien et l’efficacité des agents sur le terrain.

Parallèlement à la croissance capacitaire du service, la DGSE entend renforcer sa résilience dans les domaines de l’immobilier, de la sécurité des emprises et des systèmes d’information et de télécommunication.

La DRSD bénéficie pour sa part de 23,4 millions d’euros en AE et de 16,4 millions d’euros en CP. Il s’agit du service de renseignement dont dispose la ministre des Armées pour assumer ses responsabilités en matière de sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles.

L’accroissement des besoins de protection de la défense appelle à une montée en puissance rapide de la DRSD pour se moderniser et se transformer en un service de renseignement de temps de crise durable, à l’étranger comme sur le territoire national.

Les ressources inscrites au PLF 2020 doivent permettre à la DRSD de financer plusieurs projets structurants, dont la conception et le déploiement de la nouvelle base de souveraineté du Service qui permettra de recueillir et d’exploiter le renseignement, ainsi que la poursuite du plan d’équipement en moyens techniques de la direction centrale et de ses échelons déconcentrés.

J’en viens à présent à l’action 7 qui couvre les besoins de la prospective de défense portée par la DGRIS, l’État-major des armées et la DGA. En PLF 2020, ses crédits enregistrent une augmentation de 7 % en AE et 6 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, pour s’élever au total à 1 327 millions d’euros en AE et 1 143 millions d’euros en CP.

Cette augmentation touche les trois sous-actions de la prospective : les études prospectives et stratégiques pilotées par la DGRIS et commandées à des instituts de recherche, dont les crédits augmentent de 6 % en AE et 0,7 % en CP pour s’élever à 10,8 millions d’euros en AE et 9,8 millions d’euros en CP ; les études opérationnelles et technico-opérationnelles, pilotées par l’État-major des armées au titre de la prospective des systèmes de forces, dont les crédits sont portés à 22,4 millions d’euros en AE et CP, soit une augmentation de 2,9 % ; et les études amont pilotées par la DGA dont les crédits augmentent de 9 % en AE et de 8,2 % en CP en 2020.

Les études amont, dont les crédits sont en hausse sur la totalité de la LPM 2019-2025, s’appuient, d’une part, sur un nouvel outil de programmation, le document d’orientation de l’innovation de défense (DOID) approuvé par la ministre lors du Comité exécutif ministériel (COMEX) du 23 avril 2019, qui fixe les objectifs stratégiques de l’innovation de défense et les moyens associés. Ces études reposent, d’autre part, sur le nouvel acteur fédérateur, l’Agence de l’innovation de défense (AID), ainsi que sur une nouvelle instance de gouvernance, le comité de pilotage de l’innovation de défense, dans lequel la DGRIS est représentée.

Les crédits inscrits au PLF 2020 pour les études amont s’élèvent à 1,004 milliard d’euros pour les études d’amont en AE, soit une hausse de 83,7 millions d’euros, et à 821 millions d’euros en CP, soit une hausse de 62,5 millions d’euros.

Ces crédits nous permettront d’investir dans des technologies de rupture, de lancer des démonstrateurs innovants, et de faire face aux enjeux de préparation des futurs systèmes d’armes face aux menaces émergentes. Ils rendent notamment possibles d’ores et déjà le financement des piliers technologiques du Système de combat aérien du futur (SCAF), avec l’Allemagne et l’Espagne, ainsi que les études sur le porte-avions de nouvelle génération ou encore sur le futur système de combat terrestre franco-allemand, le Main Ground Combat System (MGCS).

La quatrième sous-action, 7.4, consacrée à la gestion des moyens et subventions est dotée quant à elle de 290 millions d’euros en AE et CP. Pilotée par la DGA, elle recouvre toutes les subventions octroyées aux opérateurs participant à des études et des recherches en matière de défense, notamment l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) et les écoles de la DGA, dont l’École polytechnique. Elle finance aussi cette année le nouvel Institut polytechnique de Paris, placé sous la tutelle conjointe du ministère de l’Économie et des Finances et du ministère des Armées. Il est à noter que la contribution du programme 144 à cet institut s’élève en 2020 à 3,15 millions d’euros. L’ambition est d’en faire une institution de science et technologie de rang mondial.

Enfin, l’action 8 du programme 144 est consacrée aux relations internationales et à la diplomatie de défense. Sa gestion relève de la DGRIS. Elle est dotée au PLF 2020 d’une enveloppe de 40 millions d’euros en AE et en CP. Ses crédits financent des actions de coopération et d’influence internationales, dont l’aide versée au gouvernement de la République de Djibouti en compensation de l’implantation des forces françaises, la contribution française au budget de l’Agence européenne de défense (AED) et les actions de coopération bilatérales et multilatérales entreprises dans le cadre du Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive (PMG7) ainsi que les dépenses liées au soutien de notre réseau diplomatique de défense et aux crédits d’activité de la DGRIS que je mentionnais initialement.

J’en viens au troisième volet de mon intervention : les principaux enjeux de défense auxquels nous faisons face.

En premier lieu, je voudrais bien sûr souligner à quel point les événements survenus depuis le vote de la LPM confirment l’évolution d’un contexte stratégique plus complexe, objectivement plus instable et potentiellement plus dangereux. L’actualité récente est à ce titre très illustrative : annonces turques d’incursion imminente dans le nord-est de la Syrie ; retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien ; tensions grandissantes dans le Golfe arabo-persique ; fin du traité sur les Forces nucléaires intermédiaires (FNI) et test d’un nouveau missile sol-sol américain en août ; crise nord-coréenne liée au tir du 2 octobre et aux tirs précédents du mois d’août ; incidents récurrents en mer de Chine méridionale ; tensions entre le Japon et la Corée ; situation à Hong Kong ; tensions au Cachemire ; situation en Libye et bien sûr persistance de la menace terroriste que je singularise à nouveau.

Les manifestations de la compétition stratégique entre États sont également plus nombreuses, plus récurrentes. Et nous assistons à un nombre croissant de démonstrations de puissance qui prennent la forme d’exercices militaires majeurs, de déploiements aériens et navals, d’actions dans l’espace exo-atmosphérique ou de postures de déni d’accès, voire de plus en plus d’actions ambiguës. Il peut s’agir de stratégies d’intimidation, voire de stratégies du fait accompli, d’actions directes ou indirectes dans des zones grises sous le seuil d’un conflit armé, qui complexifient les enjeux en imbriquant plus étroitement les intérêts de sécurité, les intérêts économiques et les ambitions géopolitiques.

Dans ce contexte, les risques d’incompréhension et d’escalade augmentent – en témoignent la situation du Golfe arabo-persique et celle de la Syrie. En corollaire, l’accroissement des dépenses de défense dans le monde se poursuit, caractérisé par une course aux armements technologiques entre grandes puissances accompagnée d’une rhétorique agressive et par la présentation de nouveaux armements stratégiques de rupture. Vous avez entendu le discours prononcé le 1er mars 2018 par le président Vladimir Poutine dans la salle d’expositions du Manège de Moscou. Vous avez également sans doute entendu des déclarations effectuées autour du défilé organisé pour le 70e anniversaire de la Chine communiste à Pékin, le 1er octobre 2019.

Ces développements sont préoccupants, car ils mettent en scène une compétition stratégique qui s’étend, sans le moindre tabou, à tous les espaces communs – air, terre, mer – et investissent de nouveaux champs, comme ceux de l’intelligence artificielle, de l’immatériel, ou de l’informationnel.

Face aux tensions stratégiques croissantes et à l’élargissement de la menace, bien visible lorsqu’elle est militaire mais beaucoup plus intrusive lorsqu’elle est immatérielle, asymétrique, cyber ou terroriste, l’éventail des acteurs à mobiliser se trouve élargi. De fait, ces défis ne relèvent pas du seul champ militaire mais posent aussi la question de notre souveraineté et de notre résilience politique, diplomatique, économique ou technologique. Ils posent également la question des vulnérabilités et des dépendances que nous pouvons avoir dans de nombreux domaines. Je pense notamment aux télécommunications, aux infrastructures critiques et aux coopérations scientifiques.

Plus que jamais, il est indispensable d’élaborer des stratégies à même de conjuguer l’ensemble des leviers disponibles dans chacun de ces champs, pour accroître nos marges de manœuvre et renforcer notre autonomie stratégique. Soyons clairs, c’est là que se situe le véritable enjeu pour notre pays comme pour l’Europe.

C’est sur la base d’un tel constat que la France figure désormais, par exemple, au rang des rares pays à avoir pris toute la mesure de l’importance stratégique de l’espace. Présentée à Lyon le 25 juillet dernier par la ministre des Armées, la stratégie spatiale de défense française acte le fait que le domaine spatial est devenu un espace de confrontation possible, conduisant la France à se doter d’une doctrine de défense active dans l’espace.

Il en est de même pour le cyber, désormais totalement pris en compte non seulement dans notre réflexion stratégique mais aussi au niveau technologique et opérationnel. Nos armées disposent d’une doctrine d’emploi en matière de lutte informatique défensive et offensive. La ministre a récemment exposé le positionnement de la France sur l’applicabilité du droit international aux opérations dans le cyberespace.

