Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, de M. le général d’armée aérienne Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air.


Mercredi
6 mai 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 48

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à onze heures cinq.

Mme la présidente Françoise Dumas. L’armée de l’air a été fortement mobilisée dans la lutte contre la propagation de l’épidémie de Coronavirus, et ce avant même son expansion au-delà des frontières chinoises.

Ainsi, dès le 31 janvier, un A340 de l’escadron de transport « Esterel » a rapatrié près de 200 ressortissants français depuis la ville de Wuhan, premier foyer de l’épidémie.

Avec le lancement de l’opération Résilience, l’armée de l’air a été davantage engagée, notamment pour l’évacuation sanitaire de patients depuis les régions les plus touchées et le transport de personnels soignants. Avions et hélicoptères ont été ainsi fortement sollicités, et chacun a pu louer l’immense professionnalisme des aviateurs dans la conduite de ces délicates missions.

Grâce aux études du centre d’expertise aérienne militaire de Mont-de-Marsan et les efforts de l’industrie, les A400M ont pu être équipés d’un module de réanimation développé à cet effet – baptisé « Mérope » –, et qui vient renforcer les capacités d’évacuation existantes des C135 et A330, équipés quant à eux du module « Morphée ».

Un A400M a été déployé en Polynésie, il y a une dizaine de jours.

Je ne doute pas, Général, que mes collègues auront de nombreuses questions sur la participation de l’armée de l’air à « Résilience », ce qui vous permettra sans doute d’évoquer les autres actions conduites localement, à l’initiative des bases aériennes.

Au-delà, je souhaiterais vous interroger, en tant que responsable de la condition du personnel, sur le moral des aviateurs et de leurs familles, ainsi que sur les effectifs touchés par le virus.

Vous connaissez également l’intérêt de l’ensemble des commissaires pour l’actualité des opérations, toujours aussi intenses malgré la situation sanitaire mondiale. 117 sorties aériennes ont été effectuées au Sahel la semaine passée, et près d’une vingtaine au Levant. Rappelons également que depuis le 1er mai, quatre Mirage 2000-5 de la base aérienne de Luxeuil, chère à Christophe Lejeune, assurent la mission de police du ciel dans le cadre des mesures de réassurance mise en œuvre par l’OTAN au profit des États baltes.

Enfin, je ne serais pas complète sans évoquer les défis de court, moyen et long termes, que posent la crise que nous traversons. Je pense d’abord à l’enjeu capacitaire, dans la perspective de l’actualisation de la LPM, mais également à la continuité de la préparation opérationnelle. J’ai conduit de nombreux entretiens avec les responsables des entreprises du secteur de l’aérospatial et de la défense, qui se sont mobilisés pour assurer la fourniture de pièces détachées et le maintien en conditions opérationnelles. Êtes-vous satisfait de leur réactivité et comment anticipez-vous les conséquences d’une inévitable réorganisation de cette filière ?

Avant de vous laisser la parole, je voudrais renouveler devant vous l’hommage rendu lors de notre première audition de ce matin au sergent Pierre POUGIN, sauveteur plongeur de l’escadron d’hélicoptères Pyrénées de la base aérienne 120 de Cazaux décédé mercredi dernier à l’occasion d’un exercice, et à l’infirmier du SSA Quentin LE DILLAU, décédé le lendemain de cet accident des suites de ses blessures.

Général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air. Merci Madame la Présidente. La crise provoquée par le coronavirus a surpris par son ampleur et sa forme inédites. Elle a remis en cause le fonctionnement normal de la vie nationale et de nos institutions. Elle présage d’importants bouleversements de notre économie, de notre société et de notre sécurité.

Dans cette crise majeure, nos armées ont eu -et auront encore- à jouer un rôle dans la résilience de la nation. L’armée de l’air met, depuis le début, toute sa détermination, son énergie et son agilité pour engager, au service de ceux qui luttent en première ligne, l’ensemble des moyens nécessaires. Je rends hommage à leur action quotidienne depuis près de trois mois. À la mobilisation de l’armée de l’air pour être au rendez-vous de cette crise planétaire, s’ajoute un engagement toujours très fort pour la protection de l’espace aérien et de nos bases aériennes, la dissuasion nucléaire ainsi que sur tous les théâtres d’opérations extérieures.