En ce qui concerne l’intelligence artificielle, la stratégie ministérielle est à la fois la confirmation des immenses opportunités offertes par cette rupture technologique, mais aussi la prise de conscience d’un certain potentiel de déstabilisation. Notre feuille de route s’empare du sujet sans négliger la question de la défense de nos valeurs ni minimiser nos responsabilités. C’est bien tout le sens de la création du comité d’éthique ministériel sur les sujets de défense voulu par notre ministre.

De même, les enjeux énergétiques et environnementaux doivent être mieux appréhendés ainsi que notre ministre l’a souligné lors des récentes universités d’été de la Défense.

Ces stratégies thématiques doivent également être mises en regard de stratégies régionales. La DGRIS a ainsi fédéré tous les acteurs du ministère et de l’interministériel pour établir une vision commune de nos enjeux de défense dans l’Indopacifique. De la même manière, nous avons cherché à clarifier notre approche des enjeux auxquels nous faisons face dans l’Arctique. Nous travaillons aussi encore aujourd’hui à définir les termes d’un partenariat plus équilibré, là où cela est nécessaire, avec la Chine.

À travers ces orientations, nous essayons de récolter tous les bénéfices de l’investissement en matière de prospective et de soutien à la recherche stratégique que j’évoquais précédemment.

Tout cela me conduit à un second point, qui est que cette dynamique que nous devons entretenir n’aura d’effet véritable que si nous le faisons avec nos partenaires stratégiques. Cela est d’autant plus important que nous assistons à une érosion accélérée des principes du multilatéralisme ainsi qu’à une contestation systématique des instruments de maîtrise des armements, qui permettaient d’assurer une stabilité stratégique. Vous avez sans doute pu lire dans la presse les rumeurs récentes autour d’une dénonciation par les États-Unis du traité Ciel ouvert. Nous assistons également à un état de tension croissant des rapports entre États. Les rapports de force sont plus brutaux.

Je voudrais insister sur l’un des atouts majeurs de notre pays, à savoir sa capacité à donner l’élan et à être force de proposition - nous le voyons avec l’Europe de la défense – comme à rallier ses alliés et partenaires pour faire face aux défis communs. Je pense d’emblée au Sahel ou à nos efforts actuels de soutien à la désescalade dans le Golfe.

La légitimité de la France pour porter ces initiatives procède de son statut international et de ses engagements en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) – État doté responsable respectant ses obligations au titre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), pays constamment engagé dans la résolution des crises, pays enfin dont la crédibilité et l’exemplarité des forces sont largement reconnues et nous donnent crédit au premier chef auprès du partenaire américain, avec lequel nous opérons sur de nombreux théâtres, ou britannique, avec lequel nous nous préparons à certifier la pleine capacité opérationnelle de la Combined Joint Expeditionary Force (CJEF) en 2020, année du dixième anniversaire du traité de Lancaster House.

Mais notre légitimité repose aussi sur notre capacité à entretenir la cohésion euro-atlantique comme intra-européenne et à penser la sécurité sur l’ensemble du continent européen. À ce titre, le socle de notre défense collective est et demeure l’OTAN. Nous accompagnons son processus d’adaptation mesuré. Nous y sommes un allié fiable et exigeant, car notre crédibilité militaire nous le permet.

Et cette crédibilité qui est la nôtre au sein de l’OTAN est un élément de notre crédibilité au service de l’Europe de la défense. De ce point de vue, il existe bel et bien un espace pour une souveraineté et une solidarité européennes accrues en matière de défense. C’est tout le sens du sursaut stratégique attendu de nos partenaires européens et à propos duquel nous constatons depuis deux ans des avancées tangibles.

Outre des progrès à poursuivre sur la voie d’un redressement des budgets de défense nationaux, à l’image de la France, un processus de structuration des besoins capacitaires et opérationnels s’est enclenché, comme le montrent la troisième vague de la coopération structurée permanente (CSP), la montée en puissance de la capacité de planification civile et militaire de l’Union européenne, ou encore le projet d’une facilité européenne pour la paix (FEP).

Mais les plus grandes avancées actuelles se trouvent finalement dans l’industrie de la défense, avec le plan de développement capacitaire et l’émergence du Fonds européen de défense (FED), en passe d’être doté de 13 milliards d’euros sur la durée du prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027. Soyons clairs : pour la première fois depuis 1957, des fonds communautaires seront directement affectés au développement de capacités de défense, notamment de processus de recherche et développement (R et D). C’est un pas considérable.

Pour autant, l’étendue des défis que j’ai mentionnés doit nous inciter à élargir la palette de nos cadres d’action au-delà de l’OTAN ou de l’Union européenne. Par leur souplesse, les coopérations bilatérales ou en format ad hoc offrent en effet également une capacité de réponse utile, pragmatique, adaptée, ciselée à certains besoins identifiés. Dans cet esprit, l’IEI favorise effectivement l’émergence d’une culture stratégique commune en associant des partenaires européens ayant la volonté de s’engager et de se donner les moyens, y compris financiers, de faire plus pour leur défense.

Le premier cycle des travaux s’est achevé. L’IEI montre un réel succès, visible par les demandes d’adhésion. Nous avons ainsi accueilli deux nouveaux membres, la Norvège et la Suède, et le principe de la rejointe de l’Italie est aujourd’hui acquis, ce qui est une excellente nouvelle.

Cette culture stratégique commune progressera à mesure que les militaires développeront entre eux leur capacité à porter des scénarios et à retenir les expériences de leurs engagements communs.

Cette culture stratégique commune sera également portée sur un autre terrain, celui de la jeunesse. Je souhaite ainsi vous faire part ce jour du projet annoncé par la ministre des Armées aux universités d’été de la Défense d’organiser un événement, la « Fabrique Défense ». Il s’agit d’un dispositif de promotion de l’esprit de défense auprès des jeunes de 18 à 30 ans, en lien avec nos partenaires européens. Il sera organisé tous les deux ans et complété par des déclinaisons en régions et en Europe.

Au-delà de cette culture stratégique commune, notre capacité à mobiliser autour de nous se décline au Sahel. La France continue de s’engager pour la mobilisation financière des acteurs européens et internationaux en soutien à la force conjointe G5 Sahel. Elle œuvre aussi au renforcement des soutiens à l’opération Barkhane, avec la perspective en 2020 d’un engagement des forces spéciales de plusieurs nations européennes à nos côtés.

Il s’agit également de promouvoir le partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S) lancé par le Président de la République lors du sommet du G7 2019 qui a eu lieu du 24 au 26 août 2019 à Biarritz, afin de renforcer la coordination des appuis au profit des pays du Sahel, mais aussi des pays côtiers. Nous avons là une vision plus englobante, incluant le Bénin, le Ghana, le Togo, la Guinée, le Sénégal, et la Côte d’Ivoire.

Pour répondre aux tensions du Golfe arabo-persique, qui court un risque d’embrasement sérieux, la France a proposé à ses partenaires européens de s’engager dans une mission de surveillance maritime qui vise à affirmer collectivement notre souveraineté et notre liberté à accéder aux espaces communs et qui offre un choix complémentaire aux moyens déployés par les États-Unis. Plus largement, nous restons attentifs au dialogue avec l’Iran, afin de favoriser toutes les mesures permettant de conduire à la désescalade des tensions et au plein respect du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA), sans omettre le problème sérieux posé par la prolifération des missiles.

Au Levant, nous continuerons à valoriser nos engagements militaires en développant la relation bilatérale de défense avec l’Irak, et à prendre part aux efforts menés dans le cadre de la coalition contre Daesh.

Enfin, nous restons particulièrement attentifs à l’évolution de la situation politique et sécuritaire au Maghreb en entretenant un dialogue suivi avec nos homologues du sud de la Méditerranée.

Ainsi, notre action, par l’appui d’une diplomatie de défense active, nous permet de porter une ambition singulière. Il s’agit, de mon point de vue, de desserrer l’étau des rivalités entre grandes puissances et de créer un espace où puissent se développer la souveraineté et la résilience européennes.

La France offre dans ce contexte de vrais atouts, l’appui unique d’une puissance d’équilibre – ni intimidée ni alignée – capable de dialoguer avec tous. C’est d’ailleurs le sens de la reprise récente du dialogue franc et exigeant avec la Russie autour du Conseil de coopération sur les questions de sécurité (CCQS), telle que souhaitée par le Président de la République. 

Explorer les voies de rapprochement permettant de recréer graduellement la confiance avec Moscou, rechercher la coopération autant que possible sur les théâtres de crise – Ukraine, conflits gelés, Syrie, Libye, République centrafricaine – et éviter que l’Europe ne soit le théâtre d’une nouvelle course aux armements à laquelle ni Moscou ni l’Europe n’ont intérêt, en examinant la possibilité de construire à long terme de manière graduelle, collective, une nouvelle architecture de confiance et de sécurité partagée à tout le continent européen – tels sont les objectifs poursuivis.

Je voudrais terminer enfin en soulignant que, si la France a des capacités de défense crédibles et dispose toujours de la dissuasion pour ses intérêts vitaux, elle n’en a pas moins besoin de pouvoir aussi compter sur celles de ses alliés et partenaires, y compris au-delà du premier cercle des partenaires européens et transatlantiques que je mentionnais jusqu’ici.