Je rends également hommage aux militaires décédés ces derniers jours dans l’accomplissement de leur mission : le légionnaire de première classe Clément, le brigadier Martynyouk, du 1er régiment étranger de cavalerie, le sergent-chef Pougin et l’infirmier en soins généraux de deuxième grade Quentin Le Dillau, de la base aérienne 120 de Cazaux. Ces derniers ont perdu la vie mercredi 28 avril dans un accident de treuillage sur hélicoptère Caracal, au cours d’un entraînement à la mission permanente de recherche et sauvetage. Eux aussi étaient engagés au quotidien pour sauver des vies. Je présidais hier la cérémonie militaire en présence de leurs familles et frères d’armes sur la base aérienne 120 de Cazaux. Le contexte de la crise sanitaire rend le deuil difficile, mais la mission doit continuer.

Depuis près de quinze semaines, l’armée de l’air fait face à cet ennemi invisible et imprévisible, avec humilité, réactivité et avec l’esprit d’innovation qui constitue l’ADN de l’aviateur. Comme vous l’avez souligné, dès le 31 janvier, la base aérienne 125 d’Istres accueillait les premiers ressortissants en provenance de Wuhan. Avec un faible préavis, elle mettait en place un hub de désinfection, s’appuyant sur les équipes spécialisées NRBC et les pompiers de l’armée de l’air, ouvrant en trois jours le domaine opératoire de désinfection des aéronefs.

Répondant aux ordres du Président de la République qui lançait l’opération Résilience, l’armée de l’air s’est fortement mobilisée pour contribuer à la sauvegarde de la nation par des missions aériennes de soutien sanitaire et logistique, avec l’aide de nos équipes de désinfection. Un remarquable travail conjoint a été mené avec le service de santé des armées, les industriels, la direction générale de l’armement, la direction de la maintenance aéronautique. Nous avons ainsi expérimenté en des temps records des procédures nouvelles de médicalisation des aéronefs A400M, C130, CASA, hélicoptères Caracal et Puma. Nous avons transporté 93 patients médicalisés sous oxygène dans de très courts délais vers des hôpitaux peu engorgés, ainsi que 450 soignants.

L’engagement de l’armée de l’air est désormais essentiellement tourné vers les territoires outre-mer, au travers de missions d’aérotransport de fret et de personnel médical, tout en conservant en métropole la capacité de transporter quotidiennement une vingtaine de patients lourdement atteints, soit plus que durant le pic en avril. En outre-mer, nous avons réalisé diverses actions : les CASA stationnés en Guyane ont acheminé du fret en Martinique ; l’A400M médicalisé mène encore des missions en Polynésie française.

La solidarité européenne s’est également exprimée. La Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg ont mis à disposition de la France leurs moyens de transport pour évacuer des ressortissants ou transporter des patients. Le chef d’état-major des armées a d’ailleurs récemment proposé au Comité militaire de l’Union européenne de mettre à disposition une capacité stratégique d’évacuation médicale grâce au Commandement européen du transport aérien (EATC).

La solidarité est précisément l’un des axes qui guide l’action de l’armée de l’air dans la gestion de crise, à l’image des nombreuses initiatives des bases aériennes vers leur environnement local : dons de masques aux hôpitaux, montages de tentes comme sas de décontamination pour les EHPAD, renforcement des postes de commandement de crise du SDIS, par exemple dans les Landes par la base aérienne 118 à Mont-de-Marsan, impressions en 3D de pièces détachées de respirateurs artificiels ou de visières pour soignants.

Les aviateurs ont manifesté une grande capacité d’innovation. Leur imagination et leur esprit pratique, couplés à leur expertise technique, ont apporté une aide précieuse à l’adaptation de nos moyens et procédures dans cette lutte contre la pandémie. Je pense à l’adaptation de la génération électrique dans les hélicoptères, afin de brancher directement les équipements du SAMU.

Les aviateurs ont aussi fait preuve d’un formidable élan de solidarité, pour la population en général, ainsi que pour leurs frères d’armes et leurs familles (en particulier des aviateurs engagés loin de chez eux). De nombreuses cellules de solidarité ont été créées, animées par des applications numériques. Pour maintenir en condition les aviateurs confinés, des séances de sport en ligne ont été dispensées par des moniteurs de l’armée de l’air.

Une communication très active a été mise en place, du plus haut niveau jusqu’au plus proche échelon de commandement, afin de justifier le sens de notre engagement dans cette période de troubles, en prenant toutes les mesures sanitaires pour protéger le personnel. Ces mesures ont été adaptées aux spécificités de nos missions. Les masques ont été utilisés lorsque la distanciation n’était pas possible. Nous avons fonctionné par bordées en état-major, dans les postes de commandement ou les unités opérationnelles, au moyen de ségrégations temporelles. Des ségrégations spatiales ont été créées pour les équipes de chantier ou de maintenance. Des quatorzaines avant départ et retour de mission ont été initiées et de nombreuses formations ont été conduites en e-learning.

Nous sommes restés très engagés pour assurer la pérennité de nos postures permanentes et d’engagement en opération. La menace, liée à un contexte géopolitique et militaire instable, à de nouveaux champs de confrontation, n’a pas faibli. La désorganisation engendrée par la crise sanitaire pourrait au contraire constituer une opportunité pour les groupes terroristes L’armée de l’air n’a pas réduit sa participation aux opérations extérieures. Dans la bande sahélo-saharienne, elle dispose depuis fin décembre d’une capacité supplémentaire avec l’armement du Reaper, fortement utilisée en complément de ses capacités ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance) et des capacités cinétiques des Mirage 2000.

Au Levant, si les activités de formation en Irak ont temporairement pris fin, la base aérienne de H5 reste totalement opérationnelle. Les Rafale Air poursuivent leurs missions de surveillance et d’appui aérien contre Daech.

En parallèle, l’armée de l’air assure ses missions permanentes sur le territoire national. Les forces aériennes stratégiques restent en mesure de répondre au volet dissuasion. Elles ont ainsi mené un exercice de nuit mobilisant une cinquantaine de moyens aériens. Le MRTT Phénix comptait bien sûr parmi ces moyens, alors que de jour, il œuvrait en parallèle pour transporter des malades dans le cadre de Résilience.

La posture permanente de sûreté est, elle aussi, totalement mobilisée au travers de ses hommes, notamment au centre national des opérations aériennes de Lyon-Mont Verdun. Si le trafic aérien dans le ciel de France a réduit de près de 90 %, le nombre de décollages sur alerte des chasseurs a augmenté, pour des pertes de communication, des vérifications de dérogation pour les quelques aéronefs de tourisme autorisés à voler, mais aussi pour l’entraînement de nos chasseurs sur des plateformes aéronautiques comme Roissy, habituellement surchargées. Nombreux sont par ailleurs les avions à long rayon d’action russes continuant de longer les côtes nordiques en direction des nôtres ; l’armée de l’air participe à la manœuvre pour les contrer. À l’aide de ses Mirage 2000-5 de Luxeuil, l’armée de l’air vient d’ailleurs de se déployer dans les pays baltes pour assurer la police du ciel dans le cadre de l’OTAN.

Dès la mi-mars, l’armée de l’air a mis en place un plan de continuité d’activité. Ce plan a permis de garantir les missions permanentes et les engagements opérationnels, tout en préservant la santé des aviateurs et de leurs familles. Les activités jugées moins essentielles ont été temporairement réduites. Le ralentissement de l’activité a engendré un retard de régénération capacitaire. Il est désormais impératif dans un premier temps de maîtriser cette dette organique, puis dans un deuxième temps de la résorber progressivement. Durant le confinement, l’armée de l’air n’a pas cessé son activité, évaluée entre 50 et 70 %. La reprise d’activité se fera en deux étapes : du 11 mai à la fin de l’été, une remontée progressive vers 80 % du niveau antérieur et, à compter de septembre, un retour vers une normalisation de notre fonctionnement.

Mes priorités lors de cette phase de reprise demeurent inchangées : préserver la santé de nos personnels et le « cœur » opérationnel, en assurant nos missions aussi bien sur le territoire national qu’en opérations extérieures. Nous devons aussi préserver la performance de notre MCO aéronautique, pour poursuivre la préparation opérationnelle et devons reprendre les actions de recrutement et comme de formation militaire.

La gestion du risque sanitaire sera menée selon le schéma que nous connaissons bien de gestion du risque opérationnel.

L’annulation de nombreux exercices interalliés de préparation opérationnelle, nationaux et interalliés, pourrait fragiliser l’entraînement des forces aux missions de « haut du spectre ». Mes échanges réguliers avec mes homologues européens, américains ou de la zone indopacifique confirment la volonté de toutes nos armées de maintenir des liens et de replanifier dès que possible ces exercices de haut niveau.