Ainsi, dans l’espace Indopacifique, l’intensification de nos partenariats stratégiques noués avec l’Inde, le Japon, l’Australie, avec lesquels nous avons des coopérations industrielles et militaires de haut niveau et nous investissons dans le domaine de la sécurité maritime, est souhaitable. Ces partenariats doivent nous aider à assurer la stabilité d’une région dont nous sommes riverains et acteurs, et où les défis sont nombreux. Nous avons l’intention d’accroître nos efforts avec des partenaires clés en Asie du sud-est comme la Malaisie, Singapour ou l’Indonésie.

Nous porterons aussi nos efforts sur le Pacifique sud, où nous sommes très attendus, de la part notamment de la Nouvelle-Zélande en matière d’anticipation sécuritaire environnementale.

J’indique tout cela avec, en toile de fond, le besoin constant de continuer à approfondir le dialogue de défense avec la Chine – un dialogue exigeant, indispensable, afin de limiter les incompréhensions porteuses de risques, tout en conservant la réciprocité au cœur de nos relations bilatérales.

J’ai la conviction, un an après ma prise de fonction à la tête de la DGRIS, qu’il faut saisir la complexité de ce monde multipolaire, l’importance des multiples champs de la conflictualité et l’intrication des enjeux pour mener une action efficace.

La France dispose d’une position tout à fait singulière et d’une grande légitimité en matière de défense, mais elle ne peut pas répondre seule à la multiplicité et au durcissement des crises. Elle doit rester capable de fédérer politiquement et, le cas échéant, militairement et opérationnellement les soutiens indispensables à son action et à la promotion de l’Europe de la défense.

C’est par la transversalité et l’expertise qu’elle apporte que la DGRIS peut, je l’espère, y contribuer.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, Madame la directrice générale. Je crois que, plus que jamais, nous avons besoin de votre regard.

M. Patrice Verchère. Madame la directrice, pouvez-vous nous indiquer comment vous appréhendez la course aux armements en Asie ? Nous constatons ainsi une augmentation de plus de 8 % par an du budget de l’armée populaire chinoise, une multiplication par quatre du budget militaire du Vietnam, et une multiplication par trois pour les Philippines et l’Indonésie. Même le Japon, malgré les limites que lui impose sa constitution, augmente son budget militaire. Et je ne parle pas des deux Corée.

Pourriez-vous nous indiquer également quelles sont les options possibles pour la France afin de renforcer ses partenariats stratégiques dans cette partie du monde où l’on voit fleurir, notamment en mer de Chine, des îles artificielles fortifiées et militarisées ?

M. Joachim Pueyo. Vous avez évoqué rapidement la situation qui se présente à la frontière entre la Turquie et la Syrie. La Turquie a indiqué être prête à lancer une nouvelle offensive en Syrie contre les Kurdes. Nous pouvons déjà imaginer le pire, c’est-à-dire des millions de personnes déplacées. C’est d’ailleurs ce qu’a dit l’Organisation des Nations unies (ONU) le 7 octobre dernier. Des conséquences directes sont à craindre en Europe.

Quelle est la position de la France sur ce point ? Les États-Unis enchaînent les affirmations et les négations, et la stratégie américaine manque de clarté. Quelle est la stratégie de la France par rapport à la Syrie et particulièrement par rapport aux Kurdes ?

Nous avons posé la question hier, le 8 octobre, au gouvernement. Sa réponse a été ce qu’elle a été. Mais nous avons du mal à comprendre la stratégie de notre pays sur ce point.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ma question porte sur la mission de définition de la politique d’influence internationale du ministère des Armées, dont votre direction est garante. Cette mission permet au ministère de maintenir un positionnement dans les instances internationales traitant de la défense. Aussi, dans un contexte de remilitarisation des relations internationales, quelle est votre stratégie concernant le déploiement des actions et des personnels dont vous disposez pour conforter la France dans ses positionnements et donc son statut de puissance militaire à l’international ?

M. André Chassaigne. Madame la directrice générale, le décret du 2 janvier 2015 fixe les attributions de la DGRIS, notamment l’alinéa 7 de l’article 2, qui dispose que cette direction est chargée « de proposer les orientations en matière de contrôle des exportations de matériels de guerre et assimilés et de biens à double usage et de coordonner les travaux du ministère dans ce domaine ». Or certaines entreprises françaises livrent d’importantes quantités d’équipement militaire dans des régions du monde qui comptent parmi les plus instables, matériel souvent utilisé de manière illégale dans des contextes de conflits armés marqués par de graves violations du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire.

Les obligations des États dans ce domaine sont clairement définies par le traité sur le commerce des armes (TCA). C’est au gouvernement, et non aux entreprises, qu’il appartient de déterminer vers quels marchés il est acceptable d’exporter du matériel de défense.

Quel contrôle préconisez-vous pour les entreprises qui fournissent du matériel militaire et des services à la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis dans le conflit en cours au Yémen ? Je rappelle : livraison et maintenance d’avions de combat et de surveillance, de moteurs d’avion et de systèmes de guidage et de largage des bombes.

Plus particulièrement, quel contrôle du respect des critères internationaux dans l’octroi des licences d’exportation ? Je rappellerai qu’avec l’Allemagne un accord récent conditionne l’exportation au respect de ces critères si 20 % des composants du matériel vendu sont allemands.

Mme la présidente Françoise Dumas. Je vous rappelle que nous sommes à huis clos et laisse Mme la directrice répondre en fonction du contour de ses responsabilités.

Mme Alice Guitton. Concernant la course aux armements en Asie, ses conséquences et la façon dont nous structurons notre réponse à cette situation, je ferai part de trois éléments.

Nous avons une présence militaire significative et permanente dans cette région et faisons donc face directement au durcissement de l’environnement militaire. Nous disposons de cinq commandements militaires répartis en trois forces de souveraineté : nos forces françaises pré-positionnées à Djibouti et aux Émirats arabes unis, ainsi que les forces armées de la zone sud de l’océan Indien et les forces de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Ces différents dispositifs conduisent à déployer en permanence 7 000 personnels. Nous avons également dans cette région 18 attachés de défense accrédités dans 33 pays.

Cette présence militaire permanente nous permet de capter de l’information, de décrypter les comportements de nos partenaires et de l’ensemble des compétiteurs et d’anticiper la manière dont les coopérations et partenariats peuvent être mobilisés pour défendre un ordre international fondé sur le droit, le multilatéralisme et le libre accès aux espaces communs.

Une grande partie des enjeux de non-prolifération, importants lorsque l’on considère l’augmentation des budgets de défense dans la région, sont traités à travers des initiatives que nous soutenons et auxquelles nous contribuons. Nous pouvons citer notamment le dialogue conduit dans le cadre du processus P5 des cinq États dotés, qui permet d’avoir des échanges sur les doctrines nucléaires et les enjeux de stabilité stratégique. De nombreux échanges se font également en matière de contrôle des armements. L’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage, le Groupe Australie, le Régime de contrôle de la technologie des missiles (Missile Technology Export Control Regime – MTCR) et le Groupe des fournisseurs nucléaires (GFN) fournissent ainsi des plateformes d’échange sur les questions de prolifération.

Mais c’est finalement à travers l’architecture de sécurité collective à bâtir que nous devons mener nos efforts. De ce point de vue, la France s’intéresse de plus en plus à un rapprochement avec l’Association of South East Asian Nations (ASEAN), dont la centralité est constamment réaffirmée par les pays d’Asie du Sud-est, y compris pour traiter des questions de liberté de navigation. Un code de conduite y est à ce titre à l’étude.

Ce rapprochement nous donne un pied d’entrée pour tenter de favoriser la stabilité par le droit, à un moment où la course aux armements s’accroît.

J’ajoute qu’il s’agit d’une région où certains enjeux de prolifération comme la crise du nucléaire créée par la Corée du Nord nous concernent directement et menacent nos intérêts, compte tenu de la capacité de Pyongyang à nous atteindre par le biais des missiles qui ont été développés.

Monsieur le vice-président Pueyo, vous m’avez interrogée sur la situation en Syrie et sur les annonces récentes de la Turquie d’incursion dans le nord-est de la Syrie pour traiter de la question kurde.

La position de la France a été constante, avec d’abord le soutien à un processus politique en Syrie susceptible de fonctionner. La mise en place du Comité constitutionnel a représenté une étape importante. La France s’est aussi impliquée dans le rapprochement d’un certain nombre de formats – processus d’Astana, processus de Genève – afin de réunir l’ensemble des acteurs pour trouver une issue politique à la situation. Enfin, nous échangeons avec tous les pays concernés, y compris la Russie. Nous avons ainsi traité de la Syrie dans le contexte du CCQS, pour voir comment un rôle plus constructif de la Russie pourrait être recherché dans ce pays.

Il demeure que la Turquie, qui avait déjà annoncé en décembre 2018 son intention d’intervenir dans le Nord-est syrien, s’était engagée depuis lors avec les États-Unis dans la négociation d’un accord bilatéral, s’inspirant du modèle appliqué à la région de Manbij, pour tenter de sécuriser la zone à travers des patrouilles conjointes sur un bandeau de 30 kilomètres et stabiliser la situation.