Le MCO est également un sujet d’attention, au regard de l’amenuisement des stocks logistiques. L’industrie aéronautique, souvent duale, est fragilisée par la crise. Un travail d’équipe est plus que jamais nécessaire. Il en va de la survie de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) et de la capacité de l’armée de l’air à mener ses opérations dans la durée.

Enfin, nos ressources humaines sont au cœur de mes priorités. Je veille à de la réalisation du plan annuel de mutation, important dans la vie des aviateurs et de leurs familles. Les recrutements ont repris le 27 avril. L’enjeu principal en matière de ressources humaines reste la fidélisation. Nous poursuivons pour cela la modernisation des formations et je suivrai attentivement les travaux sur la nouvelle politique de rémunération des militaires.

Les formations, justement, ont progressé en e-learning. Elles vont progressivement reprendre physiquement, conformément aux directives interministérielles et en toute sécurité.

Je souhaite enfin préserver au maximum les permissions d’été afin que les personnels, qui ont été largement engagés, puissent se régénérer. Il en va du moral de mes aviateurs et de notre efficacité collective.

En conclusion, je suis fier de l’engagement des aviateurs au profit de la population, fier d’une armée de l’air qui a su préserver ses missions permanentes et opérationnelles, la santé de ses aviatrices et aviateurs. Vingt et un se battent encore contre la maladie, dont deux toujours en réanimation[1]. Nous avons accompagné le choc, relancé la machine. Mon enthousiasme n’a pas faibli, conscient des enjeux que va représenter l’après-crise pour notre pays et pour nos armées.

Je vous remercie de votre écoute.

Mme Patricia Mirallès. Quel regard portez-vous sur le témoignage anonyme d’un soldat sur les conditions de retour de l’opération Barkhane ?

Au retour d’OPEX, les militaires transitent par nos bases aériennes métropolitaines. Dans ce contexte inédit, beaucoup observent directement des quatorzaines. Quelles dispositions sont prévues afin de protéger les personnels de ces bases et limiter les contacts ?

M. Charles de La Verpillière. Je me fais le porte-parole de Jean-Jacques Ferrara, rapporteur pour avis sur les crédits budgétaires de l’armée de l’air.

Comment entendez-vous résorber la dette organique accumulée par l’armée de l’air, compte tenu des moyens qu’elle a dû détourner de ses missions normales ? Dans le plan de relance, quelle place sera accordée à l’armée de l’air et à l’industrie aéronautique, notamment concernant les commandes de Puma à Airbus Helicopters ? Quelles sont vos premières idées dans la perspective de l’actualisation de la LPM prévue l’année prochaine ?

M. Fabien Lainé. Député des Landes où est implantée la base de Cazaux, je vous remercie pour l’hommage rendu au sergent Pierre Pougin et à l’infirmier Quentin Le Dillau.

Quelles pourraient être les conséquences sur votre politique RH de la crise que traverse le transport civil ? L’armée de l’air a longtemps souffert de cette concurrence, notamment en ce qui concerne les contrôleurs aériens et les pilotes. Alors que cet « aspirateur » n’existe plus, entendez-vous maintenir l’attractivité de l’armée de l’air pour ces personnels ?

M. Joaquim Pueyo. Je m’associe à l’hommage rendu aux militaires tués accidentellement sur notre territoire ou en OPEX.

Les armées poursuivent leurs missions sur les théâtres extérieurs. Fin mars, l’état-major assurait que la France resterait engagée auprès de ses partenaires pour assurer la défaite durable de Daech, en poursuivant ses missions d’appui aérien depuis ses bases régionales de Jordanie et du Qatar. Avant le confinement, je me suis rendu sur la base déportée en Jordanie, où nous avons évoqué l’opération Chammal. Quelles sont les conséquences du changement d’attitude de l’Irak en réponse à l’épidémie ?

M. Olivier Becht. Je vous remercie pour l’évacuation de nombreux malades en réanimation à Mulhouse vers d’autres centres hospitaliers. L’opération Morphée a montré la réactivité et l’efficacité de notre armée de l’air.

Pourriez-vous faire un point de l’opération Chammal dans le contexte du Covid ? Quelles sont vos attentes concernant les commandes d’hélicoptères interarmées légers H160M ?

M. Yannick Favennec Becot. À compter du 1er janvier 2022, l’armée de l’air se verra confier pour un an le commandement de la composante aérienne de la force de réaction rapide de l’OTAN. L’épidémie de coronavirus et l’arrêt des travaux publics peuvent-ils affecter la construction du poste de commandement à Lyon ?