La coalition contre Daesh a reconnu que cet accord avait des mérites, car il rendait possible la poursuite du soutien aux Forces démocratiques syriennes (FDS) qui, comptant sur des combattants kurdes, ont permis de repousser la menace de Daesh.

Aujourd’hui, notre stratégie est une stratégie d’accompagnement des efforts de la coalition pour qu’en cas d’incursion, les Kurdes puissent, autant que possible, se retrouver localisés sur des emprises sécurisées. L’enjeu est aussi d’éviter que les flux de personnes viennent déstabiliser plus avant d’autres régions de la Syrie ou se reporter sur le Kurdistan ou sur l’Irak – qui fait face par ailleurs à une vague de manifestations et est également dans une situation relativement fragile.

Enfin, je mentionnerai la nécessité de continuer à apporter un appui à travers l’OTAN à tous les appels à la retenue dirigés vers la Turquie et à faire levier autant que nous le pourrons auprès des États-Unis pour qu’ils maintiennent un dispositif crédible.

La préoccupation majeure à mes yeux est la situation dans les prisons et dans les camps, où l’on voit que la radicalisation a progressé. Même si la défaite du califat territorial de Daesh a été annoncée, nous savons que Daesh réapparaît de manière résurgente sous une forme insurrectionnelle. Nos collègues du Pentagone y sont très vigilants. Il faudra s’assurer également que les avancées obtenues en la matière seront bien consolidées et non remises en cause par les développements les plus récents.

Monsieur Cubertafon, s’agissant de la remilitarisation des relations internationales et des actions que nous déployons pour prendre en compte cette situation, la première réponse réside dans notre capacité à agréger les différents modes de conflictualité existants aujourd’hui. Notre vision du modèle d’armée dont nous avons besoin doit intégrer une compréhension et une intégration de ces différents modes. Aux modes traditionnels de l’air, de la terre et de la mer, s’ajoutent ainsi le cyber, l’espace, l’intelligence artificielle et la lutte informationnelle. Nous devons parvenir à avoir une vision d’ensemble de ces domaines.

Mais nous devons aussi être capables de relier des éléments extérieurs à la sphère Défense avec des actions civiles permettant de réagir à des scénarios ambigus ou hybrides. Pour ce faire, nous avons investi dans un centre d’excellence européen à Helsinki pour la lutte contre les menaces hybrides, qui fournit des résultats intéressants. L’Union européenne a également développé un centre de fusion de données sur les guerres hybrides qui aide à rehausser la compréhension des États membres sur les actions à conduire. Enfin, nous essayons, dans le contexte créé par le débat sur Huawei, de créer une capacité européenne à réaliser le besoin de résilience face aux influences chinoises – qu’elles se matérialisent par des investissements d’infrastructures portuaires ou technologiques ou par des prises de coopération scientifiques et intellectuelles susceptibles de remettre en cause une partie de la souveraineté européenne. Nous savons que l’initiative « 17 + 1 » de la Chine, qui concrétise la Belt and Road Initiative (BRI), est une préoccupation à prendre en compte.

J’en viens à présent à la question de M. le député Chassaigne, qui fait référence au contrôle des exportations de matériels de guerre. Je rappelle que la France poursuit un strict contrôle, à travers un examen interministériel poussé, de toutes les exportations de matériels de guerre et assimilés. Ce processus est conduit de manière responsable dans la mesure où il respecte pleinement nos engagements internationaux – qu’il s’agisse de la directive 2008/51/CE du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 91/477/CEE du Conseil relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes, ou du Traité sur le commerce des armes (TCA) que nous avons rejoint en 2014. Ce processus est en outre mené de manière transparente par le biais du rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France que nous transmettons chaque année à l’ensemble des parlementaires.

À travers la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), nous instruisons près de 7 030 dossiers sur une base annuelle. Ces dossiers nous remontent par une procédure dématérialisée ou physique soumise à l’arbitrage du Premier ministre. Cette procédure prend en compte l’ensemble des préoccupations relevées dans les textes de référence que j’ai mentionnés. Elle les complète par une évaluation approfondie de la situation concernant la stabilité régionale des régions dans lesquelles ces exportations sont envisagées, analyse l’existence des tensions et des conflits ouverts qui peuvent y prévaloir, s’interroge sur le comportement des pays destinataires au titre du respect des droits de l’Homme et du droit international humanitaire et pèse nos intérêts de sécurité, de défense et de préservation de nos coopérations ainsi que les enjeux liés à la sécurité de nos forces et de celles de nos alliés.

Par ailleurs, je puis vous confirmer que la France reste pleinement déterminée à rechercher des solutions au conflit cruel qui dévaste le Yémen aujourd’hui.

Nous appuyons pleinement les actions de l’envoyé spécial des Nations unies, Martin Griffiths, et les derniers développements survenus à Stockholm en faveur d’un cessez-le-feu. Nous continuerons, dans le cadre des Nations unies, à favoriser la résolution politique du conflit et à porter une appréciation globale de la situation sur la région. Il existe actuellement un enjeu bien plus prégnant de stabilisation et de réduction des risques d’escalade dans cette région du monde.

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous reprenons le cours des questions.

M. Fabien Gouttefarde. À Saclay le 5 avril dernier, la ministre des Armées a tenu un discours sur l’intelligence artificielle de défense. À cette occasion, elle a annoncé la création d’un comité d’éthique.

Nous nous réjouissons de cette annonce, à l’aune des enjeux de souveraineté numérique, de cybersécurité et de développement des armes létales autonomes qui se présentent aujourd’hui.

Face aux positions et aux discours de certaines grandes puissances, notamment la Russie et la Chine, pouvez-vous me dire, vous qui avez travaillé sur ces sujets à Genève dans vos anciennes fonctions auprès de la Conférence du désarmement, comment la DGRIS se positionne au sein de ce comité ? Je crois que certains agents réfléchissent déjà à ces questions d’éthique dans votre structure.

Pensez-vous par ailleurs que ce comité pourra consolider notre position à Genève, à l’international sur ces questions d’intelligence artificielle de défense et d’autonomie concernant la létalité ?

M. Yannick Favennec Becot. Le PLF 2020 s’inscrit dans l’objectif d’atteindre un effort de défense de 2 % du PIB en 2025. Cet effort est ainsi porté à 1,86 % en 2020. Pourtant, la contribution versée au gouvernement de la République de Djibouti au titre de l’implantation des forces permanentes françaises sur ce territoire a encore été diminuée de près de 1,5 million d’euros. Pouvez-vous nous en fournir l’explication ?

M. Jacques Marilossian. Les crédits du programme 144 sont en hausse. Nous pouvons tous nous en réjouir. Néanmoins, quelques voix discordantes se sont fait entendre. Elles estiment par exemple que la diplomatie aurait pris un peu trop la main sur la stratégie au sein du ministère des Armées. Ainsi, un chercheur, M. Matthieu Chillaud, regrette dans un article paru dans la revue Défense et sécurité internationale (DSI) que la DGRIS demande un peu trop aux think tanks des études prospectives et stratégiques afin de « débelliciser » les études stratégiques. Le motif est selon lui que la guerre est toujours et doit rester la dernière option envisageable pour les diplomates.

Je suis rapporteur du budget de la marine et logiquement très sensible à tous les enjeux de défense stratégique, notamment ceux de notre zone économique exclusive (ZEE) où surveillance, protection et intervention sont clés. Ce sont à l’évidence des actions combinées air, terre, mer, espace et cyber qui répondront à ces enjeux.

Face à ces contraintes diplomatiques, notamment dans la zone indopacifique, votre devise est-elle « si vis pacem, para bellum » et, en ce cas, comment concilier la dualité de la France, à la fois puissance européenne et puissance mondiale ou internationale, et quelles sont alors vos trois priorités les plus sensibles ?

M. Thibault Bazin. Madame la directrice générale, vous avez évoqué au début de votre propos liminaire sept pays partenaires. Pourriez-vous préciser de quels pays il s’agit ?

Je voudrais par ailleurs que vous nous parliez du Tchad et du G5 Sahel. Comment vous situez-vous par rapport au Tchad en tant qu’État et par rapport au G5 en tant que groupement et jusqu’où allez-vous dans le partenariat avec le Tchad ? Nous pouvons nous souvenir à ce titre de l’intervention française effectuée au sein de ce pays.

Mme Aude Bono-Vandorme. En avril dernier le président Vladimir Poutine a accueilli à Saint-Pétersbourg les dirigeants des pays scandinaves et près de 350 chefs d’entreprise à l’occasion du Forum de l’Arctique.

L’objectif prioritaire de la Russie est évidemment de développer cette route maritime le long de l’Océan Arctique qui devient possible grâce ou à cause de la fonte des glaces et du réchauffement climatique.

Ce Forum a amorcé des projets de nouveaux ports le long de cette route, la construction de quatre brise-glaces géants qui devraient être opérationnels en 2024, sans oublier un réseau électrique et numérique.