M. Alexis Corbière. La France est un des rares pays européens qui ne dispose pas d’hélicoptères de transport. Face à la crise sanitaire, ce type d’appareil se révélerait utile, à l’instar des Airbus A400M. Dans la bande sahélo-saharienne, cet appareil aurait assuré l’évacuation ou le transport de tonnes de matériel et de vivres. Pourquoi privilégier la location et pour quelle durée, plutôt que l’acquisition d’appareils d’occasion, comme le préconisait le Sénat en 2014 ? Combien de pilotes seront formés ?

M. Jean Lassalle. De quel pourcentage d’engins en état de fonctionnement et accompagnés de pilotes disposez-vous ?

Général Philippe Lavigne. Une directive sanitaire pour les opérations a été élaborée spécifiquement afin de prendre en compte, dans le contexte COVID, les soldats, aviateurs et marins, depuis leur départ en opérations, jusqu’à leur retour en métropole. De nombreux aviateurs s’apprêtent à rejoindre les différents théâtres d’opérations extérieures. Avant leur départ, le service de santé des armées évalue leur état de santé. Ils sont placés en quatorzaine avant projection. De plus, les dispositions sont prises à bord des avions de l’armée de l’air afin de limiter au maximum les risques de contamination, en route ou au retour des théâtres d’opérations. De retour en France, des tests médicaux sont réalisés. Toute personne testée positive est placée en quatorzaine sur une base aérienne ou bien à son domicile, si les conditions sont remplies pour ne pas mettre en danger son environnement familial.

La dette organique, inévitablement causée par la crise sanitaire, touche tous les domaines : chasse, transport, hélicoptères, drones et structures de commandement et contrôle. L’effort consenti pour garantir les missions permanentes (police du ciel, dissuasion), ainsi que l’activité en opérations extérieures, a globalement permis de maintenir le niveau médian des équipages, mais a creusé un déficit dans des domaines pointus d’expertise ou dans la formation des plus jeunes. Les exercices interalliés de haut niveau ont ainsi été annulés pour une bonne partie de l’année 2020.

S’agissant du maintien en condition opérationnel des aéronefs, la dette « technique » de niveau industriel (approvisionnements logistiques, chantiers de maintenance) aura des conséquences sur la disponibilité des flottes. Pour autant, le niveau de soutien opérationnel (NSO) a permis d’« encaisser le choc » des premiers temps de confinement, grâce à la capacité d’adaptation du personnel des bases aériennes impliqué et aux stocks existants. Une fois le temps d’observation passé, l’activité de l’aviation de chasse est remontée à plus de 70 %, celle de l’aviation de transport et hélicoptères à près de 50 %. J’évalue la dette organique accumulée à environ une semaine de retard par mois de confinement. Elle a été relativement maîtrisée par un fonctionnement adapté, par bordées, sur des plages horaires élargies et en l’absence de nombreuses contingences (stages de perfectionnement, parrainages des nouveaux, …).

À partir du 11 mai, le plan de reprise prévoit une remontée progressive de l’activité. La dette organique sera résorbée au fil du temps. À l’été, le niveau de préparation opérationnelle et d’activité visé est de 80 % par rapport à une activité normale.

L’enseignement à distance, fortement employé pendant la période de confinement, se poursuivra pour certaines activités de formation. L’école des sous-officiers de Rochefort ne pourront par exemple accueillir que 30 % à 40 % de ses élèves compte tenu des contraintes de distanciation.

La crise COVID aura des conséquences sur l’industrie française et européenne. Parmi les secteurs les plus touchés, l’aéronautique, moteur essentiel de notre économie, sera particulièrement impactée et à travers elle, des emplois, des compétences et parfois notre souveraineté. Le lien est très fort voire dual entre l’aéronautique civile et l’aéronautique militaire. La conservation de la capacité de notre BITD à concevoir, à développer et à produire est essentielle pour le présent comme pour l’avenir, pour nos armées. Des propositions ont été faites pour répondre aux besoins opérationnels prioritaires de l’armée de l’air en ce qui me concerne.

Avant la crise, le remplacement de nos hélicoptères Puma, âgés de plus de quarante ans, était identifié comme un besoin urgent, auquel une solution de location-vente pouvait répondre. Il s’agissait de disposer plus rapidement d’appareils modernes afin de cesser de recourir aux Puma dont le MCO devient très coûteux. La modernisation de notre composante hélicoptères pourrait ainsi faire partie du plan de relance.

Accélérer l’achat des trois derniers Airbus A330 MRTT pourrait également s’inscrire dans le cadre d’un possible plan de relance, permettant de rationaliser et de moderniser la flotte d’avions de transport stratégiques, et de réduire la charge du MCO.

Par ailleurs, la modernisation de notre aviation de combat est primordiale dans un environnement où les menaces et les défenses sont de plus en plus complexes. Je pense en particulier au Rafale en remplacement accéléré de nos flottes anciennes dont certaines sont déjà à bout de souffle. Je pense également à la défense au sol-air et au Crotale de nouvelle génération.

S’agissant des ressources humaines, le besoin validé par la LPM d’une augmentation du volume d’aviateurs de près de 1300 postes reste d’actualité pour répondre à la déflation des précédentes LPM et à l’apparition de nouveaux domaines. L’espace, la maintenance aéronautique, la protection de nos bases aériennes et du territoire national, requièrent ces effectifs supplémentaires et encore davantage. J’ai des besoins en pilotes, contrôleurs, et dans certaines spécialités convoitées par le secteur civil, comme les informaticiens.

Vous mentionniez une possible réduction d’activité dans le secteur aéronautique civil. Il n’est pour autant pas possible pour le moment d’en dégager une tendance. Il reste donc impératif de développer des leviers de fidélisation : formation modernisée et rémunération plus attractive.

Concernant l’opération Chammal, nos quatre Rafale restent très employés depuis la base H-5 en Jordanie, aussi bien dans des missions de reconnaissance que d’appui aérien. Un regain de l’activité de Daech est d’ailleurs observé depuis plusieurs semaines, qui exige une présence aérienne militaire soutenue.

Le COVID n’a pas d’impact sur la commande des quarante hélicoptères HIL160 qui reste prévue. L’armée de l’air sera livrée à partir de 2030. Des premiers signes de fatigue invitent à une vigilance accrue sur le respect du calendrier de livraison des H160. En attendant, le traitement des obsolescences du Fennec, de sa caméra thermique et des liaisons de données, reste indispensable pour pérenniser la capacité à assurer la « police du ciel ». Les HIL permettront, outre les missions de protection du territoire (police du ciel, recherche et sauvetage), de réaliser du renseignement et de l’appui en opération. Destiné à intervenir en profondeur, en accompagnement du Caracal, il devrait être doté de capacités de protection, d’armement et de ravitaillement en vol. En attendant, les Fennec resteront en service.

Nos hélicoptères Puma, bien qu’ayant une moyenne d’âge de 42 ans, ont été avantageusement employés pour transporter des patients COVID, aux côtés nos Caracal, et des hélicoptères de la marine et de l’armée de terre. Pour autant la disponibilité et le coût à l’heure de vol des Puma militent pour un remplacement accéléré de la flotte. Plusieurs propositions ont été faites pour les remplacer par des H225 et assurer ainsi une uniformité de la flotte, ce qui faciliterait le MCO.

L’hélicoptère de transport lourd, toujours à l’étude, n’est pas prévu dans la loi de programmation militaire. Nous explorons les possibilités de coopération avec nos partenaires allemands et britanniques qui en sont dotés.

S’agissant de l’OTAN, la France doit effectivement assurer en 2022 le commandement de la Force de réaction (NRF), l’armée de l’air devra pour sa part planifier et conduire les opérations aériennes de l’alliance depuis notre poste de commandement de Lyon-Mont Verdun. Ceci nécessite de disposer d’infrastructures adaptées, et de ressources humaines formées pour armer ce centre. Nos partenaires de l’OTAN viendront d’ailleurs y travailler en nombre. Comme le chef d’état-major des armées, je reste vigilant à l’état des travaux d’infrastructure, dont le retard lié au COVID peut être significatif.

Le sujet du MCO, je vous l’ai dit, est au cœur de mes priorités. La disponibilité des flottes s’est maintenue à un niveau d’avant-crise, grâce à des mécaniciens réactifs et performants. Les stocks logistiques ont été exploités. Nos industriels se sont également immédiatement engagés pour soutenir en priorité les flottes engagées en opération. L’activité de l’armée de l’air a ainsi été maintenue entre 50 à 70 % de son niveau habituel.

M. Jean-Michel Jacques. Avons-nous les infrastructures nécessaires à la nouvelle modélisation des départs et des retours d’opération pour assurer un accueil ? Un plan de relance est annoncé. La LPM a fléché les infrastructures foncières.