Vladimir Poutine s’est donné pour objectif de quadrupler le trafic maritime dans la région en l’espace de cinq ans.

La Russie peut donc remporter la partie dans l’Arctique, d’abord parce qu’elle est la plus proche, ce qui est légitime, ensuite parce qu’elle a compris l’intérêt géostratégique de placer ses pions dans la région en y installant ou en y réinstallant des bases militaires comme sur l’île Kotelny ou sur l’archipel François-Joseph.

Quelle est votre analyse de cette situation ?

Mme Alice Guitton. La première question concernait le comité d’éthique sur l’intelligence artificielle. Il faut souligner que nous sommes le premier pays au monde à avoir proposé une démarche de cette nature, consistant à assumer à titre national la responsabilité d’établir un organisme permanent au sein de notre institution de défense pour traiter des questions éthiques liées aux technologies émergentes.

Depuis 2010, une réflexion prospective avait déjà été conduite sur les problématiques éthiques et sociétales soulevées par les nouvelles technologies de défense. La DGRIS apportera à ce nouveau comité son expérience et son réseau international.

L’objectif de ce comité tel que présenté par Mme la ministre à Saclay le 5 avril dernier est d’être un outil d’aide à la décision et à l’anticipation et de traiter les questions posées par les technologies émergentes et leur emploi par l’Homme dans le domaine de la défense. À moyen terme, son périmètre vise à aborder l’ensemble des interrogations éthiques multiples liées à l’évolution du métier des armes ainsi que des espaces de conflictualité.

Ce comité a la possibilité, par les réflexions qu’il fournira et les avis qu’il rendra, d’éclairer le débat international sur ces sujets – aujourd’hui toujours porté à Genève comme nous le souhaitons dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) – et sous l’angle des systèmes d’armes létaux autonomes (SALA).

La ligne portée par la ministre, en cohérence avec les projets défendus conjointement avec l’Allemagne, s’appuie sur l’idée d’une déclaration politique qui permettrait de réunir la communauté internationale, pour réaffirmer la primauté du respect du droit international humanitaire en toutes circonstances, quels que soient les développements de l’intelligence artificielle envisagés. L’idée est également de renvoyer vers une responsabilité nationale la problématique éthique.

L’un des défis auxquels nous avons fait face était de crédibiliser ces débats à la CCAC de telle sorte qu’ils ne viennent pas à être traités dans des formats moins consensuels tels que l’Assemblée générale des Nations unies ou le Conseil des droits de l’Homme, et où des compétiteurs stratégiques comme la Chine ou la Russie pourraient s’émanciper de normes qui s’appliqueraient à tous. C’est bien ce consensus qui nous importe également.

S’agissant de la contribution versée au gouvernement de la République de Djibouti, elle ne diminue pas. Elle est portée à 26,4 millions d’euros au PLF 2020, contre 26,1 millions d’euros en 2019. Aucune baisse n’est donc survenue en la matière. Et nous continuons d’être pleinement redevables de cette contribution annuelle forfaitaire que nous devons au gouvernement de la République de Djibouti en compensation de l’implantation des forces françaises sur son territoire. Cette contribution a été fixée dans le cadre du traité de coopération en matière de défense signé le 21 décembre 2011 entre la France et la République de Djibouti, qui continue de prévaloir.

J’en profite, l’occasion de parler de Djibouti étant trop belle, pour préciser que Djibouti est l’un des lieux où nous avons observé en premier la manière dont l’initiative des routes de la soie menée par la Chine conduisait à faire coexister à nos côtés une base chinoise, avec de potentielles implications pour notre capacité à préserver le secret, le renseignement et l’information – préoccupation que nous partageons avec le Japon, le Canada et les États-Unis.

Si l’on regarde ensuite les neuf millions sur onze millions de kilomètres carrés de ZEE qui appartiennent à la France dans l’ensemble de la région indopacifique, quelles priorités pouvons-nous mettre en œuvre pour y protéger nos intérêts mondiaux et européens ? C’est ainsi que j’entends la question qui m’a été posée par M. Marilossian.

À cela, la réponse est triple. Il nous faut tout d’abord nous donner les moyens de maintenir notre présence d’une manière équilibrée et respectueuse du droit international. À ce titre, la France n’hésite pas, à travers ses déploiements navals, les dialogues politiques et stratégiques qu’elle mène et les coopérations militaires et opérationnelles qu’elle engage, à favoriser des liens étroits avec tous les partenaires de la région. Elle le fait en commençant par ses partenariats stratégiques – Inde, Australie, Japon – mais aussi en les déclinant avec tous les autres partenaires selon ses capacités pour accréditer le besoin du respect du droit, notamment de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (United Nations Convention on the Law of the Sea – UNCLOS), ainsi que dans les airs où des zones d’interdiction émergent plus ou moins. La France propose également une voie alternative face au fait majeur structurant que constitue la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine.

Le deuxième axe consiste, dans les enceintes de sécurité collective régionales et sous-régionales qui pourraient émerger, à s’investir davantage en communicant stratégiquement de manière plus audacieuse et régulière sur le fait que la France est un acteur de l’Indopacifique. Nous sommes en effet un acteur légitime et, je crois, de plus en plus reconnu. La stratégie de défense sur l’Indopacifique a été un bel outil pour promouvoir la place de la France à cet égard, avant tout à l’occasion de la participation et des interventions de la ministre des Armées au dialogue du Shangri-La où nous avons conforté notre présence de manière visible avec la présence à quai du porte-avions Charles de Gaulle qui a été très appréciée.

Troisièmement, nous devons également conforter notre capacité à pouvoir nous adresser tant aux États-Unis qu’à la Chine ou à la Russie en affirmant notre autonomie politique et notre recherche d’un dialogue équilibré. Cette capacité à être autonome politiquement à titre national a une résonance auprès de nos partenaires, qui savent pouvoir s’adosser à nous pour suivre une ligne similaire.

À cela, s’ajoutent deux défis. Le premier est celui des moyens. Les élongations sont considérables. Outre le soutien apporté à nos forces de souveraineté et de présence, il faut donc parvenir à suivre dans la durée. Cet enjeu est à mettre en regard de la clause de revoyure de 2021.

Le deuxième défi est celui de la nécessité de l’établissement de priorités et d’un partage des rôles, comme par exemple avec l’Inde que nous souhaitons voir s’investir davantage dans le sud de l’océan Indien jusqu’au canal du Mozambique.

S’agissant des sept pays partenaires auxquels j’ai fait référence dans mon propos liminaire, il s’agit des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Espagne, du Canada et de l’Australie.

Concernant le Tchad et le G5 Sahel, il me semble important d’aborder la situation de la bande sahélo-saharienne en suivant de près la situation au Tchad. Le Tchad représente en effet un verrou entre les risques de dérapage ou de détérioration de situations sécuritaires ou de terrorisme auxquels nous faisons face dans le Sahel – risques face auxquels nous jouons un rôle important grâce notamment à l’opération Barkhane et aux actions mises en œuvre à travers les missions de formation de l’Union européenne, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), l’Alliance Sahel et le P3S – et, d’autre part, la menace présentée par Boko Haram en Afrique de l’Est. Nous savons que la mobilisation des acteurs régionaux d’Afrique de l’Est, au-delà de la force multinationale mixte (FMM) qui compte encore aujourd’hui 10 000 hommes, n’est pas forcément à la hauteur du défi posé par cette organisation terroriste.

Le Tchad constitue donc un verrou, un point important et un allié précieux pour la France à travers l’accord de défense qui lie nos deux pays. Nous continuons par conséquent à suivre de très près les évolutions politiques que pourrait connaître ce pays, de façon à le lier au maximum à la préservation des équilibres dans la région.

Je crois que le P3S constitue par ailleurs une réelle opportunité. L’idée est que l’élargissement du périmètre géographique et du champ d’action envisagés par les initiatives précédemment lancées permette une cohérence et une efficacité accrues des actions menées, pour répondre aux besoins de sécurisation militaire, mais aussi de stabilité à travers des actions de renforcement de la sécurité intérieure, ce avec l’ensemble des pays de la région – les pays du G5, mais également les sept pays frontaliers du G5 Sahel, Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Guinée, Sénégal, ainsi que le Cameroun. Je crois que nous bénéficions à présent d’une plateforme cohérente pour y parvenir.

Il me semble que le lancement du P3S interviendra mi-décembre, pour confirmer l’ensemble de ces tendances. Il permettra d’afficher d’ailleurs un important investissement de l’Allemagne à nos côtés, très désireuse de s’engager davantage ainsi qu’elle l’a déjà montré à travers l’engagement de la brigade franco-allemande (BFA).

La dernière question qui m’a été posée portait sur la Russie et l’Arctique. Je suis effectivement mobilisée sur ces questions. Je reviens d’ailleurs d’un séjour en Norvège où j’ai mené un dialogue stratégique approfondi sur ces questions.

L’Arctique ne peut pas être considéré seulement comme un théâtre de compétition stratégique accru du fait du réchauffement climatique. Comme le diraient les Norvégiens, c’est en effet avant tout un enjeu de coopération pacifique, historiquement recherchée dans cette région. C’est également un enjeu de recherche scientifique.