Durant la crise, l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA), réorganisé récemment, a été à la hauteur et a maintenu la condition opérationnelle. Vous avez dit que vous étiez à 50 % de notre capacité antérieure. Nous ne le devons pas uniquement à nos industriels dont beaucoup ont cessé leurs activités mais aussi à nos ouvriers d’État. Cela étant, 50 % d’une indisponibilité de l’ordre de 30 à 40 %, cela fait beaucoup. Comment renforcer l’AIA ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Tandis que nos forces armées étaient déployées pour soutenir le pays, vous avez continué d’assurer vos missions de protection du territoire. Alors que la pression de la lutte contre le Covid commence à baisser, quel regard portez-vous sur la réponse de nos capacités à cette mise à l’épreuve ? Cette crise ouvre-t-elle de nouvelles pistes d’amélioration pour l’armée de l’air ?

M. Jacques Marilossian. Dans le cadre de Résilience, les écoles d’aviateurs ont mis en place un enseignement à distance. Son développement est-il envisageable en cas de retour d’une pandémie ?

Tirez-vous un premier bilan des effets du Covid sur les livraisons prévues dans le cadre de l’exécution de la LPM ? Comment remédier à d’éventuels retards ?

M. Thibault Bazin. Nos alliés ont-ils maintenu comme nous leurs engagements opérationnels ? Avez-vous constaté chez eux des effets différents du Covid-19 ?

Mme Aude Bono-Vandorme. L’armée de l’air compte 7 759 réservistes, dont 649 utilisés par jour en moyenne. Vous êtes une des rares composantes à avoir préservé un taux élevé. Comment appréciez-vous leur utilisation en temps de crise ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Vous aviez fait du déploiement du programme de surveillance aérienne Air Command And Control System (ACCS), commun aux alliés de l’OTAN, la priorité pour 2020. Quel est l’avenir de ce programme, rendu complexe par la grande hétérogénéité des systèmes utilisés ?

M. Nicolas Meyzonnet. Les députés allemands sont réticents à approuver le contrat recherche et technologie du projet de système de combat aérien du futur (SCAF), jugeant qu’il fait la part trop belle à l’industrie française. La réalisation de certaines exigences, notamment l’avancée du projet de char du futur MGCS conduit par l’Allemagne, doit être soumise au parlement allemand. Existe-t-il des risques de blocage du projet SCAF ?

Mme Monica Michel. Dans le cadre du plan de relance d’Airbus et de l’acquisition des MRTT, comment les derniers prévus seront-ils incorporés à la programmation budgétaire et quand seront-ils mis à disposition ?

Général Philippe Lavigne. Le retour des personnels déployés en opérations est organisé de façon à préserver leur santé et celle de leurs familles. Les bases aériennes, comme Creil ou Evreux, ont été mobilisées ces dernières semaines pour accueillir le personnel dans de bonnes conditions et permettre de conduire les démarches sanitaires prévues. Soyez assurés qu’à Creil ou à Évreux, le service de santé des armées, pour ce qui relève des évaluations médicales, le commissariat des armées, pour le bien-être, l’hébergement et la nourriture, et l’état-major des armées, ont fait le maximum pour assurer correctement le retour de nos aviateurs, soldats et marins.

Nos infrastructures sont-elles suffisantes ? En cette période de crise, elles ne sont pas utilisées à 100 %, car nous n’accueillons plus certains stages ou missions. La disponibilité partielle de certains bâtiments d’hébergement a permis d’accueillir les premiers retours d’opération. Mais notre dette en infrastructures, préexistante au COVID, n’est pas effacée. Nous avons besoin de capacités d’hébergement rénovées et de capacités supplémentaires. Cet axe pourrait être pris en compte dans la LPM, voire dans le plan de relance.

Merci d’avoir souligné le travail du service industriel aéronautique (SIAé) et l’effet positif du niveau de soutien opérationnel (NSO) national, pour le MCO. Je le redis, le NSO a tenu un rôle majeur dans la poursuite d’une activité comprise entre 50 et 70 % de l’activité habituelle. Je remercie pour cela les mécaniciens de l’armée de l’air, du SIAé, et les ouvriers d’État.

Le fonctionnement des unités a profondément évolué pendant la crise. Le personnel travaille par bordées, distancié géographiquement ou temporellement. Le personnel mis en réserve permet de préserver le potentiel. Nous avons donné la priorité à la posture permanente de sûreté aérienne (PPS), à la dissuasion, et aux opérations extérieures. Le personnel en astreinte a pu être employé pour des activités et des actions de solidarité : aider à monter des tentes pour les EHPAD ou dans les PC de crise.