Toutefois, depuis l’ouverture du passage nord, le renforcement par la Russie de la militarisation de sa côte nord et la massification des investissements chinois dans les secteurs stratégiques – gaz, mines, tentatives de rachat de bases navales et d’aéroports au Groenland, réseau 5G, projets russes de brise-glaces à propulsion nucléaire (comme l’Arktika) –, il est évident que nous devons développer une perception, une compréhension et une stratégie durables de l’évolution de l’Arctique.

C’est ce que nous nous sommes efforcés de présenter à travers un document que je me suis permise d’apporter et que je suis prête à diffuser. Ce document articule l’ensemble des actions qui sont les nôtres, nos liens de partenariat, et nos évaluations de la situation.

En matière d’anticipation et de prospective, l’un des sujets consiste à vérifier comment la Russie et la Chine vont « déconflicter » leurs intérêts potentiellement divergents dans cette région et comment nous ferons en sorte de préserver les intérêts pour la France au regard des enjeux d’approvisionnement, de défense collective et de liberté d’action des forces armées françaises. Il ne saurait être question de se retrouver avec un déni d’accès par la Russie de cette partie nord de l’espace transatlantique.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci. Nous reprenons le cours des questions.

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Madame la directrice générale, nous savons tous ici que la LPM 2019-2025, à condition d’arriver à son terme, ramènera l’outil de défense de la nation à un niveau satisfaisant pour temps de paix. Ce point a été rappelé par tous ceux qui vous ont précédée à ce pupitre, à commencer par le chef d’État-major des armées (CEMA).

Comme vous l’avez souligné, des zones de prospective nouvelles se présentent : l’Indopacifique, l’Arctique, l’Antarctique éventuellement, ou encore l’espace. Mais nous faisons également face à une dégradation de l’environnement international susceptible de nous conduire vers des conflits nouveaux voire vers un conflit plus généralisé.

Tout cela a un coût. De plus, les nouveaux conflits provoqueront une attrition à laquelle une armée calibrée pour temps de paix ne sera pas forcément préparée, si tant est que ces conflits attendent que nous soyons arrivés au terme de la LPM. Un conflit porte toujours une attrition, en munitions, en matériels et en personnels. Il faut ainsi trois ans pour faire un Rafale, et une action au combat défavorable pour le ramener au sol.

Or, certains de nos partenaires rompent des traités internationaux qui leur imposent de nous porter assistance. Nous avons même en notre sein des personnes qui remettent en cause nos partenariats internationaux – accords de Lancaster House, OTAN. D’autres, y compris au sein de l’Assemblée nationale, considèrent que nous fournissons déjà un effort de défense suffisant.

Si j’ai bien compris, votre mission de prospective correspond à l’action 7 du programme 144.

À ce titre, anticipez-vous cet effet ciseau que nous avons devant nous, et qui risque d’opposer des besoins supplémentaires à une trajectoire financière définie pour une armée en temps de paix ?

En ce cas à qui cette prospective s’adresse-t-elle et est-elle bien entendue ?

M. Christophe Lejeune. À votre avis, le Brexit aura-t-il un impact sur l’IEI ?

Par ailleurs, symboliquement le Luxembourg a toujours été présent dans le vécu commun européen. Si ce pays possède des capacités militaires limitées, il me semble que les Airborne Warning & Control Systems (AWACS) de l’OTAN y sont rattachés. Or nous savons combien ces avions sont précieux pour les missions d’intervention. Par conséquent, pourquoi le Luxembourg ne fait-il pas partie des pays membres de l’IEI, alors que l’on y retrouve la Belgique et la Hollande traditionnellement rattachées au Benelux ?

Mme Patricia Mirallès. La politique étrangère est aussi, et peut-être désormais avant tout du fait de la mondialisation de la communication et des voyages, une affaire d’image. C’est en ces termes que fut présenté en juillet 1988, à la demande du cabinet du ministre des Affaires étrangères, M. Roland Dumas, un rapport sur la création d’un programme français d’invitation de personnalités étrangères identifiées au préalable comme étant de jeunes responsables appelés à exercer une influence croissante dans les affaires de leurs pays et dans les relations de ceux-ci avec le nôtre.

Inhérents à la diplomatie de défense, je voudrais donc connaître les crédits qui seront accordés aux PAD cette année, le nombre de personnalités concernées par ce programme, leur implantation et, plus encore, les évolutions de ce programme que vous estimez nécessaires afin de le rendre plus efficace.

M. Charles de la Verpillière. Madame la directrice générale, pouvez-vous nous dire comment vous voyez évoluer la situation en Libye et quelle est la position de la France à cet égard ? J’ai cru comprendre en lisant la presse que, jusqu’à présent, pour des raisons tout à fait compréhensibles, la France avait plutôt misé sur le maréchal Haftar. Pensez-vous que cette position évoluera ?

M. Christophe Blanchet. Vous avez dressé un bilan des situations complexes qui se présentent à travers le monde. Je souhaiterais pour ma part me rapprocher de nos frontières, et parler de la Manche et du Brexit.

Un conflit a eu lieu il y a un an en mer entre la flotte française et la flotte anglaise autour des bateaux de pêche de coquilles Saint-Jacques. Ce conflit n’a heureusement pas eu d’incidence dramatique, mais il s’en est fallu de peu. Et il s’en faut de peu pour que cela se reproduise. Pour autant, c’est bien l’armée qui a dû intervenir pour séparer les deux forces en présence. Actuellement, je crois savoir que des opérations sont en cours pour veiller à la sécurité de la zone.

Des enjeux économiques et sociaux majeurs se présentent entre nos deux territoires. Or le Brexit survient dans 22 jours, donc dans trois semaines.

Vous avez été première secrétaire de l’Ambassade de France au Royaume-Uni jusqu’en 2007. Vous connaissez donc très bien le contexte des relations entre nos deux pays.

Comment agissez-vous en conseil stratégique quant à ce conflit en mer en baie de Seine entre nos pêcheurs français et les pêcheurs anglais pour ne pas perturber les accords de coopération militaire entre nos deux pays ?

Mme Alice Guitton. Je me permettrai de commencer par la relation franco-britannique, deux questions ayant été posées en lien avec les conséquences du Brexit et la façon dont elles sont traitées dans la gouvernance bilatérale.

Il est indispensable de rappeler que, comme pour l’Allemagne avec laquelle nous avons signé le traité d’Aix-la-Chapelle qui sera bientôt ratifié, une série d’efforts considérables est à mener avec le Royaume-Uni, en préparation notamment de Lancaster House 2020, pour que la coopération exceptionnelle et multidimensionnelle, unique en Europe, qui prévaut aujourd’hui en matière de défense entre nos deux pays puisse continuer à se réaliser pleinement. Cette coopération est liée tant à la géographie qu’à l’ADN de nos forces de défense.

Le Brexit aura évidemment des conséquences, mais qui seront en réalité relativement limitées pour la défense.

Il faudra notamment passer par une ordonnance pour garantir la poursuite du partage d’informations classifiées, en particulier pour les transferts de matériels de défense entre la France et le Royaume-Uni. En outre, d’un point de vue juridique, la complexification de ce partage d’informations sur certaines questions sensibles peut avoir une incidence, s’agissant notamment de certains programmes spatiaux.

Nous savons aussi que le Brexit aura des conséquences économiques sur Londres. Certaines incertitudes tarderont ainsi à être levées sur l’effort de défense à long terme du Royaume-Uni. Le budget approuvé cette année vaut en effet pour un an et ne s’inscrit donc pas dans un cadre pluriannuel. La capacité du pays à s’engager dans des programmes longs, comme l’exige tout programme industriel structurant, ne se matérialise pas pour l’instant. Or il est indispensable pour nous que le Royaume-Uni puisse, dans le cadre de la prochaine revue de défense, maintenir le cap budgétaire – 2,13 % du PIB – en matière d’effort de défense.

Par ailleurs, les conditions économiques dans lesquelles évoluent certaines de nos industries pourraient se détériorer. Cela est anticipé notamment dans le secteur de l’aéronautique comme dans celui des missiles.

La contraction de la livre et la dégradation du budget alloué à la défense pourraient également avoir un impact sur les projets capacitaires communs auxquels nous voulons travailler : développement de missiles antinavire, de missiles de croisière, projet de démonstrateur de drones navals, guerre antimines, etc.

Quoi qu’il en soit, Brexit ou non, nous resterons étroitement liés au niveau opérationnel pour continuer à coopérer au Sahel. Je rappelle que les Chinooks qui nous sont fournis par le Royaume-Uni sont extrêmement précieux pour l’opération Barkhane.

De plus, la montée en puissance de la CJEF, qui atteindra sa pleine capacité opérationnelle en 2020, nous offre des opportunités considérables pour l’avenir pour faire face à des situations où le besoin de déploiement expéditionnaire s’imposerait.

Rappelons-nous par ailleurs que, dans le cadre de l’opération Hamilton en Syrie, nous étions avec les Britanniques, qui disposaient des capacités et de la réactivité nécessaires.

Nous continuerons également à nous engager avec le Royaume-Uni dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN en Estonie.

Les prochaines échéances stratégiques qui permettent de parler de toutes nos coopérations – que ce soit le conseil ministériel de défense, résultat de la comitologie du sommet franco-britannique de Sandhurst, ou l’anniversaire des accords de Lancaster House en 2020 – doivent nous conduire d’abord, après le Brexit, à réfléchir à la relation entre l’Union européenne et le Royaume-Uni une fois le Brexit consommé, quelles que soient ses modalités. Elles doivent ensuite nous aider à garder une capacité à nous engager et à regarder loin pour identifier quels modèles d’armée, britannique et français, mettre en place, et comment les projets capacitaires peuvent se construire, avec des ambitions à la hauteur de ce que nos industriels sont capables de fournir et du niveau d’autonomie technologique et stratégique que leurs expertises et leurs savoir-faire peuvent garantir.

Enfin, dans cette période tumultueuse, si des irritants émergent, ils devront être traités pour ce qu’ils sont et non comme des éléments susceptibles de contaminer la relation politique plus large unissant nos deux pays. Cela fait bien sûr partie de ma tâche.

Dans ce contexte, j’ai confiance en la capacité de Londres et Paris à trouver des voies d’accord au niveau des ministres, des administrations centrales ou des régions, pour résoudre y compris des questions qui continueront de se poser, comme celle liée aux bateaux de pêche en baie de Seine.

Sur la question de savoir dans quelle mesure le Luxembourg pourrait trouver sa place dans l’IEI, je rappelle que l’IEI réunit des pays dimensionnés de manière comparable dans leur outil de défense, à travers leur budget de défense, et à travers leur volonté politique d’agir et de s’investir sur des théâtres d’opérations. C’est pourquoi il est précieux de pouvoir compter sur le Royaume-Uni, post Brexit, et sur le Danemark, nonobstant son opt out sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Comme cela a été observé lors de la dernière réunion ministérielle qui s’est tenue à Hilversum le 20 septembre 2019, tous les pays membres de l’IEI ont plusieurs points communs. Ils sont tous au Sahel avec nous. Ils ont tous matérialisé sur les dernières années des contributions importantes à des opérations de maintien de la paix ou de missions de l’Union européenne. Ils sont impliqués dans les projets de CSP et dans les initiatives européennes de défense que nous avons soutenues. Nous les retrouvons aussi en appui d’un projet comme celui de la facilité européenne de paix, qui nous donnera demain les moyens de fournir des équipements létaux à des pays qui en ont besoin et qui, dans une logique de prévention, pourraient ainsi ne pas basculer vers davantage de fragilité. C’est du moins ce que nous souhaitons.

Le Luxembourg a toute sa place dans les initiatives européennes de défense que j’ai mentionnées. Il a d’ailleurs fait partie des pays qui ont joué un rôle important dans le lancement de la CSP, du nouveau plan de capacités (Capability Development Priorities – CDP) et de la Coordinated Annual Review on Defence (CARD). Il fournit aussi de l’expertise. C’est également une nation qui a un rôle à jouer dans le domaine spatial et avec qui nous collaborons étroitement.

Il reste que les ministres des treize pays membres de l’IEI ont décidé en septembre dernier, de consolider d’abord l’initiative. Pour que les bénéfices de l’IEI soient pleinement saisis, il faut que les contacts entre militaires s’approfondissent et que les groupes de travail qui ont été constitués fournissent les efforts attendus.

La porte n’est cependant pas fermée. Le Président de la République a fait référence à son soutien à la candidature de la Grèce après l’arrivée de la Norvège, de la Suède et de l’Italie survenue cette année.

L’avenir dira jusqu’où l’IEI doit aller. Pour l’instant, nous sommes donc dans une phase de consolidation.

S’agissant du programme des PAD, je suis ravie de l’intérêt qu’il suscite. Comme vous le savez, cette initiative a été portée par la DGRIS dès 2008. Ce programme représente un investissement de 260 000 euros par an. Cette somme permet de couvrir chaque année le soutien apporté à l’accueil des personnalités, l’organisation de visites et le montage de programmes adaptés, personnalisés, et ciselés destinés à ces personnalités qui ont été identifiées, selon une méthodologie très stricte, comme rejoignant potentiellement les futures élites des pays concernés. Ces personnalités sont donc susceptibles de constituer des relais d’influence et de confiance.

Une trentaine de personnalités sont identifiées par an. Aujourd’hui, le programme des PAD compte plus de 250 membres. Le nombre de personnalités accueillies est en hausse depuis ces quatre dernières années et se stabilise autour d’une trentaine par an.

Sur la question de savoir comment il convient de faire évoluer ce programme, je crois que cela passe par un processus de sélection qui soit le plus efficace et intelligent possible.

Il faut donc bien recruter. Il faut également assurer des programmes véritablement intéressants et mobilisateurs, qui permettent d’exposer ces personnalités à tous les interlocuteurs nationaux pertinents afin de favoriser leur compréhension de la France et de développer leur intérêt pour les positions françaises et leur appréciation du rôle de la France.

Enfin, dans le suivi à long terme, il faut s’assurer que le flux bâti reste soutenable et durable, et dimensionné avec les ressources qui sont les nôtres.

Concernant la situation en Libye, elle est aujourd’hui dans l’impasse. L’offensive du maréchal Haftar ne conduit pas à un éclaircissement. Les différentes initiatives prises par la France et l’Italie et à nouveau, encore récemment, par la France à l’Assemblée générale des Nations unies à travers une conférence, demeurent des axes importants d’efforts pour tenter de relancer un processus politique là où la situation reste bloquée sur le terrain militaire.

Un travail reste à fournir du point de vue de la DGRIS : celui de la compréhension de la façon dont les autres acteurs et parrains d’une solution politique en Libye pourraient être mieux décryptés et mobilisés – que l’on pense à l’Algérie, à l’Égypte, ou à la manière dont la Russie pourrait apporter un soutien pour passer les bons messages au moment approprié afin de parvenir à la matérialisation d’un cessez-le-feu durable et à l’élaboration d’un processus véritablement inclusif impliquant toutes les composantes de la société libyenne.

Sur le modèle d’armée et la manière dont le regard peut être porté sur la LPM à l’aune de la capacité de la DGRIS à conduire des travaux de prospective pertinents à travers l’action 7 pour éclairer les besoins futurs et les éventuels écarts qui pourraient être observés, je répondrai selon deux angles : la prévention, et l’innovation. Je conclurai en disant que la LPM nous permet de répondre à la situation actuelle.

Sous l’angle de la prévention, la DGRIS a un rôle à jouer, à travers une approche globale de coopération avec nos alliés et nos partenaires et la volonté d’agir en amont des crises, pour configurer des points d’appui durables et des capacités au bon endroit au bon moment, qui nous permettent à travers nos forces, nos contacts politiques et notre réseau diplomatique d’articuler une capacité à amortir les crises. Les ayant anticipés, nous ne devons pas subir les aléas stratégiques que nous observons tous les jours dans la presse, mais avoir une capacité à rebondir y compris grâce à nos partenaires.

À titre d’exemple, dans la perspective des élections en 2021 en Côte d’Ivoire, nous devons soutenir ce pays pour éviter qu’il ne se fragilise davantage. C’est un pays qui sert de point d’appui, y compris du fait de la présence de nos forces dans la région.

De la même manière, outre nos forces de souveraineté présentes, nous devons parvenir à créer des partenariats utiles autour des départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer (DROM-COM) – partenariats qui nous assurent toute la sécurité nécessaire.

Sur le volet de l’innovation, les études amont qui bénéficient de 821 millions d’euros et d’un budget qui sera porté à 1 milliard d’euros en 2022 devront délivrer tous leurs effets.

Des projets majeurs sont examinés : SCAF, MGCS, les études sur le porte-avions de nouvelle génération, les moyens additionnels envisagés pour toutes nos armées, et la mise en place de moyens supplémentaires – 700 millions d’euros – alloués à l’espace.

Tous ces éléments sont une réponse à la nécessité de rester dans la course technologique, de maintenir nos savoir-faire et de renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) nationale.

La LPM me paraît par ailleurs dimensionnée pour répondre à nos besoins. Elle compte sur les axes d’effort importants qui ont été posés dans le contexte de la revue stratégique, dont nous voyons les constats s’amplifier et non forcément être remis en cause.

Nous continuons en outre à jouer tout notre rôle dans le cadre des coopérations et des partenariats noués, au sein de l’OTAN comme de l’Union européenne. Nous devons aussi compter sur l’effet démultiplicateur de nos initiatives pour que nos partenaires soient à nos côtés.

M. Jean-Charles Larsonneur. Quelle lecture la DGRIS fait-elle du Livre blanc de la défense diffusé par le Japon, au regard notamment du partenariat stratégique qui nous lie à ce pays ?

Par ailleurs, l’ONU a renouvelé début octobre à l’unanimité pour un an l’autorisation accordée à l’opération européenne Sophia pour contrôler les navires soupçonnés de trafics de migrants au large de la Libye. La plupart des États, dont la Russie, et le secrétaire général de l’ONU, ont regretté l’absence d’une dimension navale à cette opération. De fait, l’embargo sur les armes n’est pas respecté, et les grandes puissances s’affrontent indirectement sur place comme vous l’avez largement souligné.