Je tiens à souligner à nouveau la capacité NRBC de l’armée de l’air, qui a permis, dès le 31 janvier, la prise en compte assez sereine de cet ennemi invisible. La crise est révélatrice de la capacité d’innovation et d’adaptation de nos aviateurs. Au-delà des équipements des avions de transport, des masques et des visières, je note le rôle central joué par les centres de commandement de l’armée de l’air dans la coordination des moyens aériens sur le théâtre national et dans les outre-mer.

Dans nos écoles, les directives gouvernementales ont été strictement appliquées et l’enseignement à distance pratiqué massivement. Les enseignants des écoles de l’armée de l’air se sont d’ailleurs fortement mobilisés pour transformer leurs cours et les rendre accessibles aux élèves à domicile. Nous allons tirer les enseignements de ces nouvelles méthodes de travail très profitables. La crise n’est pas finie et il va falloir continuer à nous adapter, en conjuguant par exemple enseignement à distance et enseignement présentiel.

Les retards de livraison par rapport à l’exécution de la LPM sont maîtrisés, qu’il s’agisse du SCALP, du Mirage 2000, du C130 ou des ALSR. Certains chantiers ont été stoppés mais j’ai confiance en la capacité des industriels à accroitre leur activité pour tenir au mieux les engagements. Il faudra collectivement faire preuve d’une vigilance accrue pour résorber cette dette.

Nous avons par ailleurs maintenu l’emploi des personnels réservistes dans le domaine des opérations aériennes, dans les systèmes d’information et de communication et pour la solde. Dans le plan de continuité, comme je l’ai souligné, des aviateurs d’active étaient mobilisés pour répondre aux besoins de solidarité de la nation. Les requêtes ayant été peu nombreuses, je n’ai pas eu besoin de recourir aux réservistes opérationnels, en complément, pour la crise COVID.

S’agissant de l’ACCS, nous sommes engagés dans un parcours de reprise de confiance sur la base de tests successifs. Nous avons terminé une série de tests, l’industriel s’étant mobilisé pour être présent pendant la crise. L’évaluation nationale, prévue entre trois et quatre mois après ces tests, pourra intervenir fin août-début septembre. L’OTAN réalise des tests également, mais plus difficilement en raison de la fermeture des frontières.

Concernant le SCAF, l’objectif reste celui annoncé par la Ministre, d’un vol en 2026 du démonstrateur de l’avion de nouvelle génération. La coopération entre opérationnels est active. Les travaux en cours portent sur les critères d’évaluation de l’architecture. Une architecture, c’est une combinaison de petits et de gros drones, une furtivité, une capacité d’emploi, une capacité de commandement déportée à définir, des combats collaboratifs à coordonner. La connectivité sera un point clé de la réussite du SCAF. Elle doit être appréhendée dès à présent.

Enfin, s’agissant des MRTT, la LPM prend en compte l’avancée de la livraison des 12 MRTT en 2023. La cadence est respectée. Quant aux trois derniers MRTT initialement attendus après 2025, nous avons envisagé avant le COVID une location-vente et l’avancement de la livraison initiale sous un format « avion passagers », visant à remplacer les A310 et les A340, avant leur transformation en avion ravitailleur en vol plus tard. La volonté est de rationaliser les flottes (grâce à une flotte unique de MRTT pour remplacer les A310, les A340 et les C135), tout en assurant la poursuite des relèves des soldats, des aviateurs et des marins sur nos théâtres d’opérations.

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, je vous remercie pour la précision de vos propos. Je salue le niveau d’implication de vos aviateurs et aviatrices, ainsi que de la chaîne de commandement. Le pays a pris conscience de vos capacités d’adaptation et de résilience.

Cela nous aidera à faire prendre conscience à chaque citoyen de la nécessité d’une capacité de réaction immédiate à tous les risques, sur tous les théâtres sur lesquels vous êtes les plus aptes à pouvoir réagir rapidement, ici et outre-mer.

 

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La séance est levée à douze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Philippe Folliot, Mme Albane Gaillot, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean Lassalle, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, M. Nicolas Meizonnet, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Sylvain Brial, M. André Chassaigne, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre


[1] Depuis l’audition, les deux aviateurs sont sortis de réanimation et ont débuté leur rééducation.