Quel regard portez-vous sur la dimension navale et européenne de l’opération Sophia en Méditerranée ?

M. Jean-Louis Thiériot. Madame la directrice générale, ma question concerne la coopération que nous avons en matière d’armement avec nos amis allemands.

J’aurais deux inquiétudes à exprimer concernant le programme MGCS. J’aurais souhaité tout d’abord connaître la vision de la DGRIS sur les débats actuels sur la répartition entre partenaires allemands et partenaires français. Un article paru sur ce sujet le 8 octobre dans le journal L’Opinion résume fort joliment le problème. La difficulté est qu’il faut réserver deux tiers du programme à l’Allemagne et la moitié à la France. Comment voyez-vous donc l’avenir de ce programme ?

En outre, nous savons que nos amis allemands ont une sensibilité très particulière aux exportations d’armements. Il y a probablement une volonté de limiter, à terme, les programmes d’armement aux territoires européens et à l’OTAN. Ne pensez-vous pas que, au-delà de la règle de minimis des 20 %, dans des programmes futurs comme le MGCS, la souveraineté française en matière d’exportations d’armements, qui fait partie de notre autonomie stratégique, pourrait à terme être menacée dans le cadre de ces coopérations ?

En d’autres termes, pourrons-nous exporter librement le MGCS demain comme nous le faisons aujourd’hui, dans le respect qui est le nôtre des conventions internationales ?

Mme Monica Michel. Dans le cadre de votre mission de pilotage de l’action internationale du ministère des Armées, pourriez-vous nous préciser dans quels types d’actions se décline la notion de protection de l’exception culturelle française et de la francophonie, qui figure à la quatrième page de la stratégie nationale du renseignement (SNR) ?

Mme Alice Guitton. Le Premier ministre japonais Shinzō Abe a fait le choix complexe, dans un environnement difficile marqué par la crise de prolifération en Corée du Nord, par des relations de plus en plus tendues avec la Corée du Sud, par la recherche d’un dialogue avec la Russie, et par des liens historiquement difficiles avec la Chine, de tenter de conforter autant que possible le lien avec les États-Unis et le parapluie américain. Mais, conscient que celui-ci ne peut représenter l’alpha et l’oméga de la défense du Japon, il recherche également une capacité à s’investir davantage dans les questions de défense et à jouer un rôle, dans le respect de la constitution japonaise qui demeure pour l’instant telle qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Ce contexte offre de multiples opportunités à la relation de défense franco-japonaise. Le Japon trouve en effet auprès de la France un interlocuteur de qualité pour aborder l’ensemble des enjeux stratégiques qui se posent. La France est aussi un acteur de la résolution de la crise nucléaire nord-coréenne en réaffirmant régulièrement, y compris au Conseil de sécurité des Nations unies, le besoin de parvenir à la dénucléarisation internationalement vérifiable, complète et irréversible du programme nord-coréen – mais aussi des autres éléments de ce programme, qu’ils soient chimiques ou biologiques, pour lesquels les soupçons perdurent.

Par ailleurs, notre capacité à nous affirmer de manière autonome offre aussi la possibilité d’échanger avec le Japon sur de multiples autres sujets comme l’espace, l’intelligence artificielle ou le cyber. De nombreux contacts entre les responsables et experts concernés des deux administrations sont d’ailleurs envisagés.

Un dialogue sur l’Indopacifique prend également forme, ce qui me paraît très prometteur, y compris pour faire converger nos visions sur la stabilité stratégique en Europe et en Asie et en tirer des leçons.

Au-delà de cela, nous avons un dialogue sur la sécurité maritime qui est extrêmement fructueux et ne cesse de gagner en substance.

La coopération opérationnelle et militaire entre nos deux pays est également très dense. De très nombreuses activités ont pris forme et se poursuivront au cours des années à venir.

Le seul bémol de l’équation pour l’instant est que le Japon reste très fermé sur le plan technologique. La coopération d’armement peine donc à se formaliser, même si nous continuons à y accorder une grande importance dans notre dialogue bilatéral.

J’en viens à présent à la question relative à l’opération Sophia. À travers cette opération, s’est illustrée une crise politique entre pays européens, notamment entre la France et l’Italie, qui n’avait eu que des impacts négatifs.

Aujourd’hui, c’est avec grand intérêt que nous voyons la relation bilatérale avec l’Italie se redresser. Les derniers entretiens entre le Président de la République et le Premier ministre Giuseppe Conte sont prometteurs.

Je pense qu’il est nécessaire, pour aborder les sujets de migration, de surveillance des embargos sur les armes en mer Méditerranée et faire face plus largement à tous les enjeux présentés par la densification et le durcissement des interactions militaires dans cette zone, que les Européens soient solidaires.

Cette solidarité a été mise à mal dans le cadre de l’opération Sophia, sur la question des ports de débarquement des migrants. Pour l’instant, l’opération perdure sur un mandat dégradé. Il est indispensable que les échanges se poursuivent, comme cela a été fait au niveau des ministres de l’Intérieur, ainsi qu’un accord récent a pu le refléter, et qu’une solution soit trouvée pour que l’opération Sophia puisse se poursuivre dans son mandat naval. La France continuera à suivre cet effort de très près.

Concernant la coopération avec nos amis allemands autour du MGCS, le remplacement des chars de combat et les futurs systèmes d’artillerie faisant l’objet de ce projet structurant majeur ont été liés pour partie par Berlin à l’autre projet structurant issu de la lettre d’intention de Meseberg qui est le SCAF.

C’est cette copie complète que les Allemands conservent en tête, y compris dans les équilibres industriels, avec des logiques nationales industrielles, économiques et aussi d’arbitrage des rapports entre les composantes politiques au sein du Parlement allemand qui pèsent sur l’avancée de ces projets.

Nous poursuivons les efforts pour obtenir le lancement effectif de la phase de démonstration technologique du MGCS au deuxième semestre 2019. Les discussions sur l’organisation industrielle sont encore en cours entre le Délégué général pour l’armement français, M. Joël Barre, et son homologue allemand.

Nous avons une occasion unique constituée par la tenue prochaine du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS) et du Conseil des ministres franco-allemand (CMFA) le 16 octobre, pour porter à haut niveau ces questions et faire en sorte que ces projets soient bien traités.

Il y a un véritable enjeu autour de la capacité du Bundestag à libérer le moment venu les financements nécessaires, sans en faire l’occasion de préconditions additionnelles, pour ces deux projets structurants.

Il est important également que Berlin prenne conscience du fait que, nonobstant l’importance que nous accordons à ces projets pour nos armées, nous ne sommes pas dans une urgence telle qu’ils pourraient se sentir disposer d’un levier spécifique à notre encontre. Nous devons garder un rapport de forces équilibré dans cette négociation, qui est au bénéfice commun de nos industries et reflète, espérons-le, l’état d’esprit de confiance porté par le traité d’Aix-la-Chapelle. Ce n’est donc pas un processus linéaire, mais nous y sommes totalement engagés.

Sur le contrôle des exportations d’armements, il est évident que si nous développons de tels projets, il nous faut pouvoir les exporter dans le respect des règles strictes en vigueur et des exigences qui sont les nôtres.

L’accord Debré-Schmidt que nous avions noué avec l’Allemagne ne donnait pas toutes les garanties nécessaires pour avancer en ce sens. Comme vous le savez, des négociations complémentaires ont été engagées sur une clause de minimis et la possibilité de sécuriser pour l’avenir un chemin satisfaisant d’exportabilité de nos systèmes.

Nous travaillons afin que des progrès tangibles puissent être matérialisés et rendus publics le 16 octobre prochain.

Enfin, je me permets de solliciter des précisions sur la question portant sur la notion de protection de l’exception culturelle française et de la francophonie.

Mme Monica Michel. À la page 4 de la Stratégie nationale du renseignement, la protection de l’exception culturelle française et de la francophonie est mentionnée. Je souhaitais comprendre la portée de cette notion dans un document lié au renseignement et à la défense. Mais cela relève peut-être davantage de la DRSD que de la DGRIS.

Mme Alice Guitton. Je ne voudrais pas prendre le risque de commenter de manière non pertinente votre question. Je pense que cette question relève du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dans sa dimension interministérielle, dès lors que les enjeux sont d’ordre culturel et couvrent la francophonie et le renseignement.

Je regrette de ne pouvoir malheureusement être plus précise à mon niveau.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, Madame la directrice générale, pour l’exhaustivité de vos réponses et la richesse de vos propos. Je crois que nos collègues ont de plus en plus besoin de bénéficier de vos éclairages sur tout ce qui peut concerner la géostratégie et la prévention des risques à venir ou en cours. Merci, chers collègues, pour votre présence.

 

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La séance est levée à treize heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Louis Aliot, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Stanislas Guérini, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Thierry Solère, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

 

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Sylvain Brial, M. Luc Carvounas, M. Richard Ferrand, M. Jean-Jacques Ferrara, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Thomas Gassilloud, M. Benjamin Griveaux, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, Mme Josy Poueyto, M. Joachim Son-Forget

 

Assistait également à la réunion. - M. Pierre Cordier